Ifiibrûvics
ALFRED LOISY
L'ÉVANGILE
SELON LUC
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PARIS
EMILE NOURRY, ÉDITEUR
62, Rue des Écoles, 62
1924
Tous droitB réservés pour tous pays
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L'ÉVANGILE
SELON LUC
DU MEME AUTEUR
Histoire du Canon de l'Ancien Testament (1890), i vol. in-8,
260 pages • Épuisé
Histoii'c du Canon du Nouveau Testament (1891), i vol. gr. in-8,
3o5 pactes Épuisé
Études bibliques, troisième édition (1908^, i volume ln-8,
2^0 pages. 3 fr.
Histoire critique du texte, et des versions de l'Ancien Testament (1892-
189'^), 2 vol. in-8 Épuisé
Les Mytlies babyloniens et les premiers chapitres de la Genèse (1901),
I vol. gr. in-8, xix-212 pages Épuisé
Les Évangiles synoptiques (1907-1908), 2 vol. gr. in-8, i. 014 et
818 pages 3o fr.
L'Évangile et l'Église, quatrième édition (1908), i vol. in-12,
xxxiv-280 pag'es Épuisé
Autour d'un petit livre, deuxième édition (1904), i vol. in-12,
xxxiv-3oo pages ' , Epuisé
Simples réflexions sur le décret du Saint-Office Lamentahili
sane exiiu et sur l'Encyclique Pascendi dominici gregis,
deuxième édition (1908), i vol. in 12, 807 pages 3 fr.
Quelques lettres sur des questions actuelles et sur des événements
récents (1908), i vol. in-i2, 295 pages 3 fr.
La Religion d'Israël, deuxième éditiou (1908), i vol. in-12,
297 pages 3 fr.
Leçon d'ouverture du cours d'Histoire des religions au Collège de
France (1909), in-12, 43 pages 075
Jésus et la Tradition évangélique (1910), i vol. in-12, 288 pages.. . 3 fr.
A propos d'Histoire des Religions (19 11), i vol. in-12, 826 pages. . . 3 fr. .
L'Évangile selon Marc (1912), i vol. in-12, 5o3 pages 5 fr.
Choses passées (1918), I A'-ol. in-12, x-398 pages 3 5o
Guerre et Religion, deuxième édition (1915), i volume in-12,
196 pages 2 5o
L'Épitre aux Galates (1916), i vol. in-12, 204 pages 2 00
Mors et Vita, deuxième édition (1917), i vol. in-12, 90 pages. i 5o
La Paix des Nations et la Religion de l'avenir (1919), in-12, 3i pages i 20
De la Discipline intellectuelle (1919), 1 vol. in-12, 192 pages 3 5o'
Les Mystères païens et le Mystère chrétien {1919), j vol. gr. in-8,
368 pages Épuisé
Essai historique sur le Sacrifice (1920), i vol. gr. in-8, 552 pages., 3o fr.
Les Actes des Apôtres (1920), i vol. gr. in-8, 968 pages 50jfr.
Le Quatrième Évangile, deuxième édition (1921), i vol. in-8,
602 pages 80 fr.
Les Livres du Nouveau Testament, traduits du grec en français,
avec introduction générale èl notices (1922), i volume
gr. in-8, 714 pages 80 fr
L'Apocalypse de Jean (1928), i vol. gr. in-8, 406 pages 20 fr..
La Morale humaine (1928), in-12, 812 pages 7 5o
La Religion, deuxième édition (1924), in-12, 406 pages < 7 60
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L'ÉVANGILE
SELON LUC
PARIS
EMILE NOURRY, ÉDITEUR
62, Rue des Écoles, 62
1924
Tous droits réservés pour tous pays
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INTRODUCTION
Le troisième des évangiles dans l'ordre du canon ecclésias-
tique se présente comme la première partie d'un ouvrage dont
les Actes des apôtres forment la seconde, et qui avait pour objet,
dans cette première partie, la manifestation de Jésus-Ghrisi,
dans la seconde partie, la fondation de l'Eglise. Cet ouvrage est
attribué par la tradition à Luc, disciple de Paul, mentionné
comme tel dans les épîtres de l'Apôtre. Ayant étudié les Actes
dans un précédent volume (Les Actes des Apôtres, 1920), l'on se
propose ici d'examiner criliquement l'attribution de l'évangile
et d'en commenter critiquement le texte, afin de rééditer et de
mettre au point, pour ce qui concerne Luc, un travail antérieur
sur les trois premiers évangiles (Les Evangiles synoptiques,
1907, 1908). Dans la présente introduction il sera traité de la
tradition ecclésiastique touchant le troisième évangile, de la
critique de ce livre, de son contenu, de sa composition, enfin
de sa forme littéraire, de l'état de son texte, des principaux
commentaires dont il a été l'objet.
§ I. — Le troisième évangile dans la
TRADITION ecclésiastique
Paul nomme Luc en le qualifiant de « cher médecin » (Col.
IV, i4) et le présentant comme sorti de la gentilité (cf. Col. iv,
II), mais il ne dit rien de son aclivilé littéraire (11 Cor. viii, 18,
où beaucoup d'anciens ont pensé reconnaître Luc et son évan-
gile, ne vise pas un évangile écrit, et il n'y à aucune chance pour
que Luc soit le frère anonyme dont il s'agit). D'autre part, à
lire le troisième évangile, on ne soupçonnerait pas que l'auteur
6 l'évangile selon LUC
a longtemps vécu dans l'inlimité de Paul, ni, à lire les épîtres,
que Paul avait auprès de lui un historien de l'Evangile (I Cor.
IX, 14, vise la sentence reproduite Le. x, 7, Mt. x, io-ii ; mais
le passage paraît être une interpolation ; I Tim. v, 18, cite pro-
bablement Le. X, 7, mais l'épitreest apocryphe et sa compo-
sition tardive ; sur Torigine de Le. xxii, 19-20, et son rapport
avec I Cor. xi, aS-fîb, voir le commentaire).
Le livre des Actes rend témoignage à l'évangile dont il est la
suite, mais il indique comme objet de ce premier livre le minis-
tère du Christ jusqu'à son assomption dans la gloire (Agt. 1,1-2),
et tel est aussi bien, dans le corps du livre, l'objet du témoi-
gnage apostolique (Agt. i, 21-22 ; x, 37-43), Il semblerait que
le livre des Actes considère Nazareth comme étant la patrie de
Jésus (cf. Agt, ii, 22 ; m, 6 ; iv, 10 ; vi, 14 ; x, 38 ; xxii, 8 ;
XXVI, 9). La parole de Jésus sur le temple est rappelée dans les
Actes (vi, i4), mais n'est pas mentionnée dans l'évangile; enfin
les Actes (xx, 35) attribuent à Jésus une parole qu'ignore la
tradition des évangiles,
A raison de ce qu'elle dit touchant l'ascension du Christ et
l'envoi de l'Esprit saint, la première de Pierre (i, 11-12; m, 22)
semblerait dans la dépendance des écrits attribués à Luc ; mais
répitre est apocryphe et de date incertaine, moins ancienne
peut-être qu'on ne l'admet communément.
D'appréciation délicate est le rapport du troisième évangile
avec le quatrième. Plusieurs estiment que le récit de la pêche
miraculeuse, dans l'appendice de Jean (xxi, i-i4), dépend de
Luc (v, i-ii); mais il est aussi probable, sinon davantage, que
la pêche miraculeuse a été attachée aux apparitions du Ressuscité
avant de l'être à la vocation des premiers disciples. Et comme
la rédaction des Actes (ui-iv, 22; viii, i4-i5; xii, 1-2; voir le
commentaire de ces passages) semble avoir, eu connaissance de
la légende d'Ephèse touchant l'auteur des écrits johanniques et
l'avoir consciemment favorisée, la rédaction de l'évangile a non
seulement des traits analogues (Le. xxi, 8; omission de l'inci-
dent des Zébédéides, Me. x, 35 -40), mais paraît dépendre de
celle du quatrième évangile en certains traits des récits de la
résurrection (Le. xxiv, 12, 24, 36-4a ; voir le commentaire).
Les épîtres d'Ignace semblent présupposer la connaissance de
IJITRODUCTION
JLuc et des Actes (cf. notamment Smyrn. i, 2, et Le. xxiii, 6-
12; AcT. IV, 27; Smyrn. 3, i-3, et Le. xxii, 82; xxiv, 34, 89;
AcT. X, 4r); mais l'authenticité de ces lettres est plus que con-
testable, et si elles sont postérieures à Marcion (voir H. Delà-
fosse, Nouvel examen des lettres d'Ignace d'Antioche, dans
Revue d'histoire et de littérature religieuses, juillet et octobre'
1922), leur témoignage perd beaucoup de son intérêt pour notre
sujet.
On peut en dire autant des citations de paroles évangéliques
qui se rencontrent dans l'épître de Polycarpe (2, 3; ci". Le. vi,
20), si cette épUre, d'ailleurs authentique, mais interpolée par le
rédacteur des épîtres ignalienues, a été écrite vers l'an i5o
(Delafosse, art. cit., 5io-5i5).
Plus important serait le témoignage de Marcion, s'il était pos-
sible de déterminer plus exactement la position de cet héré-
tique à l'égard de la littérature évangélique antérieure et le rap-
port de son évangile à cette littérature. Marcion n'avait donné
à sa secte qu'un seul évangile, sans nom d'auteur, et qui était
simplement « l'évangile ». Les auteurs anciens qui ont parlé de
ce livre s'accordent à le représenter comme une édition mutilée
de Luc (Irénée, Haer. L 27, 2; Terïullien, Marc. IV, 2). Le
bien fondé de cette opinion n'est plus guère contesté aujourd'hui.
Mais le reproche que les docteurs orthodoxes font à Marcion
d'avoir sacrifié trois parties sur quatre de la collection tradition-
nelle est fort exagéré. La collection n'était point arrêtée lorsque
Marcion lit son choix. Avec l'idée qu'on avait encore de l'Evan-
gile vers i4o-i5o, Marcion n'était pas plus hardi en prenant un
seul livre parmi ceux qui avaient cours dans les communautés,
que Talien ne le fut vingt ou trente ans plus tard en fondant
en un seul les quatre livres que l'Eglise, pour les opposer aux
gnostiques en général et à Marcion en particulier, avait détini-
tivement canonisés. Il paraît vrai aussi que Marcion a été dirigé
dans le traitement de son texte évangélique parle principe dogma-
tique de son hérésie. Encore est-il qu'il ne traita pas avec plus de
liberté le texte commun de Luc, que les rédacteurs successifs des
évangiles ecclésiastiques n'ont traité leurs devanciers. Il semble
que Marcioii ait considéré comme fausses les attributions des
«vangiles ecclésiastiques, et peut-être n'a-t-il fait que retouchei*
8 l'évangile selon LUC
selon son système l'évangile qui avait cours dans la commu-
nauté du Pont où il avait d'abord vécu (cf. Harnagk, Marcion,
38, 67). Ses doutes sur lauthenlicité des livres évangéliques ne
venaient pas uniquement de son système ; mais on serait
curieux de savoir comment il les justifiait, et pourquoi l'attribu-
tion à Luc de l'évangile qu'il a remanié ne lui a pas semblé
plus sûre que les autres.
L'apologiste Justin a; connu le troisième évangile parmi les
écrits qu'il désigne sous le nom de « Mémoires des apôtres » et
qu'il dit avoir été écrits « par les apôtres ou par ceux qui les
ont suivis » {Dial. io3, 22), la distinction des auteurs, qui est
faite à l'occasion de la sueur de sang au jardin des Oliviers,
visant Luc et s'inspirant même de son prologue, bien que Luc
ne soit pas nommé, non plus que les autres évangélistes. C'est
du troisième évangile qu'il paraît tenir ce qu'il dit touchant la
naissance de Jean-Baptiste {Dial. 84, 11), l'annonciation du
Christ {Apol. I, 33 ; Dial. 100, 18), le recensement de Quirinius
{Dial. 78, 10 ; Apol. I, 34, où Justin renvoie même ses lecteurs
aux actes du recensement, ce qui prouve son zèle d'apologiste
plus que la sûreté de son information), la circoncision de Jésus
{Dial. 67, i), ses progrès {Dial. 88, 5), sa prédication à l'âge de
trente ans, dans le temps de Tibère et de Ponce Pilate {Dial.
88, 5 ; Apol. I, i3, 6), sa généalogie {Dial. 100 ; Justin semble
connaître les deux généalogies et n'en tenir compte que par
rapport à Marie, qu'il dit avoir été de la race de David). Quant
aux paroles qu'il semble avoir prises de Luc, elles trahissent
parfois l'influence de Matthieu, et réciproquement {ainsi Dial.
17, 17, où il paraît dépendre de Mt. xxiii, i3, 23, 24 et de Le.
xi, 42, 52), Il décrit l'institution eucharistique {Apol. I, 66;
Dial. 70, 116) conformément à la recension commune du troi-
sième évangile (Le. xxii, 19-20), avec la recommandation qui
vient de la première aux Corinthiens (I Cor. xi, 24-25). Il semble
dépeindre d'après Luc (xxir, 44) l'agonie au jardin des Oliviers
{Dial. io3, 22 ; noter que Justin se réfère au Ps. xxii, 14, dont
la sueur de Jésus serait l'accomplissement, ce qui indique la
véritable origine de ce trait), tout en prenant la prière de Jésus
dans Matthieu (xxvi, 39), Il dit que Pilate envoya le Christ à
Hérode et qu'il le lui envoya enchaîné {Dial. ib3, i3; cf. Le.
INTRODUCTION 9
xxiii, 7; mais les chaînes ne viennent pas de Luc) ; que Jésus
fut crucifié par les Juifs, du commun accord d'Hérode et de
Pilate (Apol. I, 4o, 6 ; emprunt probable à Le. xxiii, ir ; Act.
IV, 27, mais avec influence d'une autre source, comme dans le cas
précédent ; et cette source pourrait être l'évangile de Pierre, où
Justin paraît avoir pris ce qu'il dit de Jésus installé parles Juifs
au tribunal et crucifié ensuite avec des clous, ^/}oZ. 1,35 ;àce pro-
pos Justin renvoie son lecteur, pour confirmation, aux archives
de Pilate, comme il a fait ailleurspour les registres de Quirinius).
Les dernières paroles qu'il attribue au Christ mourant {Dial.
io5, i3) sont celles qui se lisent dans le troisième évangile (Le.
XXIII, 46). Il mentionne comme Luc les amis de Jésus, mais
c'est pour dire qu'ils le renièrent tous et qu'ils s'étaient disper-
' ses après le crucifiement; il n'en parle pas moins de la résurrec-
tion et de l'ascension comme s'il résumait les données du troi-
sième évangile et des Actes, sauf toujours certains détails qui
attestent l'influence d'autres récits ou une grande liberté dans la
façon de reproduire les données traditionnelles {Apol. I, 5o ; cf.
Le. XXIV, 36, 44i 46. 5i ; Act. i, 8-10).
Justin est le témoin d'un âge- de transition. Il insiste, comme
aussi bien faisait Papias d'Hiérapolis, sur le caractère aposto-
lique des évangiles qui ont cours de son temps dans les com-
munautés. Force est de défendre ainsi contre les gnostiques,
surtout contre le dangereux Marcion, la tradition de l'Eglise
naissante. Mais Justin n'en est pas encore à limiter la documen-
tation autorisée de l'Evangile à quatre livres qui seuls feraient
loi dans l'Eglise. Ce n'est probablement pas qu'il soit en retard
sur son temps, c'est plutôt qu'il est étranger aux milieux et aux
groupes dirigeants où s'élabore la réglementation du canon néo-
testamentaire. En tant qu'il affirme l'aposlolicité de la tradition
évangélique, il est dans la ligne de la catholicité qui s'affermit;
en tant qu'il est enclin, aussi comme le bon Papias, à recevoir
de toutes mains la tradition évangélique, il nous aide à com-
prendre son contemporain Marcion, qui, plus averti et d'esprit
plus personnel, déclare sans ambages, et non sans grande
apparence de vérité, que la tradition originale de l'Evangile ne
s'était gardée nulle part sans altération. Mais que fallait-il
entendre par tradition originale de l'Evangile? Marcion lui-
40 l'évaugile selon luc
même, qui s'en rapporte à Paul sur ce point, s'est peut-être
trompé à sa manière autant que Justin.
L'acceptation de l'évang-ile attribué à Luc dans le recueil
canonique ne paraît pas avoir soulevé, dans les communautés
de la grande Eglise, plus d'objections que celle de Marc et de
Matthieu. Ce n'est pas qu'on en sût bien long sur ses origines.
Irénée, le plus ancien écrivain ecclésiastique à nous connu qui
mentionne expressément Luc comme auteur de ce livre, ne sait
absolument rien de lui, si ce n'est ce que, l'attribution une fois
donnée, on peut déduire soit de l'évangile et des Actes, soit des
épitres de Paul, et ces déductions sont loin d'être toutes indiscu-
tables. Tout critique sans parti pris deviendra rêveur en appre-
nant d'Irénée {Haer. III, i, i) que « Luc, le compagnon de Paul,
mit en livre l'évangile prêché par celui-ci » ; car ce qu'on lit
dans les épîtres et ce que Paul appelle son évangile est tout
autre chose que les faits et discours consignés dans la tradition
synoptique. Quand Irénée dit ailleurs (Z/aer. III, 14, i)que Luc
a écrit sur la recommandation de Paul, il émet une hypothèse
gratuite ; quand il représente Luc comme ayant été compagnon
et disciple des premiers apôtres {Haer. III, 10, i), le moins
qu'on puisse dire est qu'il interprète inexactement une indiea-
cation du prologue évangélique.
Tertullien n'en sait pas plus qu'Irénée. Argumentant à distance
contre xMarcion, il se donne tous les avantages en proclamant
dès l'abord l'origine apostolique ou équivalemment apostolique
des évangiles reçus dans l'Eglise, et celle de Luc en particulier :
on a coutume, dit-il, d'attribuer à Paul l'écrit de Luc; on peut
regarder comme étant des maîtres ce qu'ont mis au jour les
disciples (Marc. IV, 5). Argument facile et vain. Quand il dis-
serte sur l'absence d'un nom d'auteur en tête de l'évangile de
Marcion [Marc. IV, 2), Tertullien raisonne comme si les noms,
qui sans doute figuraient de son temps dans les titres des
manuscrits évangéliques, y avaient existé dès l'âge aposto-
lique. Rien n'est moins certain. On appelait couramment « évan-
giles », au temps de Marcion, les livres de lecture évangélique
(cf. Justin, Apol. I, QQ)\ Marcion se sera conformé à l'usage en
dénommant ainsi le sien, et la fixation du canon ecclésiastique
pourrait bien avoir déterminé dans la pratique la mention
INTRODDCTION 11
expresse des auteurs ea tète des évangiles reçus. Les titres
communs : « selon Matthieu », etc., sous-entendent encore le
mot principal, dont pouvait se contenter Marcion. Il est h croire,
d'ailleurs, que pour commencer, un seul livre de lecture évan-
gélique, anonyme, avait été employé dans chaque communauté.
Le document dit Canon de Muratori, que l'on regarde
volontiers comme un témoignage louchant le recueil biblique de
l'Eglise romaine vers l'an 200, n'en dit guère plus qu'Irénée et
que ïertuUien. On y lit simplement que le troisième évangile a
été écrit par le médecin Luc, qui, n'ayant pas connu le Christ
dans la chair, avait été le compagnon de Paul et avait composé
son livre, d'après les informations qu'il avait pu recueillir, en
prenant pour point de départ la naissance de Jean (pour la cri-
tique de ce texte, on peut voir I^agrange, Evangile selon saint
Luc, intr. xii).
On a donc commencé par ne rien savoir de l'auteur auquel on
attribuait le troisième évangile elles Actes, que ce qui résulte de
cette attribution même. Ce qui se rencontre ensuite de renseigne-
ments plus précis dans certains prologues anonymes, relative-
ment anciens, et chez les écrivains ecclésiastiques, est donc sujet
à caution (sur les recensions de ces prologues, voir Lagrange,
xiii-xviii). Là il nous est dit que Luc était d'Antioche, — ce
que dit aussi Eusèbe (Hist. ecc. III, 4» ^), et qui peut être vrai,
mais conjecluralement inféré du récit des Actes et de la patrie
qu'on attribuait à Théophile, pour qui Luc dit avoir écrit ; —
qu'il fut disciple des apôtres, puis qu'il suivit Paul jusqu'au mar-
tyre de celui-ci; — interprétation trop large du prologue évan-
gélique, combinée avec une donnée légitimement déduite des
Actes et des épitres ; — (}u'il mena une vie sainte dans le céli-
bat, — ce qui revient à dire qu'il fut un type de perfection chré-
tienne, et sans doute ne pouvait-on se faire meilleure idée d'un
•évangéliste; — qu'il mourut âgé de quatre-vingt-quatre ans, en
Béolie(un texte grec dil à Thèbes, d'où ses restes, selon d'autres
témoignages, auraient été transportés à Constautinople au temps
de Constance II; ailleurs la Bithynie a remplacé la Béotie), —
données très précises pour lesquelles on souhaiterait quelque
garantie; — que l'évangile de Matthieu existant déjà en Judée,
-et celui de Marc en Italie, il aurait jugé nécessaire d'écrire son
12 l'évangile selon LUC
évangile pour les fidèles d'Achaïe, afln de les prémunir contre
les hérésies, — données stylisées, où une part de vérité s'encadre
dans un système, en sorte que l'Acliaïe pourrait n'être ici que
par conjecture. Légende construite plutôt que souvenirs réelle-
ment traditionnels. Ce qu'on a imaginé plus tard touchant Luc
artiste peintre (« scientia, ut arbitrer, magis quam profes-
sione», dit finement Maldonat, praef. in Luc) n'est pas de notre
sujet.
La date de la composition n'est pas autrement précisée.
Irénée {Haer. III, i, i, supr. cit.) se contente de dire que Marc a
écrit après la mort de Pierre, Luc après la mort de Paul, comme
pour consigner dans un livre l'enseignement que ces apôtres
ne pouvaient plus donner : conjecture plausible, d'après l'idée
qu'on se faisait des évangélistes disciples; et la longue vie qu'on
accorde à Luc dans les prologues s'accorde aussi avec cette
hypothèse. Ce qu'on appelle tradition catholique sur l'origine
du troisième évangile (et des Actes) est donc quelque chose de
passablement artificiel et incertain.
Cependant la Commission pontificale des études bibliques,
gardienne de celte tradition, ne s'est pas. contentée (décret du
26 juin 191 2) d'affirmer l'authenticité intégrale des évangiles
attribués à Marc et à Luc, mais elle a déclaré que les deux
évangiles ont été composés avant la ruine de Jérusalem, et spé-
cialement Luc, aussi bien que les Actes, avant qu'eût -pris fin
la captivité de Paul à Rome. Harnack aura été considéré comme
étant, sur ce dernier point, une autorité plus considérable
qu'Irénée, et une certaine critique interne, très discutable, aura
prévalu contre l'hypothèse des anciens. Cette nouvelle « tradi-
tion » est défendue par Lagrange dans son commentaire de Luc
{supr. cit.), œuvre très remarquable pour l'érudition, critique
seulement dans les limites fixées par le décret de la Commission
pontificale, et, pour le principal, apologie délibérée, pour ne pas
dire forcée, de ce décret (l'auteur, en 1911, dans son commen-
taire [de Marc, s'était autorisé d'Irénée pour soutenir que le
second évangile avait été écrit après la mort de Pierre).
INTRODUCTION 13
« II, Le travail critique sur le troisième évangile
Au point de vue crilique, il s'agirait de marquer la place qui
appartient à Luc dans l'évolution de la tradition et de la littéra-
ture évangéliques, et il ne semble pas que l'on soit arrivé à des
résultats définitifs sur les points les plus importants, la personna-
lité de l'auteur et la date de la composition. Car cet évangile, à
la différence des deux autres synoptiques, s'annonce comme
une œuvre individuelle, littéraire, composée à la façon d'une
histoire ; la même prétention existe aussi bien pour les Actes,
où il semblerait qu'elle ne soit pas justifiée (voir Actes, princi-
palement pp , 5o-i2o) ; serait-elle aussi peu justifiée pour l'évan-
gile, et le premier livre à Théophile serait-il à distinguer de
l'évangile selon Luc ? Jusqu'à présent les critiques ont surtout
agité la question des sources et celle savoir si l'auteur à
Théophile serait 5 distinguer de Luc, auquel appartiendrait
seulement ce qu'on est accoutumé d'appeler «la source en nous »
( Wirquellé) dans les Actes.
Il suffît de mentionner les hypothèses périmées, naturellement
liées au problème que pose le rapport existant entre les évangiles
synoptiques, et qui toutes se fondent sur l'idée d'une tradition
originale, substantiellement historique et relativement abon-
dante, fixée par écrit d'assez bonne heure ou oralement conser-
vée, qui nous serait parvenue en des recensions plus ou moins
divergentes : hypothèse de l'évangile primitif, lancée par Lessing
{Neuc Hypothèse ûber die Evangelisten als bloss menschliche
Schriftsteller, dargestellt, étude composée en 1778, mais
publiée seulement en 1784), qui admettait comme source de toute
la littérature évangélique l'évangile araméen des Nazaréens, censé
composé peu après la mort du Christ, plus ou moins retouché
ensuite, et dont Matthieu, Marc, Luc, auraient donné des tra-
ductions (hypothèse retouchée par Eichhorn, Elnleitiing in d.
N. T., 1804, qui fait exister, préalablement à nos évangiles, plu-
sieurs formes de la version grecque du protévangile) ; hypothèse
de l'utilisation, jadis ébauchée par Augustin {De consensu evang^
I, 24), élaborée par Grieshach {Commehtatio qua Marci evange-
lium totum de Matthaei et Lucae commentariis decerptum esse
14 l/f;YANGILK SBLON lAlC.
monstratiw, 1789-1790), qui tenait pour un évani^ile original de
Matthieu eu grec, daprès lequel Luc aurail écrit le sien en le com-
plétant, par la tradition orale, Marc ayant ensuite abrégé Luc et
Matthieu : hj-polhèse de la tradition orale, avancée par lïerder
(Von der Regel der Zusajnmenstimmung iinserer JÎJmiigelien,
179-), qui supposait une catéchèse évangélique dont le cadre,
s'étendant du baptême de Jean à l'ascension du Christ, enve-
loppait un certain nombre de récits et de discours et qui aurait
acquis sa forme essentielle en Palestine vers 3o-4o, puis aurait
été mise en rédaction grecque par INLirc, élargie, vers l'an 60,
dans l'évangile araméen des Nazaréens, d'où procéderaient, après
yo, l'évangile des Hébreux et l'évangile grec de Matthieu, Luc
dépendant à la ibis de la catéchèse, de l'évangile araméen et
des premiers témoins, directement interrogés (tiiéorie perfec-
tionnée par Gieseler, Historiscli-kritischer Versuch iiber die
Entstehung und die frûhesten Schicksale der schriftUchen
Ev>angelien, 1918, d'après lequel la catéchèse primitive se serait
définie en grec sous deux formes, l'une influencée par Paul et
représentée par Luc, l'autre influencée par les apôtres galiléens
quand ils eurent quitté la Palestine, et représentée par Matthieu
et par Marc) ; hypothèse des diégèses, esquissée par Schleier-
macher {Kritischer Versuch ûber die Schriften des Lucas, iSi;;),
en vue d'expliquer la composition de Luc, et qui supposait
rassemblés dans les évangiles quantité de petits écrits antérieu-
rement rédigés par divers auteurs (opinion abandonnée bientôt
par son auteur lui-même, qui, partant du témoignage de Papias,
a formulé, dans Stud. u. KHt. 1882, l'hypothèse des deux
sources, Marc et Logia) ; hypothèse historique de Schwegler
Das nachaposiolische Zeitalter, 1846) et Baur {Kriiische Unter-
sachungen ûber die kanonischen Evangelien, ihr Verhœlinis zii
einander, ihren Character und Vrsprung, 1847), Q"^' d'après-
l'idée qu'ils s'étaient formée touchant l'évolution du judéo-chris-
tianisme et du paulinisme, admettaient un évangile judéochrétien
qui aurait été l'évangile araméen des Hébreux, et un évangile
pauliuien qui aurait été l'évangile de Marcion, Matthieu étant
une révision de l'évangile araméen tempérée de paulinisme, et
Luc une révision de Tévangile paulinien tempérée de judéo-
ohrislianisme, Marc, le dernier venu, occupant une position
rNTUODIICTfON 4 '5
neutre, el la composition des évangiles canoniques se plaf:ant
entre i3o el 170 (Baur lui-même a renoncé à soutenir la priorité
de Marcion sur Luc, après la publication de Volkmar, Das
Evangellum Marcion's, iBoo ; Volkmar, Marcus und die
Synopdti, 1870, a soutenu ensuite la priorité de Marc, évangile
dupaulinisme ancien, vers 78, sur Luc. représentant, d'un pauli-
nisme plus avancé; Hilgenfeld, Das Marcusemngeliam, iHoo ;
Die JSvangeUen nach ihrer EnisLehung und geachichiUsche
Bedeutung, i854 ; Tlistorlch-kritische ELnleltung in das N. T.
1875 ; el Pfeiderer, Das JJrchrisie.nium, 1887, ont soutenu des
opinions analoguies et font composer Luc vers l'an 100, Mat-
thieu un peu après).
La priorité de Marc ayant été bientôt admise par des critiques
de toutes nuances, soit simplement, soit avec la distinction
d'un proto-Mar c(indiquée par Schleiermacher, siipr. cit.) anté-
rieur au Marc canonique el qui aurait été utilisé par Matthieu et
))arLuc (Gredner, Einleitung in das N..T., i836 ; A. Réville,
Etudes critiques sur V évangile selon saint Matthieu, 1862 ;
E. Reuss, Die Geschichte der heiligen Schriften Neuen Tesia-
ments, iS^a ; Histoire é<>angélique, 1876), et d'autre part Tidée
d'uue source commune pour les discours du Christ dans Matthieu
et dans Luc (également amorcée par Schleiermacher, Credner
Lachmann, De ordine narrationuni in evangeliis sx^opticis,
Stud. u. Krit., i835, A. Réville, etc.) ayant fait son chemin,
la théorie des deux sources, sous des formes, il est vrai, assez
variées, a pris possession du terrain critique et a été appliquée
au troisième évangile aussi bien qu'au premier.
Ainsi Renan, dans la Vie de Jésus (i863 ; iS» éd., détînitive,
1867), professe {intr. lui) que, « ni pour Matthieu ni pour
Marc, nous n'avons les rédactions originales » auxquelles se
réfèrent les notices de Papias. et que « nos deux premiers évan-
giles sont des arrangements où l'on a cherché à remplir les
lacunes d'un texte par un autre» ; l'auteur du troisième évangile
est probablement celui que la tradition désigne, Luc, disciple
et compagnon de Paul {intr. x\a\) ; le livre a élé écrit peu jqnvs
l'an 70 et il « paraît poslérieiu' aux deux premiers x-» synoptiques ;
« on ne saurait néanmoins conclure de là (jue les deux évan-
giles de Marc et dcMallhieurussent dans l'état ou nous les avons.
16 l'évangile selon LUC
quand Luc écrivit » {intr. L).Dans Les Evangiles (1877), on nous
dit que le prolévangile hébreu, écrit vers l'an 75 en Batanée,
se serait conservé en original, mais « remanié de siècle en
siècle »), chez les Nazaréens de Syrie » ; il ressemblait beau-
coup à l'évangile grec dit de Matthieu; Marc écrivait à Rome
peu après l'an 70, d'après les souvenirs de Pierre, et « le Marc
actuel » est celui dont parle Papias [Eç. 118, ia6) ; le
rédacteur du premier évangile, qui écrivit sans doute vers l'an
85, en Syrie, « a pris pour base de son travail l'évangile de
Marc »,en le complétant par «ces longs discours qui faisaient le
prix des évangiles hébreux » et par « des traditions de forma-
tion plus moderne » (JS'c. 174-175, 214). Luc écrivit son évangile
à Rome vers l'an 94 ; il n'a pas connu Matthieu ; il avait « sous
les yeux un texte de Marc qui différait très peu du nôtre », et à
côté de ce livre, « sûrement sur sa table, d'autres récits du même
genre, auxquels il lait aussi de larges emprunts » ; « peut-être
eut-il entre les mains une traduction grecque de l'évangile
hébreu » ; « il faut aussi attribuer une large part à la tradition
orale » ; d'ailleurs Luc ne s'est pas « fait scrupule d'insérer dans
son texte des récits de son invention », et « la tradilion elle-
même ne s'était pas faite autrement » ; tandis que Marc et
Matthieu « sont neutres, sans parti dans les querelles qui divi-
saient l'Eglise ))^ Luc « est, un disciple de Paul «^modéré,
tolérant, « mais partisan décidé de l'admission dans l'Eglise des
païens, des Samaritains, des publicains, des pécheurs et des
hérétiques de toute sorte » ; « ses vues sont en parfaite confor-
mité avec celles de Paul » ; u la valeur historique du troisième
évangile est sûrement moindre que celle des deux premiers »
{Ev. 217, 267, 261, 265, 283). Cette dernière conclusion est un peu
inattendue après ce que Renan lui-même a écrit sur la façon
dont s'était formée la tradition.
D'après B. Weiss (nombreux écrits, à partir de 1861, dont les
conclusions pour ce qui regarde la composition de Luc, ont été
rassemblées et défendues dans Die Quellen des Lukasevange-
liumSy 1907), Luc n'aurait pas connu Matthieu mais le docu-
ment primitif (une source à peu près équivalente aux Logia, que
Marc aurait connue en grec et complétée par les souvenirs de
Pierre), Marc et une autre source, une seule, d'origine palesti-
INTRODUCTION 17
nienne, qui aurait conlenu des récits et des discours et présenté
certaines affinités remarquables avec la traditon johannique con-
cernant la vie de Jésus. P. Feine (Jahrh. f.prot. Iheologie, r885-
1888 ci Fine vorkanonische Ueherliejerung des Lukas im Evan-
gellumwid Apostelgesclilchte , 1891) a émis touchant cette source
particulière une tliéorie analogue : à côté des Logia aurait existé
une sorte de protévaiigile dont le texte serait mieux gardé par
Matthieu, la suitepar Marc ; Luc aurait connu Marc et les sources
de Matthieu ; ce qui lui est propre viendrait d'un document
hiérosolymitainoù ces sources étaient déjà combinées ensemble.
W. Sol tau {Unsere Evangelien, ihre Quellen and ihr Quellen-
wert, 1901) a soutenu que Marc, et non un proto-Marc, avait
servi de source commune à Matthieu et à Luc, et que ces deux
évangiles dépendent pareillement d'une autre source pour les
discours du Seigneur, mais que cette source se serait présentée
à Luc sous une forme plus développée, en sorte que le troi-
sième évangile lui devrait tout ce qu'il n'a pas pris dans Marc ;
une première édition du Matthieu grec, vers ^5 (où n'étaient pas
encore les récits de la naissance et d'autres morceaux propres à
Matthieu) aurait été connue de Luc. Enfin Schaarschmidt {Der
Reiseberitch im Lukasevangeliiim, Luk. ix, 5i-xviii, i4, Slud.
u. Krit. 1909) estime que la partie moyenne de Luc est un frag-
ment d'évangile, parallèle, en réalité, à l'ensemble de la tradition
synoptique, et qui mentionnerait plusieurs voyages à Jérusalem;
ce dernier point, bien contestable, est une thèse chère aux apo-
logistes de la tradition.
H.-J. Holtzmann {Die synoptischen Evangelien, ihr Ursprung
und geschîchtUcher Characier, i863) a soutenu dabord l'exis-
tence d'un proto-Marc, plus long que l'évangile canonique, etd'un
recueil de sentences qui se rapportaient aux derniers temps du
ministère galiléen ; ce que Matthieu et Luc n'ont pas pris dans Marc
et dans les Logia viendrait d'eux-mêmes, ou de la tradition orale,
ou d'écrits fragmentaires plus anciens. Depuis, le même critique
{Elnleitung in dus N. r.,i885; Hand-Commentar ziwi N. T..
1889-1890) s'est rallié à la thèse de son disciple Simons [Hat der
dritte E^angelist den kanonischen Matthaeus benutzt ? 1880)
touchant la dépendance accessoire de Luc à l'égard du premier
évangile : il n'est pas nécessaire d'admettre l'existence d'un
A. LoisY. — V Evangile selon Luc. a
18 l'jÎVANGILE selon LUC
proto-Marc ; si Matthieu n'a pas eu d'autres sources que Marc et
les Logia, Luc peut en avoir eu d'autres ; Matthieu a été écrit
après l'an 70, Luc après l'an 100, ni le troisième évangile ni le
premier n'étant des auteurs dont ils portent les noms. D'autres
critiques ont attribué pareillement, au rédacteur du troisième
évangile la connaissance du preznier (notamment Weizssecker,
ApostoUches Zeltallev der chrtstlichen Kirche, 1886 ; Wendt,
Die Lehre Jesii , 1 886) .
Dans une étude fort bien conduite, P. Wernle {Die synop-
tische Frage , iSggi) a exposé le rapport des trois synoptiques et
tâché de l'expliquer. L'auteur du troisième évangile, vers l'an 90,
a connu Marc, écrit original, fondé sur la tradition orale de
Pierre (sauf le discours apocalyptique du ch. xiii, emprunté à
une source écrite) et rédigé vers Tan 70, et il l'a pris pour base
de son propre récit, en modifiant profondément le style de sa
source, en en interprétant les détails, rarement en la combi-
nant avec d'autres documents. L'exemplaire de Marc sur lequel
a travaillé Luc n'avait pas de finale. Matthieu et Luc dépen-
dent de Marc pour les récits qu'ils ont en commun, et, pour
les discours, d'une source qui ne s'est pas conservée, recueil
en forme catéchétique, constitué vers l'an 60, qui n'avait peut-
être pas été rédigé d'abord en araméen, mais dont il existait,
en tous cas, plusieurs recensions grecques, avant qu'il fut
incorporé aux évangiles de Matthieu et de Lue. Celui-ci s'est
approprié le contenu de cette source en en corrigeant le style,
comme il a fait pour Marc, en ajoutant de son propre fonds
certaines indications pour l'ajustement du cadre historique^
en élaguant dans les discours mêmes ce qui ne convenait plus
à son temps, et en faisant ressortir les mérites de la pauvreté et
de la bienfaisance. Il a encore utilisé d'autres sources qui lui
ont fourni quantité d'anecdotes, de sentences, de paraboles ;
la liberté avec laquelle ces matériaux ont été traités ne permet
pas de reconstituer les documents d'oiiils proviennent. Presque
en même temps que cette étude de Wernle a paru celle de
Hawkins {Hoiyp, sj'-nopticœ,i8Qg), qui aboutit, pour le principal,
aux mômes conclusions.
Les vues qui ont été émises par J. Wellhausen {Das Evange-
iim Marci, i()o3 ; Das Ek». Matthaei^ 1904 ; Das Ev. Lucae^
INTRODUCTION 19
1904 ; Einleltiing in die drei ersten Evangelien, îQoS) sont plus
hardies et plus discutables. Une première rédaction ararnéenne
de Marc aurait existé, qui représentait la tradition de la pre-
mière communauté ; elle apparaît traduite en grec et plus ou
moins glosée dans l'évangile canonique, qui a servi de source à
Matthieu et à Luc, bien que ceux-ci aient pu connaître encore
la rédaction primitive, l'unique source à consulter, pour l'histo-
rien, sur la vie et l'enseignement de Jésus. Matthieu et Luc
dépendent encore d'une autre source qui contenait surtotit des
discours attribués au Christ ; mais cette source, également d'ori-
gine hiérosolymilaine, et rédigée en araméen avant Tan 70,
aurait été secondaire à l'égard de Marc^ dont elle dépendrait, et
les enseignements qu'elle met dans la bouche du Christ auraient
été conçus pour les besoins de la communauté. Matthieu et Luc
auraient écrit après l'an 70, le premier dans le milieu hiérosoly-
milain, le second en Syrie, La partie de celte construction qui a
été la plus critiquée est ce qui concerne la dépendance des Logia
à l'égard de Marc (rectiûcalion de l'hypothèse dans Jûlicher
Einleitiing in das N. T\ igo6, p. 222, qui fait antérieurs à Marc
les éléments essentiels des Logia, et la collection postérieure ;
discussion critique dans Boùsset, Wellhausens^s Evangelien-
kritiky Theolog. Rundschau, janv. 1906).
Harnack {Lukas der.Arzt, der Verfasser des dritten Ev . und
der Apostelgeschichte, igoô ; Spriiche und RedenJesu,die zweite
Quelle des Matthceus und Lukas, 1907 ; Neue Untersuchungen
zur Apostelgeschichte und zur Ab/assungszeit dei^ synoptischen
Evangelien,. 1911) plaide contre Wellhausen l'indépendance réci-
proque de Marc et des Logia, et il reconnaît une plus grande
valeur à ces derniers qu'à Mardi avait commencé par admettre,
surtout à cause de l'évangile, que les écrits de Luc avaient été
composés vers l'an 80 (dans Chronologie, I, 246, il précisait,
donnant pour date 78-93). Il a fait valoir ensuite (Die Apostel-
geschichte, 1908), sans toutefois se prononcer définitivement,
les arguments, tirés surtout des Actes, ({ui recommanderaient
une date plus ancienne, 60-66. Finalement [Neue-Untersuchun-
gen)\l se prononce pour cette date, la conclusion des Actes ne
lui semblant vraiment explicable que si Paul est encore vivant
quand Luc écrit. Le troisième évangile, même dans le discours
20 l'évangile selon lug
apocalyptique (Le. xxi), ne supposerait pas la connaissance de
la ruine de Jérusalem comme fait accompli. Le développe-
ment de littérature évangélique indiqué dans le prologue (Le. i».
i) pourraitse placer avant l'an 60, le recueil des Logia remon-
tant aux environs de l'an 5o, sinon plus haut encore, et" rien ne
s'opposant à ce que Marc ait écrit au plus lard vers l'an 60. Le
premier évangile aurait été composé immédiàtementaprès l'an 70,
el même ses récits de la naissance pourraient être en rapport
avec des souvenirs historiques (du côté Joseph !), Ceux du troi-
sième évangile seraient des légendes palestiniennes, et les détails
qui concernent spécialement la naissance de Jésus auraient été
recueillis après la mort de Marie, sous une impression qui venait
d'elle (!). Pour les parties qui, dans le corps du troisième évan-
gile ne proviennent ni de Marc ni des Logia, Harnack s''est aussi
pourvu d'une source plus ou moins apostolique : Luc aurait
trouvé ces renseignements auprès de Philippe et de ses filles,
dans les séjours qu'il fit à Césarée ; les souvenirs de ces per-
sonnes auraient d'ailleurs été fort mêlés de légendes, La parfaite-
unité d'auteur et la pleine authenticité du troisième évangile et
des Actes seraient démontrées par l'unité du style : cet unique
auteur, étant celui qui dit « nous « dans les Actes, ne peut être
que le compagnon de Paul, Luc le médecin, comme aussi bien^
sa profession s'accuse dans son langage, qui est celui d'un pra-
ticien.
Non moins rassurantes sont les opinions professées par T. Zahn
{Einleitiing in das N. T. II, 1899 ; Lukas, I9i3) : évangile de
Matthieu écrit en araméen, l'an 61 ; Marc, écrivant avant la mort
de Pierre, utilise ce Matthieu sémitique ; l'auteur de la traduc-
tion grecque de Matthieu utilise Marc ; Luc écrit vers l'an j^^ se
servant de Marc ; ce qu'il a de commun avec Matthieu vient de
la tradition orale, où Matthieu a puisé directement, et Luc peut-
être médiatement parles sources qu'il vise avec Marc dans son
prologue ; la même explication vaut pour les parties qui sont
propres à Luc (dans le même courant, Plummer, S. Luke, 1900 ;
A. Dibelius, dans Zeitschrift fur die neuiest. Wissenschaft, 191 1,
qui invoque les relations palestiniennes de Luc ; pareillement
Lagrange, supr. cit.).
Selon Spitta [Die synoptische Grundschrift in ihrer Ueberlie-
INTRODUCTION 21
feriing diirch das Liikasevangeliiim, T912), le troisième évangile
aurait été composé principalement à l'aide de deux sources, le
recueil de discours et un écrit fondamental qui serait égale-
ment à la buse de Marc et de Matthieu, mais qui aurait été gardé
bien plus fidèlement par Luc. Ce document commençait par la
prédication de Jean avec les indications chronologiques (Le. i,
1-3). le baptême de Jésus avec la généalogie, la tentation, la pré-
dication à Nazareth ; il contenait une bonne partie des récits
<jue nombre de critiques regardent comme originaux dans Marc,
certains éléments qui sont propres à Luc, notamment, dans la
conclusion, le récit de l'apparition à tous les disciples et l'as-
cension. En plus de ces sources principales Luc aurait utilisé
un évangile de l'enfance et quelques autres traditions. Réaction
légitime contre la thèse critique touchant l'originalité de Marc,
mais analyse trop exclusivement littéraire et qui n'emporte pas
la conviction.
Une analyse aussi minutieuse delà tradition synoptique a été
proposée par W. Haupt (Worte Jesii und Gemeindeûberlie-
feriing, iQiS), ou l'auteur entreprend de montrer comment la
tradition des paroles attribuées au Christ s'est progressive-
ment enrichie selon les besoins de la communauté grandissante.
Autant la thèse générale paraît incontestable,aulant la stricte dis-
tribution des morceaux dans les sources distinctes et les éditions
diverses de ces sources, le tout soigneusement étiqueté et dosé,
prêterait à discussion : non qu'une pareille diisseclion des textes
soit inutile dans la mesure où elle est réellement possible, mais
parce que la complexité même du travail rédactionnel ne per-
met pas d'en reconstituer ainsi le développement avec certitude,
ni même par des conjectures suffisamment probables, jusque
dans les plus menus détails. Deux mémoires, nous dit-on, auraient
été combinés avant l'an 5o, en Palestine, l'un concernant le
ministère galiléen, l'autre le ministère hiérosolymilain, de Jésus ;
de là seraient sortis trois récits; deux de ces récits combinés
avec deux formes successives de la source des discours auraient
donné naissance à Marc ; l'un de ces deux, avec le troisième
et une forme plus évoluée des discours, auraient produit Luc ;
du même récit associé à la même forme des discours serait issu
Matthieu. C'est bien possible ; mais il importerait beaucoup plua
22 l'évangile selon ldg
d'être fixé sur le caractère même de la tradition et sur les motifs-
el circonstances de son développement.
Après bien d'autres, J. Weiss [Die Schriften des Neuen Tes-
taments, I, 1907 ; troisième édition, 1917, revue par W. Bousset)
voit dans les trois premiers évangélisles des auteurs imperson-
nels, qui répètent ce que la tradition leur a transmis ; les deux
plus récents se sont incorporé Marc, écrit vers l'an 70, et le
recueil des discours, parce que c'était bien delà communauté ;
ils n'ont pas écrit plus tard que gS- 100 (dans son Urchristentum,
1914 et 1917, J. Weiss fait écrire Matthieu et Luc un peu avant
go) ; les paraboles et récits que Luc a en propre lui viendraient
d'une source spéciale, à laquelle p.eut-ètre étaient déjà incorpo-
rés les récits de la naissance, qui par eux-mêmes appartiennent
à une source judéochrétienne. D'autres critiques encore, dans
les dernières années, ont spéculé sur la source particulière
de Luc (Streeter, dans The Hibbert Journal, oct. 1921 ; et d'après
lui Stephenson, dans Journ. oj theolog. Studies, 1922). M. Go-
guel {Les évangiles sj'-noptiques, 1923) admet, après Wernle, la
pluralité des sources et croit pouvoir discerner les éléments
apparentés à la tradition de Marc, ceux qui auraient appartenu
aux Logia, les « traditions sur l'origine et la nature desquelles
iln'est pas toujours possible de se prononcer » (récits de la nais-
sance, généalogie, le miracle de Naïn, etc.), l'apport personnel
de l'évangélisle (prologue, synchronismes du ministère de Jean-
Baptiste, mise en scène de beaucoup de récits), et les additions
faites par lui aux sources qu'il a suivies.
C'est avec un souci non moindre de rigoureuse (et irréalisable)
classification, mais avec une méthode sensiblement différente et
plus large, que Bultmann (Die Geschichte der synoptischen Tra-
dition, 1921) a entrepris de reconstituer l'histoire de la tradition
dite synoptique et d'expliquer l'origine des trois premiers évan-
giles ; le nombre des sentences qui pourraient être attribuée»
àiJésus avec une certitude suffisante serait extrêmement limité,^
et pareillement celui des éléments qui seraient à regarder
comme incontestables dans les récits ; la tradition se serait en
réalité formée et développée, pour le besoin et l'apologie de la
foi, dans les premières générations de croyants, c'est-à-dire
dans la première communauté judéochrétienne, puis dans lea-
INTRODUCTION ' 23
communautés bellénochréliennes, et' celle tradition- se serait
enrichie d'apports fournispar le judaïsme rabbinique, le judaïsme
helléniste, même la sagesse hellénique. On conçoit que la part
de l'historicité soit singulièrement réduite, si la thèse de Marc
sur le secret messianique était à expliquer, comriie l'a soutenu
d'abord Wrede {Dus Messiasgeheimnis in den Evang-elien, 1901),
par le fait que Jésus n'aurait été reg-ardé comme Messie par
ses disciples qu'après sa mort ; mais, abstraction laite de ce
point, les conclusions de Bultmann paraissent justifiées dans
l'ensemble. Marc reste « le livre des épiphanies secrètes » (mot
de M. Dibelius, Formgeschichte des Evangeliums, 1919), où l'on
a voulu associer la prédication helléniste, le mythe pauliniea
du Christ, à la tradition de la première communauté concernant
Jésus ; Matthieu combine le récit de Marc, enrichi de mainte
légende, avec le recueil de sentences et de discours, ce qui lui a
donné importance pour l'Eglise. Luc a fait de même en suivant
une méthode assez différente, entremêlant davantage ses sources
pour obtenir un récit mieux suivi. Ainsi la tradition évangé-
liquea son origine dans la première communauté palestinienne,
mais les évangiles sont une création de l'hellénochristianisrae.
C'est la légende qu'il fallait au Seigneur Christ, à Jésus objet du
culte chrétien.
Peut-être sont-ils une légende cultuelle en un sens plus pré-
cis que ne l'a dit Bultmann. L'auteur du présent livre, en
diverses publications {Les écrits de saint Luc a propos d'un
livre récent, — il s'agit de Norden, Agnostos Theos, I9i3, — dans
Revue d'histoire et de littérature religieuses, iQiS ; Les Actes des
Apôtres, 1920 ; La légen.de de Jésus, dans la Me(^ue déjà citée,
1922 ; Les livres du Nouveau Testament, 1922; Le style rythmé
du Nouveau Testament, dans Journal de Psychologie, 1928) a
pensé établir par le style même des évangiles, par la structure
des récits et discours dans les synoptiques, par l'adaptation
à deux dates difïérentes des récits de la passion et de la résur-
rection, par le témoignage indirect des autres documents de
la littérature chrétienne des premiers temps, que non seule-
ment la légende de Jésus et l'enseignement à lui attribué
sont pour la presque totalité un produit de la tradition
chrétienne, mais que la littérature évangélique est, fond et
24 L ÉVANGIFvE SKl.ON LUC
forme, une lillérature lit lurgique, conçue et rédigée en vue de la
lecture dans les assemblées clirétiennes, et que, dans sa partie
principale, les récits de la passion et de la résurrection, elle est
étroitement coordonnée aux observances pascales des com-
munautés primitives (Jean étant originairement en rapport avec
l'observance pascale des communautés d'Asie, et les synop-
tiques avec Tobservance commune). En ce qui regarde le troi-
sième évangile en particulier, le même auteur, rallié à l'hy-
pothèse de Norden touchant la composition du livre des Actes,
a estimé qu'il y avait pareillement lieu d'y distinguer l'œuvre
primitive de Luc, le premier livre à Théophile, et la rédaction
canonique du troisième évangile, les prologues des deux
livres à Théophile attestant d'ailleurs expressément que le pre-
mier livre était consacré au ministère public de Jésus et à sa
mort suivie de glorification, ce qui paraît en exclure les récits
de la naissance. « D'après les prologues, on pourrait admettre
que Luc a écrit vers Tan 80 ; mais les livres que nous avons sont
loin de remonter aussi haut, eila compilation du troisième évan-
gile (faite en connaissance du quatrième) n'a du acquérir sa
forme définitive que vers les années i2'o-i3o » {Nouveau Tes-
tament, p. 4ïi)
§ III. Le contenu du tkoisième évangile
Aucun plan n'est indiqué dans le livre. Après le prologue
(i, 1-4), qui concerne l'œuvre entière que l'on dédie à Théophile
et non seulement la relation évangélique, les récits de la nais-
sance (i, 5-ii) viennent en manière d'introduction ; dans le corps
du livre, on peut distinguer une première partie (in-ix,5o), relative
au ministère galiléen, dont Marc a fourni le cadre et la plupart
des matériaux ; une deuxième partie (ix, 5i-xix, a^) concerne
en apparence le voyage de Galilée en Judée, mais la rédaction
y a logé presque tous les récits et enseignements qui ont été
empruntés à d'autres sources que Marc ; une troisième partie
(xix, 28-xxi), fondée tout entière sur le second évangile, a pour
objet le ministère hiérosolymitain ; une dernière partie (xxii-
xxiv) est formée par les récilsdela passion et de la résurrection.
'^ INTRODUCTION
€t elle coulient beaucoup d'élcmeuls qui sont propres à la
rédaction de Luc.
Même en faisant la part du style convenu en ces sortes de
morceaux, le prologue annoncerait une œuvre composée d'après
le témoignage, soigneusement sinon toujours directement
recueilli, de ceux qui ont vu les faits dont on va parler et qui
ont les premiers prêché le Christ ; il s'agirait de faits certains,
d'enseignements authentiques, le tout présenté en bon ordre.
Ce qu'on lit pour commencer ne répond guère à ce pro-
' gramme. Les récits de la naissance dans le troisième évangile^
n'ont pas plus de consistance que ceux du premier, mais ils sont )
d'un merveilleux plus sobre, d'un ton plus doux, et ils affectent
plus de précision dans les détails. De même que la tradition évaii-
gélique avait d'assez bonne heure trouvé expédient d'associer
Jean à Jésus, comme précurseur et introducteur de son mi-
nistère, celte nouvelle légende établit un rapport analogue entre
la naissance du Baptiste et celle du Christ, l'une annonçant
pour ainsi dire et recommandant l'autre ; mais ce qu'on raconte
touchant la naissance de Jean est en meilleur équilibre que ce
qui est dit de Jésus, et il semblerait que ce qui regarde le
Christ a été surajouté à la légende du, Baptiste, comme si la
tradition chrétienne s'était approprié une légende de Jean, con-
çue d'abord à sa gloire et indépendamment de celle du Christ.
Les récits, d'ailleurs, dans leur ensemble, imitent les histoires
de naissances miraculeuses que raconte lAncien Testament,
copient les cantiques d'Israël et tendent à montrer comment
Jésus, après son précurseur, est arrivé au monde, non seulement
dans les conditions marquées par les prophètes, mais encore
dans le plus fidèle des milieux juifs.
Premier tableau (i, 5-25) : annonciation de Jean, qui viendra
faire ce qu'a écrit d'Elie le prophète Malachie (m, i, 28-24) ;
mise en scène imitée des naissances d'Isaac, Samson, Samuel ;
de ce récit il résulterait que Jean sera le précurseur du grand
avènement, non précisément celui du Messie.
Deuxième tableau (i, 2(5-56), coordonné au premier, et comme
intercalé entre la conception et la naissance de Jean : annoncia-
tion de Jésus et visite de Marie à Elisabeth ; Marie est à Nazareth,
cousine d'Elisiabeth, la première rédaction de la légende l'ayant
26 l'ÉVAKCILE gELON LUC
rattachée sans doute à la race d'Aaron ; elle est fiancée à Joseph^
qui est de la race de David; l'écliange de propos entre la
vierge et l'auge touchant la conception miraculeuse (i, 34-35) a
été ajouté dans la rédaction évangélique ; le cas d'Elisabeth
avait été présenté d'abord en miracle garantissant la qualité
messianique de l'enfant qui naîtrait du prochain mariage de
Marie avec Joseph, et l'auteur (i, 3i-33) trouvait accomplies par
là les prophéties relatives à la naissance du Messie (Is. vu, iQ.
Ainsi s'expliquait la visite de Marie, devenue enceinte, à Elisa-
beth. Le récit de la Visitation montre Elisabeth à l'égard de
Marie dans le rôle de Jean à l'égard de Jésus ; le cantique
(Magnificat ; i, 4^-55), imité du cantique d'Anne, mère de
Samuel (I Sam. ii, i-io), a été ajouté dans la dernière rédaction,
et, faisant pendant au cantique de Zacharie dans le tableau
suivant, il était attribué à Elisabeth.
Troisième tableau (i, S^-So) : naissance de Jean-Baptiste, en
étroite correspondance avec son annonciation. Le canlique de
Zacharie (i, 67-79), tout en imitation de psaumes, y a été sura-
jouté.
Quatrième tableau (11, i-4o) ; naissance de Jésus à Bethléem
et sa présentation au temple. Afin d'expliquer comment, sa
famille habitant Nazareth, Jésus est né à Bethléem, ainsi qu'était
censé l'avoir prophétisé Michée (v,i), le rédacteur a imaginé que
le recensement de Quirinius, dont parle Josèphe, avait amené
les parents de Jésus à Bethléem, d'où l'ancêtre David était
originaire : conçu sous le règne d'Hérode, qui est mort en l'an 4
avant notre ère, Jésus serait né après la déposition d'Archélaiis,
advenue en l'an 6 de l'ère chrétienne. Bévue analogue à celles
dont est coutumier le rédacteur des Actes. Là mise en scène de
la naissance est en rapport avec le souvenir de David, l'ancêtre
berger ; l'intervention collective des anges et leur cantique
(11, i3-i4), ainsi que la remarque au sujet de Marie (n, 19), se
présentent comme des surcharges rédactionnelles. Selon la Loi,
Jésus est circoncis le huitième jour après sa naissance (11, 21) ;
selon la Loi encore, le quarantième jour, Marie vient au temple
pour le sacrifice de purification, que le narrateur paraît con-
fondre avec le rachat du premier-né; un vieux saint et une
sainte vieille saluent de leurs voix prophétiques l'enfant Christ
INTRODUCTION 27
(il, 25-38) ; mais le canlique de Siméon (ii, 26-32) et les indica-
tions spéciales concernant Marie (dans ii, 34-35) ont été ajoutés
dans la rédaction. La Loi étant satisfaite, la sainte famille
retourne à Nazareth, et la grâce de Dieu est sur Tenfant (11,39-40).
L'anecdote de Jésus à douze ans (11, 4i-52) est pour combler
une lacune entre les récits de la naissance et ceux du ministère
galiléen. Jésus s'y comporte en Fils de Dieu, au grand étonne-
•ment de ses père et mère : ce thème de l'enfant prodige aura
donc été introduit dans la légende du Christ sans égard au récit
de la naissance miraculeuse. La ligne concernant les souvenirs
de Marie (dans 11, 5t) y est encore une surchagè.
On voudrait être assuré que la date par laquelle commencent
les récits du ministère galiléen représente une donnée tradi-
tionnelle et que l'apparition historique de Jésus se place « en la
quinzième année du gouvernement de Tibère » ; raccumulalion
des sychronismes (m, 1-2), qui semblent avoir élé librement
puisés dans Josèphe, est imputable au rédacteur et comprend
pour le moins une erreur par rapporta Annhs, qui fut grand-
prêtre de l'an 6 à l'an i5, et qui ne l'était plus en 28-29. ^^^
récits concernant la prédication de Jean, le baptême de Jésus,
la tentation au désert (m, 2-22 ; iv,. i-i3) sont, comme ceux de
Matthieu (m, iv-ii), construits d'après Marc et le recueil de sen-
tences. Dans la notice de Jean (m, 2-6), la citation d'Isaïe
(xL, 3-5) a élé prolongée. L'enseignement du Baptiste (m, 7-9 ;
Mt III, 7-10), adressé à « la foule », est suivi de conseils parti-
culiers qui sont donnés, sur leur demande, au commun des
auditeurs, aux publicains, aux soldats (m, ioi4) : amplification
rédactionnelle et supplément facile aux instructions évangé-
liques. Rédactionnel aussi, mais dans l'esprit de la tradition, est
l'encadrement (m, 18) donné à la déclaration de Jean touchant
son rôle de précurseur et la distinction des deux baptêmes
(m, 16-17 î Mc.i, 7-8 ; Mt. m, 11-12). De même la notice rela-
tive à l'arrestation de Jean (m, 19-20), anticipée parce que le
rédacteur n'a pas l'intention de reproduire plus loin le long:
récit de Marc (vi, 17-29) touchant la mort du Baptiste. La des-
cription du baptême (nl,20-22) est plutôt abrégée de Marc(i,9-ii),
mais tournée de façon à relever les circonstances miraculeuses
du fait et surtout à le présenter en prototype des cérémonies
28 l'évangile selon luc
baptismales dans les communautés chrétiennes. A ce récit a été
annexée arlificiellement une généalogie du Christ, que supporte
une indication relative à l'âge qu'avait Jésus en ce commence-
ment de sa manifestation au monde (m, 23-38). Comme celle
de Matthieu, cette généalogie avait été construite d'abord pour
établiri'origine davidique de Jésus en tant que fils de Joseph ;
mais la série des ancêtres, entre David et Salathiel, entre /roro-
babel et Joseph, n'est pas la même que dans Matthieu ; diver-
gence sans portée, puisque les deux généalogies sont également
fictives. Pour le récit de la tentation (iv, i-i3), l'évangéliste a
combiné Marc (i, i2-i3) avec le récit de la triple épreuve qui a
été mis à contribution par Matthieu (iv, i-ii); l'ordre des deux
dernières tentations a été interverti parce que l'on a,semble-t-il,
trouvé avantage, la première tentation ayant eu lieu au désert,
à localiser entre le désert et Jérusalem la tentation des royaumes,
afin de pouvoir, après la troisième tentation, ramener Jésus de
Jérusalem en Galilée,
Pour l'entrée de Jésus en son ministère le rédacteur a voulu
une scène k effet, comme est, au commencement âes Actes (ii),
celle de la pentecôte. Il a donc amplifié (iv, i4-i5) la notice de
Marc (i, i4) sur le retour en Galilée, laissant tomber comme
insignifiant le sommaire de l'enseignement attribué à Jésus ;
puis, après avoir signalé en bloc une tournée de prédication à
grand succès dans les synagogues, il amène Jésus à Nazareth
et construit sur l'anecdote empruntée à Marc (vi, 1-6) un large
tableau, symbolique de la réprobation des Juifs au profit des
Gentils (iv, i6-3o). A cette fin, le bref récit de Marc s'enrichit
d'une citation d'Isaïe (lx, 1-2 ; lviii, 6), programme messianique
(parallèle à celui de vu, 22), qui est censé fournir le thème de la
prédication ; d'un proverbe nouveau : « Médecin, guéris-toi »,
dont il est fait application plus ou moins naturelle au cas de
Jésus, qui n'a pas fait à Nazareth (cf. Me. vi, 5) les miracles
qu'il est censé avoir déjà opérés à Capharnaiim (iv, 23) ; puis
d'un commentaire rattaché à la sentence principale (iv, 24) •' « Nul
prophète n'est agréé en son pays », pour lui faire signifier, en
l'illustrant par les cas d'Elie chez la veuve de Sarepta, et du
Syrien Naaman guéri par Elisée, l'accession des Gentils au salut
(iv, 25-27) ; enfin de Tévasion miraculeuse (iv, 28-3o), figure du
IMTRODUCTrON 2i>
Iriomphe du Chrisl sur ses meurtriers et du triomphe du chris-
tianisme sur ses persécuteurs. Reprenant ensuite le fil de Marc,
i'évangéliste ramène Jésus vers le lac de Tibériade, mais il
pense devoir l'arrêter à Gapharnaûmj ce qui a pour conséquence
de renvoyer la vocation des disciples après la prédication dans
la synagogue et la guérison du démoniaque (iv, Si-Sj ; Me. i,
21 -aS), la guérison de la belle-mère de Simon-Pierre (iv, SS-Sg ;
Me. I, 2C)-3i), les miracles de la soirée (iv, 4o-4i ; Me. i, 32-34),
le départ clandestin de Jésus et sa prédication dans les bourgs
voisins. La vocation des quatre premiers disciples (v, i-ii), qui
retient peu de chose du récit de Marc (1,16-20), emprunte sa mise
en scène au discours des paraboles (Me. iv, i), et, en s'incorpo-
rant la pêche miraculeuse, mythe de l'apostolat chrétien, devient
un récit symbolique, du même genre que la prédication à
Nazareth. Gomme le mythe a dîi se relier d'abord aux appari-
tions du Christ ressuscité, notre rédacteur, qui ne veut d'appa-
ritions qu'à Jérusalem, l'anticipe, à la gloire de Pierre, dans la
vocation des premiers disciples. Les apologistes sont déjà pas-
sablement hardis en estimant que c'est là ce que Luc appelle
une relation suivie ; ils doivent dépasser la mesure en soutenant
que c'est là ce que Luc appelle une relation véridique des faits
accomplis;
La vocation des quatre disciples étant ainsi racontée, l'on suit
Marc pour l'histoire du lépreux (v, 12-16 ; Me. i, 40-4^) *> puis
viennent le paralytique (v, 17-26 ; Me. 11, 1-12), la vocation de
Lévi et le propos sur la fréquentation des pécheurs (v, 27-32 ;
Me. II, 13-17), la question du jeune (v, 33-34 > Me. ii, 18-22), les
anecdotes sabbatiques (vï, i-ii ; Me. 11, 23-iii, 6). Arrivé là,
l'évangélisle transpose après le choix des apôtres (vi, 12-16;
Me. III, i?-i9) la scène de prédication et de miracles au bord
du kc (vi, 1719 ; Me. m, 7-12), et il met celle-ci en plaine, pour
servir d'introduction au discours qui, dans Matthieu (iv, 23-v, i)
est tenu sur la montagne. Mais, tandis que Matthieu a augmenté
de sentences prises d'ailleurs le discours que lui fournissait la
source commune, notre évangéliste, qui y a fait quelques addi-
tions, paraît y avoir surtout pratiqué des coupures. Sans doute
a-t-il conservé la forme primitive des béatitudes (vi, 20-23 ; cf.
Mt. v, 3-12), mais c'est lui, probablement, qui les aura doublées
30 l'évaagile selon luc
de malédictions (vi, 24-26). Par un artifice assez maladroit il y
rattache les instructions concernant l'amour des ennemis (vi, 27-
36 ; Mt. V, 39-48) ; il a dû connaître au moins une partie
de ce qu'on lit dans Matthieu touchant le perfectionnement de
>la Loi par l'Evangile, et il n'aura voulu conserver en cette place
que le précepte de la charité. Les antithèses de la source ten-
daient à prouA'er que le christianisme est une autre religion que
le judaïsme, et l'apologie du rédacteur est, au contraire, fondée
sur le principe de leur essentielle identité. Il a intercalé dans la
leçon sur les jugements et la correction fraternelle (vi, 37-38,
41-42 ; Mt. XII, 1-4) la comparaison de l'aveugle qui conduit un
autre aveugle (vi, 39) et celle du maître et du disciple(vi, 40), que
Matthieu (xv, 14 ; x, 24-25) introduit dans un autre contexte. Il
garde plus exactement que Matthieu la comparaison des arbres
et de leurs fruits (vi, 43-4^ ; Mt. vu, i5-2o ; xii, 33-35) ; mais il
a coupé, pour en donner la majeure partie ailleurs, l'avertisse-
ment à ceux qui attendent de leurs relations personnelles avec
le Christ une place dans le royaume de Dieu (vi, 46 ; cf. xiii, 26-
27 ; Mt. VII, 21-23). Le discours se termine, comme dans Mat-
thieu (vu, 24-27), par la comparaison, des deux maisons (vi,
47-49)-
Après le discours vient, comme elle était probablement dans
le recueil de sentences, la guérison du serviteur de l'officier
de Garpharnaùm (yii, i-io ; Mt. yiii, 5-i3) ; l'intervention des
amis du centurion est une addition rédactionnelle, qui tend à
accentuer le symbolisme du récit. La résurrection du fils de la
veuve (vu, 11-17) appartient aussi k la rédaction, inventé là pour
justifier ce que Jésus, dans sa réponse aux envoyés du Baptiste,
va dire (vri, 22) des morts qu'il a ressucités. Le message de
Jean, la réponse de Jésus et les propos concernant le Baptiste
(vu, i8,35; Mt, xi, 2-19) viennent du recueil de sentences ; entre
la question de Jean et la réponse de Jésus, la rédaction, à l'appui
de celle-ci, ajoute (vu, 21) un flot de miracles que Jésus est
censé accomplir dans l'instant même. Ala réflexipn sur le rap-
port qui existe entre Jean et l'avènement du royaume (Mt. xi,
i2-i3), qui est réservée pour un autre contexte (xvi, 16), se
substitue (vu, 29-30) la remarque touchant l'altitude des pha-
risiens et celle des pécheurs à l'égard de Jean, donnée ailleurs
INTRODUCTION 31
par Matthieu (xxi, Si-Sa). La rédaction de Luc a en propre
riiistoire de la pécheresse (vu, 36-5o), où est encadrée la para-
bole des Deux débiteurs (vu, 4i-43) ". l'histoire, qui* s'inspire du
récit de l'onction dans Marc (xrv, 3-9),est mal adaptée à la para-
bole ; celle-ci a dû exister d'abord indépendamment du récit et
peut-être en dehors delà tradition chrétienne. Une noiice con-
cernant les femmes qui suivaient Jésus est insérée ici (viii, i-3),
en prévision du rôle qui leur appartiendra dans la découverte
du tombeau vide (xxiii, 55-xxiv, lo).
Une transition artificielle amène le discours des paraboles (viii,
4-i8), dont la mise en scène (Me. iv, i) a été utilisée antérieu-
rement (v, 1-3). L'on donne, d'après Marc (iv, a-20), en abré-
geant un peu et unifiant la composition, le Semeur, la demande
d'explication des disciples et la double réponse de Jésus, les
sentences qui suivent, mais non les deux dernières paraboles (la
Semence, Me. iv, 26-29, étant omise, et le Sénevé, Me, n^ 3o-32,
étant réservé pour un autre contexte, xiii, 18-19), ni la conclu-
sion du récit, parce qu'on a jugé bon de placer en cet endroit la
sentence sur les vrais parents (viii, 19-21 ; Me, ui, 3i-35). Par
un nouvel artifice de transition l'on rejoint Marc, et l'on ra-
conte d'après lui la traversée du lac et le miracle de la tem-
pête apaisée (viii, 22-26; Me. iv, 3o-4i), la guérison du possédé
de Gérasa (viii, 26-39 ;, Me. v, 1-20), la guérison del'hémorroïsse
et la résurrection de la fille de Jaïr (viii, ^[0-66 ; Me. v, 2i-43),
la mission des Douze (ix, 1-6 ; Mo. vi, 7 i3), les propos tenus
à l'enlour d'Hérode (ix, 7-9; Me. vi, 14-16), puis, tout aussitôt,
en laissant tomber le récit de la mort de Jean (Me. yi,. 17-29), la
première multiplication des pains (ix, 10-17 > ^^^' ^i- ^0-44). qui
«st ici la seule, etque suit immédiatement la confession de Pierre.
Une longue section de Marc (vi, 45-viii, 26), reproduite en Mat-
thieu (xiv, 26-xvi, 12), manque ainsi dans le troisième évangile :
il est probable que cette section est secondaire dans Marc et que
Luc ne l'y a point trouvée ; le rédacteur aura connu Marc avec
la section complémentaire, dont il a utilisé ailleurs quelques
indications, mais il n'aura pas jugé bon d'adopter l'ensemble,
soit pour éviter les doubles emplois, soit parce que certains
morceaux auraient été choquants pour ses lecteurs ou auraient
mal servi ses intentions apologétiques.
32 l'évangile selon lug
Ce n'esl pas à dire que la confession de Pierre n'ait pas été
autrement amenée par Luc : dans la rédaction actuelle ce mor-
ceau ne lient à rien, el l'on a l'impression d'une lacune ou d'une
coupure après la multiplication des pains. La rédaction cano-
nique de la confession (ix, ï8-2i) a suivi Marc (viii, 27-80) »
mais elle laisse tomber entre la première annonce de la passion
(ix, 22 ; Me. "viii, 3i) et la leçon du renoncement, avec le
mot sur la parousie prochaine (ix, 23-2^ ; Me, viii, 34-ix, i), la
remontrance de Pierre à Jésus et la réprimande énergique du
Christ à l'apôtre (Me. viii, 32-33). Le récit de la transfiguration
(ix, 28-3(5.; Me. IX, 2-9) n'est que légèrement retouché, mais on
a supprimé tous les propos qui suivent (Me. ix, 9i3), n'en
releiiant que le trait du silence gardé par les disciples au sujet
du miracle. La guérison de l'épileptique (ix, 37-43) est abrégée de
Marc(ix, 14-27), et l'on en laisse tomber la conclusion' (Me. ix,
28-29). A la notice qui précède, dans Marc (ix, 3o) la seconde
annonce de la passion (ix, 44'4^ ! Me, 3i-32), est substituée une
indication générale (ix, 43), de sens contraire à ce que dit Marc.
Sans mentionner le retour à Gapharnaûm, on rapporte la
querelle des disciples pour la première place (ix, 46-48 ; Me.
IX, 33-37), et ran.ecdote de l'exorciste étranger (ix, 49-5o ', Me.
IX, 38-40); puis Marc est subitement abandonné, le rédacteur
connaissant d'ailleurs les sentences que le second évangile
(ix, 4i-'')o) ajoute en cet endroit. Avant de retrouver la suite de
Marc, nous voyons rattacher au voyage de Judée quantité
d'anecdotes et de sentences,qui, probablement, dans les sources
où on les a prises, étaient sans indication de temps ni de lieu.
La formule solennelle d'introduction au voyage : « Quand
advint le terme fixé pour son ravissement » au ciel (cf. Act.
I, i), se perd dans une anecdote mal venue (ix, 5i-56), recueillie
ou inventée par la rédaction à raison du symbolisme qu'on y
a voulu mettre. Luc a pu annoncer ainsi le départ de Jésus
pour la Judée ; mais l'anecdote du bourg samaritain où
Jésus n'est pas reçu ne vaut que par sa signification, tout
comme la traversée de laSamarie, conçue pour préfigurer l'évan-
gélisation des païens, mais qui ne correspond à aucune réalité
par rapport à Jésus (cf. Mt.*x, 5-6). A cette anecdote ont été
rattachées trois réponses faites par le Christ àdes personnes qui
INTRODUCTION 33
voulaient le suivre : les deux premières (ix, 57-60) se rencon-
trent dans Matthieu (viii, 19-22) ; la troisième (ix, 61-62) est,
comme les deux autres, un proverbe populaire que l'on a voulu
adapter au thème du salut chrétien. Les deux premières sen-
tences voisinaient probablement dans la source avec le dis-
cours de mission, présenté ici (x, 1-19), non comme un discours
aux douze apôtres, qui en ont eu l'abrégé plus haut (ix, i-5),
mais à soixante-douze disciples, improvisés pour la circons-
tance, que Jésus emploie comme avant-courriers dans la pré-
sente mission : mise en scène inventée pour présag-er l'évangéli-
sation de tous les peuples. Le corps même de l'instruction
(x, 2-1 1) doit être plus confirme dans Luc à la source commune
qu'il ne l'est dans Matthieu (x, 7-16) ; l'invective contre les
cilés galiléennes (x, i2-i5 ; Mr. xi, 21-24) a été insérée avant la
conclusion du discours (x, 16; Mr. xi, i). Le succès des dis-
ciples et le jugement qu'en porle Jésus (x, 17-20) n'ont pas plus
de réalité que la mission des soixante-douze, et ils ont le même
caractère symbolique. Dans la prière d'action de grâces, qui
vient ensuite (x, 21-22 ; Mt. 25-27), la dernière strophe (Mr. xi,
28-3o) est remplacée par une parole aux disciples (x, 28-24 >
Mt. XIII, 16-17), où ceux-ci sont félicités de voir l'accomplisse-
ment des prophéties anciennes. L'apologétique du rédacteur
trouvait là son compte plus facilement qu'en des propos où le
ciiristianisme apparaît trop visiblement comme ayant sa vie
propre dans le culte de Jésus.
C'est par un artifice de rédaction (x, 29) que la parabole du
S;iniarit.ain (x, 30-87) a été rattachée à la question du grand
précepte (x, 20-28 ; Me. xii, 28-84 ; ^'^t. xxii, 35-4o) ; et c'est
à cause du Samaritain que les deux morceaux ainsi associés
figurent dans la relation du prétendu voyage de Samarie ; par
elle-même la question du grand précepte n'était point localisée,
mais la parabole semblerait plutôt conçue comme dite à Jérusa-
lem. L'anecdote des deux sœurs (x, 88-42) paraît avoir été con-
çue ou arrangée pour le symbole, Marthe représentant le
judaïsme ou le judéochrislianisme, et Marie le christianisme de
la gentilité. Dans la leçon de la prière (xi, i-4), l'oraison
dominicale n'a pas certaines demandes qui sont dans Matthieu
(vi, 9-18), mais il n'en résulte pas que la forme de la prière dans
A. LoisY. — L'Évangile selon Luc.\ S
34 l'évangile selon loc
Luc soit en tout primitive. Suivent, sur ce ilième de la prière^
la parabole de l'Ami importun (xi, 5-8), fable dépourvue de
signification morale, choquante en son application à Dieu,
empruntée peut-être à la tradition rabbinique ; puis les sen-
tences et comparaisons concernant l'exaucement (xi, 9-i3), qui
viennent probablement du recueil de sentences (cf. Mt, vu,
i-ii). Le rédacteur combine à sa façon (xi, i4-36) la dispute
sur les exorcismes (Mt. xii, 'la-So, 43-45 ! Me. m, 22-27) et le
refus de signe céleste (Mt. xii, 38 40), qui se suivaient dans là
source ; il a réservé pour un autre contexte (xii, 10) la parole
sur le blasphème contre l'Esprit, et entre les deux morceaux de
ce développement il a inséré, ou plutôt construit lui-même, un
doublet (xi, 27-28) de la sentence concernant les vrais parents,
logée par lui après le discours des paraboles (vin, 19-21). Pour
lesigne de Jonas (xi, 3(5), il a évité la précision compromettante,
des trois jours et des trois nuits. La comparaison de la lampe
sur le support (xi, 33), déjà rapportée (viii, i3) d'après Marc,
revient ici d'après le recueil de sentences (cf. Mt. v, i5), con-
juguée avec celle de l'œil lumière du corps (xi, 34-36 ; Mt. vi,
22-23), non sans que l'évangélisteaitrair de s'empêtrer quelque
peu dans sa paraphrase. D'une enfantine gaucherie est le procédé
par lequel la fulgurante invective contre les pharisiens (Mt.
XXIII, 1-36), par elle même oracle d'un prophète chrétien contre
le peuple et la ville qui ont crucifié Jésus, devient un propos
de table (xi, 37-52), les menaces étant, pour leur donner un
faux air de conversation, découpées en deux séries, l'une contre
les pharisiens en général, l'autre contre les docteurs de la Loi ;
une partie de la prophétie menaçante qui, dans la source, ser-
vait de péroraison au discours, est comme dissimulée entre la
deuxième et la troisième apostrophe aux scribes. La notice
finale (xi, 53-54) ménage une transition quelconque aux ensei-
gnements qui suivent.
Ces enseignements sont des sentences qu'on dirait prises un
peu au hasard dansMarc et dans le recueil de discours, et qui ont
été reliées entre elles par de menus artifices rédactionnels :
parole sur le levain des pharisiens (xii, i ; Me. viii, i5 ; Mt. xvi,6),
avec glose du rédacteur ; exhortation à professer courageuse-
ment l'Evangile (xii, 2-9), logée par Matthieu (x, 26-33) dans le^
INTRODUCTION 35
discours de mission ; déclaration sur le blasphème contre l'Esprit
(xn, lo), qu'on eût mieux fait de laisser dans la dispute sur les
exorcismes (Mt. XII, 32 ; Me. m, 28-29); promesse d'assistance
de l'Esprit aux disciples comparaissant devant les tribunaux
juits ou païens (xn, 11-12), logée par Marc (xiii, 9-n) dans le
discours apocalyptique, par Matthieu (x, 19-20) dans le discours
de mission ; parabole du Riche insensé (xii, 16-21), avec son
préambule (xii, i3-i5) inventé probablement pour servir d'in-
troduction à la parabole, celle-ci étant d'ailleurs peu originale et
de commune sagesse, mais facile à tirer au sens de l'évaugélisle ;
avertissement contre la préoccupation des biens terrestres (xii,
22-3i), inséré par Matthieu (vi, 25-33) dans le discours sur la
montagne; parole sur le trésor auciel (xii, 32-34; Mt. vi, aoai),
tournée en prescription directe de l'aumône; exhortation à la
vigilance en prévision du jugement (xii, 35-4o), morceau secon-
daire et allégorique, apparenté à la parabole des Vierges dans
Matthieu (xxv, i-i3), et complété par la comparaison du voleur
de nuit (Mt. xxiv, 43-44); comparaison des deux serviteurs, le
bon et le mauvais (xii, ^'^-/iG; Mt. xxiv, 45-5i), suivie d'une
glose (xii, 4!7"48) qu'on dirait inspirée par la parabole des
Talents (Mt. xxv, i4-3o) ; annonce des divisions que l'Evangile
produira dans les familles (xii, 5i-53 ; Mt. x, 34-36), amenée
par une transition visiblement cherchée (xii, 49-5o) ; remarque
sur les signes du temps, que les incroyants ne savent pas com-
prendre (xii, 54-56 ; cf. Mt. xvi, 2-3), en rapport avec les
préoccupations apocalyptiques des premières communautés ;
enfin, attachée par une suture trop mécanique (xii, Sy), la com-
paraison de l'homme qui s'exposerait à coridamixation et empri>
sonnement s'il ne concluait en temps opportun arrangement
avec sa partie (xii, 58-09; Mt. v, 25-26), conseil de sagesse vul-
gaire, dont la tradition évangéiique fait une application assez
gauche à la matière du salut.
Gomme les incidents visés dans les propos suivants (xiii,
1-5) sont compris en pronostics de la ruine qui attend le
peuple juif, et qu'il en va de même pour la parabole du Figuier
(xiii, 6-9), qui correspond pour le sens à la malédiction du figuier
stérile dans Marc (xi, 12-14, 20), il est probable que ces récits
ont été arrangés et la parabole adaptée à ses fins par le rédac-
36 l'iîVAA'GILIî selor luc
,teur. L'histoire sabbatique qui vienl ensuite (xiii, 10-17) a été
conçue en illustration d'un arg'uinent contre l'observance phari-
saïque, et l'on est bien tenté, eu égard au conlexle, de prendre
la guérison de la femme pour une allégorie signifiant le salut
de la gentilité. Car les paraboles du Sénevé et du Levain (xiii,
18-21; Mt. xiii^ 3i-33; Me. iVjSa) concernent les rapides pro-
grès du christianisme dans le monde romain. Dans un paquet
mal lié(xiii, 22-3o), l'on peut reconnaître l'allégorie de la porte
étroite (xiii, 22-24; Mr. vu, i3-i4) 1 un morceau apparenté à la
parabole dés Vierges, si ce n'en est un débris (xiii, 29; cf. Mt.
xxv,ii-i2); l'avisa ceux qui croiraient avoir pour le jour du juge-
ment une sauvegarde dans leurs relations personnelles avec Jésus
(xiii, 26-27 ' ^T- VIII, 22-23), forme primitive de cette sentence,
mais oracle d'un prophète chrétien contre les Juifs incrédules;
la déclaration touchant les élus qui viendront des quatre coins
du monde prendre la place des enfants d'Abraham (xiii, 28-29 î
Mt. VII, II -i3), autre oracle qui suppose commencée, en dépit
des Juifs, l'évangélisation des païens; en rapport avec ce thème,
application du dicton sur les premiers qui seront derniers, et
les derniers premiers (xiii, 3o ; Mï. xix, 3o). La réponse
à la menace d'Hérode Antipas (xiii, 3i-33) contient deux élé-
ments, dont le second vient en surcharge pour amener l'apos-
trophe à Jérusalem (xiii, 34-35), détachée du discours contre les
pharisiens et que le rédacteur n'avait pas osé mettre en propos
de table. Le corps de l'anecdote (xxiii, 3i-32), imité d'Amos
(vu, 10-17), avec une prédiction certaine de la mort de Jésus,
n'a rien d'historique et fait préambule à la malédiction contre
Jérusalem. .
Une nouvelle histoire sabbatique se présente (xiv, 1-6), ébau-
chée encore en illustration d'un argument, mais cette fois sans
arrière-pensée symbolique. S'y rattachent une leçon de commune
sagesse touchant la façon de se comporter quand on est invité
à un repas (xiv, 7-11), où s'insinue vers la fin quelque préoccu-
pation allégorique; le conseil de ne prendre pour convives
que les miséreux (xiv, 12-14), tiré probablement de la parabole
qui suit, en conformité de l'idéal proposé dans les Actes aux
communautés; enfin la parabole du Festin (xiv, 5-24), allégori-
quement traitée, comme dans Matthieu (xxii, a-i6), mais en res-
INTRODUCTION 37
tanl plus près de la fable primilive. Revient la leçon du renon-
cement (xiv, 25-2;^; Mt. vu, 3738), celle fois d'après le recueil
de sentences. Les comparaisons de l'homme qui veut bâtir une
leur (xiv, 28-3o), du roi qui veut s'en aller en guerre (xiv, 31-33),
d'où qu'elles viennent, ne s'adaptent pas sans quelque eflort à la
leçon du renoncement; et il en va de même pour la comparai-
son du sel (xiv, 34-35; Mr. v, i3 ; Me. ix, 5o).
Par leur mise en scène (xv, ii-i2)les trois paraboles du par-
don divin : Brebis perdue (xv, 3-^ ; Mt. xviii, 12-14), Drachme
perdue (xv, 8-10), Fils prodigue (xv, ii-32), sont tournées en
apologie de Jésus contre les pharisiens. Là comparaison de la
pièce de monnaie égarée semble moins heureuse que celle de la
brebis, et elle a pu être après coup calquée sur celle-ci. Dans
la troisième parabole un thème de lils perdu et retrouvé
(xv, 11-24), parallèle au thème de la brebis, a élé développé en
allégorie de l'altitude que le rédacteur prèle aux Juifs à l'égard
des païens convertis. La parabole de l'Econome infidèle (xvi,
1-7), celle du Riche et de Lazare (xvi, iQ-Si) sont plutôt dévelop-
pées en critique directe des pharisiens. Celle de l'Econome est
un récit parfaitement immoral, que la tradition a cru pouvoir
utiliser en en tirant des applicalions édifiantes (xvi, 8-12), aux-
quelles le rédacteur adapte la comparaison des deux maîtres
qu'on ne peut servir en même temps (xvi, i3 ; Mt, vi, 24). La
remarque sur le mécontentement des pharisiens avares, et la
réplique de Jésus (xvi, i4-i5 ; cf. xviii, 9-14) sont un artifice
rédactionnel en vue d'introduire quelques sentences pour les-
quelles sans doute on n'aura pas trouvéde meilleure place : parole
sur le royaume de Dieu, qui, depuis Jean, succède à la Loi (xvi,
16 ; Mt. XI, i2-i3) ; déclaration sur la pérennité de la Loi entière
(xvi, 17), emprunt inattendu au discours sur la montagne (Mt. v,
18) ; réprobation sommaire du divorce (xvi, 18 ; Mt. v, 32 .;
Mg. X, 11-12). L'intention de cet assemblage plutôt singulier
paraît être de signifier le véritable accomplissement de la Loi,
à quoi se rapporte aust i bien la conclusion de la parabole sui-
vante. Cet appendice (xvi, 2731) dénonce, en effet, l'endurcis-
sement et la réprobation des Juifs, incapables de voir l'accom-
plissement des prophéties dans le Christ ressuscité. Le corps du
récit (xvi, 19-26), adaptation chrétienne d'un thème de conte,
38 l'kvangile selon luc
concerne simplement le bonheur éternel du pauvre et le tour-
ment éternel du riche.
La monilion contre le scandale des petits (xvii, 1-2 ; Mt. xviii,
6-7), la recommandation du pardon (xvii,3-4 ; Mt. xviii, 21-22)
sont morceaux du recueil de sentences, placés bouta bout devant
la comparaison du service d'un maître avec le service de Dieu
(xvii, 7-10), c'est-à-dire avec la vie chrétienne comme onla com-
prit bientôt dans les communautés organisées. Artificiellement
dédoublée du récit de Marc (i, 4o-45). l'histoire des dix lépreux
(xvii, 11-19) est un tableau symbolique où le Samaritain recon-
naissant fait honte aux Jui-fs ingrats. Comme il ne répudie en
aucune façon l'idée du grand avènement, l'évangéliste amène,
après en avoir déduit un préambule de sa façon (xvii, 20-21), un
discours apocalyptique (xvii, 22-37), "^^J^ utilisé dans Marc
(xiii, 21) et surtout dans Matthieu (xxiv, 27-28, 37-41), qui l'a
incorporé au grand discours eschatologique. De même caractère
que l'Ami importun (xi, 58) est la parabole de la Veuve et du
juge (xviii, 1-5), qu'une application eschatologique (xviii, b"-8)
coordonne au précédent discours. L'histoire du Pharisien et
du publicain (xviii, 9, i4), conçue peut-être d'après les types
évangéliques du pharisien incrédule et du publicain croyant,
devient en son application une menace prophétique contre
le judaïsme.
Avec l'anecdote des enfants (xviii, i5-i7), l'on rejoint Marc
(x, i3-i6) , d'après lequel sont ensuite rapportées l'anecdote du
jeune homme riche et. les leçons qui s'y rattachent (xviii, i8-3o ;
Me. X, i7-3o) ; puis la dernière annonce de la passion (xviii, 3i-
33; Me. x, 32-34), ^ii laissant tomber la majeure partie du préam-
bule dans Marc et en omettant la requête des fils de Zébédée (Me.
X, 35-4o). Ainsi l'aveugle de Jéricho (xviii, 35 43) ; Me. x, 46-
62) est introduit après l'annonce de la passion ; mais le- miracle
vient avant l'entrée dans la ville, pour faire place à l'histoire de
JZachée, (xix, i-io), qui se passe à Jéricho. Après l'aveugle, qui
figure les recrues du judéochristianisme, Zachée, doublet du
publicain Lévi (v, 27-29), figure les recrues de l'hellénochristia-
nisme, la fortune de l'Evangile se dessinant ainsi dans la pers-
pective de la parousie, que la parabole des Mines (xi, 12-27)
va montrer en un recul propice. Rien de plus tendancieux que
INTROOnCTION . 39
le préambule (xix, ii) qui annonce, ni de plus arbitraire que les
^gloses par lesquelles s'effectue la métamorphose du thème para-
bolique de la rétribution (cf. Mt. xxiv, i4-3o) en allégorie apo-
calyptique. Mais il est à présumer que le rédacteur a effacé par
ces ingénieuses manipulations l'indication historique, maintenue
par Luc d'après lasourcede Marc, touchant les dispositions dans
lesquelles Jésus était venu à Jérusalem.
Abrégé de Marc (xi, i-io), le récit de la manifestation messia-
nique au mont des Oliviers (xix, 28-38) s'enrichit de deux
additions secondaires : protestation des pharisiens contre les
acclamations des disciples, et réplique de Jésus (xix, 3g-4o ;
cf. Mt. XXI, 14-16) ; élégie prophétique de Jésus pleurant sur
Jérusalem (xix, /^i-/^!^).. Ce n'est point par hasard que ce der-
nier morceau se trouve occuper la place donnée dans Marc
(xi, i3ti4, ao-2i) à l'histoire du figuier desséché. Le récit de
lexpulsion des vendeurs (xix, 45-4^ i Me. xi, iS-i^) est extrê-
mement bref. Les notices particulières de Marc touchant les
allées et venues de Jésus entre Jérusalem et Béthanie sont rem-
placées par une indication générale (xix, 47-48 ; cf. Me. xi, 18-20),
qui sera reprise et complétée ultérieurement (xxi, 37-38). Marc
€st fidèlement suivi pour la question des prêtres (xxi, 1-8 ;
Me. XI, 27-33), la parabole des \ignerons meurtriers (xx, 9-19 ;
Me. XII, 1-12), la question des scribes à propos du tribut
(xx, 20-26 ; Me. XII, i3-i7), celle des sadducéens sur la résur-
rection (xx, 27-40 ; Me. XII, 18-27, 34), le mot sur le Christ sei-
gneur de David (xx, 4i"44 ? Me. xii, 35-37), l'avertissement
sommaire contre les pharisiens (xx, 4^-4!7 5 Me. xn, 38-4o),
la veuve aux deux liards (xxi, 1-4 ; Me. xii, 4i-44)- L^e discours
apocalyptique (xxi, 5-36) vient aussi de Marc (xiii, i-3i, 33-37);
mais la mise en scène est arrangée de façon à en faire le der-
nier discours public du Christ ; sans compter les retouches de
détail, on remarque surtout l'omission de la parole touchant le
jour du grand avènement (Me. xiii, 32), et la refonte complète
de la péroraison (xxi, 34-36). La notice finale (xxi, 37-38), tou-
chant les habitudes de Jésus et l'assidiiité de la foule à ses pré-
dications, achève l'encadrement du discours ; par une rencontre
qin probablement n'a rien de fortuit, elle semblerait dépendre
clu récit concernant la femmme, adultère, disparu de la tradition
40 LÉVAnGILE SELON LUC
synoptique et depuis interpolé dans le quatrième évangile (Jn j
\ii, 53-viii, II).
Dans le récit de la passion, le complot des magistrats juifs et
la trahison de Judas (xxii, i-6 ; Me. xiv, 1-2, lo-ii) sont rap-
prochés l'un de l'autre, comme devait les présenter la source de
Marc. Le récit de l'onction (Me. xiv, 3-9) est omis, parce que
Luc ne l'a pas connu ou qu'il en a perçu le caractère adventice,
et que le rédacteur l'a anticipé dans l'histoire de la pécheresse
(vu, 36-5o). Les préparatifs du festin pascal (xxii, 7-i3) sont
décrits d'après Marc (xiv, 12-16). Pour la relation de la cène,
les deux éléments que contient le récit de Marc (xiv, 22-25), élé-
ment eschalologique primitif, et élément mystique venu de Paul^
sont plus faciles à discerner dans le texte ordinaire de note
évangile (xxii, 14-18, 19-20) ; mais les variantes que présentent
certains témoins donnent à penser que le second élément presque
en entier [les mots : « pour vous donné », à la fin de xxii, 19, et
20) est une interpolation ; il est même probable que Luc n'avait
parlé ni de corps ni de sang, mais, d'après la source de Marc;
et la plus ancienne tradition, de pain mangé, de vin bu pour la
dernière fois par le Christ avant le grand avènement. L'annonce
delà trahison (xxii, 2i-a3), peut-être dérivée de Marc(xiv, 18-21),.
a été tournée de façon à fournir une suite quelconque aux paroles
concernant le pain et le vin de la cène. Inattendue dans ce con-
texte est la dispute des disciples au sujet de la primauté, pour
amener la leçon du service, combinée avec la promesse des
trônes (xxii, 24-3o ; Me. ix, 35 ; x, 42-45 ; Mr. xix, 28). L'an-
nonce du reniement de Pierre (xxii, 3i-34), empruntée à
Marc (xiv, 27-31), vient plutôt en retouche d'une prophétie con-
cernant le rôle éminent de Pierre dans la fondation de l'Eglise.
Quant aux recommandations dernières (xxii, 35-38), annonce
des dangers qui attendent les disciples et de la passion qui vient,,
avec le mot sur les deux épées, c'est un développement rédac-
tionnel où l'on a voulu aussi marquer la prescience de Jésus.
Le récit de Gethsémani (xxii, 39-46), plus simple dans son
économie générale que celui de Marc (xiv, 26, 32-42), pourrait
être fondé sur la source même du second évangile ; le passage
concernant l'apparition de l'ange et la sueur de sang (xxii,,
43-44), qu'il soit authentique ou non dans notre livre, répré-
INTRODUCTION 41
sente un développement secondaire de la tradition. Le récit de
l'arrestalion (xxii, 47-^3) corrige certains traits de Marc (xiv,
43-49) et il introduit, avant le discours que Jésus est censé
avoir adressé aux membres du sanhédrin venus pour l'arrêter,
un miracle mesquin, la guérison de l'oreille coupée au servi-
teur du grand- prêtre par un des disciples qui avait une épée.
Il n'est pas question de la fuite des disciples, et l'évangéliste
a eu soin de ne pas la faire prédire par Jésus, parce que, se
proposant de supprimer les apparitions du Ressuscité en Gali-
lée, il veut retenir les disciples à Jérusalem. L'omission de la
séance nocturne du sanhédrin (Me. xiv, 55-64) résulte probable-
ment de ce que Luc n'en avait pas trouvé trace dans la source
de Marc ; mais, pour remplir la fin de la nuit où eut lieu l'arres-
tation, le rédacteur a quelque peu délayé la scène du triple
reniement (xxii, 54-62 ; Me, xiv, 53-54, 66-72), et il l'a dramati-
sée par la présence de Jésus, dont un regard vient éveiller
chez Pierre la mémoire et le repentir ; il emprunte ensuite à
Marc (xiv, 65) la scène de dérision chez le grand-prêtre (xxii,
63-65), et il prend aussi à' la séance nocturne de Marc (xiv,
60-64) les détails qu'il met dans la réunion matinale du sanhé-
drin (xxii, 66-71).
Ce peut être par influence de la source de Marc, que, dans la
relation du procès devant Pilate (xxiii, i-3, i6-25 ; Me, xv,
i-i5), l'accusation du sanhédrin précède l'interrogatoire de
Jésus par le procurateur. Mais, aussitôt après l'aveu de Jésus,
qui, dans la source, motivait la condamnation, l'évangéliste
introduit une déclaration formelle d'innocence, qui provoque
l'incident nécessaire pour amener la comparution devant
Hérode (xxiii, 4"i^)- ^^ doublet du jugement est fiction pure,,
conçue dans un intérêt apologétique et censée accomplissement
de, prophétie (cf. Agt. iv, 25-u8) ; beaucoup en attribuent l'inven-
tion à l'évangéliste lui-même ; mais peut-être celui-ci n'a- t-il
fait qu'exploiter un récit de la passion où la responsabilité delà
mort du Christ était hardiment transportée de Pilate à Hérode,
comme dans l'évangile apocryphe de Pierre. On rejoint Marc
pour l'incident de Barabbas, ajouté, à ce qu'il semble, dans la
rédaction, comme celui d'Uérode, et autour duquel se multi-
plient les déclarations d'innocence nonobstant lesquelles Pilate
42 ' l'évangile selon luc
est censé avoir été contraint de satisfaire la haine des Juifs en
livrant Jésus à la mort.
Le récit du supplice est conforme à celui de Marc pour ce qui
regarde le portement de la croix par Simon le Cyrénéen (xxiii,
26 ; Me. XV, 21) ; le crucifiement entre les deux voleurs (xxiii,
32-33 ; Me. xv, 27) ^ le partage des vêtements tirés au sort
(xxiii, 34 ; Me. XV, 24) ; les moqueries des magistrats juifs (xxiii,
35 ; Me. XV, 3i-32) ; la présentation du vinaigre, tournée en
acte de dérision delà part des soldats (xxiii, 36-37 ; Me. xv, 36),
mais avec omission volontaire du cri : Eli eli lama sahaktani,
et de la plaisanterie au sujet d'Elie ( Me. xv, 34-36) ; l'inscrip-
tion de la croix (xxiii, 38 ; Me. xv, 26) ; les ténèbres et le
miracle symbolique du voile déchiré (xxiii, 44"45 ;Mg. xv, 3.3,
38) ; le cri d'admiralion du centurion (xxiii, 47 ; Me. xv, 39),
avec atténuation de la formule. Mais l'esprit et la main du
rédacteur se reconnaissent en de nombreuses additions : allocu-
tion prophétique de Jésus aux femmes de Jérusalem sur le
chemin du Calvaire (xxiir, 27-31) ; prière du Crucifié pour ses
bourreaux (xxiii, 3/\) ; injures d'un des voleurs et prière du
bon larron, avec réponse de Jésus (xxiii, 39-43) ; prière de
confiant abandon mise dans la bouche du Christ expirant (xxiii,
46), parole de psaume (xxxi, 6), qui se substitue^ pour la facilité
de l'édification, à celle que donnait Marc (xv, 34) ; deuil des
assistants après la mort du Christ (xxiii, 48), trait suggéré,
comme plus haut (xxiii, 27) les lamentations des femmes, par
un texte deZacharie (xii, io-i4)- Tout cela romance pathétique-
ment et pieusement la mort de Jésus.
N'ayant pas laissé fuir les disciples, notre évangéliste amène
sur le Calvaire toutes les connaissances de Jésus (xxiii, 49).
avec les femmes galiléennes dont parlait Marc (xv, 40) ; mais il
ne donné pas les noms de celles-ci, qu'il a signalées antérieure-
ment (viii, 2-3). Marc est suivi de près dans le récit de la sépul-
ture par Joseph d'Arimathie (xxiii, 5o-o4 ; Me. xv, 42-46) ;
pour le rôle des femmes qui observent les conditions de la mise
au tombeau (xxiii, 55 56 ; Me. xv, 47-xvi, i) ; pour la décou-
verte du tombeau vide le dimanche matin (xxiv, i-5 ;Mg. xvi,
2-7), jusqu'à l'endroit du discours angélique où il est question de
la Galilée. Là, par un tour de prestidigitation rédactionnelle, au
INTRODUCTION 43
lieu d'annoncer les apparitions du Ressuscité en Galilée (Me.
XVI, 7), deux anges rappellent aux femmes les prédictions que
Jésus, en Galilée, a faites de sa passion et de sa résurrection
(xxiv, 6-7) ; les femmes viennent dire aux disciples ce qu'elles
ont vu et entendu, mais les disciples n'en veulent rien croire
{xxiv, 19-iT ; cf. Me. XVI, 8, où les femmes se taisent, mais que
corrige 9-11, finale apocryphe, avec laquelle s'accorde Le. xxiv,
9, II). Si le passage concernant la visite de Pierre au tombeau
(xxiv, iî2) doit être considéré comme authentique, et probable-
ment l'est-il en rédaction secondaire, il en résulte que la forme
canonique du troisième évangile a été fixée en regard du qua-
trième (cf. Jn. XX, 3-10, morceau qui est également d'origine
rédactionnelle ; voir Le quatrième Evangile ^ 499-5oi). On
ignore sur quelles traditions, en grande partie insoupçonnées
des autres évangélistes, notre rédacteur a construit ses appari-
tions du Christ ressuscité ; sans doute y a-t-il mis beaucoup
du sien. L'apparition aux deux disciples d'Emmaûs (xxiv, i3-3o),
où il a placé dans la bouche de Jésus son propre système de
démonstration chrétienne, est assez bien conçue comme récit
mystique et symbolique, la présence invisible du Christ im-
mortel au milieu des siens dans la cène eucharistique étant signi-
fiée et attestée dans sa manifestation fugitive aux deux disciples.
Le récit de l'apparition à tous les disciples réunis, qui se termine
par l'ascension du Christ au ciel (xxiv, 36-53), manque d'unité,
beaucoup de traits s'y entassant qui sont mal liés entre eux et
dans la plus vague des perpectives. Le même thème sera repris
au commencement des Actes (i, i-ii), avec quelques précisions
complémentaires, et sûrement par le même auteur ; au lieu
d'opposer un récit à l'autre, comme si l'évangélisle avait pu vou-
loir loger l'ascension pendant la nuit qui a suivi le jour de la
résurrection, il est toutindiqué d'interpréter un récit par l'autre;
car les deux ont été rédigés pour se compléter réciproquenjent,
11 n'y subsiste à peu près aucun élément de souvenirs réels tou-
chant les conditions dans lesquelles s'est raffermie, en prenant
une orientation nouvelle, la foi des disciples après la mort de
Jésus. De menus détails (xxiv, 40 1 partie de 5i et 02) y sont
encore suspects d'interpolation, peut-être à tort; mais ils n'altè-
rent pas un tableau qui est de lui-môme inconsistant, et où
44 l'èvangîle selon luc '
s'accuse de nouveau, avec ou sans ces détails, l'influence du
quatrième évangile (voir le commentaire).
§ IV. La composition du troisième évangile
Au point de vue de la oomposiliou et de l'origine, le troi-
sième évangile, et les Actes des apôtres forment une unité litté-
raire que le travail critique n'a pu que constater, mais que les
critiques n'ont pas tous interprétée de la même façon. Non seu-
lement Je prologue des Actes coordonne ce livre à l'évangile ; le
style aussi, l'esprit général, les procédés littéraires sont les
mêmes dans les deux parties de l'ouvrage qui fut d'abord dédié
à Théophile et que la tradition chrétienne a conservé dans le
recueil du Nouveau Testament, Ses prologues lui font une place
à part dans cette historiographie, que caractérise par-ailleurs,
soit dans les deux premiers évangiles, soit même dans le qua-
trième, une sorte d impersonnalilé. Car Matthieu et Marc n'ont
de personnel que leur titre, et ce que Jean insinue, dans les pas-
sages où apparaît comme entouré de mystère le disciple bien-
aimé,a toute chance d'être une fiction adventice. Les deux livres
à Théophile s'annoncent comme une œuvre personnelle, rédi-
gée, comme telle, dans les conditions qui étaient celles de la
littérature profane en ce temps-là. Il n'est donc pas étonnant
que l'unité d'auteur n'ait pas cessé d'être admise. Mais si l'attri-
bution à Luc trouve encore des partisans décidés, beaucoup
tiennent que l'auteur à Théophile est un personnage inconnu
appartenant à la seconde génération chrétienne et qui aura été
identifié à Luc dans la tradition parce qu'il avait incorporé à son
second livre certains mémoires que le «cher médecin» avait
rédigés sur la carrière apostolique de Paul. Une troisième
hypothèse qui a été suggérée pour les Actes (par Sorof, Gercke,
Norden ; v oiv Acles, Sa, 38, 49). aurait, semble-il, autanlde rai-
son d'èlre pour l'évangile, à savoir que Luc serait bien l'auteur
à Théophile, mais que son œuvre, tant dans le premier livre que
dans le second, aura été remaniée profondément.
L'attribution traditionnelle ne paraît défendable en toute
rigueur que si l'on se borne à des considérations purement exlé-
INTRODUCTION 45
rieures : constance de la tradition qui n'a pas retenu la trace du
moindre doute touchant l'origine des livres dont il s'agit ; unité
du style, qui convient à l'auteur désigné par la tradition ; et
nécessite d'identifier cet auteur au compagnon de Paul qui dit
(( nous » dans les Actes. Ces arguments sont loin d'être aussi
décisifs qu'ils peuvent paraître au premier abord.
Rien n'est moins consistant, au fond, que la tradition chré-
tienne touchant l'origine des écrits évangéliques. L'existence de
tels écrits n'est positivement attestée que vers le milieu du
second siècle, et il faut descendre jusqu'à Ircuiée pour trouver,
avec l'assertion expresse du canon des quatres'évangiles, la dési-
gnation formelle des quatre personnages apostoliques auxquels
ils sont respectivement attribués. Les premiers auteurs qui en
parlent, depuis Papias, qui nomme Marc et Matthieu, sont
préoccupés d'autoriser les évangiles de l'Eglise contre les nova-
teurs qui se permettent d'en fabriquer de nouveaux à l'appui de
leurs doctrines. On veutque ces évangiles soient apostoliques ;
on le veut beaucoup plus énergiquement qu'on ne lésait certai-
nement. On le dit parce que les écrits évangéliques sont relati-
vement anciens dans leur substance et qu'on désire les faire
passer pour tels dans leur intégrité. T^.n Cnil, la littéraiafc pro-
prement apostolique, laquelle se rci'uiil aux lettres authentiques
de Paul, ignore les évangiles, elle ignore même ce qu'on appelle
encore par habitude la tradition évangélique ; l'épître aux
Hébreux l'ignore aussi; ce sont seulement les écrits de la lin du
premier siècle ou ducommencement du second, comme l'épître
de Clément et les Pastorales, qui laissent entrevoir l'exisUnice
d'une tradition smr l'épiphanie et l'enseignement de Jésus, La
plupart des critiques se font encore de la prétendue tradition
évangélique une idée qui ne correspond nia l'état des lémoi-
gnages ni au caractère des documents en question. L'on se figure
qu'une véritable tradition, riche de souvenirs concernant
l'enseignement de Jésus, les faits de son ministère, les circons-
tances de sa mort et celles où s'est affirmée la foi de sa résur-
rection, a existé d'abord, et que les évangiles écrits repré-
sentent une sorte de sélection, déterminée par le besoin des
communautés naissantes. En réalité, ce n'est pas d'une telle
tradition qu'a vécu d'abord la foi, et l'exlrème indigence des
46 l'évangile SELON LUC
souvenirs primitifs est ce qui apparaît de plus clair : la légende
de Jésus, dans son ensemble, n'est pas un choix de souvenirs
historiques, c'est comme une réduction du mythe christolo-
gique élaboré sur les textes de l'Ancien Testament pour la
satisfaction de la foi en Jésus et pour l'apologie de cette foi contre
les Juifs ; c'est l'expression même de celte foi dans une commé-
moration dramatique du Christ mourant et ressuscitant ; et sous
cette commémoration il n'est pas autrement facile de discerner
ce qu'ont été, comme faits de l'histoire, la vie et la mort de Jésus ;
l'enseignement prêté au Christ, même dans ce qu'on appelle
tradition synoptique, n'est pas la doctrine d'un penseur reli-
gieux ni le message d'un prophète, c'est une collection de sen-
tences en rapport avec la vie des premières communautés,
oracles, si l'on veut, mais oracles de prophètes chrétiens ; et l'on
est fort empêché de découvrir dans cette masse passablement
incohérente quelques notions simples dont on puisse dire avec
certitude qu'elles ont inspiré toute la prédication de Jésus.
Aucun évangile ne reflète simplement l'impression produite
par la vie et la mort du Christ sur ceux qui en ont été les
témoins.
C'est ce qui rend fort délicate pour l'historien l'interprétation
du prologue où l'auteur à Théophile déclare avoir reproduit en
toute exactitude les renseignements fournis par les « premiers
témoins et ministres de la parole ». Il s'agit des témoins de
l'Evangile, de ceux qui ont vu l'épiphanie de Jésus et la fonda-
tion de l'Eglise chrétienne. L'auteur auîi Hébreux, qui paraît
contemporain de l'auteur à Théophile, s'exprime dans le même
sens touchant « le salut qui a commencé par la prédication du
Seigneur et qui a été confirmé par ses auditeurs »,pour ceux qui
sont venus ensuite à la foi, « Dieu y joignant son témoignage
par signes, prodiges, miracles variés et distributions d'Esprit
saint selon sa volonté » (Hébk. ii, 3-/^). Voilà bien ce qu'a voulu
raconter Tauteur à Théophile. Mais, à prendre ses deux livres
dans leur ensemble et, si Ton peut dire, comme unité rédaction-
nelle, il paraît impossible d'admettre que cet auteur soit Luc, le
compagnon de Paul.
Les Actes en fournissent la preuve principale, mais non la
preuve uniquement décisive. Il est sur que les Actes sont ea
INTRODUCTION 47
grande partie construits sur un document parfailement authen-
tique, vraiment historique, une relation des voyages de Paul
et de sa captivité, relation écrite par un compagnon qui était
avec lui quand il vint pour la première fois de Troas en
Macédoine, et qui était encore avec lui à Rome. Ce compagnon
ne peut guère être que Luc, et le témoignage conjoint des Actes
et des épîtres s'accorde jusqu'à un certain point avec le témoi-
gnage traditionnel touchant l'activité littéraire du personnage
dont il s'agit. Mais, dans les Actes, l'œuvre de Luc est inces-
samment coupée et interpolée dé développements plus ou moins
considérables qui sont les fruits d'un travail légendaire sur les
événements que Luc racontait de première main, en croyant
sans doute et non pas en critique, mais avec la précision d'un
témoin attentif et sur (voir les Actes des apôtres, 5o ss.). L'unité
du style dans le livre des Actes ne préjuge pas l'unité de la com-
position, cette unité résultant probablement de ce que le rédac-
teur du livre canonique a retouché à la fois et imité le style de
Luc lui-même. Il y a donc unité du style rédactionnel, et dans
le même sens unité d'esprit, de préoccupations dominantes, d'un
bout à l'autre du livre, qui, pris tel quel, n'est certainement pas
de Luc.
Si la rédaction canonique de l'évangile doit être attribuée
aussi à un autre que Luc, ce n'est pas seulement parce que les
Actes, en définitive, ne sont pas de lui, mais c'est parce que le
style, l'esprit, les préoccupations rédactionnelles sont les mêmes
dans l'évangile que dans les Actes, et que c'est sûrement la
même main qui a donné leur forme dernière aux deux écrits. Il
est vrai que le contrôle ne peut pas s'exercer pour l'évangile de
la même façon que pour les Actes, vu l'impossibilité de discer-
ner, il première vue, dans l'évangile une source authentique de
la vie de Jésus, laquelle source, émanant d'un prem'ier auteur,
aurait été traitée par le rédacteur comme l'a été la relation de
Luc dans les Actes. C'est pourquoi, plusieurs critiques dérivent
simplement de l'inauthenticité des Actes l'inauthenticité de
l'évangile. Mais, h y bien regarder, l'authenticité de l'évangile
considéré en lui-même! serait tout aussi sujette à caution que
celle des Actes. Car le troisième évangile dépend sûrement de
Marc, et le rédacteur pratique souvent à l'égard de Marc une
48 l'évangile selon luc
mélhode analogue à celle qu'il a suivie dans les Actes à l'égard
de la relation de Luc. Seulement la question ne peut être .tirée
bien au clair si l'on n'examine d'abord le rapport des prologues
à Théophile avec les livres qu'ils concernent ou sont supposés
concerner.
Les prologues des livres à Théophile se rapportaient à des
écrits sensiblement différents de ceux que la tradition nous a
transmis sousie nom de Luc. Pour écarter l'hypothèse de Nor-
den (supr. cit. p; aS) touchant la composition du second livre à
Théophile par Luc et celle des Actes des apôtres par un rédac-
teur qui aurait profondément remanié l'œuvre de Luc, on a
supposé (GoGUEL, Le livre des Actes, 1922, et déjàE. Meyer, Ur-
sprung und Anfdnge des Christentums, I, igai.puis III, igaS)
qu'un interpolateur avait corrigé après coup le commencement
du second livre à Théophile en supprimant la seconde partie
du prologue où était indiqué l'objet propre du livre, et en intro-
duisant une notice sur les apparitions et l'ascension duRessuscité.
Hypothèse absolument gratuite et invraisemblable : conçoit-on
qu'un vulgaire interpolateur se soit avisé d'éliminer sans raison
une indication claire de l'auteur et qu'il ait réussi à faire dispa-
raître des exemplaires alors existants la moitié du prologue ori-
ginal ? Autant vaudrait admettre que l'auteur s'est interpolé lui-
même. Dans la réalité, le remaniement du commencement des
Actes est en rapport avec la rédactionde la finale dans l'évangile ;
et à ces éléments rédactionnels il est fait allusion dans le corps,
même des Actes (x, 41 ; xiiï, 3i, passages qui sont en rapport
direct avec Act. i, 3-5, et non avec Le. xxiv, 36-53, comme le
voudrait E. Meyer, I, 4^, et comme il le maintient, III, 12,
n. I, pour x, 4I' à moins qu'on n'implique dans l'évangile
ce qui est dit explicitement dans les Actes), et l'interpolation
des Actes est, à vrai dire, le système général qui a présidé à
leur rédaction. Pour écarter l'application à l'évangile même
de l'hypothèse suggérée pour les Actes par Norden, on a dit
(GoGUEL, Les Evangiles synoptiques, p. 45i) que tels morceaux,
signalés par l'auteur du présent livre (article sur Les écrits de
S. Luc, supr. cit. p. 23) comme imputables à la rédaction, étaient
du même style que le reste de l'évangile et occupaient dans le
plan du livre une place qui ne permettait pas de les tenir pour
IN'mODUCTION 49
surajoutés : comme si l'unité de style, qui ne prouve rien
pour l'unité de composition dans les Actes, prouvait quelque
chose pour l'unité fde composition dans l'évangile ; comme
si le « plan organique*», dont on fait si grand état, ne pouvait
pas être attribué au rédacteur, auteur responsable des fictions
qui dominent le susdit plan (récits de la naissance, prédica-
tion à Nazareth, mission des soixante-douze disciples). C'est aux
prologues eux-mêmes qu'il faut demander leur secret.
Celui des Actes,fon'; peut le dire sans crainte, a été mutilé
d'office en des circonstances qui semblaient justifier cette opé-
ration : ce qu'avait dit Luc touchant l'objet de son second livre
ne correspondaitjpas à l'idée qu'on s'était depuis peu faite ou
qu'on voulait faire prévaloir touchant les premières origines de
la secte chrétienne; d'après ce qu'on a jugé bon de mettre à la
place, dans les" premières pages des Actes, il est à croire que
Luc n'était pas jassez net siir la matérialité de la résurrection, la
réalité corporelle du Christ ressuscité, ni sur l'action immédiate
des disciples pour [la[fondation de la première communauté.
Sans doute voulait-on mieux garantir contre certain docétisme
la manifeslationSdu Christ en chair, en affirmant par delà les
limites du vraisemblable, — s'il pouvait y avoir vraisemblance
en ces matières, — la substantialité corporelle de Jésus ressus-
cité; sans doute aussi se proposaii-on d'asseoir sur un fonde-
ment solide, contre] certain gnosticisme novateur, la tradition
apostolique, désormais règle des communautés. Mais ceci n'a
dlmportance que pour le livre des Actes.
Dans la partie conservée du prologue (Agt. i, 1-2), onnousapar
fortune transmis le résumé de l'évangiledans les termes mêmes où
Luc l'avait défini ;le premier livre à Théophile était une «relation
de tout ce que Jésus avait fait et enseigné depuis le commence-
ment», — entendons le commencement de son ministère public,
ou, plus exactement peut-être depuis le commencement de ce
ministère compris comme son épiphanie terrestre, sa manifesta-
tion au monde, — « jusqu'au jour où il fut ravi » auprès de
Dieu (cf. Le. ix, 5i). L'idée de ce ravissement n'implique pas
la mise en scène de l'ascension, el encore moins la matérialisa-
tion des visions que les croyants eurent du Ressuscité. Il est de
plus à noter que l'interpolateur n'aurait pas pris soin de loger
A. LoiSY. — L'Evangile selon Luc. 4
50 l'kyakgile selon luc
en surcharge dans celte brève notice le rappel des instruclions
données par le Christ aux apôtres avant son départ, si Luc n'avait
été muet sur de telles instructions et même sur l'éieclion des
apôtres par Jésus. D'autre part, il est évident que les récits de
la naissance, première partie de l'évangile canonique, ne se
lisaient pas dans le premier livre à Théophile. C'est aussi bien
ce qui résulte du premier prologue, qui concerne les deux
livres, mais où l'on n'a pas non plus le droit de comprendre les
récits de la naissance parmi les choses qu'ont transmises aux
historiens de l'Evangile ceux qui furent « dès le commencement
témoins puis ministres de la parole ». « La parole » est le salut
annoncé et réalisé par Jésus ; ce salut s'inaugure par la prédi-
cation, se définit symboliquement dans les miracles, s'accomplit
par la mort suivie de glorification. C'est tout l'Evangile^ à l'égard
duquel sont adventices et secondaires les récits de la naissance.
Mais il va de soi que le premier livre à Théophile n'a pas été
modifié seulement par l'addition des récits de la naissance au
commencement, et celle des récils de la résurrection à la
fin. Les prologues ne permettent pas de décider si le premier
livre commençait, à la façon du Marc canonique, parle baptême
de Jean. De sérieux indices, en d'autres parties du livre, invite-
raient à penser que Luc pourrait bien n'avoir pas connu Marc
en sa forme canonique, ou bien que, s'il l'a connu, il a connu
aussi et lui a souvent préféré le document fondamental du second
évangile. Or il semble que ce document n'ait pas contenu encore
la notice relative à Jean et au baptême du Christ, ni la tentation
au désert, données plus ou moins mythiques, et qu'il ait représenté
d'abord Jésus appelant ses premiers disciples et prêchant à
Capharnaiim (voir Marc, ip-aS ; Légende de Jésus, R, h. l. r.
1922, p. 4o5). 11 est à présumer que le premier livre à Théophile
commençait à peu près de la même façon que l'évangile de
Marcion : ce L'an quinzième du règne de Tibère César, Jésus
descendit à Capharnaiim. »
Pour la suite, on ne peut faire aussi que des inductions. pro-
bables, fondées sur le caractère de certains morceaux et l'incohé-
rence qu'ils introduisant dans le développement des récits. On
ne s'attend pas à ce que Luc, historien consciencieux et précis
dans le document fondamental des Actes, adopte dans l'évangile
INTRODUCTION bl
les procédés qui dans les Actes sont familiers au rédacteur :
introduction de scènes fictives et symboliques, dédoublement
de données primitives, transpositions et interpolations hardies,
équivalant à des fictions. Ceux qui admettent l'unité de compo-
sition sont obligés de professer en même temps que toutes ces
libertés étaient implicitement comprises dans le programme
qu'énonce la première préface à Théophile : exposer avec suite
des données soigneusement recueillies près de témoins autorisés.
Alors le prologue lui-même sera la plus grande fiction qui soit
contenue dans l'œuvre tout entière. Mais le programme a été
honnêtement énoncé, et les fictions caractéristiques du troisième
évangile portent leur marque d'origine.
La scène de prédication à Nazareth par laquelle s'inaugure le
ministère galiléen (Le. iv, i6-3o) transpose et développe une
anecdote de Marc (vi, i-6) en en élargissant singulièrement
la portée symbolique et en y logeant un discours de Jésus qui a
été construit par le rédacteur, comme le sont en général les dis-
cours des Actes ; et de même que, dans ce dernier livre, la scène
de la pentecôte présage le succès universel de la prédication
apostolique, la scène de Nazareth présage la réprobation des
Juifs et le salut porté aux Gentils malgré les Juifs, ce qui est une
thèse favorite du rédacteur dans les Actes. C'est aussi en vertu
d'un symbolisme conscient et réfléchi, et parce que le rédacteur
n'avait pas l'intention de l'utiliser en son lieu propre, que la pêche
miraculeuse vient illustrer la vocation des premiers disciples ou
{)lutôt celle de Pierre(LG. v, i-ii): la métaphore des « pêcheurs
d'hommes » (Me. i, in) s'élargit en tableau symbolique où se des-
sine le rôle de Pierre comme fondateur noji seulement de la pre-
mière communauté mais de l'Eglise universelle, ce qui est encore
un thème cher au rédacteur des Actes. La mission des soixante-
douze disciples (Le, x, i, i^-'^o), qui, si on l'entend à la lettre,
double sans ombrede raison la mission desDouze (ix,i-6), est, dans
sa coordination au voyage de Samarie (ix, 5i-56), une antici-
pation symbolique de la prédication aux Gentils ; c'est aussi
bien un moyen d'étoffer la légende de Jésus, comme le rédacteur
a étoffé la légende de Paul en multipliant les voyages de l'Apôtre
à Jérusalem. Enfin la plus hardie de toutes ces fictions pourrait
bien être la retouche (xxiv, (i) moyennant laquelle l'annonce
52 l'évangile selon luc
concernanl les apparitions galiléennes du Christ ressuscité se
trouve muée en rappel des instructions données en Galilée, afin
de transférer à Jérusalem toutes les apparitions, d'y retenir les^
apôtres, d'instituer le cadre fictif où Jésus ressuscité inaugurera
l'apologétique chrétienne en expliquant les Ecritures à ses dis-
ciples, où il autorisera la tradition apostolique en leur donnant
mission de fonder l'Eglise avec l'assistance de l'Esprit saint, où
il garantira par avance et de toutes façons, on peut le dire, cette
Église contre les spéculations et les entreprises de la gnose-
Car c'est à celte fin que tendent, dans l'économie du troisième
évangile les récits de la résurrection ; c'est à cette fin aussi, que tend
pour une bonne part la rédaction des Actes (on lit en toutes
lettres Act. xx, 28-3o, discours de Paul aux anciens d'Ephèse,
la dénonciation des docteurs gnostiques et la définition du rôle
qui appartient aux « évêques » pour la préservation du « trou-
peau » chrétien).
Il y a donc lieu de penser que la composition du troisième
évangile et des Actes a traversé deux étapes principales : les deux
livres à Théophile ont existé d'abord ; plus tard est venu le rema-
niement qui a fait du premier livre un évangile et du second les
Actes des apôtres. Mais le discernement de ce qui est primitif est
moins facile dans l'évangile que dans les Actes, et à peine
ose-t-on risquer une esquisse de ce qu'a pu être le premier livre
à Théophile. D'après le traitement fait au second livre, où le
rédacteur n'a pas pratiqué que des additions mais des suppres-
sions, des retouches et des transpositions, on peut préjuger en
générai ce qu'il aura fait dans le premier et vérifier même,
ainsi qu'on vient de le voir, certaines additions importantes ; il
n'est pas possible de rétablir les omissions, ni même de déter-
miner sûrement dans le détail l'attribution des divers éléments
au premier auteur ou au rédacteur, le caractère même delà tra-
dition évangélique, ainsi qu'il a été dit d'abord, se prêtant mal à
un telle discrimination.
On peut supposer, par conjecture et sous toutes réserves, que
le premier livre à Théophile, aussitôt après le prologue, mon-
trait Jésus appelant les premiers disciples dans les conditions
que dit Marc (i, 16-20), puis décrivait d'après lui les incidents
de la première journée à Capharnaùm et le départ de Jésus-
INTRODUCTION 53
(Le, IV, 3o-44) ; probablement doimail-il l'histoire du lépreuX'
(v, 12-16), plus sûrement celle du paralytique (v, 17-26), la voca-
tion de Lévi et le propos sur la fréquentation des pécheurs
(v, 27-82), le dit sur le jeune (v, S.S-Sy) et les histoires sabbati-
<iues (vi, i-ii) ; on peut douter qu'il ait raconté la vocation
des Douze (vi, 12-16) ; peut-être donnait-il en cet endroit le
discours des béatitudes (vi, 17-vii, i), mais la main du rédacteur
y sera plus lard intervenue; la même remarque vaut pour
rànecdote du centurion de Capharnaûm (vu, 2-10), empruntée
avec le discours au recueil des sentences, d'où vient aussi la
série des propos concernant Jean-Bapliste (vu, i8-35) ; le
discours des paraboles (viii, 4"i8) provient probablement de
Marc, de qui Luc aura pris la suite de miracles, tempête apaisée,
possédé de Gérasa, histoire de l'hémorroïsse et de la fille de
Jair (viii, 26-56). La mission des Douze (ix, 1-7) est sujette au
même doute que leur vocation ; pareillement les propos d'An-
tipas (ix, 7-9), empruntés à Marc (vi, 14-16), mais qui ont pu se
«ubstituer à quelque notice concernant l'attitude menaçante du
tétrarque lorsqu'il fut averti de l'agitation provoquée par Jésus,
par quoi aurait été introduite la multiplication des pains (ix-,
lob-ij); la confession de Pierre et tout ce qui suit (ix, i8-5o),
jusqu'à l'incident de l'exorciste étranger, auraient été simplement
pris de Marc, ou plutôt Luc reproduisait ce qui était dans la
source de Marc, c'est-à-dire qu'il pouvait bien ignorer le com-
mentaire donné par Marc (viii, 3o-38) à la confession de Pierre,
aussi la transfiguration (Me, ix, 2-9) et la prédiction réitérée de
la passion (Me. ix, 3o-32), L'annonce solennelle du départ pour
Jérusalem appartient probablement à Luc (cf. ix, 5i et Act, 1,2) ;
mais on ne saurait dire si quelques-uns des morceaux d'ensei-
gnement qui sont placés entre ce départ et l'endroit (xviii, i5)
où notre évangile rejoint Marc auraient été déjà logés là dans le
premier livre à Théophile. Ce qui, dans la suite, vient de Marc,
anecdotes des enfants (xviii, i5-i7), du jeune homme riche
(xviii, i8-2o). troisième annonce de la passion (xviii, 3i-34),
aveugle de Jéricho (xviii, 35-43), a pu figurer dans Luc,, sauf
probablement l'annonce de la passion, mais dans un jour assez
difl'érent de celui que leur donne l'encadrement rédactionnel.
Le singulier commentaire introduit par le rédacteur dans la
ë4 l'évangile selon LUC
parabole des Mines (xix, ii-'2'j) donnerait à penser que l'idée-
de la parousie prochaine ressortait des sentiments attribués par
Luc, d'aprçs la source de Marc, à Jésus et à ses compagnons.
Ces sentiments sont d'ailleurs ceux que supposent (historiques
ou non), la manifestation messianique sur le mont des Oliviers
(xix, 28 38) et l'expulsion des vendeurs (xix, 4^-46). Les inci-
dents du ministère hiérosolymitain (xx-xxi), depuis la question
des prêtres jusqu'au discours apôcal3'ptique, auraient été pris de
■ Marc, et Ton pourrait se demander si la question du grand pré-
cepte (Me. xn, 28-33) n'y aurait pas figuré, avant d'être placée
par le rédacteur dans le cycle samaritain; d'aiitre part, le discours
apocalyptique (xxi) pourrait avoir été ajouté par le rédacteur. Il
l semble que Luc ait suivi la source de Marc pour les prélimi-
naires de la passion elle dernier repas (xxu, 1-6, 16-18), qui est
devenu pascal seulement dans la rédaction, comme il l'est de-
venu dans la rédaction de Marc ; les paroles attribuées à Jésus
et par lesquelles s'expliquait la cène chrétienne avaient un sens
proprement eschatologique et ne devaient rien à l'interprétation .
mystique de Paul ; elles rendaient seulement compte de la cène
en souvenir du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. On pourrait
croire que la promesse des trônes (xxii, 28-3o) s'y ajustait, s'il
n'y avait doute à cause du rapport de ce logion avec la légende
de l'institution des Douze par Jésus. Le récit de Gelhsémani,
pour le principal (xxii, 39-42, 4^'46)» emprunté à la source de
Marc, vient probablement dé Luc; il est plus difficile de démê-
ler ce que lui appartient dans le récit de l'arrestation (xxn,
4^-53) et de ce qui s'est passé chez le grand-prêtre (xxii, 54-71) ;
mais il paraît avoir ignoré la séance nocturne du sanhédrin,^
peut-être aussi le reniement de Pierre; il disait le jugement
par Pilale et l'effort inutile du gouverneur pour relâcher Jésus
(xxiii, 1-4, 18-25), le départ pour le Calvaire et le portement de
la croix par Simon le Gyrénéen (xxiii, 26), le crucifiement entre
les deux voleurs (xxiii, 32-33), la dérision du Crucifié par les
magistrats juifs, la présentation du vinaigre, l'inscription de la
croix, les ténèbres, le déchirement du voile dans le temple, le
cri de Jésus expirant, la remarque du centurion (xxiu, 35 6-38,
44-47)- Il <2st probable qu'il mentionnait la présence des femmes
galiléennes sur le Calvaire, racontait la sépulture par Joseph
INTRODUCTION 55
d'ArimaLhieet la découverte du tombeau vide (xsiii,49-xxiv, 5);
encore esi-il que ces traits, empruntés à la rédaction de Marc,
pourraient- n'appartenir aussi qu'à la rédaction du troisième
évangile, Luc s'étant arrêté, comme la source de Marc, au
témoignage du centurion {voir Ma/^c, ^yi).
Si incertaine quesoitdansles détails cette restitution, une chose
du moins n'est pas douteuse, c'est que le fond du troisième évangile
est beaucoup moins consistant que le fond des Actes (en mettant
à part les fictions rédactionnelles des premiers chapitres). Les
Actes ont retenu du second livre à Théophile une suite de ren-
seignements historiques sur la fondation du christianisme ; le
premier livre à Théophile n'était, en somme, qu'une légende
sacrée, une légende de culte, en grande partie produit et non
souvenir de la tradition apostolique invoquée par l'auteur du
prologue! La source de Marc, qui est aussi bien la source prin-
cipale de Luc pour ce qui est des faits évangéliques, n'était pas
autre chose. Et l'autre source de Marc et de Luc, le recueil de
sentences est de même, pour l'ensemble, un produit de la tradi-
tion primitive, de la tradition apostolique en tant que prophé-
lico-didaclique. Sans doute ne pouvait -il manquer d'en être
ainsi ; mais il en est ainsi, parce que le simple fait de Jésus a
été aussitôt transfiguré dans la foi au Christ immortel. En toute
sincérité, nous le pouvons croire, Luc a présenté à Théophile
comme des « faits accomplis » les premières acquisitions, on
peut dire les premières Yisions de la foi louchant son héros
crucifié. L'action personnelle de Jésus a déclenché la foi ; mais
ce commencement n'a jamais été raconté indépendamment de la
foi qu'il avait suscitée.
Une contradiction, non sentie par l'auteur à Théophile, exis-
tait entre sa prétention de raconter Jésus, et la documentation
dont il disposait; et de même cette prétention toute personnelle,
d'écrire un livre analogue aux histoires profanes, mettait son
œuvre en dehors du courant traditionnel, du travail anonyme de
la foi où l'individu s.'absorbe dans l'objet de son culte, dans
l'idéal de sa communauté. La préface de Luc, entête d'un évan-
gile ecclésiastique, est un non-sens ; et le premier livre à Théo-
phile est devenu un évangile ecclésiastique, comme le second
livre est devenu lui aussi, une légende sacrée, par le travail
56 l'évangile SliLOM LUC
rédactionnel qui a mis ces livres dans le genre purement reli-
gieux qui convenait à leur objet. Maintenant le prologue de
l'évangile n'est qu'une étiquette sans portée, que Marcion a pu
négliger comme entièrement superflue ; et la mutilation du
prologue des Actes, qui est un procédé fort ressemblant à celui
de Marcionj s'explique jusqu'à un certain point par la même
raison. C'est parce que la foi grandissante ne se trouvait plus
satisfaite ni défendue à son gré dans les livres à Théophile, que
ces livres ont été refondus.
Ce remaniement a pu sembler tout aussi nécessaire, sinon
davantage, pour le premier livre que pour le second ; et nous
pouvons juger de son objet par les principaux éléments qui le
caractérisent. De ces éléments les récils de la naissance sont le
plus considérable, au. moins par l'étendue, et le moins discutable
pour ce qui est de son caractère adventice et rédactionnel. Le
rédacteur ne les a pas inventés de toutes pièces et il a même
dû trouver toute préparée une légende où la naissance de Jésus
se coordonnait à celle de Jean ; mais ce doit être le rédacteur
du troisième évangile qui a introduit les versets relatifs à la con-
ception virginale (i, 34-35) dans un contexte qui l'avait d'abord
ignorée ; c'est lui qui a interpolé dans le. récit le cantique d'Eli-
sabeth (i, 46-55), devenu dans la tradition cantique de Marie,
puis le cantique de Zacharie (i, 57-79), le cantique des anges à
la naissance de Jésus (11, i3-i4). le cantic|ue de Siméon (11, 29-32) ;
ce doit être lui qui a découvert dans le recensement de Quiri-
nius un merveilleux synchronisme pour la naissance de Jésus,
et un excellent moyend'expliquercommentleChrist, nonobstant
son surnom de Nazoréen, n'était pas né à Nazareth, mais à
Bethléem (11, i5) ; c'est lui qui a intercalé çà et là les petites
notes par lesquelles la mère de Jésus est mise en relief et sem-
blerait présentée comme garante de cette miraculeuse histoire
(11, 19, 34,35, 5i6) ; il s'est de même approprié l'anecdote de
Jésus à douze ans (11, 4i-5i), conçue d'abord indépendamment
des récils de la naissance^ et qu'il n'a pas non plus inventée. Ces
récits pourraient bien ne pas tendre seulement à prouver que
Jésus est né et a grandi dans un milieu de Juifs pieux et dans les
circonstances déterminées par les prophéties juives, mais qu'il
est né vraiment, réellement, du saint Esprit et de la vierge
ISTRODUCTJON 57
Marie, comme l'affirma de bonne heure le symbole baptismal de
l'Eglise romaine.
La débauche de syuchronismes par lesquels s'inaugure
malmenant la relation du ministère public (m, 1-2) est le fait
du rédacteur, bien que Luc ait pu indiquer la quinzième année
de Tibère, soit par induction et calcul, soit en vertu d'une don-
née traditionnelle, comme date de l'épiphanie du Christ. De
même l'élaboration des éléments fournis par Marc et le recueil de
sentences sur la prédication de Jean (111,2 a 9), que le rédacteur
s'est permis de compléter (m, 10-14) ; sur ses déclarations tou-
chant son rôle de précurseur et la répudiation pour lui-même du
rôle de Messie (m, iS-i^); l'anticipation de la captivité duBaptiste
(m, 18-20), le baptême de Jésus et sa généalogie (m. 21-38), la
tentation au désert (iv, i-i3) : tout cela est pour accentuer l'ac-
complissement des prophéties en Jésus et pour mieux situer
Jésus dans l'histoire. La grande mise en scène de la prédication
à Nazareth (iv, i6-3o), si mal équilibrée, parce que les éléments
en ont été pris de divers côtés, trahit la main qui a construit
de la même façon tant de fictions dans les Actes : c'est avant
tous un morceau de polémique antijuive et d'apologétique chré-
tienne. Dans l'économie des récits, la transposition de la jour-
née de Gapharnaûm (iv, 3i-44)et de la vocation des disciples (v,
1-21) après la prédication à Nazareth est un coup de violence
rédactionnelle qu'on n'a guère essayé de dissimuler ; de même
l'intrusion de la pêche miraculeuse dans le récit de vocation. La
manière hardie et maladroite du rédacteur se reconnaît dans la
«ùrcharge que fait, dans l'histoire du centurion de Carphanaiim
(vu, 2-10), la délégation des principaux juifs auprès de Jésus à
la place du centurion lui-même ; dans l'invention du miracle
de Naïn (vir, io-i5) et du paquet de guérisons par lesquelles est
commentée la réponse du Christ aux envoyés de Jean (vir,
.22-23) ; dans l'histoire de la pécheresse (vu, 36-5o) et la notice
concernant les femmes qui suivaient Jésus (viii, i-3) ; surtout
dans la pénible et d'ailleurs significative élaboration du voyage
en Samarie, avec les incidents du début (ix, 52-56), la mis-
sion des soixante-douze disciples (x, i), la parabole du Sama-
ritain (x, 3o-37), Tanecdole des deux sœurs, Marthe et Marie
(x, 38-42), et tout le chaos des enseignements qui ont été
58 l'ÉVAWGILE • SIÎLON LUC
rassemblés dans la partie moyenne de notre recueil évangélique.
Ici apparaît la préoccupation d'enrichir ce recueil au moyen des
logia qui couraient sous le nom du Christ. Le choix n'a pas tou-
jours été fait avec beaucoup de tact ni de logique : les paraboles
de l'Econome infidèle (xvi, i-8),de l'Ami importun (xi,5-8), de la
Veuve etdu juge (xvni, i-8) sont des acquisitions plutôt médiocres ;
la comparaison de l'homme qui bâtit une tour (xiv, 28-80) et celle
du roi qui s'en va en guerre (xiv, 3i-33) n'ont rien à voiravec la
morale du renoncement ; l'ajustement en propos de table des
invectives contre les pharisiens (xi, 37-54) n'est pas loin d'être
ridicule ; l'apostrophe à Jérusalem (xiii,34-35) est aussi mal placée
que possible dans une réplique aux émissaires d'Hérode Antipas.
Mais, à travers toutes ses gaucheries, l'évangéliste poursuit et fait
valoir les idées qui lui sont chères : les queues qu'il met à la para-
bole du Fils prodigue (xv, 25-32) et à celle du Riche et de Lazare
(xYi, 26-3i)font ressorlir.icirattitude jalouse du judaïsme phari-
saïque devant le.salut des pêcheurs, là son endurcissement devant
le témoignage que Moïse et les prophètes rendent au Christ Tes-
suscilé ; la parabole du Pharisien et du publicain couronne assez
bien toute cette incohérente série par une suprême dénonciation
du judaïsme orgueilleux, qui a mérite de devenir le judaïsme
réprouvé.
L'histoire de Zachée (xix, i-io) remet en action la même
idée; le commentaire de la parabole des Mines (xix, 11-27)
insinue assez clairement que la destruction du peuple juif a été
la punition de son refus d'obéissance au Christ. Cette ruine,
Jésus avait voulu la prévenir : c'est ce que signifie la parabole
du Figuier (xiii, 6-9), c'est ce que disent les pleurs que verse
le Christ et la lamentation qu'il prononce sur Jérusalem en
descendant la pente du mont des Oliviers (xix, 4i"44)- Que le
rédacteur ait simplement adapté à son cadre de la passion, ou.
qu'il ait inventé la comparution du Christ devant Hérode (xxiii,
5-i6), il a pensé montrer un accomplissement de prophétie et
trouvé moyen de transformer Antipas en témoin de l'innocence
du Christ, comme il a trouvé moyen, dans les Actes, d'utiliser
Agrippa II en témoin de l'innocence de Paul, Il voudrait bien
persuader à ses lecteurs non chrétiens, s'il en peut trouver, que
ni Jésus ni les siens n'ont jamais nourri de pensée défavorable
INTRODUCTION' SO"
à l'aulorilé romaine, et que les personnages considérables de
leur temps n'ont pu s'empêcher de le reconnaître. Le discours
de Jésus aux femmes de Jérusalem sur le chemin du Calvaire
(xxiii, 27-3i) dit la même chose que sa précédente lamentation
sur le sort qui attend la ville coupable. L'attitude prêtée aux deux
larrons crucifiés avec Jésus (xxiii, 39-43) est, au fond, une sorte
de parabole allégorique où le mauvais larron représente l'incré-
dulité juive, et le bon larron le monde pécheur qui se convertit à
la foi du Christ. On a pu voir déjà où tendent les récils de la
résurrection : ramener toutes les apparitions à Jérusalem afin
d'en intensifier la force probante, à même fin les matérialiser
et les étendre en un long commerce du Ressuscité avec ses dis-
ciples ; faire instituer par le Christ, et la démonstration par les
prophéties, et le régime de la communauté dans la tradition
apostolique. Ces préoccupations ne sont pas celles de l'âge pri-
mitif; on ne les rencontre pas dans Marc ; elles n'existent que
chez Matthieu et chez Jean, mais à un bien moindre degré. Au
surplus la rédaction de ces récits paraît impliquer la connais-
sance des récils johanniques. La rédaction du troisième évangile
est un témoin des préoccupations chrétiennes dans le second
quart du second siècle chrétien.
Il se pourrait que la recherche des sources du troisième évan-
gile, à laquelle s'acharnaient et s'acharnent encore les critiques,
soit un problème sans issue . On peut parler des sources de
Luc. Pour ce qui est des sources du troisième évangile, que
If'on traite souvent comme si le rédacteur ou les rédacteurs
n'avaient été capables dlmaginer que des sutures, il convien-
drait probablement de faire assez large la part de fiction cons-
ciente, non que ces fictions n'empruntent une bonne partie de
leurs matériaux à des traditions ou à des documents préexistants,
mais parce que ces sources peuvent n'être pas toujours de
caractère évangélique. La rédaction de Luc a connu Matthieu et
Jean, peut-être des formesprécanoniques de Matthieuet de Jean.
Tout ce que les critiques mettent volontiers dans une source
particulière de Luc, où aurait été puisé ce qui ne vient pas de
Marc et de: l'ancien recueil de sentences, paraît d'origine assez
variée et n'a pas dû être pris d'un seul coup dans un seul livre.
C'est se duper soi-même que de prétendre assigner à chaque
60 ; l'évangile selon luc
anecdote et à chaque sentence d'un livre évangélique,quel qu'il
soit, une étiquette de provenance certaine avec la date. Tout
cela, pris dans le détail, et en dernière analyse, n'est pas matière
de tradition historique certaine et se prêle seulement à des
conjectures plus ou moins probables.
Si le troisième évangile et les Actes étaient une composition
homogène, l'œuvre d'une seu-le main, il conviendrait de leur
assigner une date assez tardive. Si l'on doit, comme il nous
semble distinguer les deux livres à Théophile de l'évangile cano-
nique et des Actes des apôtres, les deux livres à Théophile dont il
n'y aura aucun motif de contester la composition par Luc, auront
été écrits probablement vers l'an 80, le prologue général laissant
entendre que les apôtres témoins du Christ sont morts depuis
un certain temps^ et la pluralité des écrits évangéliques anté-
rieurs ne permettant pas non plus de songer à une date
très rapprochée des origines; d'autre part, un compagnon de
Paul, qui est entré en rapports avec l'apôtre au plus tard vers
l'an 5o, pouvait n'être pas encore très âgé en l'an 80, mais ne
pourrait plus être supposé fort agissant vers la fin du premier-
siècle. Que Luc soit resté à Rome après la mort de Paul, il est
possible, et la dédicace à Théophile pourrait concerner un assez
haut personnage qui prenait intérêt au christianisme sans être
pour cela chrétien (sur les demi-chrétiens, qui ont été assez nom-
breux dans les premiers siècles, voir Gmoi^iEBBRT, Les demi-chré-
tiens et leur place dans V Eglise antique , àans Revue de l'histoire
des religions, juillet-oct. 1023). Il n'est pas impossible non plus
qu'il ait écrit ailleurs ; mais la tradition relative à la composi-
tion de l'évangile en Achaïe doit être en rapport avec la fausse
interprétation du passage de la seconde aux Corinthiens (viii, 18)
oii l'on a pensé reconnaître Luc. Il est probable que les deux
livres à Théophile ont été très peu répandus, s'ils ont été
répandus, en dehors de leur milieu d'origine, et que c'est dans
le même milieu qu'ont été élaborés plus tard le troisième évan-
gile et les Actes des apôtres.
A considérer principalement et dans son ensemble \e livre
des Actes, on pourrait dire (voir Actes, 107 ss.) que l'auteur du
remaniement a voulu démontrer à tous et aux païens d^abord, à
l'autorité romaine surtout, que le christianisme n'était pas une
INTRODUCTION 61
secte nouvelle, étrangère à tout et en contradiclion avec les
lois; que c'était, au contraire, la forme parfaite et authentique
de la religion juive, l'espérance où se résumait celle-ci ayant
été accomplie en Jésus, et les prédicateurs du christianisme
n'ayant jamais fait, ne faisant pas autre chose que d'annoncer
cette espérance et cette réalisation ; qu'ainsi la tolérance offi-
cielle dont jouissait le judaïsme devait être acquise au christia-
nisme, et d'autant plus que le seul grief des Juifs contre les
chrétiens était d'avoir fait part aux païens du salut qu'eux-
mêmes avaient refusé. Par là s'expliqueraient la forme particu-
lière qu'affecte la christologie du rédacteur et le son biblique
de son langage, le mirage juif du messianisme dans les écrits de
notre rédacteur, comme lé mirage philosophique des apologies qui
vont bientôt venir, dissimulant, tout naturellement et sans parti
pris, on pourrait dire même sans réflexion ni travail, une
christologie mystique en rapport avec le culte du Seigneur
Christ. On pourrait supposer que le rédacteur a écrit au temps
de Trajan.
Une considération plus attentive dé l'évangile et des Actes en
tant que destinés à des lecteurs chrétiens, sans détruire les pré-
cédentes remarques, invite à les compléter et aussi à retarder
quelque peu la date de ia composition (voir Nouveau Testament,
4ii, Soi). Le premier livre à Théophile était un livret de culte en
tant que reflétant des sources qui avaient ce caractère; il ne
l'était pas précisément par son objet direct et par l'intention;
il est devenu tel dans la rédaction qui l'imper sonnalisa et Ten-
richit des plus récentes acquisitions de la foi; les récits de la
passion et de la résurrection ont été retouchés et augmentés,
non seulement au point de vue de la démonstration chrétienne,
mais au point de vue cultuel, pour s'adaptera l'usage pascal de
la communauté romaine; sur ce point la rédaction du troi-
sième évangile a été conformée à la rédaction canonique du
second, et elle l'a perfectionnée par les récits de la résurrec-
tion, qui mettent en plein relief le dimanche pascal. Si la
préoccupation systématique des prophéties accuse un développe-
ment de la croyance et de l'apologétique chrétiennes en regard
du judaïsme et en opposition avec lui, il n'est pas impossible
que la ferveur pour l'Ancien Testament, dont témoignent le
'62 l'évakgile selon luc
troisième évangile et les Actes, et qui ne caractérise au même
degré nul autre écrit du Nouveau Testament, atteste aussi bien
une réaction contre ceux des gnostiques qui répudiaient et la
Bible et le Dieu des Juifs. Plus sûrement encore on est induit à
supposer que la matérialisation des apparitions du Christ res-
suscité vise un certain docélisme, dont on veut ruiner l'influence.
Enfin la dépendance à l'égard de la tradition dite johannique
et du quatrième évangile, dans la rédaction duquel se remarque
égaiementla préoccupation de combattre ungnosticisme docète,
invite à rapprocher la rédaction canonique de Luc et des Actes
du temps même oii a été fixé le canon évangélique. Le rapport
de notre évangile avec celui de Marcion pourrait être moins
simple qu'on ne l'admet communément.
Aucun de nos évangiles n'est un simple mémorial des gestes
et enseignements attribués à Jésus, ni une œuvre personnelle,
une publication litléraire. Si les deux livres à Théophile affi-
chaient en ce sens quelque prétention, assez justifiée en ce
qui regarde le second livre, ni le troisième évangile ni les Actes
n'ont ce caractère. Le troisième évangile est, comme les autres,
une foçon de catéchisme chrétien, et .plus encore un livret du
culte chrétien, le livret de la bonne nouvelle, du salut spécia-
lement commémoré dans le jour du Seigneur et intensivement
dramatisé dans la solennité pascale. Enseignement sacré, mais,
aussi et surtout drame sacré, ce qui explique la vie particulière
des récits. Nulle part cette vie n'est celle de la simple doctrine
perçue par un auditeur attentif, du simple fait regardé par un
spectateur curieux ; c'est celle d'une foi qui s'affirme et qui se
défend, qui se définit et se figure liturgiquement, qui se réalise
elle-même dans les créations qu'elle anime de son esprit. Le
troisième évangile et les Actes, où qu'ils aient été composés,
réfléchissent le développement antignostique de la foi et l'épa-
nouissement varié de cette foi entre l'an laS et l'an i5o. Ces
livres ont dû être préparés, rédigés dans un grand centre chrétien
(jui a pourvu à leur diffusion. L'Eglise romaine sut dautant
mieux ce qu'elle faisait en les admettant dans le recueil de ses
Ecritures qu'ils avaient été conçus, que peut-être elle-même
les avait conçus ou en avait favorisé la rédaction dernière, à
cette fin.
INTRODUCTION 63
§ V. Forme littéraire, tradition dv texte
ET COMMENTAIRES DU TROISIEME ÉVANGILE
On a déjà beaucoup écrit sur le style de Luc, et il n'y a pas
lieu d'y insister ici en tant qu'il s'agit des formes de langage et du
vocabulaire (on peut voir à ce sujet Lagrange, introd. xcv-
cxxviii). Le style en question est celui du rédacteur qui a
refondu les livres à Théophile. Force est de constater que ses
nombreux hébraïsmes sont d'un homme qui ne savait pas l'hé-
breu, mais cultivait la version des Septante, quoique Luc, s'il a
été médecin à Antioche, ait dû savoir au moins i'araméen. La
plupart de ces hébraïsmes ne sont point irréguliers en grec,
mais ce qui en fait des hébraïsmes est la nuance et la fréquence
de leur usage (on signale l'emploi de syévsTo suivi soit de xal, soit
d'un temps Uni, soit d'un iniinitif ; xal looû ; èvtw avec l'infinitif ;
£vu)TCi.ov ; des formules telles que tïoisïv Iaso? ixsTâ, p.£yaXûv£'-v IXsoç
y.zxà, TtOLEW xpàvoç, SoÇà^Etv xhv Qsôv, àTwLQuijia i7ZB%^r\(7a dans XXII,
i5 ; pàxoç, y.ôpoç, cïLxspa viennent des Septante ; yôéwa, ^sùZb^oùX,
à[j.rîv, des sources évangéliques ; raffectation du moflspoùo-aA/îf;.,
au lieu de la forme grécisée "l£po!jôXu[j.a, rare dans le troisième
évangile, est conforme aux Septante ; de même l'omission,
constante dans le Nouveau Testament, de l'article, devant le
mot xùpt.o;, quand il correspond au nom delahvé).0n peut en
dire autant des aramaïsmes (emploi de la conlruction périphras-
tique, verbe être à l'impartait avec un participe présent ou
passé ; la formule ûr.îcoxp!.0£l; sIttev ; àp-^so-Oa!. en façon d'auxiliaire
suivi de l'infinitif; substantif au génitif remplaçant l'adjectif, etc.).
Nonobstant ses coquetteries sémitiques, la langue du troisième
évangile est plus proche que celle des autres de l'usage clas-
sique : l'on y a évité les mots latins qui se trouvaient dans Marc,
et les termes d'administration sont ren^placés par des équiva-
lents (•^ysij.tov pouv proGurator, kxavôy-apyoç pour ceniiirio, etc.),
]Le vocabulaire présente plus d'alHnité avec celui de Paul que
Marc et Matthieu ; que ce vocabulaire ait été aussi bien celui
d'un médecin, quelques-uns (Hobarï, Tlie médical lajigiiage of
St. Luke, 1882 ; Harnagk, Liifeas <ler Arzt ; Zahn, Euileitung,
II) l'ont soutenu ; mais on a montré (Gadbury, The alleged
j64 l'évangile selon lug
médical langiiage oj Luke, 1919) que la connaissance du lan-
gage médical dont témoignent les écrits dits de Luc n'est pas
nécessairement d'un médecin. Le vocabulaire du récit de navi-
gation et de naufrage, dans les Actes (xxvii), serait bien plus
d'un marin que celui des récits de guérisons miraculeuses n'est
d'un disciple d'Hippocrate.
Ce style ne laisse pas d'être, comme celui des autres évangé-
listes, et on pourrait dire en général celui du Nouveau Testa-
mentj un style rythmé, d'un caractère assez particulier, qui
n'est ni celui de la prose élégante ni de la poésie classique, mais
que l'on pourrait qualifier de religieux et liturgique, en affinité
avec le style de l'Ancien Testament, où l'on commence à recon-
naître que bon nombre de récits ou morceaux non proprement
poétiques sont rythmés en strophes plus moins régulières. Le
fait a été récemment signalé (Cladder, Unse're Evangelien,
1919 ; P. ScHMiDT, Der strophisphe Aiisbau.des Gesamtlextes
der vier Evangelien, et Das Abendmahl iinddie Abschiedsreden
unseres Ilerrn Jesii Christi nach der vier Evangelien in ihrer
Gliederung und in ihrem strophischen Aiisbau, 1921), sans
qu'on en ait mesuré peut-être toute la portée. L'auteur du pré-
sent livre a essayé de l'indiquer (article sur Le style rythmé du
Nouveau Testament^ supr. cit.), en montrant que les épîtres
mêmes étaient rédigées dans ce style cadencé, en phrases sou-
vent symétriques. On avait d'ailleurs constaté sans surprise que
l'Apocalypse était rédigée selon les règles du parallélisme hébreu
(Charles, The Révélation of St. John, 1920).
La considération du rythme s'impose tout particulièrement
en ce qui regarde les évangiles, parce qu'elle importe à l'appré-
ciation du fond. Il n'y a pas lieu de l'ajourner, provisoirement
ou indéfiniment, sous prétexte qu'il s'agit d'une théorie, puis-
qu'on est en face d'une réalité ; ou bien parce qu'elle regarderait
la forme de l'enseignement de Jésus plutôt que la rédaction des
évangiles, car il s'agit des récits aussi bien que des discours, et
si nous connaissons quelque chose de l'enseignement de Jésus,
fond et forme, ce n'est que dans les rédactions évangêliques ;
ou bien parce que la question du rythme dans le Nouveau Tes-
tament ne saurait être envisagée sans qu'on étudie en même
temps la forme de la littérature chrétienne, de la littérature
INTRODUCTION 65
juive el de la littérature religieuse de l'hellénisme, car on pour-
rait aussi bien demander que soit étudiée préalablement toute
Ja musique du langage humain, qui est toujours rythmé de ma-
nière ou d'autre. Ce n'est pas chose tellement difficile à constater
que l'existence du fait en question, c'est-à-dire la difï'érence du
rythme coutumier à la prose évangélique et de celui qu'on peut
observer dans la prose classique ou même dans les documents
de Tancienne littérature chrétienne en dehors du Nouveau Tes-
tament. La simple attention à la cadence rythmique des phrases,
à l'équilibre de leurs membres, peut déjà conduire à des résul-
tats intéressants (c'est d'après cette seule considération qu'on a
•été amené à traduire suivant ce rythme tous les discours évan-
géliques et une partie des épîtres daiisles Livres du Nouveau Tes-
tament, supr. cit.). Une des lois particulières de ce style a été
récemment signalée (parP.L. Coughoud, dans une communica-
tion à la Société Ernest Renan, sur le style rythmé des épîtres de
saint Paul), qui permet de délimiter plus sûrement les membres
.par lesquelles est constituée la phrase strophique : c'est la
récurrence et la correspondance des accents dans la finale des
lignes formant strophe.
On ne peut donner ici que quelques échantillons de ce style,
dont les détails seraient à étudier par les spécialistes de la
rythmique.
Premières strophes des récits de la naissance ;
'EyévsTo sv Talç T,[j.épai.ç 'HpcoSou pa^'Aéco; T'?i; 'louSaïaç
Upsû; T!.? ovô]xa.v. Zay^aptaç iÇ èovipLspîa; *Aj3iâ,
xal yuv/) aUTW ex tûv OuyaTéptov 'Aapwv
xal tÔ ovop.a aùrô? 'EAî.o'àpeT.
■i\(sc/.y 8è 8wai.ot. àjjicpoTépot., h/ay-zio^ toû Qeou TcopsuôuLSVot.
èv Tza-oraïq Tcnq èvToAaIç xal 8txai.w[j,a(7i>v TOÛ xupLou àueuTïTO!..
xal oùx ■^v abxolç téxvov, xaOÔT!. riv 'f\ 'EXi'jâ^e'z crtslpa,
xal àp-cpoTepo!, TcpoPs^TixÔTeç sv xc/Xç 'f\^épaLiq auTwv '^(lav.
'EyévsTO Se èv xS> Upareueiv aùtôv
èv T^ Ta^ei, T?iç è<py)jJ.epLaç auToû evcvtL toû OeoC»,
xaxà XQ è'8oç xr^q Upa-vela; '£kc/.ye xo Ou^f-âffai.
eweXGcJv elç tÔv vaôv xoù xupiou,
xal Tcâv xo ttA-^Qo; 'ov xoù Xaoû
A. LoisY. — L'Evangile selon Luc. .5
66 l'évangile selon luc
7T;pocreu^6jj.evov e^to t^ copa tou Oup-iàpiato;.
Les deux premiers chapitres se Usent en stropliesde huit ligne»
(les exceptions sont dues principalement à l'intrusion des can-
tiques et aux autres additions pratiquées dans le récit). Dans ces
deux J3remières strophes on peut voir que la coupe des lignes
adoptée ici dans la transcription est conforme au sens, à la
distribution des membres dans la phrase, à une sorte de parallé-
lisme qui n'a pu être inconscient, à une certaine musique du dis-
cours à laquelle nécessairement contribuent tous les éléments
qui y sont entrés, les répétitions de mots qui font écho et
rime, enfin l'accentuation, surtout l'accent final qui donne le ton
à la ligne et par lequel se règle en quelque façon l'harmonie de
la strophe. On remarquera que, dans la première strophe, le
mot final de la ligne est accentué sur l' avant-dernière syllabe
ou l'antépénultième, sauf pour la deuxième etla troisième ligne,
terminés par des noms propres qui riment accentués sur la der-
nière syllabe. Dans la seconde strophe le mot final des deux
premières lignes et de la cinquième est accentué sur la der-
nière syllabe ; pour les autres lignes, l'accent du mot final est
sur la pénultième et l'antépénultième. Assurément les mots ne
peuvent qu'être accentués de manière ou d'autre, mais la corres-
pondance des mêmes accents dans les finales de ligne n'est pas
un effet du hasard.
Autre modulation ; le récit de la tempête apaisée (vm, aa-aô)..
'EysvsTO oè èv ^iq. twv TifAspwv
xal &ÙTÔÇ svÉpv] eiç ttAoIov xal ol p-aOrixal aÙTOÛ,
xal sItîsv TTpoç auToûç"
8!.éXôto[ji.£V elç xh Tcepàv T/iç XL[i.VTiç'
xal àvvi^ÔTiarav.
liXeôvrcov Se auTÛv àouTcvaxTev.
xal nàxe^f] kaXka^ ayé^no elç Trjv XLpivyjY,.
xal aruveTrXïjpoijVTO xal sxwSûvsuov.
TrpouîXOôvTsç Se S!.7iY£!.pav auTOV XéyovTEÇ'
' £TC!.(TTàTa ÈTCLOTàta, àTCoXXup.£8a.
'0 Se S'-eyspOsU eiieTrlaTiiTev toS àvéjjtoy.
INTRODUCTION 67
xal T(o xAÛSo^v!, Toù uSaTO:;
xal ETraucav-o, xal èvévsTO yaA'/îv/].
ëItcev Se auTO^;;-
TtOtJ '^1 Trîff-'.^ U[J.â)V ;
XéyovTSç TTpôç cfXX'/iXooç-
tLç àpa OUTO; £<7-!.V,
OTi. xal Tolç àv£!J.o'.<; STCLTao-ffS!. xal Tw uSaT'-,
xal U7caxououcr!.v auTÔ) ;
Nul sans doute ne contestera l'existence de ces cinq petits
couplets si régulièrement découpés et cadencés. Mais il importe
d'y comparer les couplets de Marc (iv, 35-4i) dont ils procèdent t
Kal A£Y£'. auToIç Iv Èxsiv^j t^ '^ip-sp'? otiiiaç Y£VO[j.Évyi;'
8L£A6a)p.£V £lî tô Tzépay.
xal «.©Éy-Eç tÔv oyXoy
TcapaXaij.jSàvouo'i.v auTÔv to; '/[V £V tû tcaoLw.
Kal àXXa TrAola y^v p.ET'aÙToû
xal yivETat. XalAal [AsyàXTi àvÉjj.ou
xal Ta x6[;.aTa ETcé^aAÀEV eIç vô TrXowv",
waTE '/iSy; y£[j.lÇEar9a!. to tîXowv.
Kal aÙTOç yJv ev Tfi Trpuav^i
ETtl tÔ Trpoo'XECûàXai.ov xaOEuScov
xal EyELpouo-iv auTÔv xal AÉyouo-tv auvw"
SlSâo-xa^E, où P-éXe!. aroi oxi aTroÀXûuEÔa ;
Kal BtEyEpOElç £7rE-ûllX7)<7£V TW àv£ij.w
xaL sItcev t^j 9aXàcra-Yi-
aLtOTua, 7:EœL|j.(oc70.
xal £xÔ7î:a(TEV 6 àveuioç,
xal ÈyÉVETO yaXvivYi fj.ÊyàXYi.
Kal eIttev aÙToïs"
tÎ 8ei.XoL eo-te ;
OUTTO) tyz-zz 7Ûcrc!.v ;
Kal Eœoj3ïî07i<7av coô^ov asyav,
xal É'XEyov Tcpoç àXXviXouç'
riç apa oSroç saxiv
oTi. xal àvEp.0^ xal tj OàXacra-a UTraxoûe!, aû-rq) ;
68 l'évangile selon luc
Marc a six couplets de quatre lignes (le quatrième a cinq
lig'nes, mais le cinquième n'en a que trois, par compensation),
tous commençant par un y.cf.i, d'un style moins coulant que
ceux de Luc, mais rythmés pourtant et régulièrement. C'est
que le rythme spécial de nos récits n'est point une recherche
d'élégance littéraire, mais la forme naturelle de semblables
compositionsr Celte forme n'est pas celle qu'on attendrait pour
de simples souvenirs historiques, même populaires. C'est une
façon dé cantilène qui convient à des récits faits pour être
lus publiquement, déclamés, chantés, comme expression et
stimulant de la foi. Luc assouplit le rythme et la modulation,
il n'abandonne pas le type de déclamation déjà consacré par
l'usage chrétien. Matthieu a fait de môme. 11 y avait un type de
style évangélique dont le quatrième évangile ne s'est pas non
plus écarté. Ce type n'était pas proprement évangélique, puis-
qu'il se rencontre aussi dans les épîtres. Type de style religieux
que le chris,tianisme n'a pas inventé, mais qu'il n'a pas davan-
tage emprunté à la littérature profane de l'hellénisme.
On le trouve employé dans les paraboles aussi bien que dans
la rédaction des sentences évangéliques. Voici la parabole du
Samaritain (x, 3o-35) ;
"AvGptOTTÔ: T'.; xaTÉpa'-vsv c/.Tto 'l£poU(TaA'À|[x elç 'lepsî.^tjj,
o'i xal ÈxSûaavrsç auTOV xal TzA'/iràç è7ci.9évTSç
à7r-/|Af)ov àocVTs; Tiu'.Bav?i.
lia-zà o-'jvxupiav os Uosû; v!.; y.axé^c/.'.yv^ sw/) 68w sxstVTi,
xal loio'^ aÙTOv àvt'.TrapfiXSsv.
6jj.0La); oï xal AîueIt/i;
xatà tÔv tÔttov saBwv xal loioy àvT!.7iap-/iX9£V.
Sajj.ap£lTrj; oé v.; oSsùwv
^ 'PiXOev xa-r'aÙTOV xal locoy sa-TrAay^vlo-Bvi,
xal TcpoasXGwv xaT£o-/ia-ev Ta TpaûjjiaTa aÙTOU
kmyj(i)-^ sAaiov xal olvov,
s.Tîi^â'jaq Se aÙTOV £7rl to loiov xr/i'^oç
•/lyaysv aùrôv £l; TravSoyswv xal £tc£[;.£)x-/]8y) aùxoCÎ.
Ka.i cTC'. rciv aupt,ov
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INTRODUCTION 09
%aX EOTEV E7;'.[J.£AYjU-/^T'. y.'JTO'J,
\ ri
eyco £VTw ÈTravépyeo'Oaî as àTLOotôa-fo (70',.
Quatre slophes régulières, dont deux de quatre lignes et deux
de six lignes, avec la môme cadence rythmique des finales, et
des assonances ou des répétitions de mots qui ont été voulues.
A vrai dire, le recueil passablement incohérent de récils et de
discours qui constitue le troisième évangile, et aussi bien les
Irois autres, n'est pas, même dans la forme, une relation propre-
ment historique de faits et d'enseignements. Tout cela chante
la gloire du Seigneur Christ, et c'est le poème de la foi.
Le texte de Luc a été conservé dans les mômes conditions
que celui des autres évangiles, et, s'il présente des varianl( s
dans les anciens témoins, ces variantes sont généralement de
médiocre importance (la plus considérable est celle de xxii,
43-44i l6 passage concernant l'apparition de l'ange dans le jar-
din de Gelhsémani, et la sueur de sang ; car on ne peut pas
regarder comme vraiment importante celle qui concerne l'attri-
bution du Magnificat). De ce livre, comme des autres livres du
Nouveau Testament, l'on peut dire que le texte en a été assez
fidèlement gardé depuis la fixation du canon évangélique ; quant
à la conservation du texte antérieurement à la fixation du canon,
ce n'est pas question où il y ait lieu de s'arrêter ; car le travail
de rédaction, pour les deux derniers évangiles, si ce n'est aussi
pour les deux premiers, ne s'achève que très peu d'années avant
la fixation du canon, à moins qu'il n'ait été en coordination
directe avec cette fixation même.
Si l'hypothèse de F, Blass touchant une double rédaction des
Actes par Luc lui-même a trouvé quelque crédit {voiv Actes, 126),
celle d'une double édition de l'évangile a rencontré moins de
faveur. Une première rédaction,, d'où procéderait le texte dit
oriental, aurait été écrite par Luc pendant la captivité de Paul à
Césarée ; la seconde rédaction, d'où procéderait le texte dit
occidental, iaurait été faite ultérieurement par l'évangélisle pour
les fidèles de Rome. Pour les Actes, au contraire, l'édition
romaine serait primitive, et une copie corrigée aurait été adressée
70 l'évangile selon luc
plus tard à Théophile, noble antiochien, de laquelle viendrait
le texte oriental. Outre que la reconstitution de ces deux arché-
types (Jï^can.^e/iHm secundum Liicam^swe Lucae ad Theophilum
liber prlor, secundum Jormam qiiae videtur romanam,i8Q'j ;
Acta apostolorum secundum Jormam quae videtur romanam
1896) peut en maint détail prêter à discussion, la thèse paraît
indéfendable, particulièrement en ce qui regarde l'évangile, où
les singularités du manuscrit D (codex Bezae), le principal
témoin du texte dit occidental, ne se recommandent pas à la
considération des critiques (cf -. Nestle-von- Dobsghutz, Elnfûh-
ruhg'in das Griechische Neue Testament, 28-29, 74 5 Lagrange,
intr. GLii-GLiv).
Ont commenté l'évangile de Luc : Origène (trente-neuf homé-
lies, assez courtes, .conservées dans la traduction de Jérôme),
Eusèbede Césarée, Cyrille d'Alexandrie, Théophylacte, Euthy-
mius. Zigabenus (à ces commentaires on peut ajouter les
« chaînes » Caienae in ev. s. Lucœ et s, Johannis, éditées par
Cramer, 1841) ; parmi les Latins Ambroise et Bède le Véné-
rable. Plus récemment Gajétan {In quatuor emng-elia, i556),
Maldonat {Comment, in quatuor evangelistas, 1622). Commen-
taires catholiques des derniers temps : Schanz {Lucas, i883), Kna-
benbauer {Ev. sec. Lucam, 1899), Fillion [La Sainte Bible, VII,
1901), Lagrange {supr. cit., p; 11 ; 1921). Critiques protestants :
Godet {Comm. sur l'év. de s. Luc, t87I,*i888), Holtzmann {Die
Synoptiker, '1901), Plummer (yi crt7. a. exeg. Commentary on
tke Gospel according s. Luke, "1901), B. Weiss {Die Evang . des
Markus u. Lukas, 9° éd. du Kritisch-cxegelischer Kommentar de"
Meyer, 1901), J. Weiss(8eéd. du même commentaire, 1892 ; Das
Lukasevangelium, dans Die Schriften des Neuen Testaments,
1907) ; Wellhausen {Das Ei\ Lucae, supr. cit., p. 18), Zahn
{Lukas, 1913), Kloslermann {Lukas, 1919).
L'ÉVANGILE SELON LUC
1 Puisque plusieurs ont entrepris de composer récit
touchant les faits accomplis parmi nous,
I. — Le prologue
La belle phrase classique par laquelle l'auteur des livres à Théo-
phile inaugure son œuvre est la seule de ce genre qui existe dans tout
l'évangile. Elle ne pouvait manquer d'être conçue et i-édigée d'après
un type convenxi, et l'on a pu signaler, en effet, l'étroite ressemblance
qu'elle présente, pour la forme, avec le prologue du traité Demateria
medica de Dioscorides. Il serait tout à fait risqué d'en conclure que le
médecin Luc a imité Dioscorides, car celui-ci aussi bien s'est conformé
à l'usage et au type reçus, n'étant certainement pas le seul écrivain
de ce temps qui ait, en semblable occasion, parlé de ceux qui l'avaient
précédé, du soin qu'il avait mis à composer son œuvre, et dé la
méthode qu'il avait suivie (voir nombreux exemples dans Klostbr-
MANN, 36i-362). Cette préface range dans la catégorie des œuvres
personnelles l'ouvrage qu'elle introduit ; elle en fait ou tend à en
faire un livre de type hellénique, au lieu d'un écrit impersonnel à
l'ancienne manière juive, comme sont les deux premiers évangiles et,
jusqu'à un certain point, le quatrième. Cependant ni le troisième
évangile, tel qu'il est, ni les Actes ne répondent précisément au pro-
gramme indiqué ; et il est évident, pour ce qui est de l'évangile, que
les procédés suivis par son rédacteur ne diffèrent pas sensiblement
de ceux dont usent les rédacteurs des deux premiers évangiles. Mais
la question, nous le savons, est de voir si l'évangile n'a pas été rema-
nié à fond, comme l'ont été les Af tes, et avec quelque détriment de
leur valeur historique .
On admet volontiers que notre prologue ne vise que l'évangile et
non les Actes. Il est vrai pourtant que l'auteur n'a pas, à proprement
jparler, de préface distincte pour les Actes ; il désigne nettement ce
72 LUC, I, 4
livre, dans le préambule (Act. t, i), comme le second chapitre ou laj.
seconde parlie d'un ouvrage qui comportait au moins deux de ces-
parties ; et l'objet de la première, qui est rappelé au commencement
delà seconde, à savoir « tout ce que Jésus s'est mis à faire et ensei-
gné », ne semble pas être l'ensemble que l'auteur du prologue avait
en vue dans« les clioses accomplies parmi nous ». On pourrait même
trouver qu'une désignation aussi générale ne convient pas du lout
à l'évangile indépendamment d'un récit décrivant la fondation du
christianisme (cf. Cadbury, /J96 ; Klosïermann, 362 ; E, Meyeu, 1,
II). Le propos est naturel, si l'auteur, écrivant à Rome, a l'intention de
mener sa relation jusqu'au point où le lecteur chrétien peut s'orien-
ter par lui-même dans l'histoire de la communauté, mettons la mort
de Paul et la persécution de pJéron. On doit se rappeler que les con-
ditions matérielles de rédaction exigeaient que l'on répartît en plu-
sieurs rouleaux une œuvre un peu étendue, et que les deux livres à
Théophile ne-sont pas deux écrits séparés, mais un seul écrit en deux
volumes ; la référence au premier volume, en commençant le second,
et larépétilion de l'adresse au patron sont conformes à la coutume du
temps ("voir sur ce point Gadbuky, dans Jackson-Lake, The Acts of
the Aposiles, Prolegomena, II, /^Qi).
« Comme plusieurs ont essayé », — le mot (ÈTte'/et'pridav) n'implique
aucun blâme, car l'auteur aussi « essaie » — «de composer une rela-
tion des choses accomplies parmi nous ». — Luc justifie son entre-
prise par l'exemple de ceux qui l'ont précédé, et qui n'étaient pas
mieux placés que lui pour la tenter. Il existait donc alors un certain
nombre d'écrits sur le sujet que traite notre auteur, c'est-à-dire Jésus
et les commencements de la prédication apostolique. Gomme les
Actes dits apocryphes sont certainement plus récents, et que Luc n'a
connu ni Matthieu, ni Jean, que môme on peut sérieusement douter
qu'il ait connu Marc dans sa forme traditionnelle, il faut dire que
cette littérature, dont on aurait tort de s'exagérer l'abondance, a péri
presque tout entière (le TToXXoi, comme ÈTte'/et'p'/itrav, est dans le- style
convenu des préfaces ; cf. Cadbury, 492 ; 'rt£7iX'f,<pop7i[/.év(ov esta tra-
duire : « accomplies », et non « attestées » ; le mot a plus de sonorité
mais pas d'autre sens que Tie7;XYip())|j.£va)v). Il est impossible d'en, pré-
juger le caractère et la valeur. Luc, du moins, n'en était pas pleine-
ment satisfait, et, d'après le programme qu'il s'est tracé à lui-même,
on peut conjecturer que ces éci'its manquaient d'ordre, les auteurs
étant sans doute assez inexpérimentés, ce qui n'a lieu d'étonner, et
que leur information ne présentait pas toujours toutes les garanties-
désirables, ce qui serait plus grave, mais pas plus surprenant.
LUC, I, 2 73
^ d'après ce que nous ont Iransmis ceux qui furent dès l'abord
[lémoins et ministres de la parole,
Ces écrivains connus de Luc se trouvaient, par rapport aux faits,
dans les mômes conditions que lui-même ; ils racontaient — « d'après
ce que nous ont transmis », — à nous tous croyants, — « ceux qui ont
été depuis le commencement témoins oculaires et» — sont devenus
ensuite — « ministres de la parole ». — Ce sont les mêmes qiii ont
été « depuis le commencement témoins oculaires » de certaines choses
accomplies, et qui sontdevenus « ministi-es de la parole», c'est-à-dire
de la catéchèse chrétienne, qui a pour objet ces faits salutaires. Le
rappel du « commencenent » assitçne comme objet premier du
témoignag-e oculaire l'apparition du Christ, dont ces personnes ont été
favorisées ; et ce n'est pas « dès le commencement» que ces témoins
sont « devenus ministres de la parole ». Maip ils le sont devenus
quand ils ont prêché le Christ ressuscité. A la vérité, l'auteur sem-
blerait dire que les garants de l'Evangile en sont devenus en même
temps les témoins et les ministres (dans o[ k-n'apyriç aÙTÔuxa'. xa>. bTcr^pi-
Tat 7£vô[/,Evoc Tou Xô-you, l'article o[ gouverne tout ce qui suit), et cela
« dès le commencement » (cf. Gadbuuy, 498); mais ce doit être par un
flottement de la perspective, où le ministère de Jésus se confond avec
les débuts de la prédication apostolique, le tout formant le commen-
cement du christianisme (cf. Phil iv, i5). En toute rigueur de lan-
gage, le «commencement » serait la manifestation du Christ à partir
de son baptême, comme l'entend la rédaction des Actes (i, -ii-aa ; x,
36-37 ; 39-42 ; cf. Le. m, i-a, 23), et en tous cas le début de son minis-
tère public. Ces témoins n'ont pas écrit ; les historiens antérieurs à
Luc et Luc lui-même ont écrit d'après eux. Ainsi Luc, qui connaît
des relations évangéliques, n'en connaît aucune sous le nom de Mat-
thieu(Ttap£ooffav n'est pas exclusif de communication éci'ite, mais l'au-
teur paraît connaître les « témoins » comme « ministres » et non
comme rédacteurs de la parole). Les « choses accomplies » ne s'iden-
tifient pas avec « la parole » ; celle-ci est le message apostolique tou-
chant le Christ ; de la parole, en tant que message de Jésus et élément
premier des « choses accomplies »,ni noti-e auteur ni les autres évan-
gélistes n'ont été témoins ; mais de la prédication elle-même, delà fon-
dation des premières communautés, lui et d'autres ont été témoins.
Le témoignage apostolique a été oral; c'est de ce témoignage que Luc
prétend dépendi'e, non des écrivains antérieurs, qui en dépendent
également ; mais, si l'on en jugeait par la forme traditionnelle du
74 LUC, I, 3
•j'ai trouvé bon, moi aussi, qui dès longtemps ai suivi tout
[avec soin,
de l'écrire continûment pour toi, excellent ThéophilCj -
ti'oisième évangile, on devrait penser que, nonobstantce que l'auteur
•dit de ses informations et recherches personnelles, le livre a été,
pour le principal, compilé de sources antérieures, au premier rang
desquelles on doit compter le second évangile. Mais, si le premier
livre de Luc avait été refondu aussi profondément que l'a été le
second, il ne subsisterait qu'une faible partie de son ceuvre, et l'on
ne saurait dire si l'exécution ne répondait pas au programme annoncé .
D'api'ès les débris qui en subsistent dans les Actes, on peut affirmer
que ce dernier livi'e était vraiment une histoire exacte et bien ordon-
née, fondéesur des renseignements de première main. On doit, semble-
t-il, admettre que Luc ne fut pas en mesure d'être aussi solidement
informé pour l'évangile; qu'il a dû utiliser des documents écrits,
notamment le document fondamental de Marc, et que sa foi aura
davantage influencé son récit; mais on peut être assuré que son livre
•évangélique ne ressemblait que d'assez loin à la compilation quelque
peu incohérente et passablement tendancieuse qui nous est parvenue
soùs son nom.
« J'ai trouvé bon, moi aussi, qui dès longtemps ai suivi tout avec
soin». — La personne de l'évangéliste s'efface derrière le grand objet
qu'il donne à son activité littéraire, et derrière les hommes aposto-
liques, témoins du fait chrétien. Cjue l'on soit en présence d'undisciple
des apôtres, d'un compagnon de Paul, d'un homme qui a dû connaître
personnellement Pierre et d'autres disciples de Jésus, le pi'ologue
ne permettrait pas de l'affirmer avec certitude. Mais le « nous » des
Actes danslesparties primitives de ce livre autorise à ne pas entendre
uniquement d'un rapport médiat ce qui vient d'être dit des renseigne-
ments transmis par les témoins oculaires, et ce qui est dit maintenant
des investigations personnelles. Seulement la garantie .vaut pour le
livre que Luc avait écrit, non pour celui qui nous est parvenu sous
son nom. Du reste, Luc n'avait pas motif d'insister sur ses rapports
avec les disciples immédiats de Jésus, rapports qui n'ont été que
transitoires ; car Barnabe, qu'il a pu connaître plus longuement à
Antioche, était unjuif helléniste converti après la passion; Luc n'a fait
que passer à Jérusalem avec Paul dans son dernier voyage, et rien ne
prouve qu'il ait rencontré Pierre à Rome. C'est pourquoi, en disant
•<( nous )>, il ne fait pas difficulté de s'assimiler aux chrétiens de sa
LUC, I, 4 . 75
■* afin que tu connaisses la vérité sur ce dont tu a été instruit.
■génération, dont la plupart n'avaient connu aucun disciple immédiat
du Christ, et il se désigne simplement comme un de ces fidèles qui,
depuis lafin de l'âge apostolique, se préoccupaient de fournir à leurs
frères les rudiments d'histoire évangélique dont on sentait le besoin.
Caria génération apostolique semble avoir disparu tout entière, mais
ceux qui l'ont connue sont encore nombreux; ainsi notre prologue
n'a pu être écrit avant l'an 70, ni longtemps après l'an 80.
Luc a « suivi de bonne heure et très attentivement tout » ce qu'il
■se propose de raconter. Gomme il s'agit des « choses » (itatriv s'entend
de tout ce que Luc se propose d'écrire, sans se rapporter nécessaire-
ment à Trpày|j.âTuv, V. i ; mais ce mot né vise ni les évangélistes plus
anciens ni les témoins apostoliques, bien que, dans l'antiquité, on
l'ait volontiers compins de ces derniers ; cf. Gadbury, 5o3)j le mdt
« suivre » (Ttocp-^xisXouÔTixÔTi) doit être pris dans un sens métaphorique:
application continue à l'observation des faits dont il s'agit, soit que
l'observation ait porté sur des témoignages oraux ouécrits, soit qu'elle
ait porté directement sur les faits . L'un n'exclut pas l'autre, et l'em-
ploi de ce mot n'oblige pas à penser que les faits racontés par l'auteur
comme témoin dans les Actes ne pourraient être ici visés. On peut
hésiter à rappoi'ter l'adverbe « de haut » (àvwOev) aux choses à racon-
ter ou bien aux observations de l'auteur (le sens : « de nouveau»,
possible en soi, ne convient point ici) ; le premier sens, équivalant à:
« dès le commencement », contiendrait une indication superflue ;
le second, équivalant à : « depuis longtemps »(cf, Act.xxvi, 4-5, qui
associe de même les deux mots), se recommande comme qualifiant de
façon appropriée l'action de suivre, la préparation de l'auteur
(Laghangb, 6), et s'accorde aussi bien avec le second adverbe : « soi-
gneusement » (àHoi^wç). L'auteur se flatterait d'avoir observé dès
longtemps et minutieusement le développement de l'histoire qu'il
voulait raconter ; il croit pouvoir faire plus et mieux que ses devan-
ciers.
Et il dit son but : — « J'ai trouvé bon. . . d'écrire avec suite », —
c'est-à-dire en bon ordre, non précisément avec un souci particulier de
l'exactitude chronologique ou de la connexionlogique, - « pour toi » —
toute cette histoire, — « excellent Théophile, afin que tu connaisses
la vérité sur ce dont tu as été instruit ». — Un lecteur intelligent
apprendra de son livre sur quoi se fonde la catéchèse chrétienne.
L'objet de celle-ci ne se confond pas avec l'objet du livre ; le livre
76 LUC, I, 4
prouve par les faits que la catéchèse n'est pas un enseignement en
l'air. Luc du moins l'estime ainsi. Le mot (i certitude » (tyjv àaepâXetav)
vient à la fin de la phrase, mais c'est peut-être moins pour le relief
de l'idée que pour la cadence rythmique (remarque de Gadbtjry,
5io, qui compare avec raison la structure un peu singulière du
V. 2 ; mais il ne s'agit pas d'un i-ylhme « inconscient »). Du reste,
l'auteur n'entend pas fournir une démonstration de la foi chrétienne,
mais dire au vraf ce qu'a été le point de départ du christianisme. La
dédicace à Théophile n'exprime qu'indirectement une intention apo-
logétique. Il va sans dire que le verbe (xqi.07i)jy|6t|ç) n'est pas à entendre
de ce qui fut plus tard l'instruction clirétienneducatéchuménat, mais
d'une simple information (Gadbury, Sog, où il est dit avec raison que
Xoycov, au V. 4> vise en tant qu'objet de rapports vrais ou faux les faits
qui, en tant qu'événements, sontdésignés par Trpayp.aTwv, au v. i. La
structure logique et rythmique de la phrase confirme celte correspon'
dance).
On ne sait qui était le Théophile à qui va la dédicace. Luc n'écrivait
pas pour un seul lecteur; mais il a pu écrire à l'instigation de ce
Théophile, que l'épithèle à lui attribuée (xpaxîffxe; cf. Act. xxiii, a6,
XXIV, 3; XXVI, 25) inviterait à regarder comme un personnage assez
haut placé, qu'on n'est pas obligé de supposer dans un rang officiel
/cf. Gadbury, 5o6), et impossible d'ailleurs à identifier (Renan, Evan-
giles, 256, pensait à « un des Clemens )),'parent de Domitien). Cette
épithète honorifique conviendrait peu à une personnaUté fictive,^ au
chrétien idéal; et le nom, d'ailleurs, était assez commun. 11 n'y a pas
motif pour que le Tbéophile de Luc soit moins réel que les person-
nages mentionnés parles écrivains de ce temps dans leurs dédicaces ;^.
il n'est même pas vraisemblable que le nom soit une faconde pseudo-
nyme symbolique, attendu que, si l'évangéliste avait pu craindre de
compromettre quelqu'un, il aurait plutôt pris le parti de ne dédier
son livre à personne. La position de Théophile à l'égard du christia-
nisme n'est pas autrement facile à déterminer : l'ensemble de la
dédicace inviterait plutôt à supposer qu'il n'est pas chrétien, mais
qu'il témoigne au christianisme un certain intérêt de curiosité bien-
veillante ; on a fait valoir avec raison que l'épithète honorifique
(xp(y.Ti(TT£) n'aurait pas été employée envers un frère dans la foi ; mais
l'absence de cette épithète audébut des Actes n'a aucune signification,
et il serait arbitiaire d'en inférer (avec Zahn, Ëinleitung; II, 359,
384) que Théophile a été baptisé entre la publication de l'évangile et.
celle des Actes ; riiypothèse serait d'autant moins recevable que les
deux livres à Théophile ont dû être conçus et publiés en même temps.
LUC, r, b 77
'Il élait, aux jours d'Hérode, roi de Judée,
un prêtre nommé Zacharie, de la classe d'Abia,
et il avait une femme, des filles d'Aaron,
dont lé nom était Elisabeth.
(la notice de Clem. Recogn. x, 71, qui paraît concerner notre The'o-
phile et le fait vivre à Antioche, n'a pas grande chance d'être fondée
en tradition).
II. L'ANNONCIATION DE JeAN-BaPTISTB
Maintenant le « discours » que Luc avait consacré à l'œuvre de
Jésus commence par un récit de la naissance miraculeuse du Christ,
récit entièrement fictif, comme celui de Matthieu, et qui porte à peu
près en tous ses traits la marque évidente de son caractère. Ce début
ne laisse pas d'êti'e encore parallèle à celui de Marc, parce que la
naissance de Jean-Baptiste est aussi racontée en manière de prélude
à celle de Jésus, et que le Précurseur entre dans son rôle dès le sein
de sa mère. Comme dans le premier évangile, ces merveilles sont
censées advenues vers la fin du règne d'Hérode le Grand. L'auteur
imite la manière et le style de l'Ancien Testament dans les récits de
naissances miraculeuses. Ainsi se suivent, en tableaux presque idyl-
liques par comparaison aux récits plus sensiblement dogmatiques de
Matthieu, l'annonciation de Jean (i, 5-25), celle de Jésus (i, 26-38), la
visite de Marie à Elisabeth (i, 39-56), la naissance de Jean (i, 57-80),
.celle de Jésus (11, 1-20), la circoncision de celui-ci et sa présentation
au temple (ii, 21-36), l'anecdote de l'enfant Jésus parmi les docteurs
(u, 4o-.^2) .
« 11 y avait, dans les jours », — c'est-à-dire sous le règne — « d'Hé-
rode, roi de Judée», — le mot« Judée» désigne ici la Palestine (cf.iv, 44»
VI, 17; VII, 17 ; xxiii,3; Acrr. x, 37), — « un prêtre nommé Zacharie, de
la classe d'Abia », — . une des vingt-quatre familles entre lesquelles se
partageait la caste sacerdotale, et la huitième dans l'ordre de la
Chronique (I, xxiv, lo). L'auteur affecte une grande érudition dans
les matières du culte juif; mais ces connaissances ne semblent pas
être de première main ; elles ont été puisées librement dans la Bible. —
« Et sa femme, des filles d'Aaron, avait nom Elisabeth. » — Miriam
(Mai'ie) est le nom de la sœur de Moïse, Elishéba (Elisabeth) celui de
la femme d'Aaron (Ex. vi, 23). Le nom de la mèi-c de Jésus a pu
78 ' , LUC, I, 6-9
• Or ils étaient justes tous deux, devant Dieu marchant,
selon les commandements et préceptes du Seigneur, san»
[reproche.
' Et ils n'avaient pas d'enfant, parce qu'Elisabeth était stérile ;
et tous deux étaient avancés en âge.
^ Or advint, comme il était de service,
au tour de sa classe, devant Dieu,
* que, selon la règle de la liturgie, il lui échut d'offrir l'encens^
suggérer celui de la mère de Jean. En rattachant celle-ci à la race
d'Aaron, l'on n'aura probablement pas voulu dii*e qu'elle fût issue
d'une simple classe comme celle d'Abia, mais qu'elle appartenait à
la lignée des grands-prêtres: par là on s'est proposé de rehausser
les origines de Jeàn-Baptiste, et aussi de faire valoir la descendance
pontificale du Christ ; car on a eu soin de dire (i, 36) que Marie
était la cousine d'Elisabeth. Les simples prêtres, dont était Zacharie,
avaient le droit de prendre femme en dehors de leur tribu. — « Or,
ils étaient justes tous deux devant Dieu », — comme jadis Noé
(GEisi. VII, i), — « suivant sans reproche », — comme Abraham
(Gen. XVII, I, Sept.), — «tous les commandements et pi'éceples du
Seigneur ». — Les deux mots: « commandements » (âvToXai) et « obser-
vances » (Btxatwjxaxa), ne sont pas pour signifier le grand nombi'e
des prescriptions, mais pour l'ampleur rythmique de la phrase (le
rythme paraît exiger que l'on construise : « ils étaient justes tous deux,,
devant Dieu marchant, dans » la pratique de « tous les commande-
ments... irréprochables », à[i.£jj.7tToi correspondant en fin de ligne à
TTopsuop-Evot). — « Et ils n'avaient pas d'enfant, parce qu'Elisabeth », —
comme les saintes femmes Sara, Rébecca, la mère de Samuel, — « était
stérile, et tous deux étaient avancés en âge »,— en sorte qu'ils n'avaient
plus espoir de postérité : ainsi en était- il d'Abraham et de Sai'a, lorsque
Dieu leur donna Isaac ((jen. xviii, ii).
« Or il advint, comme » — Zacharie — « était de service, au tour
de sa classe, devant Dieu », — d'après le roulement qui amenait au
temple successivement toutes les familles sacerdotales (sur le sens
du mot àcûTiptepia, voir Lagrange, g), — « qu'il fut selon le règle du
service divin», — les fonctions que les prêtres avaient à remplir étant
attribuées par le sort chaque jour, — « désigné par le sort pour offrir
l'encens». — Il s'agit de l'encensement, c'est-à-dire du renouvelle-
ment de la braise et des parfums, qui se pratiquait matin et soir, au
moment du sacrifice, dans l'intérieur du temple, sur le petit autel
LUC, I, 10-12 79-
entrant dans le sanctuaire du Seigneur.
1° Et toute la foule du peuple était (là),
priant dehors, à l'heure de l'encensement.
" Et lui apparut un ange de Seigneur,
qui se tenait à droite de l'autel de l'encensement.
'^^Et Zacharie fut troublé en le voyant,
et crainte tomba sur lui ;
qui était placé devant le Saint des saints. D'après la tradition juive,,
le prêtre chargé de cet office n'entrait pas seul dans le temple, les-
prétres désignes pour la purification de l'autel et le soin des lampes
assistant à l'encensement ; mais Zacharie est censé pénétrer sans
acolyte dans le sanctuaire, comme le grand-prêtre y pénétrait seul
le jour de la grande expiation: ce qui a fait suj)poser très gratuite-
ment à quelques-ims (Prot. Jac. viii; Augustin, m Jo. XLIX, aj) que
Zachai'ie était grand-prêtre. — « Entrant dans le sanctuaire du Sei-
gneur ». — 11 faut entendre que, cette fonction liturgique lui étant
échue, Zacharie était entré eff'ectivement dans le sanctuaire pour
la remplir, comme il est supposé par la suite du récit (mais si l'auteur
a écrit: 'éXa'/e tou Oup.tauQ» eltreXOwv xtX, et non Xa^wv... elcrjXôs, c'est
moins par sémitisme que pour la coupe rythmique de la phrase). —
« Et toute l'assemblée du peuple était à prier dehors », — le sacri-
fice proprement dit s'accomplissant en plein air, et le peuple y assis-
tant dans le parvis, — « à l'heure de l'encensement », ^- pendant
que Zacharie offrait l'encens dans le temple. Le matin, cette céré-
monie avait lieu avant, et le soir, après l'holocauste bi-quotidien.
Comme l'acte rituel est mis ici en relation avec le tirage au sort, on
pourrait supposer qu'il s'agit du sacrifice matinal ; mais, si le narrateur
a songé à distinguer les deux sacrifices, le passage de Daniel (ix, 21)
qu'il imite en cet endi'oit indiquerait de préférence le sacx*ifice du
soir (touchant l'association de la prière à la cérémonie de l'encense-
ment, cf. Ap. V, 8; vm, i, 3-4). — « Et », — pendant qu'il s'acquit-
tait de son ministère, ou plutôt quand il l'eut rempli, et avant qu'il
s'éloignât, — a un ange de Seigneur lui apparut. » — A la différence
de ceux de Matthieu qui parlent en songe à Joseph, les anges de Luc
se montrent aussi bien en plein j,our et s'adressent à des gens éveillés. —
tt Se tenant à droite de l'autel de l'encens ». — Cette place d'honneur
convient à la dignité du messager céleste; si l'indication était en rap-
port avec l'heureux présage qui va être donné à Zacharie, on aurait,
plutôt amené l'ange à la droite du prêtre .
« Et Zacharie fut troublé à sa vue,, et une crainte tomba sur lui ». —
80 LUC, I, 13-15
13 mais l'ange lui dit : « Ne crains pas, Zacharie,
parce que la prière a élé exaucée.
Ta femme Elisabeth t'enfantera un fils,
el lu l'appelleras du nom de Jean.
1* Et ce te sera joie et allégresse,
et de sa naissance plusieurs se réjouiront.
1^ Car 11 géra grand devant Seigneur ;
Ni vin ni liqueur il ne boira,
Le sentiment convient à la situation, mais les formules sont de l'An-
cien Testament (cf. Judith, xy, i ; Dan. viii, i-j ; x, ii ; Ex. xv, i6).
— « Mais l'ange lui dit : « N'aie pas peur, Zacharie, parce que ta
prière a été exaucée ». — Ainsi parle-t-il déjà dans Daniel (x.ia) ;
mais ici aucune prière de Zacharie n'a été préalablement rapportée ;
on ne peut guère supposer que le vieux Zacharie prie encore mainte-
nant pour avoir des enfants, ni que l'acte liturgique accompli par
le prêtre soit compris comme une prière à laquelle Gabriel
apporterait la réponse de Dieu ; l'allusion va plutôt aux prières que
Zacharie est censé avoir faites longtemps pour avoir postérité ; mais
l'équilibre delà mise en scène laisse à désirer. — « Ta femme Eli-
sabeth t'enfantera un fils, et tu l'appelleras du nom de Jean». —
lochanan, (i le Seigneur est propice ». Cette naissance est annoncée
comme autrefois celle d'Isaac (Gen. xvi, ii ; xvu, 19). Le nom con-
vient à la circonstance de l'exaucement, aussi au rôle de l'homme qui
doit préparer l'avènement du règne de Dieu ; mais on dirait que le
narrateur ne connaît pas cette étymologie et qu'ii ne soupçonne pas
davantage le rapport qui y est impliqué. — «Hy aura pour toi joie et
allégresse », — d'avoir un fds, et un tel fils, — « et plusieurs se réjoui-
ront de sa naissance », — ce qui sera un présage de sa grandeur
future (i, 58, 65-66). Il est probable, d'ailleurs, que le narrateur
entrevoit, derrière les voisins dont il sera parlé bientôt, tous ceux qui
auront à louer Dieu pour le ministère de Jean.
« Car » — il n'est pas appelé à continuer simplement la lignée des
l^rêtres d Abia, — «il sera grand devant Seigneur», — au jugement
de Dieu môme (rapport d'expression plutôt que d'idée avec Gen. x,
9). L'épithète caractérise l'éminence, non la nature du rôle attribué à
Jean : anticipation du jugement qui sera prononcé plus tard par Jésus
lui-même (vu, 28). — « 11 ne boira ni vin ni liqueur enivrante ». —
Il sera nazi'r, comme Samson (Jitg. xiii, 4» 7» i4) d'où vient la men-
tion du shékar, boisson fermentée, fabriquée avec deo grains ou des
LUC, I, 16-17 81
et d'Esprit saint il sera rempli dès le sein de sa mère;
^' beaucoup des fils d'Israël il ramènera à Seigneur leur Dieu.
^' C'est lui qui marchera devant lui avec l'esprit et la puissance
[d'Elie
pour ramener les cœurs des pères vers les enfants
•fruits, dont parle souvent l'Ancien Testament) — « et il sera rempli
d'Esprit saint dès le sein de sa mère ». — Ce qui pourrait s'entendre :
dès qu'il en sortira (l'auteur ne s'inspirant pas de Jér.i, 5). Ou bien :
•dès le sein même, y étant encore . Et ce dernier sens paraît imposé
par le texte (à raison de ext devant èx xoXi'aç) et la correspondance avec
le récit des Juges (cf. Jug. xiii, 5, 7, Sept.). Au surplus, Jean va pro-
phétiser (i, 4i) dans le sein d'Elisabeth. Il est sans doute oiseux de
discuter si Jean a été réellement nazir ; il est possible que l'auteur ait
voulu le faire entendre, sans avoir une idée bien nette de ce qu'était la
profession de nazirat dans les anciens temps Israélites; le fait qu'il ne
dit rien de la chevelure non coupée n'est pas un argument décisif en
-sens contraire (cf. Am. ir, 11-12) ; il a fort bien pu éviter le mot de
nazir tout en voulant désigner le nazirat, et sans mesurer la diffé-
rence que les commentateurs croient pouvoir établir enti'e les obser-
vances des anciens nazirs et ce que la tradition évangélique racontait
touchant l'existence de Jean au désert. En tous cas, il ne paraît pas
vouloir opposer (comme Eph. v, 18, allégué ici par Ki.osterma.nn, 368)
l'ivresse de l'Esprit à l'ivresse provoquée parla boisson.
« Il ramènera beaucoup des fils d'Israël à Seigneur leur Dieu » . —
L'ange annonciateur de Samson disait (Jug. xiii, 5) : «et c'est lui qui
commencera à sauver Israël de la main des Philistins ». — « Et lui-
mcme marchera devant lui )), — devant le Seigneur Dieu, — « en esprit
et puissance d'Elie », — la puissance miraculeuse dont était doué le
fameux prophète (Jn. x, 4i, n'est pas à considérer pour l'interpréta-
tion de Luc). La secte de Jean attribuait certainement des miracles à
son fondateur, et il se pourrait fort bien que le fond de la présente
légende lui ait été emprunté. L'on dit ici que Jean marchera devant
, Dieu : c'est ce que disait Malachie Cm, i), dans un passage que la
tradition chrétienne (Me. i, a ; Mt. xi, 10 ; Le. vu, 27) a modifié pour
i'entendre de Jean et de Jésus ; très probablement les sectateurs de
Jean l'entendaient, comme le suggère notre passage, de Jean-Elie,
précurseur de Dieu, On remarquera que notre évangile, à la diffé-
rence de Marc (ix:, i3), et dans le môme esprit que Matthieu (xi, i4),
s'abstient de dire que Jean est Elle (cl. Jn. 1, 21). — « Pour ramener
les cœurs dés pères vers les enfants », — les cœurs des pieux ancêtres
A. LoisY. — L'Évangile selon Luc. 6
m ' LUC I. 18-19
eL les rebelles au serUiment des justes,
pour piîépacer à Seigneu.» un peuple bien, disposé.
18 Et Zacliarie dit à l'ange: :
« A. quoi connaîtrai-je cela ?
Car je ^xxîa vieux,
et ma femme est avancée en âge. »
1^ Et répondant l'ange lui dit :
« Je suis Gabriel, l'assistant de Dieu,
xei's les enfants, ceux de La génération, présente qui. se sont montrés
indignes d'eux,. — « et les rebelles», — ces fils dégénérés, — « au senti-
ment des justes », — les pères dont on vient de parler,, — «pour pré-
parer », — moyexînant cette conversion des «.( rebelles » et leur récon-
ciliation avec les «justes», — « au Seigneur un peuple bien disposé»
— pour l'avènement de son règne.
Ce que la tradition évangélique disait de Jean se trouve ainsi
anticipé dans le discours de Gabriel. Et Gabriel, ne fait que paraphra-
ser le texte de Malachie (m, i, 28-24 '■> cl. Eggli. xlvui, 10) sur
lequel prétendait se fonder la tradition : « Voici que j'envoie mon
messager pour qu.'il prépai'e le chemin devant moi.... Voici, que je
vous envoie Elle le prophète, avant que survienne le grand et terrible
jour delahvé ; et il ramènera le cœur des pères vers, les lils, et le
cœur des fils vers les pères ». Malachie entend qu'Elie l'éconciliera
les pères avec, les enfants, qu'il rétablira la paix dans les familles, et
dans la société. Gabriel, c'est-à-dire l'évangéliste, paraît l'entendre
a,iltrement, mettant, à la fin du discoui's, les « l'ebelles » à la place
des « fils », les «justes » à la place des (( pères », et semblant, par là
vouloir identifier les « fils » avec la génération présente,, et les
<c pères » avec les saints d'autrefois, patriarches et prophètes. Le sens
de la prédiction devient moins net, ni les pères justes ni les enfants
rebelles ne formant des groupes clairement définis.
« Et Zacharie dit à l!ange : « A quoi connalti^ai-je cela ? » — Zacharie
est dans un lieu tro^j redoutable pour se mettre à, rix^e, comme jadis,
en pareil cas, Abraham et Sara; mais iLhésite à croire et il demande
un signe, comme le père des croyants quand lahvé lui promit, la
Palestine (Gen. xv, 8;ef.JuG.vi,36-37), comme Ezéchias.quand Isaïe lui
promit sa guérison (Il Rois„xx, 8-iJ.) ; il dit les raisons de^ son doute
dans le style de la Genèse (xvir, 17; xviii, 12) :. — « Gar je suis vieux,
et ma femme est avancée en âge ». — L'ange, pour faire valoir l'autor
rite de sa parole, décline ses nom et qualité. — « Et répondant., l'ange
lui dit : (c Je suis Gabriel », — éty mol ogiquement «.homme de Dieu »■
LUC, I, 20-22 83-
et j'ai reçu mission de te parler
et de t'annoncer cela.
20 Et lu vas être au silence et ne pouvant parler,
jusqu'au jour où arriveront ces choses,
parce que tu n'as pas cru à mes paroles,
qui s'accompliront en leur temps. »
^^ Cependant le peuple était à attendre Zacharie,
et l'on s'étonnait pendant qu'il s'attardait dans le sanctuaire;
. 22 mais, étant sorti, il ne pouvait leur parler,
(cf. JuG. XVII, 8-9), nommé dans le livre de Daniel (ix, 521, aS), —
« l'assistant de Dieu » — non un simple assistant, comme le commun
des esprits célestes, mais l'un des sept anges qui se tiennent devant
le trône de l'Eternel (Tob. xii, i5 ; cf. Ap. iv, 5). Zackarie aurait dû.
se rappeler qu'un m'cssaiger de Dieu mérite créance, et celui dont
il a paru mettre en doute la parole se trouve être le messager des
grandes- révélations. — « Et j'ai été envoyé te parler et t'annoncer
cette bonne nouvelle )) . — Pi'opos imités de Daniel (ix, 23). — « Et
tu vas être axi silence et sans pouvoir parler ». — Zacharie n'a pas
cru l'ange sur parole, et il! veut un signe ; il en aura un ; sa rencontre
avec l'ange va le rendire muet, comme Daniel (x, 15-17), mais pour
plus longtemps-. — « Jusqu'au jour où' arriveront ces choses, parce
qiwe tu n'as pas cru à mes paroles, qui», — message de Dieu,. —
« s'accompliront en leur temps ». — le signe demandé se tourne
en châtiment,, mais l'infirmité de Zacharie sera temporaire, et la
promesse ne laissera pas de se réaliser au temps marqué, comme
celle de l'ange à Abraham sous le chêne de Mamré (Gen. xvii, 21 ;
xviir,. i4)'. La suite (i, 22-, 62) montre que Zacharie ne sera j)as privé
seulement de la parole, mais aussi de l'ouïe : il sera sourd-muet (/cwooç.
Cf. vir, 2a). L'ange insiste sur la pi'ivation de l'a parole, parce qu'e
c'est Ite côté le plus apparent de la punition, et surtout iDarce que son
discours est influencé par Daniel [lac. cit.).
« Et le peuple' éHait à attendre: Zacharie », — parce quelacérémonie
de l'encensement ne durait pas longtemps, — « et l'on s'étonnaitqu'il
s'attardât dans le sanctuaire . Or, étant sorti, il ne pouvait leur par-
ler )) ; — il se trouvait incapable dire ce qui lui était arrivé. On
remarquera peut-être que la conversation n'avait pas été bien longue
et qiue le peuple' avait été un peu prompt à s'étonner ; il y a aussi
quelque naïveté à supposer que Zacharie sortant n'aurait rien de
mieux à faire que de raconter aux assistantls son aventure . — « Et ils
84 LUC, I. 23-25
et ils comprirent qu'il avait eu vision daps le sanctuaire.
Et lui leur faisait des signes,
et il resta muet.
*3 Et quand furent accomplis ses jours de service,
il s'en alla dans sa maison.
^* Mais, après ces jours,
Elisabeth sa femme conçut ;
et elle se cacha cinq mois, disant:
^^ «Ainsi m'a fait Seigneui;',
dans les jours où il lui a plu
d'enlever mon opprobre parmi les hommes, »
comprirent qu'il avait eu une vision dans le sanctuaire ». — Le
peuple raisonne conformément à l'idée qui se traduit dans la scène de
Daniel (supr. cit) : on sait que, dans l'Ancien Testament, l'apparition
de Dieu ou d'un ange pouvait être mortelle (cf.JuG. vi, 23). — «Et lui
leur faisait des signes », — soitpour expliquer le fait, soit simplement
pour faire entendre qu'il ne pouvait parler, — « et il resta muet », —
comme l'avait dit Gabriel. L'usage étant que les prêtres, au nombre
de cinq, qui étaient entrés dans le sanctuaire pour l'encensement,
donnassent une bénédiction au peuple en sortant, l'on suppose volon-
tiers que le mutisme de Zacharie apparaît en ce qu'il ne peut dire la
bénédiction accoutumée : l'auteur n'a pas songé à ce détail, non plus
qu'à la présence d'autres officiants à côté de Zacharie. .
« Et quand furent accomplis ses jours de service », — la semaine
durant laquelle il devait rester dans le temple, et non précisément le
service, les fonctions de son emploi (XscToupyc'a est charge publique, et
spécialement office sacré), pour lesquelles Zacharie se trouvait dis-
qualifié par son infirmité, — « il s'en alla dans sa maison w. — On
verra plus loin (i, 39) qu'il n'habitait pas Jérusalem. — « Or, après
ces jours », — qu'avait signalés la miraculeuse vision, — « sa femme
Elisabeth conçut, et elle se cacha pendant cinq mois ». — L'auteur dit
cinq mois, parce qu'il va raconter ce qui estari'ivé dans le sixième mois,
et que la grossesse d'Elisabeth est censée connue depuis ce temps-là.
'On ne voit pas bien pourquoi Elisabeth se cache, — « disant : « Ainsi
m'a traitée Seigneur, dans les jours où il lui a plu d'enlever mon
opprobre parmi les hommes ». — Si elle se dérobe au public, ce n'est
pas faute de reconnaissance pour le bienfait de Dieu, puisque dans
son particulier elle loue le Seigneur, comme Sara etRachel(GBN. xxi,
6 ; XXX, 23), d'avoir fait cesser l'humiliation de sa stérilité. La
LDC, I, 26 85
''*' Or, dans le sixième mois,
fui envoyé l'ange Gabriel par Dieu
dans une ville de la Galilée, appelée Nazareth,
retraite qu'elle s'impose manifesterait plutôt une sorte de honte que
la volonté de garder sa joie dans le recueillement devant Dieu; peut"
être est elle censée vouloir tenir secrète la faveur dont elle a été
l'objet, estimant qu'il ne lui appartient pas de la divulguer avant le
temps. La vraie raison est dans l'économie artificielle du récit : Eli-
sabeth se cache pour que tout le monde ignore son état ; Zacharie
étant muet, et sa femme ne voyant personne, nul ne peut savoir que
la parole de Gabriel est réalisée ; Marie le saura de Gabriel lui-même,
et la rencontre des deux mères est ainsi préparée par Dieu seul.
III. I/annonciation de Jésus
Or, au sixième mois », — La conception de Jésus va être datée
d'après celle de Jean ; peut-être est-il significatif qu'elle le soit ainsi
et pas auti'ement. On aura trouvé naturel de faire naître Jean une
demi-année avant Jésus ; mais, comme le récit marque celte dis-
tance entre les conceptions, l'on est d'autant moins fondé à supposer
un mythe dont les fêtes de naissances au solstice d'été et au solstice
d'hiver fourniraient l'attestation, que ces fêtes mêmes ne sont pas
anciennes et qu'elles . renvoient la conception de Jean à Téquinoxe
d'automne, celle de Jésus à l'éqiiinoxe du printemps : en regard de
la conception, Jean serait surtout un soleil grandissant, et Jésus un
soleil diminuant. Encore moins y al-il lieu d'alléguer à la place de
ce mythe une légende égyptienne de roi divinement conçu, qui
devenue dans , le judaïsme un mythe de conception divine du
Messie, serait à la base du récit de Luc (Klostebmann, 3ji, après
Gressmann). Un tel mythe existe bien dans l'Apocalypse (xii, i-5), où
il est fortement teinté d'astrologie (voir Apoc. de Jean, 222 ss.), mais
notre récit n'y peut être apparenté que de t)*ès loin.
«L'ange Gabriel futenvoyé parDieu dans une ville de Galilée appelée
Nazareth » . — Notre auteur entend que Jésus a été dit « Nazoréen »
parcequ'il était de Nazareth, et il regarde celte ville comme l'endroit
où. la famille de Jésus était domiciliée; il fait droit ainsi à la tradition
qui considérait Jésus comme galiléen, mais il se met dans l'embarras
pour la naissance à Bethléem : on peut voir dans Matthieu (11, i, 22,
a3) que celui-ci, s'étant mis à l'aise pour la naissance à Bethléem,
86 LUC, I, .27
27
à une vierge fiancée à un homme appelé Joseph
de la maison de David ;
et le nom de la vierge était Marie.
s'est trouvé, dans une autre difficulté pour rendre Jésus à la Galilée, —
« A une vierge fiancée à un homme appelé Joseph ». — En ce point
notre récit s'accortle avec celui de Matthieu : au moment où la prend
cette histoire, Marie est seulement fiancée à.Joseph et n'habite pas-
encore avec lui. Môme accord en ce qui regarde l'origine de Joseph. —
« Delà maison de David ». — Pas plus d'allusion que dans Malthieuia.u
métier que Joseph exerçait, ni à la famille de Marie. Caria notice con
cerne seulement Joseph (si à? oifxou AxuEi'S se rapportait à Marie, l'au-
teur aurait écrit ensuite /.al xb ovojj,a aùrric, non tti? Ttapôévou: cf. n, 4, on
l'origine davidique est encore affirmée de Joseph seul ). Que Marie,
pour épouser un descendant de David, ait dû appartenir à la race
royale, c'est à quoi il n'a pas pensé ; car, s'il y avait pensé, il l'aurait
dit. Ori peut soupçonner que la source rattachait Marie à une famille
non moins illustre que celle des rois. Gabriel dira plus loin( i, 36)
qu'Elisabeth estsa parente ; or Elisabeth est de la race d'Aaron, et
les paroles de l'ange n'ont pas été lancées à la légère; elles supposent
que Marie aussi est de la race d'Aaron ; elles supposenli même, dans
le récit original, une indication, maintenant supprimée, touchant l'ori-
gine aaronides de Marie. La place de cette notice est restée vide à la fin
d'une phrasequi a perdu son équilibre; après — « et le nom de la vierge
était Marie », — l'on s'attend à trouver la mention de sa famille,
comme on a trouvé men1,ionnée la maison de David après le nom de
Joseph; si l'on ajoute: « de la maison» ou « des filles d'Aaron» (i, !i5),
tout le récit gagne en unité, et l'allusion de Gabriel est préparée.
Mais une fois introduite la conception virginale, l'origine davidique
de Jésus tombait en même temps. C'est peut-être ce qu'aura pensé le
dernier rédacteur de l'évangile, et il aura supprimé l'indication, se
contentant, pour son propre compte, des explications auxquelles se
sont arrêtés plus tard les exégètes : Marie pouvait être de la race de
David, puisque Joseph en était, et sa parenté avec Elisabeth n'impli-
que pas nécessairement le contraire (cependant cu-yyEvîç, i, 36, donne
beaucoup à penser. Ss. lit hardiment dans ii, 4-5, que « les deux »
époux étaient de la race de David). Marc et Matthieu ignorent la
parenté de Jésus avec Jean, et le quatrième évangile en écarte au
moins implicitement l'idée (Jn. i,3i. Sur les étymologies possibles dn
no.m de Marie, Mxp-.âij., qu peut voir Lagrangb, 27).
LUC, 1, 28-31 87
*^ Et étant entré chez elle, il dit :
« Salut, pleine de grâce, le Seignecip soit avec toi, »
2^ Mais elle fut troublée de ce discours,
et elle se demandait cequesigniQait cette salutation.
30 Et l'ange lui dit :
« N'aie pas peur, Marie,
car tu as trouvé grâce auprès de Dieu ;
^^ tu vas devenir enceinte,
tu enfanteras unfils,
et tu l'appelleras du nom de Jésus.
« Et étant entre chez elle ». — La vierge est seule clans sa maison,
comme Zacharie était seul dans le sanctuaire lorsque l'ange lui est
apparu, — « Il dit : « Salut, favorisée de grâces, le Seigneur soit
avec toi ». — Ces respects conviennent à la mère du Christ. Mai'ie
est« gratifiée » (xe/apiTcojxsv-ri) de Dieu, comblée des faveurs divines,
et non seulement pourvue de beauté naturelle. Les mots : « salut »,
et: « le Seigneur soit avec toi», appai'tiennent au formulaire commun
des salutations, et n'ont point ici de signification particulière. Plu-
sieurs témoins ajoutent (d'après i, 42) •" « bénie sois-tu entre toutes les
femmes ».
« Or ellefut troublée de ce discours », — nonqu'elle ait éprouvé cette
frayeur extrême qui accablait Zachai*ie (i, 12), mais elle ressent cette
sorte d'inquiétude que donne le pressentiment d'une communication
importante dont on ne peut deviner l'objet ; — « et elle se demandait
ce que signifiait cette salutation », — ce qu'elle pouvait présager.
Elle sait qu'elle a devant elle un ange, puisque Gabriel lui parle en
envoyé de Dieu, sans autrement se faire connaître. L'ange la rassure
comme il a rassuré Zacharie. — « Et l'ange lui dit : «N'aie pas crainte
Marie ». - Il lui redit la parole, si fréquente dans l'Ancien Testament
(cf. Gbn. VI, 8) : — « Car tu as trouvé grâce auprès de Dieu y>. —
C'est la justification du mot « gratifiée », que l'ange a employé
d'abord. En preuve de cette assertion, il annonce à Marie qu'elle va
devenir mère du Messie. — « Tu vas devenir enceinte, tu enfanteras
un fils, et tu lui donneras nom Jésus ». — Les termes dont il se sert
sont imités de la prophétie d'Isaïe (vu, ï4) touchant la naissance
•d'Emmanuel, et l'on peut croire que l'évangéliste y renvoie implici-
tement le lecteur. Car le rapport direct de notre texte avec ce passage
ne serait pas autrement garanti (cf, Gï:n. xvi,ii ; Jug. xîii, 3,5), si la
w^ierge de l'évangile ne devait être celle d'Isaïe, et si tout le contexte
88 LUC, I, 32-34
32 II sera grand, et Fils de Très-Haut on l'appellera,
et Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ;
33 il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles,
et son règne n'aura pas de fin. »
34 ^lais Marie dit à l'ange :
n'attestait l'influence des prophéties anciennes. Le nom de Jésus
('Iyjcouç, forme gréciséede Iéshiia,s^hrégédGlehoshiia),n lahvé sauve »y
S3 substitue à celui d'Emmanuel ; il n'est pas plus expliqué que celui
de Jean ; ces noms ont pourtant une signification qu'avait en vue
l'auteur des récits, et qu'il n'a point exprimée, non plus que la réfé-
rence à Isaïe, parce que ses lecteurs n'avaient pas besoin de telles
explications.
Le discours de l'ange marque très nettement que Jésus sera le Mes-
sie annoncé par les prophètes. — « Il sera grand », — lui aussi, mais
non seulement par la sainteté de sa vie et par l'importance de son
oeuvre, — « et on le dira », — il sera proclamé — « Fils de Très Haut »,.
— celui que Dieu appelle son Fils en tant que Messie, roi prédestiné
à gouverner dans la paix et dans la gloire le peuple élu de Dieu (cf..
Ps. II, :? ; II Sam. VII, i3, i6 ; Is. ix, 6 ; Migh. iv, 7 ; Dan, vu, i4, a'j). .
Très-IIaut {"T<\it.axo(;) s'entend ici en nom propre du Dieu des Juifs, et
il est employé sans article, comme l'est, dans les Septante et dans le
Nouveau Testament, le mot Seigneur (Kûpioç), quand il correspond au
nom ineffable lahvé. — « Et Seigneur Dieu lui donnera le trône de-
David son père ». — L'enfant à naître sera descendant de David par-
l'ordre naturel et providentiel de sa naissance ; il sera déclaré Fils de
Dieu selon l'ordre de sa vocation. Ainsi rien ne fait pressentir la con-
ception vii'ginale. Ce n'est pas à dire que le rédacteur de l'évangile-
n'ait attribué à la mission de Jésus, à sa filiation divine, un sens plus
relevé; mais ce langage calqué sur les anciennes prophéties n'était pas
pour lui déplaire ; il l'entend spirituellement, mais il le retient en
témoignage de ce qu'on pourrait appeler rauthenticité juive du
christianisnie. — « Il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles,,
et de son règne ne sera pas fin ». — Gomme les formules sont em-
pruntées, il n'est pas certain, ni môme probable que le premier auteur
les ait prises dans un sens tout à fait littéral. Gabriel n'en semble paa
moins annoncer le Messie théocratique, et le discours est conduit
comme si l'auteur, tout en lisant Isaïe dans le grec, jugeait la pro-
phétie accomplie par le fait qu'une vierge, non une femme déjà
mariée, concevra sans miracle le Glirist.
« Or Marie dit à l'ange : « Gomment cela sera-t-il, puisque je ne.
LUC, I, 35 89
« Gomment cela serat-il,
puisque je ne connais pas liomme ? »
36 Et répondant, l'ange lui dit :
« Esprit saint viendra sur toi,
et vertu de Très-Haut te couvrira ;
connais pas d'homme ?» — Rien ne faisait prévoir cette difficulté,
qui, dans l'économie actuelle de la narration, sert uniquement à intro-
duire la déclaration de l'ange louchant la conception virginale. Puisque
la vierge est fiancée, elle devrait conclure des paroles de l'ange que
le premier enfant à naître de so i prochain mariage sera le Mes-
sie. Gomment peut-elle dire, étant fiancée, qu'elle n'a pas à connaître
d'homme ? A quoi bon dire à l'ange qu'elle n'en connaît pas encore
maintenant, puisque normalement son mariage sera bientôt con-
sommé ? Marie déclare ne pas connaître d'homme, pour que Gabriel
puisse lui répondre que l'enfant à naître sera conçu du saint Es-
prit. Mais l'objection, dans les termes où elle est faite, tendrait aussi
bien à exclure la naissance de frères puînés du Christ qui auraient
été conçus naturellement ; en fait, s'il est question, dans l'évangile
et dans les Actes, des frères de Jésus, on ne les présente jamais
comme fils de Marie ; et même Jacques, dans les Actes, n'est pas qua-
lifié « frère du Seigneur ». Il est difficile de reconnaîU'e dans l'auteur
qui fait exprimer à Marie ce-doute, où il y a plus que de l'étonnement,
celui qui a fait châtier Zacharie pour un doute semblable.
« Et répondant, l'ange lui dit : « Esprit saint viendra sur toi, et
vertu de Très-Haut te couvi'ira ». — Si le sens très spécial du mot
« connaître », dans cet étrange dialogue, ne peut prêter à discussion,
il en est de même pour les paroles de l'ange expliquant comment
Jésus sera conçu sans intervention humaine. Les termes employés
par Gabriel pour désigner l'opération de l'Esprit sont suffisamment
discrets, mais ils n'en signifient pas moins dé façon très nette la part
du mari dans l'œuvre de la génération (ainsi l'ont compris les anciens
auteurs qui voyaient dans Ttveufxa ayiov ÉTceXeudETat 'étc'i aé l'accomplis-
sement d'is. viir, 3 ; et la signification du mot ÈTrtcrxiâffet est locale,
non morale ; cl. Act. v, i5 ; Gant, ii, 3), et ils sont tout aussi expres-
sifs à cet égard que le mot « connaître » auquel ils correspondent.
Du reste, « Esprit saint » équivaut à «puissance du Très-Haut» et ne
désigne pas un être personnel, mais l'esprit divin en tant qu'agent
intermédiaire du Créateur. Sans que l'on spécule autrement sur la
nature du Christ, cet esprit est présenté comnle le principe de sa
m LUC, 1, 36-37
pour cela même l'enfant sera saint,
il sera appelé fils de Dieu.
3" Et voici qu'Elisabeth ta parente
a conçu, elle aussi, un fils en sa vieillesse, ^
et c'est à présent le sixième mois de celle qu'on disait stérile,
'' parce que rien n'est impossible à Dieu. »
vie physique. L'idée n'aurait pu s'énoncer en hébreu ou en araméen,
où le mot «esprit » {ruach,riichâ) est du féminin ; aussi bienles apo-
cryphes judéochrétiens font-ils de l'Esprit saint la mèi'e ou la sœur du
Glu'ist. Quant au fond, cette idée ne s'accorde pas mieux avec la théo-
logie juive, la transcendance divine ne permettant pas de représen-
ter Dieu comme le principe générateur d'une vie humaine indivi-
duelle. En grec et pour l'esprit hellénique, ces embarras n'existent
pas. L'apologiste Justin (I Ap. 21, 54) trouvait tout naturel de com-
parer la naissance de Jésus à celle des dieux ou héros nés d'un dieu
et d'une mortelle.
« C'est pour cela même que l'engendré », — celui qui va être conçu
par la vertu de l'Esprit, le fruit de cette génération surnaturelle, —
« saint », — sacré, divin par le fait d'une pareille origine, — « sera dit »
— en toute vérité — « Fils de Dieu». — On peut construire aussi (voir
Lagrange, 35), et le rythme y invite : « l'enfant (à naître) sera saint,
il sera appelé Fils de Dieu ». Cette notion physique de la filiation
divine ne se distingue pas seulement de la notion métaphysique de
rincarnation dans le quatrième évangile (et vdéjà dans Paul), mais
encore, peut-être davantage, de la notion théocratique exprimée dans
le.premier discours de Gabriel. Ce qui n'empêche pas la seconde
déclaration d'être, en quelque façon, démarquée, de la première, à
regard de laquelle elle se présente comme une surcharge. "Car le dis-
cours de l'ange se continue suivant la ligne indiquée par la première
déclaration.
(( Et voici qu'Elisabeth ta parente a conçu, elle aussi, un fils dans
sa vieillesse ». — Pour confirmer ce qu'il a dit touchant la naissance
du roi-Messie (i,3i-33), Gabriel donne à Marie un, signe, qui est la
grossesse d'Elisabeth ; mais la conception virginale était par elle-
niême un signe qui n'avait pas besoin d'être garanti par un miracle
moindre, et la comparaison des deux miracles devient forcée,
presque choquante, s'ils se ressemblent si peu. Ce qui fait la diflérence
des deux conceptions paraît être uniquement l'âge d'Elisabeth, et la
conclusion : — « parce que rien n'est impossible à Dieu», — quiassi-
LUC, I, .38 91
38 Et Marie dit :
« Voici la servanle de iSeigneur ;
qu'il m'arrive selon ta parole. »
mile (cf. Gen. xviir, i4) le cas d'Elisabeth à celui de Sara, fait abs-
i;raction du miracle plus grand qui vient d'être annoncé pour Marie
elle-même (i, 35). ^ l'on s'en tient au récit primitif, l'ange, après
avoir prédit à Marie la naissance de Jésus et déclaré que celui-ci sera
le Messie qui doit régner sur la maison de Jacob, donne à la fiancée
de Joseph, sans qu'elle l'ait demandé, un signe qui a sa raison d'être,
parce que le fait de la conception naturelle ne lui garantit pas que
son enfant sera le Messie promis. Ce signe existe dans la grossesse
miraculeuse d'Elisabeth, que Marie ne connaît pas encore, la concep-
tion extraordinaire du Précurseur devenant, conformément au rôle de
celui-ci, un signe avant-coureur et indiscutable delà qualité de Glu-ist
qui appartiendra au fils de Marie. Ainsila remarque de l'ange sur le
rapport des deux conceptions n'a plus rien que de logique, et ce qu'il
dit sur le cas d'Elisabeth ne sert qu'à faire valoir l'importance du
signe donné ; le rappel de la parenté qui unit Marie à Elisabeth cesse
d'être une allusion sans objet ; car on compi'end que le Messie théo-
. cratique, s'il doit se rattacher à la maison de David par Joseph, se
rattache par Marie à la lignée d'Aaron ; il aura tous les pouvoirs et
tous les titres de légitimité, à la différence des i-ois pontifes de la
famille hasmonéenne, qui étaient issus d'une simple famille sacerdo-
tale et n'appartenaient pas à la maison de David. L'existence d'une
tradition sur l'origine à la fois davidique et lévitique de Jésus est
attestée par un fragment d'irénée (Ir. xvii, restitué à Hippolyte par
BoNW^ETSGir; cf. La.grange, 38J, par Origène (Select, in Nam. xxxvi,
6) et par le Testament des douze patriarches (spécialement Siméon, j ;
Fauste le manichéen avait lu dans le Prot. de Jacques que Joachim,
le père de Marie, était prêtre ; Augustin, contra Faastnm, xxxiii, 9.
Augustin lui-même est indécis et admettrait volontiers que Marie
descendait à la fois de Lé vi et de David) ; il va sans dire que celte tra-
dition, qu'elle soit puisée ou non dans le Testament des douze
patriarches par les auteurs chrétiens, n'a rii plus ni moins d'autorité
que celle qui attribue une orig-ine davidique à Joseph ; cependant
Paul (Rom. i, 3; Hébu. vu, i4, n'a pas trait à notre sujet) et l'Apo-
calypse (v, 5), n'ayant point égard à l'origine maternelle du Christ,
ne connaissent que la filiation davidique .
« Et Marie dit : « Je suis la servante de Seigneur ; qu'il m'arrive
selon ta parole ». — L'adhésion de la vierge à la parole de l'ange est
92 • . LUC, I, 39
Et l'ange la quitta.
^^ Et Marie, s'étant mise en route en ces jours-là,
s'en alla dans la montagne promptement, à une ville de Judée^
dans la dignité de son rôle (on a supposé, peut-être à tort, que cette
adhésion venait originairement après l'annonce du Messie, i, 33, —
c'est là qu'elle se trouve dans le ms. lat. 6, — et avant le signe
donné, i, 36). Cependant Marie ne tardera pas à se rendre auprès
d'Elisabeth pour constater la réalité de ce qu'elle a cru. Cette
démarche s'expliquait d'elle-même dans le récit primitif : aussitôt
qu'elle était devenue enceinte, Marie allait voir sa pai'ente pour véri-
fier le signe, après avoir éprouvé l'accomplissement initial de la
promesse. Dans la perspective actuelle de la narration, la conceptioa
du Christ est censée s'accomplir aussitôt après l'adhésion de Marie
à la parole de l'ange (i, 38, et non dès 28) ; Tévangéliste n'a pas cra
nécessaire de le dire, mais l'omission est plus facile à expliquer, si,,
après la conclusion: — « Et l'ange la quitta », — il a simplement sup-
primé la transition qui devait exister dans le récit original entre le
récit de l'annonciation et celui de la visite à Elisabeth : le premier
auteur, qui a eu soin de dire qu'Elisabeth devint enceinte, signalait
le mariage de Marie et de Joseph, en suite de quoi Marie, ayant
conçu, s'empressait de se rendre auprès de sa vieille parente.
On remarquera que la structure rythmique des dernières strophes-
est dérangée par les propos relatifs à la conception virginale
(mais 1,36-37, rejoignant 32-33 fournit une strophe normale ; il
manque à la dernière strophe, I, 38, quatre lignes que remplissait
sans doute la notice relative au mariage de Marie et à la conception,
de Jésus).
l\ . Marie chez Elisabeth
« Or, Marie, s'étant mise en route en ces jours-là, s'en alla prompte-
ment». — On a l'impression d'une lacune entre les deux récits.
Quelques joui'sont dû se passer entre la visite de l'ange etledépartde
Marie ; mais, dans l'économie actuelle de la relation, on ne voit pa&
pourquoi Marie, après avoir attendu un peu, s'en va si vite. Cependant
la confrontation des deux récits juxtaposés permet encore de voir que,
d'après la source, Marie allait auprès d'Elisabeth vérifier le signe à
elle donné par l'ange, non qu'elle fût conduite par un doute inquiet
et une curiosité vulgaire, mais parce que sa foi voulait connaître le
LUC, I, 40-U 93
*" elle entra dans la maison de Zacharie,
et elle salua Elisabeth.
^^ El quand Elisabeth entendit le salut de Marie,
l'enfant tressaillit en son sein,
et fut remplie d'Esprit saint Elisabeth,
signe qui lui avait été pi'oposé pour qu'elle pût le vérifier ainsi.
Marie donc s'en va — « dans la montagne, à une ville de Juda ». —
Zacharie et sa femme habitent la montagne, comme les parents de
Samuel; mais il s'agit ici de la montagne de Juda, non de celle
d'Ephraïm. Le narrateur ne dit pas le nom de la ville, et ceux qui
prétendent la connaître sont bien téméraires ; beaucoup tiennent
pour Juttlia (Jos.xxi,6),quiaurait été remplacée dans le texte par Juda:
hypothèse gratuite et d'autant moins vraisemblable qu'une ville si
peu connue n'aurait pas été introduite sans autre indication (cf. i, 26);
d'autres ont pensé à Jérusalem, qui n'est pas une ville quelconque,
ni en Juda ; ou bien à Hébron, qui n'est pas plus désignée qu'une
autre ville de la montagne de Juda, et qui serait nommée si l'hagio-
graphe l'avait en vue. Le récit primitif .devait contenir le nom de la
ville; mais, si le rédacteur l'avait gardé, on aura de bonne heure omis
ce nom comme insignifiant; il est plus probable que la rédaction chré-
tienne l'aura négligé ou peut être supprimé (supposons qu'une légende
baptiste ait été exploitée, où l'on faisait naître Jean à Bethléem, il
serait naturel qu'on l'en eût expulsé pour réserver Bethléem à Jésus).
Il est pareillement superflu de se demander si Marie a voyagé seule
ou avec d'autres femmes, ou bien encore avec Joseph, et si Zacharie
n'était pas chez lui quand elle est arrivée : l'auteur veut amener la
rencontre de Marie et d'Elisabeth, etilne s'inquiète pas du reste.
« Elle entra dans la maison de Zacharie, et elle salua Elisabeth». —
Ce détail insignifiant en lui-même se trouve être le trait principal de
la rencontre ménagée entre les deux femmes. — «Et quand Elisabeth
entendit le salut de Marie, l'enfant » — qu'elle portait — « tressaillit
dans son sein ». — Ainsi s'agitaient dans le sein de leur mère les
jumeaux de Rebecca, préludant à leur antagonisme futur (Gbn. xxv,
22, Sept.) ; mais le tressaillement de l'enfant précurseur est un mou-
vement de joie prophétique. — « Et Elisabeth fut remplie d'Esprit
saint », — envahie elle-même par l'esprit de prophétie qui agite
l'enfant ; elle voit ce que signifie le mouvement de celui-ci, elle
perçoit en vertu delà même illumination la présence du Messie dans
celle qui la salue ; l'inspiration qui la saisit se manifeste dans les
9.4 LUC, I, 42-45
^2 elle s'exclama avec grand cri et dit :;
« Bénie sois-lu parmi les femmes,,
et béni soit le fruit de ton seiin 1
*^ Et d'où me vient ceci,
que la mère de mon Seignetic entre chez moi ?
** Car dès que ta parole de salutation est arrivée à mes oreilles,.
l'enfant a tressailli d'allégresse en mon sein.
*^ Heureuse celle qui a cru
paroles q[Ui'eUe" va prononcer et d'abord' dans sa réponse à la saluta-
tièn de Marie. — « Elle parla en grand ci'i », — non sur le ton de la
conversation, mais à: pleine voirx, autant dire sur lé ton oraculaire, —
« et dit :» Bénie entre l'es femmes, et béni le fruit de son sein !» — Le
sens du qualificatif" peut être : « bénie de Dieu », ou bien : « Ibuée^
digne de louange »; et' l'on peut aussi suppléer: « sois-tu », au bien :
« es-ti^ ». L'optatif semble préférable pour une salutation (cf.r, 28), et
dans ce pi'éambule Elîsabetli ne fait que rendre le salut à Marie
mais elle le rend comme il coii vient de le rendre à la mère du Christ.
Préférer l'indicatif comme mieux en rapport avec les conditions de
la prophétie serait mettre celle-ci dans une nuance de la pensée,
tandis qu'elle réside, pour le fond et quant à cettepartie du discours,
dans la connaissance qu'Elisabeth témoigne avoir delà dignité de
Marie. Du sens de « béni» au sens de (doué » le passage est facile ;
le Dieu béni est le Dieu loué, et à qui toute louange est due. Bénie
de Dieu plus que toutes les femmes, Marié peut être louée au-dessus
d'elles ; il semblé d'aiileurs qu^'Elisabeth célèbre elle-même le Mes-
sie et sa mère, les vante comme bénis de Dieu, plutôt qu'elle ne-
leur souhaite cette bénédiction acquise déjà ; mais elle peut leur
souhaiter les louanges de tous les hommes.
« Et d'où me vient » — cet honneur' inouï, — « que la ràèrede mon
Seigneur entre chez moi ?» — Le mot « Seigneur » désigne le Mes-
sie, selon la parole du Psaume (ex, i) et l'usage chrétien. Elisabeth
s'incline humblement devant la mère du Christ. Elle dit à quel signe
elle a reconnu ta présence de celui-ci : — « Car dès que ta parole de
salutation: est arrivée à mes oreilles, l'enfant » — que je porte — a a
tressailli d'allégresse dans mon sein », — devant celui qu'il reconnaît
aussi pour maître. Cette première eflusion de l'Esprit s'achève dans
une louange en forme de proposition; générale, qui, dans la réalité,
s'applique à Marie seule : — a Heureuse celle qui a cru qu'il y aurait,
accomplissement de ce qui lui a; été dit de la part de Seigneur ». —
tue;, I, 46-47 9î>-
qui serait accomplissement de ce qui lui a été dit. de la part de
*• El elle dit : [Seigneur. »
« Mon âme gloEifie le Seigneur,
*' et mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur,
Mairie est félicitée impliGiitement de n'avoir pas fait comme Zachai'ie
(ceqiui laisse de côté i, 34), et il est inutile de se demander comment
Elisabeth, sait ce- qui s'est passé entre Gabriel, et Zacharie, entre
Gabriel et Marie, puisqu'elle parle «, en esprit.»..
Cet hommage rendu, au Christ et k sa mère, Elisabeth se reprend,
et l'Eisprit lui dicte un caoïtiqae de louanges pour Dieu. C'est le
Ma^n/^.ca;i, véritable psaume, imilé en grande partie du cantique
d'Anne, mère' de Samuel (1 Sam. ii, i-io),- avec d'autres réminis-
cences de l'Ancien Testauient.. On s.est demandé s'il n'en aurait pas
existé d'abord une rédaction; hébraïque, sans aucun rapport avec le
présent récit, et dont notre texte grec serait la traduction ; l'on a
supposé aussi que le cantique, en quelque langue' qu'il ait été com-
posé, avait été adapté à la circonstance par l'insertion du verset :
«'. Parce qu'il a regardé l'iiuniiliation de sa serv-ante, car désormais
toutes les générations m'appelleront bienheureuse », le seul passage
qui se' rapporte ou semble se rapporter à. la situation. Ce verset
enlevé, il n'est pas trop difficile' de reconstituer un petit psaume en
quatre strophes formées chacune de deux distiques (i, 46-4!7, 49 J 5o-
6i ; 52-53 ; 54-55). Mais que le cantique ait préexisté au. récit, soit
comme psaume juif, soit comme psaume judéo-chrétien, ou qu'on l'ait
composé tout, exprès, pour l'y introduire,, il est entièrement
dépourvu d'originalité. 11 n'en est pas moinS' présenté comme un fruit
de l'inspiration d'ElisabetLi, qui. se trouve- ainsi prendre rang à la
suite des- femmes illustres à qui l'Ancien Testament attribue des can-
tiques inspirés, Marie sœur de M'oïse, Bébora, Anne, Judith, D'ail-
leurs, le cantique, comme celui de Zacharie, qui lui fait pendant, est
une enclave dans le récit, auquel il paraît a voirété surajouté, proba-
blement par l'évangéliste, et c'est peut-être en vue du cantique, plutôt
que de la réponse à la salutation de Marie, qu'Elisabeth a été dite
di abord (i, 4i) « remplie d'Esprit saint » (cf. r, 6^).
« Et elle dit». — La reprise est pour distinguer le cantique de- la
réponse à la salutation. — « Mon âme' glorifie le Seigneur, et mon
esprit s'est réjoui en Dieu mon sauveur ». — Exorde fait d'ex-
pressions larailières aux psalmistes, (( Ame » et « esprit » .sont syno-
nymes. d«« moi » et ne correspondent pas à des idées distinctes. Le
•91) LUC, I, 48-49
*^ parce qu'il a regardé t humiliation de sa servante ;
car désormais me diront bienheureuse toutes les générations ;
^^ parce qu'a fait pour moi grandes choses le Tout-puissant,
et son nom est saint.
<;liangement de temps qui se produit dans le premier distique est un
hébraïsme.et l'on aurait tort de penser que la joie de l'esprit remonte
plus haut que la louange émise par l'âme ; car la « magnification » du
Seigneur (cf, Ps. xxxiv, 4î lxix, 35) n'est que l'expression de la
« joie » actuellement ressentie en Dieu sauveur. L'idée commune de
«Dieu secourable » semble recevoir une application particulière à
raison de ce qui suit, c'est-à-dire du verset qui paraît avoir été inter-
polé dans le psaume primitif, et qui, en toute hypothèse, est censé
contenir, avec le motif de la louange, la raison du cantique.
« Parce qu'il a regardé l'humiliation de sa servante ». — La formule
«st visiblement empruntée à l'histoire d'Anne (I Sam. i, n, Sept.)
et ne peut viser que l'opprobre delà stérilité, dont le Seigneur a déli-
vré Elisabeth (i, aS). — « Car désormais toutes les générations me
diront bienheureuse ». — Lia disait (Gen. xxx, i3, Sept.), pour la
naissance d'Aser, que « toutes les « femmes » la « proclamei'aient
bienheureuse » ; Elisabeth le dit après elle, en mettant, pour plus de
solennité, parce que son fils sera plus grand que l'enfant de Zelpha,
les « générations » à la place des « femmes ». Le verset suivant fait
double emploi avec celui-ci, en indiquant un motif général d'action
de grâces qui semble rejoindre l'exorde par-dessus le motif spécial
qui vient d'être indiqué. — « Parce que le Tout-Puissant a fait pour
moi ». — Ce « pour moi » donne encore une application person-
nelle aux « grandes choses », qu'on va louer, mais le parallélisme
et la suite donnent à penser que l'auteur du cantique avait écrit
(cf. Ps. XXXI, 19) : « Parce que le Tout-Puissant a fail^ de grandes
choses et que son npm est saint », — ■ élevé au-dessus des hommes
qui l'imploi'ent humblement,
La prière décrit les conduites ordinaires de la Providence ; les
aoristes du grec correspondent à des parfaits hébreux qui énon-
ceraient des vérités générales, sans égard à la circonstance du
temps, comme dans le cantique d'Anne, que l'on va suivre de plus
près (dans i, 5i-53).L'évangéliste a pu penser aux biens procurés par
le Christ. Ainsi l'embarras des commentateurs, dont les uns croient
devoir entendre du passé la description, et les autres de l'avenir,
iient à l'existence de ce double point de vue : celui du psaume, qui
LUC, I, 50-55 97
^^ Et sa miséricorde, d'âge en âge,
est sur ceux qui le craignent.
^^ Il fait victoire avec son bras,
il disperse les orgueilleux d'esprit.
^2 II met à bas des trônes les potentats,
ei il élève les humbles.
^3 II rassasie de biens les affamés,
et ilrenvoie les riches avide.
^* Il vient en aide à Israël son serviteur,
pour se souvenir de la miséricorde,
55 comme il a dit à nos pères,
envers Abraham et sa race à jamais. »
est sans relation pavliculière avec l'avènement du christianisme, et
celui de l'évangéliste, qui a pu se complaire dans une description qui
célébrait le renversement des conditions sociales, l'exaltation des
humbles et des pauvres. — «Et sa miséricorde, d'âge en. âge, est
sur ceux qui le craignent. » — Dieu est bon, perpétuellement, pour
ceux qui !e .vénèrent (cl, Ps. cm, i3, i^). — «Il fait victoire avec
son bras, il disperse les orgueilleux d'esprit », — Dieu est redou-
table à ceux qui s'enorgueillissent en eux-mêmes (cf. Ps. cxxxix, ii),
— « Il renverse des trônes les puissants, et il élève les humbles ». —
Cette antithèse vient du cantique d'Anne (1 Sam. ii, 7), ainsi que la
suivante. — « 11 rassasie de biens les afiamés, et il renvoie les riches
à vide ». — La suite montre que ces manifestations de puissance et
de miséricorde sont coordonnées à la ï'estauration d'Israël, à l'avène-
ment du règne messianique. — « Il relève Israël son serviteur ». — Ré-
miniscence d'isaïe (xLi, 8-9, Sept.). — « Pour se souvenir de la miséri-
corde ». — Dieu voudra intervenir en faveur d'Israël, parce qu'il est
miséricordieux par nature, ainsi qu'il a montré déjà qu'il l'était, ainsi
qu'il a promis de l'être en faisant ses promesses aux grands aïeux, —
« comme il a dit à nos pères » ; — de cette miséricorde il se souvien-
dra — « pour Abraham et sa race, à jamais ». — Ce qu'il fera pour
Israël sera fait pour Abraham (cf. Ps. xcviii, 3). Cette finale aurait
pu être écrite par un juif aussi bien que par un judéochrétien ; en
toute hypothèse," elle forme la conclusion naturelle du psaume et ne
peut être considérée comme un élément adventice.
La femme inspirée se tait. Sans entrer dans d'autres détails, et
parce que l'objet de la mise en scène était d'amener la double pro-
A. LoisY. — L'iivanffile selon Luc. 5
98 LUC, I, 06
^^ El Marie resta avec elle
environ trois mois,
. puis elle retourna dans sa maison.
• •
phétie d'Elisabeth, le narrateur ajoute que — « Marie resta avec
elle environ trois mois » — ce qui conduit à peu près au terme de la
grossesse d'Elisabeth. L'indication ne paraît pas avoir de significa-
tion particulière, et elle atteste seulement le souci qu'a l'hagiographe
de tenir le fil de sa chronologie. Marie s'éloigne avant la naissance
de Jean, parce que sa place n'est pas marquée dans le tableau qu'on
va décrire. — « Et elle s'en retourna dans sa maison ». — On ne peut
dire si, dans la pensée de l'évangéliste, la maison où elle rentre est
celle de Joseph ; il est permis de le croire et de supposer même que
c'est déjà dans cette maison qu'a eu lieu l'annonciation, les époux
étant dits maintenant fiancés à raison de l'idée particulière que le
rédacteur attache à leur mariage. Dans l'esprit du récit primitif, la
maison où Marie retourne est aussi celle de Joseph ; mais ce n'est
pas là sans doute qu^avait lieu. l'annonciation* la vierge .fiancée étant
alors chez ses parents. Il est à noter que les trois lignes par lesquelles
se termine le récit delà Visitation semblent se rattacher pour la stro-
phique au commencement du récit concernant la naissance de Jean-
Baptist*.
Tous les manuscrits grecs et tous ceux de la Vulgate hiérony-
mienne attribuent ,1e Magnificat k Marie -; mais les plus anciens ma-
nuscrits de l'ancienne Vulgate (mss. ab l) l'attribuent à Elisabeth ; de
môme Nicéta, probablement l'évêque de Remesiana en Dacie et
l'ami de saint Paulin de Noie (fragment du traité De psalmodiœ bono
publié par.D. MouiN, Revue biblique, i^çf], pp. 286-28;^). La formule
d'introduction : « Et Elisabeth dit », au lieu de : « Et Marie dit»,
devait donc être assez répandue en Occident à la fin du iv" siècle et
au commencement du v^, bien qu'elle ne fût probablement pas la plus
commune. L'interprète latin.d'Irénéeparaît? l'avoir connue (deux mss.,
le Glaromontanus, iX° siècle, et le Vossianns, xiv^, ont : « Elisabeth
dit », dans Hœr. IV, 7, i ; dans III, 12,2, le Magnificat est attribué à
Marie par tous les mss.) ; mais Tertullien fait l'attribution à Marie. Les
plus anciens témoins orientaux semblent avoir été également parta-
gés : dans une de ses homélies sur Luc (vue), conservées dans la tra-
duction de Jérôme (P. 1. XXVJ,a33), Origène signale deux catégories
de mamiscrits, dont l'une présente la leçon ordinaire, et l'antre assigne
le cantique à Elisabeth {non enim ignoramus quod secundum' alios
LUC, I, m 99
■codices et hace verba Elizaheth vaticinetur) La leçon : « Et Elisabeth
dit », a donc été assez répandue tant en Occident qu'en Orient dès
le m- siècle, et sans doute auparavant. Or cette diflusion ne peut
avoir eu son origine dans l'inadvertance ou la fenlaisie d'un copiste
qui aurait substitué le nom d'Elisabeth à celui de Marie ; supposé
qu'un tel accident se fût produit cinquante ou soixante ans après
que ndtre évangile eut été répandu dans les Eglises, la variante n'au-
rait pas eu le moindre succès ; la raison qui lui a fait perdre tout le
terrain qu'elle avait gagné l'aurait empêchée de le prendre. Cette
leçon, partout où on la trouve, a dû précéder la leçon: «Et Marie
dit » ;. elle est, par conséquent, très ancienne, et il est pom* le moins
vraisemblable qu'elle procède, par voie d'addition explicative, d'un
texte où le sujet du verbe «dit » n'était pas indiqué ; tel devait être
le texte primitif, et la diversité des leçons provenait de ce que l'on
avait suppléé dans certains manuscrits le nom d'Elisabeth, dans
d'autres celui de Marie. S'il y avait eu un nompropre après le verbe,
non seulement on ne l'eût pas supprimé, mais,s'il yavait eu le nom de
Marie, on n'aurait jamais songé a le remplacer par celui d'Elisabeth;
et s'il y avait eu le nom d'Elisabeth la tentation d'y substituer le
nom de Marie ne serait pas facilement venue ; seulement, le nom de
Marie une fois introduit dans le texte, son succès est aisé à expliquer :
on a trouvé naturel que Marie louât Dieu, puisqu'elle avait apparem-
ment plus de raison de le iaire qu'Elisabeth.
Il n'en est pas moins vrai que l'addition du nom d'Elisabeth était
conforme à la pensée du narrateur, tandis que celle du nom de Marie
ne satisfait qu'une logique vulgaire et une façon de dévotion qui
étaient étrangères à l'évangéliste. Le M agnifinai suit la réponse
d'Elisabeth à la salutation de Marie, encadré qu'il était primitivement
entre ces deux courtes phrases : « Et elle dit m (xa\ el-rrev, i, 46 ; cf. I Sàm.
H, I. Sept.), pour servir d'introduction, et : « Or Mai'ie resta avec
elle environ trois mois »(1|ji.s!vev Se Maptàp. xtX., i,56) pour -servir de
conclusion. L'introduction donne à entendre que la personne qui va
parler est la même que celle à qui appartient le discours précédent
(s'il y avait changement de personne, on aurait eluev oé) ; elle marque
seulement une sorte de pause, pour que le cantique se détache du
discours. La conclusion, où Marie est rappelée directement à la
pensée du lecteur, tandis qu'Elisabeth lui est toujours censée pré-
sente, montre que la personne qui vient de parler n'est pas Marie,
mais Elisabeth; si l'auteur avait écrit: «Et Marie dit», il aurait
dû écrire après le cantique : « Or elle resta auprès d'Elisa-
belh», etc. Ajoutons que si l'évangéliste avait voulu attribuer le aan-
100 LUC, I. 66
tique à Marie, il ne se serait pas contenté de la nommer, il aurait
signalé en termes exprès l'action de l'Esprit qui lui suggérait le
cantique ; avec la formule : « Et Marie dit », on est tout étonné de
trouver, au lieu d'une réponse aux paroles d'Elisabeth, un cantique
inspiré que l'ien n'a fait, prévoir. Quand il s'agit d'introduire le
Benedictas, l'inspiration de Zachàrie est mise en relief par une
formule solennelle (i, 67). Or, si le Magnificat est prononcé par
Elisabeth, il y a un parallélisme exact entre les deux situations ;
révangéliste,'en disant qu'Elisabeth « fut remplie d'Esprit saint »,
(i, 41) n'aura pas eu en vue que les paroles de salutation adressées à
Marie, mais le cantique d'action de grâces qui vient ensuite ; les
deux vieillards prophétisent l'un après l'autre, comme le feront, au
chapitre suivant, Siméon et Anne; Marie garde cette réserve qu'elle
a partout ailleurs dans les présents récits et qui donne a son rôle un
caractère si particulier. Elisabeth et Zachàrie prophétisent, comme-
les saints d'autrefois, en vue du Messie qui vient; pourquoi Marie, qui
porte le Christ, prophétiserait-elle ? N'est-elle pas dans la réalité des-
prédictions et non dans l'attente ? Ceux qui trouvent que le cantique-
d'Elisabeth viendrait trop tard, et qu'il aurait dû être placé aussitôt
après la conception (api'ès ,1, aS), ne songent pas que l'évangélistè
n'aurait pas fait chanter Elisabeth toute seule, et que Marie, dans
l'économie des récits, est la première personne devant laquelle Eli-
sabeth puisse faire montre d'inspiration prophétique.
Pour le lecteur- moderne, le Magnificat est une effusion de recon-
naissance; mais, au point de vue de l'évangélistè, c'est un vi'ai
psaume, inspiré comme le Benedictas, comme le cantique d'Anne,,
mère de Samuel, comme les psaumes davidiques ; c'est une pièce de
poésie sacrée, une prophétie, et il ne semble pas que notre évangile
ait voulu faire de Max'ie une prophétesse. Le contenu même du
cantique n'a rien qui soit personnel à Marie. La tradition a mis dans
les paroles : « désormais toutes les générations me diront bienheu-
reuse », une plénitude de sens qu'elles n'ont pas nécessairement ;
mais on â pu, sans hyperbole, les placer dans la bouche d'Elisabeth.
Et seule Elisabeth a pu dire, en faisant allusion à sa stérilité, que le
Seigneur avait « regardé l'humiliation de sa servante » ; ces paroles,,
qui assimilent à la mère de Samuel, devenue mère après une longue
stérilité, celle qui les prononce, ne conviennent qu'à Elisabeth ;
pour les trouver bien placées dans la bouche de Marie, il faut les
détourner de leur sens naturel. Dans l'ensemble, le Magnificat
n'est qu'un décalque du cantique d'Anne, et c'est la situation
d'Elisabeth, non celle de Marie, qui est analogue à celle de la mère
LUC, I, 57-59 lOi
^' Or s'accomplit pour Elisabeth le temps de sa délivrance, j5^;v,
et elle enfanta un fils. :
^8 Et ses voisins et ses parents apprirent
que Seigneur avait fait éclater sa miséricorde sur elle,
et ils se réjouissaient avec elle.
s^ Et quand, le huitième jour,
ils vinrent circoncire l'entant.
ils l'appelaient, du nom de son père, Zacharie.
de Samuel. L'évangéliste se trouvait au dépourvu pour exprimer les
sentiments d'Elisabeth, parce qu'il réservait pour le cantique de
Zacharie les prévisions concernant l'avenir de Jean-Baptiste; une
imitation du cantique d'Anne se recommandait à lui ; et de là
\ient qne le Magnificat, sauf l'allusion du début (1,48), empruntée
à l'histoire d'Anne, a la même forme impersonnelle que ce cantique.
Le silence de Marie n'a pas lieu de surprendre, car la scène qui se
passe entre les deux mères prélude à celle où figureront plus tard
les deux fils: Jésus se taira devant Jean-Baptiste, qui lui rendra
témoignage; Marie se tait devant Elisabeth saluant le Messie dans
sa mère et prophétisant l'avènement du royaume de Dieu.
V. Naissance de Jban-Baptiste
« Or s'accomplit pour Elisabeth le temps de sa délivrance, et elle
enfanta un fils », — comme l'ange l'avait dit ; elle avait continué de se
tenir cachée pendant que Marie demeurait auprès d'elle ; — « et ses
voisins et ses parents apprirent » — seulement par la naissance de
l'enfant — « que Seigneur avait fait éclater sa miséricorde sur elle,
et ils s'en réjouissaient avec elle », — étant maintenant admis à la
voir. Ainsi commence de s'accomplir la prophétie de Gabriel (i,i4)- — •
« Et quand, le huitième jour, ils vinrent », — selon la coutume, —
<( circoncire l'enfant », — assister à la cérémonie et célébrer la iête de
sa circoncision, — « ils l'appelaient», — ils se disposaient à l'appeler —
« du nom de son père, Zacharie ». — Le nom personnel se donnait au
moment où l'enfant devenait par le rite d'initiation membre de la
communauté (voir Lagrange, 55 ; on a contesté que telle fût la cou-
tume juive, et supposé que l'évangéliste aurait prêté aux Juifs une
-coutume analogue à celle des Grecs, qui donnaient un nom à leurs
enfants le septième ou le dixième jour après la naissance ; cf.
102 LUC, I, 60-63
^o Mais, prenant la parole, sa mère dit i
« Non ; il s'appellera Jean. »
«1 Et ils lui dirent :
« Il n'est: personne de ta. famille
qui s'appelle de ce nom. »
^2 Et ils demandaient par signe à son, père
comment il voulait qu'on l'appelâti
*^ Et ayant réclamé tablette, il écrivit ces mots :
KLOSTEHMA.NN,. 383; J. WBiss-BoussïiT', 407)) 6* l'usage était de donner
au nouveau-né le nom de son grand-père ou de quelque autre proche
parent, plus rarement celui du père. Cette circonstance amène, dans
des conditions tout à fait merveilleuses, le complet accomplissement de
ce qu'avait dit Gabi'iel — « Et prenant la parole, sa mère dit : « Non,
il s'appellera Jean ». — Il serait tout à fait contraire à l'esprit de la
narration d'admettre qu'Elisabeth a trouvé, le nom toute seule, pour
exprimer' sa reconnaissance envers Dieu, ou bien que Zacharie aurait
communiqué à sa femme les instructions de Gabriel. Elle est censée
agir par une suggestion de l'Esprit divin. La rencontre de sa décision
avec celle que va donner Zacharie serait une comédie jouée devant la
famille par les deux époux, s'il y avait eu entente préalable ; mais
l'auteur veut montrer comment la Providence est arrivée à ses fins
en inspirant à la femme le nom révélé d'abord au mari dans l'occasion
où celui-ci devint muet. Les parents surpris ne se tiennent pas pour
battus. — «. Et ils lui dirent i (r II. n'est personne de ta famille qui
s'appelle de ce nom ». — Elisabeth ne répond pas, sans doute parce
qu'elle est censée ne pouvoir alléguer de raison contre la coutume ni
se prévaloir de l'inspiration qui l'a fait parier.
L'objection paraissant décisive, à^ceux qui l'ont faite^ ils en réfèrent
àZacharie comme à la personne qualifiée pour trancher définitive-
ment la question . Lîautéur suppose que des signes ont sufii pour lui
faire comprendre de quoi il s'agit, et il convient de s'en rapporter à
lui, plutôt: que de vo'iloiï" tirer argument de leur insuflîsance pour nier
la surdité de Zacharie. — « Et ils. demandaient par signes à son père
comment il voulait qu'on l'appelât )).■ — Le pauvre Zacharie, présent
à la discussion, est censé n'en rien entendre, parce qu'il est sourd
autant que muet. S'il n'avait été sourd, on lui aurait demandé soii.
avis de vive voix, ou plutôt il n'aurait pas été nécessaire de le lui
demander, et c'est lui-même qui aurait usé de signes pour appuyai'
l'avis de sa femme. — «; Et ayant demandé des tablettes> il écrivit ces
LUC, I, 64-66 103
« Jean est son nom. »
El ils furent étonnés tous.
** Or sa bouche s'ouvrit -
à l'instant, ainsi que sa langue,
et il parlait en bénissant Dieu,
^^ Et il y eut crainte sur fous leurs voisins, [choses ;
et dans toute la montagne de Judée se répétaient" toutes ces
^^ ef'tous ceux qui les apprenaient les plaçaient en leur cœur,
disant : « Que sera donc cet enfant ? »
mots : « Jean est son nom », — Sacliant qu'on ne s'accorde pas sur
le* nom de l'enfant, ignorant que le nom de Jean a clé proposé, inca-
pable de signiQer ce nom par gestes, Zacharie; demande ce qu'il faut
pour écrire (TCivaxiSiov désigne probablement une de ces tablettes
enduites de cire qui étaient dans l'usage ordinaire dés anciens). 11
signale comme devant être, comme étant le nom de l'enfant, celuique
lui a indiqué range'(le mot Xéytov, après eypa'lsv, ne sert qu'à introduire
la; formule écrite, comme en cas semblable l'hcbreu lêrnôr, et ne
signifieaucunementqueZacharie ait recouvré la parole en écrivant la
formule). — «Et ils furent tous étonnés», — devant cet accord, qu'ils
savaient n'aYoii' pu être prémédité entre les deux époux, sur un nom
dont ils ne voyaient pas la raison d'être. Mais ils n'étaient pas au
bout dfe leurs surprises. — « Or sa bouche s'ouvrit à l'instant », -—
en ce moment même' et subitement, — '• « aussi sa langue ». — On est
obligé de suppléer au moins pour le sens : « se délia » (èXûÔYi, ajouté
dans le ms D; et l'on pourrait se demander si lés deux propositions
parallèles ne sont pas variantes l'une de l'autre, le texte original
ayant contenu seulement l'une des deux, , probablement : « et sa
bouche s'ouvrit », d'après Dan, x, i6). — « Et il parlait en bénissant
Dieu », — comme il convenait à ces merveilleux événements.
« Et il y eut crainte sur tous leurs voisins ». — Cette^fois la stupeui*
est au comble- et comme on sent la main du Seigneur en toutes ces
choses extraordinaires, une religieuse terreur se répandaux alentours ;
il n'est bruit que dé ces prodiges dans toute la contrée. — « Et dans
toute la montagne dé Judée toutes- ces choses étaient répétées ». —
Tout le monde en' conçoit un présage de haute portée pour la destinée
d'un enfant sur qui, à son entrée dans le monde, la puissance divine
se manifeste avec tant d'éclat. — « Et tous ceux qui les apprenaient
les- recueillaient en leur cœur », — locution biblique' (cf. 1 Sam;, xxi,
-i3), — « disant : « Que sera donc cet entant ? » Aussi bien- la main de
104 LUC, I, G7
Aussi bien la main de Seigneur était avec lui.
®^ Et Zacharie son père fut rempli d'Esprit saint
et il prophétisa, disant:
Seigneur était avec lui ». — La réflexion finale doit être du narrateur,
car elle n'a pas de sens satisfaisant dans la bouche des Judéens ; elle
formait la conclusion naturelle du récit avant l'insertion du cantique
de Zacharie ; 'mais le cantique lui donne un air d'anticipation que
certains(mss. D, 89) ont fait disparaître en la corrigeant (par suppres-
sion de viv) pour la rattacher au précédent discoux-s et lisant : « Caria
main de Seigneur est avec lui »).
Le cantique de Zacharie vient en supplément de ce tableau comme
celui d'Elisabeth en supplément du précédent ; mais le Magnificat
est intercalé dans le récit, tandis que le Benedictus est presque en
dehors et semble venir après le moment où il aurait dû être prononcé,
comme si l'on, n'avait pas su le mieux loger. 11 a été dit (1,66) que
Zacharie ouvrit la bouche ^et bénit Dieu : ce sont ces louanges que
représente le cantique ; mais. une référence aussi mal venue, loin de
prouver que le rédacteur du cantique est le même que celui du récit,
est bien plutôt un indice du contraire. Le Magnificat acte ajouté
pour donner une expression plus complète à l'inspiration d'Elisabeth
en lui prêtant un oracle ; de même le Benedictus, pour transformer
en prophétie l'action de grâce du vieux prêtre. Comme il est placé,
le cantique ne paraît avoir rien de commun avec les bénédictions qui
accompagnent maintenant et qui ont pu accompagner dès l'antiquité
le rite de la circoncision (cf. Klostermann, 386) ; et en disant que
Zacharie « a prophétisé » (ârepocp/^Teuffev), l'évangéliste ne vise pas que la
forme mais aussi le contenu oraculaire du morceau. — « Et Zacharie
son père fut rempli d'Esprit saint », —comme plus haut Elisabeth
(r, 46), — « et il prophétisa en ces termes ». -=- Dans le cantique de
Zacharie, comme dans celui d'Elisabeth, l'élément personnel se
détache aisément du contexte et, une fois enlevé, laisse subsister
un psaume, imité de l'Ancien Testament, dans le même esprit que le
Magnificat. On y peut distinguer sept strophes, de deux vers
(distiques) chacune (r, 68-69, 70-71, 72-78, 74-75, 76-77, 78-79), les trois
dernières concernant Jean Baptiste, à moins qu'on n'admette j)lutôt
deux strophes inégales, découpées en quatre et trois couplets. La
mesure, d'ailleurs ne paraît pas très régulière, et, comme pour le
Magnificat, il est permis de se demander si l'on est en présence d'un
cantique hébreu plus ou moins librement traduit et glosé, ou bien
• LUC, I, 68-71 105
®8 Béni soit Seigneur, le Dieu d'Israël,
parce qu'il l'a visité et qu'il a fait délivrance à son peuple,-
*" Qu'il nous a suscité corne de salut
dans la maison de David son serviteur,
'" Selon qu'il a dit par la bouche
de ses saints prophètes d'autrefois,
'^ Qu'il nous sauverait de nos ennemis
d'une composition grecque où l'on aurait imité le style des Septante.
La seconde hypothèse pourrait n'être pas la moins vraisemblable ;
mais il est certain que le rédacteur évangélique, s'il n'a pas composé
les cantiques, les a retouchés et appropriés à son stylé. A ne considé-
rer que le fond du morceau, on pourrait se demander si le psaume
n'aurait pas été composé à la gloire de Jean comme personnage mes-
sianique et principal envoyé de Dieu(GRESSMANN, ap. Klostermann,
386).
« Béni soit Seigneur, le Dieu d'Israël ». — Le cantique commence
par la doxologie usitée dans les Psaumes (cf. Ps. xli, i4- ; lxxii,
i8 ; Lxxxix, 53 ; cvi, 48). Le motif de la louange est le salut messia-
nique ; mais, comme dans le Magnificat, la description procède par
traits généraux, exprimés par des aoristes grecs que l'on pourrait être
tenté de traduire au passé ; c'est aussi à la fin du cantique seulement
que s'ouvre la perspective de l'avenir. — « Parce qu'il l'a visité », —
par son Christ, et dans sa miséricorde, — « et qu'il a opéré la déli-
vrance de son peuple ». — H s'agit donc du présent et de l'avenir
messianiques : Dieu visite son peuple afin de le sauver. — « Et qu'il
nous a suscité une corne de salut », — métaphore biblique (I Sam.
II, 10 ; Ps. xviii, 3, etc. ), qui sert ici à désigner la puissance du
roi Messie, par qui vient le salut, — « dans la maison de David son
serviteur». — Une aflirmation aussi nette concernant le Messie
venu ne se comprendrait guère dans. un psaume juif ; d'où l'on peut
inférer que l'auteur du psaume était judéo-chrétien, si toutefois,
comme il est assez naturel, la formule « dans la maison de David »,
vise un Messie davidique, et que ce Messie soit Jésus. Mais il est plus
que risqué de trouver là un argument en faveur de l'origine davi-
dique de Marie. — « Selon ce qu'il a dit par la bouche de ses saints
prophètes d'autrefois ». — En envoyant le Christ Sauveur, Dieu
accomplit les promessses qu'il a jadis dictées aux prophètes, à
commencer par celles que Nathan (II Sam. vu, la) est censé avoir
adressées à David. — « Nous sauvant de nos ennemis et de la main
106 LUC, I, 72-7b
et de la main de \o\x?, ceux qui nous haïssent,
'^ Qu'il userait de miséricorde envers nospères'
et se souviendrait de sa sainte alliance,
^3 Du serment qu'il a juré
à Abraham notre père,
De nous accorder, ''* étant sans crainte,
sauvés de la main de nos ennemis,
de le servii* '^ en sainteté et justice,
devant lui, durant tous nos jours.
de tous ceux qui nous haïssent ». — Les ennemis; seraient les païens!
oppresseurs et persécuteurs du judaïsme. IL vai sans dire que l'éTangé-
li&te, sous ces formules apparemment juives, (cf. Ps. c"\a, ia),pouri*ait
comprendre en général les ennémisdu nom chrétien. ^- « Afin d'exer-
cer la miséricorde envers nos pères », — lespatriarches et spécialement
Abi'aham, qui va être bientôt nommé, — «et de se souvenirde sa sainte
alliance », — non pas spécialement le pacte du Sinaï, mais celui qui a été
inauguré par l'engagement solennel de Dieu avec Abraham, ainsi qu'il
va être expliqué. L'exercice de la miséricorde envers les pères paraît
impliquer leur participation personnelle et directe aux joies du règne
messianique: et non «seulement la satisfaction, un peu lointaine et inter^
prétative, que leur donnerait l'accomplissement des promesses au profit
de leurs descendants. C'est mettre beaucoup de choses entre les lignes
que d'entendre (avec GuEssMANNjZac. cit.) : « Enusantdemiséricorde»
envers nous comme jadis «envers nos pères »>. — «i Le serment; qu'il
a juré à Abraham notre père », — allusion à la piromesse consignée
dians la Genèse (xxii, 16-18 ; cf. Ps. cv, 8-1 1). — « De nous accorder,
étant sans crainte (et) délivrés de- la main de nos ennemis », — incir
dente lourde et répétition (de 1, 71), qui n'exprime d'ailleurs aucun
appétit d'extermination, — « de le servir dans la sainteté et la jus^
tiee. », — nous tenant — ce devant lui, tous les jours ». — Termes
faciles à interpréter en un sens judéo chrétien^ si"on les prend à la,
lettre. Mais cette phrase interminable et d'un lyrisme douteux esten
langage convenu, artificiel, et qui pourrait être symbolique. Il faut
noter que l'objet de la promesse faite à Abraham- a été complètement
changé, et que: « devant lui »> signifie autre chose que l'indepenr
"dance politique; d'Israël dansle pays promis à Abraham.
L'apostrophe à Jean-Baptiste n'est" pas autrement attendue, et Ik
première partie du cantique (i, 68-75) pourrait former un petit psaume
LUG, I, 76-78 lOT
'^ Mais toi aussi, enfant,
lu seras appelé prophète de Très-Haut
car lu marcheras devant la face de Seigneur^
pour préparer ses voies,
'^ Pour donner connaissance de salut à son peuple
par rémission de leurs péchés,
'^moyennant, la profonde miséricorde de noire Dieu
en laquelle il nous visitera, lumière d'en, haut,
compliet eu lui-même. — « Ol* toi aussi, enfant », — comme les fameur
voyants des anciens temps, — « tu seras appelé », — et effectivement
tu' seras — « prophète de Très-Haut ». — Ne dirait-on pas qpie ceci a
été écrit en. connaissance delà parole attribuée à Jésus (vu, 26 ; Mt.
XI, g) sur Jean prophète et plus que prophète ? Et l'on va trouver visé
le texte de Malachie (ni, i, peut-être avec réminiscence d'Is, xl, 3)
que Jésus est censé avoir cité en cette oecasibn. — « Car tu marcheras
devant la face dé Seigneur », — le Seigneur Dieu, dans L'économie
extérieure du discours, mais il ne s'ensuitpasnécessairement que, pour
l'évangéliste, Jean n'ait été que le héraut du i^ègne de Dieu, non le
précurseur de Jésus. Zacharie répète en termes cherchés ce qu'à dît
Gabriel (i, lô-i^), et la couleur juive des cantiques, tout comme celLe
des récits, pouri'ait tenir à- un parti pris, à: moins que le cantique à la
gloire de Jeanne provienae de la secte baptiste qui se réclamait de
lui. — «Pour donner la connaissance du salut à son peuple, par
rémission de leurs péchés ». — C'est la prédication de repentance
dont pai'lent les évangiles, et c'est par cette prédication que Jean,
marchant devant Dieu, prépare ses voies. 11 ne semble pas toutefois
qu'on doive- entendre : « pour donner, en » prêchant « la rémission
des péchés, la connaissance diu salut à son peuple », ce qui peut être
conforme à l'ancienne tradition évangélique, mais interprète un peu
subtilement le présent texte ; lés mots : « en rémission des péchés »,
viennèînt plutôt en explication de ce gu'est l'e salut annoncé. Jean
« donne la connaissance du salut », parce que c'est Dieu qui le réa-
lise, et le rôle de Jésus- dans cette l'éaliisation n'est pas autrement
indiqué ni même impliqué. Le pardon dès péchés est accordé —
«' moyennant la grande miséricorde », — littéralement : « les
entrailles- de miséricorde » (cf. Goi.. in, 12) — « de notre Dieu, par
laquelle il nous visitera », — ou bien : «nous a visités », car il ya
variante (mss SB L, Ss., émax.é<^era.i ; leçon commune k-KEcxi^^ioczo), et
l'on peut hésiter entre les deux leçons, là première semblant recom-
108 LUC, 1, 79
'^ Pour éclairer ceux qui sont assis en ténèbres
et ombre de mort,
pour diriger nos pas
en chemin de paix, d
mandée par le contexte immédiat, et la seconde établissant un
meilleur équilibre dans le cantique par la correspondance de la fin
avec le comnîencement. Avec le verbe au futur, il semblerait que la
visite en question dût se distinguer dé celle qui a été signalée d'abord
^i, 68), et désigner le grand avènement, ' la parousie du Christ; mais
l'objet de cet avènement n'est pas la conversion des hommes, et
dans tous les cas, il ne semble pas que l'auteur veuille distinguer
deux visites ; s'il a mis le futur dans notre passage, c'est par rapport
à ce qui vient d'être dit de Jean ; et la visite est la manifestation de
Dieu ; pour la rédaction évangélique, celle du Christ — « lumière
d'en haut », — ou « orient d'en haut » (àvaToX-ri kl ui|/ou;; cf. xxiv, 49)-
Il n'est pas question d'un soleil qui se lève en haut, mais d'un
lever de soleil qui vient du ciel. Ni l'étoile de Balaam ni l'étoile des
mages ne sont en cause ; outre que le mot (àvaToX-/)) s'emploie couram-
ment pour désigner le lever du soleil, un lever d'étoile n'est pas ce
qu'il faut pour éclairer le monde. Plusieurs estiment que « l'orient »
signifie le salut messianique (d'après Mal. m, 20 ; Is. lviiï, 8 ; lx,
i-a ; JuG. V, 3i) ; d'autres trouvent là une désignation personnelle du
Messie, suggérée par certains passages des Septante (jÉa. xxiii, 5 ;
Zach. III, 8 ; VI, 12 ; peu importe que l'hébreu donne un autre sens).
Il semble que la formule : « orient d'en haut », ne soit pas à prendre
comme sujet du verbe « visiter », mais en apposition avec le sujet,
qui est Dieu, dont l'épiphanie, venant « d'en haut » sera comme un
« soleil levant» . — « Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres
et l'ombre delà mort ». — Expressions d'Isaïe(ix, 1), dont Matthieu
(iv, 16) fait application au ministère galiléen de Jésus. Notre auteur
pouvait les entendre des Gentils ; mais le « nous » qui précède et celui
qui vient ensuite permettent d'y voir aussi bien le peuple Israélite,
coupable ou non, mais malheureux, avant la ihanifestation du salut.
Ces.ténèbresse dissipent maintenant, et la voie du salut s'éclaire. —
« Pour dii'iger nos pas dans le chemin de la paix », — pour que le
peuple fidèle marche sans obstacle dans la voie du bien, qui est
celle du bonheur (cf. Is. lix, 8). Cette partie du cantique se termine
dans la même perspective que la première, surtout si les deux n'ont
finalement en vue que la félicité promise à Israël.
LUC, I, 80-jr, 1 109
^° Or l'enfant grandissait et se fortifiait en esprit,
et il fut dans les déserts
jusqu'au jour de sa manifestation à Israël.
" Or advint, en ces jours- là,
que parut un édit de César Auguste,
ordonnant recensement de l'univers entier :
« Or l'enfant grandit » — physiquement — « et il se fortifia en
esprit », — son développement intérieur suivant celui de son corps. —
(( Et il fut dans les déserts ». — On ne dit pas depuis quel temps,
mais le lecteur entend bien que ce fut seulement quand il fut devenu
grand. Les déserts sont ceux de Juda, à l'ouest de la mer Morte. Il
y avait des esséniens dans cette région ; mais notre hagiographe n'a
pas pensé à eux, ou bien il ne désire pas qu'on y pense. Ce qu'on
sait de Jean est trop peu sûr pour que l'on puisse dire si et dans
quelle mesure il a pu subir l'influence de cette secte d'ailleurs insuf-
fisamment connue. — « Jusqu'au jour de sa manifestation à Israël ». — .
Le mot(àvâSetii;) signifierait plutôt» désignation» : il est sous-entendu
que Dieu a institué Jean prophète quand par sa prédication publique
Jean lui-même s'est vévélé tel devant le peuple. L'hagiographe
paraît s'être souvenu du jeûne Samuel grandissant dans la retraite
du sanctuaire jusqu'à ce que sa réputation de prophète se répandît
dans tout Israël (le rapport est avec I Sam. ii, ii ; m, 19-21, plutôt
qu'avec JuG. xiii, 24-20). Cette notice assez vague est évidemment
destinée à rattacher les récits merveilleux de la naissance à ce qu'on
lira plus loin touchant l'œuvre de Jean. On aura pensé qu'il avait
dû rompre de bonne heure avec la société, pour s'adonner au genre
de vie extraordinaire dont parlait la tradition évangélique. Du reste,
cette tradition supposait ou voulait donner à entendre que Jésus
n'avait eu de rapports avec Jean qu'à l'occasion de son baptême, et
ce qu'on nous dit de la précoce retraite du Précurseur dans la soli-
tude paraît être en rapport avec cette hypothèse ou cette intention.
VI. Naissance de Jésus
« Or il advint, en ce temps-là », — le temps où se passèrent les
faits précédents, c'est à savoir, on nous l'a dit (i, 5), le temps d'Hé-
rode, — (( que parut un édit de César Auguste pour le recensement de
l'univers entier ». — Il est vrai que l'empereur Auguste a fait faire
diO LUC, II, 2-3
^ ce fut le premier recensement,
Quirinius étant gouverneur de Syrie ;
' et tous allaient se faiit-e inscrire,
chacun dans sa ville,
à diverses reprises le recensement des citoyens romains, mais l'his-
toire ignore qu'il ait jamais fait exécuter un recensement universel
et simultané des populations de l'empire dans les conditions sus-indi-
quées,(ii, 2),c'est-à-dire pour établir partout l'assiette de l'impôt. Du
reste, l'évaugéliste s'explique aussitôt sur ce l'ecensement prétendu-
ment universel. — « Ce recensement étaitle premier » — qui se faisait
en Judée, et il se fit — >« Quirinius gouv-ernant la Syrie », — c'est-ià-
dire au temps et par les ordres du légat Âe .Syrie Quirinius . L'au-
teur, en disant : « Ce recensement fut Je premier », n'en vise, pas
d'autres .qui auraient -eu lieu ensuite ; mais il veut signifier qu'il n'y
en avait pas eu d'autre auparavant. Josèphe parle, en effet, à plu-
sieurs reprises (Ant. XVJI, i3, 5 ; XVIII, i, a ; L, 2.; XX, 5, 2 ; Bdl.
j'ud. Il, 8, .1), du recensement opéré par Quiriniuset qui provoqua la
révolte de Judas le Galiléen ; le rédacteur des Actes (v, 3^) parle
aussi de la révolte et .du recensement, et il dit .« le recensement »,
comme s'il n'y avait pas moyen de se tromper sur le fait en question ;
c'est le même recensement qui est visé, probablement par le même
rédacteur, dans notre passage et dans les Actes. Mais le recensement
dont il s'agit n'eut lieu qu'en l'an 7 de notre ère, après la déposition
d'Archélaûs (en l'an 6), lorsque la Judée devint province romaine,
et il n'atteignait que la Judée. Par conséquent notre auteur, en datant
la naissance de Jésus d'après le recensement de Quirinius, va con-
tredire non seulement Matthieu mais lui-même.: dix ans se sont
écoulés entre la mort d'Hérode et le recensement; il. y aurait plus de
dix ans entre la date qui est assignée à la conception de .Jésus et
celle qui est donnée pour sa naissance. Sujet d'Antipas, .Joseph n'au-
rais pas été soumis au .recensement de la Judée. Il est vrai que
certains apologistes lui supposent des propriétés à Bethléem. La
discussion des subtilités auxquelles se condamnent ceux qui veulent
défendre sur ce point la véracité du témoignage biblique n'est pas
de notre sujet (on pourra en prendre une idée suffisante dans
LAGRAN.GE, .65-68).
« Et tous allaient se faire inscrire, chacun dans -sa ville ». — A la
lettreioela .signifierait la ville où il était domicilié, le ehef-lieu de l'en-
droit où était sa résidence; c'est ainsi que les recensements quijse
LUC, II, 4 iill
* Joseph donc monta aussi de la Galilée,
de la ville de Nazareth, en Judée,
à la ville de David,
pratiquaient dans l'Egypte devenue province romaine comportaient
inscription au lieu de la résidence (Cf. Klostermann, 3g5). Mais ce
n'est pasainsi que l'entend notre auteur, et il suppose exactement le
contraire, puisque Joseph était domicilié à Nazaretli. Si sa règle avait
été appliquée dans tout l'empire de la même laçon qu'à Joseph, qui va
se faire inscrire dans la ville que son ancêtre supposé avait quittée
mille ans auparavant, jamais on n'aui-ait vu pareille migration de
peuples. Même en admettant que le recensement ne se fait que pour
les Juifs et par familles, il n'aurait été ni possible ni expédient de
remonter si haut, le centre de la famille davidique, si tant est qu'il
en subsistât quelques débris, n'était plus à Bethléem : la dynastie, ce
semble, avait duré assez longtemps pour acquérir droit de cité à
Jérusalem, Au surplus, la présence de Marie n'aurait .pas été néces-
saire, surtout dans les conditions indiquées, bien que l'évangéliste
semble le dire ; mais c'est elle surtout qu'il fallait amener à Bethléem
pour que Jésus y naquit, conformément à la prophétie de Michée.Là
-est la clef de la combinaison; et l'explication de l'anachronisme que
Je rédacteur évangélique n'a. pas aperçu ou qu'il a feint de ne pas voir.
Partant de la prophétie selon laquelle le Christ était censé devoir
naître à Bethléem, Matthieu y a domicilié les parents de Jésus : il n'a
donc pas eu besoin de les y amener ; mais il a été obligé de dire
pourquoi on les trouve plus tard à Nazareth, et c'est à quoi servent
le massacre de Bethléem et la fuite en Egypte. Notre auteur admet
plus naturellement que les parents de Jésus habitaient la Galilée ;
mais il a dû dire comment Jésus avait pu naître à Bethléem, et le
souvenir du recensement lui parut d'autant meilleur à exploiter que
l'acte de naissance du Christ se trouvait par là comme insci'it dans
les registres de l'empire (ainsi l'entend à bon droit Justin, I Apol.,3^) ;
c'est pourquoi aussi il a fait le recensement universel, l'inscription
du Sauveur du monde étant ainsi mieux encadrée. La rédaction du
troisième évangile et des Actes contient d'autres hardiesses ou bévues
semblables, que nulle subtilité d'exégèse ne réussit à écarter, et en
plusieurs de ces endroits l'hagiographe a exploité plus que librement
Josèphe.
« Or Joseph aussi », — comme tout le monde, se fit enregistrer, il
— «monta de la Galilée, de la ville de Nazareth », — où il demeurait,
— « en Judée, à la ville de David », — la ville dont David était origi-
112 LUC, II, 5
qui est appelée Bethléem,'
parce qu'il était de la maison et famille de David,
5 pour se faire inscrire avec Marie sa femme,
qui était enceinte.
naire, — .« laquelle est appelée Bethléem »; — il venait là — « parce
qu'il était de la maison et famille de David », — dont on doit sup-
poser que Bethléem est restée le centre, — «.pour se faire inscrire,
avec Marie sa femme, qui était enceinte ». — On ne voit pas nette-
ment si Marie est censée venir pour se faire enregistrer elle-même ou
pour accompagner Joseph. La réserve du narrateur peut s'expliquer
par deux raisons : il aura pensé que l'obligation du recensement n'at-
teignait pas la femme, et que, si Marie avait dû se faire inscrire per-
sonnellement d'après sa généalogie, elle ne serait pas venue à
Bethléem ; car ici encore on s'abstient de dire que Marie ait appartenu
à la race de David (Ss. dit : « parce qu'ils étaient tous deux de la race
de David » ; cette leçon doit provenir du Diatessaron de Tatien, car
Aphraates et Ephrem la citent comme évangélique). Noter aussi que
l'on parle de Nazareth, de Joseph et de. Marie, comme s'il n'en avait
pas encore été question : ce ne doit pas être parce que le récit de
l'annonciation et celui de la naissance ne viendraient pas de la même
source, mais ce pourrait être pai'ce que les deux fictions ont été
formées indépendamment l'une de l'autre, pour répondre à deux
questions distinctes ; en quelles circonstances le Christ a-t-il été
conçu et révélé à ses parents? Comment se fait-il que Jésus de Naza-
reth soit né à Bethléem ? On pourrait supposer aussi que la combi-
naison du recensement vient de l'évangéliste, ainsi que les répéti-
tions concei'nant Nazareth, Joseph et Marie. Celle-ci, dans les plus
anciens manuscrits (SBCDL), est dite encore « fiancée » ; d'autres
témoins non moins anciens (Ss., mss. lat. ah c ff^) disent « femme » ;
et d'autres en grand nombre réunissent bizarrement les deux termes
dans la formule : « femme fiancée >;. Le, récit primitif devait dire
« femme » ; mais l'évangéliste a très bien pu remplacer «femme» par
« fiancée », si c'est lui qui a introduit la conception virginale dans le
récit de l'annonciation, afin de caractériser le rapport très spécial
qu'il suppose entre Marie et Joseph ; et certains copistes ont pumettre
« femme », parce que le mot « fiancée » était quelque peu équivoque et
que, Marie étant alors légalement femme de Joseph, l'emploi du mot
« femme» ne faisait point toi't à la conception virginale; la leçon
« femme fiancée » a rassemblé les deux variantes.
LUC, II, 6-7 113
^ Mais, pendant qu'ils étaient là,
s'accomplit le terme de sa délivrance,
' et elle enfanta son ûls premier-né ;
elle l'enveloppa de langes
et elle le coucha dans une crèche,
parce qu'il n'y avait point place pour eux dans le logis.
« Or, pendant qu'ils étaient là », — à Bethléem, on ne dit pas depuis
quand, et l'indication reste vague, tout l'intérêt de la notice étant,
pour l'écrivain, dans le fait qu'ils sont «là », — «s'accomplit le terme
•de son enfantement, et elle enfanta son fils premier-né » — L'absence
de tout détail sur les circonstances principales est d'autant plus
remarquable que l'auteur va se l'épandre dans un récit accessoire.
-« Premier-né » (Trpwrçtoxoç) peut s'entendre au sens biblique de pre-
mier fruit (et en prévision de ii, 32-2'^), sans préjuger la naissance
d'autres enfants; toutefois le premier auteur a pu l'entendre autre-
ment. — « Elle l'enveloppa de langes et, le coucha dans une crèche »,
— 11 est bien téméraire d'inférer de là que Marie a ignoré les douleurs
<ie l'enfantement, qui, d'après le récit même, a eu lieu près de la
crèche où est déposé l'enfant; assurément notre hagiographe ne
répugne à aucun miracle, mais celui-là n'était peut-être pas assez
grand pour retenir son attention. Le trait n'a d'importance que par
sa signification, et il tient àl' anecdote des bergers. La crèche est dans
un lieu abrité oùles bergers viendront bientôt comme dans un endroit
à eux familier. L'auteur a pu eu savoir plus long qu'il ne dit sur le
caractère de l'étable ; mais il serait téméraire de le conjecturer. Ce
qui le préoccupe doit être quelque accomplissement de prophétie, et
l'on peut croire qu'il a en vue le passage du Psaume (lxxviii, ^jo-^i),
où il est" dit que lahvé a pi-is David derrière les brebis pour laire de
lui le chef de son peuple : le Christ entre au monde parmi les
troupeaux et les bergers; le signe auquel on va reconnaître ce descen-
dant du berger devenu roi ,est la crèche qui lui sert de berceau.
Toutefois le rédacteur évangélique a pu se complaire dans la simpli-
cité de ce tableau, où le Christ apparaît en prince des humbles. Que
l'étable ait été une grotte, la tradition a de bonne heure {Protev.
Jacobi, xvlii-xix ; Ju.sïin, Dial. 'jS) pensé le savoir, mais notre
texte ne le dit pas. — « Parce qu'il n'y avait pas de place pour eux
dans le logis » — ne fait qu'expliquer la crèche. Le a logis» (xa-aÀu'txa)
ne semble pas désigner dans notre récit l'hôtellerie ouverte, le cara-
vansérail (7cavSo;(^erov, dansx, 34)., mais la salle commune d'une maison
où on loge (cf. XXII, ii). Il n'est pas insinué qu'on les ait chassés,
A. LoisY. — L'Évangile selon Luc.
U4 LUC, II, 8
^ Et des bergers étaient,
mais que, la maison étant pleine, ils se sont réfugiés dans l'écurie. Au
temps d'Origène (Cels. I, 5i), on montrait la grotte cl même la crèche
de la nativité.
Il paraît que l'on utilise encore aujourd'hui à Bethléem plusieurs
grottes en guise d'étable ; mais l'origine de la tradition doit être
ailleurs. Jérôme ÇEp. Lvni) dit qu'il y avait à Bethléem un bois sacré
de Tammuz-Adonis, et que le deuil d'Adonis était célébré dans la
caverne où vagit le Christ enfant ; quoique Jérôme semble vouloir
l'insinuer, le culte d'Adonis ne doit pas être postéiieur, mais anté-
rieur à la naissance de Jésus, et ce doit être le Christ qui a pris la place
d'Adonis. Ily a lieuaussi de comparer la légende de Mithra. Les dieux
solaires naissent volontiers dans les cavernes, et le Christ a été de
très bonne heure assimilé aux dieux solaires. Sa résurrection a lieu
dans une caverne., comme sa naissance ; et l'on peut voir que la
grotte de Bethléem était aussi bien pour Adonis une caverne sépul-
crale. Justin cite aussi, à propos de la grotte de Bethléem, un texte
d'Isaïe (xxxni, i6) et un de Daniel (ii, 34), faisant lui-même le rap-
prochement avec la caverne de Mithra (Dial. 70) ; mais on peut
douter que ces textes aient suggéré l'attribution de la grotte au
Christ ; l'attribution aura été plutôt documentée par les textes.
On a fait remarquer que, les troupeaux étant dehors pendant la
nuit, ce qui n'a pas lieu dans les nuits d'hiver (assertion contestable
à ce qu'il parait ; cf. Lagkang-e, 78), le narrateur avait entendu pla-
cer la naissance de Jésus dans la belle saison.entre mars et novembre.
Peut-être n'y regardàit-il pas de si près. Mais il en va de la date de
la naissance comme de la grotte ; si dès lors quelques-uns faisaient
naître le Christ au solstice d'hiver, comme le soleil, l'évangéliste ne
le dit pas ; et l'on devrait supposer qu'il ne se souciait pas d'insis-
ter sur ces affinités mythologiques. Il ignore aussi le bœuf et l'cine,.
qui ne sont venus que plus tard, par application d'un texte d'Isaïe
(i, 3, interpi'été par Hab. ni, 2, Sept.). Ovigène(Hom. i3)est le plus
ancien auteur qui y fasse allusion. Des données mythologiques ont
influeucé directement" ou indirectement notre récit; mais ce pourrait
bien être temps perdu que de vouloir indiquer ou reconstruire le pro-
totype mythique dont il procéderait (voir diverses hypothèses dans
Klosïekmann, 391) ; car des influences diverses ontcontribué à le for-
mer ; et il convient de faire assez large la part. de l'adaptation mes-
sianique et chrétienne, et celle même du rédacteur évangélique.
Près de la crèche celui-ci amène les bergers. — « Et des bergers
LUC, II, 9-11 lis
en la même contrée, qui demeuraient aux champs
et qui passaient les veilles de la nuit
auprès de leur troupeau. '^
° Et un ange de Seigneur les aborda,
une clarté de Seigneur resplendit autour d'eux,
et ils furent saisis de frayeur grande,
" Et l'ange leur dit :
« N'ayez pas peur ;
car je vous annonce grande joie,
qui sera pour tout le peuple :
11 c'est que vous est né aujourd'hui un sauveur,
qui est Christ Seigneur,
étaient, dans la même contrée », — les alentours de Bethléem, —
« aux champs, et veillant la nuit sur leurs troupeaux ». — Dans Luc
aussi bien que dans Matthieu le Christ naît pendant la nuit, et c'est
pendant la nuit que les bergers, comme les mages, viennent adoi'er
le Christ. Ces traits accusent l'influence de mythes et de traditions
rituelles. — « Et un ange de Seigneur les aborda, une clarté de
Seigneur », — une grande lumière apparaissant avec l'ange, —
« resplendit autour d'eux». — Cette apparition lumineuse, coïnci-
dant avec la naissance de Jésus, ne montre pas seulement que le
Christ apporte la lumière à ceux qui sont assis dans les ténèbres (i, [79),
elle assimile sa venue à l'épiphanie d'un dieu de lumière, et con-
vient au symbolisme-solaire dont s'est pénétrée la légende de Jésus.
— (( Et ils furent saisis de grande frayeur » — -devant ce messager
céleste (cf. i, 12).
On n'a pas dit le nom de l'ange, mais la formule « ange de Sei-
gneur» ne désigne pas « l'ange de lahvé », souvent mentionné dans
l'Ancien Testament, un membre quelconque des milices célestes
suffisant pour le message dont il s'agit. Comme d'ordinaire (cf. i. i3,
3o), l'ange l'assure d'abord ceux à qui il est envoyé. — « Et l'ange
leur dit : « N'ayez pas peur ; car je vous annonce grande joie », —
heureuse nouvelle et sujet de joie — « pour tout le peuple », — le
peuple d'Israël. Cet ange n'est pas moins judaïsant que Gabriel. —
« C'est qu'il vous est né aujourd'hui un sauveur, qui est Christ Sei-
gneur ». — Le sauveur en question est le Christ roi (cf. xxTn,2),
qu'Israël espèi'e. C'est le mot « sauveur » (cwT-f|p) qui est princi-
pal, et qui, nonobstant l'apparence juive du discours et delà mise
en scène, se substitue, titre païen de divinités bienfaisantes, restau-
116 LUC, H, 1214
dans la ville de David.
^2 Et ceci vous sera signe :
vous trouverez enfant en langes et couché en crèche. »
^* Et tout à coup il y eut avec l'ange troupe d'année céleste,
qui louaient Dieu et disaient :
^* ce Gloire en haut à Dieu,
et sur terre paix chez hommes d'élection. »
ratrices de l'ordre et de la paix dans le monde, titre de princes que
l'on flatte de l'apothéose (cf. Lagrange, [^ô), au Messie que les Juifs
Rttendent(cf.jN. iv, 25,2g, 4'-^). Le mot «Seigneur» (xûpioç), au contraire,
a moins de relief, et il est permis de se demander si l'auteur
n'avait pas écrit simplement: « le Christ de Seigneur ». Mais il semble
plutôt que l'évangéliste a évité de dire : « le Christ de Seigneur»,
c'est-à-dire « le Messie de lahvé », et que le mot « Seigneur »
est employé ici, comme « Sauveur », d'après l'usage païen qui l'appli-
quait aussi bien aux dieux et aux empereurs divinisés (Lagbange,
lec. cil.). Le Messie dont il s'agit est le vrai Seigneur, comme il est
l'unique Sauveur. Ce Sauveur, qui est le Christ, est né, comme il
devait naître, — « dans la ville de David », — à Bethléem. Et par-
lant comme les anciens prophètes (I Sam. x, a ; Is. xxxvii, 3o ;
XXXVIII, "j), l'ange donne aux bergers un signe pour reconnaître
l'enfant Christ. — « Et ceci vous sera signe : vous trouverez un
enfant en langes et couché en crèche». — On voit bien maintenant
pourquoi le narrateur a parlé plus haut de langes et de crèche : il
faut admettre que le renseignement est suffisant pour que les ber-
gers trouvent promptement et sûrement le Chi'ist.
Avant que l'ange s'éloigne, l'apparition s'élargit. — « Et tout à
coup il y eut avec l'ange une ti*oupe d'armée céleste », — toute
une foule d'autres anges, — « qui louaient Dieu et qui disaient :
« Gloire dans les hauteurs à Dieu ». — Sur cette première partie de
l'hymne angélique les témoins du texte sont d'accord; pour la seconde
partie les plus anciens manuscrits grecs et les latins lisent : — « Et
sur terre paix aux hommes de bienveillance», — ou « d'élection»,
aux élus de Dieu. La plupart des mànusci'its grecs et des versions
syriaques (à commencer par Ss.) ont : « Et sur terre paix, aux
hommes bienveillance». La première leçon fournit une sorte de dis-
tique dont les deux membres se correspondent en un parallélisme
si exact qu'il paraît intentionnel. La seconde leçon donne un tristique
dont les deux derniers membres correspondent moins bien au
LUC, If. 153-17 117
1^ Et quand les anges furent partis d'auprès d'eux au cieL,
les bergers se dirent entre eux ;
« Rendons-nous donc à Belhlécin.
et vo^'ons cette chose survenue,
que le Seigneur nous a fait savoir. »
^* Et ils vinrent en hàle,
et ils trouvèrent Marie et Joseph,
et l'enfant couché dans la crèche.
" El à cette vue, ils racontèrent la parole
premier, et le troisième alïecte un caractère franchement uni versalisle
qui n'est pas dans le ton général des récits. L'idée principale reste la
même : l'œuvre du Sauveur annoncé consiste à donner la paix ou le
salut au monde, à glorifier Dieu par le salut des prédestinés. Il est
beaucoup moins indiqué d'entendre le « bon plaisir » (tùooy.h.) de la
bonne volonté des hommes, l'auteur imitant le langage de l'Ancicu
Testament et qualifiant les bénéficiaires du salut plutôt qu'il n'en
détermine les conditions. Le sens de «bonne volonté » peut nous
sembler plus clair, mais il est, en réalité, moins clairement indiqué
par le texte (cf. x, ar). Ce chant des anges, approprié à la circons-
tance, n'exprime pas un simple vœu, mais une assertion, l'honneur
étant, en principe, acquis à Dieu, et la grâce aux élus, par la nais-
sance du Messie. On peut dire môme que c'est une véritable acclama-
tiou messianique, d'ailleurs imitée de celle dont Jésus sera plus tard
salué sur le mont des Oliviers (x[x,38). Mais l'intervenlion collective
des anges et leur petit cantique sont, pour ainsi dire, superposés au
récit, comme s'ils avaient été ajoutés après coup, de la même façon
que le Magnificat et le Benedictus. Ils forment seulement une strophe
de quatre lignes, c'est-à-dire de moitié plus courte que ses voi-
sines .
« Et quand les anges fuirent partis d'auprès d'eux au ciel ». —
Noter la gaucherie de cette reprise . — « Les bergers se dirent entre
eux: « Rendons-nous donc à Bethléem, et voyons cette chose arri-
vée », — cet événement extraordinaire, : — « que le Seigneur nous a
fait savoir». Et ils vinrent en hâte», — àtraversla campagne, jusqu'à
Bethléem, — « et ils trouvèrent », — on pourrait traduire : « ils
découvrirent» (àveSpav) — « Marie et Joseph, et l'enfant couché dans la
crèche », — comme l'ange le leur avait dit. L'enfant dans la crèche est
le «signe » donné ; c'est, visiblement, pour l'auteur, le trait le plus
significatif du récit. — a Et l'ayant vu, ils i-acontèrent ce qui leur
118 LUC, II, 18-20
dite à eux touchant cet enfant ;
^^ et tous ceux qui les entendirent furent en admiration
de ce qui leur éiail dit par les bergers.
'^^ Mais Marie retenait toutes ces paroles,
les méditant en son cœur.
^° Kt s'en retournèrent les bergers,
glorifiant et louant Dieu
pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu,
selon qu'il leur avait été dit.
avait été dit touchant cet enfant». — Il semblerait que toute la ville
ait été sur pied pour les recevoir et qu'ils aient des gens à qui racon-
ter, au milieu de la nuit, ce qui leur est ariùvé. — « Et tous ceux qui
les entendirent furent en admiration de ce qui leur était dit par les
bergers ». — L'étonnement s'explique, maison a déjà dit la même
chose pour Jean-Baptiste (i, 63, 65-66).
Avant de laisser partir les bergers, lé rédacteur évangélique
intercale dans le récit une note à propos de Marie. — « Or Marie
retenait toutes ces pai'oles », — les récits des bergers, — « les médi-
tant en son cœur ». — L'évangéliste aurait-il voulu donner une
garantie à des merveilles que la première génération chrétienne et
tous les contemporains avaient ignorées, et suggérer l'idée d'une
tradition plus ou moins secrète, remontant à Marie elle-même, il est
permis d'en douter ; et peut-être co)ivient-il de ne pas lui prêter
une si grande habileté dans la Qction ; l'auteur de cette remarque,
dont on trouvera plus loin la répétition, semble avoir été plu-
tôt préoccupé de donner plus de relief au personnage de Marie ;
iln'entend pas signifier que Marie ait gardé ces souvenirs afin de les
dire plus tard, mais que, témoin de ces grands événements, elle y
apportait le religieux intérêt qui convenait à la mère du Christ. On
verra que la même remarque, dans le second passage où elle se
trouve (il, 5i), paraît destinée à cori-iger l'impression fâcheuse que l'a-
necdote racontée pourx'ait laisser. Le rédacteur se refuse à prêter des
cantiques à Marie comme il en a prêté à Elisabeth et à Zacharie,
mais il a trouvé moyen de faire valoir son silence. Seulement la
remarque vient ici en surcharge, comme les cantiques ; elle coupe
par le milieu la dernière strophe concernant les bergers, et elle y
ajoute deux lignes en surnombre.
« Et les bergers s'en i-etournèrent » — auprès de leurs troupeaux,
— «glorifiant Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu» — delà
part de l'ange, — « et qu'ils avaient vu comme il leur avait été dit», —
LUC, II, 21-22 119
'^ El lorsque furent accomplis huit jours pour sa circon-
[cision,
on lui donna le nom de Jésus,
qui avait été indiqué par Tang-e
avant sa conception dans le sein.
22 Et lorsque furent accomplis les jours de leur purification
[selon la Loi de Moïse,
ils le portèrent à Jérusalem
pour le présenter au Seigneur,
ayant trouvé l'enfant Christ dans 165 conditions indiquées par le
messager céleste.
VII. Circoncision kt puésenïation au temple
« Et lorsque huit jours furent accomplis pour sa circoncision », —
c'est-à-dire, quand le huitième jour, terme légal de la circoncision, fut
arrivé(cf. i, 5^;ii,6), — « on lui donna le nom de Jésus», — c'est*à-dire
lenom à lui — «assigné par l'ange avantqu'il fût conçu n. — La notice
n'est illustrée que par cette référence au récit de rannonciation(i, 21).
Relativement à la légende de Jean, celle de Jésus est presque pauvre,
et pour un peu on croirait que le premier auteur a démarqué celle-ci
de celle-là, qu'il aurait trouvée toute faite. Du moins les parents de
Jésus sont-ils présentés comme aussi soucieux d'observer toutes les
prescription légales que les parents de Jean.
« Et quand furent accomplis les jours de leur purification », — au
terme des quarante jours après lesquels doit être puriflée la femme
qui a donné le jour à un enfant mâle, — « selon la loi de Moïse ».
— Mais le Lévitique (xii, 2-4, 6-8) ne vise que la purification de la
femme, seule frappée d'impureté par l'accouchement (de là vient, dans
notre passage, la variante aùx-Tiç, au lieu de aÙTwv ; la variante aùroZ,
D, mss. lat. Ss., aura été suggérée par le fait que la suite du récit
semble concerner uniquement la présentation de Jésus) ; et il est de
toute invraisemblance que l'auteur ait eu l'idée de faire purifier aussi
Joseph. Il apparaîtra bientôt que le narrateur, en disant : « leur
purification », a confondu ou volontairement associé le rachat
du premier-né (Ex. xni, 2, 11-16) avec la purification de la mère,
comme si c'étaient deux rites de même ordre, et qu'il ramène le tout
à une présentation de l'enfant au temple par ses pai'cnts, pour une
sorte de consécration analogue à celle de Samuel (I Sam. i, 24-28) —
« Ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur» — dans
120 LUC, H, 23-2o
2^ selon qu'il est écrit en Loi de Seigneur,
que tout mâle premier-né sera dit consacré au Seigneur ;
'^^ et pour ofïrir en sacrifice,
comme il est dit en la Loi de Seigneur,
une paire de tourterelles ou deux jeunes colombes.
23 Or un homme était à Jérusalem,
qui avait nom Siméon,
et cet hommje était juste et pieux,
son temple, — « selon qu'il est écrit dans la loi de Seigneur, que tout
mâle premier-né sera dit consacré au Seigneur ». — Cela (Ex.xiii, 2)'
s'entend d'une consécration pareille à celle des animaux pour le
sacrifice, et sur ce droit de Dieu se fonde l'obligation du rachat,
parce que labvé répudie le sacrifice humain. — « Et pour offrir le
sacrifice, comme il est prescrit dans la Loi de Seigneur ». — Mais la
prescription qui va être citée est le passage du Lévitique concernant
le double sacrifice à offrir pour la purification de la mère : — « unfr
paii'e de tourterelles ou deux jeunes colombes ». — C'est le sacrifice
des pauvres, où une des tourterelles remplace l'agneau d'holocauste,,
l'autre tourterelle étant la victime spéciale pour le sacrifice de puri-
fication.
11 est invraisemblable que le premier auteur ait parlé de « leur
purification ». Comme la citation concernant le rachat du premier- né
se trouve placée de telle sorte que ce qui est dit du sacrifice de puri-
fication paraît s'y rapporter, on peut croire que cette citation est de
l'évangéliste, qui n'en voyait pas clairement la signification histo-
X'ique et légale. Le récit primitif ne parlait probablement pas du
rachat et indiquait comme motif du voyage le sacrifice exigé pour la
purification de Marie ; en y mêlant le rachat, l'évangéliste a dit
« leur purification », entendant par là un sacrifice sansrapport spé-
cial avec l'impureté de la mère ; mais s'il a eu égard dans ces-
retouches à la conception virginale, la citation qu'il fait (ttôcv apasv
oiavotyov irrjxpav) montre qu'il n'est pas du tout préoccupé de la virgi-
nité dans l'enfantement. L'objet véritable du récit est de montrer-
comment Jésus, déclaré Sauveur et Messie parles anges au moment
de sa naissance, a été encore salué comme tel dans le temple par
deux vieillards inspirés, prophète et prophétesse, lorsque ses parents
sont venus à Jérusalem dans l'occasion indiquée.
« Et un homme était à Jérusalem, qui avait nom Siméon », —
nom très commun, et personnage inconnu d'ailleurs ; — « et cet
LUC, II, 26-29 121
aLtendant la consolation d'Israël,
et Esprit saint était sur lui •
26 et avait été révélé à lui par l'Esprit saint
qu'il ne verrait pas mort
avant qu'il n'eut vu le Glirist de Seigneur.
27 Et il vint en l'Esprit au temple ;
et comme ses parents apportaient l'enfant Jésus
pour faire ce que presciivait la Loi à son égard,
28 lui-même le prit dans ses bras,
et il bénit Dieu et dit:
29 « Maintenant tù co.jgédies ton serviteur, ô Maître,
homme était juste et-pieux, attendant la coiisolatiofi d'Israël », — le
règne messianique, la grande consolation dont parle Isaïe (xl, f ;
xLix, i3) ; — « et l'Esprit saint était sur lui », — il était favorisé des
communications célestes. — « Et il lui avait été révélé par l'Esprit
saint », — par une illumination prophétique, et non dans un songe,
— « qu'il ne verrait pas la mort avant qu'il eût vu le Christ de Sei-
gneur ». — Ceci aurait pu être écrit pour amorcer le cantique,
préambule (11,26) et cantique étant aussi faciles à détacher de leur
contexte que le Magnificat et le Benedictus. Toutefois la présente
indication paraît nécessaire pour l'équilibre de la strophe, et il est
possible qu'elle ait suggéré l'insertion du cantique, plus sûrement
dénoncée par la structure même du récit. — « Et il vint en l'Esprit »,
— par son impulsion, ou bien en étal d'inspiration, — «au temple»,
— jl'enceinte sacrée (Upov), ouverte aux Israélites pour les exei'cices
de leur culte. — « Et comme ses parents apportaient l'enfant Jésus
pour faire ce que prescrivait la Loi à son égard ». — Le narrateur
n'insiste pas sûr l'exécution des rites ; il parle de ceux-ci comme de
la circonstance qui occasionna le témoignage rendu au Christ, — « Il
le prit dans ses bras et il bénit Dieu ». — Tout de suite l'homme ins-
piré a reconnu le Messie dans l'enfant qu'apportent Marie et Joseiih ;
le pi'enant dans ses bras, il émet à son tour une prophétie en forme
de cantique, mais plus courte que celles d'Elisabeth et de Zacharie,
car elle ne contient que trois strophes ou plutôt trois distiques. Le
thème est l'accomplissement de la promesse dont il vient d'être
parlé, et le cantique a été composé en entier parle rédacteur.
« Et il dit : « Maintenant tu congédies ton serviteur » ; — tu lui donnes
congé de l'existence, son service étant fini (cf. Nombu. xx, 29 ; Tob.
III, 6). — Mais cette façon de parler ne signifie pas que la vie soit un
122 LDC, II, 30-;^3
selon ta parole, en paix,
2° parce que mes yeux ont va ton salut,
^^ que tu as préparé à la face de tous les peuples,
32 lumière pour éclairer les nations
et gloire de ton peuple Israël. »
33 Et sou père et sa mère étaient étonnés
de ce qui se disait de lui.
esclavage dont la mort serait l'alTranchissement. — « O maître, selon
ta parole, eu paix ». — Siméon peut mourir heureux, comme Jacob
quaud il eut retrouvé Joseph (Gex.slvi, ;jo) . — «Parce que mes yeux,
ont vu tou salut ». — « Le salut de Dieu » dont parle Isaïe (xl, 5,
Sept.), c'esti-à-dire le Sauveur envoyé par Dieu. — « Que tu as pré-
paré à la face de tous les peuples », — pour qu'ils soient témoins de
ce grand événement, comme le dit encore Isaïe (lu, io). — «Lumière
pour éclairer les nations », — littéralement: «lumière pour révélation
de nations ». c'est-à-dire « lumière révélée aux nations », ou « qui
révèle aux nations » le salut et Dieu i^cf. Is. xlii, 6 ; xlix, G), — « et
gloire de ton peuple Israël ». — Encore une réminiscence d'isaïe
^XLVi, i3 . Ce dernier slique peut être parallèle à « révélation des
nations », et subordonné à «lumière», ou plutôt parallèle à «lumière»,
et subordonné, comme explication, au « salut » de Dieu (ii, 3û).
« Et son père et sa mère étaient étonnés de ce qui se disait à son
sujet ». — La remarque ne vient pas à sa place, car il reste encore
beaucoup à dire sur l'enfant : le premier auteur avait dû la mettre à
la fin du récit, où elle se référait aux discours de Siméon et d'Anne,
et faisait transition pour le départ en Galilée. L'addition du cantique
aura déterminé la transposition ; mais c'est l'auteur primitif qui
disait si simj^lement : « Son père et sa mère » (par égard pour la con-
ception virginale, beaucoup de manuscrits grecs et latins lisent
« Joseph », au lieu de « son père »). Siméon va se reprendre pour
dire une prophétie en prose, qui est d'un autre tou que le cantique ;
et il est à noter que le cantique et le discours sont introduits l'un et
l'autre par une formule où se renconti-e le mot « bénir » : Siméon
« bénit » Dieu et prononce le Isunc dimittis ; Siméon « bénit » les
parents de Jésus et annonce la destinée de l'enfant. La première
bénédiction aura été dédoublée de la seconde. Dans l'économie primi-
tive du récit, le vieillard, abordant les parents de Jésus, les bénissait,
leur adressait une salutation convenable à la dignité qu'il leur recon-
naissait, puis il leur annonçait comment le Christ serait reçu en
LUC, II, 34-35 123
** Et Siméon les bénit et il dit à Marie sa mère :
« Celui-ci est mis pour chute
et pour relèvement de plusieurs en Israël,
et en signe contredit,
^5 — et ton lime à toi-même, glaive (la) transpercera, —
Israël. Maintenant « le père et la mère » semblent admirer seulement
la perspective brillante qu'ouvre le cantique. Au fond, la surpi-ise et
l'emploi des mots « parents », « père et mère », seraient peu naturels
si l'auteur principal avait été préoccupé de la conception virginale ;
ils ne font pas difficulté si cet auteur ignorait la conception sux*na-
turelle et avait parlé seulement de la purification de Marie.
« Et Siméon les bénit, et il dit à Marie sa mère». — Pourquoi
Siinéon s'adresse à Marie seule et non à Joseph, ce n'est point assu-
rément par une sorte d'instinct prophétique, mais pour préparer la
surcharge introduite dans le discours et qui concerne spécialement
la mère de Jésus. Par conséquent, la vraisemblance est que, dans la
source, on lisait : « Et Siméon les bénit et il leur dit ». — « Celui-ci
est mis pour chute », — c'est la pierre d'achoppement d'Isaïe (vin,
i4)> — « et pour relèvement » — ou « résurrection» — « de plusieurs
en Israël, et en signe contredit ». — C'est par cette contradiction au
signe de Dieu, au Christ lui-même, agent de miracle. et de salut, que
tomberont ceux qui ne voudront pas croire en lui. Le discours a la
concision et l'obscurité d'un oracle. On peut trouver suffisamment
développée l'antithèse de la chute et du relèvement, puisqu'il n'est
plus parlé ensuite que de contradiction ; mais il n'est pas à présumer
que l'auteur ait fait prophétiser à Siméon la réprobation de, tous les
Juifs (cf. 1, P[ER. 11,6-8). Ce qui fait réellement embarras dans le
discours est l'espèce de parenthèse qui concerne Marie,
« Et ton àme à loi-même, un glaive la transpercera ». — Origène a
pensé que le glaive dont l'âme de Marie devait être transpercée était
le doute sur la mission divine de Jésus, à l'occasion de sa mort. Si le
discours était d'une seule venue et que l'on dut interpréter par celles
qui suivent les paroles que Siméon adresse à Marie, cette explication
mériterait peuL-ôlre plus de l'aveui- qu'elle nen a trouvé auprès des
exégètes modernes ; mais il est plus indiqué d'admettre que l'apos-
trophe à lu mère de Jésus appparlient à un autre courant d'idées que
son contexte, et de l'interpréter dans le sens le plus naturel qu'elle
présente par elle-même. Or le glaive qui perce le cœur (igure assez
mal le doute qui partage l'àme, et l'on ne voit pas l'intérêt que pou-
124 LUC, II, 36
pour que soient découvertes les pensées de plusieurs cœurs, »
'^Etil y avait Anne, propliélesse,
fille de Phanuel, de la Iribu d'Aser ;
vait avoir l'évangélisle à faire valoir une telle idée ; il s'agit plutôt de
ladouleur qu'éprouvera Marie de la contradiction rencontrée par son
fils, c'est-à-dire en définitive, de la passion du Christ. On aurait
donc là un trait de la sensibilité particulière que le rédacteur
montre en beaucoup d'endroits ; il ne s'est pas risqué à signaler
expressément la présence de Marie sur le Calvaire, mais il a dû com-
prendre la mère parmi « toutes les connaissances » du Christ qu'il fait
témoins de la passion (xxiii, 49 ; cf Agt. i, i4)- C'est manipuler/
arbitrairement le texte, sans aboutir à une meilleure harmonie des
idées, que d'entendre (avec Klostermann 4o6, d'après Gressmann) :
« Celui-ci doit être une pierre sur laquelle beaucoup tomberont, et
un signe auquel on contredira, et toi aussi tu contrediras, et ainsi se
produira dans ton âme un déchirement, afin que soient décou-
vertes », etc. Bien loin d'entamer ici le procès de Marie, l'évangé-
liste a voulu apitoyer le lecteur sur le destin de cette mère dont le
fils devait mourir en croix .
« Afin que soient découvertes les pensées de plusieurs cœurs ». —
Cette finale n'a aucun rapport au glaive qui transperce l'âme de-
Marie ; elle rejoint ce qui a été énoncé du « signe contredit », ou bien
du principe de chute et de relèvement. Dans le premier cas, les pen-
sées qui viendront au jour seraient les mauvais sentiments de gens
qui se prétendaient justes ; dans le second cas, ce serait le fond, bon
ou mauvais de chacun, qui apparaîtrait dans le parti qui serait pris-
vis-à-vis de Jésus.
La seconde strophe concernant Siméon serait donc à reconstituer
comme il suit :
Et il vint en l'Esprit au temple;
et comme ses parents apportaient l'enfant Jésus
pour faire ce que prescrivait la Loi à son égard,
lui-même le prit dans ses bras,
il les bénit et il dit :
« Celui-ci est rhis pour chute et relèvement de plusieurs en Israël,
et en signe contredit,
pour que soient découvertes les pensées de plusieurs cœurs. »
« Et il y avait une prophétesse », — une femme inspirée, pendant
féminin de Siméon, — « Anne fille de Phanuel, de la tribu d'Aser ».—
LUC II, 37-38 125
elle était fort avancée en Age,
ayant vécu avec son mari sept ans depuis sa virginité,
^'et puis veuve, jusqu'à qualre-vingt quatre ans ;
elle ne quittait pas le temple,
à jeunes et à prières adonnée,
nuit et jour.
^^ Et à cette heure même survenant,
elle rendait grâces à Dieu,
et elle parlait de (l'enfant)
à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Gomme l'auteur, pour éviter une répétition, ne citera pas la prophétie
d'Anne, il développe sa notice biographique (xal riv est à traduire:
« et il y avait », en parallélisme avec n, aS, et non pas : « se trouvait
là », ce qui anticiperait sur 38). — « Elle était fort avancée en âge », —
et bien que veuve de très bonne heure, elle n'avait été mariée qu'une
fois(cf. JuDTTH, VIII, 4-8; XVI, 27), — « ayant vécu avec son mari sept
ans depuis sa virginité », — c'est-à-dire ayant vécu seulement sept
ans(Ss. et Ephrem disent : « sept jours ») dans le mariage avec son
unique époux, — « et veuve jusqu'à quatre-vingt-quatre ans », — âge
qu'elle avait au moment où se passe notre histoire. Il ne paraît aucune-
ment recommandé d'entendre que la sainte femme avait vécu quatre-
vingt-quatre ans dans le veuvage, ce qui, en y ajoutant les sept
années de mariage et les années antérieures, la ferait plus que cente-
naire. Bien qu'il l'ait dite x très avancée en âge «, l'auteur ne l'a pas
présentée comme un prodige de longévité. — « Elle ne quittait pas le
temple ». — Si l'indication esta prendre à la lettre, on pourrait croire
que cette pieuse femme avait une chambrette dans le saint lieu. —
« Adonnée aux jeûnes et aux prières nuit et jour ». — Anne est un
type de sainte femme, presque de veuve chrétienne (cf. I Tim. v, 6,9),
comme Siméon est un type de juste. Les différences qui apparaissent
dans la façon de faire valoir leurs mérites tiennent à leur condition
personnelle, on pourrait dire à leur sexe, non à l'abondance plus ou
moins grande des renseignements que la tradition aurait possédés à
leur sujet.
« Et survenant à cette même heure », — comme Siméon, et sans
doute est-il sous-entendu que l'Esprit saint a provoqué sa démarche,
— « elle rendait grâces à Dieu », — reconnaissant aussi dans l'enfant
qu'on apporte au temple le Messie sauveur ; — « et elle parlait de lui
à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem ». — Leçon
126 LUC, II, 39-40
3^ Et quand ils eurent accompli tout ce qu'exigeait la Loi de
[Seigneur,
ils s'en retournèrent en Galilée, à leur ville de Nazareth.
*o Cependant l'enlant grandissait
et il se forlifiait, rempli de sagesse,
et la grâce de Dieu était sur lui.
des plus anciens témoins (cf. Is. xl, 2 ; lxiii, 4) ] beaucoup lisent :
« à (èv) Jérusalem », La « délivrance de Jérusalem » est la même
chose que la « consolation d'Israël », à savoir le salut messianique.
C'est ici que l'on attendrait l'indication touchant l'effet produit sur
Joseph et Marie par les discours des deux vieillards (ii, 33). Siméon
et Anne disparaissent sans que l'on s'occupe autrement d'eux : ils ont
été amenés pour rendre témoignage à Jésus, et ce témoignage est
toute leur raison d'être dans le récit.
« Et quand ils », — les parents, dont le texte primitif disait ici
l'impression, — « eurent accompli tout ce qu'exigeait la Loi de Sei-
gneur, il s'en retournèrent », — notre évangile ignorant tout à fait
les mages et le séjour en Egypte, — « en Galilée, à leur ville de
Nazareth ». — Ainsi la seconde strophe relative à l'intervention de la-
prophétesse Anne devait se lire originairement :
Et à cette heure même survenant,
elle rendait grâces à Dieu,
et elle parlait de (l'enfant)
à tous ceux qui attendaient la délivrance d'Israël.
Et son père et sa mère étaient en admiration
de tout ce qu'on disait de lui.
Et quand ils eurent accompli tout ce qu'exigeait la Loi de Seigneur,
ils s'en retournèrent en Galilée, à leur ville de Nazareth.
VIII. Jésus a douze ans
Les douze premières années de Jésus sont ensuite résumées dans
une phrase analogue à celle qui a servi pour caractériser la jeunesse
de Jean (i, 8o). — « Et l'enfant grandissait et se forlifiait », — physi-
quement ; il ne se développait pas moins selon l'esprit, car il était —
«rempli de sagesse ». — De cette sagesse extraordinaire le récit sui-
vant fournira la preuve. — « Et la grâce », — non seulement la bien-
veillance mais la vertu — « de Dieu était sur lui ». — La grâce divine
me, ir, 41-44 12T
^^ Et ses parents allaient chaque année
à Jérusalem pour la fête de la pâque.
*? Et quand il eut douze ans,
comme ils étaient venus selon l'usage de la fête,
*^et que, ayant fini les jours,
ils s'en retournaient,
l'enfant Jésus demeura à Jérusalem
sans que s'en aperçussent ses parents,
** Mais, pensant qu'il était avec la caravane,
ils firent une journée de chemin,
agissait spécialemeul dans la sagesse qui vient d'être dite et qu'on va
voir.
« Et ses parents allaient chaque année à Jérusalem pour la fête de
la pâque». — Aux termes de la Loi (Deut. xvi, i6), les Ijjommes
devaient venir à Jérusalem trois fois l'an, pour les fêtes de la pâque,
de la pentecôte et des tabernacles ; bien que le pi'écepte n'obligeât
pas les femmes, des familles entières prenaient souvent part au pieux
voyage. Dans le cas présent, les parents de Jésus font souvenir des
parents de Samuel péleinnant à Silo (I Sam, i, 3, 21 ; 11, 19). — (( Et
quand il eut douze ans », — l'âge de l'adolescence. On peut douter
que l'auteur ait pensé indiquer implicitement l'âge où les jeunes
Israélites étaient tenus aux observances de la Loi (cf. Klostermann,
4og). Une pi'escription posttalmudique fixe cet âge à treize ans ;
auparavant c'était à l'apparition de la puberté (ScniiRBR, Geschichie,
II, 425-426). Le texte ne dit pas si Jésus avait ou non accompagné ses
parents les années précédentes, mais qu'il fit, à douze ans, ce qu'on
va dire (Lagrange, 94). — « Comme ils étaient venus selon la cou-
tume de la fête, et que, ayant fini les jours », — ayant passé à Jéru-
salem les sept jours de la semaine pascale, — « ils s'en retournaient,
l'enfant Jésus demeura à Jérusalem sans que ses parents s'en aper-
çussent ». — Inutile de chercher comment le fait s'est produit : le
narrateur ne songe probablement pas plus à un accident causé par ta
presse dans l'encombrement des pèlerins, qu'à une négligence des
parents ou à un caprice de l'enfant ; il suppose plutôt un dessein pro-
videntiel, avec un sentiment de piété qui relient l'eu faut-Chris t dans
le saint lieu et qui se traduira plus loin (it, 49) dans sa réplique à sa
mère.
« Or, pensant qu'il était avec la caravane, ils firent une journée de
chemin » . — On voyageait ordinairement par groupes ou caravanes ;
-128 LUC, II, 4«-47
et ils le cherchaient parmi leurs parents et connaissances ;
^^ et ne layant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem le cher-
[cher.
*^ El après trois jours,
ils le trouvèrent dans le temple,
assis au milieu des docteurs,
les écoutant et les interrogeant.
*' Or tous ceux qui l'entendaient étaient stupéfaits
c'est pourquoi les parents, au départ, ne se sont pas inquiétés de ne
pas voir Jésus auprès d'eux ; ils l'ont supposé auprès de personnes
amies dans la caravane de Nazareth ; mais, à la halte, chaque famille
se rassemblant, son absence est constatée. Le texte n'insinue
aucunement que, les hommes étant séparés des femmes pour la route,
Joseph le crût avec Marie et Marie avec Joseph (cf. Lagrange, 94).
— « Et ils le cherchaient parmi leurs parents et leurs connaissances,
et, ne l'ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem pour le cher-
cher » — là où il semblait évident qu'il avait dû rester. — « Et après
trois jour-s ». — Ces trois jours sont probablement à compter comme
ceux que le Chi'ist passa dans le tombeau : le premier est celui du
départ, le second celui du retour, le troisième celui où Jésus est
retrouvé. — « Ils le trouvèrent dans le temple ». — C'est-à-dire dans
un local, synagogue ou école, annexé au temple. Mais l'auteur ne pré-
cise pas, et il tient à dire a le temple », bien qu'une assemblée de doc-
teurs n'ait guère pu se tenir en public dans les parvis ; il a d'ailleurs
négligé de dire comment il se faisait que tant de docteurs étaient réu-
nis. Il est sous-entendu que le temple est le lieu oii s'assemblent les
docteurs de la Loi. — « Assis au milieu des docteurs », — non comme
l'un d'eux, mais par terre, devant eux, comme les autres auditeurs
(cf. AcT. XXII, 3; tout le monde est assis à l'orientale, mais le docteur
est sur une espèce d'estrade ou sur un escabeau), et dans l'attitude
d'un auditeur, ■ — « les écoutant et les interrogeant ». — Et il ne se
bornait pas à interroger, il dialoguait avec les maîtres, mais il n'est pas
dit qu'il enseignât. Au reste, il est assez difficile de se représenter la
scène ; puisque les docteurs sont nombreux, ils n'enseignent pas,
mais ils discutent entre eux ; et il faut supposer que l'ènlant se
mêle à leurs savantes controverses ; à moins encore qu'il n'y ait
beaucoup d'indiscrétion à rechercher les circonstances vraisembla-
bles de cette aventure.
« Or, tous ceux qui l'entendaient », — docteurs et simples assis-
LUC, II, 48-'49 129
de son inlelligence et de ses réponses.
"Et le voyant (ainsi), ils lurent très surpris,
el sa mère lui dit :
« Enfant, pourquoi nous as-lu fait cela ?
Ton père et moi, bien en peine, nous te cherchions. »
^'' Et il leur dit : a Pourquoi me cherchiez-vous ?
Ne saviez-vous pas que chez mon Père il me faut être ? »
tants, — « étaient ravis de son intelligence et de ses réponses ; et en
le voyant» — dans ce milieu et dans ces conditions, — « ils furent
stupéfaits », — non de ses réponses qu'ils n'avaient pas entendues,
mais de sa présence et de sa contenance dans une telle réunion. —
« Et sa mère lui dit ». — Il faut supposer ou bien que la séance n'est
pas très solennelle,ou bien que l'enfant s'est approché de ses parents
dès qu'il les a vus. — « Enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ?» —
Il était assez grand pour comprendre qu'il mettrait ses parents dans
l'angoisse. — « Ton père et moi, bien en peine, nous te cherchions ».
Et il leur dit ». — C'est la mère qui a parlé, mais au nom du père
comme au sien ; c'est pourquoi la réponse peut s'adresser naturelle-
ment à tous les deux. Ce qui est moins naturel, c'est que l'histoire, en
son fond, paraisse ignorer les merveilles de l'annonciation et de la
naissance, y compris la qualité surnaturelle de l'enfant-Ghrist.
Rien de plus facile à expliquer si cette histoire d'enfant prodige n'a
pas été conçue à l'honneur de Jésus, mais, comme il est d'ailleurs vrai-
semblable, n'est que l'adaptation maladroite d'un thème empi-unté. —
« Pourquoi me cherchiez-vous ?» — Il n'y avait pas lieu à inquié-
tude ni à recherche. — «Ne saviez-vous pas qu'il me faut être chez
mon Père ?» — On peut traduire aussi (èv tocç toù Trarpoç fx.au) :
« aux affaires de mon Père». La premièreexplication paraît s'accor-
der mieux avec la teneur du texte, la réponse de Jésus contenant
ainsi l'indication du lieu où il devait être, où on était sûr de le
trouver ; et les intérêts de Dieu peuvent se traiter ailleurs que dans
le temple. Cette réplique n'est pas à discuter : il suffit que l'auteur la
juge décisive.
Ce qui frappe le lecteur est l'espèce d'antithèse qui existe ou
paraît exister entre : « Ton père et moi », dans le discours de Mai-ie,
et : « mon Père » dans la réponse de Jésus. A la réflexion, comme
l'antithèse nous paraît froide et de mauvais goût, on est tenté de la
contester. Mais il est peu vraisemblable que l'évangéliste ait mis
dans les mots, sanss'enapercevoir, une opposition quin' aurait pas été
A. Loisv. — L' li^-an irile srlon Luc. ' 9
130 Li;€, 11, yOtil
^'•^ Et eux ne comprirent pas la parole
qu'il leur avait dite.
^^Et il partit avec eux,
et il vint à Nazareth,
et il leur était soumis.
dans sa pensée, II a pu avoir un autre goût que le nôtre et li'ouvei*
fort expédient, pour corriger l'impression que donnerait la qualité
depère attinbuée à Joseph, d'opposer à ce père putatif le vrai père
de Jésus, qui est Dieu même. La présente scène lait en quelque
manière écho à une anecdote de Marc (m, 21, 3i-35), intentionnelle-
ment omise dans notre évangile, mais qui pourrait y avoir été ainsi
anticipée, suivant un pi'océdé de transposition dont on trouvera
d'autres exemples. « Qui est ma mère et qui sont mesfrères ?.,. Celui
qui lait la volonté de Dieu », répond Jésus quand sa famille inquiète
vient le chercher à Capharuaùm. L'intervention de Marie et l'oppo-
sition de la parenté spirituelle à la parenté naturelle reviennent dans
notre récit sous une autre forme un peu artificielle, parce qu'elle résulte
d'une combinaison. Peut-être a t-on lu dans une première rédaction :
« Et en le voyant, ils furent stupéfaits, et ils lui dirent : Pourquoi
nous as-tu fait cela ? Nous te cherchions fort en [leine », etc., etc.
On s'expliquerait ainsi plus facilement la remarque : — « Et ils
ne comprirent point la parole qu'il leur disait », — réflexion que le
j'édacleur évangélique atténuera, en la contredisant à moitié, par ce
tiu'il va dire bientôt de la mère. Dans la source, le Père céleste
s'opposait aux parents terrestres, non pour contester le droit de
ceux-ci, mais pour signifier une première fois la vocation messia-
nique de Jésus ; car l'enfant ne veut pas dire autre chose en appe-
lant Dieu son père. S'il n'était censé « fils de Dieu » à un titre spé-
cial, il ferait une réponse absurde, puisque tous les Israélites et ses
parents eux-mêmes auraient pu dire avec autant de raison que le
temple était la" maison de leur Père. Les parents ne comprennent pas
la réponse de Jésus, parce que, dans l'économie du récit primitif,
ils ne se doutent pas encore qu'il est le Christ. Mais de cette igno-
rance il résulte que la présente anecdote a été conçue d'abord indé-
pendamment des récits merveilleux qu'on vient de lire.
(( Et il partit avec eux. » — Après cette déclaration qui fait présager
sa grandeur future, Jésus reprend l'attitude qui convient à son âge
et ne fait pas difficulté de suivre ses parents. — « Et il vint à Naza-
reth, et il leur était soumis», — comme il sied à un bon fils. L'ancc-
i.uc, îi, 02 131
Eisa mère gardait toutes les choses en son cœur.
^^ Et Jésus croissait
en sagesse, taille et grâce,
devant Dieu et (devant) les hommes.
dote finissait sur cette indication ; mais l'évangéliste, pour corriger
«n ce qui regarde Marie ce qui vient d'être dit touchant l'inintelli-
gence des parents, répète ce qu'il a déjà dit (ii, 19) touchant le sou-
venir que retenait Marie des faits extraordinaires qui s'accomplis-
saient autour de Jésus, et par lui. — « Et sa mère conservait toutes
les choses en son cœur ». — Enfin, par manière de conclusion,
nous est dit ce que nous savions déjà par l'introduction (11, 40) '• —
« Et Jésus croissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et
devantles hommes ». — Comme il est maintenant un adolescent, un
jeune homme, ce n'est pas seulement Dieu qui est témoin de ses
progrès. On pourrait entendre qu'il avançait en « âge », mais cet
avancement-là n'est pas en soi un progrès, et n'a pas besoin d'être
signalé (ci. xix, 3, où -/jXixîa a pareillement le sens de « taille »j.
La « grâce » pourrait s'entendre de laveur acquise, mais la
construction de la phrase invite plutôt à y voir un don personnel
de vertu religieuse (nonobstant le rapport littéraire avec I Sam. ii,
26). Si la notice a été conçue pour clore les récits de l'enfance, et peut-
être pour servir de transition enti-e ces récits et ceux de la prédication
évangélique, elle aura été rattachée d'abord au récit de la présenta-
tion au temple dans une source qui ignorait l'anecdote de Jésus à
douze ans ; et l'addition de cette anecdote aurait déterminé la répé-
tition, qui était indispensable pour amener le commencement de
l'Evangile (cf. A.GT. I, 2T-22 ;x, 37-41). Mais l'indication concernant
les souvenirs de lanière vient en surcharge dans l'économie logique et
rythmique de la dernière strophe, que la remarque relative à la
croissance de Jésus termine naturellement, tandis que plus haut, elle
se trouve isolée. C'est donc cette transition plutôt qui est artificielle
et conçue pour rejoindre des fictions originairement indépendantes.
Le caractère légendaire de l'atiecdoto ne fait aucun doute. On peut
y comparer maintes histoires plus ou moins authentiques louchant
la jeunesse des grands lionuues ; nuiis Jésus n'est pas un grand
homme ausens vulgaire du mot, et notre anecdote est ujie médiocre
fiction. De tous les récits qu'on en a voulu rapprocher (voir cita-
tions dans Klo3tkuma.nn, l\oS) il n'en est aucun dont on pui.s.se dire
avec une proijahilité suffisante qu'il en est la source au moins par-
132 LUC, m, 1
"I Or, en l'an quinzième du règne de Tibère César,
tielle ; l'histoire égyptienne de Si-Usire (Griffitu, Glorîes of th.e
High Priests of Memphis, Oxford, 'ïQoo';ap. Klostermann ,loc .cit.),
dont on fait maintenant grand état, n'y ressemble que de fort loin ;
ce qui y ressemble le plus est un trait de Josèphe (Vila, 2) se flattant
d'avoir été considéré à quatorze ans comme le maître des docteurs.
C'est quelque trait semblable, si ce n'est celui-là (que l'hagiographe
a pu connaître), qui, combiné avec l'idée delà vocation messianique,
a fourni la substance de notre récit ; et pour mettre Jésus en pré-
sence des docteurs, il n'était que de l'amener à Jérusalem dans l'oc-
casion d'une fête.
IX. Prédicaiion de Jean-Baptiste
On dirait que notre auteur a voulu dater l'indication de Marc (i, i >
sur « le début de l'Evangile » , en la déterminant par un septuple syn-
chronisme. Le premier de ces synchronismes est d'ailleurs le seul
qui fournisse une date précise, et il est possible que Luc n'en ait pas
invoqué d'autre, le reste étant dû à l'érudition facile que le rédacteur
du troisième évangile et des Actes a puisée dans Josèphe. — « Or,
l'an quinzième du gouvernement de Tibère César » . — Auguste
étant mort le 16 août de l'an 14, la quinzième année de Tibère corres-
pond à l'an 28-29 ^^ l'ère chrétienne. Si l'on admet que cette
date marque le commencement de la prédication évangélique, il s'en
suivraque Jésus, né avant lamortd'Kérode, avaitaumoins trente-deux
ans quand il commença à enseigner, après avoir reçu le baptême de
Jean. On nous dira plus loin (111,28) que Jésus avait alors environ trente
ans, et les deux indications se rapportent. 11 n'en serait plus de
même si Jésus était né à l'époque du recensement, car, dans cette
hypothèse, il n'aurait eu que ving-et-uu ans quand il fut baptisé.
Il a été de bonne heure supposé que la quinzième année de Tibère
devait être comptée à partir de son association à l'empire et coïncider
avec l'an 26 de notre ère, la date de l'an 29 (ou 3b) étant retenue
pour la mort du Christ, et les trois ans d'intervalle faisant droit à la
donnée johannique touchant la durée du ministère de Jésus, Mais,
comme les historiens romains et Josèphe comptent les années de Tibèie
à partir de la mort d'Auguste, il n'est pas probable que notre évangile
les compte autrement. Ceux qui veulent arriver, en cette matièi*e assez
incertaine, à la plus exacte précision, se demandent si Luc n'aurait
LUC, III. 1 133
Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée,
pas compté la seconde année de Tibère à partir du le' janvier de
l'an i5, ou même du x"'' octobre de l'an l'î, ce qui ferait coïncider
la quinzième avec l'an 28 ou avec les trois derniers mois de 27
et les neuf premiers de 28 (cf. Lagrange, 100). Si légitime que soit
■cette curiosité, peut-être est-elle déplacée eu égard du caractère
de la notice.
On ne s'entend pas non plus sur le fait qui est visé par cette date
de la quinzième année, les uns la rapportant à la prédication de Jean,
d'autres au baptême de Jésus, d'autres à sa mort. La disposition du
récit favorise la première de ces opinions ; mais l'évangéliste ne se
propose pas de raconter la vie de Jean, etil prend le ministère de celui-
-ci au moment où se fait la rencontre de Jésus avec le Baptiste. T^a
date viserait donc plutôt le baptême de Jésus, et, si l'on tient compte
de la donnée johannique sur la dui'ée du ministère évangélique,ellene
saurait concerner la passion. Mais il n'y a pas lieu de taire intervenir
cette donnée dans l'interprétation de Luc, qui ne la connaît pas. On
ne peut guère admettre que le rédacteur de notre évangile, si soucieux
de chronologie, n'eût pas songé à dater la mort du Christ ; s'il ne l'a
pas fait enracontant la passion, c'est que la date pi'ésente se rappiorte
dans sa pensée à toute la vie publique de Jésus comme elle est
délimitée par le cadre synoptique. Dans cette hypothèse, qui a été
l'opinion de très anciens Pères (Clément d'Alexandrie, Tertullien, etc).
la mort du Christ doit être le point ferme auquel se rattache la com-
binaison chronologique, parce que c'est le fait le plus important,
celui qui marquait le plus et dans les souvenirs et dans la foi. Jésus
aurait donc souffert la mort au printemps de l'an 29, et son minis-
tère se serait déroulé dans les mois précédents. Si la date vient de
Luc, elle a chance d'être fondée sur un souvenir traditionnel ; mais
elle pourrait avoir été aussi bien déduite et calculée, surtout si elle
est due au rédacteur évangélique, de qui viennent probable-
ment les autres synchronismes. Il peut être téméraire de supposer
(avec E. Meyer, I, 5o) que l'évangéliste, n'ayant aucune date pour
Jésus, en a utilisé une qui lui était fournie pour Jean, dont se serait
occupée la littérature juive ; le passage de Josèphe auquel on se
réfère à ce propos ne contient pas de date, et l'authenticité pourrait
Jbien n'en être pas mieux garantie que l'interpolation pratiquée dans
le même auteur à propos de Jésus.
« Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée » . — Pontius Pilatus
administra la Judée (avec laSamarieet l'Idumée), l'ancienne tétrar-
134 LUC, m, 1
Hérode télrarque de la Galilée,
Philippe son frère,
télrarque de l'Iturée et de la région ïrachonite,
et Lysauias tétrarque de l'Abilène,
chie d'Arcliélaûs, en qualité de procurateur subordonné au légat
de Syrie, de l'an 26 à l'an 36 (yjeixoveuovto;, dit de Pilate, après
r,Yîtjt.ov:aç, dit de Tibère, est assez choquant et pourrait être un indice
de surcharge rédactionnelle). — « Hérode tétrai'que delà Galilée ». —
Hérode Antipas. ûls d'Hérode le Grand, gouverna la Galilée jusqu'en
Tan 39, où il fut déposé. — « Philippe son frèi-e, tétrarque de
l'Iturée et de la Trachonite ». — Philippe mourut en l'an 34-
Josèphe lui attribue la Trachonite, la Batanée, la Gaulonite, le
Hauran et Panéas. Notre auteur lui donne l'Iturée, soit parce que
le district de Panéas avait appartenu au royaume des Ituréens, soit
plutôt en supposant qu'il avait régné sur une province que gouverna
plus tard Agrippa II. — « Et Lysanias^ tétrarque de TAbilène ». —
On a fortement soupçonné le synchroniste d'avoir été abusé par le
nom de tétrarque et d'avoir voulu trouver quatre personnages qui
am*aient possédé en l'an i5 de Tibère les quatre parties de la suc-
cession d'Hérode le Grand. Or Hérode n'a jamais été maître de
l'Abilène, ainsi nommmé d'Abila, ville située à l'extrémité méridio-
nale de l'Anti-Liban ; mais l'évangéliste l'aurait cru, parce que l'Abi-
lène fut donnée en 3^ à Agrippa le'' par Caligula, et en 53 à Agrip-
pa II par Claude. Josèphe ne mentionne qu'un Lysanias, tuépar
Antoine, à l'instigation de Cléopâtre, en l'an 26 avant notre ère :
il ne laisse pas d'employer la formule : « tétrarchie de Lysanias »,
pour désigner l'Abilène iAni. XVIII, 6, 10 ; XX, 7, ij, ce quipeut
expliquer la méprise de l'évangéliste, quoi qu'il en soit d'un second
Lysanias dont on a voulu prouver l'existence par les documents
épigraphiques. Le royaume d'Hérode n'avait été partagé qu'en trois
morceaux, mais Auguste n'avait pas voulu attribuer le titre royal
à Archélaûs, qualifié ethnarque, Antipas et Pinlippe ayant dû. se
contenter du titre de tétrarque, dont il n'y a pas lieu de considérer
ici la signification étymologique (cf. La.gkange, loi ; on peut voir,
ibicl ., les chicanes des> critiques, et aus.si les subtibilités des apolo-
gistes, touchant la mention de l'Iturée et surtout celle de Lysanias).
11 est évident que le rédacteur évangélique s'est livré dans notre
passage à une véritable débauche d'érudition, et l'on sait par ailleurs-
qu'il ne se pique point d'exactitude.
MIC. iri, 2-4 13!i
2 sous le grand prclrc Aniias et Caïphc,
fut (adressée) parole de Dieu à Jean fils de Zacliarle, dans le
[désert.
3 Et il parcourut toute la région du Jourdain,
prêchant baptême de rcpentance pour rémission de péchés,
^conime il est écrit au livre des paroles du prophète Isaïe :
« Voix de qui crie dans le déserf. :
Préparez le chemin de Seigneur,
« Sous le grand-prêtre Annas, et Caïphe ». — Autre croix desinter-
prètes. Le grand-prêtre Annas (Hanan) exerça le pontificat de l'an 6
à l'an i5; Joseph dit Kaiapha occupa la charge de l'an iS à l'an 36. Les
cinq fils d'Annas furent aussiinveslis, en divers temps, du pontificat.
En 28-29 il n'y avait pas d'autre grand-prêtre cfue Caïphe (Jx. xvni.
t3, fait de celui-ci le gendre d'Annas, mais ce peut être une précision
arbitraire). On a supposé fort gratuitement quAnnas serait dit grand-
prêtre à raison de l'influence qu'il aurait conservée sous ses succes-
seurs. L'évangéliste aui*a plutôt pensé, la charge de grand-prêtre
étant viagère en principe, que les successeurs d'Annas lui étaient sim-
plement associés, à moins que par erreur, il n'ait désigné Annas
comme le seul grand-prêtre, et que le nom de Caïphe n'ait été ajouté
après coup, pour accorder Luc avec Matthieu (cf. Actes, 242, 2-5).
« La parole de Dieu fut à Jean fils de Zacharie ». — Formule imi-
tée de Jérémie (i, 2, 4) et qui présente dès l'abord Jean comme «pro-
phète du Très-Haut » (i, ;j6) ; les mots: « fils de Zacharie », viennent
en imitation des titres de prophéties et l'attachent également ce récit
à ceux de la naissance. — « Dans le désert » — On nous a dit qu'il
étaitdans les déserts depuis sa jeunesse (i, So); c'est là que vient le
prendre l'inspiration. 11 ne peut être question que du désert de Juda;
mais, selon notre évangcliste, Jean ne serait pas resté dans le désert,
et, pour obéir à l'inspiration divine, il aurait voyagé, en prêchant, le
long du Jourdain. — « Et il parcourut toute la région du Jourdain ».
— Ce doit être pour montrer Jean dans son rôle de prophète que l'on
a renversé la donnée de Marc(i, 4-5) : « Jean .. étaitdans le désert...
et tout le pays de Judée venait à lui». — « Prêchant baptême de
repentance pour rémission de péchés ». — C'est le trait caractéris-
tique du [)ersonnage ; cependant notre évangile s'abstient ici d'appe-
ler Jean « lé baptiscur», comme l'ont Marc (1,4) et Matthieu (ut. i). —
« Comme il est écrit au livre du pi'ophète ïsaïc : « Hue voix cric dans le
désert : « l'répurczle chennn de Seigneur, rendez droits.ses stMitiors^^.
136 LUC, ni, 5 7
rendez droits ses sentiers.
^Toùt ravin sera comblé,
toute montagne et {toute) colline seront abaissées.
Les passages tortueux deviendront droits.
et les raboteux seront chemins unis ;
^et toute chair verra le salut de Dieu. »
' 11 disait donc aux foules qui venaient
se faire baptiser par lui :
— La citation (Is. xl, 3-5), qui, dans Marc (r, 3), précède le récit, est
employée en manière de conclusion par l'évangéliste, qui a trouvé
bon de la prolonger. — « Toute vallée sera comblée, toute mon-
tagne et colline seront abaissées ». — Il esta supposer que notre
hagiographe voit dans cet abaissement des hauteurs le nivellement
des conditions humaines. — « Les passages tortueux deviendront
droits, et les raboteux seront chemins unis ». — Ce qu'on aura voulu
entendre de la, réforme des mœurs. L'ancien prophète voulait dire
qu'une belle route, bien unie et nivelée, comme on en prépare en
Orient pour le passage des souverains, serait tracée dans le désert
pour lé retour triomphal des Israélites captits à Babylone. — • « Et
toute chair », — c'est-à-dire tout homme, — « verra le salut de
Dieu ». — Le texte d'Isaïe, toujours cité d'après les Septante, est un
peu abrégé (on a omis : « Et apparaîtra la gloire de Seigneur», avant
« et toute chair », etc., comme ne convenant pas à l'épiphanie
évangéliquei et retouché dans cette finale, en vue de laquelle la cita-
tion a été prolongée. Le salut d'Israël devient celui du monde, et le
genre humain ne l'ait pas que le voir, il en jouit. Les détails qui
sont donnés par Marc (i, 6) et Matthieu (m. 4) touchant le costume et
la nourriture du Baptiste sont ici omis, soit qu'on lesaitti'ouvés plus
étranges qu'édifiants, soit à raison du parti pris qu'à notre évangile
d'éliminer tout ce qui concerne l'identification de Jean avec Elle.
Suivent deux échantillons de l'enseignement que donnait Jean. Le
premier (111,7-9) ^^^ commun à Luc et à Matthieu (m, 7-10); le second
(ni, io-i4) est propre à Luc ; ainsi le premier est le plus ancien, attri-
bué d'abord à Jean, sans que pour cela l'authenticité en soit garantie,
et la tradition aurait pu aussi bien l'attribuera Jésus (Bultmann, 71);
le second n'a aucune marque d'originalité, et si Ton n'était trop
accoutumé à considérer les évangélistes comme des ravaudeui's de
documents écrits, on n'hésiterait pas (comme fait Bultmann, 87) à
l'attribuer au rédacteur de noire évangile.
«Il disait donc aux foules qui venaient se faire baptiser par lui ».
LUC, III, 8-11 137
« Rejelons de vipères,
qui vous a montré
à fuir la colère à venir ?
Faites donc de dignes fruits de repentance.
8 Et n'allez pas dire en vous-mêmes :
« Nous avons pour père Abraiiam. »
Car je vous dis que Dieu peut
de ces pierres susciter enfants à Abraham.
* Mais déjà même la hache
à la racine des arbres est posée :
tout arbre donc qui ne fait pas bon fruit
va être coupé et jeté au feu. »
1" Et les foules l'interrogeaient, disant :
« Que devons-nous donc faire ? »
^1 El répondant, il leur disait :
« Qui a deux tuniques en donne (une) à qui n'en a pas,
et qui a mangeailles fasse de mè:ne. »
— Introduction pi'éférable à celle de Matthieu, et qui vient probable-
ment de la source (voir Mt. tu, 7). — « Rejetons de vipères, qui vous
a montré à fuir la colère à venir? Faites donc dignes fruits », — Mat-
thieu (ni, 8) a le singulier, — « de la pénitence » ; — que le repentir se
traduise autrement que par de simples signes de douleur ; — « et
n'allez pas dire en vous-mêmes », — Matthieu (m. 9) : « n'ayez pas
rillusion de dire en vous-mêmes » : — « Nous avons pour père
Abraham », etc.
Dans notre évangile, les foules, si véhémentement apostrophées
par .Jean, demandent des précisions touchant les bonnes œuvres
•qu'il faudrait pratiquer pour éviter le châtiment. Ce jeu de ques-
tions et de réponses est dans la manière propre de l'évangéliste.
«Et les foules l'interrogeaient, disant ; « Que devons-nous faire ? »
— Le conseil demandé par tous, va être donné pour tous. — « Et
répondant, il leur disait : « Que celui qui a deux tuniques », — deux
habits de dessous, c'est-à-dire une tunique de rechange, — « fasse
part » — de sa seconde tunique — « à qui n'a pas » — de tunique à
porter. — « Et que celui qui a des provisions de bouche, fasse de
de même », — comme il vient d'être dit pour les tuniques. Si l'on a
une fois plus d'aliments qu'on n'en peut actuellement consommer, il
faut donner la moitié de cette nourriture à ceux qui n'ont rien à
138 LUC, nr, 12-14
^2 Des publicains vinrent aussi se faire bapliser,
et ils lui dirent :
« Maître, que devons nous faire ? »
^^ Et il leur dit : « N'exigez rien
en plus jde ce qui vous est prescrit. »
^* Et l'interrogeaient aussi des militaires, disant :
« Et nous, que devons-vous faire ?
Et il leur dit :
« Ne vexez ni molestez personne.
manger. Recommandation indépendante de la coutume orientale-
d'après laquelle on ne se permet pas de manger sans odrir aux per-
sonnes présentes. Le même conseil est donné sous différentes formes
dans le Nouveau Testament ; celle qu'on vient de voir est évidem-
ment secondaire et dérivée, mais elle correspond bien à l'idéal égali-
taire de l'évangéliste.
« Or des publicains vinrent aussi se faire baptiser ». — Les publi-
cains sont venus à Jésus : pourquoi n'en aurait-on point amené
quelques-uns à Jean ? Et d'ailleurs, il courait, semble-t-il, une parole
de Jésus sur les publicains venus au baptême de Jean (cf. vu, 29;
Mt. XXI, 3q). — « Et ils lui dirent : « Maître, que devons-nous faire ? »
— Jean ne réprouve ni la profession ni l'impôt. — « Et il leur dit :
« N'exigez rien de plus que ce qui vous est prescrit », — le taux de
contribution fixé par l'autorité compétente. On avouera qu'une telle
recommandation n'était pas trop difficile à inventer.
« Or des militaires l'interrogeaient aussi ». — On voit moins bien
pourquoi le rédacteur fait venir des soldats. L'incident étant fictif, la
question de savoir si les soldats sont des Juifs appartenant à l'armée
du tétrarque Antipas, ou bien des soldats romains, est de médiocre
importance. A la vérité, il semblerait que Jean dût parler autrement
à des païens; mais l'évangéliste a pu les imaginer « craignant Dieu »
(Lagrangk, iio, pour situer ces soldats dans la réalité, imagine que
ce sont des postes de douaniers qui assistent les publicains; l'évangé-
liste n'en savait pas si long). Notre rédacteur a un certain faible pour
les soldats (cf. la façon dont il traite le centurion de Gapharnaûm, et
dans les Actes, le centurion Cornélius, le centurion Julius). — Les
soldats donc font la même question que les autres, — « disant :
« Nous aussi que devons nous faire ? » Et il leur dit . « Ne vexez ni
ne molestez personne ». — Ils ne doivent pas malmener ni frauder
LUC, m, 15-16 " 139
et conlenlez-vous de votre paye. »
'^ Mais comme le peuple était dans l'attente
et que tous se demandaient en leurs cœurs au sujet de Jean
si lui-même ne serait pas le Christ,
^® Jean répliqua, disant à Ions ;
les gens. — « Et contentez-vous de votre paye ». — Qu'ils se suffisent
avec les rations de vivres et la solde qui leur sont allouées par le gou-
vernement qu'ils servent. Et si le conseil est d'un honnête homme, il
n'a pas eu besoin non plus d'être conçu par un homme de génie. Le
tout forme un supplément facile aux instructions évangéliques.
Une introduction particulière est ménagée aux propos par lesquels
Jean, dans les trois synoptiques, définit sa mission relativement à
celle du Christ. L'idée qu'on y fait ressortir, à savoir que certains
prenaient Jean pour le Christ et qu'il s'est défendu de l'être, a pu
sembler impliquée dans le discours, qui est pour rabattre les
prétentions de la secte baptiste où Jean était regardé comme le grand
prophète du salut, et pour faire proclamer par Jean lui-même la
valeur unique du baptême chrétien en môme temps .que le caractci'e
tout à fait subordonné de sa vocation à l'égard de celle de Jésus.
« Or, comme le peuple était dans l'attente », — en suspens et en
inquiétude devant un personnage qui, ne pouvant être que l'envoyé
de Dieu, allait sans doute déclarer sa haute mission, — « et que tous
se demandaient en leurs cœurs au sujet de Jean si lui-même ne serait
pas le Christ ». — La question qui est censée agiter la masse est
présentée du point de vue chrétien. On ne peut guère douter que le
personnage visé sous le nom de Jean le Baptiseur ait été un chef de
secte dont les partisans le regamlaient comme le grand maître de la
foi et du salut. Jésus lui-même et ses premiers sectateurs ont dû
d'abord appartenir à ce groupe dont ils se sont détaches ; la tradition
chrétienne tient à voiler cette origine, tout en l'exploitant à son gré
pour l'honneur du Christ. — « Jean répondit » — à la préoccupation
générale, — « disant à tous «. — La déclaration dont Marc (i, •j)
parait faire l'objet ordinaire de la prédication de Jean, se trouve ainsi
rapportée, comme dans Matthieu (m, 'j, ii), aune circonstance par-
ticulière ; mais, au lieu que Matthieu la fait adresser aux pharisiens
et aux sadducéens, notre auteur la fait adresser à «tous », au peuple,
à la masse qui est venue au Baptiste. Sous une apparente détermina-
tion la perspective ne laisse [)as d'être vague, n'étant pas autrement
circonstanciée. Toute la consistance du l'ait est dans l'intôrôt qu'il
140 LUC, m, 17
« Quant à moi, d'eau je vous baptise ;
mais vient plus fort que moi,
dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sandales :
lui vous baptisera en Esprit saint et feu.
^ ' Le van est en sa main
pour nettoyer son aire
et recueillir le blé en son grenier ;
mais la paille il brûlera en feu inextinguible. »
pi'ésente pour l'apologétique chrétienne, et non dans un souvenir
authentique. — « Moi je vous baptise d'eau ». — Rien que d'eau.
C'est ce que ne se lasse pas de répéter la tradition évangélique. —
« Mais le plus fort que moi vient », — quelqu'un dont le pouvoir reli-
gieux, on peut dire la vertu spirituelle, à condition de ne l'entendre
pas trop spirituellement, nonobstant ce qui va être dit de l'Esprit, —
« dont je ne suis pas digne de dénouer le cordon de souliers ». — Ce
sont les expressions de Marc, sauf omission de : « en me baissant ».
— ((' Qui vous baptisera en Esprit saint et feu ». — Marc disait seule-
ment : « d'Esprit saint ». L'addition du feu est commune à Luc et à
Matthieu (m, ii), de même que les paroles suivantes (ïii, 27), qui
manquent dans Marc. Sans doute les trois synoptiques dépendent-ils,
pour tous les discours prêtés à Jean, d'une même source, dont Marc
n'aura retenu que la déclaration essentielle. Le baptême de feu, si l'on
en juge par ce qui suit, serait le jugement dernier, dontlefeu brûlera
étei'nellement les pécheurs. — «Le van est en sa main», etc. Les
variantes à l'égard de Matthieu n'ont aucune portée.
Le « feu inextinguible », dont il est parlé en dernier lieu (ni, 17),
serait, si le discours est logiquement construit, le « feu » qui vient
d'être présenté (iir, 16) à côté de l'Esprit comme élément baptismal.
Mais il y aurait une ironie assez violente dans ce baptême de feu, et
d'autre part, dans la formule relative au baptême (èv 7cv£Û(i.aTt ày'w y.où
r.'jçi) l'élément feu ne paraît pas présenté en contraste de l'élément
esprit, mais plutôt conjoint ou identifié par rapport à un même rite
(Lagrange, Matthieu, 1928, p. 53). Le baptême « en Esprit saint et
feu» serait donc le ba])lôme chrétien, opposé au baptême d'eau, le
mot « feu » faisant simplement équivoque par rapport au « feu inex-
tinguible » dont il est parlé ensuite. On devrait, en conséquence,
admettre, ou que la source, baptiste, ne parlait ni du Christ ni de
l'Esprit, et présentait ironiquement le feu du jugement comme un
baptême, Marc ayant substitué au feu l'Esprit, pour introduire le
lAïc, m, 18-20 141
1^ Donnanl ainsi beaucoup d'autres cxhorlal ions,
il évangélisaiL le peuple.
^^ Mais llcrode le lélrarcjue, réprimandé par lui
au sujcl d'IIérodiade, fennne de son frcrc,
el au sujet des niél'aits qu'avait coininis cet Ilérode,
'"' ajouta encore celui-ci à tous les autres,
de renfermer Jean en prison.
baptême chrélien (cf. Bultmann, 67), ou bien que cette source, chré-
tienne, opposail simplement, comme Marc, le baptême d'Esprit au
baptême d'eau, ne parlant de feu que par rapport au jugement der-
nier, comme aussi bien avait pu le faire Jean lui-même. Le feu du
baptême, dans notre évangile, s'identifierait au feu de la pentecôteet
i"on devrait supposer un sens analogue dans Matthieu.
Avant de déci^ire le baptême du Christ, notre auteur, qui n'a pas
l'intention de raconter plus loin la mort de Jean, poui'suit la notice du
Précurseur jusqu'à son emprisonnement, date assignée par Marc
(i, i4) au début de la prédication évangélique. — « C'est ainsi que,
donnant encore beaucoup d'autres exhortations ». — Il est à croire,
en effet, que les sectateurs de Jean lui attribuaient un enseignement
complet; mais ce n'e.^t pas cela précisément que veut dire notre
rédacteur, — « Il évaugélisait le peuple », — tout son enseignement
étant censé tendre à m préparer la voie » du Christ, et annoncer le
Christ. C'est pourquoi l'on dit qu'il évangélisait. L'emploi du mot
« évangéliser » est fréquent dans ce livre, où l'on ne trouve pas le mot
« évangile », et il se rencontre souvent aussi dans les Actes. — « Mais
•Hérode le tétrarque », — letétrarque de Galilée mentionné ci-dessus,
— «réprimandé par lui au sujet d'Hérodiade, la femme de sou frère »,
— La notice est rédigée avec quelque négligence, car on ne voit pas
le motif du blâme; le lecteur est censé savoir que le tétrarque avait
épousé sa belle-sœur. — «Et au sujet de tous les méfaits n, — des
autres crimes, — « qu'avait commis >^ — le dit — « Hérode ». — Noter
l'embarras de cette construction. — « Ajouta encore ce « — nouveau
crime — « à tous » — les autres, — « d'enfermer Jean dans iine pri-
son ». — L'auteur n'en sait pas plus long que ce qu'il a lu dans Marc
(vi, 17-29); caries « autres méfaits » ne témoignent pas d'une infor-
mation bien précise.
142 i-i-c, 111, 21-22
-1 Or advint : quand eul été baplisé tout lo peuple,
et Jésus ayant été baplisé et priant,
le ciel s'ouvrit,
--l'Esprit saint descendit en forme corporelle,
X. Baptême de Jésus. Sa généalogie
Eu anticipant remprisonuement de Jean, l'évangéliste a coupé le
fil de son récit ; il se l'epi'endra gaucliement pour amener le baptême
de Jésus, Ce baptême, que l'on interprète volontiers en consécration
messianique de Jésus, est le mythe d'institution du, baptême
chrétien, et c'est à ce titre, à titre liturgique, qu'il figure en
tête de la manifestatioia du Christ aux hommes, en tant qu'ini-
tiation du Christ lui même à son propre ministère. Et c'est comme
préambule à cette scène mythique, non par intérêt pour la personne
de Jean, que Ton a fait d'abord intervenir celui-ci ; le transfor-
mant en prophète du baptême chrétien, on a dissimulé l'emprunt
que le christianisme avait fait de son rite d'initiation à la secte
qui se réclamait de Jean.
« Or advint, tout le peuple ayant été baptisé ». — On dirait que
« tout le peuple» à qui ont été adressées les précédentes déclarations
(m, i5-i6j et qui a recules autres instructions de Jean, a été baptisé en
masse le même jour que Jésus et avant lui. — « Et Jésus ayant été
baptisé ». — 11 faut supposer qu'il était venu trouver Jean auprès du
Jourdain. — « Et priant ». —Notre évangile montre volontiers Jésus
priant (cf. v, i6 ; vi, 12 ; ix, 28-29) ; mais il a fallu un motif très par-
ticulier pour introduire ici la prière entre le baptême et la descente
de l'Esprit (cf. Act, viu, 10-17). ^'on croirait assister, l'on assiste en
effet à un baptême dans les premières communautés chrétiennes ;
après l'immersion baptismale, on priait pour obtenir l'effusion de
l'Esprit. La description du baptême de Jésus se développe ainsi en
prototype du baptême chrétien. Mais la tradition qui a conçu le
baptême de Jésus par Jean n'y avait pas admis de témoins. Notre
auteur lui-même ne s'aventure pas à dire expressément que la
foule a vu le miracle, ce qui l'aurait obligé à expliquer pourquoi
<( le peuple» n'avait pas tout de suite reconnu Jésus comme Christ ;
mais il le laisse à entendre. — « Le ciel s'ouvrit ». — 11 s'ouvre
presque aussi facilement dans nos trois premiers évangiles que
dans l'Apocalypse. — « L'Esprit saint descendit en forme corpo-
relle ». — Autrement l'Esprit n'aurait point été visible. — « Comme
JAJC, MI, 23 143
comme colombe, sur lui,
el il y cul des cieux une voix :
« Tu es mou fils bicu-aimé,
en loi je me complais. »
23 Et Jésus même était, en ce commencement,
une colombe ». — L'auteui- entend que l'Esprit a l'apparence, la
l'orme sensible d'une colombe, et qu'il descend à la manière d'une
colombe qui volerait du ciel vers la terre. — « Sur lui ». — Il va de
soi que l'Esprit descend sur Jésus pour demeiirer en lui.
H Et il y eut des cieux une voix : « Tu es mon tils bien-aimé, en toi
je me complais», — C'estle texte de Marc (i, ii). D'anciens témoins
(ms. D, plusieurs mss. lat. ; cf. Justin, Dial. 88, io3 ; Clément
d'Alexandrie, Paed. I, 6, aS) lisent : «Tu es mon fils, je t'ai engendré
aujourd'hui». Cette leçon vient du Psaume (ii, 7) ; mais l'autre vient
d'Isaïe(XLii, I). Les deux textes messianiques étaient facilement inter-
changeables, et la variante pourrait s'expliquer sans recourir à une
influence judéochrétiénne; mais il estpossible aussi que la tradition du
texte dans Luc ait été influencée parles deux autres synoptiques. L'em-
ploi du même texte de psaume dans les Actes (xiii, 33) avec une appli-
cation différente n'est pas une objection décisive contre la leçon qui pa-
raît critiquement moins autorisée, non plus le faitquecette leçons'ae-
corde encore moins avec ce qui a été dit plus haut de la conception
virginale ; ces. divergences, consignées en des textes qui n'ont rien de
primitif, attestent les flottements de la tradition dans les premiers
temps chrétiens. Il peut être néanmoins téméraire de supposer
(avec Klostbrmann, 418, se référant à Spitta) que le texte du
psaume aurait figuré dans le récit traditionnel du baptême antérieu-
rement à celui d'isaïe, qui l'aurait ensuite supplanté ; car le texte du
Psaume 11 a été mis pour commencer en rapport avec la résurrection
(Rom. I, 4.' i'uplique l'exégèse d'AcT. xni, 33) ; et la scène du bap-
tême, conçue plus tard, a pu s'orner du texte d'isaïe tout aussi faci-
lement que du Psaume (ou peut voir, Act. iv, a5-a8, que Ps. 11,
i-a, s'entendait de la passion). Ou notera que la fêle do l'Kpiphauie
semble avoir eu originairement pour objet le baplome du Clirist, et
qu'elle était aussi en Orient la fête de la naissance, avant que l intro-
duction de la fête du af) déceuibro lui eût enlevé ce caractère.
Notre évangile insère cucor(î, avant le récil do la teulutiou, une
iu>ticc l'clative à Vik^i". (ju'avait Jésus lorsi|u'il vint au baptênu\ et qui
sert de point de (lé[)art à la généalogie du Christ. — u lit Jésus lui-
144 LUC, m, 23
âgé d'environ trente ans,
élanl (ils, à ce qu'on croyait, de Josepli,
môme était, commençant, d'environ trente ans ». — L'auteur paraît
vouloir dire que Jésus, à ce moment de son baptême, qui est un com-
mencement, le commencement traditionnel de sa carrière publique,
de sa manifestation au monde, avait environ trente ans. La lecture
de quelques anciens (Clément, I Stroni. xxi, i45 ; Diatessai'on dans
Ephi'em, Aphraates) : (t venant» (£c/o(j.£voç), au lieu de « commençant»
(àcx&u.£vo,-), paraît plus facile mais n'est pas plus autorisée. Le sens
serait : « venant au baptême » ; mais le rapport ne se présente pas
plus naturellement que celui qui est indiqué par « commençant ».
(( Etant fils, à ce qu'on croyait, de Joseph ». — La formule :
« comme on croyait », n'est pas pour suggéi*er un doute, et moins
encore pour signifier que Jésus était réellement ce qu'on le croyait
être, mais c'est une l'estriction gauche pour faire droit à la conception
virginale, tout en maintenant une généalogie qui impliquait originai-
rement, comme celle de Matthieu, la filiation naturelle. Car il est évi-
dent que la généalogie de Luc, aussi bien que celle de Matthieu, n'a ,
pas été fcomposée pour déclarer avec solennité que Jésus était seule-
ment le fils putatif de Joseph ; mais la place qui lui est assignée dans
Luc ferait supposer qu'elle n'a pas été .trouvée dans la môme source
que les. récits de la naissance, mais à part, ou bien annexée déjà au
baptême dans quelque relation évangélique où elle rappelait l'origine
terrestre de Jésus en regard de sa consécration messianique, sa filia-
tion humaine à côté de sa filiation divine, la généalogie suivant son
développement ascendant jusqu'au premier homme et à son créa-,
teur, et la génération spirituelle du second Adam faisant pendant à
la création du premier.
Il n'est pas probable que l'indication concernant l'âge de Jésus
provienne de la même source que la généalogie ; elle résulte plutôt
d'un calcul de l'évangéliste, soucieux d'établir un rapport entre la
date du ministère et les récits de l'enfance. On ne peut guère sup-
poser que le rédacteur aurait eu égard à l'âge fixé' pour l'entrée en
fonctions des lévites (Nombr. iv, 3, aS). Le chiflre se donne comme
approximatif, et l'on a pu voir qu'il cadre tant bien que mal avec la
naissance dans les derniers temps d'Hérode le Gi'and, mais pas du
tout avec la naissance à l'époque du recensement. Comment cette
indication vague prouverait que le ministère de Jésus, dans la pen-
sée de l'évangéliste, aurait duré plus d'une année (Klostermann,4i9,
citant Zahn), c'est ce qu'il est malaisé de voir.
LUC, III, 24-30 145
(fils) d'Héli, " (fils) de Mallhat, (fils) de Lévi,
(fils) de Melchi, (fils) de lannaï, (fils) de Joseph,
^5 (fils) de Maltatliias, (fil8)d'Amos, (fils) de Naoum,
(fils) d'Esli, (fils) de Naggaï, " (fils) de Maath
/'fils) de Matlathias, (fils) de Seméin, (fils) de losech,
(fils) de loda, " (fils) de loanan, (fils) de Résa,
(fils) de Zorobabel, (fils) de Salathiel, (fils) de Néri,
^8 (fils) de Melchi, (fils) d'Addi, (fils) de Ghosam,
(fils) d'Elmadam, (fils) d'Er, a» (HIs) de Jésus,
(fils) d'Eliézer, (fils) de lorim, (fils) de Maththat,
(fils) de Lévi, 3« (fils) de Siméon, (fils) de Jouda,
(fils) de Joseph, (fils) de lonam, (fils) d'Eliakim,
On ne saurait concilier la généalogie de Luc avec celle de Matthieu.
La difficulté qui résulte du nombre des générations pour une même
période serait aisément écartée, puisque Matthieu a omis volontaire-
ment plusieurs noms, et que, les personnages n'étant pas les mêmes
de part et d'autre, il n'est pas nécessaire que le nombre des généra-
tions comprises entre David et le Christ soit identique. Mais la con-
tradiction principale et irréductible consiste eu ce que les deux
généalogistes, énumérant les ancêtres de Joseph, qui sont par la
même censés les ancêtres de Jésus, présentent à partir de David
deux listes difféi'entes, Matthieu donnant, pour le temps compris
entre David et la captivité, une liste incomplète des i*ois de Juda, qui
se termine à Jéchonias père de Salathiel, et Luc aboutissant par une
auti'e série de générations, la. lignée de Nathan, fils de David, au
môme Salathiel, — si c'est le même, et ce doit être le même, puisqu'il
a pour fils Zorobabel, un personnage bien connu de l'histoire juive ;
— les deux listes se séparent de nouveau après Zorobabel, pour ne
se rejoindre qu'à la fin sur le nom de Joseph. Qu'elles aient été cons-
truites indépendamment l'une de l'autre, on n'en peut guère douter ;
que chaque évangéliste ait connu seulement celle qu'il rapporte, rien
n'est plus vraisemblable, quoique l hypothèse d'un choix ne soit pas
impossible.
On dirait que la liste de Luc veut se conformer à une interpréta-
tion des prophéties qui faisait descendre le Messie do David par une
lîranche collatérale (peut-être le généalogiste s'est-il inspiré de Zacii.
xii, 12, où la famille de Nathan e<t nicnlionnée îi ecHé de celle de
David). Salomon et la plupart des rois de .luthi u'avaicnt-ils pas été
infidèles, et Jérémie (xxii, u8, 3() ; xxxvi, 3()-3i) u'avait-il pas maudit
A. LoisY. — L'iivauffile ttdon Ltic. w
146 LDc, III. 31-38
31 ((ils) de Méléa, (fils) de Menna, (fils) de Matlalha,
(fils) de Nathan, (fils) de David, 32(fil&) d'Jsaï,
(fils) d'Obed, (fils) de Booz, (fils) de Salmon,
(fils) de Naasson, ^3 ((ils) d'Aniinadab, (fils) d'Aram,
(fils) d'E&rom, (fils) de Phares, (fils) de Juda,
81 (fils) de Jacob, (fils) d'isaac, (fils) d'Abraham,
(fils) de Tharé, (fils) de Nachor, se (flls) de Sarug,
(fils) de Ragau, (fils) de Phaleg, (fîls)d'Eber,
(fils) de Sala, s" ((ils) de Caïnaii, (fils) d'Arphaxad,
(fils) de Sem, (fils) de Noé, (fils) de Lamech,
8' (fils de Malhousala, (fils) d'Hénoch, (fils) delaret,
(fils) de Malaleël, (fils) de Gaïuan, ^s (fils) dEnos,
(filsVde Selh, (fils) d'Adam, (fils) de Dieu.
Joachim, Jéchonias et leur postérité ? La présence en cette liste de
Zorobabel et de Salathiel, si étrange qu'elle soit, peut s'expliquer par
le désir qu'on aura eu de mettre dans la généalogie du Christ le
restaurateur du temple. La liste comprend soixante dix-sept noms, y
compris Jésus en bas et Dieu en liant de la série. Ce chilTre : onze
fois sept, ou dix fois sept plus sept, pourrait être voulu, comme
celui de Matthieu. H a cependant quelques cliances de n'être point
primitif. Irénée (^aer. III, i8)rie trouvait dans notre généalogie que
soixante-douze générations en remontant du Christ à Adam, et ce
total aurait été en l'apport avec celui des peuples issus d'Adam.
Chiffre et interprétation sont très satisfaisants. Mais, en défalquant
Dieu et Jésus, il reste encore soixante-quinze noms : comment Irénée
a-t-il pu n'en trouver que soixante-douze ? Il serait bien osé de con-
jecturer qullneles a pas comptés, ou qu'il n'a pas eu égard au chiffre
réel. Jules Africain (dans Rusèbe, Hist. eccl. I, 9, 5) fait de Melchi
le père d'Héliet le grand-père de Joseph ; il ignore donc Matthat et
Lévi ; si la liste est d'origine judéochrétienne, commeil est probable,
elle n'a pas pu avoir, entre Sala et Arphaxad, Caïnan, qui n'est pas
signalé dans le texte hébreu de la Genèse, mais seulement dans les
Septante ; et le codex Bezae (ms, D) omet Caïnan. On obtiendrait
ainsi le chiffre d'Irénée. Un nom, Aram, a été dédoublé par les
copistes dans les meilleurs manuscrits grecs (ms. S B L ; B n'a pas
Aminadabj etdevient Admin et Arni. L'orthographe d'autres noms a
beaucoup souffert. Il est possible que l'auteur de la généalogie, en
dressant sa liste et en remontant jusqu'à Adam, n'ait pas eu d'autre
intention que celle d'être complet ; maisTévangéliste y a dû rattacher
HIC, IV, 1-2 147
'^ Or Jésus, rempli d'Esprit saint,
revint du Jourdain,
et il fut promené par l'Esprit dans le désert,
2 durant quarante jours, tenlé par le diable.
l'idée du Sauveur et du salut universels (voir dans Lagrange, 119-
■1.26, la discussion des subtilités par lesquelles on a voulu quelquelbis
interpréter en g.éndalogàe de Jésus, par Marie, ce que le texte présente
comme la généalogie de Jésus par Joseph,, et les subtilités non moins
extraordinaires, par lesquelles; on. a, essayé de mettre d'accord la
généalogie de Luc avec celle de Matthieu, en reconnaissant que toutes
les deuix. indiq.uaient les ascendants de Joseph ; Lagrange lui-même
essaie plutôt de noyer la dilïiGulté sous un déluge d'érudition).
Xr.. Tenïaxion du Gurist
Pour le récit de la tentation, notre évangile dépend de Marc et de
la source où Matthiieu a également ^Duisé la description de la triple
épreuve. Le début s'inspire de Marc en le paraphrasant et en en
corrigeant les expressions trop, énergiques . Au lieu de dire que
« l'Esprit poussa » le Christ au désert, ou, avec l'autre document, que
Jésus y (( fut emmené par l'Esprit », l'auteur dit avec onction, ména-
geant une liaison plus étroite entre le récit de la tentation et celui du
baptême : — « Or Jésus, rempli d'Esprit saint », — de cet esprit
divin qu'il venait de recevoir et qu'on évite de présenter comme une
force contraignante, qui le mènerait malgré lui, — « revint » —
spontanément — « du Jourdain », — où il avait été baptisé, — « et il
fut conduit par l'Esprit dans; le désert » — possédant l'Esprit plutôt
qu'il n'en paraît possédé, et l'Esprit guidant ses démarches, mais non
comme une cause nécessitante, — « durant quarante jours, tenté par
le diable ». — Le mot « diable » vient de l'autre source (cf. M t. 1 v, i) ;
mais notre auteur évite de dire, comme Matthieu, que l'Esprit
avait mené Jésus au désert pour qu'il y subit cette tentation. 11
laisse aussi tomber, peut-être comme un peu grossière, l'indication de
Mai'c (i,. ii3) : « il était avec les bêtes » . Ni Luc ni Matthieu ne signa-
lent expressément l'apparition sensible du diable, mais le récit est
construit de telle sorte que l'idée de suggestions purement intérieures
ne saurait venir à l'esprit du. lecteur; les tentations se déroulent
dans l'espace ; le diable et le Christ argumentent l'un contre l'autre
1-48 LUC. IV, 3
Et, il ne mangea pas duranl ces jours-là,
et quand ils furent accomplis, il eul faim ;
3 elle diable lui dit :
« Si tu es fil>; de Dieu,
dis à cette pierre qu'elle devienne pain. »
comme deux rabbins ; il n'y a aucun motif de suppose!" l'apparition
(lu diable moins sensible que celle des anges dans les deux premiers
chapitres de notre évangile.
« Et il ne mangea l'ien durant ces jours, et au bout de ce temps il
eut faim. » — La source disait sans doute, comme Matthieu (iv, îî) ;
a Et ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, ensuite il eut faim».
— Notre auteur abrège, mais, en disant que Jésus « ne mangea rien »
durant son séjour au désert, il ne. fait qu'interpréter la donnée de la
source. Comme il a dit, d'après Marc, que Jésus avait été tenté pen-
dant quarante jours, il s'est abstenu de répéter le chiffre en prenant
l'autre source, et, conformément à celle-ci, il va placer les trois tenta-
tions spéciales au bout des quarante jours. La construction manque,
un peu de logique, la tentation durant quarante jours perdant à peu
près toute signification par le fait que l'épreuve se trouvera concen-
trée au terme des quarante jours ; le long jeûne ne sert plus qu'à
motiver la première tentation (Bultmann, i55). Il est fort possible
que l'épreuve de quarante jours dont parle Marc (i, i2-i3) ait eu un
caractère assez différent des exercices dialectiques auxquels se
livrent dans Matthieu et dans Luc le diable et Jésus ; l'idée aurait
été celle de l'épreuve à laquelle sont soumis les hommes de Dieu
avant d'entrer dans la perfection de leur rôle (cas de Bouddha,
Zoi'oastre, tels saints de la légende chrétienne ; cf. Bultmann, loc.
cit.), plutôt que celle de la victoire d'un dieu lumineux sur la puis-
sance des ténèbres et du chaos, bien qu'il puisse y avoir originaire-
ment quelque connexion entre les deux. Dans cette hypothèse, le i*écit
quont reproduit les deux synoptiques plus récents serait secondaire
par rapport à Marc,
« Et le diable », — Matthieu (iv,3) : « le tentateur», — «lui dit : «Si
tu es fils de Dieu », — c'est-à-dire .si tu es un fils de Dieu, qui ait les
pouvoirs convenant à pareil titre, le récit n'ayant pas été conçu en vue
du baptême, mais pour marquer la diftérence qui existe entre le vrai
fils de Dieu et ceux qui sont en réalité les fils du diable, qui recom-
mande leur méthode au véritable envoyé, — « dis à cette pierre
qu'elle devienne pain ». — Matthieu : « dis que ces pierres deviennent
Lijc, IV, 4-5 149
*El Jésus lui rép.oudil ;
« Il esl écA'il :
« Ce Ji' esl pas de pain scalciiienl, que v'wra l'homme. »
^El l'ayant conduit en haut, il lui montra
tous les royaumes du monde en un instant;
des pains ». — Le singulier peut sembler plus naturel, mais il pour-
rait avoir été choisi aussi pour plus de précision. On peut supposer
que ce miracle magique était dans le répertoire des « fils de Ijieu ».
Mais on remarquera que noire récit ne paraît pas connaître la mulU-
plication des pains, où ne pas s'apercevoir que ce miracle, pris en
soi, est du même genre que celui dont il ne veut pas pour Jésus, tout
comme il ignore le miracle de la tempête apaisée ou de Jésus mar-
chant sur les eaux, ou bien qu'il ne s'aperçoit pas que ces miracles
sont de la même catégorie que celui des prétendus fils de Dieu qui,
témoin Simon le Magicien, prétendent voler dans les airs. — « Et
Jésus lui répondit : « Il est écrit : « Ce n'est pas seulement de pain
que vit l'homme ». — Matthieu (iv, 4) continue la citation du Deuté-
ronome (viii, 3) : « mais de toute parole sortant de la bouche de
Dieu ». La forme la plus courte de la citation pourrait bien être celle
de la source. Le sens peut être que le Fils de Dieu et le croyant en
général peuvent se passer de pain, s'il plaît à Dieu de les soutenir
sans nourriture ; et peut-être même insiuue-t-on que la nourriture
spirituelle est plus indispensable que la corporelle (cf. J. Weiss-
BoussET, 470). On rétrécit probablement la pensée de l'auteur en
faisant dire à Jésus qu'il peut se passer de j)ain, jDarce que Dieu lui
fournira, s'il est besoin, tout autre aliment, la manne par exemple.
« Et l'ayant conduit en haut, il lui montra tous les royaumes du
monde en un seul instant ». — La Iroisièuie tentation de Matthieu
devient la seconde dans Luc. En laveur de l'ordre suivi par Matthieu
l'on peut faire valoir la gradation logique des tentations ; en faveur
de Luc un certain avantage de localisation et la défense impliquée
dans la i'éponse : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu », qui
serait censée atteindre Satanlui-môme, parce qu'il tente Dieu en vou-
lant le faire tenter par Jésus. La considération serait bien subtile, et
l'ordre suivi par Matthieu doit être celui de la source. On l'aura
modifié, non seulement pour mettre en dernier lieu la défense de ten-
ter Dieu, mais parce qu'on aura trouvé avantageux, la première ten-
tation ayant lieu au désert, de mettre la dernière à Jérusalem, afin de
ramener de là Jésus en Galilée, en pla(.'anl la lontalion des royaumes
190 LUC, IV, 6-7
"et le diable lui tlit ;
« Je le donnerai loule celle puissance et leur splendeur,
Parce qu'elle m'a été remise
et que je la donne à quiije veux ;
' si donc tu te prosternes devant moi,
elle sera loule à loi. »
quelque part (entre le désert eit Jéi^usailom. Qn a âonc remplacé la
« haute montagne » par une -ascension indéterminée, soit un enlève-
ment dans les :airs (Klosïermann, 4^2 ; J. Wbiss-Bousset, 420),
soit iplutôt sur une hauteur quelconque dans le désert ; ca'r
l'exipression choisie (àv^ya^wv) ne suggère pas autrement l'idée d'une
ascension dans les liauteurs célestes, -et i'onipeut douter que l'éva'ngé-
liste .ait 'voulu faire porter dans les airs par le diable Jésus, qui rel^use
de se laisser porter 'ainsi par ies anges (cf. Agï. vni, 3g). Le caractièi?e
prestigieux et magique de la vision est figuré seulement dans t'iaddi-
tion::;«enun seul instant ». L'évangéliste entend que le démon n'a
pu.,fd'un point quelconque, 'Paire voir le monde à Jésus sans interven-
tion de magie:: en quoi l'artifice du diable a-t-il consisté, c'est une de
ccschosesqueile diable sadt et dont les honànies n'ont pas le secret, La
vue ides royaiumes n'ien estpas moinscensée réelle.
« Et (le diable lui dit ; «Je lie donnerai toute cette puissance et leur
splendeuir », — ^la spiendeur des l'oyauimes. Paraphrase de.(MT.iv, 9) :
(( Jiî rte donnerai tout icela » . Les mots : « et leur splendeur » sonit
comme tombés de (Mt.iv, 8) : « Il lui montra 'tons les royaumes du
monde 'Ci leur sp'/ewâfew», où notre auteur les a remplacés par : «en
nn instant » ; on pourrait songer à une glose mal placée plutôt 'qu'à
une transposition accidentelle. — « Pai^ce qu'elle » — cette puissance
— « m'a été remise et que je la donne à qui je veux ». — Suite de la:
paraîphrase. Le diable parle en « prince de ce monde. » Selon la con-
ception du récit, Satan dit la vérité ; le monde inférieur ;lui appar-
tient encore ; mais il ne sait pas que son pouvoir va être (brisé pai'
celui même à qui il en odre le partage. — « Si donc tu te prosternes
devant moi, elle sei-a toute à toi ». — Paraphrase de : « Si tu le pros-
ternes devant moi » (cf. Mt, IV, 9, en notant que 7r£(7ojv appartient au
style de l'évangéliste). Il existait alors un « Seigneur » et un « fils de
Dieu », à qui appartenaient tous les royaumes du monde et qui, au
jugement des chrétiens comme des Juifs, adorait .le diable. Geluiici
olfi'e à Jésus la place de l'empereur romain, au ipème prix (cf. Ap.
XIII, 2.) — « Et répondant, Jésus lui dit : « Ilestécrit : « Tu adoi'eras.
LUC, IV, 8-12 151
^Et répondant Jésus lui dit :
<( Il est écrit :
« Ta adoreras Seigneur ton Bien,
et à lui seul tu rendras culte. »
*'Et il le conduisit à Jérusalem,
le mît sur le faîte du temple,
et il lui dit : « Si lu es fils de Dieu,
jetle-toi d'ici en bas ;. ^
^° Car il est écrit : « A ses anges
il donnera oindre, à ton sujet, de te garder y)
^1 et : « Sur (leurs) mains- ils te porteront,
de peur que tu ne heurtes contre pierre ton pied. »
* ^^ Et répondant, Jésus lui dit :
« Il est dit : « Ta ne tenteras pas Seigneur ton Dieu. «
Seigneur ton Dieu, et à lui seul tu rendras culte». — Dans Matthieu la
citation du Deutéronome (iv, t3) est précédée de l'apostrophe : « Ar-
rière, Satan », que Luc pourrait avoir omise, parce que, la dernière
tentation étant devenue la seconde, il faut que le diable demeure.
« Or il le conduisit à. Jérusalem ». — Matthieu (iv, 5) : « Alors le
diable l'emmena (■K-xpoi.'Xciit.pivsi doit être le mot de la source pour les
deux dernières tentations) dans la ville sainte ». — Il est probable
que dans la source on lisajt simplement : « Jérusalem ». — « il le mit
sur le faîte du temple », — Il ne faut pas demander comment se fit
la chose, mais ici encore le narx'ateur évite de dire que le diable ait
enlevé Jésus. Nul besoin non plus de préciser l'endroit ni de l'iden-
tifier au « faîte » d'où, selon Hégésippe, fut précipité Jacques frère du
Seigneur (P]usêbe, H. g. II, liS, ii). Ce qui n'est pointarrivé n'a pas
besoin d'être si exactement localisé. — « Et il lui dit : « Si tu es fils de
Dieu, jette-toi d^'îci en bas ». — C'est le miracle de Simon le Magicien.
— (( Car il est écrit : ft A ses anges il donnera des ordres à ton sujet,
afin de te garder », — pour qu'ils te préservent de mal. Notre auteur
a ajouté : « pour te garder », d'après le Psaume (xcr, ii-ia) ; mais la
forme plus courte de la citation dans Matthieu doit être celle de la
source. — « Et : « Sur leurs mains ils te porteront, de peur que lu ne
heurtes ton pied contre une pierre ». — Satan n'a pas vu que le texte
cité ne suggère aucunement l'idée d'un vol dans les airs. — k Et
répondant, Jésus lui dit : « Il est dit : « Tu ne tenteras pas Seigneur
'ton Dieu ». — Cette dernière citation du Deutéronome (vi, liS) est
152 • LUC, IV, 13
^^ El ayant épuisé toule lenlaliou,
le diable s'éloigna de lui pour un temps.
censée dans notre évangile couper court aux tentations, et se pi*ésenle-
ainsi comme une espèce de congé donné au tentateur. Quelques-uns,
négligeant de voir que « Seigneur ton Dieu » ne peut être une
désignation appropriée au Christ, qui n'est ni lahvé ni Dieu, ont
pensé que Jésus avait pu se déclarer lui-même dans cette réponse
Dieu et seigneur du diable ; du reste, cette citation, comme les
autres, ne peut être qu'une réponse directe à la suggestion du diable,
une réfutation de cette proposition, non une condamnation du pro-
cédé dont use le diable envers Jésus.
« Et le diable, ayant épuisé toute tentation », — remarque propre
à l'évangéliste, et qui doit être la raison pour laquelle, selon lui, le
tentateur — « s'éloigna de lui pour un temps », — littéralement :
«jusqu'à un temps » qu'on doit supposer fixé par la Providence, et
qui, dans la pensée de l'évangéliste, paraît être l'agonie de Getlisé-
mani, la tentation suprême. Il est cui'ieux que notre évangile semble
avoir réservé pour cette dernière tentation (xxu, 89-46) l'assistance
angélique dont pai-le Marc (i, i3), et Matthieu (iv, 11) d'après Marc.
On devait lire simplement dans la source, après la troisième tenta-
tion : « Et le diable le laissa ».
Le caractère mythique du séjour au désert et de la tentation n'est
pas moins certain que celui du baptême ; c'est la probation messia-
nique, comprise en préliminaire ou initiation immédiate au ministère
de salut ; mais cette probation fait, en quelque manièi'e, double
emploi avec la probation de la mort, figurée dans la scène de
Gethsémani ; elle est en rapport avec l'étape de la tradition où' la
prédication de Jésus est comprise dans le programme de son œuvre
salutaire, et où Jésus apparaît en mystagogue. Le mythe est à peine
esquissé dans Marc; mais Matthieu et Luc le donnent dans une forme
quasi scolastiquement élaborée, non peut-être sans quelque arrière-
pensée de polémique. Le mythe de la tentation paraît avoir été
conçu d'abord indépendamment de celui du baptême, et il n'est
qu'ébauché dans l'épître aux Hébreux (i!, 18 ; iv, j5 ; v, 7-10) ; le
quati;ième évangile a voulu l'ignorer,
XIL Jésus a Nazaketh
Notre auteur admet, d'après Marc (i, i4), et pour la perspective^
que le retour de Jésu» en Galilée s'est eflectué après l'arrestation de
LUC, IV, 14 153 loa
^^ Et Jésus revint, dans la vertu de l'Esprit, en Galilée,
et sa renommée se répandit par toute la contrée ;
^^ et il enseignait dans les synagogues,
célébré de tous.
Jean ; s'il ne le dit pas, c'est qu'il a raconté plus haut (m, ig-ai^cette
arrestation. On dirait qu'il a ti'ouvé trop maigre la notice de Marc
sur les débuts du ministère galiléen, et qu'il omet comme insignifiant
le sommaire des premières prédications (Me. r, i5), afln de faire
valoir, même avant d'avoir parlé en général de cet enseignement, la
réputation que Jésus acquiert aussitôt dans toute la contrée : ce qui lui
permettra d'amener tout de suite un tableau où se révélera dans son
entier le mystère du salut. Le sort de Jean paraît n'être d'aucune
influence par rapport à l'inauguration de l'évangile : comme le rap-
port établi dans Marc est artificiel (cf. Alarc, ig, 6i, 66), il est fort
possible que Luc, d'après la source de Marc, fit commencer la rela-
tion évangélique, sans aucune mention de Jean, par la vocation des
premiers disciples et la prédication à Gapharnaûm ; mais ce qu'on
nous dit maintenant ne ressemble que de très loin à ce début.
« Et Jésus revint, dans la vertu de l'Esprit, en Galilée ». — Marc
disait seulement ;« Jésus vint en Galilée ». L'on nous fait entendre
ici que Jésus revient investi de la vertu d'en haut, non pas poussé
par l'Esprit, mais faisant sentir autour de lui par des œuvres miracu-
leuses la puissance de l'Esprit, C'estce qui explique, dans la pensée du
narrateur, la renommée subitement universelle dont jouit le Christ.
— « Et sa renommée se répandit dans toute la contrée ». — II. ne
s'agit pas de signifier que Jésus, dans sa lutte avec Satan, n'a rien
perdu de la force divine qu'il a reçue au bord du Jourdain ; et le
bruit qui se répand à son sujet ne peut être celui de son baptême, de
sa retraite au désert et de son retour, car la divulgation de ces faits
ne serait pas précisément « sa renommée » (<pTi[j.r| -spt aÙTou), qui
est fondée sur une action personnelle. L'évangélisle ne regarde pas
en arrière, mais eu avant, et il n'a ménagé une si belle entrée à
Jésus que pour le conduire tout de suite à Nazareth. Il anticipe aussi
les miracles, sans pourtant les mentionner expressément, et l'ensei-
gnement dans les synagogues, avec l'admiration de la foule.
« Et il enseignait dans leurs synagogues », — les synagogues des
Galiléens, — «célébré de tous ». — Ainsi notre auteur rehausse-t-il
les commencements du ministère galiléen, et il s'elTorce d'efiacer par
là, sans y trop réussir, les inconvénients résultant de la transposition
IM LUC, IV, 16
16 Et il vint cà Nazara,
où il avait été élevé ;
qu'il a opérée en mettant la prédication à Nazareth avant la vocation
des pvemiei's disciples et la visite à Capharnaûrn. En apparence, il
veut expliquer pourquoi Jésus n'a pas fait de Nazareth le centre de son
activité ; au fond, il a voulu, dans cette scène de Nazareth, rapportée
au début de la prédication évangélique, figurer la fortune ultérieure
de rKvangile, A description symbolique préambule artificiel et fictif ;
mais aussi dramatisation plus achevée de la mise en scène ébauchée
dans Marc.
Il paraît s'accorder avec Matthieu (ia', i3) en conduisant d'abord
Jésus à Nazareth, et l'on a pu conjecturer que la rencontre n'était
pas fortuite. Cependant les préoccupations des deux évangélistes
sont très différentes : Matthieu veut expliquer par une prophétie
pourquoi Jésus a prêché au bord du lac et non dans son pays pour
commencer ; il ne le conduit à Nazareth, si tant est qu'il l'y conduise,
que pour l'amener à Capharnaûrn ; notre auteur, au contraire, amène
tout de suite Jésus à Nazareth pour y prêcher, ce qui contredit
Matthieu, et il le fait aller à Caphaimaûm parce qu'on l'a chassé de
son pays, ce qui ne s'accorde pas mieux avec le pj^emier évangile. Ce
n'est pas réellement pour motiver l'installation de Jésus à Caphai'-
naûm qu'il le fait chasser de Nazareth, car il le fait prêcher avant de
se rendre dans cette dernière ville, et il a même inséré dans sa relation
(iv, 23) un passage d'où il résulterait que Jésus avait déjà fait de
nombreux miracles à Capharnaûrn avant de venir chercher un insuc-
cès dans sa ville natale. L'influence de Matthieu n'est donc pas néces-
saire pour expliquer la combinaison rédactionnelle adoptée dans Luc ;
mais il est possible que la connaissance du premier évangile ait sug-
géré cette combinaison (l'emploi du nom NaÇapâj qui ne se rencontre
qu'ici et Mt. iv, i3, pourrait être allégué à l'appui de cette hypothèse
si toutefois cette lecture est authentique dans Matthieu), Du reste, si
la transposition n'est pas douteuse, il semble que la signification
symbolique du récit soit essentiellement la même dans les deux pre-
miers évangiles et que le troisième n'ait fait que la mettre en plein
relief et la développer. Le rédacteur n'a pas dû inventer lui-même
les divers éléments qu'il introduit dans ce développement, mais rien
n'oblige à penser qu'il les ait empruntés à une source évangélique
spéciale .
« Et il vint à Nazara, où il avait été élevé ». — Dans Marc (vi, i),
;luc, IV, 17 l^o
et il entra, selon sa coutume,
le joui' du sabbat, dans la synagogue.
^^ Et il se leva pour faire la lecture,,
et on lui donna le livre du prophète Isaïe ;
Jésus arrive de Gapharnaûm, où il a ressuscité la fille de Jaïr, et il est
entouré de ses disciples: l'évangéliste pense à Nazareth ; mais, comme
il dit « son pays », on pourrait conjecturer que le récit n'avait pas été
conçu en vue de cette localité, si par ailleurs on admet que le rapport de
Jésus avec Nazareth est fondé sur une étymologie artificielle et fausse
de son surnom de.« Nazoréen ». Notre auteur admetrét5'^mol()gie,et il
interprèle « son pays » par « Nazara où il avait été élevé ». — « Et il
enlra:, selon sa coutume, le jour du sabbat, dans la synagogue ». —
« Selon sa coutume » est pour la référence à la notice préliminaire
(iv, i5), et non pour signifier que Jésus à Nazareth avait toujours été
assidu à la synagogue (Klosteivmann, 426 ; LAGiiiVNGE, i3y). Où serait
l'intérêt d'une telle remarque, et la référence à la notice préliminaire
u'est-elle pas suffisamment indiquée par le texte même ?
« Et il se leva pour faire la lecture ». — Celle lecture, avec la cita-
tion prophétique et tout ce qui s'ensuit, a été intercalée par notre
évangéliste dans la relation de Marc. Depuis longtemps la Loi élait
lue régulièrement dans les synagogues. Notre récit prouve, ou du
moins il suppose, que, déjà au temps de Jésus, l'on joignait la lecture
des prophètes à celle de la Loi (cf. Act. xiii., i5 ; la scène des Actes est
fictive et conçue, probablement'par le môme auteur, sur le même type
que la présente).}Jésus, après la lecture de la Loi, s'offre comme lecteur
de la leçon prophétique. L'auteur dit qu'il « se leva », et, plus loin
(iv, ao), qu'il (( s'assit » pour faire son discours, parce que l'usage
était, en effet, de lire debout le texte biblique et de s'asseoir pour le
commenter. Ordinairement le président de la synagogue invitait
quelqu'un deLassistance ; mais Jésus s'olTro lui-même sans attendre
l'invitation. — « Ou lui donna le livre du prophète Isaïe ». — L'ap-
pariteur lui met en main l'un des volumes sacrés : c'était, par ren-
contre providentielle, le rouleau d'isaïe. Le texte évangélique suggère
plutôt cette idée que celle d'un rouleau coulenant seulement les par-
ties des prophètes qui servaient à la lecture publique ; et d'ailleurs il
ne semble pas que le cycle des leçons prophétiques fût arrêté dès ce
temps-là. En :tout cas, notre auteur, qui était fort capable d'en
prendre à son aise avec la coutume juive, laisse entendre que Jésus,
ayautidéroulé le volume d'isaïe, lut uu passage qui lui était tombé
156 me, IV, 18-19
et ayant déroulé le livre,
il rencontra l'endroit où il est écrit :
^^ « Esprit de Seigneur est sur moi,
parce qu'il m'a oint ;
dire bonne nouvelle aux pauvres il m'a envoyé,
annoncer aux captifs délivrance
et aux aveugles vision,
mettre les opprimés en liberté,
^^ annoncer Vannée favorable de Seigneur. »
sous les yeux et qui se trouvait être la définition prophétique de sa
mission. Inutile de dire que le texte a été pris dans l'arsenal de l'apo-
logétique chrétienne, et que l'auteur n'a pas eu de peine à le choisir
comme thème de la prédication à Nazareth. Cotait un thème de pré-
dication apostolique, et c'est à celle-ci seulement qu'il appartient,
Jésus, autant qu'on en peut juger, n'ayant pas accoutumé de prêcher
sa qualité de Messie, de se démontrer lui-même au moyen des pro-
phéties.
« Et ayant déroulé le livre, il trouva l'endroit où il est écrit». —
C'est le commencement d'un oracle(Lxi, i-a), cité libi'ement d'après les
Septante : — « L'Esprit de Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint,
pour dire la bonne nouvelle aux pauvres ». — On conçoit l'importance
que l'évangéliste attache à ce trait, — « Il m'a envoyé annoncer aux
captifs la délivrance, et aux aveugles la vision », — le recouvrement de
la vue; mais la leçon de l'hébreu : « et aux prisonniers la liberté », est
préférable pour le parallélisme. Le membre de phrase: — « Mettre en
liberté les opprimés », — a été importé d'un autre chapitre (lviii, 6),
et se trouve compenser l'omission de « gaérir ceux qui ont le cœur
brisé », avant : « annoncer aux captifs » etc. Le rythme paraît exiger
que l'on construise (avec Nestlé, Zeitschr. f. n. Wiss., VIII, 77) :
« parce qu'il m'a oint, dire bonne nouvelle aux pauvres il m'a envoyé,,
annoncer aux captifs » etc. — « Annoncer l'année favorable de Sei-
gneur ». — Dans l'original, c'est l'année où lahvé octroie ses faveurs;
mais notre auteur entend peut-être l'année qui est « agréable » ou
« salutaire» aux hommes. La citation s'ai'rête opportunément devant :
« le jour de la vengeance pour notre Dieu », qui dérangerait l'appli-
cation. Gomme le prophète annonçait la restauration d'Israël, il pré-
disait le châtiment de ses ennemis. L'an de grâce fait allusion à
l'année jubilaire, où, d'après la Loi (Lév. xxv, 16), les terres aliénées
devaient revenir à leurs anciens possesseurs, et les esclaves hébreux
LUC, IV, 20 157
2" Et après avoir roulé le livre, •
le rendant à l'appariteur, il s'assit ;
et les yeux de tous en la synagogue
étaient fixés sur lui.
recouvrer leur liberté. Il va sans dire que, dans la pensée de l'évan-
géliste, l'esprit qui est sur Jésus est l'Esprit saint qui est descendu sur
lui au baptême ; l'an de grâce est le temps de la prédication évangé-
lique. Ceux qui, dans l'antiquité, ont. pensé que la prédication de
Jésus n'avait duré qu'un an ou dix-hnit mois (Valentiniens, Clément
d'Alexandrie, Origène, Tertullien) se référaient à ce passage, et l'on
peut croire que déjà l'évangéliste établissait une relation entre l'année
de grâce et le cadre chronologique où il enfermait la prédication du
Glirist ; il identifie cette année de grâce à la quinzième de Tibère.
On remarquera que la citation, comme elle est faite, et au sens où.
l'évangéliste l'entend, contient un programme de l'œuvre du Christ
assez différent de celui qui est énoncé au début de Marc (i, i5) : au
prochain règne de Dieu, en vue duquel on doit se repentir, se subs-
titue l'évangile du salut pour les pauvres, de la vérité pour les igno-
rants, de la rédemption pour les pécheurs ; il s'agit d'instaurer l'éco-
nomie chrétienne de la rédemption. Et c'est l'instauration de cette éco-
nomie, plus encore que la durée, symbolique d'ailleurs, plutôt que
réelle, du ministère de Jésus, qui est visée dans « l'année favorable ».
La liberté de la citation ne doit pas tenir à ce que l'évangéliste cite
de mémoire, mais à ce que ce passage a été arrangé pour l'usage de
l'apologétique chrétienne, dans un répertoire de textes censés messia-
niques, exploités pour la défense de la nouvelle religion contre les
Juifs, et qui ont servi aussi à construire non seulement certains dis-
<;ours des Actes mais la légende même de Jésus. Tout en mettant ces
paroles dans la prétendue lecture synagogaie du Christ, on n'a pas
pris la peine de les conformer au texte hébreu.
« Et ayant roulé le livre pour le rendre à l'appariteur ». — lecture
iaite du texte sadvé, — « il s'assit », — pour en donner le commen-
taire. A tant faire que d'entrer dans les détails, notre auteur aurait
dû. dire que Jésus avait donné la traduction araméenne du texte lu ;
mais il n'y aura pas pensé ou l'aura sous-entendu. — « Et les yeux
de tous dans la synagogue étaient fixés sur lui », — l'attention étant
excitée au plus haut degré, tant à cause de la réputation censée acquise
déjà par l'orateur, que de la haute signification du passage, dont on
pouvait attendre un commentaire vivement intéressant. — » Or il
158 Ldc, IV, 21-22
21 El. il se mil à leur (îire :
« Aujourd'hui s'accomplit celle Kcriture (qui: esl) en vos
[orciUes. »
22 Et tous lui rendaient témoignage,
et ils admiraient les paroles (pleines) de gr^ce qui sortaient
[de sa bouche,,
et ils disaient : '
« N'est-ce pas le fils de Joseph ? »
se mit à leur dire : « Aujourd'hui cette Ecriture s'accomplît à. vos
oreilles », — c'est-à-dire : « Vous entendez celui dont parle Isaïe »..
Ou plutôt : « Aujourd'hui se idéalise l'Ecriture qui vous vient à
entendre », littéralement « l'Ecriture (qui est encoire) dans vo&
oreilles » (Klostekmann, ^'i6, après Wellhausen, J. Weiss). L? com-
mentaire est brei, mais on doit supposer que le narrateur s'est
contenté d'en indiquer le thème, et que Jésus, contrairement à toute
vraisemblance, s'est fait à lui-même dans le détail l'appliicatiGn de
la prophétie (cf. xxiv, slj). L'auteur est pressé de dire rimipression
produite, qu'il décrit en s' aidant de Marc (vi, 2-3). La précision des
détails descriptifs dans cette mise en scène, et l'insignifiance de la
parole attribuée en propre à Jésus sont des signes de composition
secondaire ; dans les anecdotes de première tradition, les traits des^
criptifs sont moins abondants,, avec plus de relief, et les paroles
attribuées au Christ ne sont pas de remplissage. Ce qui va être dit
touchant les sentiments de l'auditoire est parfaitement incohérent,
parce que l'auteur a voulu faire admirer sans réserve le discours,
tout en retenant les critiques et l'incrédulité dont parle Marc, cette
incrédulité devant servir à amener la conclusion de riiistoire.
«Et tous le louaient », — littéi-alement : « lui rendaient témoi-
gnage » (cf. AcT. XXII, 12), trouvant sa démonstration bien conduite,
bu plutôt peut être faisant son éloge à roccasiondudiscours(LAGRANGE,
i4o) ; — « ils admiraient les paroles de la grâce qui sortaient de sa
bouche ». — On est tenté d'entendre «■ paroles de la grâce », d'après
l'usage de l'Ancien Testament (cf. Col. iv, 6 ; Eph.jcv, 29), au sens de
« paroles agréables », étant donné que l'auditoire est censé n'avoir
rien compris au fond ; mais, eu égard au style de l'auteur, la grâce
pourrait être le don divin du salut (cf. Agt. xiv, 3 ; xx, 24-32), et
le discours serait caractérisé d'après .son objet, non d'après l'idée
que s'en fait la foule. — « Et ils disaient : « N'est-il pas le fils de
Joseph ?» — La réflexion n'est pas censée faite sur le ton de l'admi-
ration, mais au sens de Marc : l'orateur, après tout, n'est que le fils-
LUC, IV, 22 im
de Joseph, et pourquoi s'avise-t-il de faire le prophète? Seulement
notre auteur a eu éoin. de n'évoquer ni le nom de la mère, dans une
occasion où elle serait mentionnée sans faveur, ni ceux des frères
avec le rappel des sœurs, parce que de ces frères et sœurs il ne veut
point parler. La brièveté de la réflexiou fait que le sens en apparaît
seulement par la suite et que le scepticisme de^l'auditoire n'est pas suf-
fisamment'accentué pour justifier l'attitude que Jésus va prendre
tout aussitôt. C'est pourquoi certains critiquer (Klostehmann. 4^6,
après Welluàusen, io) tiennent pour une admiration des « belles
paroles », que ne contredirait pas la remarque sur « le fils de Joseph »,
censée faite sans malveillance et comme un autre motif de l'admira-
tion. Le narrateur ne paraît pas l'avoir compris ainsi, puisque Jésus
va reprendre la parole comme s'il répondait .à une objection II n'y a
pas lieu non plus de supposer (avec K. L. Schmidt, Der Rahmen der
Geschichie Jesu, 1919, p.,4o) que l'cvangéliste aurait introduit dans "
un récit primitivement indépendant et non localisé certains détails
(22 b, la remarque sur le fils de Joseph, et 24) ; la localisation à Naza-
reth tient au fond du récit (comme le montre aussi bien 23), qui est
une fiction symbolique du rédacteur exploitant la donnée de Marc.
Mais l'utilisation dé Marc ne se fait pas sans maladresse.
Le Christ, en eflet,varéfuterun propos qui n'a pas été tenu, mais que
le récitdeMarc aura suggéré àTespritdel'évangéliste: Jésus, encitant
et commentant Isaïe, est censé avoir parlé des miracles qu'il a déjà
faits, et comme il n'en a pas fait à Nazareth, — ce qui se lit dans
Marc (VI, 5), mais ce que notre auteur s'est abstenu de dire, — il
doit rendre raison de cette différence ; la liaison des idées entre le
premier discours et celui-ci consiste en ce que le premier discours,
proposition du salut aux gens de Nazareth, figure la prédication de
l'Evangile aux Juifs, et le défaut ou le refus de miracle à Nazareth la
réprobation d'Israël ; toute l'incohérence du récit vient de l'écrivain,
qui n'arrive pas à construire un récit homogène avec les traits qu'il
emprunte à Marc et le commentaire symbolique dont il les a pour-
vus. Au lieu de dire que Jésus n'a pu faire ou n'a pas fait de
miracle à Nazareth, ce que sans doute il lui répugnait d'avouer, il
suppose et lait supposer à Jésus lui-même que les gens de Nazai'eth
veulent prendre les devants et provoquent insolemment le Christ à .
faire des prodiges en son pays comme ailleurs : les gens de Nazareth
sont les Juifs qui demandent des « signes » (I Cor- i. 22) et qui ne
méritent pas d'en avoir, la volonté de la Providence étant d'ailleurs
que le « prophète », non accepté dans sa patrie, soit accepté dans
la genlilité.
•160 LUC, IV, 23-24
23 Et il leur dit :
« Sans doute me citerez-vous ce proverbe :
Médecin, guéris-toi.
Tout ce que nous savons être arrivé à Capbarnaûm,
fais-lé encore ici, dans ton pays. »
24 Et il dit :
« Et il leur dit : « Sans doute me citerez-vous ce proverbe », — le
texte dit « parabole », parce que le dicton : — «Médecin guéris-toi >,
— se cite en manière de comparaison; et ce qui suit est l'appUcation
que l'auditoire en est censé faire dans la circonstance présente. —
«Tout ce que nous savons être arrivé à Capharnaûm,iais-Ie encore ici,
dans ton pays ». — « Guéris-toi » n'est donc pas censé signifier que
Jésus devrait relever par des miracles son propre prestige aux yeux
de ses concitoyens, mais qu'il devrait faire des miracles chez lui
avant d'en faire dehors, sinon il sera comme le médecin qui ne sait
pas se guérir lui-même. Il serait parfaitement arbitraire d'entendre
(avec Wellhausbn, io) cette réflexion de l'avenir, comme si Jésus
disait : « Malgré la faveur que vous me témoignez, quand j'aurai fait
des miracles à Capharnaûm, vous m'en demanderez». L'évangéliste a
•compris Capharnaûm parmi les localité antérieurement visitées par
Jésus (iv, i5), bien qu'il n'ait point alors parlé de miracles et qu'il
s'exprime ensuite (iv, 3i) au sujet de Capharnaûm comme si Jésus
y venait pour la première fois. Derinère ce récit mal équilibré il faut
voir l'idée que le récit fait valoir : rien ne sert de dire que Nazareth
touche de plus près à Jésus que Capharnaûm, et les Juifs peuvent
dénigrer un Messie qui n'est pas venu en roi d'fsi'aël ; cela devait
être, et la réprobation des Juifs, la conversion des Gentils étaient
figurées dans l'histoire d'Elie chez la veuve de Sarepta, dans la gué-
risondeNaaman le Syrien par les instructions d'Elisée ; et cela d'abord
est conforme à un autre dicton qui court sur les prophètes.
La reprise : — « Et il dit », — sert à séparer les propos attribués
aux Juifs de ce que Jésus veut y répondre ; mais elle n'était pas
nécessaire, le commencement de la réplique: « En vérité je vous
dit », excluant toute amphibologie ; de telles reprises marquent sou-
vent dans les synoptiques, soit le passage d'une source à une autre,
soit le retour à la soui'ce après un écart de l'évangéliste ; ici l'auteur
rejoint Marc (vi, 4)i après s'en être écarté pour citer le proverbe du
•médecin. Il n'est pas probable que ce dernier ait été emprunté à une
LUC, IV, 24--5 161
« En vérité je vous dis
que nul prophète n'est en crédit dans son pays.
25 Et pour vérité je vous dis :
il était beaucoup de veuves, au temps d'Elie, en Isra(il,
quand fut fermé le ciel durant trois ans et six mois,
d'où advint famine grande en tout le territoire,
source évangélique; sans cloute n'était-il pas nécessaire d'être méde-
cin soi-même pour l'introduire dans le présent récit ; mais on y peut
voir comment de tels dictons ont enrichi l'enseignement et môme la
légende évangélique. Notre auteur applique, assez gauchement, au
cas de Jésus le dicton du médecin ; mais le dicton sur le prophète
qui n'est pas honoré chez lui a dû n'être appliqué au Christ que dans
la tradition, et ce dicton autour duquel roule l'anecdote de Jésus à
' Nazareth pourrait bien l'avoir suggérée (Bulïmann, i5). Le dicton
sur le prophète et le dicton sur le médecin sont réunis et présentés
comme enseignements de Jésus dans un des Logia dits de Behnesa :
« Point n'a crédit prophète en son pays, ni médecin ne lait cure
parmi ses connaissances ». D'aucuns (Bultmann, i5, après Wendlinget
Preuscheni estiment que le double dicton est, en cette forme, antérieur
aux récits de Mai'c ; à supposer qu il en soit ainsi, l'authenticité du
proverbe comme parole de Jésus n'en serait pas mieux gai'antie ; mais
n'a-t-on pu le construire aussi bien d'après le troisième évangile ? En
tout cas, les deux dictons ont une origine distincte (pour le dicton
du médecin, voir exemples dans Klosteumann 4^7), et c'est dans la
tradition chrétienne qu'on les a, rapprochés.
« En vérité Je vous dis que nul prophète n'est en crédit dans son
pays )). — Notre auteur se garde bien d'ajouter : « parmi ses parents
et dans sa rnaison », ne voulant rien dire sur la famille ; mais il a
voulu retenir le principal de la sentence, élément essentiel du récit
dans Marc, bien que lecontexten'y convienne plus guère. Jésus, dans
Marc, peut bien dire, en se voyant mal reçu à Nazareth, qu'un pro-
phète n'est pas honoré dans son pays ; ce n'est pas motif pour que le
prophète, avant toute manifestation d'hostilité, se refuse à faire le
miracle qu'on pourra lui demander en preuve de sa mission ; il n'y a
pas non plus de rapport entre le cas du prophète dédaigné chez lui et
les exemples d'Elie et d'Elisée, Elle n'ayant pas été précisément
honoré à Sarepta, et Elisée, n'ayant jamais été méprisé en Israël.
L'artifice est sensible dans la suture rédactionnelle.
« Or pour vérité je vous dis » — a Pour vérité » (ÉTv'àXTjôeta;) est
A. LoisY. — UEvangile selon Luc. ii
102 LUC, IV, 20 27
2" et ce n'est à aucune d'elles que fut envoyé Elle ;
mais à Savepta de Sidon, chez une femme veiwe.
- '' Et il étail beaucoup de lépreux en Israël, sous Elisée le prophôle,
et aucun d'eux ne fut purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
une variante du coutumier amen, afin d'atténuer l'efTet désagréable
de la répétition. Ici l'auteur ne pouvait découper le discours en inter-
calant : « et il dit » ; et sans la formule qu'il glisse entre le proverbe
et les exemples,, on aurait ti*op senti que ceux-ci n'étaient pas en
correspondance avec celui-là. Dans l'esprit de i'évangéliste et à
l'arrière-plan du discours, l'accord se fait entre les exemples et le
proverbe, qui ne concerne pas réellement la fâcheuse réception faite
à Jésus par les gens de Nazareth mais l'attitude générale des Juifs à
l'égai'd du Christ et du christianisme. Les exemples ne sont pas à
prendre non plus dans leur signifl.cation littérale : comme Jésus s'abs-
tenant de faire des miracles à Nazareth, figure le relus providentiel
du salut aux Juifs, Elie à Sarepta, Naaman le Syrien figurent le don
du salut aux Gentils. A prendre les exemples à la lettre, Jésus dirait
qu'il fait des miracles à Capharnaûm et qu'il n'en fait pas à Narareth,
tout comme Elic, lors de la grande famine, alla demeurer chez une
veuve de Sarepta (I Rois, viii, i6), bien qu'il ne manquât pas de
veuves en Israël, et comme Elisée guérit un Syrien de la lèpi-e (II
Uois, v, i-i4). quoiqu'il y eut en Israël beaucoup de lépreux; la com-
paraison manquerait d'équilibre, etl'ùn ne voit pas comment Caphar-
naûm et ses malades pourraient être mis en parallèle avec Sarepta
et Naaman, si Nazareth et Capharnaûm n'intervenaient dans ce
tableau comme y figurant respectivement le juda'i'sme et la gentilité
chrétienne. Mais il est évident que Jésus, à aucune époque de son
ministère, n'a émis pareille association d'idées. C'est la tradition
d'abord qui aura utilisé ces exemples en justification de la propa-
gande chrétienne auprès des Gentils (cf. Bultmann, iG).
« 11 y avait beaucoup de veuves au temps d'Elie en Israël, quand
le ciel lut lermé durant trois ans et six mois ». — Le livre des Rois
(I, XVII, I ; xviii, i) dit « trois ans » ; l'épître de Jacques (x, l'j) dit
aussi : « trois ans et six mois » ; les six mois n'ont pas dû être ajoutés
par simple réflexion sur le récit des Rois pour en commenter les indi-
cations, mais parce que trois ans et demi, la moitié de sept, nombre
parfait, la demi-semaine d'année, conviennent à un temps de malheur
et sont en effet assignés dans Daniel (vu, aS ; xii, 'j) et dans l'Apoca-
lypse (xi, 43 ; XII, i4 ; XIII, 5) au temps d'alUiclion qui doit précéder
LUC, IV, 28 IW lf>3
28 El lous furent remplis (le colère,
dans la synagogue, en entendant cela,
2" et s'étant levés, ils le chassèrent hors de \a ville,
et ils le menèrent jusqu'au sommet du mont
où leur ville était bàlie,
afin de le précipiter ;
^" mais lui, passant au milieu d'eux, s'en alla.
r avènement du règne de Dieu ou la parousie du Christ. Notre auteur
a pu l 'entendre en figure, non du ministère personnel de Jésus, — ce qui
en ferait concorder la durée avec la chronologie johannique, — mais
du temps de la prédication chez les Gentils avant le grand avènement :
N'est-il pas vrai qu'une grande famine spirituelle règne dans le monde,
pendant que le nouvel Elie, le Christ de la prédication apostolique,
est chez lia veuve deSarepta, c'est-à-dire que l'Eglise sei'ecrute sous
la persécution parmi les Gentils ? — « Et ce n'est près d'aucune
d'elles qu'Elie fut envoyé, mais à Sareptade Sidon, près d'une femme
veuve ». — Peut-être l'auteur avait-il écrit : « femme syrienne »,
c'est- à-di)'e « païenne », et la répétition du mot « veuve » provient-elle
d'une erreur de transcription favorisée par l'influence du récit des
Rois (I, xvri, 9 ; substitution de x'qpxv à Tupav ; Wellhausen, ii.
L'hypothèse d'un original araméen n'est pasnécessalre pour expliquer
celte confusion d'ailleurs problématique). — « Et il y avait beaucoup
de lépreux en Israël sous le prophète Elisée », — c'est-à-dire en sou
temps (on n'est pasobligc de voir là uneallusion spéciale à II Rois, vu,
3), — « etpas un d'eux ne lut purifié », t- miraculeusement guéri
par lui; on ne raconte pas qu'aucun lépreux israélite ait été guéri
par Elisée, — « mais Naaman le Syi'ien ». — Lèpre et purification
correspondent dans l'application au péché et au salut.
((■ Et tous dans la synagogue furent remplis de colère en enten-
dant cela ». — La fureur est aussi universelle que l'avait été l'admi-
ralion « Et s'étant levés, ils le chassèrent hors de la ville et le
menèrent jusqu'au sommet de la montagne où leur ville était bâtie,
afin de le précipiter ». — Une laut pas demander pourquoi une fureur
si grande ne choisit pas un moyen plus expéditif de se satisfaire. Et
il paraîll aussi qu'on a peine aujourd'hui à retrouver l'endroit d'où
Jésus aurait pu être ainsi précipité (cf. Laguange, i44)- H est super-
flu de le rechercher. — « Mais lui, passant au milieu d'eux, s'en alla. »
— Notre auteur corrige apparemment le défaut de miracles à Nazareth
X^ar une manifestation de la puissance divine qui est beaucoup plus
464 LUC, IV, 31-32
*^ El il descendit à Capharnaûni, ville de Galilée;
et il les enseignait le jour du sabbat ;
3* et ils étaient surpris de son enseignement,
parce qu'avec autorité il parlait.
miraculeuse que les guérisons. Les conditions de ce départ extraordi-
naire ne sont pas autrement précisées, et la perspective reste vague,
parce qu'il s'agit beaucoup moins de cette évasion inconcevable que
du sort final du Christ et de l'Evangile : le -Christ échappe dans la
gloire de son immortalité à la mort que les Juifs ont voulu lui infliger,,
et la foi du Christ, repoussée et persécutée par lesmêmes Juifs, fait
son chemin parmi les nations. Tel est le thème général delà démons-
tration poursuivie par le rédacteur des Actes, et c'est sûrement le
même rédacteur qui opère ici, avec la même hardiesse et la même gau-
cherie que dans son remaniement du second livre à Théophile. Ce
n'est pas précisément ce qu'annonçait l'auteur du prologue, quand il
se disait prêt à raconter les choses avec suite et selon la réalité.
' XIII. JÉSUS A Caphabnaum
L'hérétique Marcion mettait au point où nous sommes parvenus le
commencement de son évangile : « L'an quinzième de Tibère César,
aux temps de Ponce Pilate, Jésus descendit à Gapharnaùm » ; et c'est
bien à partir de cet endroit que l'on peut, avec vraisemblance recon-
naître des éléments qui ont pu figurer dans l'évangile de Luc ; maisii^
est fort douteux que l'hérétique Marcion ait eu entre les mains un
texte de Luc autre que celui de l'Eglise, xjlus ancien et plus authen-
tique ; il s'est contenté de manipuler celui-ci, car il a retenu le pré-
cédent récit de la visite à Nazareth, qu'il logeait au beau milieu de la
px'emière journée de Capharnaûm (avant iv, 4o-4i) î il aura le récit
de la pêche miraculeuse, etc. etc. ; s'il a restitué à peu près les pre-
mières lignes du premier livre à Théophile, on peut croire qu'il ne
l'a pas fait exprès.
(( Et il descendit à Capharnaûm, ville de Galilée ». — Notre évan-
gile va rejoindre Marc (i, 21-28) dans le récit de la première pré-
dication à Capharnaûm ; mais, dans Mai'c, Jésus arrive à Capharnaûm
avec les quatre disciples qu'il a recrutés au bord du lac en reve-
nant du désert ; dans notre évangile, Jésus arrive seul de Nazareth ;
Capharnaûm est dite « ville de Galilée », comme s'il n'en avait
pas été question auparavant ; la notice dénonce donc la transposition
LUC, IV, 33-35 165
»^ Et dans la synagogue élait un homme
ayant esprit de démon impur ;
et il cria à pleine voix :
^* « Hé I qu'y a-t-il entre nous et toi, Jésus Nazarène?
Viens-tu nous perdre?
Je sais qui tu es : le saint de Dieu. »
2^ Et Jésus le menaça, disant :
« Tais-toi, et sors de lui. »
Et le démon, le jetant au milieu,
sortit de lui sans lui faire aucun mal.,
du voyage à Nazareth, et elle prouve aussi que ni l'auteur, ni ses
premiers lecteurs n'étaient familiarisés avec la géographie de la Pales-
tine. — « Et il les enseignait le jour du sabbat». — Il va de soi que c'est
« dans la synagogue », comme le dit expressément Marc (i, ai) ; mais
le rédacteur a déjà mentionné par deux fois (tv, i5, i6)les synagogues
comme lieu ordinaire de la prédication. — « Ils étaient surpris de son
enseignement, parce que sa parole avait de l'autorité ». — On omet la
comparaison avec « les scribes » (Me. i, 22).
« Et dans la synagogue était un homme qui avait un esprit de
■démon impur », — Marc (1,21): «un homme enespi'it impur », — « et
il cria tout haut ». — Les hommes inspirés, quelque soit l'esprit qui les
anime, divin ou diabolique, ont accoutumé de crier ainsi. Marc (i, 28)
dit seulement : « cria », i^éservant le grand cri pour la convulsion
finale. — « Laisse », — c'est-à-dire « laisse-nous en paix », à
moins qu'il ne faille voir là une interjection exprimant une surprise
désagréable (Lagra-ng-e, i49)- Mot ajouté dans la l'édaction de Luc.
— a Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jésus Nazarène ? » — L'épithète
«, nazarène » est ici par influence de Marc, Luc disant ordinairement
« nazoréen » (Na^wpaïoç) , seule forme qui soit employée dans les
Actes. — « Viens-tu nous perdre ? Je sais », — Marc : « nous
savons» — « qui tu es, le saint de Dieu ». — Le possédé de Gérasa
dira « fils de Dieu » (viii, a8 ; Me. v, 7). Ces récits de démo-
niaques ont été conçus en rapport avec la notion du « fils de Dieu »,
non précisément avec la notion du Messie juif. — « Et Jésus le me-
naça, disant : « Tais toi, et sors de lui ». Et le jetant » — par terre —
<( au milieu » — de l'assistance, — « le démon sortit de lui sans lui
iaire aucun mal ». — Marc (i, 26) : « Et l'esprit impur, le secouant
■et poussant un grand cri, sortit de lui ». Notre auteur, qui a anticipé
le grand cri, amplifie la secousse, et, pour mieux marquer la puissance
166 LUC, IV, 3G-39
3" El ce fut étonneraient chez tous,
et ils conversaient entre eux, disant :
« Qu'est-ce que ce discours,
pour qu'avec autorité et puissance il commande
aux esprits impurs et qu'ils s'en aillent ! »
^' Et se répandait bruit de lui en tout lieu d'alentour.
38 Or, se retirant de la synagogue,
il entra dans la maison de Simon ;
mais la belle-mère de Simon était prise de grosse fièvre,
et on le pria à son sujet.
^° Et s'étant penché sur elle,
il menaça la fièvre,
et (la fièvre) la quitta : .
et s'étant levée à l'instant, elle les servait.
de l'exoi'cisme, il note que le démon est sorti sans endommager le
possédé. La « saveur médicale » (Lagrange, i5i) des expi'essions
est assurément moins sensible que le relief ajouté au miracle. — « Et
il y eut étonnement chez tous, et ils conversaient entre eux,, disant :
<( Qu'est-ce que ce discours, qu'il commande avec autorité », —
dans Marc (i, a;^) le rappel de l'autorité vise « l'enseignement » donné
avant le miracle, — « et puissance aux esprits impurs, et qu'ils s'en
aillent?» Et il se répandit un bruit à son sujet», — Marc(i, 28). « Et.
sa renommée se répandit aussitôt de toutes parts », — « en tout lieu
d'alentour ». — Mai'c; « dans tous les alentours en Galilée ».On sent
moins, dans notre évangile, que le récit d'exorcisme, conçu d'après
un type donné, et enrichi par Marc de la confession messianique
(BuLTMANN, 124), vient en surcharge du récit de prédication.
« Or, ayant quitté la synagogue, il entra dans la maison de Simon».
— Dans Marc (i, 29), Jésus az'rive a vec les quatre disciples ; dans notre;
évangile, on ne sait pas qui est Simon ni comment il se fait que Jésus
vient chez lui ; et l'on dirait que la Providence ou l'Esprit le conduit
dans cette maison pour guérir la belle-mèx'e du propriétaire. — « Et
la belle-mère de Simon était atteinte d'une grosse fièvre ». — Marc
(i,3o) dit seulement qu'elle s'était couchée ayant la fièvre ». A maladie,
plus grave, guérison plus merveilleuse, — « Et ils le prièrent à son
sujet ». — Dans notre récit, on ne voit pas bien qui fait cette prière, .
et Marc ne parlait pas de prière fox'melle. — « Et se tenant au-dessus
d'elle, il menaça la fièvre, et la fièvre la quitta. ». — On dirait que
Jésus exorcise la fièvre ou le démon de la fièvi'c. Marc (i, 3i) était
LUC, IV, 40-41 167
^° El après le coucher du soleil,
tous ceux qui avaient malades de maladies quelconques
les amenèrent vers lui ;
et lui, à chacun d'eux imposant les mains, les guérissait.
^ ^^Or il sortait aussi des démons de plusieurs,
criant et disant : « Tu es le Fils de Dieu.»
Et les menaçant, il les empêchait de parler,
parce qu'ils savaient qu'il était le Christ.
moins dramatique : « Et s'étant approché, il la fit lever en la prenant
par la main », etc. — « Et s'élant levée à l'instant », — n à l'instant »
(Tïapajj^priaa) est de notre auteur, pour relever le miracle, — « elle les
« servait ». Ce « les » vient de Marc, qui a nommé les disciples.
« Mais, après le coucherdu soleil, tous ceux qui avaient des malades
de quelque maladie que ce fût les amenèrent vers lui ». — Marc (i,
32) : « On amenait vers lui tous les malades et les possédés ». Notre
auteur comprend les possédés parmi les malades. Il omet ce que dit
Mare (i, 33) du rassemblement de toute la ville. — « En imposant
les mains à chacun d'eux, il les guérit ». — Marcfr, 34) ne disait rien
du mode de guérison, que notre auteur emprunte à d'autres récits (on
peut songer à Me. vi, 5, non utilisé dans Le. iv, i6-3o), et il disait seu-
lement que « beaucoup » de malades furent guéi'is, « beaucoup » de
démons chassés ; ici tous les malades sont guéris, et comme si l'auteur
ne distinguait pas la maladie de la possession, il remarque, en expli-
cation des guérisons, que de plusieurs malades sortirent des dé-
mons. — «Or il sortait aussi des démons de plusieui's, criant et
disant : « ïu es le Fils de Dieu ». —Trait anticipé de Marc (m, ti).
Nbli'e auteur paraphrase les indications plus brèves de celui-ci, qui
se borne à dire que Jésus «ne laissait pas parler» les démons chassés,
« parce qu'ils le connaissaient ». — « Et les menaçant, il les empêchait
de parler, parce qu'ils savaient qu'il était le Christ >>. — « Christ » et
« B^ils de Dieu » sont donc pour notre auteur expressions interchan-
geables. Il est de toute vraisemblance que Luc présentait Jésus en
« Blls de Dieu », Comment « le monde démoniaque » est-il si « bien
informé » (Lagrange, i53), il est superflu de se le demander ; mais
on peut douter que, môme dans la pensée de l'évangéliste, ce soit à
raison de l'expérience faite par le diable lors de la tentation. Les
démons ont tout l'air, dès qu'ils rencontrent Jésus, de reconnaître en
lui le Chi'ist, sans doute par l'impression qu'ils ont de son pouvoir
168 LUC. IV, 42-44
*2 Et le jour venu,
il sorlit pour se rendre en lieu désert ;
et les Ibules le cherchaient,
et elles vinrent jusqu'à lui.
Et ils insistaient près de lui pour qu'il ne s'éloignât pas
[d'eux ;
*^ mais il leur dit : « Aussi aux autres villes
il me faut annoncer le royaume de Dieu ;
car c'est pour cela que je suis envoyé. »
^* Et il allait prêchant dans les synagogues de la Judée.
souverain. Cette particularilé n'est point à expliquer par la psycho-
logie des démons mais par celle des évangélistes (cf. Marc, ^S),
« Or, le jour venu », — Marc (i, 35) : « le matin, bien avant le jour»,
— « il sortit pour se rendre eu lieu désert », — Marc ajoute : « et là
il priait ». Bien qu'il aime à montrer Jésus en prière, notre auteur
réserve ce trait pour d'autres cii-constances, ne trouvant point en
celle-ci motif à prière. — « El les foules le cherchaient ». — Dans Marc
(i, 36), c'est, beaucoup plus naturellement, Simon avec les trois autres
disciples ; mais notre auteur ne peut encore disposer des disciples. De
plus, comme Jésus est parti « le jour venu », les gens auraient dû
le voir et le retenir, au lieu de courir après lui. — « Elles vinrent jus-
qu'à lui et elles insistaient pour qu'il ne les quittât point ». — Trans-
j)osition de ce que les disciples disent à Jésus dans Marc (i, 3^) :
« Tout le monde te cherche ». — Mais il leur dit : « Il me faut annon-
cer aussi aux autres villes le royaume de Dieu » . — Déclaration plus
solennelle que la réponse aux disciples dans Marc (i, 38) : « Allons
ailleurs, dans les bourgades voisines, pour que j'y prêche aussi », où il
s'agit d'intention personnelle, non d'obligation supérieure. — « Parce
que je suis envoyé à cet effet ». — Telle est la loi de ma vocation,
l'objet de la mission qui m'est donnée d'en haut. Marc : « car c'est
pour cela que je suis parti », donne la simple explication du départ.
« Et il allait prêchant dans toutes les synagogues de la Judée ». —
Marc (i, 39) : « prêchant dans leurs synagogues par toute la Galilée,
et chassant les démons ». Notre auteur n'a pas jugé nécessaire de
mentionner expressément les exorcismes ; mais la source de Marc
pouvait bien aussi, en cet endroit, ne mentionner que la prédication.
La plupart des témoins de Luc lisent : « la Galilée », mais ce doit
être par influence de Marc et de Matthieu (iv, 23), et parce que « la
Judée » (leçon de Ss. mss. B C L, etc.) fait difficulté. Mais l'auteur a
LUC, V, 1-2 169
•^ Or advint : comme la foule s'aKroupait vers lui
et écoutait la parole de Dieu,
et que lui même se tenait au bord du lac de Gennésaret,
* il vit deux barques arrêtées au bord du lac;
mais les pêcheurs, en étant descendus, lavaient les filets.
dû entendre par Judée la Palestine Ccf. i, 5), non la Jude'e proprement
dite, et sans préjuger pour ce temps une mission à Jérusalem. Dans
notre évangile les chapitres in-iv servent d'introduction au ministère
gallléen (v-ix, 56) ; on n'y a pu glisser sans autre détail un fait aussi
considérable qu'une tournée de prédication à Jérusalem et en Judée ;
mais comme la mission des soixante-douze disciples et le passage de
Jésus en Saraarie figurent l'évangélisation des Gentils, il se pourrait
que le mot Judée eût été choisi par le rédacteur avec l'arrière pensée
de figurer par le ministère galiléen la prédication aux Juifs.
XIV. Pèche miraculeuse et vocation des premieks disciples
Vient ensuite la vocation des quatre premiers disciples. Selon Marc
(i, i4-3i) et la vraisemblance, Jésus ne s'est installé à Gapharnaiim,
dans la maison de Simon, qu'après avoir gagné celui-ci à l'Evangile.
La transposition du récit de vocation résulte de celle qui a été faite
pour la visite à Nazareth : ayant conduit d'abord Jésus à Nazareth,
et de Nazareth à Gapharnaûm, l'évangéliste raconte ce que Jésus a
fait dans cette ville, d'après la relation de Marc ; d'après la même
relation, il l'a montré « prêchant dans les synagogues de la Judée »,
et maintenant, sans autre avertissement, il le suppose revenu à Ga-
pharnaûm, et l'amène au bord du lac pour la vocation des disciples.
De même que l'anecdote de Nazareth figure l'insuccès de l'Evangile
auprès des Juifs, la vocation des disciples, avec la pêche miracu-
leuse, figure le succès de l'Evangile chez les Gentils. Dans le récit de
vocatiou il est aisé de reconnaître les deux éléments avec lesquels
ce récit a été construit et que le rédacteur n'a pas su harmoniser com-
plètement, à savoir la vocation des quatre disciples dans Marc, et un
récit de pêche miraculeuse où Simon-Pieri*e tenait, après .lésus, le
rôle principal. Pour former son cadre, le rédacteur a anticipé la des-
cription où Marc (iv, i, 35) a voulu insérer le discours des para-
boles, ce qui réduira d'autant la mise en scène de ce discours dans
notre évangile (viii, 4, 2a).
« Or il advint, comme la foule se pressait vers lui et écoulait la
170 i.uc, V, a-4
^ Or, étant monté dans Tune des barques, qui était à Simon,
il le pria de s'écarter de la terre un peu,
et s'étant assis de la barque il enseignait les foules.
* Mais, quand il eut cessé de parler, il dit à Simon :
« Avance au large,
et lancez vos filets pour la pèche. »
parole Je Dieu ». — Ayant raconté déjà plusieurs miracles qui ont
été opérés à Gapharnaûm, et une tournée de prédication dans les' villes
voisines, l'auteur peut sans invraisemblance montrer la foule accou-
rant sur les pas de Jésus et l'écoutant au bord du lac de Tibériade.
Le début ne laisse pas d'être un peu embarrassé. — «Et que lui-même
se tenait au bord du lac de Gennésaret ». — L'auteur dit : « le lac de
Genncsaret », pour que le lecteur ne soit pas trompé par le nom de mer
qu'emploie Marc (i, x6 ; ii, i3 ; iv, i). — « Il vit deux bai'ques arrê-
tées au bord du lac ». — Rassemblement des deux barques que Marc
(i, i6, 20) présente l'une après l'autre, l'équipage de la première
étant au travail, et l'autre à tprre raccommodant l'outillage de pêche;
ici tout le monde est à terre, après une pêche infructueuse, nettoyant
les filets afin de les faire sécher ensuite. — « Mais les pêcheurs en
étant descendus, lavaient les filets ». — On les fera tout à l'heure pê-
cher ensemble. Pour couper au plus court, on ne nomme pas tout de
suite les propriétaires des barques, et l'on se borne à dire que Jésus
monta dans l'une, en ajoutant, pour préparer la pêche miraculeuse,
que cette barque était à Simon; on dira seulement à la fin que l'autre
barque était aux fils de Zébédée ; par la maladresse de cet arran-
gement, André, le frère de Pierre, disparaît du récit.
a Or, étant monté dans l'une des bai'ques » — trait emprunté à la
mise en scène des paraboles (Me. iv, 1), — « qui était à Simon, jl le
pria de s'éloigner un peu de terre », — afin de rester à portée de la
foule, tout en s'en dégageant ; — « et s'étant assis, de la barque il
enseignait les foules ». — Comme il s'agit d'amener la pêche miracu-
leuse, qui figure la prédication chrétienne, on s'abstient de dire l'objet
du discours, et l'on arrive tout de suite à la conclusion. — « Mais,
quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large et lâchez
vos filets pour la pêche » . — L'ordre de Jésus est une ti'ansition arti-
ficielle ménagée par le rédacteur et en rapport avec le symbolisme
que celui-ci met dans le récit ; l'ordre de prêcher figure la mission
donnée aux apôtres. Entendue à la lettre, l'invitation suppose en Jésus
l'intention de faire un miracle qui est un pur signe. Le cas est mieux
uic, V, 5-8 171
'• Et répondant, Simon dit : « Mailre,
« Toule la nuil: peinant, nous n'avons rien pris;
mais, sur la parole, je laneerai les lllels. »
" Et l'ayant fait, ils prirent grande quanlilé de poissons ;
mais leurs filets se rompaient.
' Et ils firent signe aux compagnons qui étaient dans l'autre
[barque
de venir à leur aide ;
et ils vinrent, et ils remplirent les deux barques,
au point qu'elles sombraient.
^ Ce que voyant, Simon Pierre
tomba aux genoux de Jésus, disant :
« Eloigne- toi de moi, Seigneur,
parce que je suis homme pécheur. »
présenté dans le supplément de Jean(xxi, 3-6), où les pêcheurs sont
déjà au travail et reçoivent le conseil de jeter le filet en tel endroit. Ici
l'auteur, ne dit pas « jeter » (Me. i, i6, .Kp.'it(3'iÀÀovTa!;, ou pxÀÀovTxc
à(ji,cpi'pX-ri(;Tpov, Mt. VI, i8 ; Jn. xxi, 6, ^àXers... xb SiV.Tuov), mais « descen-
dez i> (■/oùJ.aa.Te) ; il ne s'agit donc pas, comme dans Marc, d'un éper-
vier jeté, mais d'un grand filetlentement descendu à l'eau et que Tonne
remonte pas dans la barque, mais que l'on ramène au rivage pour le
vider. Ainsi l'entend le récit du quatrième évangile (Jn. xxi, 6-ii ; c'est
la ca.jf^Yf\ de Mt. xiii, 47)- Pour faire bref, et trouvant peut-être un inté-
rêt symbolique à mettre les poissons dans les barques, notre auteur
voudra qu'on ait l'elevé le grand filet comme on aurait levé l'épervier :
indice de combinaison rédactionnelle et de libre adaptation, plutôt
qu'allusion à une espèce intermédiaire de filet que les apologistes
modernes (cf. Lagrange, 167) ont découverte fort à propos pour justi-
fier son procédé.
« Et répondant, Simon dit : « Maître» — Titre donné plusieurs fois
à Jésus dans notre évangile (èTttJTâxvi!;, est propre à Luc, où est évité
^a^pe-'). — « En peinant toute la nuit nous n'avons rien pris ». — Chez
Jean, ce détail appartient à la mise en scène : Pierre et ses compa-
gnons ont jeté le filet toute la nuit saiis rien prendre, quand Jésus,
à l'aube, leur crie de jeter le filet à droite du bateau. Et le trait
est beaucoup plus naturel ainsi que la réllexiou de Pierre à l'heure
tardive où elle se produit. — « Mais, sur ta parole, je lancerai les
filets ». — Le « nous », dans la première partie de cette réponse,
172 LUC, V, 9
" Carde stupeur élaient saisis lui et ceux qui étaient avec lui,
devant la quantité de poissons qu'ils avaient pris ;
montre que Simon n'est pas seul dans la bai'que, mais l'acte de foi
qu'il prononce ensuite est fait en son nom personnel. Vu sa préoccu-
pation desymbolisme, le narrateur a bien pu ne pas se souvenir que
la nuit est le temps le plus favorable pour la pêche au filet. — « Et
l'ayant fait », — Simon etses auxiliaires — « prirent une grande quan-
tité de poissons, mais leurs filets se rompaient », — menaçaientde se
rompre. Le trait est pour introduire la seconde barque dans le récit
de la pêche. — « Et ils firent signe aux compagnons qui étaient dans
l'autre barque de venir à leur aide » — L'autre barque était-elle res-
tée au bord, ou bien a-t-elle suivi, par imitation, celle de Simon ? Il
n'importe. On remarque tout exprès que les gens de l'autre barque
étaient associés (|j.éTo/ot) de Simon ; ils sont donc censés pêcher avec
lui, et c'est pourquoi on leur lait signe d'approcher pour recueillir le
poisson qui appartient à tous. La combinaison s'accorde avec le
symbolisme de l'ensemble, mais non avec la donnée primitive de Marc,
•où Zébédée, ses fils etses gens forment un groupe tout à lait distinct
de Pierre et d'André. Noire auteur, du reste, ne nomme pas encore
les fils de Zébédée, mais les gens de « l'autre barque ». — « Et ils
vinrent, et ils », — les deux équipes de pêcheurs — « remplirent les
deux barques au point qu'elles sombraient », — elles menaçaient de
sombrer, comme naguère le filet menaçait de se rompre ; mais elles
n'ont pas plus sombré que le filet ne s'est rompu.
« Or, voyant » — ce prodige, — « Simon- Pierre ». — On ne savait
pas encore que Simon eût le sermon de Pierre, quine lui sera qu'ulté-
rieurement attribué (vi, 4). et l'emploi du surnom pourrait être dû à
l'influence de la source où l'évangéliste a puisé le récit de la pêche
miraculeuse. — « Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, disant :
« Eloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. Sei-
gneur !» — Le discours n'est pas en exact rapport avec la situation.
Le nom de « Seigneur » (xupte)„qui reviendra souvent dans l'évangile,
témoignerait que Simon voit déjà en Jésus le Christ, et il paraît être
ici par influence dé la source. Pourquoi Pierre se déclare-t-il si grand
pécheur, et ce propos ne conviendrait-il pas au disciple que l'on dit
avoir renié son maître ? Pourquoi ses compagnons, qui vont suivre
Jésus comme lui, qui apparemment ne sont ni pires ni meilleurs que
lui, n'en disent-ils pas autant ? L'auteur, pour donner une explication,
veut imputer ce langage à la frayeur, et il n'explique rien. D'ailleurs,
LUC, V, 10-11 173
" et pareillemenl Jacques et Jean, fils de Zébédée,
qui étaient compagnons de Simon.
Et Jésus dit à Simon: « N'aie pas peur;
désormais tu seras preneur d'hommes. »
11 Et ayant amené les barques à terre,
laissant tout, ils le suivirent.
comment Pierre a-t-il fait pour se mettre à genoux dans la barque
surchargée de poissons, et comment a-t-il pu dire à Jésus de s'éloigner?
Encore un indice de combinaison rédactionnelle : ce n'est pas dans
la barque, c'est à terre que le récit primitif de la pèche faisait tenir les
propos échangés entre Pierre et Jésus. C'est ce que l'on peut inférer
aussi bien du récit johannique, bien que la conclusion primitive y
ait été altérée par d'autres combinaisons (Jn. xxi, iS-i^, y a été en
quelque façon substitué).
« Car la stupeur l'avait saisi, ainsi que tous ceux qui étaient avec lui,
à cause dé la pêche qu'ils avaient laite ». — Mais, s'il ne s'agissait que
de poissons, un pêcheur de profession n'aurait probablement pas été
si effrayé. A cet endroit seulement l'auteur s'avise qu'il est temps de
mentioaner les fils de Zébédée. — « Et pareillement Jacques et Jean,
fils de Zébédée, qui étaient compagnons de Simon ». — Ici la sur-
charge est évidente, ces deux étant déjà compris parmi « ceux qui
étaient avec» Pierre. C'est que, dans le récitprimitif de la pêche mira-
culeuse, tout le groupe de pêcheurs, Pierre et ses compagnons, était
dans une seule barque, la barque de Pierre. — « Et Jésus dit à
Simon : « N'aie pas peur ». — Ainsi paillent les êtres surnaturels aux
humains qu'ils favorisent de leurs apparitions et qui sont effrayés
de leur approche (cf. i, i3,3o ; n, lo). — « Désormais tu seras preneur
d'hommes ». — Marc (i, i^) disait « pêcheurs » ; notre évangéliste a
préféré un terme qui garde l'idée de capture sans celle de pêche
(Çwypeïv signifie « prendre vivant » et « sauver la vie », en faisant
ressortir l'idée de vie. Ss. traduit assez exactement pour le sens:
« Tu prendras des hommes pour la vie »).
((Et ayant amené les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent >■>..
— Les compagnons de Pierre se comportent comme si ce qui a été
dit à Pierre les concernait : c'est sans doute que Pierre est, pour notre
évangéliste comme pour les autres et déjà pour Paul, le représentant
de l'apostolat primitif. Et tous sont dits « suivre» aussitôt Jésus, parce
que telle est la coriclusion des récits de vocation dans Marc. Seule-
ment r évangéliste a oublié ou négligé de dire combien étaient ceux
174 LUC. V, 10-11
qui « suivirent » ainsi Jésus-, et, sans le témoignage précis des
deux autres synoptiques, on pourrait croire que le Christ emmène
avec lui tout le personnel des deux barques, censé une seule équipe
de pêcheurs sous la direction de Simon, et sans autre souci des pois-
sons ramenés à si grand efïort sur les barques : c'est que l'équipe de
pêcheurs est en elTet tout l'apostolat des premiers temps, entêleduquel
on met Pierre, comme dans les Actes, et que les poissons figurent le
monde à convertir.
L'on aura donc combiné en ce récit la vocation des disciples d'après
Marc, récit déjà typique et symbolique à sa manière, où Jésus appelle
souverainement ceux qu'il associe à son œuvre de salut, et une tradi-
tion, orale ou écrite, de pêche miraculeuse,, car il paraît impossible
d'attribuer (avec Holtzmann, JohanneSy aaS ; Wellhauskn, ï4) à.
l'évangéliste lui-môme l'invention de la pêche miraculeuse, qui serait
uine simple allégorie construite sur la parole : «je vous lerai pêcheurs
d'hommes ». Dans cette hypothèse, les incohéi-ences de la narration
devraient être moindres^, puisque le rédacteur l'auirait conçue à sa
guise. L'amalgame de deux sources écrites est de beaucoup l'hypo-
thèse la plus vraisemblable ; et il est pai'eillemént à présumer que
le miracle de la pêche n'était pas originairement en rapport avec
l'appel des premiers disciples mais avec la mission diéfînitive des
apôtres. Qu'un vieux conte de pèche miraculeuse ait été utilisé en
celte occasion par la tradition chrétienne et adapté aux récits de
visions, rien n'est plus vraisemblable; mais c'est aller un peu vite et
chercher un peuloin que d'alléguer à ce propos la représentation d'une
pêche très hypothétiquement miraculeuse du héros babylonien Gil-
gamesch(GRESsiviANN, ap . Klosïeumann, 43'i)- Or il se trouve qu'une
pèche miraculeuse est l'acontée dans l'appendice de Jean (xxi, i.ii4),
associée à une apparition du Christ ressuscité. Les d'eux récitS' con^-
cordent pour l'essentiel et se fondent sur une tradition commune, sans
que l'un dérive nécessairement de l'autre. La plupart des- divergences
qu'ils, présentent s'expliquent parles retouches que les rédacteurs
évangéliques ont dû introduire dans lé thème traditionnel pour l'ajus-
ter à l'ensemble de leur composition.. Tout le préambule du présent
récit, avec les deux barques, l'es pêcheurs nettoyant les filets, Jésus
prêchant et donnant l'ordre d'avancer en mer, est pour l'avantage
du symbolisme. et pour le raccord soit avec le contexte, soit avec le
récit de la vocation dans Mavc. Dans le quati'ième évangile, la pêche
miraculeuse est tout à fait adventice ; elle est donnée^ en troisième
apparition, du Christ ressuscité, mais le rédacteur paraît l'avoir
empruntée aune tradition où elle était conçue comme la première :
LUC, V, 10-11 175
cela résulte du lieu, de la mise en scène et des sentiments attribués aux
disciples (xxi, ii). Ainsi la présentait l'évangile de Pierre,
Il n'est pas téméraire de penser que cette apparition sur le lac est
la vision de Pierre, ou qu'elle' a été d'abord mise en rapport avec
cette vision, la première apparition du Christ selon la tradition de
Paul (I Cor. xv, ô), et qu'elle p'ourrait avoir appartenu à- la tradition
de Marc sur la résurrection (cf. Me. xiv 28 ; xvi, 7; Mt. xxvi, Sa;
XXVIII, 7, 1620; Le. XXIV, 34). La tradition évangélique mettait la
pêche miraculeuse en rapport avec la réhabilitation de Pierre, sa
seconde A^ocation, ce qui fut, en réalité, sa vocation apostolique. Notre
évangélistë, qui a supprimé volontairement toutes les apparitions gali.
léennes, n'aura pas voulu néanmoins laisser perdre l'incident de la
pêche,et il aura trouvé bon de l'adapter à la vocation de Simon comme
disciple, moins pour l'avantage de l'etenir le miracle, que pour la
valeur symbolique du trait. Mais l'origine du récit explique la place
prépondérante qui est faite à Simon. La métaphore du pêcheur
d'hommes a pu y être associée dès le commencement ; le quatrième
évangile la remplace par celle du pasteur univei'sel (Jn, xxi, iS-i;;);
notre, rédacteur a développé le symbolisme de la pêche : Jésus dans
la barque, instruisant les Galiléens, figure la prédication de l'Evan-
gile aux Juifs ; l'ordre donné à Simon d'avancer en pleine mer, et la
pêche abondante qui s'ensuit figurent la prédication aux païens ; la
réllexion de Pierre sur l'inutilité du travail antérieur remplace une
indication qui a pu originairement n'avoir pas de sens allégorique
et marquer seulement une circonstance de la vision ; notre auteur
doit y voir une allusion à l'insuccès de la prédication apostolique
auprès des Juifs, et à l'initiative, par lui attribuée à Pierre dans les
Actes (x), de la prédication aux Gentils,
Quelques-uns ont pensé voir dans la rupture du filet une allusion
à la querelle qu'on dit avoir divisé l'Eglise primitive sur la question
des observances légales : les gens de l'autre barque seraient les
apôtres de Jérusalem, à qui Pierre ferait accepter le principe de la
prédication aux Gentils (Agt, xi, t-i8) ; la crainte qui envahit tous les
pêcheurs serait la stupeur, tournée bientôt en admiration, qu'éprou-
vèrent les apôtres galiléens en apprenant les succès de Paul chez
les païens (Gal. ii, 9 ; Act., xv, i-35). Mais il estbien invraisemblable
que l'évangéliste tienne à faire valoir en figure les tiraillements qu'il
a tantattéuués en les racontant. S'il dit que le filet se rompait, c'est
afin de signifier l'énorme quantité des poissons, c'est-à-dire des
croyants recrutés parmi les Gentils ; et si le rédacteur johannique a
l'air de corriger cette indication, ce n'est pas pour effacer la trace de
176 LUC, V, 12-13
^2 Et advint : comme il était en une des villes,
se trouva un Iiomme plein de lèpre,
(qui), ayant vu Jésus, (et) tombant sur (sa) face,
le pria disant : « Seigneur,
si tu veux, tu peux me purifier. »
^^ Et étendant la main, il le toucha,
disant : « Je le veux ; sois purifié. »
Et aussitôt la lèpre s'en alla de lui.
divisions auxquelles il n'a pas dû même songer, mais pour faire ressortir
l'unité de l'Eglise symbolisée par lui dans le filet. La seconde barque
est imposée par le récit de vocation : c'est pour l'amener que notre
auteur suppose le filet prêt à se rompre. Ce qui est dit de la crainte
éprouvée par tous les pêcheurs paraît imité du récit de la transfigu-
ration (cf. IX, 34), ou interprété d'après ce récit, pour compléter le
symbolisme du miracle. Cet ettroi n'est pas très propre à symboliser
les sentiments des anciens apôtres devant les succès de Paul. Il s'agit
d'une crainte rehgieuse devant le miracle, c'est-à-dire, au fond, devant
le succès de la prédication apostolique auprès des Gentils, sans égard
particulier à Paul, Pierre étant par notre auteur le premier apôtre des
païens. Comme le quatrième évangile, le rédacteur du troisième .
entend que le corps apostolique, présidé par Pierre, a été l'instru-
ment providentiel de la conversion du monde. Dans cette élaboration
du récit concernant la vocation des premiers disciples, coihme dans
celle du récit concernant la prédication de Jésus à Nazareth, l'on
reconnaît l'esprit et les procédés du rédacteur des Actes.
XV. Le lépreux
Ayant intercalé la vocation des disciples entre la tournée de prédi-
cation dans les villes galiléennes et la guérison du lépreux, notre
évangéliste introduit «elle-ci et rejoint Marc (i, 4o) en disant :. — « Et
il advint, comme il était dans une des villes », — une de ces villes
où l'on a dit plus haut qu'il était allé prêcher. Dans Marc le i:écit n'est
pas localisé, et il fait en quelque manière double emploi avec ceux
delà première journée à Capharnaûm. — « Se ti-ouva un homme
plein de lèpre )) .— ^ Marc: « un lépreux ». La formule de Luc est, dit-on
plus énergique et plus technique ; elle paraît avoir été choisie sur-
tout pour l'équilibre rythmique de la ligne où elle se trouve. — « Or,
ayant vu Jésus », — cet homme, — « prosterné », — à la lettre : <.( tombé
LUC, V, 14-16 177
^'* Et il lui enjoignit de ne dire rien à personne,
mais : « Va te tnontrer au prêtre,
et offre pour ta purification ce qu'a prescrit Moïse,
en attestation pour eux. »
^^ Mais de plus en plus se répandait sa renommée,
et des foules nombreuses se réunissaient pour l'entendre
et se faire guérir de leurs maladies ;
^^ mais lui se relirait dans les déserts et priait.
sur face », — «le pria, disant : «Seigneur, si tu veux, tu peux me pui*i-
fier ». — Marc n'a pas « Seigneur » (cf. supr. pp. 171, 172). — « Et
■élendantla main », — Marc(i, 41) dit d'abord: «pris de compassion »,
— « il le toucha, disant: « Je le veux, sois purifié ».Et aussitôt la lèpre
•s'en alla de lui». — Marc (i, 42) ajoute assez inutilement, à moins qu'il
n'ait une arrière-pensée symbolique : « et il fut purifié ». — « Et il lui
enjoignit de ne le dire à personne ». — Dans Mai'c (i, 4^), Jésus parle
sévèrement au lépreux et le met dehors; notre auteur paraît supposer
-que laguérisonaétéfaitedans un lieu public, probablement en pleine
irue, ce qui rend assez superflue la défense de divulguer le miracle,
mais dispense le narrateur de dire que la défense n'a pas été observée
{Me. I, 45) ; le miracle est connu sans que le lépreux ait besoin d'en
parler. — << Mais va te montrer au prêtre et offre pour ta purification
ce qu'a prescrit Moïse », — afin que cela soit — « en attestation pour
eux», — en témoignage officiel de la guérison vis-à-vis du public.
Puisque Jésus prescrit à l'homme de se taire au sujet du miracle, la
•formule : « en témoignage pour eux », ne peut guère s'entendre (avec
Lagrange, 164) d'un témoignage touchant le respect de Jésus pour
les observances de la Loi. — « Et sa renommée », — en suite de ce
miracle, — « allait croissant, et des foules nombreuses se l'éunis.
saierit pour l'entendre et se faire guérir de leurs maladies ». — Dans
Marc, Jésus, par suite de l'indiscrétion du lépreux, « ne pouvait
plus entrer publiquement en ville » sans être assiégé par la foule qui
sollicitait la guérison de ses malades. — « Mais lui se retirait dans les
déserts et priait ». — Marc: « mais il restait dehors en des lieux
•déserts, et l'on venait à lui de toutes parts ». — L'évangéliste ne veut
pas que Jésus se soit soustrait inutilement à l'empressement delà
foule, ni que le désir d'y échapper ait été le seul motif de sa i^etraite.
Le trait de la prière ne laisse pas d'avoir été emprunté à Marc dans
le récit précédent (Me. i,35), où notre auteur n'avait pas jugé à pro-
pos de l'utiliser.
A. LoisY. — L''Eçangile selon Luc. la
178 LUC, V, 17
" Et advint, un certain jour, qu'il était à enseigner ;
et étaient assis des pharisiens et des docteurs de la Loi,
qui étaient venus <3e tous les lîourgps de Galilée et de Judée,.
' I e* de Jérusalem ;.
et vertu de Seigneuï" l'incitait à faire gué riaon.
La guérison du lépreux est un nairaclc non localisé, symbolique,
que l'on dirait accompli tout exprès dans le cadre 'dé la Loi, et qui
signifie ce qu'on a mis en termes exprès dans l'histoire du paralytique,
à savoir la puissance de purification, de justification^ qui appartient,
au Fils de l'homme, au Christ du mystère.
XVI. Le paralytique
« Et il advint, un certain jour, qu'il était à enseigner». — L'auteur
ayant eiïacé antérieurement le soin que Jésus prenait de se cacher,
s'abstient dédire, avec Marc (ti, 1-2), que Jésus est rentré en secret à
Gapharnaûm, où il s'est vu de nouveau assiégé parla Ibule dans la
maison.de Pierre dès que sa présence a été connue. Là guéi'ison du
paralytique va donc se passer dans un certain lieu, un certain jour
(littéralement : «un des jours » ;cf. v, 12, « une des villes »), pendant
la gi-ande tournée de prédication que Jésus a commencée après les
miracles de Gapharnaûm (iv, 44)- Peut-être l'évangéliste a-t-il craint
d'enfermer la prédication de Jésus dans un cercle trop étroit. Gomme
il n'admet pas que le Chinst se cache, il le montre' dès Talsord ensei-
gnant, et, sans dire que Jésus est dans une maison, il lui donne pour
auditoire, non une troupe vulgaire de capharnaïtes, mais des phari-
siens et des scribes venus de toute la Galilée et la Judée, notamment
de Jérusalem,
« Et il y avait assis » — devant lui — « des pharisiens et des doc-
teurs de la Loi ». — La présence des scribes (vo[j.o5i5â.jxaXo(;, employé '
ici, éclaire le sens de 7pa[/.p.aT£tjç,par lequel seront désignés ultérieure-
ment les mêmes personnages ; Lagrange, i65) a été déduite du récit
même, Marc (11, 6) la signalant un peu plus loin ; pour grossir l'audi-
toire notre auteur leur associe les pharisiens. — « Qui étaient venus
de toutes les bourgades delà Galilée, de la Judée et de Jérusalem ». —
Scribes et pharisiens sont censés venus de toutela Palestine, par anti-
cipation de ce qu'on lit au chapitre suivant de Marc (ni, 7-8), et avec
exagération de cette donnée. Les scribes et les pharisiens ne forment
pas deux catégories distinctes de personnes, car pharisien est un nom.
\
LUC, V, 18-19 179-
18 Et se présentèrent des hommes portant sur Ht
un individu qui était paralysé ;
et ils chercliaient à l'introduire
et à le mettre devant lui.
^® Et ne trouvant pas moyen de l'introduire à cause de la
[foule,,
étant montés sur le toit,
à travers les tuiles ils le descendirent,
avec la couchette, au milieu, devant Jésus.
de parti, docteur un nom de profession, et la plupart des scribes oa
légistes étaient pharisiens ; mais on peut supposer que tous les pha-
risiens présents n'étaient pas docteurs. Quoi qu'il en soit,ces person-
nages n'auraient été qu'une minorité dans l'assistance populaire,
et Marc dit : « quelquesscribes » ; notre auteur a voulu donner au
Christ un auditoire savant, et.il parlera plus loin de la foule du
peuple comme si elle était tout entière dehors, bien que cette foule
représente en fait l'élément galiléen du rassen^blement. Pour relever
encore la mise en scène, le nai'rateur ajoute que Jésus était ce jour-là
en veine d'action miraculeuse. — « Et vertu de Seigneur ». — de
Dieu, — « était à. ce qu'il fît guérison » — Les guérisons se font par la
vertu de l'Esprit divin qui est en Jésus et qvi'on doit supposer plus
agissante en certains moments. C'est la vertu qui le pousse à vou-
loir ces guérisons et qui les réalise. Une excitation particulière de cette
vertu semblerait donc avoir été requise pour la cure extraordinaire
qui va se produire. La leçon vulgaire : « et vei^tu de Seigneur était
à les guérir » (substitution de aÙTOi^ç à aùrôv), outre qu'elle est moins
• autorisée en tradition textuelle, s'accorde mal avec le contexte, où
il n'a encore été question que des pharisiens et des docteurs; de plus
elle paraît entendre de Jésus le mot « Seigneur » (xup'.oç), qui, sans
article, est dans nos récits une désignation de lahvé, conformément,
à l'usage des Septante.
Et arrivèrent des hom ues » — dans Marc (ii, 3): « quatre », —
« portant sur lit (xXi'vti, plus loin xX-.vtBiov, au lieu du xpâ[3aTTov de
Marc) un individu qui était paralysé (7:ap-y,X£Xu[j,£vo;,plus médical, nous ■
assure-t-on, que TrapaAuxixo; ; mais la rythmique aussi s'en arrange
mieux) et ils cherchaient à l'introduire », - dans la maison où
l'évangéliste a négligé de dire qu'était Jésus, — « et à le mettre devant
lui. Et ne trouvant pas moyen de l'introduire à cause de la foule ». —
La répétition alourdit le récit ; niciiis il faut bien parler maintenant
180 LUC, V, 20-23
^° Et voyant leur foi, il dit : « Homme,
te sont remis tes péchés. »
^^ El se mirent à raisonner
les scribes et les pharisiens, disant :
« Quel est celui-ci
qui profère blasphèmes ?
Qui peut remettre péchés,
si ce n'est Dieu seul ?
^'^ Mais Jésus, pénétrant leurs pensées,
répondit etieur dit":
« Pourquoi raisonnez- vous en vos cœurs?
23 Quel est le plus facile, ou de dire :
« Tes péchés te sont remis »,
ou de dire : « Lève-toi et marche » ?
de la foule, qui n'a pas été mentionnée d'abord. — « Etant montés
sur le toit, ils le descendirent à travers les tuiles ». ^-11 semblerait
que le rédacteur se figure le toit de la maison comrne ceux de son
pays, non pas en terrasse, mais en pente et couvert de tuiles ; mais
ce peut être par inadvertance qu'il parle de tuiles (8ià xiov xepdcixwv
suppose une opération plus simple queàTrsffTÉ'yacavT-Jiv Gxiyr^^j... àçopûÇav-
Tsr, de Me. ii, 4 ; sur les maisons et toits de Palestine, voir Kloster-
MANN, 434 j pour l'histoire ancienne de l'habitation, Vincent, Ca-
naan, 70SS). -^ « Avec la couchette, au milieu » — de l'assistance,
— « devant Jésus ».
«Et voyant leur foi, il dit : «Homme ».— Marc (ii,5) disait plus fami-
lièrement : « enfant ». — « Tes péchés te sont pardonnes ». Et les scri-
bes et les pharisiens », — Marc (11, 6] : « quelques scribes », — « se
mirent à raisonner, disant : « Qui est celui-ci, qui proîère des. blas-
phèmes ? » — Mise en phrase de Marc (11, ^) : « Gomment celui-ci
pai'le-t-il de la sorte ? 11 blasphème !» — « Qui peut remettre les pé-
chés, si ce n'est Dieu seul?» Mais Jésus, connaissant leurs pensées »,
— Marc (ir, 8) ; « connaissant par son esprit qu'ils raisonnaient
ainsi en eux-mêmes », — « répondit, leur disant : « Qu'avez-vous à
raisonner dans vos cœurs ? Quel est le plus facile, (ou) de dire :
« Tes péchés sont pardonnes » ; ou de dire: « Lève-toi », — Marc
(11, 9) ajoute : « prends ton lit », — « et marche » ? Mais pour
que vous sachiez que le Fils de l'homme », — les trois synoptiques
gardent fidèlement ce titre significatif, — « a pouvoir de remettre les
LUC, V, 24-20 • 181
2* Mais afin que vous sachiez que le Fils de l'homme
a pouvoir sur la terre de remellrc péchés »,
Il dit au paralysé :
« Je te dis : Lève-toi,
et, prenant la couchette,
■va dans ta maison. » '
^^ Et s'étant aussitôt levé devant eux,
prenant (le lit) où il gisait,
il s'en alla dans sa maison,
en glorifiant Dieu.
*" Et stupeur s'empara de tous,
et ils glorifiaient Dieu ;
et ils furent remplis de crainte, disant :
« Nous avqns vu merveilles aujourd'hui. »
péchés », il dit au paralysé : «Je te dis, lève-toi, prends ta couchelle
et va dans ta maison ». — La surcharge (Me. ii, 5 b-io) concernant le
pouvoir qui appartient au Fils de rhomnié de remettre les péchés
n'a été atténuée ni dans Luc, ni dans Matthieu.
« Et s'étant levé à l'instant devant eux », — Marc (ii, la), qui pense
à la foule, dit: « en présence de tous », rapportant cette indication à
la sortie, — « prenant le lit où il gisait», — Marc : « son lit », — « il
s'en alla dans sa maison, glorifiant Dieu » . — Notre auteur pense que
le miraculé a dû louer Dieu ; Marc ne le dit que de la foule. — « Et la
stupeur s'empara de tous, et ils glorifiaient Dieu, et ils étaienti-emplis
de crainte », — Membre de phrase qui vient en surcharge (il est omis
dans Ss) et qui fait double emploi avec : « et la stupeur s'empara de
tous » ; apx'ès ; « ils glorifiaient Dieu », on n'attendrait que — « disant :
« Nous avons vu des choses étonnantes aujourd'hui ». — Toutefois,
étant donné que l'auteur n'a égard qu'à l'impression des scribes et des
pharisiens, on peut se demander si la leçon du ms. D ne serait pas la
meilleure: « Et ils furent remplis de crainte, disant : « Nous avons
vu des choses étonnantes en ce jour », ce manuscrit n'ayant pas : « et
la stupeur s'empara de tous et ils glorifiaient Dieu », qui pourrait
avoir été ajouté d'après Marc. L'évangéliste n'aurait pas voulu que
les pharisiens louassent Dieu du miracle, et ce serait pour ce motif,
non pour ne pas laisser entendre que la guérison du paralytique fut
le plus grand des miracles accomplis jusqu'alors par Jésus, qu'il
aui'ait atténué les propos de la foule dans Marc: « Nous n'avons
jamais rien de vu de pareil ». Mais la lo(;,on, du msi D aurait l'in-
182 LUC, V, 27-28
*^ Et après cela il sortit,
et il remarqua ua publicain nommé Lévi,
assis au péage,
et il lui dit : « Suis-moi. »
«s El quittant tout,
(celui-ci) se leva (et) le suivit,
•convénient de terminer le récit par une 'strophe incomplète ; il est
donc probable que la donnée de Marc a été ici paraphrasée.
La guérison du paralytique a été conçue d'abord comme un miracle
accordé à la foi. On y a, dans le second évangile, inséré tout un
•développement sur le pouvoir qu'a le Fils de" l'homme de remettre
les péchés, ce qui donne au récit le sens mystique qui semble appar-
tenir à la guérison du lépreux et inaugure en même temps une série,
artificiellement construite, de débats entre Jésus et les pharisiens.
Ainsi complétée l'anecdote plaide, pour la communauté, le droit de
remettre les péchés au nom de Jésus, et. sans doute a. t-elle acquis
sa forme définitive dans l'Eglise hellénochrétienne (entendre ici « Fils
de l'homme » comme équivalant à « homme », et supposerles péchés
remis au nom de Dieu, dans la communauté judéochrétienne, hypo-
thèse envisagée par Bultmann, 7, semble moins conforme à l'esprit
du récit).
XVII, Lévi. Les publicains. Le jeune
(( Et après cela il sortit ». — L'auteur suit Marc (11, i3), ; mais
« après cela il sortit » est plus vague encore que: « et il sortit
de nouveau du côté de la mer » ; Marc ajoute que le peuple suivait
Jésus et que Jésus l'instruisait. On peut croire que ces détails ont été
omis ici parce qu'ils ont été anticipés au commencement du cha-
pitre (v, i). — ^ « Et il vit », — il remarqua (èOeàdato) — « un publicain
nommé Lévi » . — Marc : « Et en passant, il vit (sISev) Lévi d'Alphée ».
Notre évangile omet comme superflu le nom du père et dit expressé-
ment la profession du personnage, que Marc jugeait s.uflisarament
indiquée par ce qui suit. — « Assis au bureau du péage ; et il lui dit :
« Suis-moi». Et quittant tout, il le suivit ». — Ce ne doit pas être
sans raison que Marc avait omis de dire: « et quittant tout »,qui s'ac-
corde mal avec la réception que Lévi va faire à Jésus danssa maison.;
mais ce serait sans doute apologiser contre l'évangélist'e lui-même
■que de réduire (avec_ Klostermann, 435) l'abandon de « tout » à
LUC, V, 29-32 183
^» Et Lévi lui fit grand festin
dans sa maison.
Et il y avait fojule nombreuse de publicains
et d'autres qui étaient avec eux à table ;
^"et murmuraient les pharisiens et leurs scribes,
disant à ses disciples :
« Pourquoi avec publicains et pécheurs
mangez-vous et buvez-vous ? »
31 Et répondant, Jésus leur dit :
« Pas n'ont besoin
les bien portants de médecin,
mais les mal portants.
^2 Je ne suis pas venu appeler justes
mais pécheurs à pénitence. »
l'abandon de la pi'ofession, avec la conservation de tout le veste.
Marc s'intéressait au fait comme à une vocation de publicain ; notre
auteur veut que cette vocation soit selon la règle de la perfection
chrétienne, et Ton peut voir que Matthieu (ix, 9) y trouve une vo-
cation d'apôtre. On ne saura jamais ce que fut cette vocation, ni
même si elle fut réelle ; car elle pourrait être typique des recrues
faites par le christianisme dans le monde des « pécheurs. »
« Et Lévi lui fit grand festin dans sa maison ». — Mise au net de
Marc (11, ï5):« Et iladvintque (Jésus)se mita table dans sa maison».
— « Et il y avait Ibule nombreuses de publicains et d'autres » , —
Marc : « et de pécheurs », 7— « qui étaient à table avec eux », —
Marc : « avec Jésus et ses disciples ». La suite (v, 3o) montre que notre
auteur aussi suppose les disciples présents ; ainsi « avec eux » doit
s'entendre deJésus et de ses disciples attablés chez Lévi. Sil'évangéliste
a évité de dire qu'il y eût des « pécheurs » à table avec Jésus, c'est,
ou bien qu'il n'a pas compris la portée réelle de l'expression, ou plu-
tôt qu'il a craint une méprise de ses lecteurs ; il ne mettra le
mot « pécheurs » que dans la bouche des pharisiens. — « Et les pha-
risiens et leurs scribes », — c'est le même personnel que dans l'histoire
du paralytique (v, 15) ; Marc (11, 16) : « les scribes des pharisiens »,
— (f murmuraient, disant à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous
■et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ?» — Marc : « Il
mange avec les publicains et les pécheurs ! » Dans Luc la critique
s'adresse directement aux disciples, dont la présence n'avait pas été
d84 LUC, V, 33
33 Mais eux lui dirent :
« Les disciples de Jean jeûnent Iréquemment,
et prières ils l'ont,
et pareillement ceux des pharisiens ;
mais les tiens mangent et boivent. »
mentionnée ; il va sans dire que le blâme atteint aussi bien Jésus^
qu'il soit ou non compris dans le « vous » des interrogateurs. Jésus
est même censé visé dans les disciples, puisque sa réponse ne
disculpe que lui -(du reste, la même critique l'atteindra directement
dans XV, 2). — « Et répondant, Jésus leur dit : « Ce ne sont pas les
gens sains qui ont besoin de médecin, mais les mal portants». —
C'est sur ce proverbe que l'anecdote, authentique ou non, a été cons-
truite (voir Marc, gS ; Bultmann, 8). L'historicité en paraîtra fort
compromise si l'on veut bien considérer que l'application du proverbe
convient assez mal à la circonstance du repas accepté. Et l'emprunt
du dicton avec son application à la pi'opagandeévangélique pourrait
venir de la tradition chrétienne. L'on trouve aux « sains » (ûyiaivovTsç).
un air médical que n'ont pas les « robustes » ('kj/ûovteç) de Marc ; le
terme est sûrement plus précis et va mieux pour l'antithèse avec les
« mal portants ». — « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les
pécheurs à la pénitence». — En ajoutant ces mots : <; à la pénitence »,
au texte de Marc (11, 17), notre auteur atténue involontairement le
sens théologique de l'appel, et très délibérément il le limite quant à
son objet, qui est le l'epentir, condition du salut, et non le salut
même Aurait-il voulu distinguer deux genres de vocation, celle du
commun et celle des disciples, à laquelle correspondrait le cas de
Lé vi (Klosïermann, Loc . cit.), il est permis d'en douter ; et l'addition :
« à pénitence » est aussi pour un meilleur équilibre rythmique de
la sentence.
Afln de rattacher plus étroitement le mot sur le jeûne au mot sur
les pécheurs, notre auteur fait poser la question du jeûne par les
mêmes interlocuteurs. — « Mais ils lui dirent ». — Ces quelques mots
remplacent l'introduction un peu embarrassée de Marc (11, 18) :
« Et les disciples de Jean et les pharisiens étaient à jeûner, et on
vint lui dire ». L'introduction a d'ailleurs été tirée de la pai-ole même,
et l'historicité en est encore moins garantie que l'authenticité de la
parole. — d Les disciples de Jean jeûnent fréquemment ». — L'ad-
verbe (Tiuxvâ) est ajouté dans notre évangile, où la question du jeûne
n'est pas posée à propos d'une occasion particulière. Cependant,
LUC, V, 34-35 185
34 El Jésus leur dit :
« Pouvez-vous aux garçons de noces,
tant que l'époux est avec eux,
imposer lejeCine ?
35 Mais viendront des jours
où leur sera enlevé l'époux;
alors ils jeûneront, en ces jours-là. »
comme la question est présentée de la même laçon générale dans
Matthieu (où plusieurs témoins ont , aussi un adverbe, uoXXâ), il se
pourrait que la question ait été con(.'iie de la sorte dans la source pri-
mitive, où les jeûnes réguliers de la secte johannite auraient été mis
en contraste d'une pratiquechrétieime qui les ignorait. A l'égard de la
coutume chrétienne nos textes sont contradictoires, celui-ci.présen-
tant la pratique du jeûne comme exceptionnelle, et le discours sur
la montagne (Mt. vi, i6-i8) la donnant comme aussi familière aux
chrétiens qu'aux Juifs pharisiens ; peut être ne doit-on pas voir là
deux étapes mais deux courants de la discipline primitive, le courant
de l'observance juive l'ayant d'ailleurs assez vite emporté sur
l'autre. — « Et font des prières ». — Autre addition, qui dérange
l'équilibre de la question posée, vu que, dans le cas présent, il ne
s'agit pas de prières; mais l'indication vient ici, en manière de pré-
lude à ce qui sera dit plus loin (xi, i) pour introduire l'oraison domi-
nicale. — '■ « Et pareillement ceux des pharisiens ». — Les pharisiens
jeûnent, mais on peut douter que l'auteur les assimile aux disciples
de Jean pour ce qui est des prières ; en tout cas, il ne pense plus qu'au
jeûne en ce qu'il dit des disciples, — « Mais les tiens mangent et
boivent» — .11 est fort singulier que les disciples de Jésus soient seuls
mis en cause, puisque Jésus, qui vit avec eux, ne jeûne pas plus
qu'eux : ne serait-ce pas que, dans la réalité, cette parole sur le jeûne
regarde la communauté chrétienne et a été conçue par elle ? La ques-
tion comme elle est posée dans Marc, n'est pas pour infirmer cette
hypothèse : (f Pourquoi les disciples de Jean et les disciples des
pharisiens jeûnent-ils et tes disciples ne jeûnent-ils pas?» Et la
réponse de Jésus n'y contredit point.
« Et Jésu's ieur dit : « Pouvez-vous faire jeûner les garçons de
noces », — littéralement : « les fils de la chambre nuptiale », — « tant
que l'époux est avec eux ? ». — Marc (ii, 19), plus simplement;
« Les gai'çons de noces peuvent-ils jeûner », etc. Notre auteur omet
comme inutile l'explication de Marc : « aussi longtemps qu'ils ont
186 LUC, V, 36
^^ Et il leur dit aussi une parabole :
« Nul ne coupe pièce sur habit neuf
pour l'appliquer sur habit vieux ;
autrement, le neuf on déchirera,
et avec le vieux ne. s'accordera pas
la pièce (prise) du neuf
l'époux avec eux, ils ne peuvent jeûner». Il entend, comme Marc, «les
garçons de noces » en désignation métaphorique des disciples, et
l'époux est Jésus. Sans doute n'y a-t-il pas lieu de supposer derrière
cette allégorie, toute chrétienne d'inspiration, une parabole évangé-
lique où Jésus se serait comparé à un marié que les garçons de noces
n'ont pas le droit d'abandonner pour se livrer au jeûne, comme les
disciples de Jean séparés de leur maître. La comparaison serait aussi
mal équilibrée que possible, vu que le ministère de Jésus n'avait rien
des réjouissances nuptiales, et que le jeûne des disciples de Jean, non
plus que celui des pharisiens, n'était pas une pratique de deuil pour
la perte d'un maître, mais une pratique de pénitence. Le discours ne
vise que la situation ordinaire desf disciples, c'est-à-dire des chrétiens
par l'apport au Christ, situation qui les dispense du jeûne parce qu'ils
sont avec l'époux mystique de l'Eglise, dans ses l'êtes nuptiales, et
n'ont pas lieu de se livrer à des exercices de pénitence. — « Mais vien-
dront des jours où leur sera enlevé l'époux ; alors ils jeûneront en
ces jours-là». 1 — Marc (11,20): « ence jour-là». Il est probable que les
évangélistes ont en vue la commémoration delà passion par le jeûne
pascal.non le jeûne hebdomarlaire du mercredi et du vendredi, qui est
entré dans la coutume chrétienne, mais que notre passage paraît
ignorer. Marc disait : « ce jour-là », pensant au jeûne commémoratii
de la mort du Christ; Luc penserait à un jeûne de deux jours et dirait
« ces jours-là », parce qu'il a égard à la prolongation du jeûne jusqu'à
la nuit pascale. C'est ce jeûne de l'Eglise qui est compris en deuil de
l'époux. La mise en scène de Marc laisse encore entrevoir que l'anti-
thèse primitive était entre le jeûne de la secte johannite, aussi
régulier que celui des pharisiens, et l'absence d'une telle pratique
dans le milieu chrétien où la sentence a été élaborée comme instruc-
tion prophétique de Jésus (cf. Bultmann, 8-9).
«Et il leur dit aussi une parabole ». — L'auteur de cette indication,
qui manque dans Marc (11, 21), aura sans doute voulu faire entendre
que les comparaisons qui suivent ne se rapportent pas tout à' fait au
môme objet que le discours précédent et visent plus loin que la
LUC, V, 37-38 187
^' Nul non plus ne met vin nouiveau en outres vieilles ;
autrement, le vin nouveau rompra les outres,
il se répandra elles outres seront perdues ;
mais vin nouveau en outres neuves se doit mettre.
^^ Et nul, buvant du vieux, ne demande do nouveau ;
Car on (se) dit : « Le vieux est bon. »
question du jeûne. — « Personne ne coupe une pièce à un habit neuf
pour la mettre à un vieil habit ». — Modification arbitraire et peu
réussie, pour conformer la comparaison de l'habit rapiécé de neuf à
la comparaison des outres, de ce qu'on lit dans Marc : « Nul ne coud
une pièce de drap non foulé sur un vieil habit ». Découper un habit
neaf pour en raccommoder un vieux est une hypothèse absurde et qui
n'était pas à envisager.. — « Autrement, on déchire le neuf », — par
cet étrange procédé, on perdrait l'habit neuf,-sans améliorer pour
autant le vieux, — « et la pièce du neuf ne s'accorde pas avec le
vieux », — le moi'ceau neuf jure avec le vieil habit. On ne voit pas très
bien où va la comparaison ainsi modifi.ée, ni quel sens spécial l'auteur
aurait pu y vouloir attacher ; rien n'invite à supposer qu'il ait voulu
figurer le christianisme par un habit (Holtzmann, 33^) de préférence
à une pièce ; peut-être n'a-t-il pas voulu signifier autre chose que
l'incomptabilité du neuf et du vieux en matière de religion. C'est
ce qu'avait voulu déjà signifier Marc ; mais cette sentence et la sui-
vante ne sont pas autre chose originairement que l'application, assez
mal venue,, de proverbes, populaires, à la situation respective du
christianisme et du judaïsme, application qui n'a pu être conçue
que dans la tradition du christianisme déjà constitué.
« Et personne. ne met de vin nouveau dans, de vieilles outres ;
autrement le vin nouveau fait éclater les outres, il se répand et les .
outres sont perdues », — Marc (ii, aa) : « et le vin est perdu ainsi que
les outres», — « Mais vin nouveau doit se mettre en outres neuves».
— Marc (mss. B S) : « mais, vin nouveau pour outres neuves ». Dans
la plupart des témoins notre évangile contient une troisième compa-
raison (qui manque dans ms. D. mss lat., Marcion) : — « Et personne,
en ayant bu du vieux, n'en demande du nouveau h. — Le texte ordi-
naire ajoute ; « aussitôt », qui manque dans les meilleurs manuscrits
(BSL), — « Car on dit; « le vieux est bon». — C'est encore, à propos de
vin,, une façon de proverbe dont on ne voit pas bien l'application. Pas
plus que dans les comparaisons précédentes il ne s'agit de justifier les
sectateurs de Jean (comme plusieurs l'ont admis pour v, 36,3;-38,39,
188 LUC, vr, 1
"' Or advint, en sabbat,
qu'il passait à travers blés ;
et ses disciples arraciiaient
et mangeaient les épis,
en les égrenant de leurs mains.
notamment Hoi-TZMANN, loc. cif.), et l'intérêt d'une telle justifica-
tion échappe à l'historien. Ce j)ourrait être une autre manière de
laire ressortir l'incoraptabilité du vieux et du neuf, ceux qui sont
à boire du vin vieux n'étant pas en goût d'en boire du nouveau,
soit qu'ils jugent le vieux meilleur, soit, — si le vin nouveau doit
s'entendre du vin doux qu'aimaient les anciens, — parce que leur
palais en serait désagréablement aflécté. Cette comparaison, qui
tendrait à expliquer l'attitude des Juifs à l'égard du christianisme,
aboutirait, en dépit de son auteur, quel qu'il soit, à la justifier. Jl
s'agit encore d'un dicton, maladroitement ajouté par le rédacteur
évangélique, à ceux qui avaient été recueillis dans Marc (l'omission
de V, 39 dans Marcion, etc., peut s'expliquer j^lus facilement que son
interpolation dans le texte traditionnel).
XVllI. Le sabbaï
« Or advint, un jour de sabbat». — Le texte ordinaire de Luc
marque le jour : « le sabbat seconrf-premier » (àv 7aj3;3iTa) osuTspoTiptuTw) ;
mais on a chercbé vainement une explication satisfaisante de ce terme
bizarre ; celle qui a eu depuis trois siècles la faveur des exégètes
(encore Klostebmann, ^S'j), à savoir que ce sabbat serait le premier
des sept comptés entre la pâque et la pentecôte, à partir du second
jour do la semaine pascale, est gratuite et artificielle. Les plus anciens
manuscrits (B L S, mss, lat) n'ont pas cette indication, et il est per-
mis d'y voir un accident de copie, mélange de gloses explicatives, le
sabbat en question ayant été qualifié «premier » relativement à celui
qui suit, et a second » relativement à celui dont il a été parlé aupara-
vant (iv, 3i). — « Qu'il passait à travers des blés ; et ses disciples
arrachaient et mangeaient les épis, les égrenant dans leurs mains »,
— Marc dit seulement : « et ses disciples se mirent, tout en marchant,
à ai*racher les épis », parce qu'il va de soi et la suite de l'anecdote
explique assez que c'était pour satisfaire leur faim ; ce qui importait
à signaler est la violation du sabbat, laquelle consistait dans l'acte
d'arracher les épis, non dans celui de les manger.
LUC, VI, 243 189
* Mais certains pharisiens dirent :
« Pourquoi faites-vous ce qui n'est pas permis en sabbat? »
^ Et leur répondant, .Icsus dit :
« N'avez-vous pas môme lu ceci, que fit David,
quand il avait faim, lui et ceux qui étaient avec lui?
* Gomment il entra dans la maison de Dieu,
et, prenant les pains de proposition,
en mangea et en donna à ceux qui étaient avec lui,
bien qu'il ne soit pas permis d'en manger,
si ce n'est aux seuls prêtres ? »
* Et il leur disait :
(( Le Fils de l'homme est maître du sabbat.
« Et certains pharisiens dirent : « Pourquoi faites-vous ». — Les
pharisiens s'adressent aux disciples, mais c'est Jésus qui répondra,
— « Ce qu'il n'est pas permis de faire les jours de sabbat? ». —
L'auteur a voulu que la critique fût faite à ceux qui commettaient le
délit ; dans Marc (u, 26), c'est à Jésus que les pharisiens se plaignent :
« Vois comme ilslbnt le jour du sabbat ce qui n'est pas permis », ce
qui amène plus naturellement la réponse, — « Et répondant, Jésus
leur dit : « N'avez-vous pas lu ce que fit David quand il avait faim »,
— Marc [n, 26) : « quand il était dans le besoin et qu'il avait faim »,
— (( lui et ceux qui étaient avec lui ; comment il entra dans la
maison de Dieu », — notre évangéliste, comme Mathieu, omet ici la
mention du « grand-prêtre Abiathar » (Me. 11, 26), qu'il n'a proba-
blement pas lue dans Marc, — « et prenant les pains de proposi-
tion, en mangea et en donna aussi », — pour qu'ils en mangeassent
pareillement, — « à ceux qui étaient avec lui, bien qu'il ne soit », —
par la Loi, — « permis d'en manger qu'aux seuls prêtres ?» — Notre
évangile omette premier élément de la conclusion dans Marc (11, 27^ :
« Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat »,
soit que la profondeur n'en ait pas été comprise, soit que le prin-
cipe ait parti susceptible d'applications abusives ou plutôt subversif
de la Loi même, ce qui contrariait l'apologétique du rodacteur. —
« Et il leur dit : « le Fils de l'homme est maître du sabbat », — il a
la faculté d'en dispenser, comme il a celle de remettre les péchés.
Conclusion qui ne s'accorde pas avec l'argument de la réplique aux
pharisiens.
Le ms. D transporte cette conclusion après l'anecdole suivante (en-
tre VI, 10 et II), et il insère ici une autre histoire sabbatique : — « Le
1;90 . LUC, yi, 6-7
• Or advint, en aulre sabbat,
qu'il entra dans la synagogue ei enseigna,
Et il y avait un homme là
dont la main droite était sèche;
' mais les scribes et les pharisiens l'observaient,
(pour voir) si en sabbat il faisait cufé,
afin de trouver à l'accuser.
même jour, ayant vu un individu au travail le jour du sabbat », —
indication nécessaire, mais qui dénonce la suture maladroite : « le
même jour », comme ayant été pratiquée en vue de l'interpolation, —
« il lui dit : (( Homme, si tu sais ce que tu fois, ibienheureux es-tu ». —
Dans ce cas, l'homme est félicité pour ce motif, probablement, qu'il
sait n'être pas obligé par la Loi, si un besoin exige qu'il travaille.. —
« Mais, si tu ne le sais pas, maudit tu es, et transgresseur de là Loi ».
— On ne sait d'où vient ce trait, qui pèche un peu par subtilité ; peut-
être est-ce cette subtilité même et aussi sa hardiesse ,qui l'ont empê-
ché de s'enraciner dans la ti^adition évarigélique ; son rapport' avec
la sentence de Marc : « Le sabbat a été fait pour l'homme », etc.,.
omise dans le même manuscrit D, est assez Irappant ; mais on remar-
quera que cette sentence n'a été reproduite ni dans Matthieu ni dans
Luc .; c'est d'ailleurs une parole de sagesse juive, non proprement
évangélique, dont se sera enrichi l'évangile de Marc (cf. Bult-
MANN, 65).
« Or advint, un autre jour de sabbat, qu'il entra dans la syna-
gogue », — probablement la synagogue de Gapharnaûm, — « et
enseigna » . — Cette mise en scène éclaircit et précise Marc
(iir,, i) : « Et il entra une seconde fois en synagogue ».. — « El U'y
avait là un homme dont la main di'oite était desséchée ». — Marc :
«qui avait la main desséchée ». Notre auteur veut savoir que c'était
la main droite, comme il saura (xxii, 5o) que l'oreille coupée au ser-
viteur du grand-prêtre dans le jardin des Oliviers n'était pas
l'oreille gauche. De telles précisions ne sont pas nécessairement d'un
médecin. — «Et les scribes et les pharisiens l'observaient ». —
Marc (m, 2) : « et ils l'observaient », vise les pharisiens de l'.anec-
doite précédente ; notre auteur ramène les mêmes figurants que dans
l'histoire du paraly.tique (v, i"], 21). — « Pour voir s'il ferait cure »,
— Marc : « s'il le guérirait », — « en jour de sabbat, afin de teouver
à l'accuser ». — Marc : « afin de l'accuser ».
« Mais lui connaissait leurs pensées ». — Trait explicatif ajouté
LUC, VI. 8-H 191
8 Et lui connaissait leurs pensées,
et il dit à l'homme qui avait la main sèche :
« Lève-toi et tiens-toi au milieu, o
Et s'étant levé, il se tint (là).
^ Et Jésus leur dit : « Je vous demande
qu'est-ce qui est. permis en sabbat, bien faire ou mal faire,^
sauver une vie ou la détruire? »
1" Et les regar<3ant tous à l'entourj il lui dit :
« Etends ta main, »
Or il le fit,
et sa main redevint saiae.
■^^'Mais eux furent remplis de fureur,
et ils s'entretenaient muluellement
de ce qu'ils pourraient faire à Jésus.
par notre auteur (ef. ix, 47 ; xi, 17). — « Et il dit a l'homme qui avait
la main desséchée : « Lève-toi et tiens- toi ». — Marc (ui, 3) a sim-
plement : (( lève-toi », — « là au milieu » — de l'assistance. — « Et
s'étant levé », — l'homme — (( se tint» — là. Marc (11, 3) sous-entend
l'exécution de l'ordre donné par Jésus. — « Et Jésus leur dit : « Je
vous demande s'il est permis », -- Marc : « Est-il permis », — « le
jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver quel-
qu'un ou de le faire périr ?» — Ici notice auteur sous-entend ce que
dit Marc (m, 4) du silence gardé par les pliarisiens.
« Et les ayant regardés tous à l'entour », — Marc (11, 5) ajoute :
« avec colère, tout affligé de l'endurcissement de leur cœur », — « il
lui dit : « Etends ta main ». Or il le fît », — Marc : « Et il reten-
dit », — « et sa main redevint libre ». — Notre auteur atténue
ensuite l'indication de Marc (m, 6) touchant le complot ourdi contre
Jésus par les pharisiens avec les héi'odiens,. trouvant probablement
ce complot prématuré ; du reste, le rédacteur évangélique a mieux à
dire sur la part qui revient à Hérode Antipas dans la passion du
Christ. — « Mais eux furent remplis de fureur », — non seulement
à cause du sabbat violé, mais parce qu'ils sont censés se regarder
comme personnellement bravés, — « et ils s'entretenaient mutuelle-
ment de ce qu'ils feraient », — du mal qu'ils pourraient faire — « à
Jésus ». — L'indication est vague à dessein quant aux résolutions.
Par elles-mêmes les deux anecdotes sabbatiques tendent à l'idiculi-
ser les pharisiens, qui aiment mieux laisser mourir les gens de faim
ou faute de médecin, le jour du sabbat, que de permettre qu'on
192 LUC, VI, 12
" Or advint, en ces jours-là,
qu'il se rendit à la montagne pour prier,
et il passa la nuit à prier Dieu,
cueille ce jour-là quelques grains de blé, pu de soigner un malade.
La première anecdote est bien conçue ; reste à savoir si ce ne serait
pas un cas fictif, dont on aurait orné la biographie de Jésus ; du
moins l'anecdote appartenait-elle déjà à cette biographie quand on
y ajouta la conclusion : « Le Fils de l'homme est maître du sabbat »,
qui ne s'adapte pas au récit et montre en Jésus le maître de l'uni-
vers, placé au-dessus de toute loi. La seconde anecdote est un
miracle de toute puissance qui pourrait avoir été inventé d'après
un cas de l'Ancien Testament (1 Rois, xiii, 6) et quelque argument
dans le genre de celui, que fait valoir la précédente anecdote, par
exemple la parole que Matthieu (xii, ii ; cf. Le. xiii, i5 ; xiv, 5) a
insérée dans la l'elation de ce même miracle. Gomme les anecdotes
précédentes, ce sont morceaux d'apologie et de polémique du chris-
tianisme naissant contre le judaïsme officiel (cf. Bultmann, 5, ']).
XIX, Les Douze
Le petit tableau qui, dans Marc (m, •j-i'i), sert de préambule à la
vocation des Douze (Me. m, iS-ig), a été transposé dans Luc de
façon à servir d'introduction au discours des béatitudes, et la voca-
tion des apôtres est amenée d'abord. Cette transposition a dû être
suggérée par^ la source à laquelle a été emprunté le discours. Une
telle liberté dans l'utilisation des traits descriptifs ou de scènes
entières montre bien que nos rédactions évangéliques ont beaucoup
moins pour objet de raconter l'histo're du salut que de la figurer
dans une sorte de drame mystique, où ce qui impoi'te est la signifi-
cation du tableau, non la réalité matérielle des faits.
(( Or il advint, e'n ces jours-là, qu'il se rendit à la montagne pour
prier ». — D'après le contexte de Marc (m, i3), Jésus « monte sur
la montagne » pour se dérober à la foule et procéder librement à
l'appel des Douze. Ici Jésus est censé avoir gagné la montagne pour
prier, comme il fera dans Marc (vi, 46) après la première multiplica-
tion des pains ; — « et il passa la nuit à prier Dieu » . — Cette longue
oraison fait pendant aux prières des communautés pour la
désignation de leurs directeurs ou des missionnaires chrétiens
(cf. AcT. xnr, a-3).
LUC VI, 13-14 193
1' Et quand il fut jour,
il a,ppela ses disciples,
et en ayant choisi parmi eux douze,
qu'il appela apôtres :
^* Simon, qu'il nomma Pierre,
et André son frère ;
Jacques et Jean,
Philippe et Barthélémy,
M Et quand il fut jour, il appela ses disciples », — il fit venir auprès
de lui ceux qui avaient accoutumé de le suivre, afin de faire un choix
parmi eux, une élection comparable à celles qui se faisaient dans
les communautés chrétiennes. Il se peut que notre auteur ait ainsi
compris Marc (m, i3) ; mais celui-ci, en disant que Jésus « appela
auprès de lui ceux qu'il voulait », et (m, i4) qu'il en « établit douze
pour être avec lui et pour les envoyer prêcher, avec pouvoir de
chasser les démons », n'entend pas que le nombre des « appelés » ait
été supérieur à celui des « institués » ; ce sont les mêmes qui sont
« appelés » et « institués », l'accent étant mis sur la vocation : <i II
appela ceux qu'il voulait ». Notre évangéliste n'attache pas autre-
ment d'imix)rtance à la vocation spéciale des Douze, et il trouve à
leur élection un sens par rapport au discours suivant, à la morale
chrétienne, que les chefs des communautés ont chai-ge d'enseigner.
— « Et en ayant choisi douze, qu'il appela aussi », — par la même
occasion, — « apôtres ». — Jésus ue se borne pas à faire le choix des
douze, il leur donne un nom en rapport avec la fonction qu'il leur
attribue. Ce trait remplace ce que dit Marc touchant la mission de
pi'édicaleurs et d'exorcistes qui doit être attribuée aux Douze. Mais
le nom d'apôtres est un anachronisme en cet endroit ; Marc (vi, 'j, 3o)
ne l'emploiera que plus tard ; et il n'a été réellement en usage
qu'après la fondation de la première communauté. Originairement
les apôtres, missionnaires itinérants du christianisme naissant, ne se
confondent pas avec les Douze, qui ont été les chefs de la première
communauté ; ceux-ci sont devenus les apôtres par excellence ; et
la mission apostolique et le choix même des Douze semblent avoir
été anticipés dans 1 histoire de Jésus (cf Marc, 24, iio). L'allusion
que le début rédactionnel des Actes (i, 2) fait à cette scène d'élection
donne à penser que les détails caractéristiques de notre récit, à
moins que ce ne soit la scène tout entière, sont du rédacteur et non
de Luc (voir Actes, iSg).
A. Lois Y. ~ L''Evang-Ue selon Luc. i3
194 LUC, VI, 15-16
1^5 Matthieu et Thomas,
Jacques d'Alphée et Simon dit Zélote,
^^ Jude de Jacques et Judas Iscariotk,
celui qui a été traître,
La liste des apôtres forme une sorte de parenthèse dans la j)hrase
qui introduit le discours des béatitudes, et l'on pourrait se demander
si elle n'y a pas élé surajoutée. — « Simon qu'il nomma Pierre ». —
Jusqu'ici le nom de Simon a été employé (sauf v, 8, où l'on a « Simon-
Pierre ») ; désormais ce sera « Pierre », et aussi dans les Actes (sauf
XV, i4, le raippel du nom de Simon, sous la forme originale Siméonj
dans le discours de Jacques). — « Et André son frère ». — Pour la
mention d'André, la liste de Luc est conforme à celle de Matthieu,
Marc (m, ^8) ne signalant André qu'après, les fils de Zébédée. On le
dit ici « frère de Pierre »; parce qu'on ne l'a pas mentionné dans le
récit de vocation. — « Jacques et Jean ». — Pas plus que Matthieu
(x, 2! Luc n'indique le surnom de « Boanergès », attribué dans Marc
(m, 17) aux fils de Zébédée. — « Philippe et Barthélémy, Matthieu
et Thomas, Jacques d'Alphée et Simon dit Zélote ». — Entre Jacques
d'Al(phée et Simon, Marc et Matthieu (x, 3) logent Thaddée, dont
notre évangile ne parle pas et qui se trouve ici remplacé par le Jude
ou Judas que nous allons voir accouplé au traître. « Simon le
Zélote » est certainement celui que Marc et Matthieu appellent Simon
le Cananéen. Notre évangile, ou plutôt la soiarce dont il dépend
pour cette liste, a traduit le surnom dont les deux autres synoptiques
se sont bornés à transcrire la formé araméenne. Il paraît, en effet,
certain que le surnom ne signifie pas « homme de (janaan », ni
« homme de Gana » ou de « Canan », mais « zélateur » ou « zélote »,
nom attribué, depuis la révolte de Judas le Galiléen, aux adversaires
lanatiques de la domination romaine. La présence d'un ancien
sicaire dans le groupe des premiers disciples n'a rien qui doive sur-
prendre. — « Judas de Jacqnes et Judas Iscariote ». — De oe que le
premier Judas remplace le Thaddée de Marc et de Matthieu, il ne
suit pas que ce soit le même individu, Jude par son nom, Thaddée
par son surnom. Il n'est pas probable non plus que notre évangile
ait identifié Jacques d'Alphée à Jacques frère du Seigneur et qu'il
voie dans Jude le frère de ce Jacques. « Jude de Jacques » signifie
plutôt « Judas fils de Jacques », le nom du père étant mentionné
pour différencier ce Judas du traître. — « Celui qui est devenu
traître ». — Aucun des évangélistes n'oublie d'appendre au nom de
LUC, VI, 17-19 195
1' Et descendant avec eux, il se tint en lieu xini,
ainsi qu'une foule nombreuse de ses disciples,
et quantité grande de peuple,
de toute la Judée et de. Jérusalem,
et du littoral de Tyr et de Sidon,
^^ qui étaient venus pour l'entendre
et être guéris de leurs maladies.
Et ceux qui étaient affligés d'esprits impurs étaient guéris,
• " et toute la foule cherchait à le toucher,
parce que vertu de lui sortait, ,
qui les guérissait tous.
ce Judas le souvenir dé son forfait. Tous aussi transcrivent le sur-
nom sans en indiquer le sens, que probablement ils ne connaissent
pas. La liste des onze dans les Actes (i, i3) est conforme à la précé-
d^inte, sauf pour la place attribuée à certains noms : « Pierre, Jean,
Jacques, André, Philippe, Thomas, Barthélémy, Matthieu, Jacques
d'Alphée, Simon le Zélote, Judas de Jacques ».
« Et étant descendu avec eux ». — Ayant interverti les descriptions
de Marc, notre auteur fait descendre Jésus, afin d'amener la scène de
miracles que Marc a placée près du lac, avant la vocation des Douze ;
mais il ne le fait pas descendre jusqu'à la mer. ■ — « Il prit place en
un lieu uni ». — Le « lieu de plaine » {ï-kX tôttou TreS'.voî!) est pour placer
aisément la multitude en vue du discours qui va s'ajuster à la scène
de miracles . Inutile de se demander si cette plaine ne pourrait pas
être un plateau à mi-côte ; le narrateur place le discours au bas de la
montagne, et d'ailleurs ce discours n'a été prononcé nulle part. Noter
que les détails donnés par Marc (m, 7-9) touchant l'aflluence de la
foule auprès de la mer, et l'emploi de la barque, ont été anticipés
(v, 3) pour la pêche miraculeuse, et que notre auteur évite les répéti-
tions. Ou bien il n'aura pas eu l'idée de mettre sur la montagne,
comme Matthieu, le discours des béatitudes, ou bien cette idée ne lui
aura point agréé. — « Ainsi qu'une foule nombreuse de ses dis-
ciples ». — On a pu voir (vi, i3) que de nombreux disciples avaient
suivi Jésus sur la montagne. — « Et une grande multitude de
peuple )). — Il semblerait que la foule du peuple est aussi descendue
avec Jésus, bien que l'évangéliste Yeuille signifier le contraire, Jésus
trouvant la foule au bas de la montagne : c'est que l'on rejoint ici
Mare, où la foule entoure le Christ avant qu'il monte. Ainsi la trans-
posilion, attestée par la comparaison des textes et par l'embarras de
196 LUC, VI, 20
*" Et lui, ayant levé les yeux
sur ses disciples.
Disait:» Bienheureux (êtes-vous), pauvres,
parce que vôtre est le royaume de Dieu.
cette transition, n'a pas eu d'autre objet que de préparer un grand
auditoire pour le discours qui va venir. — « De toute la Judée et de
Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon ». — S'il n'est pas ques-
tion, comme dans Marc (m, 8), de la Galilée, de l'Idumée, de la
Pérée, c'est que notre auteur entend par Judée, la Palestine entière
(cf. I, 5 ; IV, 44)'; et c'est pourquoi il dit : « toute la Judée )). — « Qui
étaient venus pour l'entendre et se faire guérir de leurs maladies ».
— Comprenons que, dans la foule de ceux qui étaient accourus pour
entendre, il y avait beaucoup de malades qui étaient venus ou qu'on
avaient amenés en vue de leur guérison,
« Et ceux que tourmentaient des esprits impurs étaient guéris ». —
Ici encoi'e (cf. iv, 40 les possédés sont compris parmi les malades.
Notre auteur s'abstient de dire, avec Marc (xiit, ii-ia), que les démons
criaient que Jésus était le Fils de Dieu, et qu'il les faisait taire : ce
serait répéter ce qu'il a déjà dit (iv, ^i). — « Et toute la foule », — on •
est tenté d'ajouter : « des malades », mais l'auteur pourrait avoir
voulu signifier un empressement universel, chacun espérant de l'at-
touchement du thaumaturge un avantage pour sa santé, — «cher-
chait à le toucher parce qu'une vertu sortait de lui, qui les guéris-
sait tous » — selon qu'ils avaient besoin de guérison. Redressement
et explication de ce qu'on lit dans Marc (m, lo) : « Car il guérissait,
beaucoup de gens, en sorte que tous ceux qui étaient affligés de mala-
dies se jetaient sur lui pour le toucher ». — L'auteur emprunte à
Marc le trait des guérisons par attouchement; mais il ajoute une
explication scolastique plutôt que savante du fait : la vertu guéris-
sante qui sortait de Jésus. Il est parlé ailleurs (y,-'J'> vin, 46) de cette
yertu guérissante, et le trait est caractéristique de notre évangile.
XX. La moralk évangélique
« Et lui, ayant levé les yeux sur ses disciples, dit ». — Dans Luc,,
comme dans Matthieu (v, i), Jésus est entouré de ses disciples, qui
forment comme un premier rang d'auditeurs à qui le discours est
adressé directement'; mais, dans Matthieu, les disciples sont les-
Douze; ici, ce sont les Douze et le grand nombre de disciples (vi, i3, 17),
LUC, VI, 20 197
parmi lesquels les Douze ont été choisis. Dans les deux évangiles la
formule d'introduction est plus solennelle que pour les discours ordi-
naires : selon Matthieu, Jésus s'assied devant la foule comme le
docteur du monde, « il ouvre la bouche » jjour instruire les hommes
touchant la volonté de Dieu; dans Luc, où le discours se tient en
rase campagne, Jésus est débout (sut-^, vi, i;;), Fauteur ayant songé
probablement que. pour parler à une foule innombrable réunie dans
une plaine, l'orateur ne pouvait pas être assis; mais il le montre
entouré de nombreux disciples et d'un peuple considérable ; quand
le Christ commence à parler, il lève les yeux vers les disciples parce
•que, dans la réalité, c'est à eux seuls que le discours est destiné. Et
ce doit être aussi bien aux disciples seuls que s'adressait le discours
dans sa rédaction première ; de là vient qu'il sont restés dans nos
éviangiles les véritables auditeurs. La mise en scène a été obtenue par
la combinaison de Marc (m, 7-1 n^ avec le recueil de discours. Toute-
fois, comme la mise en scène a* perdu presque tout son intérêt dans
Liic, on pourrait se demander s'il n'a pas existé une source intermé-
-diaire où le discours était déjà pourvu d'une introduction assez déve-
loppée et dont Marc lui-même se serait inspiré, bien qu'il ne rapporte
pas le discours. Si le discours n'est pas entièrement dominé par la
perspective du prochain règne de Dieu, s'il contient une instruction
morale applicable à la vie courante des premières communautés,
c'est qu'il a été composé en regard de cette vie et que même les sen-
tencfts avec lesquelles on l'a construit avaient été pour la plupart,
sinon toutes, conçues ou recueillies dans les mêmes conditions ; sen-
tences et discours sont dans l'esprit de Jésus, mais il n'est pas
autrement facile d'y reconnaître les éléments qui ont pu appartenir à
.son enseignement.
Il importe assez peu que la même instruction soit dans Matthieu
un discours sur la montagne et dans Luc un discours en plaine,
puisque cette instruction commence de la même façon dans les deux
évangiles, par les béatitudes (Mt v, 3-I2; Le vi, 20-26), qu'elle a
dans les deux une même conclusion, la parabole des deux Maisons
(Mt. vii, 24-27; Le. VI, 47-49). et que les sentences que notre évangile
met dans l'intervalle se retrouvent, à de minimes exceptions près,
dans Matthieu. Les variantes de détail dans les parties communes
iiennent à la liberté de la rédaction et aux préoccupations diverses
jdes écrivains, c'est-à-dire des milieux chrétiens où les diverses
rédactions ont pris leur forme traditionnelle. La différence la plus
imporlante, celle qui porte sur la quantité des sentences insérées
dans le discours, tient à ce que le discours primitif a été augmenté
198 LUC, VI, 21
'^^ Bienheureux, (vous) qui avez faim maintenant,
parce que vous serez rassasiés.
Bienheureux, (vous) qui pleurez maintenant,
parce que vous rirez.
dans Matthieu au moyen de sentences importées d'ailleurs, et plutôt-
diminué dans Luc par omission de certains morceaux. Le troisième
évangile a moins de goût que Matthieu pour les groupements arti-
ficiels sur lesquels se tondent les grands discours de celui-ci. Tandis
que Matthieu a pensé écrire un traité complet de la justice chrétienne,,
promulgué par Jle Christ sur une sorte de Sinaï, notre évangéliste n'a
guère voulu donner qu'une large e:xhortation pour encourager les
disciples de l'Evangile parmi les difficultés de leur existence, et pour
Jeur recommander la pratique de la charité, La promesse des
béatitudes (vi, 20-î23) se complète de menaces (vi, 24- '^6) à l'adresse
de ceux qui prennent leur bonheur en ce moiide. Le développement
antithétique sur l'Evangile et la Loi (Mt. t, 17-48) n'a pas été con-
servé, bien que -l'auteur paraisse l'avoir connu, du moins en partie
(ef, XVI, 17-18) ; il n'en retient que la leçon de la charité (vt.ay-
36). L'instruction sur les trois œuvres de la justice (Mt, vi. 1-6,
16-18), où Matthieu a intercalé l'oraison dominicale, est pareil-
lement omise, peut-êtx'e ignorée. La défense de juger et les sen-
tences connexes (vi, 87 -38) se rattachent assez naturellement aux
préceptes concernant la charité, mais l'ëvangéliste a voulu introduire,
entre cette leçon et l'avertissement contre lès abus de la correction
fraternelle (vi, ^i-^o.] , les sentences sur l'aveugle qui en conduit un
autre et sur le rapport de disciple à maître (vi, 39-40). Le discours
s'achève, comme dans Matthieu, par des considérations sur le témoi-
gnage que les paroles'fournissent touchant le caractère des personnes
(vi, 43-45). et sur la nécessité, pour être sauvé, démettre en pratique
la parole du Glirist. Dans les pai'ties communes, notre évangile
paraît avoir gardé plus exactement que Matthieu, sinon le vocabu-
laire de la source, du moins lé parallélisme sémitique des sentences
dont était composée la rédaction relativement primitive qui est à la
base de Matthieu et de Luc, et qui était déjà par elle-même une com-
piiaiion de sentences originairement détachées (cf. Wellhausen,24).
Le discours primitif débutait par les quatre béatitudes qui sont
d'ans Luc ; mais l'apostrophe directe n'est pas dans le style ordinaire
des béatitudes, et Matthieu (v, 8-12) ne l'a que pour la dernière, où. elle
était de nécessité ; elle aura donc été adoptée ici pour l'effet oratoire
et pour l'unité de l'ensemble (cf. Lagrange, 186) ; mais par l'additioii.
LUC, vi^ 22 199
22 Bienheureux serez-vous quand les hommes vous haï-
[ronl,
quand ils vous excommunieront el vous outrag-eront,
et qu'ils proscriront voire nom comme mauvais, à cause du Fils
[de l'homme,
des quatre « malheur ! », le Christ cesse de parler en prophète ; on
dirait qu'il est déjà juge et qu'il distribue aux pauvres d'une part, aux
riches de l'autre, le sort qu'ils méi*itent. — « Heureux » êlesvous,
(( pauvres, parce que le royaume de Dieu est à vous ! » — Notre
évangile dit constamment « royaume de Dieu » là où Matthieu dit
« royaume de.s cieux » : ce sont formules équivalentes pour le sens.
Quant au mot « pauvre », on sait que, dans l'acception biblique, il
ne s'entend pas simplement de l'indigence et que les pauvres de Dieu
sont aussi bien ses fidèles et ses protégés. — « Heurepx » vous « qui
êtes maintenant aflamés, parce que vous serez rassasiés». — Le
« maintenant » est ajouté dans notre rédaction pour accentuer l'anti-
thèse ; mais l'idée primitive est celle d'une indigence réelle, comme
dans la première béatitude ; et il en va de même pour le rassasie-
ment, qui sans doute n'est pas à prendre dans un sens tout matériel,
mais qui ne signifie pas davantage une félicité purement spirituelle. —
(( Heureux » vous « qui pleurez maintenant, parce que vous rirez ». —
Môme remarque à propos de « maintenant ». Matthieu (v, 4) : « Heu-
reux les affligés (TtevOoïjvTsç) parce qu'ils seront consolés >■> {r-o-^'M-iôcry
OVjffovTai), L'antithèse des pleuz's (xXxi'ovTeç) et du rire (•j/eXâcrsTe) est peut-
être pour accentuer celle de l'affliction et de la consolation ; en tous
cas, dans la source il s'agissait plutôt d'afflictions extérieures,
comme l'entend notre auteur ; mais le rire tendrait à obscurcir le
côté spirituel de la consolation.
« Heureux serez-vous quand les hommes vous haïront », — Mat-
thieu (v, II) : « Quand, on vous outragera » — « quand ils vous excom-
munieront », — Matthieu : « qu'on vous persécutera ». — Sans doute
ne s'agit-il pas spécialement de l'excommunication synagogale, mais
d'une mise au ban de la société, qui est aussi bien en rapport avec la
situation des chrétiens devant Topinion païenne (cf. Lagrange, i88).
— « Qu'ils vous outrageront et rejetteront votre nom comme mau-
vais à cause du Fils de L'homme ». — Matthieu : « et qu'on dira toute
sorte de mal contre vous, mensongèrement, à cause d^e moi». Sauf le
« mensongèrement », qui est peut-être surajouté, le texte du premier
évangile semble primitif relativement à celui du troisième, dont les
200 LUC, VI. 23
" Réjouissez-vous en ce jour-là et exultez:
c'est que votre récompense est grande dans le ciel
car ainsi leurs pères traitaient les prophètes.
précisions sont plutôt intentionnelles. Le « nom» dont parle Luc estle
nom chrétien. Peut-être le « rejet » du nom (èKpiXojciv) n'implique-t-il
pas seulement le sens général de mépris, mais le sens plus particu-
lier de nom condamné, parce que la secte qui le porte n'a pas officiel-
lement le droit d'exister; les « chrétiens », les gens du Christ, ver-
raient ainsi leur nom condamné « à cause du Fils de l'homme».
L'emploi de la formule « Fils de l'homme », au lieu du pronom per-
sonnel, montre" que les évangélistes ne se sont pas fait scrupule de
s'en servir, pour rehausser le discours, en des endroits où leurs
sources ne la contenaient pas. 11 n'est pas autrement clair que les
premières béatitudes aient été conçues indépendamment de la der-
nière . L'ensemble du morceau pourrait donc avoir été construit dans
les tout premiers temps du christianisme, devant l'hostilité juive, dans
l'esprit de l'Evangile primitif et en regard d'Isaïe (lxi, i).
« Réjouissez -vous en ce jour-là ». — « En ce jour-là » manque dans
Matthieu (v, 12) et a été ajouté dans Luc, comme plus haut les
« maintenant ». — « Et tressaillez d'allégresse, car votre récompense
est grande au ciel ». — Matthieu : a aux cieux ». — « C'est, en effet
de cette façon que leurs pères ont traité les prophètes». — Matthieu :
« Car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui furent avant
vous ». La formule de Matthieu doit être celle de la source, où les
Juifs persécuteurs n'étaient pas encore considérés comme un peuple
étranger, et notre auteur paraît s'être inspiré de l'invective contre
les pharisiens (xi, 4^-5i, cf. HAnNAcic, Sprûche, 39). L'incohérence
qui résulte de ce que les persécuteurs des chrétiens sont maintenant
« les hommes » (vi, 22) en général, et non seulement les Juifs, fils de
ceux qui ont tué les pi'ophètes, est impossible à l'éduire.
Ainsi les quatre béatitudes de Luc ne font pas valoir comme celles
de Matthieu les qualités morales qui caractérisent les disciples de
l'Evangile ; elles décrivent la situation de ceux-ci à l'égard du moude.
Ils sont considérés comme actuellement et réellement pauvres, affa-
més, aflligés, persécutés. Cette situation n'exclut pas, elle implique
plutôt l'esprit de pauvreté spirituelle ; et la récompense promise,
même exprimée dans les termes de rassasiement et de rire, n'est pas
d'ordre vulgaire : on veut signifier que les joies du l'oyaume de Dieu
compenseront de toutes manières les privations et les soufirances du
temps présent.
LUC. VI, 24-25 201
24 Mais malheur à vous, riches, i
parceque vous avez reçu votre cousolalion.
28 Malheur à vous qui êles repus maintenant,
parce que vous aurez faim.
Malheur à vous qui riez maintenant,
parce que vous serez affligés et que vous pleurerez.
Aux quatre promesses s'opposent dans notre évangile quatre
menaces, ou quatre malédictions, qui semblent calquées sur les
quatre béatitudes, et qui, nonobstant le parallélisme voulu avec
celles-ci, sont, par un mouvement oratoire, censées dites pour des
absents (cf. vi, 27). La dépendance de ces malédictions à l'égard
d'Isaïe (lxv, i3-i4) n'est pas très frappante et pourrait même être
contestée, les malédictions étant hien dans le style de l'Ancien Tes-
tament, mais plutôt démarquées directement des béatitudes aux-
quelles on a voulu les opposer.
« Mais malheur à vous, riches, parce que vous avez l'eçu votre
consolation !» — On remarquera l'artifice du « mais » (wXv^v, expres-
sion fréquente dans notre évangile), pour rattacher les quatre
menaces aux quatre béatitudes. « La consolation » {■Ka.pâ.xkr^c.ç) n'est
peut-être pas le mot qu'on aurait attendu, si ce mot ne faisait écho
aux « consolés » ae la troisième béatitude, où notre évangéliste a
substitué le rire à la consolation . Le royaume dé Dieu est pour
ceux qui sont pauvres de biens temporels et riches de vertus; il
n'est pas pour ceux qui sont riches des biens de ce monde et indif-
férents aux biens spirituels. Les hommes qui n'apprécient que le
bonheur terrestre n'ont pas droit à une autre récompense, et puis-
qu'ils ont reçu la leur, ils ne peuvent prétendre à celle des justes.
Mais, dans l'autre vie, privés de la récompense des saints, ils man-
queront aussi de ce qui faisait leur bonheur sur la terre : ce sera
leur tour d'être pauvres, d'avoir faim, de pleurer, de ressentir en
•supplice éternel toutes les douleurs qu'ils fuyaient en ce monde
(cf. XVI, 25). — « Malheur à vous qui êtes rassasiés maintenant,
parce que vous serez affamés ». — .On a ici comme le renverse-
mentde la deuxième béatitude, et l'on peut soupçonner aussi que
la rédaction des béatitudes a été quelque peu arrangée en prévision
de ces menaces. — « Malheur à vous qui riez maintenant, parce que
vous serez affligés et que vous pleurerez !» — « Vous pleurerez »
(xXauffexe) répond aux « pleurants » de la troisième béatitude, mais ne
dirait-on pas que l'évangéliste dit d'abord :« vous serez affligés»
202 LUC, VI, 26
2" Malheur, quand diront bien de vous tous les hommes;
car ainsi leurs pères traitaient les faux prophètes-
(•;ïevO/,(jET£), parce qu'il Usait dans la source « les affligés », comme
Matthieu, et non « les pleurants ».
« Malheur (à vous) quand tous les hommes parleront en bien de
vous ! Car c'est de cette façon que leurs pères », — les pères des
Juifs, comme dans la béatitude correspondante, — « traitaient les
faux prophètes ». — Mais dans cette menace, plus encore que dans les
précédentes, on sent l'artifice de la rédaction. Cette menace, en eflet,
ne peut pas s'adresser aux riches visés dans les trois premières, à
moins que ces riches, qui ne peuvent être des disciples de Jésus, ne
soient de mauvais chrétiens, contemporains de l'évangéliste, large-
ment pourvus des biens de ce monde et en jouissant comme des,
païens. S'il s'agissait d'auditeurs de Jésus non convertis à l'Evangile,
pourquoi leur recommanderait-on de ne pas se mettre dans le cas des
faux prophètes ? Il n'y a pas de rapport entre la situation de ceux-ci
et celle des scribes et des pharisiens. Le discours s'adresse à des
gens qui font profession de la foi évangéliq'ue, et même à des chefs
de communauté ou à des missionnaires, plutôt qu'à de simples
fidèles, puisqu'on peut les comparer aux prophètes de l'ancien
temps. Si l'on veut qu'au moins les trois premières menaces
s'adressent réellement à des Juifs non croyants, auditeurs de Jésus,
le discours sera fort incohérent, Tout s'explique si l'on se place au
point de vue de l'évangéliste, qui a beaucoup moins songé aux
auditeurs du Christ qu'à ses propres lecteurs. Ceux qu'il menace ne-
sont pas les persécuteurs de l'Eglise, mais les gens du monde et les
chi'étiehs qui entrent dans leurs sentiments.
Ainsi les quatre malédictions sont une pièce artificielle et rappor-
tée. La reprise, curieuse par sa naïveté : « mais je vous dis a vous qui
m'écoutez », par laquelle Tinterpolatenr s'efforce de reprendre le
point de vue historique du discours, en fournirait encore, s'il en
était besoin, la preuve péremptoire ; ce qui précède n'a pas été dit
pour ceux que la source présentait comme auditeurs de Jésus. On a
vu plus haut (iiT, io-i4) l'enseignement de Jean complété par un pro-
cédé aussi libre ; la rédaction de notre évangile ne s'est pas conten-
tée davantage des données antérieures touchant l'enseignement de
Jésus, et le discours prêté au Christ dans la synagogue de Nazareth
(iv, 18-19, 21, 23-27) en était déjà la preuve. Le cas présent n'est pas
moins significatif. Mais l'auteur de ces amplifications ne doit pa*
être Luc, c'est l'hagiographe qui a refondu et surchargé les récits-
LGc, VI, 27 203.
27 Mais à vous qui écoutez je dis :
Aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent,
des Actes, y ajoutant de nombreux discours, c'est celui qui a mis en
tête du pi'emier livre à Théophile la légende de l'enfonce, et remanié les
indications de Luc touchant les commencements du ministère galiléen.
« Mais je dis à vous qui entendez ». — Ceci équivaat à reconnaître
que ce qui précède n'a pas été dit pour les auditeurs de ce qui va
suivre, et auxquels ont été adressées d'abord les béatitudes, c'est-à-
dire les vrais croyants ; il est ulair aussi que pareille introduction ne
peut venir que d'un compilateur ou d'un l'édacteur maladroit dans ses
combinaisons littéraires. Il serait parfaitement arbitrarre de suppo-
ser que les riches, objet des malédictions, sont les ennemis qu'il faut
aimer, ou bien que les écoutants sont les auditeurs dociles et atten-
tifs, mis en contraste avec les riches qui sont incrédules, ce qui ren-
drait la transition logique : elle serait logique, en effet, mais super-
ficiellement, et, à supposer que l'évangéliste ait perçu quelque chose
de ces subtilités, elle n'en resterait pas moins une transition rédac-
tionnelle pour rejoindre la perspective originelle du discours qui
avait été rompue par l'intrusion des quatre « mallieui' ! ». Les sen-
tences concernant l'amour des ennemis et la patience ou la bienfai-
sance étaient, dans la source, amenées autrement que dans notre évan-
gile. Car d'eux séries de sentences constituent ici le fond commun de
Matthieu (v, 38-42, 43-48) et de Luc (vi, 27-36). Noti-e évangile a mêlé
ensemble les deux séries, intercalant les leçons de patience et de com-
plaisance dans l'autre série, en sorte que le tout devient une exhor-
tation à l'amour des ennemis; mais les conseils de patience restent
donnés au singulier, entre les conseils de charité qui sont donnés au
pluriel, comme les uns et les autres sont dans Matthieu, d'après la
source ; et la sentence concernant l'obligation de traiter les autres
comme on veut être traité soi-même (Mt. vu, 12) a été amenée après
les conseils de patience, pour servir de transition aux: derniers con-
seils de charité, si bien que tout l'arrangement de ce passage est
artificiel. La combinaison vient de celui qui a inséré les menaces
après les béatitudes, et on pourrait le soupçonner d'avoir supprimé
délibérément les sentences que la source et, d'après la source, Luc
lui-même plaçaient entre les béatitudes et ces leçons concernant le
devoir de la patience et l'amour des ennemis. On peut toutefois
douter que Luc ait trouvé dans la source et que la rédaction ait
trouvé dans Luc les préceptes de la morale chrétienne déjà mis en.
:204 LUC, VI, 28-30
^^ bénissez ceux qui vous maudissent,
priez pour ceux qui vous calomnient.
2" A qui te frappe sur une joue,
présente aussi l'autre;
et à qui te prend le manteau,
ne refuse pas non plus la tunique.
*° A quiconque te demande donne,
et à qui prend ce qui t'appartient ne réclame pas.
rapport avec les prescriptions mosaïques dont la relation de Mat-
thieu les présente comme le perfectionnement . La reprise : « Mais je
dis à vous qui écoutez » (àXXà u[iïv li^w toiç àxououffiv) peut être, mais
elle n'est pas nécessairement un écho involontaire de la formule :
« Vous avez entendu qu'il a été dit » (■'qy.oùaxtz ô'ti èppÉûv), Mt v, 38,
43). D'ailleurs, l'opposition établie entre la morale juive et la morale
chrétienne devait être assez déplaisante au rédacteur, qui ensei-
gnerait plutôt ridenlité ; si Luc avait ici au moins une partie des
antithèses qui sont dans Matthieu, le rédacteur a mieux aimé les
supprimer (xvi, 17-18, en est un débris qu'il aura transposé en fai-
sant valoir la permanence de la Loi). Le discours, tel qu'il est cons-
truit maintenant, contient, après les béatitudes et les malédictions,
une partie gnomique (vi, 27-88) et une partie parabolique (vi, 39-49),
distinguées chacune par une courte formule d'introduction, apos-
trophe aux auditeurs pour la première, remarque du narrateur
pour la seconde.
Ramenant à l'idée de" charité les préceptes de l'abnégation, l'évan-
géliste commence par prescrire l'amour des ennemis : — « Aimez
vos ennemis » ; — mais il ne se borne pas à recommander, avec
Matthieu (v, 44) > ^^ prier pour eux, il prescrit d'abord deux autres
actes de charité, la bienfaisance et la bénédiction : — (f faites dii bien
à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent », —
empruntés peut-être à la parénèse chrétienne (cf. Rom. xii, 14 ; I
Cor. IV, 12 ; I PiER. [I, 23). — « Priez pour ceux qui vous calomnient ».
— Matthieu (v, 44) • << pour ceux qui vous persécutent ».
Ainsi sont amenées les sentences concernant la façon de supporter
les mauvais traitements et les exigences d'autrui. — « A qui te frappe
sur une joue, présente aussi l'autre ». — Matthieu (v, 39): « Si quel-
qu'un te soufflette à la joue droite ». Notre évangélistea pu penser
que l'insulteur, se servant de la main droite, frapperait plutôt la joue
gauche pour commencer ; mais peut-être aussi n'a-t-il fait que suivre
LUC, VI, 31-33 205-
3^ Et comme vous voulez que vous traitent les hommes,
Ainsi traitez-les.
32 Et si vous aimez ceux qui vous aiment,
quel gré vous en est-il?
Aussi bien les pécheurs
aiment ceux qui les aiment.
3^ Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font,
quel gré vous en est-il'?
Aussi bien les pécheurs
de même font.
la source, — « Et à qui te prend le manteau ne refuse pasla tunique ».
— Dans Matthieu (v, 4o) il s'agit d'un plaideur qui réclame la tunique
et à qui l'on devrait abandonner aussi le manteau, sans autre con-
testation. Notre évangile met en scène un voleur, et peut-être a-t-il
gardé la leçon originale ; car une pièce d'habillement quotidien est
plutôt matière de vol que de procès ; mais le voleur commence natu-
rellement par prendre le manteau, l'habit de dessus, et il est recom-
mandé de lui abandonner aussi la tunique, l'habit de dessous ;
Matthieu prend l'ordre inverse, afin de mettre en dernier lieu la con-
cession la plus importante. — « Donne à quiconque te demande, et à
qui te prend ce qui esta toi, ne réclame pas ». — Le second membre de
cette sentence est autrement conçu dans Matthieu (v, 42 ; v, 41, aura
été omis commecastrop spécial): «ne repousse pas qui veut emprun-
ter de toi )) ; toutefois l'idée primitive est qu'il faut prêter sans espoir
ni volonté d'être remboursé (cf. vi, 35).
Après ces sentences, notre auteur introduit la règle qui doit gou-
verner dans la pratique la conduite envers le prochain : — « Et comme
vous voulez que les hommes vous traitent, ainsi traitez-les vous-
mêmes )). — C'est une sentence indépendante, et Matthieu (vu, 12) ne
la rapporte que plus loin, en conclusion de la leçon sur les pi'ières de
demande. Elle sert ici de transition pour rejoindre la suite de l'ins-
truction sur la charité, coupée par l'insertion des sentences précé-
dentes (vi, 29-80). Mais la réflexion : « Et si vous aimez ceux qui vous
aiment », etc., ne laisse pas de se rattacher plus naturellement à ce
qui a été dit plus haut(vr, 27-28) de l'amour des ennemis, car le pré-
cepte de traiter les autres comme on veut être traité n'a rien de spé-
cialement évangélique ; c'est une règle de commune sagesse, et qui,
expi'imée en forme positive ou négative (on traite volontiers de rabbi-
nique celle-ci : « ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez.
206 LUC, VI, 34
3* Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir,
quel gré vous en esl-il?
Aussi pécheurs à pécheurs prêtent
pour recevoir l'équivalent.
pas qu'on vous fasse r>, qui revient au même), contient une morale
intéressée, ou, poarle mieux, desimpie bon sens (cf. Bultmann., 6is).
« Et si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en est-il ? »
— Le gré (^apt;) que l'on n'a pas à attendre, quand on n'aime que ses
amis, estcelui de Dieu, c'est-à-dire sa faveur, en sorte que la formule
de notre auteur équivaut à celle de Matthieu (v, 46) : « Quelle récompense
avez-vous » à prétendre? Le mot « récompense » (jjucrOo'ç) sera utilisé
plus loin (vi, 35). — « Aussi bien les pécheurs aiment ils ceux qui les
«iment » . — L'auteur substitue ici « les pécheurs » aux « publicains »
(Mt. V, 46), et dans le verset suivant aux « païens », afin d'écarter
des expressions qui laissent transparaître quelque chose du mépris
juif pour tout ce qui n'est pas israélîte. — • « Et si vous faites du
bien à ceux qui vous en font». — Le bienfait aux bienfaiteurs
remplace la salutation aux frères (Mt. v, 47)> pour ajustement à la
sentence touchant ce qu'on doit faire aux autres (vi, 3i), et peut-être
parce que la salutation n'avait pas pour notre évangéliste la même
importance que pour le premier auteur de cette leçon. — « Quel gré
vous en est- il ? Aussi bien les pécheurs font-ils de même ». — Pour
l'équilibre de sa rédaction, l'évangéliste ajoute une référence à cequ'il
a ditplus haut (vi, 3o), assez obscurément, du prêt. — «Et si vous
prêtez à des gens dont vous attendez remboursement, quel gré vous
en est-il ?» — Si l'on prête à qui. doit rendre, nul mérite. — « Ainsi
prêtent pécheurs à pécheurs pour recevoir l'équivalent ». — Le mot
de « pécheur » sonne un peu faux en ce cas, vu que le prêt sans inté-
rêt est de droit entre Juifs, sans être une coutume de « pécheurs » ,
publicains ou païens. Cet exemple a donc été modelé par notre
auteur sur les précédents, pour référence à ; « Donne à qui te
demande », etc. (vi, 3o), comme les deux premiers exemples (vi, 3*2-
33) se réfèrent à : « Aimez vos ennemis, faites du bien » etc. (vi, 2^,
3i) ; mais il est très curieux que le prêt ne se trouve expressément
mentionné que dans Matthieu (v, 42) ; sans s'en apercevoir, notre
auteur, se réfère ici à la source plutôt qu'à son propre texte (vi, 3o).
Enfin, pour recueillir ce qu'on lisait d'abord dans la soui'ce (cf. Mt.
v,45) touchant la nécessité de Tamour des ennemis chez ceux qui veu-
lent être les enfants d'un Dieu bon, notre évangéliste résume toute
l'instruction clans la triple recommandation d'amour des ennemis, de
LUC, VI, 3B 207
35 Mais aimez vos ennemis,
et faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour ;
et votre récompense sera grande,
et vous serez fils de Très-Haut,
parce qu'il est bon pour les ingrats et les méchants.
bienfaisance, de prêt sans retour, qui justifient la récompense céleste
et valent à ceux qui les pratiquent la qualité de « fils de Très-Haut ».
— « Mais aimez vos ennemis ». '■ — L'artifice de cette reprise est sen.9ible
dans la répétition. — « Faites du bien et prêtez sans rien attendre en
retour ». — La formule qui est ici traduite : « n'attendant pas de
retour » (fx-^Sèv aTreXTiîÇovTe;), a été diversement interprétée. Le sens
qui vient d'être indiqué paraît exigé par le contexte ; mais, d'après
l'usage de la langue hellénistique, on traduirait plutôt : « sans perdre
l'espoir » (niss. latins, « nihil desperantes », d'ôîi procède par voie
d'altération la leçon de la Vulgate : « nihii inde sperantes » ; la leçon
du ms. S, pi/fioÉva àTreXTcîÇovTeç, « ne désespérant personne », ou « ne
désespérant de personne », supposée aussi par Ss., donne un sens qui
ne cadre pas avec le contexte). On devrait entendre que, même sans
garantie de retour, il faut aimer, faire du bien, prêter, sans s'imaginer
que tout cela ne sert à rien, la récompense, qu'on n'a pas à attendre
des hommes, étant assurée du côté de Dieu. Mais l'idéeserait énon-
cée bien subtilement et obscurément ; de plus, une invitation à ne
pas désespérer de Dieu paraît supertlue et presque choquante. « Prê-
ter sans espoir » s'oppose à « prêter avec espoir de restitution » (vi,
34). Ou bien notre auteur emploie le mot dans un sens rare ou en le
détournant de sa signification ordinaire, et il lui fait signifier « espé-
rer », ou bien le texte a subi quelque altération (on a proposé de lire
àvTsXTc'ÇovTEç ; mais il n'est peut être pas nécessaire de .corriger le
texte).
La suite : — a Et votre récompense sera grande », — reprise de la.
dernière béatitude (vi, 23), se comprend si l'on vient d'énoncer les
conditions de la rémunération éteimelle, et ne fait pas contraste à l'hy-
pothèse du désespoir ; dans ce dernier cas, l'on attendrait : « Car votre
récompense sera grande ». — ^, « Et vous serez fils de Très -Haut, parce
qu'il est bon pour les ingrats et les méchants ». — Tandis que, dans
Matthieu (v, 45), l'on est invité à devenir, à se montrer fils de Dieu
par l'imitation du Hère céleste, la filiation divine semblerait ici un bien
promis avec la récompense, une dignité analogue à celle des anges,
mais cette apparence est due à la combinaison rédactionnelle, et la
208 LUC, VI. 36
^^ Devenez miséricordieux
comme votre Père est miséricordieux.
phrase laisse entendre aussi bien que la filiation divine est acquise
par imitation de celui qui est bon pour les ingrats et les méchants ;
ce n'est donc pas en vertu de la récompense qu'on devient fils de
Dieu, on l'est quand on aime ses ennemis et qu'on leur fait du bien,
parce que l'on ressemble ainsi au Dieu de miséricorde. A la formule
juive :« le Père qui est aux cieux », l'auteur substitue « Très-Haitt »
(cf. 1.32, 35, 76), appellation qui présente le double avantage d'appar-
tenir au langage de l'Ancien Testament et à celui du monde hellé-
nique (Zeùç [OeôçJ i)']>i<ïToc). Il emploie de même la qualification pure-
ment morale : (( qui est bon pour les ingrats et les méchants »,au lieu
de la formule imagée : « qui fait lever son soleil », etc. (Mï. v, 45),
trop simple peut-être pour son goût, mais certainement primitive. Du
reste, la mention des a ingrats » (à^^aptarouç) peut être en rapport avec
ce qui a été dit plus haut (vi, 35) de la bienfaisance et du prêt sans
espoir de réciprocité (Klostermann, 445)- ' ^
« Devenez miséricoi'dieux comme votre Père est miséricordieux ».
— Matthieu (v, 4^) dit « parfaits » (-céXeioi ; cf. xix, 21), conformément à
son idée de la parfaite justice ; notre évangéliste, en disant ; « misé-
ricordieux )) (olKTi'pp.ov£s), a retenu l'idée, sinon le mot, delà source. La
réflexion : « Devenez miséiùeordieux », etc., n'est pas seulement la
conclusion de ce qui précède, mais encore et plutôt même le principe
sur lequel se fondent les recommandations suivantes (vi, 37-38), éga-
lement relatives à la charité du prochain. Cette liaison a chance d'être
primitive, et Matthieu l'a rompue par l'intercalation d'autres sentences
(Mt, vi). Autant qu'on en peut juger par la comparaison des deux
évangiles, l'instruction sur l'amour des ennemis était ainsi disposée
dans la source : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous
persécutent, afin de devenir fils de votre Père, parce qu'il fait lever
son soleil sur bons et méchants, et pleut sur justes et injustes. Car si
vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en avez-vous?
Est-ce que même les publicains n'en font pas autant ? Et si vous
saluez vos frères seulement, que faites-vous d'extraordinaii*e ? Est-ce
que même les païens n'en font pas autant ? Soyez donc miséricor-
dieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas » etc.
« Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ». 1— Matthieu (vu, i ) :
« afin que vous ne soyez pas jugés », et la i-ecommandation se justifie
naturellement dans le premier évangile par deux proverbes : qui
juge est jugé ; à la mesure dont il use, chacun est mesuré. Le texte
LUC, VI, 37-38 209
'^ Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ;
ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés ;
pardonnez, et vous serez pardonnes ;
®8 donnez, et l'on vous donnera,
Bonne mesure, serrée, tassée, débordante,
on versera dans votre sein ;
car avec la mesure dont vous mesurez, mesure vous sera ren-
[due. »
de Luc resseimble à une paraphrase. La condamnation se joint au
jugement comme acte contraire à lajmiséricorde, laquelle est la vraie
loi de l'homme et la nature de Dieu. — « Ne condamnez pas, et vous
ne serez pas condamnés ». — Quand même on ne songerait pas, en
réalité, à une sentence de justice, que l'auteur ne semble pas avoir en
vue, l'idée d'une décision judiciaire, fondée'sur la loi, introduit dans
la leçon une complication imprévue et embarrassante.
Les grands devoirs de charité viennent ensuite et sont présentés
eomme une condition de la faveur divine. — « Pardonnez, et vous
serez pardonnes ; donnez, et il vous sera donné ». — La récompense
promise à qui pardonne efà qui donne s'entend delà part de Dieu, non
de la part des hommes. Dieu seul peut rendre, avec la générosité qu'on
va dire, le pardon et l'aumône. Il|n'est pas vrai, et l'évangéliste n'a
pas voulu dire que les hommes rendent toujours, et surabondam-
ment, le bien qu'on leur fait ; l'on doit, au contraire, leur faire du
bien sans rien attendre d'eux en retour. — « Bonne mesure, serrée,
tassée, débordante, on versera dans votre sein ». — Par le sein il faut
entendre les plis de la tunique. Ainsi l'auteur a en vue une mesure
de contenance et non une règle de longueur, qui était le genre de
mesure visé dans la source (cf. Mt. vu, a). — « Car, selon la mesure
dont vous mesurez, il vous sera rendu mesure ». — Influence probable
de Marc (xv, 24-25) : « Avec la mesure dont vous mesurez, il vous
sera mesuré, et il vous sera surajouté, car à qui a l'on donnera », etc.
Mais cette comparaison d'une mesure de contenance s'accorde mal
avec l'idée de jugement. Elle appartient d'ailleurs à la sagesse juive
-(cf. Lagrange, 198).
, Avant d'amener la comparaison du fétu et de la poutre, qui, dans
Matthieu (vu, 8-5), fait une suite naturelle à la leçon des jugements,
notre évangéliste introduit d'abord celle de l'aveugle qui se fait
guide d'un autre aveugle, et celle de l'élève et du maître, que
Matthieu (xv, i4 ; x, 24-25) rapporte dans un autre contexte, appli-
•A. LoisY. — L'Évang-ile selon Lue. i4
210 LUC, VI, 39-40
8" Or il leur dit aussi une parabole :
« Aveugle peut-il aveugle conduire ?
Les deux en fosse ne tomberont-ils pas?
*° Il n'est pas de disciple au-dessus du maître ;
tout (disciple) bien formé sera comme son maître,
quant aux docteurs du pliarisaïsme la comparaison de l'aveugle, et
celle de l'élève et du- maître aux disciples, de Jésus, qui ne doivent
pas s'attendre à être mieux traités que lui. Du fait que les rédactions
évangéliques ont exploité comme des paraboles, en y attribuant des
sens discordants^ deux proverbes populaires, on pourrait inféi^er que
les proverbes ont été tout simplement utilisés par la tradition pour
enrichir de manière ou d'autre l'enseignement de Jésus. Soit qu'il
n'ait pu trouver de meilleur endroit pour les loger, soit qu'il en ait
eu besoin pour rattraper la suite des idées qu'il avait lui-même
rompue par son interprétation de la« mesure », notre auteur a voulu
établir un rapport entre l'homme à la poutre, qui se mêle de soignei*
l'homme au fétu, et l'aveugle qui se mêle d'en conduire un autre ;
il s'est dit ensuite qu'un aveugle, mené par un aveugle, un ignorant à
l'école d'un ignorant, n'arriverait jamais àinen savoir, d'après lepro-
vex'be qui dit que l'élève n'en sait pas plus que le maître. Ce n'est
plus d'hypocrisie, mais .d'impuissance qu'il s'agirait chez l'homme à
la poutre qui veut secourir l'homme au fétu. Tout cela est passa-
blement artificiel et mal venu. La formule d'introduction : — « Et il
leur dit aussi une parabole », — qui semble vouloir couvrir la mani-
pulation rédactionnelle, la trahit plutôt en faisant ressortir davan-
tage la séparation opérée entre la défense déjuger et la métaphore
du fétu et delà poutre.
« Est-ce qu'aveugle peut conduire aveugle ? Ne tomberont-ils pas
tous deux en fosse ?» — Pour être plus oratoire la forme de la sen-
tence n'est peut-être pas plus conlortoe à la source que Matthieu :
« Mais si aveugle conduit aveugle, tous deux tombent en fosse ». —
« Le disciple n'est pas au-dessus du maître ». — Matthieu, probable-
ment d'api'ès la source, ajoute : « ni le serviteur au-dessus de son sei-
gneur ». — « Mais tout » disciple « accompli sera comme son maître».
— On a proposé de traduire (en pi'enant w.; adverbialement) : « mais
tout à fait accompli, il sera comme sonroaîti'e » (Klostermann, 446),
car il ne saurait le dépasser. La sentence ainsi comprise n'est pas
d'une vérité indiscutable, et le sens de Matthieu est mieux dans le
courant de la commune sagesse. Matthieu : « Il suffit au disciple de-
LUC, VI. 41 42 211
*i Pourquoi regardes-lu le fétu qui est en l'œil de ton frère,
mais la poutre qui est en ton œil lu ne remarques pas ?
*2 Clomment peux- tu dire à Ion frère :
« Frère, laisse-moi ôter le fétu qui est en Ion œil »,
quand à la poutre qui est en ton œil tu n'as point regard?
Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton œil;
et alors tu verras à ôter le fétu qui est dans l'œil de ton frère.
devenir comme son maître, et que le serviteur soit » traité « comme
son seigneur ». Notre auteur n'a retenu que la comparaison du dis-
ciple et du maître, parce que celle du serviteur et du seigneur n'aurait
pu s'accorder avec la comparaison des deux aveugles. Le sens ne
doit pas être que Je docteur chrétien ne peut avoir autorité que par
une pleine conformation à son maître Jésus : idée un peu subtile, que
ne suggère point le texte et que le contexte ne favorise pas.
« Or, pourquoi regardes-tu le fétu qui est dans l'oeil de ton frère,
tandis que tune i-emarques pas la poutre qui est dans ton œil ?» —
L'homme à la poutre est ici un aveugle qui veut conduire moins
aveugle que lui, et un maître qui aurait plutôt besoin de se faire dis-
ciple. — « Gomment peux-tu dire », — Matthieu (vu, 3) : « com-
ment diras-tu », comment oseras-tu dire, — « à ton frère : « Frère, laisse-
moi ôter le fétu qui est dans ton œil », sans regarder la poutre qui
est dans ton œil ?» — Matthieu : « pendant que la poutre est dans
ton œil ?» — « Hypocrite », etc..
La comparaison de l'arbre et du fruit suit assez naturellement ;
mais notre auteur paraît avoir mis au commencement (vi, 43) une
explication qui, dans la source (cf. Mt. vit, i6-i8), venait mieux à la
fin delà sentence. L'avantage qui résulte de cette transposition pour
la liaison des pensées dans le discours est plus «apparent que réel.
— «Car il n'est pas bon arbre qui produise mauvais fruit, ni non
plus mauvais arbre qui produise bon fruit ». — Résumé de ce qu'on
litén Matthieu (vu, 17-18), d'après la source : « Ainsi tout bon arbre
produit bon fruit », etc. : « bon artore ne peut porter mauvais
fruit », etc. — « Car chaque arbre se reconnaît à son fruit ». — C'est
la proposition générale qui, dans la source, devait se lire entête de la
sentence (cf. Mt. xii, 33) : « Au fruit on reconnaît l'arbre ». Encore
un proverbe que Jésus n'a certainement pas inventé et quia pu n'être
utilisé qu'après lui en thème de sentence évangélique. — «Car on ne
cueille pas figues sur épines, ni ne vendange raisin sur buisson ». —
Matthieu (vu, 16) ; « Est-ce que l'on cueille l'aisins sur épines, ou
212 LUC, Yi. 43-40.
*3 Car il n'est arbre bon qui porle fruit mauvais,
ni non plus arbre mauvais qui porte fruit bon.
** Chaque arbre, en effet, à son fruit se reconnaît ;
car ce n'est pas sur épines que l'on cueille tigues,
ni sur ronces que raisin l'on vendange.
*^ L'homme bon, du bon trésor du cœur, produit le bien,
et le méchant, du mauvais, produit le mal ;
car c'est du plein du cœur que parle sa bouche.
^« Mais pourquoi m'appelez-vous :
« Seigneur, Seigneur »,
et ne faites-vous pas ce que je dis ?
figues sur l'onces ? » Ce doit être la leçon originale. — « L'homme
bon», — comme le bon arbre, — « du bon trésor ,du cœur, produit
le bien ». — Par la suite il apparaît que le bien en question est la
parole sincère, vraie, bonne et bienfaisante. En réalité, le rapport de
cette sentence avec la comparaison des deux arbres n'est pas tx'ès
étroit, et son rapport est plutôt négatif avec la remarque suivante
(vi, 46), où l'on oppose les paroles aux actes. — « Et le méchant, du
mauvais » — fonds de son cœur — « produit le mal ; car c'est de
l'abondance du cœur », — pour la manifestation des sentiments
dont son cœur est plein, — «que parle sa bouche ». — Cette der-
nière sentence, en la forme qu'y donne Matthieu (xii, 34 : « La
bouche parle de l'abondance du cœur », pourrait bien être aussi un
proverbe, dont la réflexion (Mt. xii, 35) : « L'homme bon tire de
bonnes choses du bon trésor», etc., serait le commentaire. La source
commune semblerait avoir placé sentence et commentaire dans notre
discours après la comparaison des deux arbres. '
« Or, pourquoi m'appelez-vous : « Seigneur, Seigneur », etnefaites-
vous pas ce que je dis ?» — Abrégé, ou peut-être forme primitive
de ce qu'on lit au même endroit dans Matthieu (vu, 21) : « Ce n'est
pas tout homme qui me dit :.« Seigneur, Seigneur», qui entrera dans
le royaume des cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui
est aux cieux ». Notre évangéliste lisait probablement au même
endroit l'équivalent de ce ' qu^on trouve ensuite dans Matthieu
(vu, aa-aS) : « Beaucoup me diront en ce jour-là », etc. ; mais il
semble avoir estimé que le morceau ne s'adaptait pas bien au con-
texte ; c'est pourquoi il aura résumé et modifié le commencement,
transposé le reste (xiii, 26-a^). Cependant il n'y avait pas désaccord
de fond avec le contexte : des pai'oles hypocrites sortent d'un cœur
LUC, VI, 47-49 213
*' Quiconque vient à moi,
écoule mes paroles
et les pratique,
je vais vous montrera qui il est semblable.
*^ II est semblable à homme bâtissant maison,
• qui a creusé, est allé à fond
et a posé fondement sur le roc :
or, inondation étant survenue,
le torrent s'est rué sur celte maison,
et il n'a pu l'ébranler,
parce qu'elle était bien bâlie, '
*^ Mais celui qui écoute
et qui ne pratique pas
est semblable k l'homme qui a bàli maison sur la lerre
sans fondement;
sur elle s'est rué le lorrent,
et aussilôt elle s'est écroulée,
et la ruine de eetle maison fut grande.
fourbe, et ce cas ne contredit pas réellement le principe établi plus
haut. Le raccourci de l'évangélisle n'est plus qu'une transition
brusque et insuffisante à la comparaison des deux maisons, où l'on
explique le sort de ceux qui pratiquent la parole entendue et de ceux
qui ne la pratiquent pas. Noter que, dans l'ensemble du passage,
comme il se lisait dans la source, l'on fait parler Jésus en juge de toxis
les hommes ; c'est donc la foi des premiers chrétiens qui jette ainsi
un coup d'œil rélrospeclif sur son ministère (Bultmann, 70/.
« Quiconque vient à moi, entend mes paroles », — Matthieu (vu,
24) : « Quiconque donc entend ces miennes paroles » — « et les
pratique, je vous montrerai à qui il ressemble : il est semblable à
Tin homme bâtissant une maison, qui a creusé très à fond et qui a
posé le fondement sur le roc ». — Matthieu, plus simple et plus pri-
mitif : « sera comparable à un homme sage qui a bâti sa maison sur
le roc ». Encore l'épithèle « sage », comme plus loin celle de « fou »,
qui n'ont pas de pendant chez Luc, et qui sont superflues, pourraient-
elles avoir été ajoutées par le rédacteur évangélique ([j.topo;ne se ren-
contre dans aucun autre évangile ; cppdvi[ji.o; est aussi plus familier à
Matthieu qu'à Luc) ; — « or, une inondation étant survenue, le tor-
rent s'est rué sur celte maison, et il n'a pu rébranler, parce qu'elle
214 LUC, VII, 1
"^'^ Lorsqu'il eul achevé loules ses paroles
aux oreilles du peuple,
il entra à Gapharuaûni.
était bien bâtie ». — Matthieu (vii, aS) : « la pluie est tombée, les
torrents sont venus, les vents ont soufflé, ils se sont précipités sur
cette maison, et elle ne s'est pas elïondrée, car elle était l'ondée sur
le roc )). — « Mais celui qui entend et qui ne pratique pas », — Mat-
thieu (vu, 26) : « Et quiconque entend ces miennes paroles et ne les
pratique pas», — « est semblable à un homme qui a bâti sa maison
sur la terre, sans (ondement, » ; — Matthieu : « sera comparable à
un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable » ; — « le toi-rent
s'est rué sur elle, et aussitôt elle s'est écroulée » ; — Matthieu (vir,
27), circonstancié parallèlement au premier cas : & la pluie est tom-
bée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé, ils se sont rués sur
cette maison, et elle s'est effondrée» ; — « et ce fut grande ruine
que celle de cette maison-là », — Matthieu : « et ce l'ut grande chute
que la sienne ». Notre évangéliste a pensé au débordement d'un
fleuve, tandis que Ion voit dans Matthieu, sans doute d'après la
source, les torrents subitement grossis, comme il arrive souvent en
Palestine.
Cette double parabole, qui a été choisie pour servir de conclusion
au discours, a toute chance en eflet d'avoir une origine palestinienne
et rabbinique. On en cite deux toutes semblables qui sont attribuées
à Elisha ben Abuya (vers l'axi i3o de notre ère. Fiebig, Die Gleich-
nisreden Jesu, 1912, pp. 81-82). Ces paraboles et les nôtres sont assez
ressemblantes pour qu'on leur attribue une origine commune. Mais
il est probable que c'est le premier compilateur du discours dit sur la
montagne, et non Jésus, qui aura puisé dans la tradition rabbinique.
XXI. Le centurion de Gapiiarnau
M
La transition qui, dans la source commune, rattachait au discours
l'histoire du centurion de Capharnaum a été mieux gardée dans Luc
que dans Matthieu, qui d'ailleurs a intercalé en cette place la guérison
du lépreux. Notre évangéliste n'a dû y reloucher que quelques mots
pour rada])tation à son style et au cadre nouveau du discours. —
« Après qu'il eut fini de faire entendre ses paroles au peuple ». —
littéralement : « achevé ses paroles aux ouïes du peuple » — « il entra
à Gapharnaiim ». — On se rappelle que, dans la source, le discours
LUC, VII, 2 215
^ Or de certain centurion un serviteur malade s'en allait
[mourir,
qui lui était cher.
devait plutôt s'adresser aux disciples et que c'est une leçon générale
-de morale chrétienne. On doit entendre par peuple la masse des
Juifs,, qui a entendu le Christ et que l'évangéliste oppose mentale-
ment aux païens, dont Jésus a réalisé le salut sans aller auprès
d'eux, le salut des païens dans ces conditions étant figuré par le
miracle qui va être raconté. Ce rapport a dû être perçu déjà dans la
source, et c'est même sur cette idée que le récit de miracle paraît avoir
été construit d'abord, c'èst-à-dire de la même façon, sur le même
type, dans le môme sens (cf. Bultmann, 20) que l'anecdote de la
femme syrophcnicienne dans Marc (vu, 24-3o) et dans Matthieu
(xv, 21-28).
La forme originale du récit a été beaucoup mieux conservée dans
Matthieu (viii, 5-i3), où le centurion lui-même intervient pour
demander la guérison de son fils, tandis que dans notre évangile le
centurion ne traite avec Jésus que par intermédiaire et eh faveur
d'un esclave qu'on dit lui être cher. Pour ce dernier point la
variante résulte de l'interprétation, probablement fausse, donnée au
mot « enfant» (Tiaïç), mais- le changement de la mise en scène a été •
voulu. — « Or certain centurion », — sûrement païen, et que J'on
suppose volontiers à la solde d'Antipas, mais plutôt romain, la fic-
tion ayant été d'abord conçue sans égard à la domination d'Antipas
en Galilée, — « avait un serviteur malade, sur le point de mourir, qui
lui était cher ». — A la lettre « précieux » (hni^Loç). C'est par celte
affection que notre auteur veut expliquer l'intérêt particulier que le
centurion prend à la guérison de son serviteur. Dans le récit ori-
ginal, les détails nécessaires sur la maladie étaient donnés par le
centurion même parlant à Jésus, Matthieu (vu, 6) : « Mon garçon est
couché à la maison, paralysé, et il soufire horriblement. » Les traits
dé notre récit sont plus vagues, et celui de la mort imminente est
emprunté à l'histoire de la fille de Jaïr (cf. vin, 42) ; il vient d'ailleurs
beaucoup moins pour le relief du miracle que pour ménager une sorte
de gradation dans les péricopes qui vont se succéder. Notre récit, en
effet, montre un homme sur le point de mourir, qui va être guéri ;
suivra un mort, le fils de la veuve, qui sera ressuscité ; après quoi,
Jésus dira aux envoyés de Jean que les morts ressuscitent à sa voix .
La combinaison n'est pas fortuite; c'est pourquoi il pai'aît possible
^ue la substitution du serviteur au fils ait été voulue par l'évangéliste.
216 LUC, VII, 3-5
•Ayant entendu parler de Jésus,
il députa vers lui les anciens des Juifs,
le priant
de venir sauver son servileur.
* Et eux, arrivés^près de Jésus,
le priaient instamment,
disant : « Il est digne que tu lui accordes cela ;
• car il aime notre nation,
et c'est lui qui nous a bâli la synagogue. »
qui se contenterait ici d'un serviteur guéri, parce qu'il va présenter-
aussitôt un fils ressuscité, le second miracle étant en quelque façoa
dédoublé du premier. Mais on croira difficilement que Luc se soit
livré à tous ces enfantillages : le remaniement du présent récit et
l'invention du miracle de Naïn doivent être imputés au rédacteur
évangélique.
« Et ayant entendu parler de Jésus, il dé[mta vers lui les anciens-
des Juifs, le pi'iant de venir sauver son serviteur». — Au lieu de
solliciter lui-même auprès de Jésus la guérison de son malade, le
centurion délègue les anciens de la synagogue, les personnes les plus
notables de la communauté, pour le prier de venir : cette requête est
en conti'adiction avec les sentiments que l'officier va témoigner dans
quelques instants par l'organe" de ses amis, mais elle correspond à
l'intention que Jésus témoignait dans lei'écit original (cf. Mt..viii, 7),
avant que le centurion lui dit d'opérer la guérison sans prendre la
peine de se déranger.
« Et ceux-ci, étant venus trouver Jésus, lé priaient instamment,
disant : « Il mérite que tu fasses cela jiour lui w. — Pour décider Jésus,
les anciens allèguent les services rendus à la communauté juive par
celui qui les envoie. — « Car il aime notre nation «, — bien que païen,
— « et c'est lui qui nous a bâti la synagogue ». — Inutile de chercher
s'il y avait une ou plusieurs synagogues dans là ville. Le centurion a
bâti la synagogue de Capharnaûm : il ne faut pas demander si la ville
n'en possédait pas auparavant, ni comment la charité d'un centurion
a pu être indispensable pour une telle oeuvre dans un milieu israélile.
En tant que marque de bienveillance pour le^ Juifs, le trait n'est
point invraisemblable (cas d'une synagogue bâtie à Athribis eu
Egypte avec le concours du chef de la polic^ ," cité Klostbrmann,
449)- Ce centurion ami des Juifs ressemble beaucoup au centurion
Cornélius des Actes, dont notre rédacteur dira tant de bien (Act. x,,
LUC, VII, 6-8 217
• Et Jésus allait avec eux,
Mais, comme déjà il n'était plus loin de la maison,
le centurion envoya des amis
lui dire : « Seigneur,. ne prends pas peine ;
car je ne suis pas digne que sous mon toit lu entres ;
' c'est pourquoi Je ne me suis pas même permis d'aller à toi ;
mais dis un mot, et que soit guéri mon garçon. »
8 Aussi bien suis-je, moi, homme en sous-ordre,
ayant sous moi soldats ;
et je dis à celui-ci :
« Va », et il va;
à un autre : « Viens », et il vient ;
à mon serviteur : « Fais ceci », et il le fait, »
a). Cornélius aussi enverra quérir Simon-Pierre et n'ira pas le cher-
cher. Si notre centurion fait de même, c'est peut-être que ce païen,,
et non seulement son serviteur, figurant la gentilité, ne doit pas se
trouver en contact immédiat avec le Christ ; car ce n'est pas pour
faire valoir aux dépens de la vraisemblance l'humilité du centurion,
que l'évangéliste l'a retenu chez lui. Et si l'on pai'le des anciens et de
la synagogue, ce peut être à cause du chef de synagogue Jaïr
(cf. viiï, 40> 1® récit qui le concerne ayant été exploité par notre
rédacteur pour l'élaboration de celui-ci. -r- « Et Jésus alla avec eux »,.
— comme Pierre suivra les envoyés de Cornélius (Agt. x, ao-aS).
« Or, comme il n'était déjà plus loin de la maison, le centurion
envoya des amis, lui disant : « Seigneur, ne prends pas de peine». —
Le second message correspond à celui que reçoit Jaïr pendant que
Jésus se l'end avec lui à sa maison, et un mot caractéi'istique (ici,
[/.Tj ffxuXXou ; VIII, 49j [J.T15CETI ffxûXXs Tov StSûcffxaXov) a été transposé de
l'histoire de Jaïr dans celle du centurion. Ainsi le cenlurion, après
avoir prié Jésus de venir chez lui, l'arrête à proximité de sa maison.
— « Gar'je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. C'est pour
cela que je ne me suis pas permis de venir te trouver moi-même. »
— Et donc les amis répètent pour le compte du centurion, s'excu-
sant de ne pas venir lui-même prier Jésus de ne pas entrer chez,
lui, ce que le centurion dit pour son propre compte dans Matthieu.
— « Mais dis un mot, et que mon garçon », — mot de la source (TraTç)^
retenu ici, — « soit guéri ; aussi bien suis-je, moi, un homme en sous-
ordre, »etc. — Pourquoi ce discours, essentiellement personnel, est-il
prononcé par d'autres avec une glose de celui qui les envoie ? Que
■.218 LUC, VII, 9-10
^ Et entendant cela, Jésus fui en admiration pour lui,
et se tournant vers la foule qui le suivait,
il dit : « Je vous dis,
même en Israël je n'ai pas trouvé pareille foi. »
^° Et s'en étant retournés à la maison,
les envoyés trouvèrent le serviteur guéri.
signifient ces deux ambassades derrière lesquelles se dérobe celui
qui reste, malgré tout, le principal personnage de l'histoire ? Con-
çoit-on que, si soucieux de ne pas déranger Jésus, le centurion semble
tenir encore plus à ne pas se déranger lui-môme, el que Jésus
admire tant un homme qui ne veut pas le voir ? On chercherait en
vain dans des conjectures historiques la clef de cet imbroglio qu'une
combinaison rédactionnelle et symbolique, reconnaissable dans le
texte même, explique sans difficulté. Pas n'est besoin même d'une
source particulière ou d'un document écrit, qui auraient fourni les
déta,ils propres à notre récit. Ces additions peuvent être aussi bien
l'œuvre du rédacteur lui-même, s'inspii'ant de l'histoire de Jaïr, et
préludant à celle de Cornélius. Du reste, on ne saurait s'autoriser de
ces particularités pour voir dans le centurion de Capharnaûm un
doublet de Jaïr; mais l'hypothèse de deux récits jumeaux qui
auraient été originairement eu rapport, l'un avec la conversion
des Juifs, l'autre avec la conversion des Gentils, pourrait n'être pas
à écarter,
« Et entendant cela, Jésus fut pris d'admiration pour lui, et se tour-
nant vers la foule qui le suivait », — Matthieu (vu, ii), simplement :
« et il dit à ceux qui le suivaient », — «il dit : « Je vous dis, même en
Israël », — où Jésus sans doute a trouvé de la foi ; nuance plus favo-
rable que dans Matthieu : « Chez personne en Israël » etc. —
« je n'ai pas trouvé pareille foi ». — Et » — sans autre garantie, —
(( étant retournés à la maison, les envoyés trouvèrent le servi-
teur en bonne santé», — Matthieu fvir, i3) : « Et Jésus dit au
Centurion: «Va, qu'il t'arrive selon que tu as cru». Et l'enfant fut
guéri à cette heure». Ainsi finit l'histoire de la cananéenne (xv, 28 ;
cf. Me. VII, ag-So). Mais ce n'est pas motif pour supposer que le récit
n'avait pas de conclusion dans la source et que les deux évangélistes
ont suppléé à cette lacune chacun de son côté. Une conclusion était
indispensable, et Matthieu a pu d'autant plus facilement y conformer
la conclusion de la cananéenne, que les deux histoires avaient le
même sens. Notre évangéliste ne pouvait garder la conclusion qu'a
retenue Matthieu, le centurion n'étant pas là poui* entendre l'assenti-
LUC, VII, 11 219
^^ El advinl ensuite
qu'il se rendit à une ville appelée Naïn ;
et faisaient route avec lui ses disciples et foule nombreuse.
ment de Jésus à sa requête ; et c'est pour un motil analogue qu'il fait
-constater la guérison par les envoyés du centurion, au lieu de dire
qu'elle s'accomplit à la parole de Jésus (il a pu d'ailleux's imiter
Me. vu, 3o).
XXII. Le ressuscité de Naïn
Que l'évangéliste ait voulu amener une résurrection de mort avant
le message de Jean-Baptiste, c'est ce qui ne résulte pas seulement de
la coordination de ses récils, mais du soin qu'il prendra (vu, i8) de
compter le miracle de Naïn parmi ceux dont le bruit est venu jusqu'à
Jean, — « El il advint ensuite ». — Indication vague; mais quand
même on voudrait lire ou ti'aduire : «el le jour suivant», on n'aurait
toujours qu'une transition purement littéraire pour l'elier à son con-
texte le miracle que l'évangéliste va inventer (la leçon la plus auto-
risée paraît être âv tÙJ £?■%, suppléer '/_^ôv(jf ; certains témoins,
mss. S G D, etc. lisent x-Ti ei-Tjç, suppléer vuxâpa ; la pi'emière lecture
est confirmée par VIII, I, èv xw xaÔE^riç, et la foule qui suit Jésus à
Naïn n'est pas celle qui a entendu le discours des béatitudes; dans
IX, 3^, où la même formule désigne le lendemain, on ajoute •Jip.spa).
— « Qu'il se rendit à une ville appelée Naïn ». — Cette ville n'est pas
mentionnée ailleurs dans l'Ecriture ; c'est une localité située au sud-
est de Nazareth, peu éloignée d'Endor, aussi de Sunem, où Elisée
ressuscita un jeune homme, enfant unique de ses parents (II Rois, iv,
8-3;7), comme celui de Naïn était fils unique de sa mère. L'auteur ne
paraît pas avoir songé que Nain est assez loin de Capharnaûm.
Josèphe (Bell. jud. IV, '9, 4, 5) connaît une ville du même nom dans
le sud de la Palestine ; mais notre récit suppose Naïu en Galilée, et
la mention de la Judée dans la conclusion (vu, 17) ne AÙse pas la
Judée proprement dite mais toute la Palestine, y compris la Galilée
(cf. i, 5 ; ly, 44 ; VI, 17). — « Et ses disciples faisaient roule avec lui,
ainsi qu'une foule nombreuse ». — Le miracle ne manquera pas de
témoins.
« Or, comme il approchait de la porte de la ville, voilà que l'on
portait en terre un mort ». — La coutume juive était d'enterrer les
morts en dehors des villes el des lieux habités, les cadavres et les
tpmbeaux étant réputés impurs. Pour la même raison les funérailles
220 LUC, VII, 12-15
^2 Or, comme il approchait de la porte de la ville,
voilà que se faisait convoi d'un mort, unique fils de sa mère»
laquelle était veuve ;
et des gens de la ville en grand nombre étaient avec elle.
^^ Et lai voyant, le Seigneur eut compassion d'elle,
et il lui dit : « Ne pleure pas, »
^* Et s'élant approché, il toucha le cercueil ;
les porteurs s'arrêtèrent ;
et il dit : « Jeune homme, je le dis, lève-loi ! »
" Et le mort se dressa sur son séant et se mit à parler ;
et il le donna à sa mère.
suivaient de près le décès et avaientlieu souvent le même jour. On
portait le cadavre dans une bière ouverte, et les Juifs de Jérusalem
portent encore ainsi les morts, enveloppés d'un suaire (LAGnANGB,
20i). Celui que les gens de Naïn conduisaient à sa dernière
demeure était un jeune homme, -^ « fils unique de sa mère, qui était
veuve ; et des gens de la ville en assez grand nombre étaient avec
elle », — associés à son deuil. Ce n'est pas sans intention que la situa-
tion est ainsi dramatisée. Comme, dans le récit précédent, l'évangé-
liste faisait entrevoir le salut des Gentils sous la figure d'une guéris on
de païen, opérée à distance par Jésus, il oriente maintenant la pensée
du lecteur vers l'œuvre que le Christ a opérée directement, le salut
d'Israël, réalisé dans le groupe de croyants qui a constitué le premier
noyau du christianisme. La veuve désolée représente Jérusalem,
métropole du peuple de Dieu, menacée de perdre son fils unique, et le
perdant en effet, pour le recouvrer miraculeusement par la puis-
sance de Jésus ; grâce à lui les promesses de Dieu ne sont pas vaines,
et la mère qui a pleuré son fils mort peut le voir encore vivant.
« Et l'ayant vue, le Seigneur fut pris de compassion pour elle, et il
lui dit : «Ne pleure pas». — C'est qe qu'il dira aussi devant la fille
de Jaïr (vui, 5a). Le mot « Seigneur » (xuptoç) est employé ici pour
la première fois au courant de la narration à propos de Jésus (autres
passages: VII, 19; x,i ; xi, 39;xn,42; xiii, i5;xvii,5-6;xviii,6;xix,8j
XXII, 61 ) , Que cette particularité soit l'indice d'une source particulière,
il est permis d'en douter; mais ce n'est point parce que la beauté du
miracle justifierait l'emploi du mot, c'est tout simplement parce que
ce beau miracle est rédactionnel ; l'évangile de Pierre désigne aussi
Jésus par son nom de culte. — « Et s'étant approché, il toucha le
cercueil ». — Jésus touche le cercueil, parce qu'il est censé ne vouloir
LUC, VII, 16-17 221
^^ El cpainle s'empara de lous,
et ils glorifiaient Dieu, disant :
« Prophète grand s'est levé parmi nous,
et Dieu a visité son peuple, »
^'Et se répandit ce propos
dans toute la Judée, à son sujet,
et dans tous les alentours.
pas toucher le cadavre ; mais le geste est le même que celui qu'il fera
en prenant par la main la fille de Jaïr, dont il a dit qu'elle n'était pas
morte (vin, 54). — « Les porteurs s'arrêtèrent », — obéissant, pour
ainsi dire, au geste du Christ, — « Et il dit : « Jeune homme, jeté
dis, lève-toi ». — Sauf la substitution de «jeune homme » (veavtaxE) à
. « jeune fille », ce sont les paroles adressées à la fille de Jaïr (vni, 54).
— « Et le mort se leva sur son séant », — comme Tabitha dans les
Actes (ix, 4o)> — « et il se mit à parler », — comme le fils de la veuve
de Sarepta (I Rois, xvni, 22). — « Et il le donna à sa mère ». — Jésus
rend le jeune homme à sa mère, comme il rendra l'épileplique à son
père (ix, 42)» comme Elle a rendu à la veuve de Sarepta son fils
(I Rois, xvii, 23, Sept. ; cf. II Rois, iv, 36).
(( Or crainte s'empara de tous ». — Impression de crainte religieuse
comme après la guérison du paralytique (v, 26), et plusieurs fois dans
les récits de la naissance (i, 12, 65 ; 11, 9). — « Et ils glorifiaient Dieu,
disant », — comme la veuve de Sarepta (I Rois, xvii, 24) et surtout
comme Zacharie (1, 68): — « Un grand prophète s'est levé parmi nous,
et Dieu a visité son peuple ». Et ce propos se répandit à son sujet »,
— on parla ainsi de Jésus, — « dans toute la Judée et dans tous les
alentours ». — Amplification de ce qui a déjà été dit plusieurs fois en
d'autres occasions (i, 65 ;iv, 14, 3'j). Bien que le trait serve à préparer
le message de Jean, l'on peut supposer une arrière-pensée allégorique :
ce n'est pas tant la résurrection d'un jeune homme de Naïn que le fait
symbolisé par ce miracle, à savoir la réalisation du salut par la nais-
sance du christianisme, qui a fait du bruit en Palestine et au dehors.
Nonobstant la localisation, qui reste inexpliquée, le miracle paraît
inventé de toutes pièces d'après des récits antérieurs, et rien n'oblige
même à supposer (avec Bultmann, ï33) qu'il aurait été seulement
arrangé, mais non conçu, d'après un type donné, par le rédacteur
évangélique. Et il va de soi, ici comme ailleurs, que le sens symbo-
lique attaché au fait par le narrateur n'empêche pas celui-ci de pré-
senter le miracle comme réel. Le grand bruit fait par le miracle est
222 LUC, VII, 18-19
^^ Et les disciples de Jean l'informèrent de toutes ces chose»
et ayant fait venir deux de ses disciples, Jean
^^ les envoya au Seigneur, disant :
ce Es-tu celui qui vient, ou en attendrons-nous un autre ? »
censé avoir contribué au message de Jean- Baptiste; mais on n'est pa&
obligé de supposer que l'auteur du récit s'est dit que, Jean, captif à
Machéronte, était, en dehors de la Judée, Il aurait pu, dira-t on, 1&
lire dans Josèphe; mais la notice de Josèphe relative à Jean est-elle
d'une authenticité indiscutable ?
XXIII. Le message de Jean- Baptiste
(( Et ses disciples renseignèrent Jean sur tout cela ». — Formule de
transition. Sauf peut-être pour la mention de la prison, le premier
évangile (xi, 2) a dû garder le texte de la source : « Or, Jean, ayant,
dans la prison, entendu parler des œuvres du Christ». On peut
remarquer toutefois que notre auteur, ayant mentionné plus haut
(m, 20) l'emprisonnement, pouvait se dispenser d'en rien dire ici. —
« Et ayant fait venir deux de ses disciples, Jean envoya dire au Sei-
gneur ». — L'embarras de cette formule trahit un remaniement rédac-
tionnel de ce qu'on lit dans Matthieu : a envoya par ses disciples lui
dire». Pour la précision, notre auteur fixe à deux le nombre des
messagers (cl. x, i ; on pourrait se demander s'il n'aurait pas lu à
tort dans la source TréjA^ia; Buo, au lieu de Ttép,i|'aç Stà tôv [/,«6-r|TcSv aÛTou,
comme font, par influence de Luc, les mss. plus récents dans Mt. x, 2.
Quant à l'emploi du mot « Seigneur », se rappeler ce qui vient d'être
dit, siipr. p. 220) — « Es-tu celui qui vient, ou en attendrons-nous un
autre? » — Suivait, dans la source (cC. Mï. xi, 4) la réponse de Jésus.
Que la tradition chrétienne, en faisant désigner par Jean le Messie
dans le mot « celui qui vient » (ô kpy6\i.tvo<;) , ait visé la prédication
même du Baptiste touchant celui qui venait après lui, c'est possible,
mais il semble que la formule ait eu, indépendamment de ce rapport
secondaire, un sens quasi sacramentel en eschatologie, soit par rap-
port à Dieu juge, soit par rapport au grand envoyé (cf. Ap, i,48; iv,
8, pour ce qui est de Dieu, la formule solennelle : « qui est, qui fut,
qui vient » ; et l'adaptation à Jésus de textes comme Ps. cxxiii, 26,
dans les évangiles, et Hab. ii, 3, dans Hébr. x, Bj), Il va sans dire
que la question posée par Jean, si elle est compatible aVec des rap-
ports antérieurs de Jean et de Jésus, ne l'est pas avec là scène du
LUC, VII, 20-21
"° Et arrivés près de lui, ces hommes dirent :
« Jean le Baptiste nous a envoyés te dire :
«c Es-tu celui qui vient, ou en attendons-nous un autre?
" A cette heure-là, il guérit plusieurs
de maladies, d'infirmités, d'esprits mauvais,
et à plusieurs aveugles il donna de voir.
baptême dans Marc et, dans Luc, surtout dans Matthieu, et bien
moins encore avec le témoignage explicite rendu au Christ par Jean
dans le quatrième évangile. Du reste le message et la question n'ont
été conçus que pour amener la réponse de Jésus.
Notre auteur, qui n'a pas. comme Matthieu, raconté auparavant
une longue série de miracles par lesquels se trouve justifiée l'énumé-
ration que Jésus va faire de ses œuvres, a cru devoir marquer expressé-
ment l'exécution du message, afin d'y rattacher une notice de sa façon,
qu'il jugeait indispensable. — « Or, l'étant venus trouver, ces hommes
dirent : « Jean le Baptiste nous a envoyés te dire : « Es-tu celui qui
vient, ou en attendrons-nous un autre ?» — Répétition lourde, et
qui serait bien superflue, si cen'était pour accrocher, avec une audace
digne du rédacteur des Actes, mais dont il est permis de supposer que
Luc aurait été incapable, le bouquet de miracles qui suit, en manière
de parenthèse . — « A cette heure-là », — au moment où les messagers
de Jean lui faisaient cette communication, — «il guérit plusieurs » —
individus qui étaient affligés — « de maladies, d'infirmités, d'esprits
mauvais, et à plusieurs aveugles il donna de voir ». — Il ne coûte
rien à notre évangéliste de multiplier les miracles. Le relief donné
aux aveugles tient à ce que les aveugles sont mentionnés dans la
réponse de Jésus à laquelle cette notice est coordonnée. Mais la notice
n'en est pas moins, au point de -vue l'édactionnel, une interpolation,
au point de vue historique une pure fiction. Les malades et les
infirmes correspondent plus ou moins aux lépreux et aux boiteux dont
va pai'ler Jésus ; les possédés correspondent aux sourds-muets ;
l'hagiographe n'a pas osé faire ressusciter plusieurs morts le même
jour, et il lui aurait été difïïcile d'insérer ici le miracle deNaïn, mais
il l'a mis assez pi'ès pour qu'on le puisse dii'e associé à l'énumération
de la présente notice.
Par ces préliminaires la réponse de Jésus se trouve expliquée
d'avance. — « Et répondant, il leur dit : « Allez rapporta à Jean ce
que vous avez vu et entendu ». — Matthieu (xi, 4) : « ce que vous
entendez et voyez». — « Les aveugles voient, les boiteux marchent »
224 LUC, VII, 22-24
22 El répondant, il leur dit :
« Allez, rapportez à Jean
ce que vous avez vu et entendu :
aveugles voient,
boiteux marchent,
lépreux sont purifiés,
sourds entendent,
morts ressuscitent,
pauvres sont évangélisés .
*^ Et bienheureux qui n'a pas scandale en moi. »
2* Mais quand furent partis les messagers de Jean,
il se mit à dire aux foules à propos de Jean :
« Qu'êtes-vous allés comtempler au désert ?
Un roseau agité par le vent ?
etc. — Il est très remarquable que, dans un document de la littéra-
ture mandéenne, on attribue précisément à Jean les miracles dont
Jésus se prévaut ici; que le document en question soit antérieur à
la source commune de Matthieu et de Luc (Reitzenstein. Das man-
daïsche Buch des Herrn der Gr cesse und die Evangelienûberlieferiing,
23), l'hypothèse paraît plus qu'aventurée ; mais on pourrait admettre
que le programme messianique énoncé (d'après Is. xxxv, 5 ; lxt, i)
dans la réponse de Jésus aux envoyés de Jean était reconnu par les
"sectateurs du Baptiste avant la naissance du christianisme, et que
chacune des deux sectes a prétendu l'entendre de son héros.
« Or, quand les messagers de Jean furent partis », — Matthieu (xi, 7) :
« Or, comme ils s'en allaient », — « il se mita dire aux foules à
propos de Jean : « Qu'êtes-vous allés contempler au désert? Un
ro'seau agité par le vent ?» — Il va sans dire qu'on ne se serait pas
dérangé pour cela, et de là vient que cette première question demeure
sans réponse; du reste, le caractère que la tradition prête à Jean fait
de lui tout autre chose qu'un roseau. — « Un homme couvert de vête-
ments bien doux ?» — Matthieu (xi, 8) : « Un homme vêtu molle-
ment ?» — « Mais ceux qui vont en habits somptueux et font bonne
chère sont dans les palais royaux ». — Matthieu : « Mais ceux qui
s'habillent mollement sont dans les maisons des rois ». Notre auteur a
dû ajouter la « bonne chère » (Tputpi^). — « Qu'êtés-vous donc allés
voir ? »i etc. Le texte de Malachie (m, i), modifié par la tradition
chrétienne de façon à dire du Christ ce que l'auteur disait de Dieu,
est cité de confiance par nos évangélistes, mais il n'aurait pu être
. LUC, yii, 2^-28 225
*" Qu'ètes-vous don(î|allc8 voir ?
Un homme couvert de moelleux vêlements ?
Ceux qui vont en habit somptueux et font bonne chère sont
[dans les palais.
28 Qu'ètes-vous "donc allés voir?
Un prophète ? Oui, je vous dis,
et plus qu'un prophète.
2' C'est celui dont il est écrit :
(( Voici que j'envoie mon messager devant la face,
pour qu'il prépare ta voie devant foi. »
2^ Je vous dis, parmi les enfants defemmes il n'est pas plus grand
[que Jean,
mais \e plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand
[que lui.
allégué ainsi par Jésus ; c'est la Iradition chrétienne qui aura changé
le texte, que la secte bapliste attribuait probablement à Jean selon la
teneur où le présente l'Ecriture prophétique,
« Je vous dis », — Matthieu (xr.ii) ; « En vérité je vous dis », —
« il n'est parmi les enfants des femmes aucun prophète plus grand
que Jean ». — Matthieu : « Il ne s'est point levé parmi les enfants
des femmes plus grand que Jean le Baptiste ». Le mot « prophète »
manque dans les témoins les plus autorisés (mss S B, etc ; il se
trouve dans Ss. mss. D A, etc.), mais ce pourrait être pour la confor-
mation avec Matthieu. Déjà notre évangéliste a pu se faire scrupule
d'écrire que Jean était plus grand que tous les enfants de femmes,
Jésus lui-même étant né d'une femme. Matthieu avait pu l'écrire^ parce
que la suite du discours excluait Jean du l'oyaume des cieux. Toute-
fois l'addition du mot k prophète » est très lourde pour le rythme et
a dû être faite après coup. La transposition de la sentence concernant
le rapport de Jean avec le royaume (Mt, xi, I2-i3 ; Le, xvi, i6), sen-
tence qui est amorcée par : — « mais le plus petit dans le royaume de
Dieu est plus grand que lui », — • n'en donne pas moins à penser que
notre évangéliste craignait à la fois de faire Jean trop grand et de
l'exclure formellement du royaume ; c'est pourquoi il aura détaché
de l'assertion relative à la supériorité du plus petit dans le l'oyaume
le commentaire d'où il résultait avec évidence que Jean était consi-
déré comme étranger au royaume de Dieu. Dans le contexte qu'y
donne notice évangile la sentence sur la succession du royaume à
l'économie ancienne est complètement neutralisée en vue d'un intérêt
A. I oisY, — L'Evangile selon Luc. i5
226 LUC, VII, 29-30
23 Et lout le peuple, l'ayant entendu,
et les publicains ont fait raison à Dieu,
ayant été baptisés du baptême de Jean ;
■^° mais les pharisiens et les légistes ont annulé pour eux le
[dessein de Dieu,
n'ayant pas été baptisés par lui.
apologétique. Ici l'on entrevoit encore ropposilion. de la thèse
chrétienne sur le règne de Dieu inauguré par le Christ (vu, 28), à la
thèse johannite sur le l'ôle éminent de Jean (vu, 24, 27) : celle-ci est
énoncée en termes que, saut' l'altération chrétienne du texte de
Malachie (m, i), l'on dirait empruntés à une profession de foi
baptiste ; et il est assez piquant de voir les deux thèses afïrontées
dans un discours que l'on prêle à Jésus.
A la sentence provisoirement éliminée notre auteur substitue une
i*emarque sur l'accueil diiïérent fait par les pharisiens et par les
publicains à la prédication de Jean. Le même thème est traité ailleurs
dans Matthieu (xxi, Si-Sa), en application de la parabole desDeux fils.
C'est comme logion sur Jean que la parole a été conçue et recueillie,
mais elle ne pouvait pas venir originairement à la place où elle se
trouve dans Luc, et il est visible que notre évangéliste s'est donné beau-
coup de peine, une peine inutile, pour l'adaptera son contexte. — «. Et
tout le peuple », — c'est beaucoup dire, car la masse des Juifs, dont il
s'agit ici, ne s'est pas ralliée au programmé de Jean ; mais « tout le
peuple » remplace «les prostituées » de Matthieu (xxi, 82), —r« ayant
entendu » — la prédication de Jean, — « et les publicains ont justifié
Dieu, étant baptisés du baptême de Jean j>. — Explication qui sent
la paraphrase, et Matthieu, en. effet, dit simplement; « les publicains
et les prostituées ont cru en lui ». L'emploi du mot «justifier » paraît
avoir été suggéré par la conclusion du présent discours (vu, 35), et
l'on veut dire simplement que les gens du commun et les publicains
ont reconnu u,n dessein providentiel dans la prédication de Jean et
l'ont acceptée. — « Mais les pharisiens et les légistes » — mot (vo[/,'.xot)
propi'e à Luc, pour désigner le corps des « scribes » (Ypajj.^.cf.TETç, com-
munément employé), — « ont anéanti le dessein de Dieu pour eux-
mêmes », — ont rendu ineflicace en ce qui les concernait le dessein de
salut, qu'ils ne pouvaient L'ustrer de son effet général, — «n'ayant pas
été baptisés par lui ». — Matthieu: « mais vous, voyant» cela, la con-
version des pécheurs, «vousn'êtes pas venus à résipiscence, de façon
à croire en lui » . Il semble que Matthieu aussi ait paraphrasé en Tue
LUC, VII, 31-35 227
8^ A qui donc comparerai-;je les hommes de cette génération,
et à qui sont-ils comparables ?
^2 Ils sont comparables à enfants qui sont assis en place publique
et s'interpellent mutuellement, disant :
« De la flûte pour vous nous avons joué, et vous n'avez pas
[dansé
nous nous sommes lamentés, et vous n'avez pas pleuré. »
83 Car Jean le Baptiste est venu ne mangeant [pain] ni ne
[buvant [vin],
et vous dites : « Il a démon. »
^* Le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant,
et vous dites : « Voici homme vorace et buveur de vin^
ami de publicains et de pécheurs. »
s* Et la sagesse a reçu raison de tous ses enfants. »
d'appliquer la parabole des Deuxfils aux autorités ecclésiastiques de
Jérusalem, et que la source ait mentionné seulement le refus de foi.
Dans notre évangile, la phrase est construite de telle sorte qu'on a
pu hésiter à y voir la continuation du discours ou une remarque de
l'évangéliste, la mention du peuple, inattendue dans la bouche du
■ Christ, semblant favoriser la seconde hypothèse, tandis que la forme
des verbes (êSixacwcrav, -/lÔsT-ficiav) et la tournure générale de la phrase
s'arrangent mieux de la première. L'évangéliste entend bien continuer
le discours de Jésus, mais lui-même le compose d'après un texte qu'il
aurait mieux fait de ne pas retoucher. On remarquera (avec Well-
HA.USEN, 3o) qu'il dit « le baptême de Jean », comme pour le distinguer
du baptême chrétien. Du reste, ce logion, comme tous les autres qui
ont rapport à Jean, on pourrait presque dire, comme tout ce qui dans
les évangiles regarde Jean, reflète les préoccupations apologétiques
du christianisme naissant, pour se justifier, soit par rapport à la secte
baptiste dont il procède, soit par le moyen de cette secte même, en
expliquant à son profit le rôle de Jean.
« A qui donc comparerafi-je les hommes de celte génération, et à
qui sont-ils comparables ? » ^ Matthieu (xi, i6) : « Et à qui compa-
rerai-je cette génération ? » La source ajoutait probablement :.« et à
qui est-elle comparable ?» — « Ils sont comparables », — Matthieu :
« elle est comparable », — « à des enfants assis sur la place publique
et qui s'interpellent mutuellement, disant», — Matthieu : « qui, inter-
pellant leurs compagnons, disent » : — « Nous vous avons joué de la
ilûte, et vous n'avez pas dansé, nous nous sommes lamentés et vous
228 LUC VII, 36
'" Or l'un des pharisiens le pria de manger avec lui ;
et étant entré dans la maison du pharisien, il se mit à table.
n'avez pas pleuré », — Matthieu (xi, 17) : « vous ne vous êtes pas-
frappé la poitrine » {ïy.6'\io.a(iE, mot de source ; Le. kxXaûcaxe). — Lès
Juifs sont comme des enfants maussades à qui l'on propose inutile-
ment jeu triste ou jeu gai, et qui trouvent toujours motif à rejeter
la, proposition .. — « Car Jean le Baptiste est venu ne mangeant pain
ni ne buvant vin». — Certains témoins (Ss. Se. ms. D, plusieurs
mss. lat.) omettent les mots « pain » et « vin » ; mais ce peut êti'e par
conformation à Matthieu (xi, 18) : « Car Jean est venu ne mangeant ni
ne buvant » ; et l'addition pourrait fort bien venir de l'évangéliste,
pour atténuer une assertion censée trop absolue ; notre auteur, on
ne doit pas l'oublier, a passé sous silence les détails de Marc (i, 16)
touchant le régime extraordinaire du Baptiste, et il a fait prédire par
Gabriel (i, i5) que Jean ne boirait pas de vin, suivant la règle du
nazirat. — « Et vous dites », — Matthieu : « et ils disent » : — « Il a
Un démon ». Le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant, et
vous dites », — Matthieu : « et ils disent» : — « C'est un homme gour-
mand et buveur de vin, ami des publicains et des pécheurs ». Et la
sagesse a été justifiée par tous ses enfants », — Matthieu (xi, 19) n'a
pas (( tous », mais le mot doit appartenir à la rédaction de Luc, bien -
qu'il manque dans quelques témoins (ms. D, etc.). Un rapport spé-
cial paraît ici supposé contre Jésus et la sagesse (cf. xi, 49) • Appré-
ciation rétrospective du rôle de Jean et de celui de Jésus, formulée
dans la tradition chrétienne en manière d'apologie contre les Juifs.
Ceux qui ont donné raison à la sagesse de Dieu sont ceux qui ont cru-
à ses envoyés.
XXIV. La pécheresse
La mention des publicains et des pécheurs, que l'on reprochait à
Jésus de fréquenter, semble avoir déterminé l'insertion, après les
discours relatifs à Jean-Baptiste, du récit concernant la pécheresse ;
et il est curieux de constater que notre évangéliste, après s'être fait
scrupule de nommer plus haut (vu, 29) les prostituées à côté des
publicains, amène ici, comme par compensation, une histoire de pros-
tituée ; à la véi'ité, il s'abstiendra encore d'employer le mot et parlera
d'une « femme pécheresse ». D'où l'on peut rétrospectivement infé-
rer que les prostituées étaient comprises parmi les « pécheurs »
dans le discours précédent. L'on dirait même que ce discours a sug-
LUC, VII, 36 229
.;gérc en partie le récit : les Juifs reprochaient au Christ d'aimer les
bons l'epas, et i'évangélisle aussitôt nous le montre à table ; ils blâ-
imaient sa familiarité avec les gens mal famés, et on nous le fait voir
agréant les soins d'une femme de mauvaise vie, à laquelle il promet
•en échange le pardon de ses péchés L'histoire de la pécheresse est
avec les derniers propos concernant Jean-Baptiste dans le même rap-
port que celle du ressuscité de Naïn avec la réponse de Jésus au
message du Précurseur. Kt la composition n'est pas moins artificielle,
bien qu'elle soit moins réussie et plus compliquée. Une parabole y
intervient, qu'ignorent les autres témoins delà tradition évangélique,
-et qui pourrait n'être, comme beaucoup d'autres sentences et para-
boles, que l'adaptation de quelque dicton ou fable populaire, adapta-
tion qui aussi bien serait de notre auteur. L'adaptation, d'ailleurs, est
assez maladroite, vu que le récit et la parabole ne s'accordent pas.
D'autre pai't, le récit est dans la dépendance, pour ce qui est de la
mise en scène, de celui qu'a donné Marc (xiv, 8-9) touchant l'onction
faite à Jésus par une femme anonyme, deux jours avant le passion,
dans la maison de Simon le lépreux. Notre auteur n'a pas reproduit
ce récit de Marc, afin d'éviter le double emploi, et peut-être aussi
parce que le récit primitif de la passion dans Luc ne le contenait pas.
On peut dire encoi'c que notre histoire de pécheresse remplace celle
de la femme" adultère, qu'aucun des évangiles officiels n'avait retenu,
mais que les rédacteurs évangéliques ont dû connaître.
Grande est la perplexité où l'exégèse chrétienne a été jetée par le
quatrième évangile (xiv, 8-9), qui signale aussi une onction faite à
Bélhanie, comme celle de Marc, mais chez Lazare, et par Marie sa.
sœur, six jours avant la pâque. Pour échapper aux difficultés qui
naissent de la comparaison des textes, certains commentateurs
anciens ont admis trois onctions faites par trois personnes dilTé-
renles ; d'autres, au contraire, ont pensé tout simplifier en ne recon-
-naissant dans les' quatre évangiles qu'une seule onction faite par
Marie sœur de Lazare ; la plupart des interprètes latins depuis
Augustin admettent deux onctions, qu'ils attribuent à cette Marie,
et, depuis Grégoire le Grand, ils identifient celle-ci à Marie la
Magdalène. Les récits se prêtaient à toutes les confusions, sauf pour-
tant à la dernière ; car Marie la Magdalène, dans Marc et dans Mat-
thieu, n'est pas la femme de l'onction ; dans Luc, elle n'est pas la
pécheresse ; et chez Jean, elle n'est pas Marie de Bélhanie. Mais
notre évangile, en oniettant la scène de l'onction dans les récits
hiérosolymitains, et en en transposant certains traits dans l'histoire
de la pécheresse, semblait avoir admis l'identité des deux femmes et
230 LUC, VII, 37-38
^"^ El voilà qu'une femme, [qui était] péclieresse en la ville,
sachant qu'il était à table dans la maison du pharisien,
apporta un flacon de parfum,
•8 et se plaçant derrière (lui), près de ses pieds, en pleurs, '
se mit à arroser de larmes ses pieds;
et avec les cheveux de sa lête elle les essuyait ;
elle baisait ses pieds,
et elles les oignait de parfum.
des deux onctions. Il n'en est rien au fond, et le procédé témoigne-
simplement d'une belle indifférence à l'égard de ce qui est simple
matière de fait, sans que l'auteur ait professé une opinion arrêtée
pour ou contre l'identification dont il s'agit. Du reste, le récit de
l'onction dans Marc n'est pas moins fictif que le récit de la péche-
resse dans notre évangile (voir Marc, SSy-Sgi).
a Or l'un de pharisiens le pria de manger chez lui ». — Aucune
détermination locale ni chronologique : l'histoire se passe dans une
certaine ville, un certain jour que Jésus dînait chez un certain phari-
sien. Celui-ci ne paraît pas animé de mauvaises inlentions.Le rédac-
teur construit sa mise en scène sur un type qui lui est familier
(cf. XI, 37 ; XIV, i). On peut supposer que la ville est Capharnaûm
ou une bourgade quelconque de Galilée. — « Et étant entré dans la
maison du pharisien, il se mit à table ». — Pour l'intelligence de ce
qui va suivre, il faut se représenter les convives étendus sur des
divans, autour de la table, à la manière antique.
«Et voilà qu'une femme qui était pécheresse en la ville y^. — La
mention de « la ville » pourrait trahir une influence soit du récit de
la femme adultère, soit du récit de l'onction dans Marc, à l'égard
desquels « la ville » serait Jérusalem. L'emploi du mot « péche-
resse » ne doit pas faire illusion sur les antécédents de la per-
sonne ; l'auteur dit « pécheresse » (à[;LapTa)Xô;)pour ne pas dire « pros-
tituée » (irôpv-fi ; cf. VII, 29, 34, et Mt. xxï, 3i-32) ; j)ar conséquent il est
risqué d'en inférer que la « pécheresse » n'était pas « une prostituée
de bas étage » (LAGRANGE,228),et l'emploi du mot « pécheur » au sens
de « païen » n'a rien à voir avec le cas présent. Les mots : « qui était »
(•/)Tiç T|v) sont suspects (ils manquent dans le ms. D, et ils viennent
ailleurs tantôt avant tantôt après êv tyi -kôIbi ), et pourraient bien avoir
été ajoutés pour que la femme ne semblât pas être encore actueller
ment en profession de « pécheresse », l'auteur ayant écrit : «Et
voici qu'une femme, pécheresse en la ville, — ayant su qu'il était à
LUC, vir, 39 231
^^ Ce que voyant, le pharisien qui l'avait invité
se dit :
« S'il était prophète,
il saurait qui et quelle est
la femme qui le touche,
(et) que c'est pécheresse. »
table dans la maison du pharisien, apporta -un vase de parfum >; . —
Ce vase donnerait à penser que la femme a prémédité son acte, s'il y
avait lieu d'en rechercher les mobiles, et si le parfum ne venait pas
du récit de l'onction dans Marc. On pourrait supposer que la femme
vient témoigner sa reconnaissance pour le pardon de ses péchés;
mais les péchés ne sont pardonnes qu'à la fin du récit (vu, 47)- Elle
s'est introduite dans la salle du festin à la faveur du tumulte et de la
liberté qui accompagnent en Orient les grands repas.— «Et se tenant
par derrière, près de ses pieds », — ce qui s'explique aisément par la
position des convives, dont les pieds découverts sont en arrière de
la table, — « pleurant, se mit à arroser de larmes ses pieds », — les
pieds nus de Jésus, qui avait, comme les autres convives, déposé ses
sandales à l'entrée de la salle du festin. On doit supposer que la
femme, agenouillée et courbée sur les pieds du Christ, pleure abon-
damment. — « Et elle les essuyait avec les cheveux de sa tête », —
que l'on doit supposer dénoues ; — « elle baisait ses pieds et les
oignait de parfum ». — Le narrateur paraît admettre que la femme
ne s'était pas proposé seulement de baiser les pieds de Jésus, mais
premièrement de les laver avec ses larmes, pour les oindre
ensuite de parfum. La femme n'ose pas répandre sur la tête de Jésus
le contenu de son vase d'albâtre, comme la iemme de l'onction dans
Marc, ou plutôt la combinaison de l'onction avec l'effusion des
larmes aura engagé le narrateur à faire répandre le parfum sur les
pieds comme par un surcroît d'honneur, on peut dire par un sen-
timent de culte religieux, car l'onction des pieds n'était pas d'usage
ordinaire. Le baiser n'est pas seulement pour les Orientaux une
marque d'affection, c'est aussi une marque d'honneur : baiser les
pieds est un signe d'entière soumission ; la pénitente, dont nul aupa-
l'avant n'avait soupçonné qu'elle pût avoir l'intention de changer de
vie, vient honorer Jésus en s'humiliant elle-même, et ses larmes
attestent son repentir.
« Ce que voyant, le pharisien qui l'avait invité se disait en lui-
même y, — étonné que Jésus reçût l'hommage d'une telle créature : —
«S'il était prophète », — le ms. B a : « le prophète », ce qui serait
232 LUC, vn. 40-41
*" Et prenant la parole, Jésus lui dit :
« Simon, j'ai quelque chose à te dire ».
Et lui : « Maître,
parle », dit-il.
^1 « Deux débiteurs étaient à certain {)rêteur :
l'un devait cinq cents deniers, .
et l'autre cinquante.
une désignation du Messie (cf. J.v. i, 21, aS ; vi, t4 ! vu, 4o) : mais
l'article paraît avoir été interpolé pour obtenir ce sens, — « il saurait
qui et quelle est celte femme qui le touche », — il saurait — « que
c'est une pécheresse ». — Non qu'un prophète soit obligé de tout
savoir, mais un ami de Dieu doit se connaître ert hommes, discer-
ner les bons des méchants, les justes des pécheurs, et ne pas se com-
mettre avec les personnes de mauvaise vie La réflexion du pharisien
n'est pas nécessairement une marque de malveillance ou de mépris,
elle peut aussi bien traduire une sorte de déception. Mais Jésus, en
lui expliquant la conduite de la femme, va lui montrer qu'il connaît
et la condition et les sentiments de la malheureuse qui pleure derrière
lui, et le doute qui s'est levé dans l'esprit de son hôte.
« Et prenant la parole, Jésus lui dit : « Simon, j'ai quelque chose à
te dire ». — ^^ Façon de parler conforme aux habitudes de la politesse
orientale, et qui ne contient aucune ironie : Jésus demande la parole,
et son hôte, non moins poliment, en l'appelant « maître »• (StSâaxaXs),
l'invite à la prendre. — « Maître, parle » dit-il». — 11 n'apparaît pas
autrement que ce petit jeu de dialogue, imaginé par le rédacteur
évangélique, soit empreint de froideur. L'auteur avait oublié de nous
direque le pharisien eût nom Simon; s'il s'en avise maintenant, ce doit
être par influence du récit de l'onction dans Marc. Il résulte par ailleurs
de ce dialogue que l'hôte de Jésus est un simple pharisien, comme il
a été dit d'abord, non un docteur, puisque Jésus l'appelle par son
nom ; c'est même pour le besoin du dialogue qu'on lui en a donné
un.
Suit la parabole, proposée en manière de question au pharisien. —
«Deux débiteurs étaient à un créancier », — pour des sommes inégales,
mais tous deux également insolvables : — «l'un devait cinq cents
deniers, et l'autre cinquante» — seulement; — «comme ils n'avaient
pas de quoi payer », — le créancier, exemple rare chez les prêteurs, ef
qui a dû toucher d'autant plus les débiteurs, — « leur fît grâce de
tout». — Le cas n'est pas chimérique, mais il pourrait bien avoir
LUC, VII, 42-43 233
*^ Gomme ils n'avaienl pas de quoi rembourser, à (ous deux il fit
[remise :
lequel donc davanlag-e l'aimera?
^' Répondant, Simon dit : « Je pense
que c'est celui à qui davantage il a remis. »
Et il lui dit : « Bien tu a jugé. »
^té conçu, d'après quelque dicton sur la proportion de la reconnais-
sance au bienfait, en vue de l'application voulue par l'auteur, Dieu
étant le créancier envers lequel tous les hommes ont conlraclé une
dette plus ou moins considérable en proportion de leurs péchés. Jésus
ne tire pas lui-même la conclusion de la parabole, il demande au
pharisien ce qu'il pense du cas. — « Lequel donc l'aimera davan-
tage ?»
Le pharisien fait la réponse qui convient, mais sur an ton modeste,
comme s'il laissait à son interlocuteur le droit d'être de l'avis con-
traire. — « Répondant, Simon dit : « Je pense que c'est celui à qui
il a fait plus grande grâce » . Et il lui dit : « Tu as bien jugé ». —
Jésus approuve la réponse parce qu'elle est vraie, non pour insinuer
que celui qui l'a faite s'est condamné lui-même. Jusqu'à présent
Jésus et le pharisien font un assaut de politesse où l'on dirait que
l'auteur s'est complu. Ce que le Christ va dire ensuite peut s'entendre
en manière de critique à l'égard du pharisien, qui aurait manqué de
rendre à Jésus tous les honneurs convenables. Mais c'est que l'histoire
est mal construite, et l'on s'en apercevra de plus en plus à mesure
qu'on avancera vers la fin . En dépit des apparences, l'antithèse qui
va être établie entre la conduite du pharisien et celle de la femme
ne porte pas sur des obligations de civilité que l'hôte aurait négligées
et dont la femme se serait acquittée à sa place, mais sur les témoi-
gnages d'amour reconnaissant qui sont en rapport avec la situation
de la femme vis -à- vis de Dieu et de son représentant, situation qui
n'est pas celle du pharisien. Celui-ci n'est pas censé avoir été incivil
envers Jésus, et le Christ n'est pas censé non plus avoir l'incivilité
de le réprimander chez lui, bien que l'antithèse ait l'air d'être déve-
loppée à son désavantage (cf. JiÏLicHER, Die Gleichnisreden Jesu,
1899, II, 296).
(( Puis, se tournant vers la femme, il dit à Simon : « Vois-tu cette
femme ?» — Il y a motif à sa conduite envers moi, qui est diflérente de
la tienne. — « Je suis entré dans ta maison, tu n'as pas versé d'eau sur
mes pieds ». — Le lavement des pieds était d'usage et quasi de néces-
234 LUC, vil, 44-47
*^ Et se lournanl vers la femme,
il dit à Simon :
« Vois- tu cet te femme?
Je suis entré dans ta maison :
eau sur les pieds tu ne m"as pas versée;
mais elle de ses larmes a arrosé mes pieds,
et avec ses cheveux les a essuyés,
f ^ Baiser tu ne m'as pas donné ;
mais elle depuis que je suis entré
n'a pas cessé de baiser mes pieds.
" D'huile ma tète lu n'as pas oint ;
~ mais elle de parfum a oint mes pieds.
*' C'est pourquoi, je te dis,
sont remis ses péchés (si) nombreux,
parce qu'elle a aimé beaucoup ;
mais celui à qui peu est remis
peu aime. »
site pour les convives arrivant de voyage, mais non poui* tout invité ;.
le pharisien a donc pu s'en dispenser, mais, ce qu'il n'a pas fait, la-
femme l'a fait. — « Mais elle m'a arrosé les pieds de ses larmes, et
elle les a essuyés de ses cheveux » . — Ses larmes ont donc remplacé
l'eau pour le lavement des pieds, et ses cheveux ont leiiulieu de linge
poui'les essuyer. Image plus facile à concevoir qu'à réaliser. — « Tu
ne m'as pas donné de baiser ». — Le baiser non plus n'était pas donné
à tout le monde. — « Mais elle, depuis que je suis entré, n'a pas cessé
de me baiser les pieds ». — Jésus dit r « depuis que je suis entré »
(elfffiXôov), parce que c'est à Tarrivée que le baiser aurait pu lui être
donné par son hôte. La leçon : « depuis qu'elle est entrée » (eb-riX^ev,
ms. L, mss. lat., etc.), paraît provenir de ce qu'on a jugé l'autre
inexacte, la femme n'étant entrée qu'après Jésus ; maisle discours
comporte exagération, et. il n'y a pas lieude relever le moment précis
où la femme est entrée. En place du baiser au visage, que Thôle aurait,
pu civilement donner, lalemmehumblement n'a pas cessé de baiser
les pieds du Christ. Antithèse qui va bien aussi à écrire, mai& on ne
conçoit, pas que l'hôte eût pu et dû faire ce que fait la femme. —
« Tu n'as pas oint d'huile ma tête ». — Une telle onction n'avait lieu
que dans les grandes occasions. — « Mais elle a oint de parfum
mes pieds». — Antithèse littéraire, non moins artificielle que les.
LUC, VII, 48-80 23v>
" El à elle il dit ;
« Sont remis tes péchés ».
^^ Et se mirent les convives à dire en eux-mêmes :
« Qui est-celui-ci, pour remettre même les péchés ? »
•"^ Mais il dit à la femme :
« ïa foi t'a sauvée ;
va en paix. »
précédentes. — « C'est pourquoi, je te dis, ses nombreux péchés
sont remis, parce qu'elle aime beaucoup». — Ce n'est pas préci-
sément ce qu'on attendrait ; et,' pour que l'amour ne soit pas le
principe de la justification, les théologiens protestants se sont
eflbrcés de traduire : « puisqu'elle aime beaucoup », traduction
que ne favorise pas la construction grammaticale, mais qui serait
plus conforme au sens de la parabole et au contexte immédiat : —
« mais celui à qui peu est remis peu aime ». — Dans les deux
cas, l'amour sei'ait la conséquence du pardon, et la conclusion du
discoui's serait en harmonie avec la parabole. Mais l'évangéliste
ne paraît pas l'avoir ainsi compris, et la conclusion de l'histoire y
contredit.
« Et il dit à elle-même », — ce qui précède s'adressant au pharisien ;
— « Tes péchés sont remis ». — Jésus pardonne au nom de Dieu,
comme dans le cas du paralytique (v, 20), et le scandale des assistants
est le même (cf. v, 21). — « Et les convives se mirent à dire en
eux-mêmes : « Qui est-il, pour remettre les péchés. » — Sur quoi
Jésus dit à la pécheresse repentie ce qu'il dira bientôt à l'hémorroïsse
(viit, 48). — « Mais ilditàla femme : « Ta loi l'a sauvée ; va en paix ».
— Conclusion doublement artificielle ; mais le corps du récit ne
l'étant pas moins, l'incohérence qui se remarque dans l'application
de la parabole doit commencer avec la première déclaration (vu, l^j)',
« Ses péchés sont remis parce qu'elle a aimé beaucoup », et non seu-
lement avec la seconde (vti, 4^) : « Tes péchés sont remis » . Une
incohérence analogue se retrouvera entre la parabole du Samari"
tain et la règle qu'elle est censée illustrer ; ce qui montre que l'évan-
géliste n'y regardait pas de si près.
11 est donc inutile' de lui prêter ici l'idée d'un double rapport
entre l'amour de la. pécheresse et la rémission de ses péchés, comme
si l'amour était censé à la f ois cause et eflét du pardon. En aucune
hypothèse l'application de la parabole n'est en équilibre, puisque,
nonobstant la part qui est faite au pharisien dans le développement de
:236 Lua -VIII, 1
""■ Et advint ensuite
qu'il s'en allait, par ville et village prêchant
et annonçant le royaume de Dieu ;
et les Douze étaient avec lui,
l'antithèse qui prépare la conclusion, le pharisien n'est pas et ne peut
pas être visé comme un pécheur qui se trouverait témoigner moins
d'amour au Christ, parce qu'il n'a pas eu autant de péchés pardon-
nés. Dans l'ajustement du récit à la parabole, le pharisien n'est
pas un demi-pécheur qui aurait négligé de mériter par des
marques spéciales d'amour le pardon que Jésus aurait pu lui
accorder ; tout au plus pourrait-on dire que l'ensemble du récit laisse
deviner une arrière-pensée analogue à l'idée que fait valoir là para-
bole du Phai'isienet du publicain : comme l'humble publicain obtient
son pardon, et que le pharisien qui a étalé ses mérites dans sa
prière reste ce qu'il était auparavant, de même la pécheresse obtient
un pardon qu'elle a mérité, et le pharisien Simon reste ce qu'il était,
un homme content de lui-même et médiocre en charité. Il n'en reste
pas moins que toute la combinaison est mal venue, et l'on n'a pas à
rechercher derrière cette élucubration de l'évangéliste une histoire de
pécheresse, ou seulement une parabole authentique, dont notre auteur
aurait dérangé léquilibre par ses combinaisons rédactionnelles. Il y
a bien une parabole que l'évangéliste s'est appropriée, mais dont on
ne saurait dire si elle a été employée par Jésus (cf. Bultmann, io) ;
l'histoire d'une pécheresse oignant Jésus de parfum peut être admise,
mais conjecturalement, et comme étant d'abord présupposée au
récit de l'onction dans Marc.
XXV. Les femmes qui suivaient Jésus
On dirait que cette anecdote de pécheresse fournit à l'évangéliste
l'occasion de signaler brièvement d'autres femmes qui ont tenu leur
place dans l'histoire ou dans la légende évangélique. Bien que nulle
tache proprement morale n'ait été attachée à leur conduite, notre
auteur les mentionne après la pécheresse en tant que personnes plus
ou moins disqualifiées par le genre de maladie dont elles avaient été
atteintes. Il lient à montrer la condescendante bonté du Christ, qui
mangeait avec les publicains, acceptait les hommages des pécheresses
et agréait les services de personnes qui avaient été possédées du
démon. Quand on en vient au détail, il se trouve qu'une seule femme
LUC. VIII. 2-3 ld37
* et quelques femmes
qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies :
Marie appelée Magdalène,
dont sept démons étaient sortis;
' loanna, femme de Chouza, intendant d'Hérode,
Susanna et plusieurs autres,
qui les assistaient
de ce qu'elles possédaient.
est signalée comme ayant été démoniaque, et, bien que la main de
l'évangéliste se reconnaisse dans ce passage, on se demande, mais avec
beaucoup d'hésitation, si le fond de la nolice ne viendrait pas de Luc.
Dans la combinaison rédactionnelle, cette mention des femmes sert à
préparer leur intervention dans l'histoire de la passion (xxni, 49. 55 ;
XXIV, II, 2a-a4). Elle se trouve aussi inaugurer une période du minis-
tère galiléen où Jésus est représenté comme voyageant à travers la
Galilée ; mais, dans la suite, on ne parlera pas plus des femmes que
si elles étaient absentes, Jésus voyagera désormais avec ses disciples,
après n'avoir passé qu'assez peu de temps à Capharnaûm.
« Et advint ensuite qu'il s'en allait par ville et village, prêchant et
annonçant le royaume de Dieu ». — Formule déjà rencontrée (iv, 4^)-
— « Kt les Douze étaient avec lui ». — Us sont censés accompagner
régulièrement Jésus depuis l'élection quia été racontée plus haut(vi,
,i3-i6). — « Ainsi que certaines femmes qui avaient été guéries de
mauvais espi'its et de maladies ». — L'indication pourrait n'être pas à
serrer de trop près, comme si toutes les femmes en question avaient
été possédées ou malades, et que toutes aient suivi régulièrement
Jésus. Il serait incroyable que toutes en même temps aient suivi la
troupe évangélique en l'assistant de leurs propres ressources.
Ces femmes auraient été assez nombreuses, et on dit les noms de
quelques-unes : — « Marie, dite Magdalène », — ainsi appelée pro-
bablement, pour la distinguer d'autres Marie (cf. xxiv, lo, Marie de
Jacques), d'après son lieu d'origine, qui serait Magdala, petite ville
située sur la rive occidentale du lac de Tibériade. Le nom, toutefois,
pourrait avoir une autre origine et un autre sens. — « De laquelle sept
démons étaient sortis ». — Gomme il s'agit d'une possession réelle,
c'est-à-dire d'une maladie mentale affectant le caractère d'une sep-
tuple possession, ce trait n'autorise en aucune façon l'identification de
Marie avec la pécheresse dont il vient d'être parlé. Si l'évangéliste
avait eu cette idée, il n'aurait pas manqué de la signifier, et il ne pré-
238 LUC, viii^ 4
^ Or, comme se rasseniblait foule nombreuse,
et que de chaque ville on venait à lui,
il dit en parabole : •
senterait pasMarie la Mag.lalène comme un personnage nouveaa. Les
sept démons dont il s'agit ne sont pas spécialement connus; leurnombre
indique une forme particulière et intense de possession (cf. xi, 26).
« Jeanne femme de Ghouza, intendant d'Hérode ».. — Le nom de
Kûzâ se rencontre dans les inscriptions" nabatéennes (Corpus inscr.
semit. II, I, 227). On a supposé que Jeanne était veuve, mais le texte
ne la présente pas comme telle, et peut-être n'est-elle-pas censée avoir
suivi les prédieatenrs, mais leur avoir fourni seulement des subsides.
Son mari aurait été attaché à la personne d'Antipas, comme inten-
dant ou majordome (cf. Agt. xiii, i, où l'on signale un frère de lait
ou un familier du même Hérode). — « Susanne et plusieurs autres,
qui les servaient de ce qui était à elles ». — Quelques témoins
(mss. S A) lisent : « qui le servaient » (cf. Me. xv, 4^) ; "fi^is c'est la
troupe entière qui avait besoin d'assistance. Ces femmes sont donc
censées jouir d'une certaine aisance, ce qui ne laisse pas de contraster
avec le genre de vie qu'on leur attribue en les faisant voyager dans
la compagnie des missionnaires pour les servir. Le trait pourrait
bien avoir été conçu d'après la coutume des temps apostoliques, et la
notice, apparemment destinée à illustrer le i*écit des pérégrinations
évangéliques dont le voyage à Jérusalem sera la dernière, pour-
rait n'être qu'une amplification de celle qui a été ajoutée dans Marc
'(loc. cil.) au récit de la passion.
XXVI. Le Semeur
Notre évangile rejoint ensuite Marc (iv) au discours des paraboles,
en négligeant provisoirement la polémique à^propos de Beclzeboul,
et le mot sur les vrais parents (Me. m, 2b-35). L'auteur a été ainsi
amené à changer la mise en scène du discours. Sans marquer aucune
circonstance spéciale de temps ni de lieu, il dit que Jésus prononça
la parabole du Semeur devant une foule nombreuse qui était venue
des villes successivement évangélisées par lui (cf. viii, 4 et i). S'il
néglige le lac et la barque (Mg. iv, i), c'est que ces détails ont été
anticipés dans le récit de la pêche miraculeuse (iv, 3).
« Or, comme une foule nombreuse se rassemblait, et que l'on
venait à lui de chaque ville » — bù il était passé, — « il diten'para-
LUC, VIII, 5-8 ■ 23^9
^ « Le semeur sortit pour semer sa semence ;
et, comme il semait, du (grain) tomba le long du chemin ;
il fut foulé aux pieds, et les oiseaux du ciel le mangèrent.
* Et d'autre tomba sur la rocaille ;
ayant levé, il se dessécha,
parce qu'il n'avait pas d'humidité.
' Et d'autre tomba au milieu des épines,
et poussant avec (lui), les épines l'étoufiPèrent,
8 Et d'autre tomba sur la bonne terre,
et levé, porta fruit au centuple. »
Ce disant, il criait :
« Qui a oreille pour entendre entende ! »
bole ». — Suit seulement la parabole du Semeur avec son explica-
tion et les deux sentences qui viennent après celle-ci dans Marc (iv,
21-25). Luc n'a pas plus que Matthieu la parabole de la Semence, et
la parabole du Sénevé viendra dans un autre contexte avec celle du
Levain. C'est pourquoi l'introduction a été simplifiée,, et l'évangéliste
s'abstient de dire avec Marc (m, 2) : « Et il leur enseignait beaucoup
de choses en paraboles ». Comme la parole sur les vrais parents
sera introduite après le discours parabolique, et que la mère et les
frères seront dits être « dehors », on pourrait croire que le dis-
cours se tient dans une maison, mais le préambule n'autorise aucu-
nement cette conjecture, et l'incohérence que présentent, quant à
leur localisation, les deux morceaux juxtaposés résulte des transpo-
sitions opérées par l'évangéliste.
« Le semeur sortit pour semer sa semence ». — La simplicité de ce
début tient à ce que l'auteur n'a pas souci de présenter comme sin-
gulièrement original et difficile à comprendre l'enseignement para-
bolique. Marc (rv, 3) : « Ecoutez : voici que le semeur sortit pour
semer ». On peut croire que "notre auteur dit : « semer sa semence »,
parce qu'il veut faire songer à la parole évangélique, à la semence
jetée par l'unique Semeur. — « Et comme il semait, il tomba » —
de ce grain — « le long du chemin ; il fut foulé aux pieds, et les
oiseaux du ciel le mangèrent ». — Amplification descriptive de Marc
{m, 4) : « il en tomba sur le chemin, et les oiseaux vinrent et le
mangèrent ». Le grain tombé sur le chemin ne pouvait pas être en
grande quantité, et ces quelques grains étaient supposés devoir être
ramassés bientôt par les oiseaux, les chemins de campagne n'étant
pas fréquentés par quantité de passants. — « Et il en tomba d'autre
240 LUC, vni,9-10
8 Or ses disciples lui demandaient
quelle était cette parabole.
10 Et il dit:
« A vous il a été donné de connaître les mystères du royaume
[de Dieu,
mais aux autres c'est en parabolesï(qu'ori les propose),
afin q\ie,vojyant, ils ne voient pas,
et, entendant, ne comprennent pas.
sur la pierre», — Marc (iv,5) : « sur le sol pieri'eux », — « et ayant
germé, il sécha pai'ce qu'il n'avait pas d'humidité ». — Notre auteur
paraît avoir trouvé un peu loux'd et n'avoir pas bien compris le
développement de Marc : « où il n'eut pas beaucoup de terre, et il
leva bientôt ». On dirait qu'il n'a pas perçu le rapport établi entre le
peu de terre et la germination rapide ; il se représente le grain sur
des pierres où il peut germer pour être aussitôt desséché, mais ce
grain aurait été dans les mêmes conditions que celui du chemin, et
mangé parlesoiseaux. — «Et il en tomba d'autre au milieu des épines,
et les épines, croissant en même temps » — que le grain, ■ — « l'étouf-
fèrent ». — Marc (iv, y) ajoute : « et il ne donna pas de fruit », trait
qui a paru inutile aux deux autres synoptiques, mais qui n'est pas
superflu dans l'économie de la parabole, pour signifier que ce grain,
qui a levé, quia grandi, n'a pu cependant venir en épi. — « Et il en
tomba d'autre sur la bonne terre, et ayant levé, il porta fruit au cen-
tuple ». — Ici encore Marc(iv, 8) montrait la croissance de la plante,
cette fois jusqu'à maturité, avec un produit abondant et varié :
« trente, et soixante, et cent pour un ». Notre auteur, abrégeant celle
conclusion, retient leplus gros chiffre, ce qui fait ressortir l'abondance
du produit, sans marquer la variété. On peut dire que l'abondance
est ce qui importe le plus ; mais la variété est un trait de nature et
qui avait aussi un sens pour l'application de la parabole. — « C^e
disant, il criait ; « Qui a oreilles pour entendre entende I » — Dans
Marc (iv, g), la pause finale, qui précède l'invitation à pénétrer le,
sens de la parabole, est indiquée par la simple reprise : « et il dit »,
qui fait ressortir en même temps l'avertissement. Notre auteur accen-
tue la formule, probablement pour faire valoir le caractère d'oracle
qui appartient à l'enseignement de Jésus.
«Or ses disciples lui demandaient ce qu'était cette parabole», —
ce qu'elle signifiait en son appliéation à la matière du règne de Dieu.
Ainsi les disciples ne demandent pas, comme dans Marc (iv, lo), la
LUC, viir^ 11 2'41
11 Mais voici la parabole :
la semence est la parole de Dieu.
raison de l'enseignement parabolique mais la signification particu-
lière, de la parabole qui vient d'être dite. L'auteur n'en retient pas
moins la réponse qui convient à la question générale posée dans
Marc. Pour simplifier la mise en scène et supprimer des allées et
venues inexplicables, n'ayant pas parlé du lac ni de Ja barque, il ne
dit pas non plus que Jésus se soit retiré à l'écart avec son entourage
de disciples et les Douze. Par suite, il semblerait que la question des
disciples ait été faite en public, et que Jésus y ait répondu de même,
en sorte que « les autres», ceux à qui Dieu refuse la connaissance des
mystères, se trouveraient entendre et cette déclaration si fâcheuse
pour eux, et l'explication de la parabole, qui est censée pourtant
réservée aux disciples. L'harmonie de notre récit est donc plus appa-
rente que réelle, l'auteur ayant eu souci d'un certain ordre extérieur
plutôt que des vraisemblances et même du problème que soulève
dans Marc la question des disciples.
«Et il dit; «A vous il a été donné de connaître les secrets du
royaume de Dieu ». — Au lieu de Marc (iv, ii) : « C'est à vous qu'a
été donné le secret (xb (xuaTT^piov) du règne de Dieu ». Il y a une
nuance entre posséder le mystère indépendamment des paraboles, et
connaître les particularités du mystère moyennant les paraboles. On
peut dire que notre auteur n'attache pas au mot « mystère » le même
sens que. Marc. — «Mais aux autres», — aux. Juifs incrédules, —
«c'est en paraboles » — que sont proposés les secrets salutaires.
Marc : « mais à ces gens du dehors tout arrive en paraboles ». Notre
auteur tient compte de ce que, dans les discours publics de Jésus, il
y a autre 'chose que des paraboles ; peut-être aussi a-t-il trouvé que
la formule ; « gens du dehors », manquait de couleur locale et ne con-
venait pas pour désigner les Juifs. ~ « Afin que, voyant, ils ne voient
pas, et, entendant, ne comprennent pas ». — Notre auteur a soin de
laisser tomber la finale (Me iv, 12) : « de peur qu'ils ne se conver-
tissent et qu'il ne leur soit pardonné », en ayant été probablement
choqué, et, tout en déclarant providentiel l'aveuglement des Juifs,
ne trouvant pas intérêt à y insister en cet endroit, où il n'a pas pour
contre-partie la vocation des G<'.ntils, Il reste cependant que les secrets
du royaume sont dits en paraboles devant les Juifs pour que ceux-ci
n'y comprennent rien .
« Mais voici la parabole ». — L'évangéliste amène, sans autre
préambule, l'explication du Semeur, comme si cette explication était
A. LoisY. — VEvangile selon Luc. • 16
242 LUC, vm, 12
^2 Ceux qui sont le long du chemin sont ceux qui ont entendu ;
ensuite vient le diable, et il enlève la parole de leurs cœurs,
pour qu'ils ne soient pas sauvés en cro3'anl.
justifiée par le principe qui vient d'être posé; et Jésus ne s'étonne^
pas, comme dans Marc* (iv, i3), de l'inintelligence des disciples, parce
que, si l'hagiographie a d'abord évité (viii, lo) de paraître attribuer à
ceux-ci une science qu'ils n'avaient pas encore, il ne veut pas non
plus les diminuer dans la considération du lecteur. — « La semence
est la parole de Dieu», — c'est-à-dire la prédication évangélique.
Eclaircissement de Marc (iv, i4) : «Le semeur sème la parole », en
correspondance avec la formule initiale (viii, 5) : «Le semeur soi*tit
semer sa semence ». — On ne dit pas qui est le semeur : ce sont, en
général les missionnaires de l'Evangile, et non seulement- Jésus, qui
d'ailleurs les assiste. La comparaison porte sur les fortunes diver-ses
du grain jeté par le semeur et sur celles de la parole jetée par le pré-
dicateur évangélique. — « Et ceux qui sont le long, du chemin », —
comme dans Marc (iv, i5), la semence se trouve ne plus désigner la
parole, mais les hommes à qui la parole a été adi'essée, — « sont
ceux qui ont entendu » — la parole, et — « à qui ensuite le diable », —
Marc: « Satan», — « vient enlever dé leur cœur la pai'ole, pour
qu'ils ne soient pas sauvés en croyant ». — Cette finale, que notre
auteur ajoute à la donnée de Marc, semblerait avoir un son paulinien
(cf. Rom. i, i6 ; I Cou. i, 21) ; mais il s'agit de la foi à la parole, et ce
n'est que transposition du menàbre de phrase qui a été omis plus
haut (vin, 11), quand il s'agissait d'expliquer, d'après Marc(et Isaïe),
le but des paraboles. On pourrait même se demander si c'est le
diable qui ne veut pas le salut des hommes, et si ce ne serait pas
Dieu qui permettrait au. diable d'enlever la parole,, afin que le
hommes n'arrivent pas au salut moyennant la foi. Si notre auteur
s'abstientde dire avec Marc que le diable vient « aussitôt», cène doit
pas être pour laisser une place à la responsabilité de ceux pour qui la
parole est immédiatement perdue, les deux autres synoptiques ne
songant pas plus que Marc à cette responsabilité, et semblant vou-
loir expliquer le fait au moyen de la prédestination plutôt que
par une attention particulière à la part qui sei'ait celle de la liberté
humaine dans les conditions morales de l'effet produit en telles cir-
constances.
« Et ceux qui sont sur la pierre », — Marc (iv, 16) : « ceux qui sont
semés sur les endroits pierreux, — « sont ceux qui, lorsqu'ils
entendent, reçoivent avec joie la parole; et ils n'ont pas de racine »,
LUC, VIII, 13-15 243
" Ceux qui sont sur la rocaille sont ceux qui, lorsqu'ils
[ont entendu,
avec joie reçoivent la parole ;
et ceux-là n'ont pas de racine,
ils croient pour un temps,
et en temps d'épreuve ils se retirent.
^* Ce qui tombe sur les épines, ce sont ceux qui ont
[entendu,
et qui par soucis, richesse, plaisirs de la vie,
allant, sont étouffés et n'arrivent pas à maturité,
^^ Ce qui est dans la bonne terre, ce sont ceux
qui, l'ayant entendue de cœur droit et bon,
retiennent la parole et portent fruit par patience.
— Marc ajoutait : « en eux-mêmes »; — « ils croient pour un temps »,
— Marc : «ils ne durent pas », — « et au moment de l'épreuve ils se
retirent », — Marc : « la persécution survenant ensuite à cause de la
parole, ils sont aussitôt rebutés »,. Notre auteur a pu trouver que « la
persécution pour la parole » anticipait trop sensiblement sur la pers-
pective du discours ; mais l'idée vague de « tentation » fait que ce cas
ne se distingue plus nettement du troisième. On remarquera qu'ici la
sécession est mise en relief, et dans Marc le défaut de persévérance.
« Et ce qui est tombé sur les épines ». — Marc (iv, i8) : « et les
autres qui sont semés sur les épines ». Notre auteur s'est aperçu que
c^est le grain, non l'homme, dont on peut dire qu'il est semé. Chétive
amélioration, puisque les hommes, au lieu de la parole, sont toujoui's
figurés par le grain qui tombe, et que l'évangélisle, pour sauver
l'unité de sa phrase et la symétrie de ce cas avec les autres, en vient
à dire que les hommes eux-mêmes, avançant dans la vie, sont étouffés
par les soucis de ce monde avant d'être mûrs. — « Ce sont ceux qui
ont entendu et qui, s'en allant, sont étouffés par les soucis, la
richesse, les plaisirs de la vie et n'arrivent pas à maturité ». — Max'c
disait beaucoup mieux : « Ce sont ceux qui ont écouté la pai-ole, et
les soucis du monde, la séduction des richesses, les convoitises
d'autre sorte, s'introduisant, étouffent la parole ».
« Et ce qui est dans la bonne terre, ce sont ceux qui, ayant entendu
la parole, la retiennent dans un cœur droit et bon », — Marc (iv, 20) :
« Et ceux qui ont été semés sur la bonne terre, ce sont ceux qui
écoutent la pai'ole et qui l'acceptent», — a et portent du fruit en
244 LUC, VIII, 16-17
^* Personne, ayant allumé lampe,
ne la cache sous vase
ou ne la met sous lit ;
mais sur support on la met,
pour que les entrants voient la lumière.
^' Car rien n'est caché qui manifeste ne devienne,
ni secret qui ne soit connu
et au jour n'arrive.
patience », — ou en persévérance, ce quiles distingue des précédents ^
notamment de ceux qui « se retirent » (viii, i3), et assure la fécondité
de la parole. Ces fruits de la foi persévérante remplacent les chiffres
que donne encore ici Marc : « et qui portent des fruits, à trente, à
soixante, à cent'pour un ». Seul des trois synoptiques, notre évanj^é-
liste a pensé à mettre en relief la persévérance de ceux en qui la
parole arrive à produire sou fruit.
Il a voulu rattacher la comparaison de la lampe au commentaire-
du Semeur, en laissant tomber la reprise de Marc (iv, 21): « Et il
leur dit ». Son idée paraît être que la parole, qui est une lumière, ne
doit pas être, en ceux qui Tout reçue, comme une lampe sous le bois-
seau. Il n^est peut-être pas indifférent de noter que la période initiale
de l'Evangile, celle qui correspond au ministère de Jésus, est aussi
bien celle du secret non dévoilé encore et que fera connaître la pré-
dication apostolique ; et ce sont toujours considérations rétrospec-
tives, par application de sentences proverbiales à la fortune du chris-
tianisme naissant . Sans doute ne faut-il pas serrer de trop près ces
applications, ni déduire, par exemple, du présent passage,que l'Evan-
gile primitif était une doctrine tout ésotérique.
« Mais personne, allumant une lampe, ne la cache sous un vase ou-
ne la met sous le lit ». — Marc : « Est-ce que la lampe vient pour
être mise sous le boisseau ou sous le lit ?» — « Mais on la met sur le
support, afin que ceux qui entrent voient la lumière ». — Marc i
« N'est-ce pas pour être mise sur le support? » Mais ce qu'y ajoute
notre évangile se trouve en rapport avec Matthieu (v, i5) et trahit
l'influence de sa source (cf. xi, 33). — " Car rien n'est caché qui ne-
devienne manifeste », — Mai'c (iv, 22) : « Car il n'y a rien de caché
que pour être manifesté » ; — « ni secret qui ne soit connu et n'arrive
au jour ». — Marc : « Rien n'est secret que pour venir au jour ». On
pourrait se demander si notre auteur entend, comme Marc paraît
l'avoir entendu, que la parole est faite pour être publiée par ceux qui
LUC, VIII,- 18 243
" Voyez donc comment vous écoulez :
«ar, celui qui a,
à lui l'on donnera ;
et celui qui n'a pas,
même ce qu'il croit avoir lui sera ôté. »
l'ont reçue avec foi, ou bien si c'est là conduite du croyant qui doit
faire briller la parole en procurant l'édification de tous; mais le pre-
mier sens convient mieux à la teneur du texte, et le présent dévelop-
pement ne continue pas l'explication de la parabole du Semeur, en
insistant sur le fruit de la parole dans les individus ; il marque plutôt
le rôle des disciples en tant qu'agents de la parole. L'évangéliste a
jugé inutile de répéter ici l'apostrophe de Marc (iv, aS) : « Si quel-
qu'.un a des oreilles pour entendre, qu'il entende », et il omet de
même la reprise (Me. iv, 24) : « Et il leur dit », devant la sentence
suivante.
a Voyez donc comment vous écoutez », — Marc (iv, 24) : « Faites
attention à ce que vous entendez », Notre auteur veut dire que celui
qui est vraiment attentif à la parole et qui la pratique en recueillera
un profit croissant, tandis que l'auditeur imparfait perdra le peu de
bien spirituel qu'il avait ou croyait avoir. — « Car à qui a l'on don-
nera ; et à qui n'a pas, même ce qu'il croit avoir sera ôté ». — Marc
(iv, 25) disait: «même ce qu'il a». Notre évangéliste aura pensé
qu'on ne peut rien prendre, à qui n'a rien; le paradoxe n'est
atténué que dans la forme et incomplètement, car la possibilité de
l'enlèvement n'est pas donnée par une possession apparente. Mais
peut-être a-t-il voulu signifier surtout que les auditeui^s imparfaits
ne possèdent pas réellement la parole, et que les Juifs, qui semblent
posséder l'Ecriture, l'ont réellement perdue, témoignant (jar leur
incrédulité qu'ils ne la comprennent pas. Entre l'invitation à écouter
comme il faut, et cette sentence, il a omis la sentence de la mesure
(Me, IV, 24 b), qu'il avait rapportée auparavant (vi, 38), Il va montrer
dans l'anecdote suivante comment les vrais auditeurs sont ceux qui
écoutent la parole de Dieu pour la mettre en pratique. Et il arrête ici le
discours des paraboles, négligeant aussi les remarques finales de
Marc (iv, 33-34) sur les paraboles que Jésus disait au peuple, sauf à
les expliquer en particulier à ses disciples. Ce discours n'est pas pour
lui comme pour Marc l'inauguration d'un enseignement spécial, direc-
tement coordonné à l'endurcissement des Juifs.
Les éléments. plus ou moins cohérents par lesquels a été constituée
246 LDC, VIII, 19-20
^8 Et vinrent le trouver sa mère et ses frères,
et ils ne pouvaient le joindre, h cause de la foule.
2° Maiè on l'avertit :
a Ta mère et tes frères sont là dehors,
voulant te voir, d
la relation de Marc n'en sont pas moins discernables : un cadre arti-
ficiel englobant la parabole du Semeur et quelques sentences prover-
biales, le commentaire du Semeur, la théorie générale du" mystère
chrétien, intelligible au croyant dans les paraboles, voilé pour le non
croyant sous la parabole. La théorie suppose le mystère institué ; le
commentaire allégorique du Semeur est en rapport avec les expé-
riences de la propagande chrétienne ; la parabole du Semeur est sus-
ceptible, par elle-même, de mainte application ; elle appartient à la
tradition juive (cf. IV Esnn. viii, 4i)- Dans les conditions où la tra-
dition évangélique nous la présente, rien ne prouve qu'elle ait été
utilisée par Jésus. De bonne heure on l'aura trouvée propre à figm'er
les résultats variés de la prédication chrétienne, de l'action du Christ
enseignant; et de là vient que, dans Marc, elle est présentée en sym-
bole de l'enseignement évangélique.
XXVII. Les vrais parents du Christ
L'évangéliste a volontairement abrégé le récit de Marc en le trans-
posant, et tout d'abord il omet le motif assigné dans le second évan-
gile (ni, 2i) à la démarche de la famille. Renvoyant l'affaii^e de Beel-
zeboùl et la demande de signe après le départ de Galilée, il a dû
placer plus tôt l'intervention des parents, et il a jugé que le discours
des paraboles, qui la suit.immédiatement dans Marc, lui fournissait
une occasion analogue à celle qu'indiquait celui-ci. Bien qu'il ait laissé
tomber la mise en scène.de Marc, et que la parabole du Semeur soit
pi'ononcée dans un endroit quelconque au milieu d'une grande foule,
il .montre lia famille « dehors » (vni, Qo), ce qui n'a de signification
que dans le cadre du second évangile, d'autant que l'explication du
Semeur, non destinée à la foule, ne suppose plus que la présence des
disciples, en sorte que la famille devz'ait pouvoir s'approcher de Jésus.
Le vague de la description, où la foule est à la fois présente et
absente, permet la combinaison, mais n'en dissimule pas l'artifice.
« Or sa mère et ses frères vinrent le tx'ouver », — Mai'c (iii, 3i)^
ayant signalé plus haut la démarche, disait : « Et arrivent sa mère et.
LUC, VIII, 21 247
'^Etlui, répondant, leur dit :
« Ma mère et mes frères, ce sont
ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la pratiquent.
ses frères » ; la famille, arrêtée par la foule devant la maison, iaisait
transmettre son message à Jésus dans l'intérieur du logis. Noti-e auteur
abrège ces détails, — » Et ils ne pouvaientle joindre à cause de la foule;
mais on l'avertit : « Ta mère et tes (Vères sont là dehors, Youlant te
voir ». — Marc (m, 32) : « Voici dehors ta mère et tes frères, qui te
demandent ».
Notre auteur abrège aussi la réponse de Jésus; il supprime d'abord
la première réplique (Me. ui, 33) : « Qui est ma mère et qui sont mes
frères? » puis le regard de Jésus sur ceux qui l'entourent, et la décla-
ration : « Voici ma mère et mes frères.» (Me. lu, 34) ; et s'il retient la
sentence essentielle (Me. m, 35) : « Quiconque fait la volonté de
Dieu, celui-là est mon frère, et ma sœur et ma mère », il ne laisse pas
de l'atténuer quelque peu dans la forme : — « Et répondant il leur
dit : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu
et qui la pratiquent». — La mention de la parole, au lieu de la
volonté divine, est pour le raccord de l'anecdote au précédent dis-
cours, dont elle ferme pour ainsi dire le cadre et achève l'enseigne-
ment (cf. VI, 47-4,9)' Mais les omissions sont dues beaucoup moins au
désir d'abréger qu'au souci d'écarter les traits qui impliqueraient un
blâme ou un désaveu à l'égard des parents. Cette suppression, il est
vrai, se trouve insuffisante pour l'objet qu'on se propose; mais il
semble que, dans l'intention de l'évangéliste, la déclaration concer-
nant la parenté spirituelle ne doive pas être comprise en un sens défa-
vorable aux parents naturels. Les deux parentés ne sont point ici en
opposition, bien que l'évangéliste ne se soit pas avancé jusqu'à dire
expressément que la lamille naturelle était aussi bien à comprendre
dans la famille spirituelle .
L'anecdote n'en a pas moins pris un caractère tout idéal, en perdant
les traits vivants et réalistes qu'y donnait Marc. Il est vrai que, déjà
dans Marc, le point culminant de l'anecdote est la sentence finale
(Me, m, 35), en vue de laquelle l'anecdote pourrait bien avoir été
construite (Bultmann, i5 ; contre M, Dibelius, Formgeschiùhte, ag,
Sa), ce qui lui enlèverait le caractère d'historicité en tant que trait
spécial de la vie de Jésus, et pourrait compromettre môme sa signi-
ûcation générale quant à l'attitude des pai'ents à l'égard du. nou-
veau prédicateur (Me. m, ai).
248 LUC, Yiii, 22-24
22 Or advint, un cerlainjour,
qu'il monta en barque ainsi que ses disciples ;
et il leur dit:
« Passons à l'autre bord du lac » ;
et ils démarrèrent.
23 Mais, pendant qu'ils navig-uaient, il s'endormit.
Et descendit tourbillon de vent sur le lac ;
et ils étaient. envahis et couraient danger.
2* Ets'étant approchés, ils l'éveillèrent, disant:
« Maître, maître, nous périssons ! »
Et s'étant levé, il taniça le vent
et Ja houle de l'eau,
et ils s'apaisèrent, et il y eut calme,
XXV IL La tempête
Ayant changé la mise en scène du discours des paraboles et ratta-
che à ce discours la dénxarche de la famille, notre évangéliste a dû
changer de môme" les préliminaires du miracle de la tempête apaisée.
Dans Marc(iv, 34-35), Jésus, qui était dans une barque sur le lac pour
prononcer le discours des paraboles, n'a, le soir venu, qu'à donner à
ses disciples l'ordre de partir pour l'autre rive, et durant la traversée
il s'endort. La combinaison de Max^c peut être artificielle, elle ne
manque pas de logique. Le récit dans Luc ne lient plus à rien, et il
faut d'abord mettre Jésus dans la barque. — « Or advint, un certain
jour, qu'il monta en barque ainsi que ses disciples, et il leur dit », —
comme dans Marc (iv, 34) • — « Passons à l'autre bord du lac ». Et
ils partirent ». — L'auteur n'a pas à mentionner les cii'constances où
s'arrête Marc (iv, 36), et, avant d'en venir à la tempête, il signale le
sommeil de Jésus, mais sans les précisions de Marc (iv, 38).
« Or, pendant qu'ils naviguaient, il s'endormit. Et il descendit un
tourbillon de vent sur le lac ». — Marc (iv, 3;;) : « Et il survint un
grand tourbillon de vent )). Notre auteur dit : « descendit», soit à
raison de la situation du lac, encaissé entre des hauteurs. Soit parce
que l'esprit de la tempête vient d'en haut (cf. ix,55). — « Et ils étaient
envahis et couraient danger». — Marc : « Et les vagues envahis-
saient la barque, en sorte que la barque était déjà remplie ». — « Et
s'étant approchés, ils l'éveillèrent, disant : « Maître, maître, nous
péx'issons ! ». — Appel plus pressant que dans Marc (iv,38), mais
LUC, viii, 25-26 249
36 El il leur dit :
Où est votre foi ?»
Mais effrayés, ils s'étonnaient,
se disant entre eux ;
(i Qui donc est-il,
pour commander aux vents et à l'eau
et en être obéi ?»
** Et ils abordèrent au pays des Géraséniens,
qui est en face de la Galilée.
■d'où est éliminée la nuance de reproche : « Maître, n'as-tu pas souci
de ce que nous périssons?» — « Et s'étant levé, il menaça le vent et
la houle de l'eau », — Marc (iv, Sg) : « il menaça le vent et il dit à la
mer : « Silence, tais-toi ». — « Et ils s'apaisèrent, et il y eut calme ».
— Marc : « et le vent s'apaisa, et il se fit grand calme». — « Et il leur
dit : « Où est votre foi? » — Atténuation de Marc (iv, ^o): « Pourquoi
-êtes-vous craintifs ? N'avez-vous pas encore de loi ? » — Mais, pas
plus que dans Marc, le cri de détresse des disciples n'est compris en
recours inspiré par la confiance.
« Mais, efirayés, ils s'étonnaient ». — Marc (iv, 4i) : « Et ils furent
saisis d'une grande frayeur ». Matthieu (vm, 27) : « Et les hommes
■s'étonnèrent ». Notre passage semblerait donc dépendre de Mare et
de Matthieu ; mais, si l'hypothèse d'une rencontre fortuite n'est pas
très probable, on peut supposer que les deux évangélistes plus
récents ont connu et Marc et la source dont dépend Marc lui-même.
— « Se disant entre eux : « Qui donc est-il, pour qu'il commande et
aux vents et à l'eau, et qu'ils lui obéissent ?» — Paraphrase de
Marc : « Qui donc est-il, pour que même le vent et la mer lui obéis-
:sent ? »
XXIX. Le possédé de Gébasa
« Et ils abordèi'ent au pays des Géraséniens, qui est en face de la
'Galilée ». — Marc (v, i) : «Et ils arrivèrent à l'autre bord de la mer,
au pays des Géraséniens ». La notice, surtout dans Luc, est d'une géo-
graphie incertaine. Il n'est pas probable que la leçon du texte reçu :
(( au pays des Gergéséniens » (rsp^eff-i^vwv), ait été préférée par notre
évangéliste aux Géraséniens (repaarivcov) de Marc. La topographie du
miracle est tout aussi malaisée à déterminer (cf. Lagrangk, 25o) ; c'est
peut-être que l'histoire, empruntée d'ailleurs, a été artificiellement
250 LUC, VIII, 27-29
*'' Or, comme il descendait à terre,
se présenta un homme de la ville qui avait démons
et depuis longtemps ne portait pas de vêtement,
ni en maison ne demeurait, mais dans les tombeaux.
'S Or, ayant vu Jésus,
en criant il se prosterna devant lui,
et à pleine voix il dit :
« Qu'y a-t-il entre moi et toi,
Jésus, fils du Dieu très-haut ?
Je t'en prie, ne me tourmente pas. »
*^ Car il ordonnait à l'esprit impur
de sortir de l'homme.
Car à plusieurs reprises il l'avait saisi ;
et on l'avait lié de chaînes et d'entraves, sous garde ;
et brisant les liens,
il était poussé par le démon aux déserts.
localisée dans la légende de Jésus (cf. Klostermann, 462 ; Bultmann,.
i3o).
Or, comme il descendait à terre, se présenta un homme de la ville
qui avait des démons ». — Marc (v. 2) : « Et comme il quittait la
barque, vint à sa rencontre », sortant « des tombeaux, un homme en
esprit impur ». Notre auteur a pris sur lui de dire que l'homme était
delà ville. La pluralité des démons est pour préparer l'aveu de
« Légion ».— « Et qui depuis assez longtemps ne portait plus de vête-
ment ni ne restait en maison mais » demeurait « dans les tombeaux».
— Marc (v, 8) : « qui avait sa demeure dans les tombeaux ». La
nudité n'est qu'impliquée dans la l'elation de Marc (v, i5). Ce que
Marc (V, 3 b-5) ajoute un peu confusément sur les crises qui avaient
obligé à lier cet individu de chaînes qu'il avait rompues pour s'en-
fuir dans le montagne où les cavernes sépulcrales lui servaient
d'abri, ne viendra que plus loin dans notre récit et en abrégé. La
combinaison est assez maladroite, et l'on dirait que le rédacteur,
après avoir pris le parti démettre ces détails, se serait avisé qu'il
avait besoin de les signaler brièvement,
« Or, ayant vu Jésus, il se prosterna devant lui en criant, et il dit
à baute voix ». — Les cris dépourvus de sens que pousse d'abord le
démoniaque semblent distingués du discours, également crié, qu'il
tient ensuite à Jésus. Marc (v, 6-7) est plus vivant et plus circons-
LUC, VIII, 30 251
'" Et Jésus lui demanda :
<f Quel est ton nom ? »
. Et il dit : « Légion », ,
parce qu'étaient entrés, en lui nombreux démons.
tancié : «Et ayant vu Jésus de loin, il accourut et se prosterna devant
lui, et criant à haute voix, il dit ». C'est parce que l'iiomme est pos-
sédé qu'il crie si fort. Le haut cri est un effet de l'inspiration, soit
divine (cf. t, 42), soit démoniaque. — « Qu'y a-t-il entre moi et toi,
Jésus fils du Dieu très haut ? ». ^ — Même profession de foi que dans
Marc (v, 7) ; et il est assez curieux que les démons soient censés les
premiers à reconnaître en Jésus un « fils de Dieu », et qu'ils défi-
nissent Dieu lui-même par la formule de « Dieu très haut». Car
c'est le démon qui fait parler l'homme, et il n'est pas autrement cer-
tain que les mots : « Dieu très-haut », donnent à entendre que le pos-
sédé n'était pas juif (cf. Act.xvi, 17). Telle pourrait être cependant
la pensée de ce récit plus où moins symbolique (voir Marc, i52, i54,
iSg). — (( Je t'en prie ne me tourmente pas » . -r- Notre auteur a mis la
prière à la place de la sommation : «Je t'adjure par Dieu », qui
l'aura probablement choqué dans Marc. — « Car il ordonnait à l'es-
prit impur de sortir de l'homme ». — Marc (v, 8) : « Car illui disait :
«Sort, esprit impur.de cet homme». — Suit. la notice, abrégée deMarc
(v, 3&-5), touchant les crises antérieures du démoniaque. — « Cai;, à
.plusieurs reprises », — dans certaines crises particulièrement vio-
lentes, le susdit esprit — « s'était emparé de lui, et », — pour .le
dompter dans les mouvements .frénétiques que lui donnait cette pos-
session, — « on le gardait lié de chaînes et d'entraves », — mais ces
précautions devenaient superflues, — « et brisant les liens, il était
poussé par le démon aux déserts » . — • L'auteur dit « les dései'ts » ,
(parce que tel est le goût des démons, et sans s'inquiéter autrement
de la nature du pays, pour ne pas répéter la mention des tombeaux ,;
mais l'indication devient plus vague que Marc (v, 6) : « Et continuel-
lement, nuit et jour, il était dans les tombeaux et dans les mon-
tagnes », etc.
« Or. Jésus lui demanda : « Quel est ton nom ? » et il dit : « Légion »,
— se dénommant ainsi — « parce que plusieurs démons étaient
entrés en lui ». — En prenant à son compte l'explication, le narra-
teur corrige la naïveté de Marc (v, 9) : « Jjégion est mon nom, parce
que nous sommes plusieurs. » Comme dans Marc, la question est
adressée à l'homme, et c'est le démon qui répond, parce que le démon
est conçu, pour ainsi dire, comme étant actuellement la personnalité
252 LUC, VIII, 31-33
31 Et ils le suppliaient de ne pas leur commander
de s'en aller dans l'abîme.
32 Or il y avait là
un troupeau nombreux de porcs,
dans la montagne paissant.
Et ils le supplièrent de leur permettre
d'entrer en eux ;
et il le leur permit.
33 Et les démons, sortis de l'homme,
entrèrent dans les porcs ;
et le troupeau s'élança de l'escarpement dans le lac,
et il fut noyé.
de l'homme ; du reste, le nom que Jésus demande n'est pas celui de
l'homme, mais celui du démon qu'il se propose d'expulser. 11 est sous-
entendu que les diables sont pourvus d'un nom personnel, comme les
hommes, et la connaissance du nom importe au succès de l'exorcisme
(cf. Marc, i53). — «Etils le suppliaient de ne pas leurcommander de
s'en aller dans l'abîme ». — Dans Marc (v, lo), c'est l'homme qui prie
pour ses démons : « Et il insistait beaucoup pour qu'il ne les envoyât
pas hors du pays ». Notre auteur dit : « dans l'abîme », en prévision
du dénouement^ les démons qui vont plonger dans le lac étant censés
reconduits à une sorte d'enfer. D'ordinaire l'internement des diables
en enfer était plutôt l'éservé au jugement dernier ; mais l'abîme dont
il s'agit peut se confondre plus ou moins avec la mer, et n'être iden-
tique ni au scheol, qui n'est pas précisément un abîme, ni à « l'abîme
de feu » dont parle l'Apocalypse (xx, 3, 7, 10, i3-i5).
« Or il y avait là un troupeau nombreux de porcs qui paissaient
dans la montagne, et ils le supplièrent de leur permettre d'entrer
en eux ». — Marc (v, 12) : « Et ils le supplièrent, disant ; « Envoie-
nous dans les porcs, afin que nous entrions en eux ». — La naïveté
de Marc est atténuée, et aussi la part de Jésus dans l'affaire des porcs.
— « Et il le leur permit. Or, sortant de l'homme, les démons ». —
Marc : « les esprits impurs », — « entrèrent . dans les porcs, et le
troupeau s'élança de l'escarpement dans le lac ». — Notre auteur
omet l'évaluation du troupeau; Marc (v, i3) : « environ deux mille ».
— « Et il fut noyé ». — Marc : « et ils furent noyés dans la mer ».
« Et les pâtres, ayant vu ce qui était arrivé, s'enfuirent », — Marc
V, i4) : « Et leurs gardiens s'enfuirent», — « et ils dirent la nou-
velle dans la ville et dans les champs. Et les gens sortirent pour
LUC, VIII, 34-88 , 253
3* Et les pâtres, voyant l'aventure,
s'enfuirent l'annoncer dans la ville et dans les champs.
^^ Et (les gens) sortirent pour voir ce qui était advenu ;
ils vinrent vers Jésus,
et ils trouvèrent assis l'homme
de qui les démons étaient sortis,
vêtu et de bon sens, aux pieds de Jésus ;
et ils furent effrayés.
8^ Et leur firent récit
ceux qui avaient vu comment avait été guéri le démoniaque ;
et toute la population du territoire des Géraséniens lui
[demanda
de s'éloigner d'eux,
parce que de grande frayeur ils étaient pris.
Et lui, montant en barque, s'en retourna.
'^ Or lui demandait l'homme
de qui étaient sortis les démons,
d'être avec lui ;
mais il le congédia, disant :
voir l'aventure », — Mai'c : « vinrent voir ce qu'était l'aven-
ture »; — « ils vinrent près de Jésus, et ils trouvèrent assis l'homme
de qui les démons étaient sortis », — Marc (v, i5) : « ils virent le
démoniaque assis », dans la modeste attitude d'un disciple, comme
on verra bientôt qu'il avait l'intention de le devenir, — « vêtu et dans
son bon sens, aux pieds de Jésus ». — Ce dernier trait remplace avan-
tageusement Marc: «lui qui avait eu Légion». — «Et ils furent effrayés.
Et les témoins leur racontèrent comment avait été guéri le démo-
niaque », — Marc : « ce qui s'était passé pour le démoniaque, et
l'affaire des porcs ». — - « Et toute la population des Géraséniens lui
demanda de s'éloigner d'eux, parce qu'ils étaient pris d'une grande
frayeur », — Ici notre auteur encliérit sur Marc (v, 17) : « Et ils se
mirent à le prier de s'éloigner de leur territoire ». Sans doute a-t-il
voulu trouver un motif, et presque une excuse, à la démarche des
Géraséniens, — «Et lui, montant en barque, s'en retourna. »
« Cependant Thomme de qui les démons étaient sortis le priait de
l'admettre avec lui ». — Ici encore Marc (v, 18) est plus bi*ef: « Et
comme il montait dans la barque, le démoniaque lui demanda d'être
avec lui ». — « Mais il le congédia, disant », — Marc (v, 19) : « Et il
2o4. LUC, viir, 39-41
^^ « Retourne en ta maison,
et raconte tout ce qu'a fait pour toi Dieu.
Et il s'en alla, par toute la ville publiant
tout ce qu'avait fait pour lui Jésus,
*o Et au retour de Jésus, la foule le reçut ;
car tous l'attendaient.
^^ Et vint un homme nommé Jaïr,
qui était chef de la synagogue,
et tombant aux pieds de Jésus,
il le suppliait d'entrer dans sa maison,
ne le lui permit pas, mais il lui dit ». — « Retourne en ta maison, et
raconte tout ce que t'a fait Dieu». — Marc : «Va dans ta maison, près
des tiens, et annonce-leur ce que le Seigneur t'a fait et les bontés qu'il
a eues pour toi». — «Et il s'en alla publiant par toute la ville tout
ce que lui avait fait Jésus ». — Curieuse modification deMarc(v,Qo) :
« Et il s'en alla, et il se mit à publier dans la Décapole tout ce que
lui avait fait Jésus, et tous étaient dans l'admiration ». La variante
ne doit pas être accidentelle, puisque Marc (vu, 3i) parle encore
ailleurs de la Décapole (cf. Mt. iv, aS), que Luc ne mentionne jamais
(autrement l'on pourrait supposer que Marc aurait écrit Ssxa par un
i que Luc n'aurait pas vu, ou bien que Marc aurait éci'it sv i-r^t ■koIv.,
qui serait devenu dans la transcription èv tv] AExaTîôXsi).
XXX. La fille de Jaïr
Dans Marc, le miracle de résurrection ne se rattache pas très étroi-
tement au précédent, et l'on entrevoit encore l'artifice, inspiré par
une raison didactique, qui a présidé au groupement de récits primi-
tivement indépendants. Notre auteur, en interprétant les données
de Marc, établit une liaison plus étroite entre les faits. — « Or, il
arriva, quand revint Jésus, que la foule le reçut ; car tous l'atten-
daient ».' — Ce n'est pas précisément ce que disait Marc (v, ai), où
le rassemblement de la foule suit le retour de Jésus sur la rive occi-
dentale du lac : « Et Jésus étant revenu de l'autre côté dans la bar-
que, une foule nombreuse se rassembla, et il était » avec cette foule
« auprès de la mer » quand Jaïr vint le trouver.
« Et vint uu homme appelé Jaïr, qui était chef de la synagogue ».
— Marc (v, ai) ; « un des chefs de synagogue ». Notre évangile pax^aît
LUC, VIII, 42-44 255
^2 parce qu'il avait une fille unique d'environ douze ans,
qui se mourait.
Or, pendant qu'il (y) allait,
les foules l'étouffaient.
*2 Et une femme en flux de sang- depuis douze ans,
qui, ayant dépensé en médecins tout son bien,
n'avait pu se faire guérir par aucun,
^^ s'étant approchée par derrière,
toucha la houppe de son manteau ;
et aussitôt s'arrêta son flux de sang.
entendre que la ville (Gapharnaûm ?) n'a qu'une synagogue dont
Jaïr est le président. Marc vise plutôt un des chefs d'une synagogue
qui en aurait plusieurs (cf. Act. xiii, i5), que le chef d'une synagogue
dans une ville qui aurait plusieurs lieux de culte. 11 semble qu'on
doive distinguer l'archisynagogue (àp'/tffuvâywYoç), seul chargé de la
direction du culte, des « chefs de la synagogue » (ap/ovxeç tti; amaymyTic,),
qui étaient plusieurs en chaque synagogue (Lagrangb, 253). Ici Jaïr
est dit« chef de la synagogue », et plus loin« archisynagogue ». Les
idées du narrateur n'étaient peut-être pas très nettes en ce qui
regarde la distinction dont il s'agit. — «Et tombant aux pieds de
Jésus, il le suppliait d'entrer dans sa maison ». — Marc (v, aS): « Et le
voyant, il tomba à ses pieds et le supplia beaucoup, disant: « Ma
petite fille est à l'extrémité; viens lui imposer les mains afin qu'elle'
soit sauvée et qu'elle vive ». On n'a retenu ici que le sens général de
la prière. — « Parce qu'il avait une fille unique », — notre auteur
dit « unique », afin de rendre l'histoire plus touchante, comme il a
faitpourle jeune homme de Naïn, — «d'environ douze ans »,— notice
anticipée de Marc (v, 42), où l'âge est indiqué seulement à la fin du
récit, — « qui se mourait ».
« Or, pendant que » Jésus « allait » — avec Jaïr, — « les foules
l'étouffaient ». — Resserrement de Marc (v, 24) : « Et il s'en alla avec
lui, et une foule nombreuse l'accompagna, et il y avait presse autour
de lui ». — « Et une femme en perte de sang depuis douze ans, qui
avait dépensé en médecins tout son bien ». — Le dernier membre de
phrase pourrait avoir été interpolé d'après Marc (v, 26), car il man-
que dans plusieurs anciens témoins (ms. B D, Ss.); et la leçon primi-
tive aurait été : « Et une femme en perte de sang depuis douze ans,
— qui n'avait pu être guérie par personne ». — Toutefois la ligne
suspecte paraît réclamée par le type strophique du présent récit.
256 LUC, vin, 45
45 Et Jésus dit :
« Qui m'a touché ? »
Tous s'en défendant,
Pierre dit : « Maître,
les foules te serrent et te pressent. »
Même le texte ordinaire abrège sensiblement Marc, selon lequel la
femme « avait beaucoup souffert, par beaucoup de médecins, et avait
dépensé tout son avoir dans aucun profit, mais s'en était plutôt
trouvée plus mal ». L'évangéliste a pu, sans être médecin, rètrancber
des détails où Marc s'est complu pour rehausser le miracle ; mais, si
Luc a emprunté l'anecdote à Marc, on conçoit qu'il ait allégé une
description où les gens de sa profession semblaient ridiculisés. —
« S'étant approchée par derrière, toucha la houppe de son manteau ».
— Marc (v, a.'j] : « Ayant entendu parler de Jésus, s'en vint dans la
foule par derrière, toucher son manteau ». Luc et Matthieu (ix, ao)
s'accordent à mentionner la houppe du manteau : ou bien la rencontre
est fortuite, les deux évangélistes ayant anticipé une indication que
Marc (vi, 56) donnera plus loin en général, ou bien l'un d'eux a fait
l'anticipation et a été copié par l'autre, ou bien les deux dépendent
d'une relation où la houppe était mentionnée ; ou enfin la houppe aura
disparu accidentellement du texte de Marc après y avoir figuré. On
ne peut guère s'arrêter qu'à Tune ou à l'autre des deux dernières
hypothèses. — « Et aussitôt s'arrêta sa perte de sang )>. — Notre
auteur omet comme inutiles la réflexion de la femme (Me. v, a8) :
« Car elle disait : « Si je touche seulement ses vêtements, je serai
sauvée », et l'impression ressentie par elle de sa guérison(Mc.
V, 29); il met un peu plus loin, dans la bouche de Jésus, l'impi^es-
sion que Marc (v, 3o a) dit avoir été ressentie aussi par Jésus lui-
même.
« Et Jésus dit : « Qui m'a touché ?» — Dans Marc (v, 3o b), Jésus
dit, en se retournant vers la foulé : <( Qui a touché mes vêtements ? »
— « Et tous s'en déi'endant,Pierre dit : « Maître, les foules te serrent
et te pressent ». — Ce qui est pour signifier : on te touche sans le
vouloir. Dans Marc (v, 3i), ce sont « les disciples » qui disent, plus
lestement : « Tu vois la foule qui te presse, et tu dis : « Qui m'a tou-
ché?» — « Mais Jésus dit: «Quelqu'un m'a. touché, car j'ai senti
qu'une vertu était sortie de moi ». — C'est l'impression dont il vient
d'être parlé ; et la réplique de Jésus se trouve remplacer ici le trait
de Marc (v, 3a) : « Et il regardait alentour afin de voir celle qui
LUC, VIII, 46 49 2b7
** Mais Jésus dit :
« Quelqu'un m'a touché ;
car j'ai senti que vertu était sortie de moi. »
'" Et la femme voyant qu'elle n'était pas inaperçue,
s'en vint tremblante, et, prosternée devant lui,
elle déclara en présence de tout le peuple
pour quel motif elle l'avait touché,
et comment elle avait été guérie aussitôt.
■*8 Et il lui dit : « Ma fille,
ta foi t'a sauvée,
va en paix. »
^^ Gomme il parlait encore,
on vint de chez le chef de synagog-ue (lui) dire :
« Ta fille est morte ;
n^importune plus le maître. »
avait tait cela ». Notre auteur n'a pas voulu de cette investigation ;
il montre le Christ pleinement conscient du miracle accompli et prêt
à dire qui en a profité ; c'est pourquoi la femme se déclare : — « Or
la femme, voyant qu'elle n'était pas ignorée», —que Jésus savait
ce qu'elle avait fait et ce qu'elle avait éprouvé, — « vint tremblante et,
prosternée devant lui, elle déclara devant tout le peuple », — remar-
quer la solennité de cette confession, — « pour quel motif elle l'avait
touché, et comment elle avait été guérie tout à coup » . — Marc ( v,
33) disait beaucoup plus naturellement : « Et la femme, effrayée et
tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se prosterner devant
lui r'I lui dit toute la vérité ». — « Et il lui dit : « Ma fille, ta foi t'a
sauvée, va en paix ». — M;\vc (v, 34) ajoutait : « et sois guérie de ton
infirmité». Notre hagiographe a pu trouver que cette ratification du
fait accompli laissait trop voir que la guérison s'était opérée sans que
Jésus l'eût aucunement voulue.
{( Gomme il parlait encore, quelqu'un vint », — Marc (v, 35) : « on
vint », — « de chez le chef de la synagogue » lui « dire : « Ta fille est
morte ; n'importune plus le maître».— Marc (v, 35): « Pourquoi
importunes-tu encore le maître ? » — « Mais Jésus, ayant entendu »,
— Marc (v, 36) : « passant outre à l'avis donné », — « lui dit : « Ne
crains pas, crois seulement, et elle sera sauvée ». — Marc était à la
fois plus énergique et plus discret: « Ne crains pas, crois seulement ».
— « Or, étant arrivé à la maison, il ne laissa entrer personne avec lui,
sauf Pierre, Jean, Jacques, le pèi-e de l'enfant et la mère ». — Noter
A. LoisY. — L'Evangile selon Luc. 13
258 LUC, VIII, 50-53
5° Mais Jésus, qui avait entendu, lui dit :
« Ne crains" pas ;
crois seulement,
et elle sera sauvée. »
51 Et arrivé à la maison,
il ne laissa entrer personne avec lui
sauf Pierre, Jean et Jacques,
le père de l'enfant et la mère .
^2 Or tous pleuraient et se lamentaient sur elle ;
et il dit : « Ne pleurez pas ;
elle n'est pas morte, mais elle dort. »
53.Et ils se moquaient de lui, sachant qu'elle était morte.
que Jean est nommé ici avant Jacques (de même ix, no), comme il a
été mis en relief dans la rédaction des Actes, En simplifiant cette
partie du récit, notre auteur y introduit de la confusion ; caria mère
était dans la maison avant que Jésus ain'ivât,et dans la maison même
on va trouver quantité de gens qui se lamentent. Dans Marc (v, 87),
Jésus commence par congédier la foule et ne retient avec lui, pour
aller chez Jaïr, que les trois disciples ; arrivé à la maison, il trouve
les gens qui se lamentent et les chasse ; après quoi, avec le père et la
mère et les trois disciples, il pénètre au lieu où était l'enfant (Me. v,
38 4o)- Notre récit embrouille avec le congé de la foule celui des
gens qui menaient le tapage funèbre, et qui maintenant ont l'air
d'assister au miracle, bien qu'ils soient censés dehors.
« Cependant tous pleuraient et se lamentaient à son sujet ». — Ce
« tous «représente les gens qui, dans Marc mènent le deuil à grand
bruijt et ne peut raisonnablement concerner les cinq personnes qu'on
vient de représenter comme entrant avec Jésus dans la maison ; car
les disciples n'ont pas motif de se lamenter, et « tous » ne peut pas
désigner seulement le père et la mère, qui d'ailleurs ne peuvent pas
être non plus les personnes qui se moquent de Jésus quand il dit que
l'enfant n'est pas morte . — « Et il dit : « Ne pleurez pas, car elle n'est
pas morte, mais elle dort ». — Marc (v, 89) : a Pourquoi faites-vous
du bruit et pleurez-vous ? L'enfant n'est pas morte », etc. — « Et ils
se moquaient de lui, sachant qu'elle était morte ». — Marc n'a pas :
(( sachant » etc., que notre auteur ajoute pour le relief du miracle.
« Mais lui, ayant pris sa main », — dans Marc, cela vient après
l'expulsion des musiciens et des pleureuses, — « cria, disant : « Enfant,
lève-toi ». — Marc (v, 41), en cet endroit, tient à citer lès mots araméens
LUC, VIII, 54-5G 25'.)
^* Mais lui, la prenant par la main,
cria, disant :
« Enfant, lève-toi. »
^■^ Et son esprit revint,
et elle se leva aussitôt ;
et il prescrivit de lui donner à manger.
^^ Et ses parents furent stupéfaits ;
mais il leur défendit de dire à personne l'événement.
avant d'en donner la traduction. L'emploi de la formule araméenne-
n'estpas une marque d'historicité, mais semble prouver au moins que
le récit a été raconté d'abord, peut être rituellement figuré, en araméen
(cf. Me. XV, 33-34, q^i paraît supposer une liturgie de la passion où
entrait le Psaume xxii). — « Et son esprit revint » — Marc n'a pas
ce trait, qui est pour signifier bien nettement que la jeune fille était
morte." — « El elle se leva aussitôt »; — Marc (v, 4») : « Et aussitôt
la jeune fille se leva et elle marcha, car elle avait douze ans » . —
« Et il commanda de lui donner à manger ». — C'est le trait que Marc
(v, 63) amène seulement à la fin du récit. — « Et ses parents furent
stupéfaits ». — Marc : « Et ils furent saisis à Tinstant de grande stu-
peur », pourrait concerner aussi bien les trois disciples, et-de même
l'injonction du silence : « et il leur recommanda beaucoup que nul ne
sût cela », ordre qui, dans notre évangile, ne s'adresse qu'aux
parents. — « Mais il leur défendit de dire à personne l'événement».
— Défense qui serait tout^ à fait ridicule si un grand nombre de per-
sonnes étaient censées présentes, mais qui, môme dans la rédaction
de Marc, manque de vraisemblance et pourrait dénoncer la fiction :
grand miracle doiit on n'aurait pas entendu parler parce qu'il avait
eu peu de témoins et que Jésus avait recommandé de n'en rien dire
(comparer le cas de la transfiguration, infr. ix, 36).
On ne saurait prouver que les trois grands miracles ci-dessus
racontés d'après Marc ne sont pas la l'eprésentalion légendaire
d'incidents qui se sont produits au cours du ministère galiléen ; mais
on prouvera moins encore qu'ils n'ont pu être construits sur des
types antérieurs, pour la plus grande gloire du Christ : le premier
miracle faisant ressortir le pouvoir de Jésus sur les éléments^
en figure de son rôle salutaire et de l'avenir chrétien ; le second,
son pouvoir sur les démons, en des conditions propres à symboliser
la future conversion des païens ; et le troisième, en son double
registre, guérison d'une femme affligée d'impureté perpétuelle.
260 LUC, IX, 1-2
' Or, ayant convoqué les Douze,
il leur donna force
et pouvoir sur tous les démons,
et de guérir les maladies ;
2 et il les envoya
prêcher lè ro^^aurne de Dieu
et faire des guérisons.
résurrection d'une jeune fille, le rôle du Christ, qui procure aux
hommes, moyennant la foi, le pardon et l'immortalité.
XXXI. La. mission des Douze
Notre auteur, ayant transposé le récit de la prédication à Nazareth,
introduit la mission des apôtres après la résurrection de la fille de
Jaïr, mais sans la relier expressément à ce dernier récit. Gomme il
avait utilisé la transition de Marc (vi, 6) : « Et il parcourait les vil-
lages d'alentour en enseignant », en manière de préambule au récit
transposé (cf. iv, i5), il n'avait plus de point d'attache pour la mis-
sion des apôtres, et il n'en a point cherché. — « Or, ayant convoqué
les Douze, il leur donna force et pouvoir sur les démons, et de guérir
les maladies ». — Marc (vi, 7 &) : « et il leur donna pouvoir sur les
esprits impui's » ; mais, dans la suite (vi, i3), Marc mentionne sépa-
rément les exorcismes et les guérisons. Notre évangéliste parle de
« force » (Bûvaii-iç) et, de « pouvoir » (Içoudfa), la « vertu » visant plutôt
les guérisons, et « l'autorité » l'expulsion des démons. — « Et il les
envoya prêcher le royaume de Dieu et guérir ». — Marc avait dit
d'abord (vi, 7 a) : « Et il fît venir les Douze, et il se mit à les envoyer
deux à deux ». — Ce dernier détail viendra dans la mission des
Soixante-douze. Marc entend bien, comme notre auteur, que les
Douze sont envoyés pour prêcher en même temps que pour guérir
(cf. Me. yi, 12).
(( Et il leur dit : « Ne prenez rien pour la route » . — Notre auteur
met en discours direct ce qu'on lit dans Marc (vi, 8) : « Et il leur
enjoignit de ne rienprendre pour la route ». Dureste, ces instructions
étaient en discours direct dans la source où Marc lui-môme les a
prises. — « Ni bâton ». — L'interdiction du bâton est ici d'après la
source commune (cf. Mt. x, 10) ; mais Marc dit : « Sauf un bâton
seulement » (voir Marc, l'j/^). — « Ni besace, ni pain, ni argent ». —
LUC, IX. 3-6 261
' Et il leur dit :
« Ne prenez rien pour la route,
ni bâton ni besace,
ni pain ni argent^
et n'ayez pas deux tuniques.
■* Et dans, la maison où vous serez entrés,
là pestez jusqu'à votre départ.
' El partout ©ùon ne vous recevra pas,
sortant de cette ville,
la poussière de vos pieds
secouez en témoignage contre eux, »
• Et s'en étant allés, ils voyageaient
par les villages évangélisant,
et guérissant partout.
Marc (VI, 9) intercale ici la permission des sandales, que noire
évangile interdira plus loin (x, 4). d'après la source (cf. Mr. x, lo).
— « Et n'ayez pas deux tuniques ». — D'après Marc, mais non sans
correction; Marc défend de porter double tunique ; ici l'on interdit
d'avoir une tunique de rechange (cf. Mt. x, 10). — « Et dans la mai-
son où vous serrez entrés, restez-y jusqu'à votre départ » — du lieu
où vous aurez pris ce gîte (Me. vi, 10). — « Et partout où on ne vous
recevra pas », — ceci est à entendre non d'une maison particulière
mais de la « localité » (Me. vi, 11), — « sortant de cette ville, secouez
la poussière de vos pieds en témoignage contre eux ». — Notre
auteur accentue le sens défavorable du geste (cf. Marc, 176).
« Et s'en étant allés, ils parcouraient les villages, annonçant la
bonne nouvelle ». — Nuance un peu différente de Marc (vi, 12) : « ils
prêchèrent qu'on se repentît ». — « Et guérissant partout ». — Dans
ces guérisons sont compris aussi les exorcismes de possédés; mais
notre auteur omet l'emploi de l'huile pour les guérisons (Me. vi, i3).
Ce qui est dit de cette mission est en rapport avec ce qu'on pour-
rait appeler le mythe apostolique, et a été introduit dans Marc (vi, 7-
i3) pour faire place à un abrégé du discours de mission qui se lisait
dans le recueil de sentences. On trouve dans cette notice indication
de la double activité des premiers missionnaires chrétiens, prédica-
teurs de religion et exorcistes guérisseurs (déjà signalée dans Mc.iii,
i3-i5). Ce sont ces missionnaires, dans les tout premiers temps de
la propagande chrétienne, et non les compagnons de Jésus, que
concernent les instructions données.
262 LUC, IX, 7-8
' Or Hérode le létrarque apprit tout ce qui sô passait,
et il était perplexe, parce qu'il était dit par quelques-uns
que Jean était ressucité des morts,
• par certains qu'Elie était apparii,
et par d'autres qu'un des anciens prophètes était revenu.
XXXII, L'opinion d'Hérode
« Or Hérode le tétrarque », — Marc(vi, i4) :« le roi Hérode », Anti-
pas (cf. m, i), — « apprit tout ce qui se passait ». — Simplification de
Marc : « Hérode apprit (cela), car son nom devenait célèbi'e ». Les
« faits advenus» sont tout le ministère galiléen de Jésus, avec les
miracles, et non spécialement la mission des apôtres. — « Et il était
perplexe ». — Echo inattendu de ce qu'on lit dans Marc (vi, 20) tou-
chant l'impression produite sur Antipas par la conversation de Jean.
Ici le tétrarque est embarrassé devant les opinions qui se produisent
au sujet de Jésus, l'évangéliste ne voulant pas prêter à Antipas l'opi-
nion que lui attribue Marc (cf. Mt. xiv,2), à savoir, que Jésus serait
Jean ressuscité ; il lui fera même réfuter celte opinion, qui lui aura
probablement semblé trop absurde pour être prêtée à un prince ; il
a eu soin ailleurs de ne pas retenir (après ix, 36) le passage de Marc
(ix, i3) où Jésus dit que Jean est Elle. — « Parce qu'il était dit par
quelques-uns que Jean était ressuscité des morts ». — Notre auteur
omet le motif assigné par Marc à l'opinion d'Hérode, soit pour le
peu d'intérêt qu'il porte à cette opinion, soit peut-être pour n'avoir
pas l'air d'attribuer des miracles à Jean (cf. Marc, 179) ; dans un
intérêt apologétique, le quatrième évangile (x, ^1] niera expressé-
ment que Jean ait fait des miracles, — « Pour quelques autres,
qu'Elie était apparu ». — Marc(vi, i5) : « Et d'autres disaient :
« C'est Elie ». — Elle n'étant pas mort, on ne peut pas dire qu'il est
ressuscité. — « Par d'autres, que l'un des prophètes anciens était
revenu ». . — Ce n'est pas précisément ce que dit Marc : «Et d'autres
disaient : « Un prophète comme l'un des prophètes ». Notre auteur
unifie les trois hypothèses pour les faire aussi inacceptables l'une que
l'autre.
« Et Hérode dit : « J'ai décapité Jean », — ce ne peut donc être
lui ; — « mais qui est celui-ci dont j'apprends de telles choses ?» —
L'on voit en quoi consiste la perplexité du tétrarque, qui dit ici, à
propos de Jean, le contraire dece que lui fait dire Marc fvi, 16). L'in-
térêt de cette modification appai-aît en ce que le trait final sert à
LUC, IX, 9-10 263
9 Et Hérode dit :
<( Jean, je l'ai fait décapiter ;
mais qui est celui-ci,
> dont j'apprends de telles choses ? n
Et il désirait le voir.
" Et revenus, les apôtres lui racontèrent tout ce qu'ils
Et les prenant avec lui, [avaient fait .
il se retira à l'écart, vers une ville appelée Bethsaïde,
préparer le rôle du téti'arque dans le récit de la passion. — <«. Et il
désirait le voir », — pour sortir de son indécision. Ce désir ne sera
satisfait que plus tard à Jérusalem, le jour ou Jésus sera condamné
à mo^'t. Il n'est pas autrement évident que ce soit désir de prince
soucieux d'information personnelle touchant un individu inquiétant ;
d'après ce qu'on lira plus loin (xxnî,8), ce n'était que curiosité de voir
lui-même le thaumaturge exécuter quelque miracle. Tout cela est
combinaison rédactionnelle, soit conçue par l'évahgéliste, soit sug-
gérée en quelque manière par la source où Ton pouri'ait supposer
qu'il a trouvé mention du rôle j oué par Héi'ode dans le procès du
Christ,
Notre auteur s'abstient de raconter la mort de Jean (Me. vi, 17-
29), jugeant probablement que ce hors d'œuvre tiendrait trop de
place dans la narration évangélique et qu'il contribuait mal au relief
du Chi'ist ; il devait connaîti'e ce récit, puisqu'il a anticipé (ui, 19-
20) la mention de la captivité, et il aura jugé que l'allusion faite par
'Hérode à la mort du Baptiste suffisait pour orienter le lecteur. H est
probable que Luc ne mentionnait ni la mission des Douze, ni les pro-
pos du tétrarque et qu'il ne racontait pas la mort de Jean, toutes
fictions que ne contenait pas le document fondamental de Marc (voir
Marc, xjo.-i^'f). Mais il est possible que ce document et Luc après
lui aient signalé quelque menace du tétrarque, occasionnée par fac-
tivité de Jésus.
XXXIII. La multiplication des pains
« Et étant revenus, les apôtres lui l'acontèrent tout ce qu'ils avaient
fait». — D'après Marc (vi, 3o), avec omission de ce que dit celui-ci.
(vi,3i) touchant le motif qui détermine Jésus k emmener ses dis-
ciples. Dans notre évangile, on pourrait croire que le Christ
s'éloigne avec les siens parce que letétrai'que a désir de le voir. Et
264 LUC, IX, Jl
1^ Mais les foules, l'ayant su, le suivirent.
El les ayant accueillis,
il leur parlait du royaume de Dieu,
et à ceux qui avaient besoin de guérison il rendait la santés
cet effet de perspective pourrait être dû à l'influence du document
qui est à la base de Marc, à moins que ce ne soit une atténuation de-
ce que Luc lui-même disait peut-être en cet endroit d'après ce docu-
ment (cf. xm, 3i-33, et Marc, 187). — « Et les prenant avec lui, il se
retira à l'écart, vers une ville appelée Bethsaïde ». — La différence
de mise en scène s'accentue relativement à Marc (vi, 82), qui parle-
de départ en barque vers un lieu désert, sans auti'e désignation.
Notre auteur s'avisera seulement plus loin (ix, lu) qu'il a oublié le-
désert, si toutefois il n'a pas senti lui-même ce qu'avait d'un? peu
incohérent et risqué la mention d'un lieu désert à côté de Belhsaïde.
Il semble vouloir faire entendre que le voyage se fait par terre. La
localisation du miracle auprès de Betlisaïde pourrait provenir de ce-
que Bethsaïde est, dans Marc (vi, 45), l'endroit où les disciples doivent
se rendre après la multiplication des pains ; Bethsaïde reparaît
encore, dans Marc (vni,aa), avant la confession de Pierre, que notre-
évangile rattache à cette multiplication.
« Mais les foules, l'ayant su, le suivirent ».. — Simplification de
Marc (vi, 33), où, plusieurs ayant vu Jésus s'embarquer, et deviné
ou il va, les gens de la région le devancent par terre en cet
endroit. Ici les gens ont l'air de venir en foule sur les pas de
Jésus et de se trouver assemblés devant lui quand il s'arrête. — « Et
les ayant accueillis, il leur parlait du royaume de Dieu » . — C'est ce
que dit Mai-c (vi, 34), mais en signalant la pitié qu'a Jésus pour ces
brebis sans berger. Notre auteur n'ayant pas dit que les apôlres-
eussent besoin de repos, c'est seulement un projet de retraite qui
semble dérangé. — « Et il rendait la santé à ceux qui a valent besoin
de guérison ». — C'est ce qu'on lit dans Matthieu (xiv,i4), qui ne-
parle pas d'enseignement avant la multiplication des pains. Notre
récit paraît donc associer les indications de deux sources différentes ;
mais enseignement et guérisons vont souvent ensemble dans nos-
récits (cf. IX, !>,, 6 ; X, 9).
« Or le jour commençait à baisser ». — Marc (vi,35) : « Et l'heure
étant déj à fort avancée ». — « Et s'étant approchés, les Douze », —
Marc : « ses disciples », — « lui dirent : « Congédie la foule ». —
Dans Marc, les disciples disent d'abord que le lieu est désert et qu'il
.se fait tard. — « Afin que, s'en allant dans les villages et les cam-
LUC, IX, 12-15 265
1* Or le jour commençait à décliner ;
et s'approchant les Douze lui dirent :
« Congédie la foule,
afin que, s'en allant dans les villages et campagnes d'alentour,
il prennent gîte et trouvent nourriture ;
car ici en lieu désert nous sommes. »
^3 Mais il leur dit :
« Donnez-leur à manger vous-mêmes. »
Et ils dirent : «T>^ous n'avons pas plus
de cinq pains et deux poissons,
à moins que nous n'allions nous-mêmes
acheter des vivres pour tout ce monde. »,
1* Car ils étaient environ cinq mille hommes.
Il dit à ses disciples :
(( Faites-les étendre par rangées d'environ cinquante. »
^^ Et ils agireni ainsi et les firent étendre tous.
pagnes d'alentour, ils prennent gite ». — Ni Marc ni Matthieu ne
parlent de logement, et les gens pouvaient s'en passer, comme Jésus
et ses disciples, plus facilement que de vivres. — « Et trouvent de la
nourriture, parce qu'ici nous sommes en lieu désert», — où l'on
manque de ce qu'il faudrait.
<( Et il leur dit : « Donnez-leur à manger vous-mêmes ». — Cet ordre
amène dans Marc (vi, 37-38) un jeu de dialogue que notre auteur a
simplifié dans la réponse des disciples en en retenant les données. —
« Et ils dirent : « Nous n'avons pas plus de cinq pains et deux pois-
sons, à moins », — hypothèse qu'on doit supposer peu facile à réa-
liser et qui est présentée plutôt en objection discrète, — « que nous
n'allions nous-mêmes acheter des vivres pour tout ce monde ». —
Pour montrer la portée de l'objection, le narrateur indique ici la
quantité de la foule, que Marc (vi, 44) signalait seulement à la fin
du récit. — « Car ils étaient environ », — Marc n'a pas : « environ » —
« cinq mille hommes » .
Jésus ne s'arrête pas à cette difficulté, — « Et il dit à ses disciples :
a Faites4es étendre par rangées de cinquante chacune ». — Mise
en discours de ce que dit Marc (vi, Sg) : « Et il leur commanda que
tous s'étendissent par groupes », littéralement:» par tablées »,
« sur l'hei'be verte ». Marc (vi, 4o) ajoute : « Et ils se mirent par ran-
gées de cent et de cinquante ».. — « Et ils agirent ainsi et les firent
266 LUC, IX, 16-18
" Or, ayant pris les cinq pains et les deux poissons,
le regard au ciel, il les bénit, les rompit
et les donna aux disciples pour les servir à la foule.
^' Et ils mangèrent et furent rassasiés tous,
et l'on emporta de leurs restes douze corbeilles de morceaux.
" Et advint : comme il était à prier en parliculier,
ses disciples étaient avec lui,
et il les interrogea, disant :
« Qui les foules disent-elles que je suis ? »
tous étendre ». — Le dei*nier membre de phrase est omis dans
quelques témoins (dont ms. D).
« Et ayant pris les cinq pains et les deux poissons, le regard au
ciel ». — Aucun des trois synoptiques n'omet ce regard au ciel, qui
sans doute accompagne rituellement les paroles eucharistiques . —
« Il les bénit, rompit». — La fraction ne peut concerner que les pains,
et Marc (vi, 4i) a soin de le noter ; notre auteur paraît vouloir signi-
fier que la multiplication des pains et poissons l'ésulte de la. béné-
diction. — « Et donna aux disciples pour les présenter à la foule ». —
Marc ajoute à part la distribution des poissons. — « Et ils mangèrent
et furent rassasiés tous. Et l'on emporta de leurs restes », — pour
^'expression, dans ce dernier trait, Luc se rappi'oclie davantage de
Matthieu (xtv, 20), — « douze corbeilles de morceaux », — ce qui s'en-
tend par rapport aux pains (xXà(7(jt:aTa). Marc ajoute, comme en sur-
charge : « ainsi que des poissons ».
Dans le troisième évangile comme ailleurs, ce récit de la multipli-
cation des pains est compris en prototype de la cène chrétienne, et
c'est dans ce sens qu'il paraît dès l'abord avoir été conçu (voir Marc,.
ig'i-igS) : mythe d'un culte où, tout en commémorant dans le repas
mystique la mort et la résurrection du Seigneur, l'on n'entend pas
encore figurer au naturel cette mort-saciùfice dans la fraction du pain
et la distribution du vin. C'est l'eucharistie de ceux qui rompent le
pain en remerciant le Père « pour la vie et la science qu'il leur a fait
connaîti'e pas son serviteur Jésus » (Didaché, ix, 2 ; x, 2).
XXXIV. La confession de Pierre
Arrive tout aussitôt, sans d'ailleurs se relier étroitement au précé-
dent récit, la confesssion de Pi,erre. L'évangéliste omet volontaire-
ment, ou bien il n'a pas connu tout une longue section de Marc (vi.
LUC, IX, 19 267
"Et eux, répondant, dirent :
« Jean le Baptiste;
d'autres : Elie ;
d'autres: que l'un des prophètes anciens est revenu. »
45-vin, 26), qui se retrouve dans Matthieu (xiv, aa-xvr, 12), Il est pro-
bable que cette section ne se lisait pas originairement dans Marc et
■que Luc l'a ignorée : le rattachement de la confession de Pierre
à la multiplication des pains, qui d'ailleurs pouvait être ménagé
autrement dans la source et dans Luc lui-môme, pourrait s'ex-
pliquer ainsi plus facilement, d'autant qu'il se retrouve dans le qua-
trième évangile. Le rédacteur du troisième a dû connaître Marc avec
la section complémentaire, dont il semble avoir tiré certaines indica-
tions, mais, pour des motifs qu'on peut deviner (voir supr. p. 3i) il
n'aura pas jugé à pi'opos d'introduire dans son propre cadre ce sup-
plément.
« Et il advint, comme il était à prier en particulier, que ses disciples
étaient avec lui ». — On n'imagine pas transition plus embarrassée,
et, pour en rendre compte, il ne suffît pas d'y trouver « une saveur de
grec sémitisant » (Lagrange, 265). On a l'impression d'un artifice
maladroit qui veut dissimuler une coupure ou l'omission de données
plus précises. Certainement la confession de Pierre était auti'ement
préparée dans la source où Luc l'a prise et dans la relation de Luc. Ce
préambule est imité d'autres passages (iri, ai ; v, 16; vi, la), et pour-
rait accuser l'influence du récit de Marc touchant la marche de Jésus
sur les eaux (Me. vi, 46), récit auquel paraît avoir été empi'untée la
mention de Bethsaïde. On peut croire, si l'on veut, que la scène de
la confession se passe auprès de cette ville (cf. ix, to). La mention
de Gésarée de Philippe (Me. viii, 27) aura offusqué le rédacteur, ou
bien lui aura paru sans intérêt. Il est vrai que, déjà dans Marc, la
mise en scène est artificielle et conçue pour amener la confession de
Pierre, laquelle anticipe dans Phistoire évangélique la foi de la pre-
mière communauté (Bultmann, i56). Notons toutefois que nous ne
savons pas dans quelle mesure et en quel sens la foi des disciples
avant la mort de Jésus diff"érait de celle qu'ils acquirent avec la
croyance de sa résurrection. L'une a sûrement préparé l'autre. L'anec-
dote est isolée, et sans doute y a-t-il quelque naïveté à se demander
comment les témoins de la multiplication des pains n'ont pas formulé
au sujet de Jésus d'autres hypothèses que celles qui sont censées
avoir eu cours dans l'entourage du tétrarque.
268 LUC, IX, 20
20 Et il leur dit:
«Mais vous, qui dites-vous que je suis? »
Et Pierre, répondant, dit :
« Le Christ de Dieu, »
« Et il les interrogea, disant : « Qui les loules », — Marc (vni, aj) :
« les hommes », — « disent-elles que je suis ? » Et eux, répondant,
dirent : « Jean le Baptiste », — d'après les uns -, selon — « d'autres,
.Elie ; d'autres » — estiment — « que l'un des prophètes anciens est
revenu». — Marc(viii, 28): « un des prophètes», c'est-à-dire un simple
prophète ; mais notre évangéliste a déjà (ix, 8) compris autrement
la donnée de Marc (vi, .ï5). Autant d'hypothèses eschatologiques,
empruntées aux préoccupations du judaïsme contemporain et qui
sont déclarées insuffisantes par rapport à Jésus, La foi chi'étienne a
dès l'abord estimé que son héros était supérieur à Jean, à Elie, à tout,
prophète; — « Et il leur dit : « Mais vous, qui dites-vous que je suis? »
Et Pierre, répondant, dit : « Le Christ de Dieu ». — Marc (vin, 3o) :
«Tu es le Christ ». Notre évangéliste paraît avoir voulu imiter la for-
mule biblique : « oint de Seigneur » (cf. n, 26); et il entend signifier
que Jésus est le Messie que Dieu avait jadis annoncé aux: Juifs par
ses prophètes. C'est parce que Pierre a été le premier à proclamer la
foi de Jésus ressuscité qu'il a l'honneur d'être ici le premier des
croyants à saluer Jésus du nom de Christ. 11 n'est pas téméraire de
penser que l'anecdote a eu d'abord une autre conclusion que les com-
mentaires dont il a plu à Marc de l'entourer ; mais il est de toute in-
vraisemblance que la réponse de Jésus à Pierre ait été (comme le
voudrait Bui.tmann, 169) celle qu'indique Matthieu (xvr, 17-IQ). Cette
réponse atteste un dévoloppement légendaire bien postérieur à l'âge
apostolique. A Pierre parlant en apôtre principal du premier groupe
croyant, Jésus, dans le document fondamental de Marc, répondait que
ses auditeurs seraient témoins du grand avènement {irffr. aj) ; c'est
la seule réponse qui soit dans la logique du dialogue amorcé ci- des-
sus, et il est possible que Luc lui-même l'ait reproduite sans l'atté-
nuation qu'y apporte le rédacteur d'après le second évangile (Me»
IX, I).
« Mais lui, leur parlant sévèrement, leur défendit de le dire à per-
sonne ». — Cette recommandation né semble pas avoir dans notre
évangile tout à fait le même sens que dans Marc. La façon dont est
reliée à cette défense la première prophétie de la passion donne à
entendre qu'il ne faut point parler de Christ au peuple juif, parce
Lucjx. 21-23 269
2^ Mais lui, leur parlant sévèrement,
leur défendit de dire à personne cela,
22 disant: « Il faut que le Fils de l'homme beaucoup souffre,
qu'il soit rejeté par les anciens, les grands- prêtres et les scribes,
qu'il soit mis à mort et que le troisième jour il ressuscite. »
2» Et il disait à tous:
« Si quelqu'un veut derrière moi marcher,
qu'il se renonce lui-même^
qu'il porte sa croix [chaque jour,]
et qu'il me suive.
quô le peuple juif ne sait pas, ne comprend pas que le Christ doit
souffrir : inutile de vouloir dissiper cet aveuglement providentiel qui
procurera l'accomplissement des Ecritures. Dans Marc, c'est plutôt
la foi des apôtres, proclamée par la bouche de Piei're, qui a besoin
d'être éclairée et à laquelle Jésus s'efforce d'inculquer la véritable
notion du Christ dans le mystère du salut. - « Disant : « 11 faut que
le Fils de l'homme souffre beaucoup ». — Comparer Marc (vm, 3i) :
« Et il commença à leur enseigner que le Fils de l'homme devait
beaucoup souffrir >>. — « Qu'il soit rejeté par les anciens, les grands
prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort, et que, le troisième jour, il
ressuscite», — Marc: «après trois jours » (Ss. ms. D., plusieurs
ms lat. lisent aussi : « après trois jours », dans Luc, et la variante,
qu'on impute à l'influence de Marc, pourrait être la leçon originale, la
leçon commune : « le troisième jour », résultant d'une correction).
L'objection de Pierre et la réprimande qu'il s'attire (Me. viu, 32-33)
sont omises dans notre évangile, sans doute parce qu'elles' ont paru
compromettantes pour le prestige apostolique. Luc, d'ailleurs, a pu les
ignorer, et le l'édacteur se sera bien gardé de les aller prendre dans
Marc. La leçon du renoncement se trouve ainsi plus directement coor-
donnée à la prophétie de la passion.
« Et il disait à tous ». — Marc (viii, 34) : « Et appelant la foule avec
ses disciples, il leur dit ». Le « tous » est plus vague, peut-être avec
intention, parce que la leçon ne convient guère à la foule ; cependant
« tous », eu égard au contexte, ne peut pas viser uniquement les dis-
ciples. — « Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il se renonce
lui-môme, qu'il se charge de sa cx'oix chaque jour ». •— Les mots
« chaque jour », omis daus quelques témoins (Ss, mss. lat., etc.), ont
été ajoutés dans notre évangile par la considération des épreuves
continuelles du chrétien (cf. Uom, vm, 36 ; 1 Cor, xv, 3i), ce qui dé-
270 LUC, IX, 24-26
2* Car qui voudra sa vie sauver,
la perdra;
mais qui perdra sa vie à cause de moi,
celui-là la sauvera.
25 Car que sert à l'homme
de gagner le monde entier,
s'il se détruit lui-même ou se perd?
26 Car, qui aura honte de moi et de mes paroles,
de celui-là le Fils de l'homme aura honte,
lorsqu'il viendra dans sa gloire, (celle) du Père et (celle) de»
[saints anges.
tourne la formule à un sens tout spirituel. Le rythme recommanderait
plutôt de suivre les témoins qui omettent « chaque jour » (xaO'7j[;,spav).
— « Et qu'il me suive. Car qui voudra sauver sa vie la perdra ; mais
qui jjerdra sa vie à cause de moi », — Marc (viii, 35) ajoute ; « et de
l'Evangile » ; mais « à cause de moi » concerne déjà le Christ de la
foi, — « celui-là la sauvera. Que sert en effet, à l'homme de gagner
le monde entier, s'il se ruine ou se perd lui-même ?» — Marc (viir,
36) : « de gagner le monde entier et de perdre sa vie ? Car qu'est-ce
que l'homme peut donner comme équivalent de sa vie ?» — « Car
qui aura honte de moi et de mes paroles », — dans Marc (viii, 38),
« moi et mes paroles » correspond « à moi et l'Evangile (Me. vin, 35),
et on y lit en plus : « dans cette génération adultère et pécheresse »,
— « de celui-là le Fils de l'homme aura honte, lorsqu'il viendra dans
sa gloire, celle du Père et celle des saints anges ». — Marc : « dans la
gloire de son Père avec les saints anges ». La paraphrase de notre
évangéliste n'est pas que pour la solennité de l'expression, elle intro-
duit une façon de trinité et implique une considération des anges,
aussi une cliristologie avec lesquelles sont apparentés Justin et le
Pasteur d'Hermas.
A ce développement sur la parousie a été directement rattachée la
parole sur la pi-oximité du grand avènement, qui en est séparée dans
Marc(ix, t) par : « Et il leur dit », parce qu'elle a servi d'abord à con-
firmer la confession de Pierre (voir Marc, 25i). — « Or, je vous
dit en vérité », — l'amen de Marc est traduit par « véritablement »
(àXY|Owç) — « il en est de ceux qui sont ici qui ne goûteront pas la
mort avant qu'ils voient le règne de Dieu ». — Marc ajoute : « venant
en puissance », explication que notre évangéliste a pu trouver inutile
on même embarrassante pour le lecteur.
LUC. )x, 27-28 271
*' Op je vous dis en vérité,
il en est de ceux qui sont ici
qui ne goûteront, pas mort
avant qu'ils voient le règne de Dieu. »
*^ Or il se passa, après ce discours, huit jours environ ;
et prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques,
il monta sur la montagne pour prier.
C'est cette parole, sans la restriction à « quelques-uns », déjà for-
mulée dans Marc, qui est la réponse naturelle à la confesssion de
Pierre, qu'elle confirme aussi explicitement que possible, et selon la
foi de la première communauté. Nul besoin, par conséquent, de cher-
cher cette réponse dans la promesse que Jésus, d'après Matthieu, fait
adresser à Pierre. Le rédacteur du troisième évangile aurait été trop
heureux d'utiliser cette promesse s'il l'avait connue. Entre la confes-
sion de Pierre et l'annonce de l'avènement messianique la rédaction
de Mai'c a intercalé les conceptions du mystère chrétien, à savoir la
première des trois prédictions relatives à la passion et à la résurrec-
tion du Fils de l'homme (Me. vui, 3o-3i), fiction qui rectifie la simple
foi de Jésus Messie en y ajoutantlemystèi-e du salut par là foi au Christ
mort et ressuscité ; l'opposition inconsidérée de Pierre et la répri-
mande sévère adressée par Jésus à ce disciple (Me. vui, 32-33), fiction "
qui fait ressortir rinintelligence de Pierre et des anciens apôtres
devant ce mystère, et que Luc a peut-être ignorée, que le rédacteur de
notre évangile se sera fait un devoir de passer sous silence; enfin la
leçon du renoncement comme condition de salut (Me. viii, 34-38),
glose de l'évangéliste sur des paroles empruntées au recueil de sen-
tences (cf. Me. X, 38-39, 32-33), et qui par ellos-mêmes étaient un
oracle de prophète chrétien prêchant l'obligation pour le croyant de
s'unir mystiquement au Christ crucifié, s'il veut être reconnu j)ar le
Fils de l'homme venant en sa gloire. Il est probable que le premier
livre à Théophile ne contenait aucune de ces additions,
XXXV". La. transfiguration
On ne voit pas bien pourquoi. notre évangile a modifié la date assi-
gnée dans Marc à la transfiguration. — « Or il se passa, après ces
discours », — les paroles impoi'tantes qui viennent d'être rap-
portées; mais on pourrait aussi entendre : « après ces choses » (cf.
Geh. XXII, i; etc.),--« environ huit jours». — Marc(ix, 2) : « Et après
272 LUC, IX, 29
29 Et pendant qu'il priait, l'aspect de son visage se fit autre,
et son costume, d'une blancheur éclatante.
six jours ». Si l'on avait voulu signifier qu'il y avait six jours d'in-
tervalle, et huit en comprenant celui de la confession et celui delà
transfiguration, il n'y avait pas lieu dédire « environ»; il semblerait
que l'auteur a pensé à ces deux termes, sans s'apercevoir que Marc
avait voulu fixer la transfiguration au septième jour (cf. Marc, 254),
et, s'élant mis huit dans l'esprit, a regardé la donnée comme approxi-
mative, parce que leà récits du ministère galiléen n'en fournissaient
point d'analogue.
« Et ayant pris Pierre, Jean et Jacques ». — Marc : c< Jacques et
Jean ». Jean était déjà nommé le premier dans le récit de résuri'ec-
tion (vm, 5i); le rédacteur des Actes s'intéresse au personnage de
Jean et le regarde comme plus connu que Jacques (cf. Agt xu, a).
Marc donne l'impression contraire. -^ « Il monta sur la montagne
pour prier ». — Marc ignore la prière et insiste sur d'autres détails :
« et il les emmena seuls, sur une haute montagne, à l'écart ». Notre
auteur dit simplement « la montagne », comme pour le choix des
apôtres (vi, 12), et il se représente de rnême Jésus passant le nuit en
prière, la transfiguration se produisant au cours de cette oraison
nocturne. Ainsi la transfiguration fait, d'un côté, pour le compléter,
pendant au tableau du baptême, où l'Esprit saint descend sur Jésus
en prière, et de l'autre côté, pour en corriger d'avance l'impression, au
tableau de Gethsémani, qui est une auti'e scène de prière pendant
la nuit. Mai'c et Matthieu ne se sont pas demandé si la transfiguration
avait eu lieu de jour ou de nuit; sans autre réflexion, ils ont supposé
que c'était de jour, et que la descente de la montagne s'était effectuée
avant le soir; notre auteur, influencé par d'auti^es scènes, a réfléchi,
que la nuit convenait mieux (Matthieu a pensé de môme pour la
x'ésurrection), et il fera descendre Jésus le lendemain du miracle (ix,
3;7), la nuit de la transfiguration appartenant à la veille de la des-
cente.
a Et pendant qu'il ])riait, l'aspect de son visage se fit autre ». —
Marc (tx, 3) : « et il fut transfiguré devant eux ». — Notre auteur ne
parle pas des témoins, précisément parce qu'il est nuit et que les
compagnons de Jésus dorment pendant que Jésus prie ; ils s'éveille-
ront au cours du miracle, et la transfiguration est comprise tout à
fait objectivement, matériellement, pas du tout comme une vision des
trois disciples. On a pu faire déjà la même remarque à propos du
baptême (sapra. p. 142); ettoutcela est bien dans l'espi'it du rédacteur.
LUC, IX, 30-32 273.
30 Et voici que deux hommes s'entretenaient avec lui :
c'étaient Moïse et Elie,
31 qui, apparus en gloire, parlaient de sa fin,
qu'il allait accomplir à Jérusalem.
32 Or Pierre et ceux d'avec lui étaient accablés de sommeil ;
mais, se gardant éveillés, ils virent sa gloire
et les deux hommes qui se tenaient avec lui.
— (( Et son costume » devint « d'une blancheur éclatante ». — Rac-
courci de Marc : « Et ses vêtements devinrent éclatants d'une blau'-
cheùr telle que nul foulon sur la terre ne peut blanchir ainsi )).
« Et voici que deux hommes s'entretenaient avec lui ». — On dirait
que notre auteur dramatise d'autant {slus la scène qu'il en a endormi
les témoins. Marc (ix, 4) était moins gêné : « Et Elie leur appa-
rut- avec Moïse, et ils s'entretenaient avec Jésus». Notre évan-
gélistea voulu en savoir plus long : — « c'étaient Moïse et Elie, qui,
apparaissant en gloire, parlaient de sa fin, qu'il allait accomplir à
Jérusalem». — Mieux valait, avec Marc, laisser deviner l'objet du
colloque; dans l'esprit du récit, il ne s'agit pas seulement de la pas-
sion, et Moïse et Elie ne viennent pas apporter à Jésus leurs encoura-
gements, comme l'ange de Gethsémani ; ils viennent rendre témoi-
gnage au Christ. On dirait ici que Moïse et Elie viennent entretenir
Jésus des pi'édictions de la passion qui sont censées se lire dans la
Loi et les Prophètes, comme Jésus lui-même en entretiendra les dis-
ciples d'Emmaûs. Peut-être le rédacteur a-t-il désigné ainsi la matière
de l'entretien, parce qu'il ne voulait pas reproduire la question faite
plus loin par les disciples à propos d'Elie, et qu'il anticipe à sa façon
la réponse où Jésus déclare que la passion du Fils de l'homme a été
annoncée par les prophètes (Me. ix, 12). Si l'auteur parle de « sortie »
Çl^o^o<;. Cf. II PiER. 1, i5), ce peut être pour qu'on ne pense pas uni-
quement à la passion;
« Or Pierre et ceux qui étaient avec lui », — les deux Zébédéides,
— « étaient accablés de sommeil ». — Ce trait n'a de sens que par
rapport à la circonstance de la nuit. — « Mais, "se tenant' éveillés, ils
virent sa gloire et les deux hommes qui étaient avec lui ». — Som-
meil et réveil sont empruntés au récit de Gethsémani dans Marc (xiv,
3^, 40) ; car notre auteur, dans son récit de Gethsémani, ne distin-
guera pas les trois des onze. L'intercalation se lait avec une certaine
gaueheine, puisque l'apparition est signalée une première fois par
l'apport à Jésus, et une seconde fois par rapport aux disciples témoins ;
A. LoisY. — L'Evangile selon Luc. 18
274 LUC, IX, 33-34
^3 Et lorsqu'ils se séparèpent de lui,
Pierre dit à Jésus :
«Maître, bon nous; est d'être ici,
et nous allons faire trois tente»,
une pour toii, une pour Moïse, et une pour Elle »,
ne sachant ce qxi'il disait,
3* Et comme il disait celia, se produisit urne nu,ée qui les
[couvrit ;
et ils furent efTcayés quand ils entrèrent dans la nuée.
on ne voit même pas nettement si les disciples ont veillé, résistant au
sommeil qui les envahissait, et s'ils ont assisté au début de la ti^ansfi-
guration, ou bien s'ils se sont endormis, et, s'éveillant à propos, ont
trouvé Jésus métamorphosé entre Moïse et Elle (SiaYp'/iYopi^CTavTsç signi-
fierait plus naturellement « ayant veillé »; mais, eu égard au contexte,
l'auteur paraît vouloir d'ire plutôt qu'ils s'endormaient malgré eux et
que la transfiguration, se produisant d'abord tout à fait en dehors
d'eux, les tint éveillés).
« Et advint, quand ils se séparèrent de lui », — quand Moïse et
Elle prirent congé de Jésus, transition lourde pour rejoindre la suite
du récit dans Marc (ix, 5), en motivant de façon quelconque l'inter-
vention de Pierre, — « que Pierre dit à Jésus : «. Maître, il est bon
que nous soyons ici », — pour que Moïse- et Elie puissent demeurer,
— « et nous allons » — à cet effet — « faire trois tentes, une pour toi,
une pour Moïse et une pour Elie». — Bonne intention, mais hors de
propos. — (( Ne sachant ce qu'il disait ». — Marc (ïx, 6) : « Car il ne
savait que dire, jDarce qu'ils étaient eflrayés ».
« Or, comme il disait cela ». — Cette formule de liaison n'est pas
dans Marc, où l'intervention de Pierre, surcharge rédactionnelle
conçue dans un sens défavorable au premier apôtre, reste comme
extérieure à la vision. — « Se produisit une nuée qui les couvrit ». —
Dans Marc (ix, j) : « Et il se produisit une nuée qui les couvrit »,
« les » paraît viser seulement les personnages glorieux (cf. Ex. xxiv,
ï8), non les trois disciples. Notre auteur ne semble pas l'entendre
ainsi, puisqu'il ajoute : — « or ils furent effrayés quand ils entrèrent
dans la nuée », — On dirait que les disciples sont effrayés en entrant
eux-mêmes dans la nuée, non pas en y voyant entrer les personnages
lumineux. Dans cette dernière hypothèse, Tauteur aurait plutôt
attendu après rémission de la voix céleste pour parler de crainte (cf.
Mt. XVII, 6). Toujours est-il que ce détail de la frayeur, emprunté à
EUG, IX, 35-36 275
■"^^ Et UHie voix vint de la nuée, disant :
œ Celui-ci est mon fils élu ;
écoutez-le. »
"38 Et quand passa la voirx, Jésus se tpoava seul.
Et eux se turent,
et à personne ils ne racontèrent, en ce leraps-là,
rien de ce qu'ils avaient vu.
Marc (ix, 6), est maladroitement transposé. Dans Tespi^t de la narra-
lion première, l'apparition de la nuée et la voix céleste sont des ph.é-
nomènes simultanés, qu'il ne fallait pas séparer. Dans la combinaison
de notre auteur, Moïse et Elie partaient quand Pierre a pi'is la parole,
et ils ne sont pas restés dans la nuée, si tant est qu'ils y soient entrés ;
l'évangéliste aura soin de noter que Jésus est seul quand la voix se
fait entendre ; tant paraît âonc arrangé pour que les disciples ne
puissent se méprendre sur la personne à qui s'adresse la parole du
Père. 11 n'^apparaît pas que la nuée soit venue pour emporter Moïse
et Elle, qui éCaîenï bien venus sans elle, ni que Moïse et Elie soient
dans la nuée d'où se tait entendre la voix de Dieu ; encore moins
voit-on l'a nécessité d'admettre que les disciples, entrant dans la nuée,
sont eflrayés d'y voir entrer les personnages célestes. La nuée vient
pour envelopper la manifestation de Dieu, et de là résulte l'effroi.
« Et une voix vint de la nuée, disant: a Celui-ci est mon fîls élu ».
— Marc : « Mon fils bien-aimé ». « Elu » (cf. xxrii, 35) est en rapport
avec Isaïe(xLii, i ; cf. Mt. xn, i8) ; c'est le nom du Messie dans les
paraboles d'Hénoch;. — «Ecoutez-le ». Et quand vint la voix, Jésus
se trouva seul ». ■ — Quand la voix se produisit (èv tw •yevs'ffôat tt,v
(pwvTJv), il se trouva que Jésus était seul. Ce ne doit pas être pour rien
que notre auteur ne dit pas avec Marc (ix, 8) : « Et aussitôt, regardant
à l'entour, ils ne virent plus personne que Jésus seul avec eux » . La
voix ne peut concerner que lui, parce qu'il est seul au moment où
Dieu désigne son grand envoyé, dont Moïse et Elie ne sont que les
témoins et les précurseurs. Notre auteur n'a pas non plus jugé à
propos de retenir la défense, faite aux disciples par Jésus, de raconter
l'événement avant sa résurrection, ni la perplexité des disciples
devant cette recommandation (Me. ix, 9-10) ; il parle seulement du
silence gardé. — « Et ils se turent, et ils- ne communiquèrent à pev-
sonne, en ce temps-là, rien de ce qu'ils avaient vu ». — La notice n'en
fait pas moins écho à Marc : « Il leur délendit de raconter à personne
ce qu'ils avaient vu, si ce n'est quand le Fils de l'homme serait ressus-
276 LUC, IX, 37-40
3' El le jour suivant, comme ils descendaient de la mon-
[tagne^
à sa rencontre se porta foule nombreuse ;
38 et voilà que de la foule un homme cria, disant :
« Maître, je t'en prie, regarde mon fils ;
car il est mon unique (enfant).
3" Et advient qu'un esprit se saisit de lui,
aussitôt crie, le met en convulsions avec écume ;
et h grand'peine le quitte-t-il, après l'avoir brisé,
^o Et j'avais prié tes disciples de le chasser,
et ils n'ont pas pu. »
cité des morts ; et ils gardèrent la défense ». Conclusion qui trahit 1er
cai'actère non historique du récit.
L'auteur omet ensuite ce qu'on lit dans Marc (ix, ii-i3) touchant
Elie et sa venue, parce que la mission de Jean a été définie aupara-
vant (vu, i8-35J, et qu'il ne veut rien savoir de l'apparition d'Elie en'
la personne du Baptiste. Il convient de rappeler ici que ce récit de la
transfiguration paraît avoir été originairement une vision du Christ
ressuscité, anticipée dans Marc entre la parole concernant la parou-
sic prochaine (Me. IX, i) et celle qui concerne la venue d'Elie (Me. ix,
ii-i3, saufla glose de la b), paroles qui, dans la source de Marc,
suivaient immédiatement la confession de Pierre (cf. Marc, 259-264 ;
BuLTMANN, 157). La conclusion même de Marc (ix, g) trahit la fiction;
et inférer de celle de Luc (ix, 36), que les particularités du récit dans
le troisième évangile sont des renseignements personnels, émanant
de Jean ou de Jacques, serait d'une logique un peu téméraire en ses
inductions. Il y aurait plutôt lieu de supposer que Luc ne pai'îait pas
de la transfiguration.
XXXVI. L'ÉPILEPTIQUE
Le récit concernant la guérison de l'épileptique est abrégé relati-
vement à Marc et pourrait faire supposer la connaissance d'une
autre source ; mais le travail rédactionnel peut expliquer l'omission
de presque tout ce qui regarde l'insuccès des disciples, ce qui donne
au récit plus d'unité. On dirait que, préalablement à Marc, cette his-
toire avait été construite par combinaison de deux types : le miracle
que ne peuvent produire les disciples et que réalise le maître, le
thème de la demi-foi ou foi incrédule, personnifiée dans le père de
LUC, IX, 41 277
^^ Et répondant, Jésus dit :
« O génération incrédule et dépravée,
jusques à quand serai-je près de vous et vous]souffrii*ai-je ?
amène ici ton fils. «
l'épileplique, et de la foi qui obtient' et réalise les miracles (Bui^t"
.MANN, i3o).
« Or il arriva, le jour suivant », — indication relative à la mise en
scène de la transfiguration pendant la nuit, — « comme ils descen-
daient de la montagne », — circonstance rattachée dans Marc (ix, 9)
aux propos échangés entre Jésus et les disciples après la transfigu-
ration, — « que vint à sa rencontre une grande foule », — Omission
de ce qu'on lit dans Marc (ix, 14-16) touchant la dispute des scribes
avec les disciples au milieu de la foule, la surprise de la foule en
voyant Jésus, et la question de celui-ci à propos de la dispute.
« Et voilà que de la foule un homme cria, disant ». — Marc (ix, 17) :
« Et un de la foule lui répondit ». — « Maître, je t'en prie, x'egarde
mon fils, parce qu'il est mon unique enfant ». — Le dernier trait
vient de notre évangéliste, qui a déjà présenté comme enfants uniques
le ressuscité de Naïn (vu, 12) et la fille de Jaïr (viii, 42). Gomme
chez Matthieu (xvii, i5), la description de la maladie, que Marc
>(ix, 17-18, 20-22) disperse en deux endroits, est résumée dès l'abord
dans le discours du père. — « Et un esprit se saisit de lui ». — Marc
(ix, 19) dit, pour, commencer, que c'est « un esprit muet ». — « Aus-
:sitôt crie, lui donne des convulsions avec écume ». — Les ciùs sont
-empruntés au dénouement de l'histoire dansMarc (ix, 26), les convul-
sions à la crise qui va être décrite (ix, 42 ; Me. ix, 20). — « Et à
grand'peine le quitte-t-il après l'avoir brisé ». — Anticipation de ce
■qu'on lit dans Marc (ix, 26) touchant la crise suprême qui aurait été
provoquée par l'exorcisme de Jésus. Le démon est censé ne sortir
qu'avec difficulté, parce que c'est en des convulsions violentes que
^s'achève la crise. — « Et j'avais prié les disciples de le chasser, et ils
n'ont pas pu ». — C'est ce qu'on lit dans Marc (ix, 18) : « Et j'ai dit à
tes disciples de le chasser », etc.
« Et répondant, Jésus dit : <^-0 génération incrédule et dépravée ».
— Marc (ix, 19) a seulement : « O génération incrédule ». Matthieu
^xvii, 17) ajoute : « et dépravée ». Cette dernière épithète, qui n'était
pas dans le texte de Marcion, pourrait avoir été ajoutée dans notre
évangile d'après Matthieu. — «Jusques à quand serai-je près de vous
et vous souftrirai-je ?» — On ne voit pas bien dans notre évangile
■où va l'apostrophe (voir Marc, 268) : la foule est tout à l'arrière-plan
278 LUC, IX, 42-43
*2 Or, comme encore il approchail,
le démon le jeta par terre et l'agita de conATulsions ;
mais Jésus menaça l'esprk impur,
il guérit l'enfant
et il le rendit à son père.
*8 Et tous furent stupéfaits du grand miracle de Dieu.
Mais pendant que tous étaient en admiration de tout c&
[qu'il faisait,
il dit à ses disciples :
deïa perspective ; le père, qui recourt en eonfî'ance à Jésus, sans la
nuance de doute qui le caractérise dans Marc, ne mérite aucun blâme
etue pourrait être considéré coimue type de la génération incrédule ;
dans cette hypotMse, le miracle aurait plutôt dû lui être refusé, ou
remis, •comme dans Mare, après un acte de foi. Restent les disciples ;
mais si l'auteur a pensé à eux, on s'étonne qu'il n'ait pas donné
ensuite, d'après Marc (rx, 28-29), ^* raison de leur impuissance (cf. Mt.
XVII, 19-20). Ce qui est clair, c'est que Jésus s'emporte contre le
manque de foi de ceux qui l'entourent et se déclare comme dépaysé
en pareil milieu ; il s'€xprim e ici comme unêlre divin égaré parmi
les hommes et pressé de retourner aucieHBuLTMATVN, 96). — «Amène
ici ton fils », — Dans Marc (cf. Mt. xvn, l'j) : « Amenez-le moi »,
l'ordre s'adresse à ceux qui entourent le possédé.
« Et comme il » — le possédé, — « s'approchait, le démon le jeta
par terre et l'agita de convulsions » . — C'est, avec • de légères
variantes, ce que dit Marc(ix, 20), mais en faisant ensuite engager
sur le cas une conversation qui se prolonge entre Jésus et le père
(Mc!. IX, 21-24), et que notre évangéliste a supprimée. — « Mais Jésus
menaça l'esprit impur, il guérit l'enfant » — par cet exorcisme, —
« et le rendit à son père », — comme il a fait pour le ressuscité de
Naïn (vTi, i5) ; et l'impression de la foule est aussi la même qu'en
cette occasion (vu, 16; il pourrait y avoir dans notre passage quelque
influence de Me. vu, 87) . — (( Et tous furent stupéfaits du grand
miracle de Dieu ». — Ce dénouement remplace la crise qui, dans
Mare (ix, 26-27), précède la sortie du démon, renfant étant laissé
comme mort, et Jésus le relevant en le prenant par la main. A
toutes ces précisions notre auteur a préféré une pointe de sentiment,.
et il omet l'explication que donne Marc à l'insuecès des disciples.
LUC, IX, 44 270
** «Prêtez bien l'oreille à ces paroles :
c'est que le Fils de l'homme va être livré enoiains d'hommes. »
XXXVII. L'avenih du Fils re l'homme
Il en est quitte pour rattacher vaille que vaille à rétonnement de
la foule la seconde pi'ophétie de la passion, qui, dans Marc, est
complètement détachée du précédent récit par une notice oîi l'on
montre Jésus traversant la Galilée et enseignant ses disciples (Me.
IX, 3o-3i a). Pour notre évangéliste, qui a mis la transfiguration à
proximité du lac de Tibériade, il n'y a pas lieu de ramener Jésus en
Galilée, et l'incognito de Jésus ne lui aura pas semblé non plus à
retenir.
«Or, tous étant en admiration de tout ce qu'il faisait», —
remarque générale qui ne vise pas seulement le dernier miracle,
mais l'ensemble des miracles galiléens, — « il dit à ses disciples »,
— comme pour les prémunir contre l'illusion que cette faveur popu-
laire aurait pu leur donner au sujet de son prochain avenir : —
« Prêtez bien l'oreille à ces paroles », — aux paroles que Jésus va
dire, et dont cet .avis fait ressortir l'importance : — (( G.'est qu'en
effet le Fils de l'homme va être livré en mains d'hommes ». —
Marc (ix, 3i) : << Le Fils de l'homme est livré en mains d'hommes » ;
mais Mare ajoute : c( ils le tueront, et, tué, après trois jours il ressus-
citera ».0n n'a pas motif de supposer que notre évangile aurait gardé
la forme piimitive de la prédiction ; il est bien plus prolsable que le
rédacteur a conservé la proposition essentielle, en laissant tomber î-e
reste, pour éviter une répétition, et que l'esorde : « Prêtez l'oreille ià
ces paroles », fait une sorte de compensation a ce qu'il omet. La
prédiction est ainsi présentée comme une sorte de mystère que les
disciples sont inviîtés à retenir, mais qu'ils ne vont pas comprendre.
Comme rantithèse paraît voulue entre l'admiration de la foule «t le
sort que les 'hommes vont faire au Christ, il n'est pas indiqué d'en-
tendre le mot « paroles » au sens de faits, comme si Jésus invitait
les disciples à se souvenir, quand sa passion arrivera, des miracles
qu'ils vienneni; de voir ; l'auteur ne paTaît pas songer à une leçon
morale dont les disciples n'auraient pas su pi'ofiier encore, mais à
une prédiction qui va leur être faite ot dont provis^vii^'ment ils me
saisiront pas le sens. De quelque façon qu'on l'entend'e, la liaison est
artificielle ; elle l'est surtout si « les paro'les «sont les faits antérieurs,
la référence devenant presque littéraire, et l'idée subtile ; toutefois
ce a'>est pas raison pour que l'évangéliste s'en soit abstenu.
280 LDC. IX, 4o-46
*5 Mais eux ne comprenaient pas celte parole,
et elle leur était voilée,
pour qu'ils ne l'entendissent point ;
et ils n'osaient l'interroger au sujet de celte parole.
*^ Or leur vint idée
(de savoir) qui était le plus grand d'entre eux;
»
«Mais eux ne compi'enaient pas cette parole». — Dans Marc
(ix, 32) cette inintelligence des disciples n'a pas besoin d'explication,
parce qu'elle leur est coutumière ;, notre auteur,- qui la signale excep-
tionnellement, en donne une raison qu'il juge propre à en écarter toute
signiûcation défavorable. — « Car elle leur restait voilée, pour qu'ils
ne l'entendissent point », — ou mieux peut-être ; « en sorte qu'ils ne
l'entendaient pas »,le sens étant que, par la volonté de Dieu, la parole
demeure pour eux enveloppée, obscure, si bien que, s'ils ne compren-
nent pas, ce n'est pas faute d'intelligence, c'est parce que la chose
leur est rendue inintelligible. Et l'on est dispensé de demander com-
ment Dieu a pu rendre inintelligible une prédiction aussi claire. —
« Et ils n'osaient l'interroger au sujet de cette parole ». — Marc;« Mais
ils ne comprenaient pas cette parole, et ils n'osaient pas l'interroger ».
XXXVIII. La vraie grandeur. L'exorciste étranger
Notre auteur retient encore de Marc l'incident de Tenfant et celui
de l'exorciste étranger, mais en remaniant le premier et en omettant
presque tout le préambule, l'arrivée de Jésus à Gapharnaûm et la
question de Jésus aux disciples sur la discussion qu'ils avaient eue
ensemble dans le chemin (Me. ix,^ 33-34). H omet l'interrogation aux
disciples, parce qu'il doit traiter plus loin (xxii, 24-3o) la question des
places dont le royaume. On peut croire, si l'on veut, que les faits nou-
veaux se passent encore au pied de la montagne delà transfiguration.
« Or entra idée en eux » — de savoir — « qui était le plus grand
d'entre eux ». — On pourrait traduire (tô tcç 'àv £Î-r\ tcscÇcov aÙTûv): « qui
était plus grand qu'eux » ; mais le débat serait bien théorique et peu
naturel, et la conclusion (ix, ^8b) suppose plutôt qu'il s'agit du pre-
mier rangparmiles disciples. C'est avec intention que l'auteur ne parle
pas ici de dispute, mais il ne paraît pas vouloir dire seulement que l'idée
s'est insinuée dans l'esprit des disciples ; il signifieplutôt qu'elle s'est
exprimée entre eux, sans venir aux oreilles de Jésus (eic-riXOev 8è
8iaXoYiff|j.bç Èv aùroïç s'inspire visiblement de Me. ix, 34, ttoôi; àXX'/jXouç
LUC, IX, 47-48 281
4' mais Jésus, qui connaissait la pensée de leurs cœurs,
prenant un enfant, le mit auprès de lui,
^8 et il leur dit :
« Quiconque reçoit cet enfant en mon nom
me reçoit ;
et quiconque me reçoit
reçoit celui qui m'a envoyé ;
car, qui est le plus petit parmi vous tous,
celui-là est grand. »
7àp Z<.skiyji-(\a<x.v h tTi ôSw tiç (xecÇcov, discussiondont Jésus se trouve con-
naître le sujet bien qu'il ne l'ait pas entendue), et que le Christ n'en a
pas moins su leur préoccupation. Il est assurément gratuit de sup-
poser que le « rôle de Pierre dans la conlession. avait rendu la ques-
tion de la préséance plus actuelle » (Lagrange, 281). La question ne
s'est posée en réalité que dans les premières communautés, et c'est
l'Esprit qui a donné la réponse en utilisant une sentence morale sur
la grandeur du service (Me. ix, 35 = x, 43-44 = Le. xxn, aG-a;^ ; f.
BULTMANN, 86).
« Mais Jésus, qui connaissait la pensée de leur cœur » — par sa
science infuse, et l'on est pas obligé de conjecturer qu'il lit leur préoccu-
pation sur leur visage, — « prenant un enfant, le mit auprès de lui et
leur dit». — Dans Marc (ix, '35), Jésus, à qui les disciples n'ont pas osé
répondrequand il leur a demandé le sujet de leur discussion, commence
par leur dire que qui veut être le premier doit se faire le dernier ;
après quoi il prend un enfant, le met « au milieu d'eux », l'embrasse
et dit la parole sur l'enfant qu'on doit recevoir comme lui-même (Me.
IX, 36-37). Ici Jésus met l'entant» auprès de lui », pai'ce que, la scène
n'étant pas localisée, laplace de l'enfant n'est pas marquée par rapport
aux disciples, qu'on ne peut se représenter autour de Jésus comme
dans la maison de Gapharnaûm. Notre auteur réunit en quelque façon
les deux sentences en intervertissant l'ordre de Marc. — « Quiconque
reçoit cet enfant en mon nom me reçoit » — Marc (ix, 87) :
« Quiconque recevra un de ces enfants » etc. Notre auteur paraît,
comme Marc, voir dans l'enfant le type du disciple ou plutôt de
l'apôtre (cf. Me. x, 4). bien qu'il né présente pas l'enfant comme tel
en exemple au croyant., — «Et quiconque me recevra reçoit celui
qui m'a envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous tous », — et
le « car » veut signifier qae ce « plus petit » s'identifie à. « l'enfant »
dans la personne duquel on i-eçoit le Chris' — « celui-là est grand »,
282 LUC, IX, 49-50
*^ Or, prenant la parole, Jean dit : « Maître,
nous avons vu quelqu'un chassant en Ion nonx lei^ démons^
et nous l'avons empêché,
parce qu'il ne (te) suit pas avec nous. »
^o Mais Jésus lui dit : « Ne l'empêchez pas;
car, qui n'est pas contre vous, pour vous il est. )>
— c'est-à-dire le plus grand (cf. Mt. v , 19 ; xvin. i). Assertion qui
revient à ce qu'on lit dans Marc(ix, 35): « Si quelqu'un veut être le
premier, il sera », — il devra se faire — «le dernier et le serviteur de
tous », mais, pour la forme, se rapproche de Matthieu (x vin, 4): (' Celui
donc qui se fera petit comme cet enfant sera le plus grand dans le
royaume des cieux ». On peut croire que cette sentence existait avec
des variantes dans la tradition et qu'elle a été présentée d'abord
comme une pai'ole du Christ glorifié, indépendante du logion concer-
nant le service. Ce n'est pas sans subtilité qu'un rapport logique
s'établit entre les deux sentences ainsi amalgamées ; quiconque reçoit
un petit reçoit Dieu ; donc le petit est grand ; et il faut se faire petit.
L'artifice de la combinaison est par là dénoncé.
« Or, prenant la parole », — comme si le discours de Jésus provo-
quait la communication qu'on va voir, — « Jean dit », — comme
dans Marc (ix, 48), où l'anecdote est amenée de la même façon : —
« Maître, nous avons vu quelqu'un qui chassait en ton nom les démons^
et nous l'avons empêché » — de le faire, — « parce qu'il ne )) — te —
<( suit pas avec nous ». — Marc ; « parce qu'il ne nous suit pas ». U
s'agit encore de la façon de traiter un frère, mais un frère irrégulier,
qui ne marche pas avec, les autres-. Le trait denc est en rapport avec
les conditions de l'âge apostolique, non avec celles où Jésus a pu
exercer son ministère.
« Mais Jésus lui dit : « Ne l'empêchez pas . Car qui n'est pas contre
vous est pour vous ». — Marc (ix, 4o) : « Car qui n'est pas contre
nous est pour nous :». En mettant « vous » à la place de « nous », notre
auteur évite une contradiction formelle avec la sentence : « Qui n'est
pas avec moi est contre moi », qu'il rapportera plus loin (xi, 23),
d'après le recueil de sentences (sur le rapport des deux sentences
contradictoires voir, Marc, 279). Si l'on tient compte du contexte et
aussi du « vous », on jugera probable quel'auteur,,et ce pourrait être
Luc, ne voit pas dans l'exoi'ciste un juif quelconque, mais tel prédi-
cateur chrétien qui n'a pas marché avec les Douze ; le rédac-
teur a dû le comprendre de la même façon, puisqu'il n'hésite pas-
LTJC, IX, 51 283
^^ Or, quand fut au point de s'accomplir le temps de son
fassomption,
il se mit en devoir d'aller à Jérusalem,
à ridiculiser dans les Actes (xtx,i3-i6) les exorcistes juifs qui opèrent
au nom de Jésus. Si on l'entend ainsi, il n'y a pas de contradiction
l'éelle entre notre passage et l'application aux exorcistes juifs de la
sentence : «Qui n'est pas avec moi est contre moi i). Ce n'est pas
toutefois sans quelque subtilité qu'on les peut accoi'der ; et sans
doute tombe-t-on dans une subtilité plus grande que celle de l'évan-
géliste en supposant que la sentence : « Qui n'est pas avec moi est
contre moi />, invite les disciples à s'éprouver eux-mêmes », et la sen-
tence : « Qui n'est pas contre vous est pour vous », est une règle à
eux donnée pour éprouver les autres » (Lagbange, 283, après Plum-
mer), La vérité doit être que les deux sentences, proverbes de vul-
gaire sagesse, ont été exploitées librement par la tradition chrétienne
selon les opportunités (une parole de César rapportée, par Gicéron,
pro Ligario, montre bien que ces dictons n'ont rien de spécifique-
ment évangélique x « Valeat tua vox illa quae vicit. ïe enim dicere
audiebamus,nos omnes advex'sarios putare nisi qui nobiscum essent,
te, omnes qui contra te non essent, tuos »),
Dans Marc, la sentence : « Qui n'est pas contre vous est pooi'
vous», est encadrée d'une explication préliminaire: « Car il n'est
personne qui fasse un miracle en mon nom et qui puisse aussitôt
parler mal de moi », explication qui aura été jugée superflue, ou
bien contestable dans certaines applications qu'on en pourrait faire ;
et d'une dernière remarque concei'nant les petits (Me. ix, 4i) '• « Car
quiconque vous donnera à boire un verre d'eau », etc, dont le rap-
port avec le contexte n'était pas facile à saisir ; d'ailleurs on en a eu
déjà (tx, 48) et on aura encore plus loin (x, i6) l'équivalent. Les pro-
pos sur le scandale, et la comparaison du sel, qui viennent ensuite
dans Marc (ix, .^, 5o), se rencontreront plus loin dans notre évan-
gile, d'après le recueil de sentences, et la parole sur le scandale
personnel (Me, ix, 43-48) : « Si ta main te fait scandale » etc, , a été
simplement oinise, peut-être comme exagérée ou prêtant à équi-
voque.
XXXIX. En route veks Jérusai^em
Notre auteur arrive ainsi au départ pour la Judée (Me. x, i). Dans
Marc, ce départ n'est que la suite de pérégrinations dont notre
284 LUC, IX, 51
évangile n'a rien gardé; il se trouve déjà par là en pljis grand relief,
et le narrateur en accentue la signification par une formule solennelle,
qui remplace les indications de Marc, — « Or advint, quand s'accom-
plissaient les jours de son assomption », — les jours qui devaient
aboutira l'ascension, au ravissement du Christ au ciel (pour êv tw
(;up,7rXT|poucrOai ràç Tjjxipaç, cf. AcT. tl, I ; pour l'assomption, àvàX-ri[xt|/tç,
Acï. 1, 2, II, 22), — « qu'il se mit en devoir d'aller à Jérusalem », —
littéralement: « il mit son visage pour aller à Jérusalem », il se tourna
de ce côté, décidé à se rendre à Jérusalem. La locution est imitée
de l'Ancien Testament (cf. Jér. xlii, i5 ; xiiv, 12 ; déjà pour
àvàXvi|ji^{/[ç, on peut comparer II Rois, .11, 9-10 ; Eccu. xr.viii, 9,
assomption d'Elie, XLix, 14, assomption d'Hëuoch). Ici «l'assomp-
tion » paraît impliquer la mort et la résuri'ection, comme plus haut
(ix, 3i) « la sortie », les étapes que Jésus a franchies pour passer de
ce monde à l'autre; et la notice marquerait moins une date et un iti-
néraire que le motif qui conduit Jésus à Jérusalem (cf.KLOsTERMANN,
473).
C'est pourquoi il n'y a pas lieu d'insister sur ce que ce préambule
ferait prévoir un voyage rapide, afin de l'attribuer à une source qui
ne contenait pas tout ce qui va être raconté avant l'arrivée de Jésus
dans la ville sainte. Si le préambule est de Luc, comme le rapport
avec le prologue des Actes (supr. cit.) invite à l'admettre, il est pro-
bable, en effet, que le voyage était conçu à peu près de la môme
façon que dans Marc ; mais, dans le contexte actuel, dans l'économie
rédactionnelle du troisième évangile, le sens de cette introduction
est sensiblement modifié. Le rédacteur de notre livre, par une sorte
de compensation pour le voyage sans prédication quç Marc lait faire
à Jésus dans le nord de la Palestine, amène un voyage ou plutôt la
perspective d'un voyage à travers la Samarie, tournée d'évangélisa-
tion qui n'a jamais eu lieu, mais qui, pour l'hagiographe, a le
double avantage de pi'éfîgurer l'évangélisation des païens, — à
laquelle prélude aussi l'évangélisation de Samarie dans les Actes, —
et d'ouvrir un cadre commode où il a été possible de loger un peu
pêle-mêle tous les matériaux traditionnels et les leçons qui n'avaient
pas trouvé place dans le cadre de Marc. Du reste, le rédacteur n'a
pas pris la peine de tracer un itinéraire ni même d'adapter de laçon
quelconque le gros des récits et instructions à leur cadre samaritain.
Ce rédacteur, qui conduit le Christ en Samaine, où Jésus n'a pas mis
le pied, doit être le même qui, dans les Actes, improvise si allègre-
ment des voyages apostoliques qui n'ont jamais eu lieu (dédouble-
ment du voyage de Paul et Barnabe à Jérusalem, de la mission de
LUC, IX, 52-53 285
*2 et il envoya des messagers devant lui.
Et s'en étant allés, ils entrèrent en bourg de Samaritains,
pour lui préparer (gîte).
^^ Et on ne le reçut pas,
parce qu'il allait dans la direction de Jérusalem.
Chypre et de Pisidie-Lycaonie, de la dernière visite de Paul à la
communauté apostolique).
« Et il envoya des messagers devant lui ». — On dirait une antici-
plation de ce qui sera plus Iqin raconté à propos de la pâque (xxii,8)^.
Jésus enverrait devant lui des messagers, afin de retenir un gîte
dans les endroits où il devait passer la nuit. Mais ces fourrier'3 sont
aussi bien une anticipation des soixante-douze disciples (x, i), qui
vont être présentés comme envoyés deux à deux, de la même façon,
et sans qu'il y ait à leur mission plus de réalité. La même fiction sert
ici à construire une anecdote par laquelle est marquée l'entrée de
Jésus en pays samaritain. 11 est donc inutile de se demander qui
sont ces envoyés, et s'ils ont un service ordinaire ou exceptionnel;
mais on va sûrement conti'e l'esprit du récit en supposant qu'ils
n'appartiendraient pas à la suite de Jésus et seraient des gens d'un
lieu où la troupe évangélique aurait couché, qui seraient envoyés
occasionnellement préparer le gîte au terme de l'étape suivante
(Lagrange, 284). — » Et étant partis », — ces messagers — « entrèrent
en un bourg de Samai'itains pour lui préparer » — souper et gîte.
Jésus veut donc suivi'e. h- route ordinaire des j)élerinages galiléens,
en passant par la Samarie. — « Et on ne le reçut pas, parce qu'il
allait vers Jérusalem ». — Littéralement : « parce que son visage
était allant vers Jérusalem » (cf. II Sam. xvn, ii. Sept.). Trait
vague sous un apparence de précision ; car on ne voit pas bien si le
refus s'adresse directement aux envoyés, ou bien aussi à Jésus lui-
jnême arrivant derrière eux. L'auteur exploite, pour ce refus d'hos-
pitalité, la haine bien connue que les Samaritains nourrissaient à
l'égard des Juifs. Le pèlerinage était d'ailleurs une belle occasion
de la manifester, puisqu'il faisait ressortir le schisme, et l'on peut
voir dans Josèphe {Ant. XX, 6, i ; VU. Sa) que le passage des cara-
vanes donnait lieu parfois à des rixes. Il est à noter que Marc
ignore les Samaritains, et que, dans Matthieu (x, 5), Jésus défend à
ses disciples d'aller chez eux ; ici lui-même ne les évite pas et semble
les chercher; notre auteur toutefois ne s'est pas risqué à représen-
ter le Christ évangélisant lui-même les Samaritains ; le fait qu'il
286 LUC, IX, 54-56
^* Ce que voyant, les disciples Jacques et Jean
dirent : « Seigneur,
veux tu que nous disions
que feu descende du ciel
et les dévore, [comme Elie a fail. »]
^^ Mais, s'étant retourné, il les réprimanda
[et dit : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes ;
car le Fils de l'homme n'est pas venu perdre mais sauver
[les vies. »]
5^ Et ils s'en allèrent à un autre bourg.^
traite seuiement avec eux par ses envoyés à une valeur symbolique. .
« Ce que voyant, les disciples Jacques et Jean », — les « disciples »
([xaO'fixaO ont l'air de se distinguer des « messagers » {Ihc^ù-QK, rx, 5a),
non que ceux-ci ne soient pas disciples au sens propre du mot, mais
parce qu'ils sont des Soixants-douze, non des Douze, les soixante-
douze étant en rapport avec les Samaritains parce que la mission de
Samarie figure l'évangélisation des Gentils, : — « dirent : « Seigneur,
veux-tu que nous disions que le l'eu descende du ciel et les dévore ? »
— On dirait que Jacques et Jean sont témoins du refus, mais ce
n'est pas raison pourvoir en eux les a messagers n, puisque l'auteur
les en distingue ; ils sont avec Jésus au moment où celui-ci apprend
le refus qui a été fait à ses envoyés, et « ce que voyant » pourrait
équivaloir à (c ce qu'apprenant », Le trait semble conçu d'après le
surnom de « fils du tonnerre », attribué dans Marc (ht, i;;;) aux fils
de Zébédée, et avec réminiscence de la légende d'Elie, comme en
témoigne à sa façon la glose ajoutée dans certains témoins (Mar-
cion, mss, A G D, etc.) : « ainsi qu'a fait Elie ». Cette anecdote
remplace en quelque manière dans notre évangile la démarche faite,
d'après Marc (r, 35 4)» V^^ ^^s fils de Zébédée pour obtenir les pre-
mières places dans le royaume de Dieu, et peut-être n'y doit-on pas
<ittribuer d'intention défavorable. On peut douter cependant que les
fils de Zébédée, quand même ils auraient chassé déjà quelques
démons au nom de Jésus, se fussent jugés investis d'un pouvoir
miraculeux comparable à celui d'Elie,
<c Mais, se retournant, il les réprimanda ». — On ne peut pas s'at-
tendre à ce qu'une autre attitude soit prêtée au Christ. Mais la scène
paraît bien n'être consistante et naturelle que dans l'imagination de
l'auteur : si enthousiastes qu'aient pu être Jésus et ses disciples, ils
n'étaient point accoutumés à jouer avec les éléments. Certains
LUC, IX, 57-58 287
^' Et comme ils cheminaient,
en roule quelqu'un lui dit :
« Je te suivrai où. que tu ailles. »
^8 Et Jésus lui dit :
« Les renards ont tanières,
et les oiseaux du ciel abris ;
mais le Fils de l'homme n'a pas où poser la tète. »
témoins (Marcion, ms. D>etc.) donnent le texte de la remontrance :
n Et il dit : «Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes »; plusieurs
niôme(Marcion, mss, F K, — mais pas D, — mss. lat. Se.) ajoutent :
{( car le Fils de l'homme n'est pas venu perdre les vies (ou : « les vies
des hommes), mais les sauver )). Cette dei'nière partie de la glose est
imitée d'ailleurs (xix, ro), et le tout est conforme à la pensée du nar-
rateur, qui oppose implicitement l'esprit de l'Evangile, charité et
miséricorde, à l'esprit d'Elie, justice et terreur ; mais l'antithèse
exprimée donne à l'incident une importance que l'évangéliste ne
semble pas y avoir voulu mettre. Les gloses pourraient avoir une ori-
gine marcionite (cf. Lagrange, 286). ICUes semblent être en surcharge
dans la strophe.
« Et ils s'en allèrent dans un autre boui'g ». — On ne dit pas si
l'autre bourg est encore en Samarie, mais on n'indique aucun change-
ment d'itinéraire, et comme notre évangéliste est entièrement
dépour%'ii de scrupules géographiques, i-ien n'est à inférer de ce que
Jésus arrivera enûn à Jérusalem par Jéricho. L'auteur veut plutôt
laisser entendre que le Christ n'a pas été repoussé partout chez les
Samaritains. Il semble que l'inhospitalité samaritaine fasse pendant,
au commencement de cette seconde partie de notre évangile, à
l'expulsion de Jésus, après sa prédication dans la synagogue de
Nazareth, au commencement de la première partie; mais on insiste
beaucoup moins sur l'inhospitalité samaritaine, et il est assez facile
d'entrevoir que les Samaritains, figurant les Gentils, ne sont pas
réprouvés comme les Juifs.
XL. Ce qui est exigé des disciples
Viennent maintenant trois paroles censées dites par Jésus à des
gens qui demandaient à le suivre ou qu'il appelait à sa suite. Les
deux premières sont, dans Matthieu (viii, 19-22), rattachées au départ
de Jésus pour la rive orientale du lac, après les premiers miracles
288 LUC, IX, 59-60
^8 II dit à un autre :
« Suis-moi. »,
Et celui-ci dit ; « Permets-moi
d'aller d'abord enterrer mon père. »
««El il lui dit:
« Laisse les morts enterrer leurs morts ;
quand à toi, va-t'en annoncer le règne de Dieu. »
faits parle Ghinst à Capharnaûm. Notre auteur les rattache, un peu
trop tard, au départ de Galilée ou plutôt' au départ pour la Judée;
car on ne voit pas très bien comment des vocations se seraient pro-
duites en territoire samaritain. La combinaison ne laisse pas d'être
intentionnelle, et elle pourrait avoir été suggérée par la source, où
ces dits du Seigneur avaient leur place naturelle auprès du discours
de mission, dont notre auteur va faire aussitôt le discours aux
soixante-douze disciples.
« Et comme ils allaient )),-t- pour la perspective, Jésus et ses com-
pagnons vont, du village où l'on a pas voulu d'eux, à un autre village
où ils espèrent meilleur accueil, — « dans le chemin », — indication
qui se rapporte plutôt à ce qui suit, comme pour localiser l'anecdote,
et qui n'est d'aucune utilité si on la rattache à ce qui précède, —
« quelqu'un », — d'après Matthieu (viii, 19) : « un scribe », mais ce
ne doit pas être une indication de la source, — « lui dit : « Je te suivrai
où que tu ailles », etc. — Eu égard au contexte, la réponse de Jésus
paraît contenir une allusion au refus d'hospitalité qu'il vient d'éprou-
ver ; mais l'allusion n'existe que dans la combinaison rédactionnelle
et en vertu de celle-ci. La réponse paraît être un dicton sur la con-
dition humaine, dont on aura fait application au Fils de l'homme
et au ministère apostolique, et l'introduction a été ensuite ima-
ginée pour amener le logion ainsi obtenu (Bultmann, i4)- Les deux
logia suivants, semblent également avoir été contruits au moyen de
proverbes, et les introductions adaptées tellement quellement à ces
logia.
(( Etildità un autre:« Suis-moi». — Matthieu(vni,ai)n'a pas ce pré-
ambule, qui parait nécessaire à l'équilibre apparent de l'anecdote. —
« Et celui-ci dit ; « Permets-moi » etc. — A la réponse de Jésus notre
évangile ajoute ; -7 « Quant à toi, va-t'en annoncer le royaume de
Dieu ». — Ce conseil positif pourrait être destiné à corriger l'impression
que donne la prescription négative et à laisser entendre que l'appel de
Jésus n'a pas été vain. Notre auteur a en vue la mission des disciples ;
LUC, IX, 61-62 289
"^ Un autre dit .
« Je te suivrai, Seigneur ;
mais d'abord permets-moi de dire adieu à ceux de ma maison. »
^2 Mais Jésus lui dit :
«•Quiconque, mettant la main à la charrue,
regarde en arrière
n'est pas apte au règne de Dieu. »
par la place qu'il assigne à ces anecdotes, il donne à penser que les
trois personnes qui y figurent ont appartenu au groupe des Soixante-
douze. La corrélation nécessaire de la vocation de disciple avec la
prédication du royaume achève de christianiser le dicton sur les
morts ensevelisseurs de morts. Mais il est trop clair ici que la mise
en scène n'a rien de réel : qu'est-ce qui aurait empêché l'homme
d'accompagner Jésus après avoir enterré son moi't ? Et s'il ne s'agit
que de suivre spirituellement le Christ, la sentence prend aussi un
caractère idéal, d'ailleurs assez difficile à préciser. Le jeu de mots
trahit un dicton proverbial, bien que l'origine de celui-ci ne puisse
être indiquée (le renvoi de Gressmann, ap. Klostermann, 475, à des
contes égyptiens où des morts ensevelissent d'autres morts, vaut du '
moins pour la comparaison).
« Or un autre encore dit », — comme le premier : — « Je te suivrai,
Seigneur », — tout en ayant, comme le second, quelque chose à faire
auparavant ; — « mais d'abord permets-moi. de dire adieu à ceux de
ma maison ». — Ainsi la mise en scène de cette troisième anecdote,
imitée des précédentes, paraît être de l'évangéliste. Elle s'inspire
peiit-etve de ce qu'on lit au livre des Rois (I, xix, 19) touchant l'appel
d'Elisée, qu Elle prend à sa charrue, et qu'il emmène après lui avoir
permis d'embrasser son père. De là vient l'idée de l'adieu ; seulement
Jésus enchérit sur Elle en ne permettant pas l'adieu. — « Mais Jésus
lui dit :« Quiconque, mettant la main à la charrue, i-egarde en arrière,
n'est pas apte au royaume de Dieu ». — L'idée ne manque pas de
Tigueur, mais elle n'est pas nettement exprimée, et la sentence est
mal construite. Notre évangéliste, à qui cette réponse de Jésus paraît
devoir être aussi imputée, a mis en métaphore la charrue d'Elisée,
la présentant en symbole de l'œuvre évangélique, en sorte que la
formule, sSns figure, se traduirait : qui se met à l'œuvre du royaume,
et se retourne vers le monde, n'est pas propre à l'œuvre du royaume.
La métaphore de la charrue obscurcit plutôt la sentence, qui n'est
pas très loin d'être une tautologie. Du reste, le rapport de l'introduc-
A. LoiSY. — L'Evangile selon Luc ig
1
290 LUC, X,, 1.
^ Or, après cela, le Seigneur en désigna encore soixante-
[do«ze autres,.
e\ il les envoya deux à deux devant luii
en toute ville et endroit
où il devait lui-même aller.
tion avec le logion est aussi artificiel que dans les- cas précédents, le
point de vue de la mise en scène étant purement idéal. Peut-être
encore un dicton sur le laboureur et la charrue aurait-il été
d'abord adapté au thème du règne de Dieu (on peut comparer
Pline, H. N. XVHI, 179 : « Arator nisi incurvus praevaricatur »)..
Daûs la pensée de l'évangéliste, la première anecdote montre que
le vrai disciple doit renoncer à ses aises et aux agréments de l'exis!-
tence ; la seconde, qu'il doit sacrifier toute autre considération à
celle du royaume de Dieu ; la troisième,, que toute son activité doit
se porter en avant, vers le règne de Dieu qu!il annonce et dont il
prépare l'avènement.
XLI. La mission des Soixante-douze
Tandis que Matthieu a identifié au discours de= mission qu'il trou-
vait dans le recueil de sentences l'e sommaire de ce même discours
qu'il trouvait dans Marc, notre évangile affecte de présenter l'un et
l'autre comme distincts, le sommaire de Marc restant comme dis-
cours aux Douze, et le discours de mission étant censé adressé à un
groupe de soixante-douze disciples, par ailleurs, ignoré de la tradi-
tion évangéliquè . En l'ait, le discours de mission ne concerne pas
les Douze mais les missionnaires clirétiens en général, et il est pos-
sible que la source ne Fait pas fait adresser spécialement aux Dou?^
(E. Meyer, I, 292). On pourrait même supposer que le rédacteur i^
été induit à sa combinaison par une rédaction intermédiaire qui fai-
sait adresser le discours à un cercle pliiS' étendu que celui' des Douze ;
mais il parait bien plus probable que le personnage qui a remanié
les deux livres à Théophile, et qui était fort Gapable de fictions har-
dies, a conçu lui-même pour le discours de mission la mise en scène
que nous voyons. Le dédoublement du discours permettait de signa-
ler une mission plus considérable que celle' des Douze et propor-
tionnée par le nombre de ses représentants aux destinées universelles
duchrislianisme. Soixante-douze est cinq fois douze, et le cinquième
de trois-cent-soixante ; c'est le chilTre des peuples énumérés au.
LUC. X, 1 291
chapitre x de la Genèse (soixante-dix dans l'hébreu, soixante-douze
dans les Septante), le chiffre des ancêtres humains du Christ dans
la généalogie de notre évangile ; les Pères en ont rapproché les
soixante-dix membres de la famille de Jacob arrivant en Egypte
(Gbn. . xLvi, 27), les soixante-dix anciens qui assistaient. Moïse
_(Ex. xvui, 21 ; XXIV, I ; NoMBn.xi, 16, 3o ; dans ce dernier passage,
avec Éldad et Modad, on aurait soixante-douze inspirés). On peut
aussi comparer les soixante douze traducteurs de la Bible, com-
munément désignés sous le nom d.e Septante.
Inutile d'objecter que les soixante-douze ne sont pas envoyés aux
Gentils, mais seulement où Jésus lui-même doit aller : on ne pouvait
pas, sans heurter violemment une tradition certaine, attribuer au
Christ durant sa vie mortelle l'intention d'évangéliser les païens. De
même' que les soixante-douze figui-ent les prédicateurs chrétiens qui
ont réellement pourvu à l'évangélisation de L'univers, l'endroit où ils
sont censés pénétrer avant Jésus, c'est-à-dire laSamarie, représente
l'univers païen. En lait, les Samaritains étaient plutôt des Israélites
schismatiques ; du point de vue. juif, ils étaient plutôt païens ; de là
vient que notre auteur,' soit dans l'évangile soit dans les Actes, se
complaît à montrer Jésus, puis les apôtres, en l'apport avec les Samari-
tains : ainsi commençait 'et se préfigurait l'universalité du christia-
nisme. Toute l'histoire de la Samaritaine dans le quatrième évangile
est fondée sur la même idée. Ce ne doit pas être par hasard qu'un
discours qui, dans Matthieu (x, 5), contient la défense de prêcher
aux Samaritains, se trouve ici donné en Samarie. Le discours même
sera cité plus loin (xxii, 35) comme ayant été adressé aux Douze, et
la façon dont il est introduit tx'ahit encore l'artifice qui l'a détourné
de sa destination et de sa j)lace originelles . Si l'on ne dit pas expres-
sément que l'Evangile ait été prêché aux Samaritains, c'est que, dans
la réalité, il ne l'a pas été ; on a voulu seulement ouvrir une perspec-
tive prophétique (comme dans iv, i4-3o, supr. p. i54; ss.).
(( Or, après cela », — après les premiers incidents de ce voyage en
Samarie, après les paroles qui marquent les conditions dans lesquelles
on peut être disciple du Christ, et qui, au point de vue didactique,
font un assez bon préambule au discours de mission, — « le
Seigneur », — titre qui, dans Mai'c et dans Matthieu, ne se l'encontre
pas comme désignation de Jésus, mais qui se renconl''e assez souvent
dans notre évangile (cf. siip7\, p. -220 ; les vainanles que présente le
texte en ces endroits pourraient être dues à Finfluence des autres
synoptiques ; dans vii, i3, le ms. D, Ss. ont « Jésus » ; ici les mêmes
témoins et Se. mss. lat. omettent b xù'pioç), — - « en désigna encore »,
292 Lcc, X, 1
— par vocation spéciale, et en plusdes Douze précédemment choisis,
— « soixante-douze autres ». — Le chiflre de soixante-douze, que don-
nent des témoins très autorisés (mss. BD, Ss, Se. mss. lat.), est pré-
iérable au chiffre rond de soixante-dix, qui est celui d'autres témoins
(cf. Lagrange, 292). Un pareil choix, à cette date et en ces circons-
tances serait bien extraordinaire ; il supposerait d'ailleurs que Jésus
voyage avec une petite armée de disciples, dans laquelle auraient été
choisis les Soixante-douze après les Douze, ce qui, môme en tenant
compte de la notice sur les femmes nourricièi*es (vir, 2 -S), ne laisse pas
d'être invraisemblable ; et ce qui est plus étrange encore, c'est le
motif assigné à ce choix.
« Et il les envoya par deux ». — C'est ce que Marc (vi, ta) a dit
des Douze, et notre auteur a réservé le trait pour les Soixante-douze,
soit qu'il l'ait trouvé seulement dans Marc, soit qu'il l'ait trouvé aussi
bien dans la source où il prenait le discours démission. Ce trait
doit être en rapport avec une coutume des temps apostoliques,
adoptée probablement pour la sécui'ité des missionnaires, plutôt que
pour le relief de leur témoignage (voir Marc, 172). — « Devant lui,
en toute ville et endroit où il devait lui-même aller ». — Donnée con-
fuse et singulière. Ces émissaires ne seraient pas envoyés de divers
cotés pour prêcher et guérir, comme on Ta dit des Douze ; ils sem-
blent envoyés seulement comme des fourriers chargés de préparer
les logements là où Jésus doit s'arrêter. S'ils sont envoyés simultané-
ment, cela fait trente-six places retenues en trente-six lieux, comme si
la troupe évangélique devait occuper tout un canton, ce qui pourrait
s'accorder avec le grand nombre des disciples, mais achèverait de
faire ressortir l'invraisemblance ; s'ils sont envoyés seulement deux
pour chaque étape, ce qui pourrait sembler suffisant, on ne voit plus
la raison d'être des Soixante-douze. C'est que, dans la perspective
apparente du récit, il serait par trop inconcevable que Jésus lançât
une mission plus considérable que celle des Douze. Le discours que
le Christ adresse aux Soixante-douze n'en est pas moins un discours
de mission, qui détermine les règles de l'apostolat chrétien, et
l'évangéliste se contredirait violemment si l'unité de sa pensée
n'était sauvegardée par la signification symbolique des Soixante-
douze et du rôle qui leur est assigné. Ils sont bieïi réellement les
envoyés du Christ, tous ces prédicateurs qui, à la suite de Barnabe
et de Paul, ont porté l'Evangile aux nations, comme les Douze
l'avaient poi-té d'abord aux Juifs ; ils sont aussi des hérauts de Jésus,
ils préparent sa venue dans tous les lieux où ils lui recrutent des fidèles,
et ils annoncent entons lieux son prochain avènement dans la gloire.
LUC, X, 2-4 293
^Et il leur disait:
« La moisson est abondanle,
mais les ouvriers peu nombreux ;
priez donc le maître de la moisson
qu'il envoie des ouvriers à sa moisson,
^Allez : voici que je vous envoie
comme agneaux au milieu de loups.
* Ne portez pas bourse, ni sac, ni souliers,
et personne en chemin ne saluez.
« Et il leur dit » — ce que, dans Mallhieu (ix, 37-38), il est censé
avoir dit aux Douze : — « La moisson est abondante », etc. Dans la
perspective de notre évangile, il semblerait que les Douze ne
suffisent pas à la besogne entrevue ; mais, ici, comme dans Mat-
thieu, ceux à qui la parole s'adresse sont censés devoir être les
ouvriers souhaités, ce qui s'accorde mal avec le sens naturel de la
sentence, proverbe commun, qui aura été mis en rapport avec les
conditions de la propagande clarétienne dans les premiers temps
(cf. BuLTMANN, 5q). Elle n'est point, par elle-même, liée au discours
qui suit, et, dans Matthieu, elle en est séparée par la mission des
Douze, en vue de laquelle. Jésus donne ensuite à ceux-ci ses instructions .
« Allez ». — Ce mot, qui n'a pas de parallèle en Matthieu, est pour
la liaison. — « Voici que je vous envoie comme agneaux », — Mat-
thieu (x, i6) dit : « brebis » (upo^axa; Luc, àpvaç), — « au milieu de
loups ». — Matthieu ajoute : « Soyez donc prudents », etc. Ou bien
notre auteur n'aura pas trouvé ce conseil dans la source, ou bien il
n'en aura pas été satisfait. Il semble du reste que l'avertissement:
« Voici que je vous envoie » etc., vienne mieux en tête du discours,
quoi qu'il ait pu aussi être conçu d'abord comme une sientence indé-
pendante. Le tout n'est que locutions proverbiales adaptées à la situa-
tion des pi'emiers missionnaires clirétiens. — « Ne portez- ni boui'se,
ni sac, ni souliers ». — Mêmes prohibitions que plus haut (ix, 3),
mais d'après le recueil de sentences, l'interdiction des souliers rem-
plaçant celle de la seconde tunique (Mt. x, io, réunit les deux
défenses ; il paraît tout à fait risqué de supposer, à raison de Me.
vi, 9, un primitif 6TrEv8û[j.aTa ou ÙTioBujjLaTa, qu'on aurait lu à tort
6uo5'/îjj.aT«, ce qui aurait introduit la défense des chaussures, Spitta,
ap. Klostermann, 4!7;?)- « Emporter » ((SxaTa^eiv) ne signifie pas
« chausser », et l'on pourrait êti*e tenté de trouver ici la défense de
pi'endre des sandales de rechange (Laguange, 295) ; mais le verbe
294 LUC, X, 5-6
• Mais en quelque maison que vous entriez,
dites d'abord : « Salut à cette maison. »
^ Et s'il y a là enfant de salut,
sur lui reposera votre salut ;
sinon, sur vous il reviendra.
est choisi pour les premiers membres de l'énumératidn, et quand il
se réfère à notre passage (dans xxii, 35), l'évangéliste entend que
bourse, besace et sandales ont été pareillement interdites . — « Et ne
saluez personne en chemin ». — Interdiction propre à notre évan-
gile; elle paraît signifier qu'il ne faut pas perdre le temps en poli-
tesses inutiles, non qu'il l'aille prendre garde de se faire connaître
trop >tôt(WELLHATjSEN, 49)» ^^^ elle doit être en rapportavec les condi-
tions de la prédication à domicile. Serait-il trop téméraire de penser
qu'elle remplace en quelque façon la défense de prêcher aux Samari-
tains et aux païens (Mt. :x, 5) ?Elle ménage d'ailleuris la transition
à ce qui va être dit du salut à donner en entrant dans les maisons .
« Or, en quelque maison que vous entriez, dites d'abord : « Salut
à cette maison ».. — Matthieu (x, 12): « Et en entrant dans la maison,
saluez-la». — « Et s'il y. a là ;un enfant de salut, sur lui reposera
votre salut ». — Jeu de mots sur le double sens du mot : « salut »
(e'ifT,v-ri — shalôm).. Les hérauts de l'Evangile qui, arrivant dans une
maison, prononcent le souhait contenu dans la formule de salutation,
apportent le salut véritable; s'il y a là un « enfant de salut », c'est-à-
dire un homme bienveillant et poli qui soit en môme temps une âme
prédestinée et bien disposée, ce qui apparaîtra par la façon dont il
prendra la salutation qui lui sera faite, le salut qu'on lui souhaite lui
arrivera l'éellement. — « Sur lui reposera votre salut. Sinon », —
dans le cas contraire, si la maison n'est pas habitée par un «enfant de
salut », ce qui se connaîtz*a par la réponse désagréable qui sera faite
à la. salutation et parle refus d'hospitalité, — « il reviendra sur vous »,
— le vœu de salut sera de nul effet pour celui à qui il était adressé,
mais il reviendra aux missionnaires, qui en appliqueront la vertu à
d'autres. Il ne doit pas* être question d'une bénédiction particulière
qui retomberait sur les missionnaires rebutés, puisqu'ils sont eux-
mêmes en possession du salut et qu'on ne s'occupe pas ici de leurs^
mérites ni de leur récompense.
« Mais restez dans cette maison », — ne changez pas de logis, —
mangeant et buvant ce qu'on y a ». — Ceci est impliqué dans les
autres évangiles et ne paraît pas viser spécialement le cas d'aliments
LUC, X, 7-9 295.
'Mais (dans la même maison restez,
.înang:eaiitet buvant ce qu'on y a ;
<;ar l'ouvrier a droit à son salaire.
Ne passez pas de maison en maison.
8 Et en quelque ville que vous entriez, où l'on vous recevra,
mangez ce que l'on vous servira;
• guérissez les malades qui y seront ;
et dites-leur :
« Proche est de vous le royaume de Dieu. »
que les Juifs auraient scrupule de prendre (cf. I Cou. tx, 7, i4 ; et il
n'y a pas de rapport avec I Cor. x, 27). — « Car l'ouvrier a droit à
son salaire ». — Matthieu'(x, 10) dit: «à sa nourriture » (tv]? xpocpT,? ;
Luc, Tou [xtffOoïï). « Salaire » doit être primitif (cf. I Tim. v, 18). La place
oùnotre évangile donne cette remarque est aussi la plus naturelle.
Du reste, c'est encore un proverbe commun, dont il est fait appli-
cation à l'œuvre apostolique. — • « Ne passez pas de maison en mai-
son ». — Autre formule, plus nette, de la recommandation précé-
dente. — « Et en quelque ville que vous entriez et où on vous aura
reçus, mangez ce qu'on vous servira ». — Répétition inutile de ce
qui vient d'être dit à propos de la maison, bien que, cette fois, une
allusion aux scrupules juifs soit possible (J. Weiss-Bousset, 445).
Mais la source distinguait ce qu'il y avait à faire par l'apport à la
maison selon qu'on y était accepté ou non, et par rapport à la ville
selon qu'il y avait ou non possibilité d'y prêcher (cf. Me. vr, 40-11 •,'
Mt. X, ii-i5, où la distinction primitive est sensible, nonobstant la
confusion introduite par Tévangéliste). — «Guérissez les malades
qui y seront ». — C'est ce que dit aussi Matthieu (x, 8), avec un déve-
loppement de sa façon. — « Et dites-leur », — non seulement aux
malades guéris^mais aux habitants du lieu: — « Proche est de vous
le royaume de Dieu ». — Dans Matthieu (x, 7), l'ordre de prêcher
vient avant celui de guérir.
«Mais en quelque ville que vous entriez, et où on ne vous aura
pas reçus, sortant dans ses rues, dites ». — Marc (vi, 11) et
Matthieu (x, i4) se bornent à recommander le geste que notre évan-
gile met en discours. On peut, douter que les deux autres synopti-
ques aient matérialisé la recommandation, et notre auteur peut
sous-entendre que le geste se joint à la parole ; ou bien aura-t-il.
pensé que la réalité de ce geste tout juif ne convenait pas dans un
discours qui concerne selon lui, au fond, l'évangélisation des païens?
i
296 LUC, X, 10-12
^0 Mais en quelque ville que vous entriez, où on ne vous^
[recevra pas,,
sortant dans ses rues, dites :
« Jusqu'à la poussière, qui s'est attachée,
de votre ville, à nos pieds,
nous secouons sur vous.
Mais sachez ceci :
que proche est le règne de Dieu. »
12 Je vous dis qu'à Sodome,
en ce jour-là,
sera fait sort plus tolérable qu'à celle ville-là.
— « Nous secouons jusqu'à la poussière qui s'est attachée de votre
ville à nos pieds ». — Lé discours est pour la symétrie avec ce qui
a été dit touchant la ville où l'on sera reçu, et il tend, sans y trop
réussir, à donner une explication du geste symbolique : de ces-
gens qui ne veulent pas d'eux, les. missionnaires ne gardent pas
même un grain de poussière, et ils n'ont rien de commun avec eux..
— « Mais sachez ceci, que proche est le royaume de Dieu ». — Ici
l'on ne dit pas: « proche est de vous », et il ne s'agit plus d'aver-
tissement mais de menace. Le sens est que le royaume vient, ame-
nant le châtiment des incrédules, non qu'il s'est approché en vain
de ceux à qui les missionnaires s'adressent maintenant. — « Je
vous dis qu'il sera fait sort plus tolérable à Sodome, en ce jour-
là »,— -^aujour du grand avènement, annoncé dans le « royaume», et
qui est pour les incroyants le jour du châtiment, — « qu'à cette ville-
là » . — C'était la conclusion de ce passage dans la source. Mat-
thieu (x, i5) : « Je vous le dis en vérité, il sera fait sort plus tolérable
au pays de Sodome et de Gomorrhe, en ce jour-là, qu'à cette ville-là ».
Il est malaisé de voir comment la mention de Sodome pourrait ne
signifier qu'une évocation du sort historique de Sodome, loi*s du
jugement dernier (Lagrange, 298), puisqu'il va être question, dans
les mêmes termes, de Tyr et deSidon; la personnification morale
des villes est la personnalité collective de leur population.
Avant la conclusion du discours aux Soixante-douze, notre auteur
insère l'apostrophe comminatoire aux villes galiléennes qui n'ont pas
écouté la prédication de Jésus. L'apostrophe a dû exister d'abord
indépendamment du discours, avec le thème duquel elle a seulement
un rapport d'analogie ; mais elle avait été rattachée au discours, à
raison même de ce rapport, dans la source commune de Matthieu et
LUC, X, 13-16 297
13 Malheur à toi, Ghorazin !
Malheur à toi, Bethsaïde !
Parce que, si à Tyr et à Sidon fussent arrivés les miracles
[advenus chez vous,,
depuis longtemps, assises en cilice et cendre, elles feraient
[pénitence,
^* Mais à Tyr et à Sidon sera fait sort plus tolérable, au jugement,
[qu'à vous.
15 Et toi, Gaphamaiina, sei-âs-tvi Jusqu'au cteléleçée'?
Jusqu'à l'enfer tu descendras.
1" Qui vous écoute m'écoule,
et qui vous rejette me rejette ;
mais qui me rejette
rejette celui qui m'a envoyé, n
de Luc. — « Malheur à toi, Ghorazin », etc.. « assises en cilice et
cendre elles auraient fait pénitence ». — Matthieu (xi, 21); « en cilice
et cendre elles , aui'aient fait pénitence ». L'addition du participe
(xàÔT^jjievoc) pçuri'ait bien avoir été faite pour améliorer le rythme
de la phrase ; mais le mot, qui correspond à un usage oriental cons-
tant (Lagrange, 299), pourrait aussi être primitif. — « Mais à
Tyr et à Sidon ». — Matthieu (xi, aa) : « Mais, je vous le dis, à Tyr
et à Sidon. — « Il sera fait, au jugement », — Matthieu : « au jour du
jugement», — « sort plus tolérable qu'à vous. Et toi, Gapharnaûm,
seras-tu jusqu'au ciel élevée ?» — Leçon des meilleures autorités (jj-ti
ëw; oûpavoij 6'|co0/i(ïyi ;), qui fait allusion à l'exaltation éventuelle
de Gapharnaûm, au lieu de laquelle se produira le profond abais-
sement qu'elle a mérité (la leçon tj... ùvj/wOeïffa neferait qu'une allu-
sion assez banale à la prospérité ou à l'orgueil de Gapharnaûm). Les
termes de l'antithèse ont été empruntés à Isaïe (xiv, i3, i5). Oracle
de prophète chrétien jetant un coup d'œil l'éti'ospectif sur l'activité
de Jésus en Gahlée (Bultmann, 68),
« Qui voTus écoute ni'écoute ». — Matthieu (x, 40) ■ «f Qui vous
reçoit me reçoit » . La source disait probablement « recevoir », la
sentence venant en conclusion du discoui's et en rapport avec ce qui
vient d'être dit touchant ceux qui recevraient et ceux qui ne rece-
vraient pas Jésus. Notre auteur a mis « écouter », parce qu'il avait
parlé déjà (ix, 48) de « recevoir», en reproduisant la même sentence
d'après Marc (ix, 3;;) ; ce doit être aussi pour éviter la répétition qu'il
développe la sentence en antithèse, au lieu que Matthieu conclut tout
{
298 LUC, X, 17-18
1' Or les soixante-douze revinrent avec joie, disait : « Sei-
[gneur,
même les démons nous sont assujetlis par Ion nom. »
18 Et il leur dit : '
<( Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair.
de suite : « et qui me reçoit reçoit celui qui m'a envoyé ». — ■«■ Et
qui vous rejette me rejette )). — La conclusion s'adapte ainsi à ce qui
vient d'être dit touchant l'incrédulité des villes galiléennes, comprise
enfigure de l'incrédulité juive. — «Et qui me rejette rejette celui
qui m'a envoyé ». — C'est pourquoi les Juifs seront plus mal traités,
au jour du jugement, que Sodome, Tyr et Sidon, Et cela encore est
un encouragement que le Christ glorifie adresse à ceux qui le prê-
chent,
XLII. Le uETOun des Soixante-douze
« Or les Soixante-douze )'evinrent avec joie », — tout contents de
leur mission, et ils donnent eux-mêthes la raison de ce contentement,
— « disant : « Même les démons nous sont assujettis par ton nom ».
— On croirait qu'ils sont surpris d'avoir pu chasser les démons au
nom .du Christ. A prendre littéralement les indications de notre
auteur, ils n'avaient pourtant pas lieu d'être étonnés, puisque le dis-
cours précédent .leur attribuait en général le pouvoir de guérir les
malades, efil y aurait bien de la subtilité à dire qu'ils jugeaient les
cas de possession proprement dite réservés au Christ lui-même et
aux Douze (Schanz, 3oi) ; il n'y en aurait guère moins à soutenir
que les fourriers signalés dans le préambule auront été ravis de se
trouver inopinément les plus heureux des exorcistes (J. WeIss-
BoussET, 445)- L'évangéliste, qui a imaginé la mission des Soixante-
douze et cette scène du retour, n'y met pas tant de finesse. Il veut
signifier que les succès delà prédication aux païens ont dépassé toutes
les espérances de ceux qui l'avaient entreprise, le nom de Jésus
refoulant partout la puissance des démons. L'expulsion des démons
figure si bien la déroute générale de Satan et des faux dieux, que
Jésus lui-même va la célébi'er.
« Et il leur dit : «Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair ».
— On admet volontiers que la chute de Satan n'est pas autre chose
que la ruine de son empire, acquise en principe, et dont témoigne-
rait l'expulsion des démons (Holtzmann, SÔg); Satan serait précipitéi
LUC, X, 19 299
1" Voici que je vous ai donné le pouvoir
«défouler serpents et scorpions
et toute la puissance de l'ennemi,
et en rien il ne vous fera tort.
•du haut de son orgueil. Mais Satan peut fort bien être précipité du-
'Ciel ;et dans l'Apocalypse il en tombe réellement. Puisqu'une vision
est prêtée à Jésus, l'objet de la vision ne doit pas se définir comme
une idée abstraite dissimulée sous une métaphore. Cependant. on bri-
serait la perspective de l'évangile, sans rencontrer la vraisemblance
historique, en supposant que Jésus aurait lait allusion à un fait per-
sonnel antérieur à la mission des Soixante-douze, aune vision qu'il
aurait eue au début de son ministère et qui aurait été en rapport avec
la tentation au désert (J. Weiss-Bousseï, 44^)- Si l'évangéliste
avait eu celte idée, il l'aurait exprimée autrement. La vision dont il
parle est en rapport avec la mission des Soixante-douze, laquelle
mission n'a jamais eu lieu ; la vision est fictive comme la mission,
et elle ne peut avoir qu'une signification non directement historique,
en rapport avec celle de la mission. Tout, en concernant, pour la
perspective, les exorcismes fructueusement pratiqués par les Soixante-
douze, elle vise en réalité l'avenir, le triomphe du Christ et la
défaite de Satan, triomphe et défaite qui se réalisent par la prédica-
tion chrétienne dans le monde, mais qui ont leur accomplissement
définitif dans la déchéance complète du «prince de ce monde »..
C'est cette déchéance qui semble signifiée directement par l'image
apocalyptique dont se sert l'auteur (l'expression a pu d'ailleurs être
influencée par Is. xiv, iti). On remarquera que l'image est, dans sa
forme, pareille à la demande des Zébédéides (ix, 54), et que les deux
fictions doivent venir du même auteur.
« Voici que je vous ai donné pouvoir de marcher sur serpents et
scoi'pions». — Formule imitée du Psaume (xci, i3). Elle est dans
l'esprit et le ton de la finale apocryphe de Marc (xvi, i8). Ce sont
paroles du Christ glorifié. De là vient que les Soixante-douze semblent
avoir reçu un pouvoir dont ils n'ont pas été avertis. A présent le
Christ le leur renouvelle en termes exprès. Historiquement, les per-
sonnages qu'ils représentent n'ont pas été en rapport avec Jésus.
Ils ne laissent pas d'être plus forts que Satan et que tous les êtres
malfaisants qui lui servent. en quelque façon d'agents et d'auxiliaires.
« Serpents et scorpions » ne sontpas à prendi'e.poar des ^termes sym-
23oliques représentant les démons ; ils appartiennent, comme les esprits
300 LUC, X, 20
20 Pourtant de ceci ne vous réjouissez pas,
que les esprits vous sont assujettis,
mais réjouissez -vous
de ce que vos noms sont inscrits aux cieux. »
mauvais, à « la puissance de l'ennemi », à l'armée de Satan. — « Et
rien » — de tout ce que peut essayer l'engeance satanique — « ne
vous fera tort », — ou — mieux peut-être : « et il (l'ennemi) ne vous
fera tort en rien ».
Si extraordinaires pourtant que soient les pouvoirs conférés aux
disciples, ceux-ci ne doivent pas s'en glorifier ni même en concevoir
une joie particulière ; car ces pouvoirs ne leur sont pas octroyés à
cause de leurs mérites ni pour eux-mêmes, mais en vue de leur mi-
nistère et pour la recommandation de l'Evangile. — « Cependant ne
vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis » — dans
les conditions indiquées. Et ceci est dit aussi bien pour maintenir la
perspective apparente du récit, mais non sans une invitation discrète
à ne s'exagérer point l'importance des charismes qui ont caractérisé
le premier âge chrétien (J. Weiss-Bousset, 44^)- — « Mais réjouis-
sez-vous de ce que vos noms sont inscrits aux cieux », — dans le livre
de vie, où sont consignés les noms des élus (sur les livres célestes, ci.
Ex; XXXII, 32 ; Is. IV, 3 ; Ps. Lxix, 29 ; Dan. xii, t ; Hénoch, civ, i ;
PniL.iv, 3 ; Ap. m, 5 ; xx, i3-i5; voir, V Apocalypse', Sb^, le commen-
taire de ce dernier passage) . Il est tout naturel que la cité céleste ait
dans ses archives le registre des prédestinés, comme les cités de ce
monde possèdent les listes de leurs citoyens.
Dans la source où a été pris le discours de mission, ce n'étaient pas
les disciples qui revenaient joyeux, c'était le Christ qui se réjouis-
sait en apprenant ce qu'ils avaient fait, et ses paroles sont comme
une seconde impi'ession qui ne suppose pas celle qui qu'on vient de
voir. — « En la même heure », — Matthieu (xi, 26) : « En ce temps-
là, », — (( il tressaillit de joie par l'Esprit saint et il dit » , — Matthieu
« Jésus, prenant la parole, dit ». — Notre auteur tient à signaler en
cet endroit l'action de l'Esprit saint, comme avant les prières d'Eli-
sabeth, de Zacharie, de Siméon (i, 4i, 67; ii, 2;^-28); ilareconnu avec
raison dans ce qu'on va lire un cantique inspiré. C'est, en effet,
l'œuvre d'un prophète chrétien, de plusieurs peut-être, parlant au
nom de Jésus ; car le cantique ne paraît pas d'une seule venue, même
dans la partie commune à Luc et à Matthieu. Le noyau fondamental
du légion est la déclaration abstraite sur la connaissance réciproque
du Père et du Fils, énoncé de mystique transcendante, analogue aux
LUC, X, 21-22 301
21 A celle heure même, \
il exulta en l'Esprit saint et il dit :
« Je te rends grâces, Père,
seigneur du ciel et de la terre,
de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux habiles,
et que tu les as révélées aux enfants.
Oui, Père,
parce que tel a été ton bon plaisir,
22 Tout m'a été remis par mon Père,
et nul ne connaît qui est le Fils,
sinon le Père
ni qui est le Père,
sinon le Fils,
et celui à qui le Fils (le) veut révéler. »
spéculatioas de Jean, que certains critiques (Wellhausen, Ilarnack,
Bultmann) ont essayé vainement de ramener aux proportions d'une
sentence morale en éliminant ce qui regarde la connaissance du Fils
parle Père. Celte déclaration quelque peu abstraite prend l'apparence
d'un discours de Jésus et même d'une prière, grâce au préambule
qui lui a été donné et pour lequel on s'est inspiré de l'Ecclésiastique
(li). La forme que ce psaume artificiellement construit présente dans
Matthieu semble primitive relativement à celle qui lui a été donnée
dans Luc,
Avant : « Tout m'a été remis » etc., plusieurs témoins lisent : « Et
s'étant tourné vei's les disciples », ou « vers ses disciples », « il dit » .
Les témoins qu'on regarde généralement comme les plus autorisés
(mss. B S D L, etc.) n'ayant pas cette notice, qui double de la
manière la plus fâcheuse celle qui vient avant : « Heureux les yeux
qui voient ce que vous voyez » (x, aS), on admet volontiers qu'elle
n'est pas authentique. L'évangéliste, en effet, n'a dû l'écrire qu'une
fois ; mais il pourrait l'avoir mise avant le passage où Jésus
commence à parler aux disciples, après avoir remercié le Père ;
et cette combinaison aurait offert l'avantage, en rattachant plus
naturellement à la seconde strophe du cantique le morceau qui se
trouve substitué dans Luc à la troisième, de ne pas laisser trace de
la substitution. Au contraire, on a pu être tenté de conformer Luc
à Matthieu en transposant la notice avant le morceau du troisième
évangile qui n'est pas dans le premier. La variante de Luc (x, 2*2) :
« Nul ne connaît qui est le Fils..., ni qui est le Père »... au lieu de :
302 LUC, X, 23-24
23 El s'élant tourné vers les disciples en particulier, il dit :
«.Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez !
2* Car je vous dis
que beaucoup de prophètes et de rois
ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu,
entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu. »
« Nul ne connaît le Fils..., ni le Père... », est sans portée;
Il n'est pas facile de voir pouvquoirévangéliste a substitué à la
dernière partie du logion (Mt. xi, 28-3o) un^ morceau pris> d'ailleurs
et qu'il n'aurait pas été embarrassé de caser autrement. On peut
toujours, il est vrai, supposer que notre évangéliste ne l'a pas connue
(BuLTMANN, 96) ; mais le dernier couplet de Matthieu, s'il n'est pas
dans l'esprit de la déclaration transcendante touchant la connaissance
du Père et du Fils, est bien dans l'esprit de la strophe d'introduction
et, à ce qu'il semble, dans la même dépendance à l'égard de l'Ecclé-
siastique. Le ton mystique du passage a pu ne pas convenir au rédac-
teur évangélique ; ou bien il aura trouvé que la parole : a Je suis
doux et humble de cœur », ne relevait pas suffisamment le Christ ;
ou plutôt encore il aura senti que ce texte laissait trop voir que le
christianisme consistait dans le culte du Seigneur Christ, ce qui en
faisait une religion distincte du judaïsme', et il aura jugé opportun
de la remplacer par une déclaration sur l'avantage qu'ont eu les dis-
ciples devoir la manifestation terrestre du Fils, la réalisation de ce
qu'avaient espéré et annoncé les anciens prophètes. Cette préoccupa-
tion du témoignage apostolique et de l'accomplissement des prohéties
déviendra surtout sensible à la fin de notre évangile et dans le livre
des Actes.
«Et s'élant tourné vers les disciples en iiarticulier, il dit ». — Les
mots : « en particulier» n'ont guère de sens, puisque ce qui précède a
été dit devant les disciples et à eux, sans qu'aucune foule fût censée
présente; ils manquent dans plusieurs témoins (ms. D, Ss. Se. mss.
lat.) ; mais, si la notice a été transposée, ceux qui ont fait la trans-
position pourraient les avoir ajoutés pour marquer la signification spé-
ciale par rapport aux disciples, de ce qui va être dit (en contraste de
Mt. xi, 28-3o, qui vise bien plus loin que les disciples). — « Bienheu-
reux les yeux qui voient ce que vous voyez «. — Matthieu (xiii, 16)^
qui alogé la même apostrophe dans le discours des paraboles, où elle
n'est pas mieux à sa place, lit : « Mais bienheureux vos yeux parce
qu'ils voient, et vos oreilles parce qu'elles entendent». D'où l'on peut
LUC, X, 25 303:
2» Et voici qu'un docteur de la Loi se leva pour l'éprouver,
disant : « Maître,
que dois-je faire pour posséder vie éternelle ? »
inférer que la sentence était ainsi conçue dans la source commune :
« Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez, et les oreilles
qui'entendent ce que vous entendez » . Félicitation qui ne convient
pas à la circonstance spéciale du discours démission, mais qui semble-
rait fournir un pendant naturel à la malédiction prononcée contre les
villes galiléennes quiiie se sont pas converties. Seulement, comme
l'apostrophe aux villes galiléennes paraît en rapport avec le point de
vue du chiùstianisme primitif, de même cette apostrophe aux
croyants ne concerne pas proprement les disciples de Jésus au
temps de son ministère, mais les fidèles de la communauté aposto-
lique.
« Car je vous dis », — Matthieu (xiii, 17) : « Car en vérité je vous
dis », — « que beaucoup de pi-ophètes et de rois », — Matthieu : « de
justes », — «ont désiré voir ce que vous voyez», etc. — «Quelques
témoins (D, mss. lat. Marcion) omettent : « Fit de rois »; niais la
présence d'un second terme paraît garantie par Matthieu, et l'omis-
sion s'explique, comme la substitution des «justes » aux «rois » dans
le premiei' évangile, par la difficulté que fait le mot «rois». Les
anciens rois en généi'al ne sont pas signalés dans l'Ecriture comme
*des croyants si ardents ; et Matthieu a voulu éviter une équivoque en
mettant «justes». Mais le premier auteur ayait en vue les rois
pieux : David, Ezéchias, Josias. Prophètes et rois sont censés avoir
désiré ardemment le l'ègne messianique, la réalisation du" salut,
dont sont maintenant témoins les fidèles de Jésus,
XLIIL L'amour du prochain. Le Samaritain
La question du grand commandement, que Marc (xii, 28-34) a uti-
lisée pour l'emplir le cadre du ministère hiérosolymitain, vient ici,
accostée de la parabole du bon Samaritain, comme un incident du
ministère du Christ en Samarie. Ilparaît évident que l'évangéliste a
procédé ainsi parce qu'il a trouvé ou qu'il a mis la question en rap-
port avec la parabole. Le rapport, étant tout rédactionnel et artificiel
a pu être créé par l'évangéliste, qui aura eu l'idée de les relier l'une à
l'autre par le mot « prochain)), la mention du Samaritain lui ayant
304 , LUC, X, 28
suggéré de loger le touten Samarie, bien que la parabole, enelle-même,
soil contée plutôt de Jérusalem. Ce libre procédé semble devoir être
expliqué aussi par le fait que noire auteur a connu la question dans
la forme qu'y donnait la source où l'a puisée Marc lui-même, et où
elle n'était pas expressément circonstanciée en incident du ministère
hiérosolymitain (cf. K. L. Sghmidt, 282). Aussi bien a-t-il pris soin
de ne pas répéter plus loin, avec Marc, ce qu'il a raconté ici en
partie d'après la source primitive, c'est-à-dire le recueil de sen-
tences, que Matthieu a connu également.
L'anecdote, visiblement étrangère au contexte qui lui est donné
dans notre évangile, commence de façon assez brusque. — «Et voici
qu'un docteur de la Loi », — même désignation (vo[xixd;) que dans
Matthieu (xxu, 35) ; dans Marc (xil, 28) : « .un des scribes »,
— «l'éprouvant», — c'est-à-dire voulant l'éprouver. C'est l'inten-
tion que lui pi'ôte aussi Matthieu, tandis que Marc dit que le
scribe questionne Jésus parce qu'il avait goûté la réponse de celui-
ci aux sadducéens ; mais cette indication de Marc est pour la liaison
des anecdotes, et elle s'accorde mal dans Matthieu avec l'intention que
celui-ci prêle au docteur. Dans notre évangile, on croirait que le doc-
teur a entendu ce que Jésus vient de dire à ses disciples touchant
la grâce qui leur est faite, et qu'il en prend occasion pour l'interro-
ger, à mauvaise intention d'ailleurs, au sujet du salut. Combinaison
artificielle, mais qui pourrait avoir été voulue par l'cvangéliste,
puisqu'il ne dit pas que le docteur arrive mais qu'il se lève
(àv£ffT-ri) . Il ne s'ensuit pas nécessairement que la scène se passe
dans une synagogue ; le docteur, qui était dans l'auditoire de Jésus,
s'avance pour poser une question, — « disant : « Maître, que ferai-je
pour posséder la vie éternelle? » — C'est la question du jeune homme
riche (xviii, 18; Me, x, 17; Mï. xxi, 16), qui est .substituée à la ques-
tion concei'nant le grand commandement. On a pensé que l'auteur
avait voulu modifier la question de scolastique, pour rendre le
propos plus intelligible. Mais la question n'avait rien d'absurde,
et la couleur générale qu'elle prend pourrait bien être pour une meil-
leure harmonie avec le contexte ; l'idée de la vie éternelle reviendra
en conclusion de l'anecdote (x, 28), au lieu de ce que l'on lit dans
Marc (xii, 34) : « Tu n'es pas loin du royaume de Dieu » ; or ce n'est
pas d'éclaircissement pour les hellénochréliens qu'il peut s'agir en
cet endroit. La vie éternelle est pour faire écho à ce que Jésus vient
de dire aux disciples.
« Mais », — au lieu de répondre à sa question, le questionnant lui-
même, — (( il lui dit : « Qu'y a-t-il d'écrit dans la Loi ? Qu'y lis-tu? »
LUC, X, 26-27 303
28 Et il lui dit :
« Dans la Loi qu'y a-t-il éci'it ? Qu'y lis-tu ? »
2 7Et répondant, il dit!
Tu aimeras Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur et de toute ton âme,
de toute ta force et de tout ton esprit,
et ton prochain comme toi-même. »
— Littéralement : « Gomment lis-tu ? » Une telle question ne suppose
pas non plus que la scène se passe dans une synagogue ; elle paraît
plutôt empruntée au langage des rabbins (cf. Klostkrmann, 481). On
a conjecturé que l'ensemble de la réplique était encore imité de la
réponse de Jésus au jeune homme riche (xviii, 20 ; Me, x, 18) ; mais,
cette fois, il y faut mettre de la bonne volonté. Le cas est plutôt le
même qu'en d'autres anecdoctes où Jésus questionné se dérobe par
une contre-question. Assurément, il n'est point naturel que l'on prête
une réponse évasive au Christ interrogé sur la vie éternelle. Mais
c'est ce que la source faisait pour la question du grand commande-
ment, et il n'est pas étonnant que le récit primitif ait représenté Jésus
éprouvant lui-même l'interrogateur en lui retournant la question. Il
est peu vraisemblable que l'évangéliste se fût avisé de mettre la
bonne réponse dans la bouche du docteur, si la source l'avait attribuée
au Ghi'ist.On a commencé par présenter comme approuvée j)ar Jésus
la solution la plus conforme à son esprit qu'eussent donnée les docteurs
juifs en discutant la question du grand commandement; puis on aura
trouvé (Me. XII, 29-81; Mt. xxit,3^-4o) plus expédient- encore d'attri-
buer directement la bonne réponse à Jésus lui-même.
« Or lui, répondant, dit : « Tu aimeras Seigneur ton Dieu de tout
ton cœur, et en toute ton âme, en toute ta force, en tout ton esprit •>■> .
— Cette citation est conforme, partie à Marc (xii, 3o, ï\ oXyi; tîiç
xapScaç Tou), partie à Matthieu (xxii, 87, xa\ èv oXti ttj '^^yr^ xa\ èv ô'Xiri t-Tj
Stavoi'a (70U ; mais Le. 27, intercale xal Iv ôXy) t?] itr/uï !iou,, qui correspond
à Me. v.cà ï\ 'okf\<; ttjç Iffj^ûoç aou), La source commune traduisait l'hébreu
ou reproduisait une version autre que Septante ; mais « de tout ton
cœur » est la leçon conforme à l'hébreu, à l'égard de laquelle « de tout
ton esprit » (ôcavot'a) est un doublet conforme à Septante. 11 est fort
possible que la citation n'ait pas été empruntée directement à la
Bible ni à la prière juive dite shéma, qu'on devrait supposer citée par
le docteur, si la scène était historique, mais à un recueil de textes. —
« Et ton prochain comme toi-même ». — La soui'ce commune mar-
A. hoisy. — L'Evangile selon Luc. ao
306 LUC, X, 28-29
2^ El il lui dit : « Tu as bien répondu,
Fais cela, et tu vivras. »
''"Mais lui, se voulant justifier, dit à Jésus :
« Et qui est mon prochain ? »
quait, certainement la distinction des deux préceptes (Me. xii, 3i :
Mt, XXII, 39), dont le premier vient du Deutéronome (vr, 5), et le
second du Lévitique (xix, 18) ; noti*e auteur les réunit, parce qu'il ne
s'occupe pas des commandements, mais dé règle générale pour la vie
éternelle.
« Et il lui -dit : « Tu as bien répondu. Fais cela et tu vivras ». —
Le dernier mot montre que la réponse est arrangée par le rédacteur
pour correspondre à la mention de la vie éternelle dans la question
du docteur (ce qui n'exclut pas la possibilité d'une allusion, à Lév,
xViii, 5). Mais au lieu que cette réponse soit. une simple adaptation de
Marc (xii, 34) : « Et Jésus, voyant qu'il avait répondu sagement, lui
dit:« Tu n'es pas loin du royaume de Dieii »,il se pourrait que Marc
ait gardé ici la donnée primitive, et que notre auteur l'ait modifiée
pour l'avantage de sa combinaison. Car de ce qui va suivre il ressort
que l'évangéliste ne veut pas que le docteur ait compris la véritable
portée de la réponse par lui faite ; il le montre plus instruit qu'intelli-
gent, et il s'arrange de façon que Jésus lui donne vraiment la leçon
de la charité, le docteur n'ayant guère fait qu'en produire le texte.
(( Mais lui, se voulant justifier ». — C'est-à-dire se faire valoir
comme juste (Jûlicher, II, 694 ; cf. xvi, i5 ; xviii, 9, i4), non prou-
ver que sa première question, à laquelle lui-même a fourni une
réponse générale, n'était pas superflue ; ce n'est pas de justesse mais
de justice qu'il s'agit ; le docteur est censé vouloir faire entendre que
la recommandation d'observer la charité n'a pas lieu de lui être adres-
sée, parce qu'il a toujours observé le précepte ; il pose une nouvelle
question, comme pour demander envers, quel prochain il serait en
relard ; et contrairement à son attente, la parabole va lui révéler son
ignorance de la vraie charité. S'il s'agissait seulement de rendre
compte de la question posée d'abord, on devrait supposer que le
docteur affecte de trouver insuflisanle la réponse de Jésus, faute
d'explication sur la portée du mot « prochain », soit que le question-
neur ignore le caractère universel de la prescription, soit qu'il le
connaisse. En toute hypothèse, rien n'est plus artificiel que cette
combinaison, et l'on s|en apercevra mieux encore après la parabole.
« Prenant la parole », — pour donner à cette question tout l'éclair-
cissement qu'elle comporte, — « Jésus dit ». — Le Christ ne va pas
LUC, X, 30-32 307
"^^ ï*renant la parole, Jésus dit :
Certain homme descendait de Jérusalem à Jéricho,
et en (mains de) brigands tomba,
qui, l'ayant dépouillé et de coups accablé,
s'en allèrent, le laissant à demi mort.
31 Or, par hasard, un prêtre descendait parce chemin-là,
et ilayant vu, il passa outre ;
** et pareillement un lévite,
en ce lieu survenant, l'ayant vu, passa outre.
exprimer en deux mots une réponse directe ; il va faire un récit moral
qui ressemble pour la forme à une parabole, mais n'est pas une fable
dont la morale se déduit par voie de comparaison ; c'est un exemple
fictif allégué à l'appui d'une vérité générale.
« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho ». — La route
descend c< de Jérusalem, située à environ sept cent quarante mètres
d'altitude, à Jéricho, qui est à trois cent cinquante mètres au-dessous
du niveau de la mer » (La.grange, 3i3), Pour ménager l'intervention
•du prêtre et du lévite, il convient que la scène se passe à proximité
de Jérusalem. Mais, quelle qu'en soit l'origine, cette histoire, dans son
ensemble, est conçue au point de vue hiérosolymitain, comme celle
du pharisien et du publicain (xviii, lo, i4) qui lui est parallèle à
cei'tains égards et qui pourrait lui avoir fait originairement pendant
(JûLiCHER, II, 607). Il est toutefois permis de se demander si l'hypo-
thèse d'une source spéciale est indispensable et si l'évangéliste
n'aurait pas pu construire lui-même de tels récits, pour l'illustration
de la morale chrétienne, d'après des types non chrétiens. La route
de Jérusalem à Jéricho était et n'a pas cessé d'être, jusqu'aux temps
modernes, assez peu sûre (voir Klostbrmann, 482). Il n'est pas dit
que le voyageur était juif, la suite du récit le donne à penser; ce n'est
pas à sa personne que s'attache l'intérêt principal du récit, et il n'est
question de lui que pour les divers traitements dont il est l'objet. —
« Et il tomba en voleurs » — de grand chemin, brigands appartenant
à des tribus pillardes, — «qui l'ayant dépouillé et accablé de coups», —
sans doute parce qu'il avait essayé de se défendre, — « s'en allèrent »
— prestement avec leur butin, — « le laissant à demi mort » .
u Or, d'aventure, un prêtre descendait par ce chemin-là », — ayant,
lui aussi, motif pour aller de Jérusalem à Jéricho. Inutile de se
demander si c'était pour affaire particulière, ou bien parce que, y
ayant sa résidence, il retournait à Jéricho après sa semaine de service
308 LUC, X, 33-34
83 Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui,
et l'ayant vu, il eut compassion ;
^* et s!étant approché, il pansa ses plaies,
y versant huile et vin.
L'ayant installé sur sa propre monture
il le conduisit en hôtellerie et prit soin de lui.
au temple. — « Et l'ayant vu, il passa outre », — a côté, à distance, se
détournant au lieu de s'approcher, parce qu'il n'était pas > disposé à
perdx'e son temps el sa peine pour le secours d'un inconnu. — «Et
pareillement un lévite », — nommé après le prêtre, parce que les
lévites sont subordonnés aux prêtres, et sans que l'ordre du l'écit
implique une moindre' charge d'indifférence pour l'un que pour l'autre,
— « survenant aussi en ce lieu, l'ayant vu », — dans les mêmes condi-
tions que le précédent, — « passa outre » — et pour la même raison.
Ces deux ministres saci'és n'avaient souci que de leurs affaires.
« Mais un Samaritain qui passait», — faisant route aussi de ce
côté, il n'importe pas de dire en quelle direction, — « vint près de
lui, et l'ayant vu », — comme les précédents, — « fut », — à la diffé-
rence de ceux-ci, — «touché de compassion ; s' étant approché, il
pansa ses plaies, y versant de l'huile et du vin », — suivant une
recette assez commune dans l'antiquité (voir témoignages dans
Klostermann, ZÎ83). Ce Samaritain, voyageant hors de son pays, on
peut, si l'on veut, le supposer marchand, s'était muni de provisions ;.
il prodigue au blessé tous les soins possibles. — « Et l'ayant chargé
sur sa propre montui'e », — la bête, cheval, mulet ou âne, qu'il
montait lui-mêrrie ; et l'on n'a pas à rechercher s'il prend le blessé .
en croupe, ou s'il marche à pied jusqu'à l'hôtellerie ; — « il le con-
duisit à une hôtellerie », — la plus proche qu'il rencontra, et l'on ne
doit pas songer à un simple caravansérail, — « et prit soin de lui »,.
— l'installant dans les conditions que réclamait son état.
' « Et le lendemain », — avant de continuer sa route, — « tirant » —
de la ceinture qui lui servait de boui'se — « deux deniers », — le
Samaritain n'est pas riche, et l'on peut supposer qu'il donne de quoi
pourvoir à la dépense de son protégé pendant deux jours (cf. Mt.
XX, a), — « il les donna à l'hôtelier et dit : « Prends soin de lui ». —
C'est donc en vue de ces soins ultérieurs que sont donnés les deux
deniers, et les frais antéi'ieurs au départ du Samaritain sont censés
acquittés déjà. — « Et ce que tu dépenseras en plus » — des deux
deniers, s'il y a lieu, — « en i*epassant, je te le paierai ». — C'est
LUC, X, 35 309
35 Et le lendemain,
tirant deux deniers, .
il les donna à l'hôlelier
et il dit : « Prends soin de lui,
et ce que tu dépenseras en plus,
c'est moi, en repassant, qui te le paierai, »
' tout, et le récit, pris en lui-même, forme un tableau complet. On n'a
pas besoin de savoir si le blessé a été rétabli bientôt, ou si son bien-
faiteur a dû payer un supplément. L'égoïsme du pi'être et du lévite
apparaît sans qu'il soit nécessaii'e de le blâmer ; la bonté du Sama-
ritain peut se passer d'éloges. Si l'on fait abstraction du contexte, la
morale de l'histoire est qu'un Samai'itain charitable vaut mieux
qu'un prêtre égoïste ; que des gens méprisés par les Juifs peuvent
^Ire meilleurs qu'eux ; que c'est la charité désintéressée qui fait le
mérite devant Dieu ; qu'un Samaritain bienfaisant est un enfant de
Dieu, digne de son royaume, et qu'un Israélite sans cœur n'est pas
A considérer comme tel.
Si bien conçu qu'il soit, ce récit, vu son manque d'attestation tradi-
tionnelle et son caractère très particulier, n'a aucune chance d'appar-
tenir au premier fonds de l'Evangile. Il se pourrait fort bien que le
héros primitif de l'histoire n'ait pas été un Samaritain, mais un Juif
du commun, un pauvre hère, qu'il était plus naturel d'opposer aux
membres du clergé qu'un non juif (l'analogie avec II Ghron. xxviii,
5-i5, est assez lointaine ; le fond de la lable est plutôt un thème de
conte adapté au milieu juif; cf. Bultimann, 128). Le rédacteur évan-
gélique aurait pris cette fable, qui pourrait, à la rigueur, n'être
pas chrétienne d'origine, mais juive (essénienne par exemple), et
l'aurait adaptée au point de vue de l'universalisme chrétien ainsi
qu'au symbolisme de l'évangélisation samaritaine, en faisant du
\ype de charité véritable un. Samaritain. Son intention est de mon-
trer que le Samaritain charitable, c'est-à-dire le chrétien digne de
son nom, accomplit toute la Loi, que ne réalise pas le Juif orgueil-
leux ; ce n'est pas à cette conclusion que tendait le récit primitif. '
Keste à achever le raccord de ce récit avec la question du grand com-
mandement. — « Lequel de ces trois », — prêtre, lévite, samaritain,
— « te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé aux
voleurs ?» — A cette question il n'y a qu'une i-éponse, même pour
un. docteur de la Loi. — « Et il dit ; « Celui qui a exercé la miséricorde
«nvers lui». — Sur quoi Jésus, pour la seconde fois, dit au docteur
306 LUC, X, 28-29
2" El il lui dit : « Tu as bien répondu,
Fais cela, et tu vivras. » ,
''''Mais lui, se voulant justifier, dit à Jésus :
« Et qui est mon prochain ? »
quait. certainement la distinction des deux préceptes (Me. xii, 3i ;
Mt. XXII, Sg), dont le premier vient du Deutéronome (vr, 5), et le
second du Lévitique (xix, x8); noti*e auteur les réunit, parce qu'il ne
s'occupe pas des commandements, mais dé règle générale pour la vie
éternelle.
« Et il lui -dit : « Tu as bien répondu . Fais cela et tu vivras ». —
Le dernier mot montre que la réponse est arrangée par le rédacteur
pour correspondre à la mention de la vie éternelle dans la question
du docteur (ce qui n'exclut pas la possibilité d'une allusiorx à Lév,
XVIII, 5). Mais au lieu que cette réponse soit. une simple adaptation de
Marc (xii, 34) : « Et Jésus, voyant qu'il avait l'épondu sagement, lui
dit:« Tu n'es pas loin du royaume de Dieii )),il se pourrait que Marc
ait gardé ici la donnée primitive, et que notre auteur l'ait modifiée
pour l'avantage de sa combinaison. Car de ce qui va suivre il ressort
que l'évangéliste ne veut pas que le docteur ait compris la véritable
portée de la réponse par lui faite ; il le montre plus instruit qu'intelli-
gent, et il s'arrange de façon que Jésus lui donne vraiment la leçon
de la charité, le docteur n'ayant guère fait qu'en produire le texte.
(( Mais lui, se voulant justifier ». — C'est-à-dire se faire valoir
comme juste (JûLicHER, II, 5q^ ; cf. xvi, i5 ; xviii, 9, i4), non prou-
ver que sa première question, à laquelle lui-même a fourni une
réponse générale, n'était pas superflue ; ce n'est pas de justesse mais
de justice qu'il s'agit ; le docteur est censé vouloir faire entendre que
la recommandation d'observer la charité n'a pas lieu de lui être adres-
sée, i^arce qu'il a toujours observé le précepte ; il pose une nouvelle
question, comme pour demander envers quel prochain il serait en
relard ; et contrairement à son attente, la parabole va lui révéler son
ignorance de la vraie charité. S'il s'agissait seulement de rendre
compte de la question posée d'abord, on devrait supposer que le
docteur affecte de trouver insufïisanle la réponse de Jésus, faute
d'explication sur la portée du mot « prochain », soit que le question-
neur ignore le caractère universel de la prescription, soit qu'il le
connaisse. En toute hypothèse, rien n'est plus artificiel que cette
comhiuaison, et l'on n'en apercevra mieux encore après la parabole.
« Prenant la parole », — pour donner à cette question tout l'éclair-
cissement qu'elle comporte, — u Jésus dit ». — Le Christ ne va pas
LUC, X, 30-32 307
•30 I>renant la parole, Jésus dil :
Certain homme descendait de Jérusalem à Jéricho,
et en (mains de) brigands tomba,
qui, l'ayant dépouillé et de coups accablé,
s'en allèrent, le laissant à demi mort.
31 Or, par hasard, un prêtre descendait parce chemin-là,
et l^ayant vu, il passa outre ;
^^ et pareillement un lévite,
en ce lieu survenant, l'ayant vu, passa outre.
exprimer en deux mots une réponse directe ; il va faire un récit moral
qui ressemble pour la foi'me à une parabole, mais n'est pas une fable
dont la morale se déduit par voie de comparaison ; c'est un exemple
fictif allégué à l'appui d'une vérité générale.
« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho ». — La route
descend « de Jérusalem, située à environ sept cent quarante mètres
d'altitude, à Jéricho, qui est à trois cent cinquante mètres au-dessous
du niveau de la mer » (La.grange, 3i3), Pour ménager l'intervention
du prêtre et du lévite, il convient que la scène se passe à proximité
de Jérusalem. Mais, quelle qu'en soit l'origine, cette histoire, dans son
ensemble, est conçue au point de vue hiérosolymitain, comme celle
du pharisien et du publicain(xviii, lo, i4) qui lui est parallèle à
certains égards et qui pourrait lui avoir fait originairement pendant
(JûLicHER, II, 607). Il est toutefois permis de se demander si l'hypo-
thèse d'une source spéciale est indispensable et si l'évangéliste
n'aurait pas pu construire lui-même de tels récits, pour l'illustration
de la morale chrétienne, d'après des types non chrétiens. La route
de Jérusalem à Jéricho était et n'a pas cessé d'être, jusqu'aux temps
modernes, assez peu sûre (voir Klostermann, 482). Il n'est pas dit
que le voyageur était juif, la suite du récit le donne à penser; ce n'est
pas à sa personne que s'attache l'intérêt principal du l'écit, et il n'est
question de lui que pour les divers traitements dont il est l'objet. ■—
« Et il tomba en voleurs » — de grand chemin, brigands appax'tenant
à des tribus pillardes, — «qui l'ayant dépouillé et accablé de coups», —
sans doute parce qu'il avait essayé de se défendre, — « s'en allèrent »
— prestement avec leur butin, — « le laissant à demi mort ». .
u Or, d'aventure, un prêtre descendait par ce chemin-là », — ayant,
lui aussi, motif pour aller de Jérusalem à Jéricho. Inutile de se
demander si c'était pour affaire particulière, ou bien parce que, y
;iyant sa résidence, il retournait à Jéricho après sa semaine de service
308 LUC, X, 33-34
8^ Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui,
et l'ayant vu, il eut compassion ;
'^^ et s!étant approché, il pansa ses plaies,
y versant huile et vin.
L'ayant installé sur sa propre monlure
il le conduisit en hôtellerie et prit soin de lui.
au temple. — « Et l'ayant vu, il passa outre », — a côté, à distance, se
détournant au lieu de s'approcher, parce qu'il n'était pas "disposé à
perdre son temps et sa peine^ pour le secours d'un inconnu. — « Et
pareillement un lévite », — nommé après le prêtre, parce que les
lévites sont subordonnés aux prêtres, et sans que l'ordre du récit
implique une moindre charge d'indifférence pour l'un que pour l'autre,
— « survenant aussi en ce lieu, l'ayant vu », — dans les mêmes condi-
tions que le précédent, — « passa outre » — et pour la même raison.
Ces deux ministres sacrés n'avaient souci que de leurs affaii'es, ■
« Mais un Samaritain qui passait», — faisant route aussi de ce
côté, il n'importe pas de dire en quelle direction, — «vint près de
lui, et l'ayant vu », — comme les pi'écédents, — « fut », — à la diffé-
rence de ceux-ci, — «touché de compassion ; s' étant approché, il
pansa ses plaies, y vei'sant de l'huile et du vin », — suivant une
recette assez commune dans l'antiquité (voir témoignages dans
Klostermann, 483). Ce Samaritain, voyageant hors de son pays, on
peut, si l'on veut, le supposer marchand, s'était muni de provisions ;.
il prodigue au blessé tous les soins possibles. — « Et l'ayant chargé
sur sa propre monture», — la bête, cheval, mulet ou âne, qu'il
montait lui-même ; et l'on n'a pas à rechercher s'il prend le blessé .
en croupe, ou s'il marche à pied jusqu'à l'hôtellerie ; — « il le con-
duisit à une hôtellerie », — la plus proche qu'il rencontra, et l'on ne
doit pas songer à un simple caravansérail, — « et prit soin de lui »,
— l'installant dans les conditions que réclamait son état.
' « Et le lendemain », — avant de continuer sa route, — « tirant » —
de la ceinture qui lui servait de bourse — « deux deniers », — le
Samaritain n'est pas riche, et l'on peut supposer qu'il donne de quoi
pourvoir à la dépense de son protégé pendant deux jours (cf. Mt.
XX, 2), — « il les donna à l'hôtelier et dit : « Prends soin de lui ». —
C'est donc en vue de ces soins ultérieurs que sont donnés les deux
deniers, et les frais antérieurs au départ du Samaritain sont censés
acquittés déjà. — « Et ce que tu dépenseras en plus » — des deux
deniers, s'il y a lieu, — « en repassant, je te le paierai ». — C'est
LUC, X, 35 309
35 j;t le lendemain,
tirant deux deniers,
il les donna à l'hôlelier
et il dit: « Prends soin de lui,
et ce que tu dépenseras en plus,
c'est moi, en repassant, qui te le paierai. »
tout, et le récit, pris en lui-même, forme un tableau complet. On n'a
pas besoin de savoir si le blessé a été rétabli bientôt, ou si son bien-
faiteur a dû payer un supplément. L'égoïsme du prêtre et du lévite
apparaît sans qu'il soit nécessaire de le blâmer ; la bonté du Sama-
ritain peut se passer d'éloges. Si l'on fait abstraction du contexte, la
morale de l'histoire est qu'un Samaritain chaxùtable vaut mieux
qu'un prêtre égoïste ; que des gens méprisés par les Juifs peuvent
élre meilleurs qu'eux ; que c'est la charité désintéressée qui fait le
méi'ite devant Dieu ; qu'un Samaritain bienfaisant est un enfant de
Dieu, digne de son royaume, et qu'un Israélite sans cœur n'est pas
A considérer comme tel.
Si bien conçu qu'il soit, ce récit, vu son manque d'attestation tradi-
tionnelle et son caractère très particulier, n'a aucune chance d'appar-
tenir au premier fonds de l'Evangile. Il se pourrait fort bien que le
héros primitif de l'histoire n'ait pas été un Samaritain, mais un Juif
du commun, un pauvre hère, qu'il était plus natui'el d'opposer aux
membres du clergé qu'un non juif (l'analogie avec II Ghron. xxviir,
5-i5, est assez lointaine ; le fond de la fable est plutôt un thème de
conte adapté au milieu juif ; cf. Bultmann, 128). Le rédacteur évan-
gélique aurait pris cette fable, qui pourrait, à la rigueur, n'être
pas chrétienne d'origine, mais juive (essénienne par exemple),, et
l'aurait adaptée au point de vue de l'universalisme chrétien ainsi
qu'au symbolisme de l'évangélisation samaritaine, en faisant du
\ype de charité véritable un. Samaritain. Son intention est de mon-
trer que le Samaritain charitable, c'est-à-dire le chrétien digne de
son nom, accomplit toute la Loi, que ne réalise pas le Juif orgueil-
leux : ce n'est pas à cette conclusion que tendait le récit primitif.'
Keste à achever le raccord de ce récit avec la question du grand com-
mandement. — « Lequel de ces trois », — prêtre, lévite, samaritain,
— « te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé aux
Yoleurs ? » — ■ A cette question il n'y a qu'une réponse, même pour
un docteur de la Loi. — « Et il dit : « Celui qui a exercé la miséricorde
envers lui». — Sur quoi Jésus, pour la seconde fois, dit au docteur
310 LUC, X, 36-37
28 Lequel de ces trois
te semble-t-il avoir été le prochain
de celui qui était tombé en (mains de) brigands? »
" Il dit : « Celui qui a exercé la miséricorde envei's lui. »
Et Jésus lui dit :
« Va, et, toi aussi, fais de même. »
qu'il n'a qu'à conformer sa conduite à la véx'ité par lui. énoncée. — « Et
Jésus lui dit : « Va, toi aussi, et fais de même ». — Mais la gaucherie
de la combinaison saute au yeux, et il sufBt de rapprocher la question
du docteur : « Qui est mon prochain ? » de celle de Jésus : « Lequel
des trois a été prochain envers la victime des voleurs ?-)),pour en sai-
sir l'artifice. On dit que Jésus,pour donner plus de force à son ensei-
gnement, s'abstient de réponse théorique et transporte la question de
la charité sur le terrain pratique. Mais le fait est que la question
est ]>lutôt maladroitement renversée : le docteur deniandait à
savoir qui était son prochain, et Jésus lui apprend qu'un Samaritain
chai'itable peut être le prochain d'un autre homme, qu'il faut agir
comme le Samaritain pour être le prochain d'autrui . Mauvaise com-
biuïiison littéi'aire, explicable par l'intention symbolique qui vient
d'être dite. Mais, à prendre tout cela comme lettre d'histoire, Jésus
aurait, par la parabole, répondu au docteur que la miséricorde vaut
mieux que le sacrifice » (Os. vi, 6 ; Mt. ix, i3 ; xii, ^) : idée qui, par
elle-même, n'a rien à voir avec la notion du prochain. L'auteur qui
exalte ici le Samaritain, c'est-à-dire le chrétien., au dépens du Juif,est
le même qui plus haut a signifié la réprobation d'Israël dans la malé-
diction lancée contre les villes galiléennes, et l'évangélisation des.
Gentils dans la mission des Soixante-douze.
XLIV. Marthe et Marie
Bu égard au contexte, l'histoire de Jésus chez les deux sœurs pa-
raît accuser l'intention de faire valoir, après le précepte de la charité-
envei's le prochain, le devoir d'écouter le Christ, la nécessité de la
foi, qui est amour de Dieu. Mais le souci d'instruction . morale pour-
rait n'être pas le seul ni le principal. Comme le Samaritain de la para-
bole représente en chrétien parfait le croyant de la gentilité, les^
deux sœurs du récit qui vient ensuite pourraient bien figurer les
deux fractions de l'Eglise primitive, judéochristianisme et helléno-
LUC, X, 38 . 311
»8 Or, comme ils cheminaienl,
il entra en certain bourg ;
et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison ;
christianisme, selon leur caractère et dans leur rapport mutuel, qui
n'en font pas deux partis eimemis. 11 importe peu que le service de
Marthe ne soit pas une observance légale, puisqu'il s'agit d'un sym-
bole : l'envoi des soixantcrdouze fourriers en Samarie ne laisse pas
de figurer l'évangélisation des iiaïens. On ne saurait même dire si
l'anecdotè a été conçue d'abord en vue du sens moral et utilisée
ensuite en symbole par l'évangcliste, ou bien si celui-ci ne l'aurait
pas consti'uite simplement en vue du symbole, d'après le type des
deux sœurs Israël et Juda dans Ezéchiel (xxiii, a, 4)- L'emploi de
noms propres, au lieu de fournir un argument contre l'hypothèse, la
confirmerait plutôt, puisque le lîrophète emploie aussi deux noms
symboliques ; on peut hésiter toutefois à supposer que l'évangéliste
ait choisi ses noms à raison de leur signification étymologique
(Martha, « dame » ; Mariam, « rebelle )•>, ou « grasse »). Il n'y a d'ail-
leui's pas lieu de supposer que les noms se seraient trouvés fournis
par la déclaration finale du Christ, sur laquelle aurait été construite
l'anecdote ; la déclaration n'a aucunement le caractère d'un logion
indépendant, et elle a été conçue avec l'anecdote même, non sur un
souvenir traditionnel, mais pour faire valoir une idée (cf. Bultmann,
i6).
« Or, pendant qu'ils cheminaient, il entra dans un bourg ». — For-
mule de transition qui est pour rattacher l'anecdote au voyage en
Samai'ie, dont l'économie a été pour ainsi dire indiquée par la mis-
sion des Soixante-douze. On n'est pas d'ailleurs obligé de supposer
quela réception de Jésus dans ce bourg anonyme est ici, ou aurait été
conçue ox'iginairement en contraste de l'inhospitalité l'encontrée
auparavant dans un autre bourg (ix, 5i-56). Il semblerait que Jésus
arrive seul, les disciples l'ayant devancé. Mais tous les disciples ne
sont pas censés quitter Jésus en même temps, et ceux qui allaient en
avant doivent être supposés revenir à lui ou l'attendre dans les lieux
où ils lui ont assuré l'hospitalité ; si Jésus est mis seul en scène, ce
doit être surtout parce que la présence des disciples, n'important
pas au symbolisme du récit, était inutile à mentionner.
« Et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison ». —
Marthe est présentée d'abord comme maîtresse de la maison, sans
doute en tant qu'aînée des deux sœurs. Il est bien superflu de la sup -
312 LUC, X, 39-40
'» elle avait une sœur appelée Marie,
qui, s'élant assise aux pieds du Seig-neur,
écoulait sa parole.
^0 Or Marthe était affairée à maint service,
et se présentant, elle dit :
« Seigneur, n'as-tu cure .
de ce que ma sœur m'a laissée toute seule servir ?
Dis-lui donc de me venir en aide. »
poser veuve. Le quatrième évangile (xi, i ; xn, i-3) a transporté
les deux soeurs à Béthanie et leur a donné Lazare pour frère ; mais il
a emprunté les deux sœurs à notre récit, peut-être même Lazare à la
parabole du Riche (xvi, •î^-Si), à Marc (xiv, S-q) le récit de l'onction
à Béthanie ; ces fictions ne peuvent servir à éclairer notre récit. Au
surplus, ce récit n'a pas besoin d'être éclairé, si l'on veut bien s'en
tenir au sens qu'il a pour l'auteur. Ce qui importe est la signification
des personnages et leur caractère.
« Et elle avait une sœur appelée Marie, qui », — toute à l'hôte delà
maison, mais pour recevoir son enseignemetit, — « assise au pied du
Seigneur ». — Ici encore quelques témoins (Ss. ms. A, etc.). ont
« Jésus » au lieu de « Seigneur », — dans l'attitude d'un disciple
(cf. n, 46 ; AcT. xxii, 3), — « écoulait sa parole ». — « Heureux ceux
qui écoutent et gardent la parole de Dieu ! » dira bientôt (xt, 28) le
Christ. On doit donc supposer que Jésus lui-même est assis ensei-
gnant, et non qu'il est à table.
« Or Marthe était affairée », — avait l'attention détournée
(7t£pt£(T7:aT0 ; cf. l CoR. vu, 34-35) — « à maint service », — à tous les
soins que pouvait comporter la réception de son hôte, ce qui l'empê-
chait d'écouter les discoui's de Jésus ; — « et se présentant », — s'ar-
rêtant (iTticrTaffa) un moment devant Jésus, — « elle dit »,^ — sur un ton
qui n'est pas loin d'être celui du reproche (et. Me. iv, 38) : — « Sei-
gneur, n'as-tu cure de ce que ma sœur me laisse toute seule ser-
vir », — comme si elle n'était pas tenue de pourvoir avec moi. à tous.
CCS soins ?— • « Dis-lui donc de me donner aide ».
« Mais répondant, le Seigneur », — certains témoins (ms. AD)
lisent : « Jésus », — « lui dit : « Marlhe, Marthe, Marie a choisi la
bonne part », — la seule bonne, la meilleure, — « qui ne lui sera point
enlevée », — dont il ne convient pas et dont Jésus ne se charge
pas de la priver, ou bien qui lui est à jamais garantie. Telle est la
forme de la réponse dans quelques anciens témoins (Ss. mss. lat.),
LUC, X, 41 313
*i Mais, répondant, le Seigneur lui dit :
« Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et te troubles, pour beaucoup
[de choses ;
Or d'une seule il est besoin.
Car Marie a choisi la bonne part,
Qui ne lui sera point ôtée. »
et là est la pointe du récit : Marie, toute à sa foi, remplit la condition
(lu salut, et il ne convient pas de la renvoyer aux minuties du « ser-
vice -». Par ailleurs, l'auteur n'a pas la moindre envie de marquer la
«upériorité de la vie contemplative sur la vie active. Cependant le
choc des noms propres, au commencement de la réponse, est d'un
effet désagréable, et l'on a l'impression d'une lacune d'où résulte un
certain manque d'équilibre dans le discours. Plusieurs témoins (Se.
juss. A C, Vg,) lisent : « Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu te
troubles pour beaucoup de choses, or c'est d'une qu'il est besoin ;
Marie a choisi », etc. Paraphrase morale qui oppose aux multiples
soins de la vie ordinaire la préoccupation du bien spirituel qui est
l'unique nécessaire. Cette* leçon a l'avantage de fournir un sens satis-
faisant et d'équilibrer la strophe. Les manuscrits grecs que l'on
regarde volontiers comme les plus autorisés (B S L) ajoutent encore
quelque chose : « or c'est de peu qu'il est besoin, ou d'une » ; et le
sens peut être que Marthe se donne bien de la peine pour préparer
un grand repas quand il suffirait de quelques mets ou même d'un
seul. Ces considérations culinaires viennent assez mal à propos ; et
e'est une médiocre amélioration, avec une non médiocre subtilité,
que d'entendre le « peu » au sens matériel par rapport à Jésus, qui
se contenterait d'un maigre repas, et l'unique nécesaire au sens spi-
rituel par rapport à Marthe, a qui ferait besoin le salut par la foi
(B. Weiss, Luk. ^5'j). D'autre part, c'est n'attribuer aucun sens au
texte que d'opposer aux nombreux soucis de Marthe le peu de chose
ou l'unique chose à considéi'er, sans que l'idée de ce nécessaire soit
à déterminer dans l'ordre matériel ou dans l'ordre spirituel
(Lagra-Nge, 319). -Des témoins peu nombreux (S. hiéros. arm.) lisent:
« et c'est de peu qu'il est besoin », ce qui s'entendrait aussi des ali-
ments. Cette leçon est intéressante parce qu'elle permet de voir dans
la leçon des manuscrits les plus autorisés une combinaison de deux
variantes : «or c'est de peu qu'il est besoin », et:« or c'est d'une qu'il
est besoin » ; mais c'est la seconde qui s'oppose le plus naturelle-
ment à : « Tu t'inquiètes et tu te troubles pour beaucoup de choses ».
314 lUC, XI, 1
^^Et advint ; comme il était,, en un lieu, à prier,
lorsqu'il ent fini,
l'un de ses disciples lui dit :
« Seigneur, apprends-nous à prier,
comme Jean a appris ses disciples. »
XLV. La PRièuE
Après l'anecdote des deux sœurs, l'évangélisle amène l'instructiore
sur la prière, que peut-ôti-e il a placée en cet endroit parce qu'elle lui
a semblé s'adresser à l'Eglise. L'instruction comprend trois pai'ties r
l'oraison dominicale avec son introduction (xi, i-4), la parabole de
l'Ami imj)ortun (xi, 5-8), l'exhortation à prier avec confiance (xi, g-
i3),Deces trois parties la seconde manque dans Matthieu ; oni-encon- .
trera plusloin une autréparabole sur le même thème (xviii, i-8),etpeut)
être notre évangile avait-il trouvé les deux ensemble, dans une suite
de sentences concernant la prière. Mais on peut douter que ces para-
boles, d'un caractère très particulier, aient appartenu au plus ancien
recueil de sentences évangéliques. On pourrait même se demander
si elles sont chrétiennes d'origine ou bien par l'adaptation qui en a
été faite, soit dans une rédaction secondaire du recueil de sentences,^
soit seulement dans notre évangile.
« Et advint, comme il était en un lieu à'prier, que, lorsqu'il cessa »^
— lorsqu'il eut fini sa prière, — « un des disciples lui dit », — Tran-
sition lourde et artificielle, dont la majeure partie porte la marque
de l'évangéliste. Celui-ci aime à montrer Jésus priant ; il le fait prier
pour amener la question de la prière, et il ajoute lea certain lieu »►
On doit supposer que Jésus piùaità l'écartCcf. ix, i8) ; et d'ailleurs c'est,
aux disciples seuls que la pi-ière est enseignée. La source ne conte-
nait probablement que la demande du disciple, avec la réponse, sans-
indication de temps ni de lieu. — « Seigneur, apprends-nous à prier^
comme Jean a appris à ses disciples » . — On a vu plus haut (v, 33)
cette donnée exploitée par l'évangéliste. Les termes de la question
visentunusage de la secte johannite,à l'égard de laquelle on dirait que
la communauté chrétienne ne veut passe sentir inférieure. Il est peu
probable que l'évangéliste eût imaginé semblable motif s'il ne l'eût
trouvé dans la source où il prenait l'oraison dominicale; et l'on
s'explique aisément que, si Matthieu l'a connu de même, il ait mieux
aimé ne pas le retenir. L'historicité du trait n'en est pas mieux garan-
LUC, XI, 2 315
" Et il leur dit : « Quand vous prierez, dites :
Père^ que vienne Ion Esprit saint sur nous [et qu'il nous
[purifié;]
qu'arrive ton règne :
tie; car il est vraisemblable que la tradition attribue à Jésus une prière
adoptée par la première communauté, c'est-à-dire une prière juive,
simplement modifiée de façon à exprimer l'espérance chrétienne et le
besoin de la communauté. La secte veut que sa prière lui ait été pres-
crite par Jésus, 'comme les sectateursde Jean Baptiste en ont une qui
a été ou est censée avoir été l'ecom mandée par leur maître (cf, Well-
HAUSEN, 55 ; BULTMANN, lOO).
« Et il leur dit ». — Le disciple étant censé avoir fait la demande au
nom de tous,' c'est aux disciples présents, ou plutôt aux disciples en
général, que s'adresse la réponse. D'où l'on peut inférer, avec assez
de vraisemblance, que la formule de prière qui va être reproduite,
nonobstant les variantes qu'elle présente à l'égard de la forme tradi-
tionnelle, qui est celle de Matthieu, est exactement celle qui était
reçue dans le milieu chrétien où vivait l'évangéliste.
« Père ». — Matthieu (vi, 9) : « Notre Père qui es aux cieux »,
formule chère au premier évangile et qui doit représenter un déve-
loppement liturgique. L'invocation « Père » (Abba) était familière
aux premiers chrétiens (Rom. viii, i5 ; Gal. iv, 6 ; cf. Me. xiv, 35).
— « Soit sanctifié ton nom > . — Au lieu de cette demande on lisait,
semble-t-il, dans l'évangile de Marcion : « Que ton Esprit saint
vienne sur nous et qu'il nous purifie» (Grégoire de Nysse,. Maxime le
Confesseur et les mss. 162, 700 ont ce texte comme deuxième demande. -
Il n'est pas sûr que Marcion ait lu : « et qu'il nous purifie ». Voici le
texte de TertuUien, Marc. IV, 26, d'après lequel on peut reconstituer
la forme de la prière dansMai'cion,et il est à noter que TertuUien n'y
apporte aucune rectification de forme : « Gui dicam « Pater » ?.. . A
quo spiritum sanctum postulera ? Ejus regnum optabo venire, quem
numquam regem gloriœ audivi, iii cujus manu etiam corda sunt
regum? Quis mihi dabit panem cottidianum ?... Quis mihi delicta
dimittet ? Quis non sinet nos deduci in tefflptationem ? » On dirait
que le texte de Marcion est aussi bien celui de TertuUien) , On a là
une vai'iante plus ancienne que Marcion, et qui pourrait bien être le
texte authentique de notre évangéliste, puisque la suite du discours
(xi, i3) y fait une référence volontaire et directe (il n'est guère i)os-
sible d'en douter si l'on compare Mï. viii, ii) : « Combien plutôt le
316 LUC, XI, 3-4
' Notre pain en suffisance donne-nous chaque jour ;
"* remets-nous nos péchés,
car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit ;
et ne nous induis pas en tentation. »
J'ère du ciel donnera-t-il Esprit saint à ceux qui le lui] demandent ? »
Il paraît arbitraire de renverser le rapport en supposant qu'une
variante aurait été introduite dans la pinère par l'influence de celte .
conclusion. Comme Marcion lisait ensuite : « qu'arrive ton règne », on
ne peut pas supposernonplus'que la demanded'Esprit saint a été intro-
duite pour éliminer la considération eschatologique. Maisilest de toute
invraisemblance que Mai'cion ait lu les deux premièi'es demandes en
celte forme : « Arrive sur nous ton Esprit saint, arrive ton règne ».
Les allusions de Tertullien suggéreraient plutôt : « Sôit ton esprit
saint sur nous », etc. La leçon de Grégoire de Nysse proviendrait de
la confusion intervenue entre la demande de l'Esprit et la seconde
demande : « arrive ton règne ». Et si la leçon de Marcion est la leçon
authentique de notre évangile, il en faudra conclure que celui-ci a
emprunté l'oraison dominicale à la pratique rituelle d'une commu-
nauté qui avait adapté la prière à ses réunions cultuelles et spécia-
lement peut-être à la" liturgie de l'initiation baptismale (ci, Sbeberg
dans Neut. Studien Heinrici gewidmet, 119).
« Donne-nous notre pain de suffisance chaque jour ». — Mat-
thieu (vi, II): « Donne-nous aujourd'hui notre pain de suffisance ».
Si l'on devait traduire : « pain du lendemain », cette prière dans Luc
deviendrait presque ridicule (sur le sens de èthoûctioç voir Lagrange,
323). — « Et remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à qui-
conque nous doit ». — Matthieu (vi, 12) : « et remets-nous nos dettes,
comme nous remettons à ceux qui nous doivent «.Les « péchés »
^àp.apT!aç) sont interprétation des « dettes » (o'^etX^axa), puisque l'on
a retenu le « débiteur » (otfeî'Xovxi). « Car nous-mêmes (y.<x\ yàp aÙToi)
remettons » paraît être une retouche littéraire de : « comme nous-
mêmes (wç y.où. 7)[/.er;) remiettons », sans modification du sens, l'idée
impliquée de part et d'autre étant que l'on sait devoir pardonner aux
autres pour obtenir soi-même le pardon de Dieu. — « Et ne nous
induis pas en tentation». — Ne sont aucunement représentées la
troisième demande de Matthieu : « quêta volonté se fasse sur la terre
comme au ciel », et la dernière : « mais délivre-nous du mal », qui
n'appartenaient probablement ni l'une ni l'autre à la formeprimi-
live de la prière.
LUC, XI, 5-7 317
« Et il leur dit :
« L'un de vous a (je suppose) un ami,
qui s'en vient chez lui au milieu de la nuit et lui dit :
« Ami, prête-moi trois pains,
^ car un mien ami m'est arrivé de voyage,
et je n'ai rien à lui offrir. »
' Et lui, de l'intérieur répondant, dit :
« Ne me fais pas d'ennuis ;
déjà ma porte est fermée,
et mes enfants avec moi sont au lit ;
je ne puis pas me lever pour te donner. »
a Et il leur dit », — en manière de leçon touchant l'efficacité d'une
prière persévérante, la parabole de l'Ami importun, Gélle-ci ne se
rattache que par l'analogie de son objet à l'oraison dominicale. La
construction grammaticale en est un peu embarrassée par un jeu de
dialogue qui se trouve subordonné à une interrogation du narrateur
(série de propositions coordonnées dans xi, 5-7, où le cas est posé; le
tout gouverné par : « qui de vous », au commencement de 5 ; à quoi
répond : « je vous dis », etc., 8, conclusion, censée inévitable, de l'his-
toire présentée en forme d'hypothèse) ; mais le récit lui-même n'en
est pas moins clair. — « Qui d'entre vous aura un a[mi ». — Façon
de parler oratoire et communicative, pour signifier que pas un audi-
teur ne contestera que les choses se passeraient comme on va le
dire, s'il se trouvait dans le cas indiqué . L'effet de style n'est pas très
heureux; et on le dirait presque imité du morceau suivant (xi, n). —
« Un ami qui viendra chez lui », — les deux amis étant censés habi-
ter le même village, et à portée de se rendre mutuellement service, —
« au milieu de la nuit pour lui dire », — en un cas urgent : — « Ami,
prête-moi trois pains » . — Chiffre rond sur lequel il n'y a pas à spé-
culer. 'Il est sous-entendu que la demande n'est pas exagérée pour
le besoin d'une personne, et elle est faite avec la civilité qui con-
vient. — « Parce qu'un mien ami m'est arrivé de voyage «, — à l'im-
pi'oviste et en telles conditions qu'il est à recevoir honorablement, —
« et que je n'ai rien à lui offrir». — Indigence extrême et qui réclame
prompt secours. La résistance qui va se produire n'en est que plus
choquante, et l'on peut trouver que, si l'auteur a visé le naturel, il
tombe dans la vulgarité .
« Et que celui-là, répondant de l'intérieur », — sans bouger de sa
couche, une pièce unique constituant probablement ce modeste logis,
318 LUC, XI, 8-9
^ Je vous dis,
quand même il ne se lèverait pas pour lui donner
parce que c'est son ami,
à cause de son imporlunité il se lèvera
pour lui donner toiit ce dont il a besoin.
8 Et moi je vous dis :
Demandez, et l'on vous donnera ;
cherchez, et vous trouverez ;
frappez, et l'on vous ouvrira.
et sans dissimuler son impatience, — « dise : « Ne me fais pas d'en-
nuis », — pas tant de dérangement, chose désagréable à cause de
l'heure. — « Ma porte est déjà fermée », — avec toutes les précautions
qu'on prend pour la nuit ; c'est une affaire maintenant que de l'ou-
vrir; — « et mes entants sont avec moi au lit » ; — il ne faut pas les
éveiller en se remuant dans la maison. — « Je ne puis pas me lever
pour te donner ». — Il est clair que ces difficultés ne sont pas insur-
montables, et que l'homme ne ferait pas plus dé tapage en se levant
qu'il n'en fait en parlant. Aussi bien l'autre ne prend-il pas le refus
trop au tragique. Il se borne à répéter sa prière jusqu'à ce qu'il ait gain
de cause : c'est ce qui est supposé, dans le texte ordinaire (les mss.
latins et la Vulgate, déjà Mareion et Tertullien, loo. cit., inter-
calent une glose explicative : « et si ille perseveraverit pulsans »).
« Je vous dis, quand même », — finalement, — « il ne se lèverait
pas pour lui donner parce que c'est son ami », — s'il ne cède pas en
considération de leur amitié, 7- « à cause de son impoi'tunité », — de
l'opiniâtreté avec laquelle le solliciteur soutient sa demande en impa-
tientant l'autre, —T « il se lèverait pour lui donner tout ce dont il a
besoin ». — Et si pareille fable ne se lisait pas dans l'évangile, on
trouverait qu'elle est aussi malséante ou même choquante que pos-
sible en son application à Dieu, puisque cette application, quoi'qu'en
puissent dire les commentateurs, ne peut signifier qu'une chose : il
suffit, pour être exaucé, d'ennuyer Dieu assez longtemps. L'auteur
n'y a pas vu malice ; mais ce n'est pas que la parabole représente un
degré de piété inférieur à celui qui inspire le contexte, c'est que
l'évangéliste a voulu trouver une application pieuse à une fable qui
d'elle-même n'en comportait pas, du moins pour un chrétien.
La parabole se trouve introduire, et en apparence assez naturelle-
ment, les sentences concernant la certitude de l'exaucement. En
réalité; parabole et sentences ont été conçues dans un esprit très
LUC, XI, 10-13 319
^o Car quiconque demande reçoit,
qui clierche trouve,
et à qui frappe on ouvrira.
1^ Quel père d'entre vous, si son fils lui demande poisson,
au lieu de poisson, serpent lui offrira,
12 ou bien> s'il demande œuf, lui offrira scorpion ?
1^ Si donc vous, qui êtes méchants,
savez donner bonnes choses à vos enfants,
combien plus le Père du ciel
donnera-t-il Esprit saint à ceux qui le prient ? »
différent ; car les sentences ne supposent pas que l'exaucement soit
si difficile et qu'il faille harceler Dieu pour en obtenir ce dont on a
besoin. — ^.« Et moi je vous dis ». — Formule de transition et d'intro-
duction, qui manque dans Matthieu (vif, 7). — « Demandez», etc. Sen-
tences de sagesse commune (cf. Bultmann, 64), appliquées au thème
de la prière.
« Et quel père d'entre vous», — formule embarrassée (TivaSà à^ ôpov
Tov TraTÉpa cÙT-f^aei b ulbç JtxX.) en comparaison de Matthieu (vu, .9) :
« Est-il parmi vous homme qui », — « si son fds lui demande un pois-
son, au lieu de poisson », — Matthieu (vu, xo) n'a pas : « au lieu de
poisson », — « lui offrira un serpent ? ». — C'est le second exemple
de Matthieu ; le premier exemple, celui du pain et delà pierre, a été
inséré d'abord, dans le texte ordinaire, avant celui du poisson et du
serpent ; mais il manque dans quelques anciens témoins (Marcion,
ms. B, trois mss. lat. Sah.) ; notre évangéliste, qui a en propre
l'exemple de l'œuf et du scorpion, aura voulu, sans égard à la couleur
locale et à la vraisemblance, fortifier l'antilhèse en opposant deux
bêtes nuisibles (dans Matthieu, le serpent ne paraît pas cité comme
animal nuisible, mais pour la ressemblance avec certains poissons.
Lagrangb, 327) à deux aliments utiles. — « Ou bien, s'il demande
un œuf, lui offrira un scorpion ?» — Entre tel poisson et un serpent
un enfant pourrait se tromper ; mais il n'est pas si facile de lui faire
prendre un scorpion pour un œuf.
« Si donc vous, qui êtes méchants, savez donner de bonnes choses
à vos enfants, combien plus le Père du ciel ». — Visiblement notre
auteur (ô Ttarrip à? oùpavou) évite la formule de Matthieu (vu, ii) : « votre
Père qui est aux cieux » (à TtaTYjp ûjxôv b àv toTç oùpavoTç) ; il a pu sup-
primer « votre » pour faire mieux ressortir le caractèj-e universel de
la paternité divine ; mais ce ne doit pas être uniquement pour signi-
320 LUC, XI, 14-15
1* Et il était à chasser un démon,
lequel était muet ;
or advint, le démon parti,
que parla le muet.
Et furent en admiration les foules ;
^^ mais certains d'entre eux dirent :
« C'est parBelzebouI, prince des démons,
qu'il chasse les démons. ».
fier l'origine des dons divins qu'il dit « du ciel », et non « dans les
cieux », c'est qu'il aura voulu atténuer l'anthropomorphisme de la
formule, en disant : « le Père qui » est « du ciel », ou « qui » donne
exaucement « du ciel ». — « Donnera-t-il l'Esprit saint à ceux qui le
prient ». — Matthieu ; « donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le
sollicitent».. La promesise générale d'exaucement est évidemment
requise pour l'équilibre de la comparaison, qui est compromis par la
substitution de l'Esprit à tous les biens, de quelque ordre qu'ils
soient, qui peuvent être l'objet de la prière. Cette substitution n'était
pas autrement nécessaire ; car, si l'auteur est plus que désintéressé
à l'égard des . biens terrestres, il n'a pas voulu signifier qu'on ne
serait pas exaucé en demandant à Dieu le pain quotidien ; ce dédain
des choses temporelles a pu seule ment^l'induire à faire valoir ici le don
spirituel, pour correspondre à la mention qui en était faite dans l'orai-
son dominicale (on doit imputer à l'influence de Matthieu la leçon
de Ss. et celle du ms. D, àyaôbv oo[xa).
XLVI. Beelzeboul. Les signes
Ce n'est peut-être pas faute de meilleure place, mais par le senti-
ment d'une convenance particulière, que l'apologie de Jésus accusé
de possession diabolique, etla condamnation dujudaïsmepharisaïque
sont amenées au cours de ce vague et interminable voyage en Sama-
rie. Sur ce terrain symbolique de la gentilité, qui est pour les Juifs
le royaume des démons, le Christ apparaît en vainqueur des démons
et confond ses calomniateurs. La controverse à propos de Beelzeboul
commence de façon tellement abrupte que l'on pouri'ait se demander
si le narrateur a voulu éviter toute transition, ou si l'on n'aurait pas
supprimé celle qu'il avait mise ; mais il s'est borné à coordonner ce
récit au précédent.
« Ktil était à chasser un démon qui était muet ». — Début du récit
LUC, XI, 16 321
" Et d'autres pour l'éprouver,
signe du ciel deiiiandaieat de lui ;
dans le recueil de sentences (cf. Mt. ix, Sa b). Quelques témoins (ms.
D, mss. lat.) ont voulu marquer mieux la transition : « Or, comme
il disait cela, on lui amena un démoniaque muet, et quand il l'eut
chassé, tous furent. en admiration». La retouche paraît faite d'après
Matthieu (ix, 32-33). — « Or advint, le démon parti», — Matthieu
(ix, 33) : (( le démon chassé », — « que le muet parla, et les foules
furent en admiration ». -^ Les réflexions que Matthieu (ix, 33 ; xi,
23) prête aux assistants dans son double récit ne viennent pas de la
source et sont pour déguiser la répétition. Ce qui importe est la
calomnie des adversaires. — « Mais certains d'entre eux», — quelques-
uns des témoins, sans autre spécification. Dans Marc (iir, 22), ce
sont « les scribes descendus de Jérusalem » ; dans Matthieu (xii, 24),
ce sont « les pharisiens » ; mais il semble que la source ne précisait
pas (cf. V. 19 ; Mt. xii,27). — « Dirent: ,« C'est par Beelzeboul, le prince
des démons, qu'il chasse les démons ». — Donnée de la source plus
ou moins paraphrasée dans Marc : « Il a Beelzeboul, et c'est par .le
prince des démons » etc., et dans Matthieu (xii, 24 ; cf. ix, 34) :
<( Celui-ci ne chasse les démons que par Beelzeboul », etc. (sur le nom
de Beelzeboul, voir Marc,iï6). Ce petit récit a été conçu d'abord en
manière d'introduction à l'apologie des exorcismes pratiqués par Jésus
ou en son nom(xi, i;;-i8).
« Et d'autres », — dans la même foule, — « pour l'éprouver lui
demandaient un signe du ciel ». — Anticipation de la demande que
font, dans Matthieu (xii, 38), « quelques-uns des scribes et des phari-
-siens ». La notice est à sa vraie place dans Matthieu ; mais comme la
r(>ponse vise la masse des Juifs, on peut croire que la source ne spéci-
fiait pas la qualité des demandeurs. Il y était question simplement de
« signe » (cf. Mï. xii, 38), et c'est d'après Marc (vin, 11; cf. Mt, xvi, 1)
que notre auteur dit : « un signe du ciel ». Ce n'est point par simple
artifice littéraire, afin de subordonner à une introduction commune
l'apologie de Jésus et les considérations sur les signes, qu'il rattache
la demande de signe à la parole sur Beelzeboul, mais parce qu'il a
vu un rapport entre les deux sujets, qui étaient juxtaposés dans le
î'ecueil de sentences à raison même de ce rapport. Ce sont les advei--
saires de -Jésus, les Juifs, qui lancent la calomnie et qui font la
demande ; bien que les calomniateurs et les solliciteux's semblent dis-
tincts, les uns et les autres représentent le judaïsme incrédule ; ceux
qui réclament un signe ne s'aperçoivent pas que la victoire du Christ
A. LoisY. — L'Évangile selon Luc. ai
. 3-22. LUC, 2CI, 17-18
^' mais lui, connaissant leurs pensées,
leur dit :
« Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté,
et maison sur OT.ai«oii (y) tomi)e.
1^ Ot» si Satan .aussi .est divisé con.tr.e lui-même, .
comment subsisitera son royaume?
Puîsqiiiie vous dites qiue je chasse les .démons par Beetzeboui.
sur des démons an fist jiin. Jésus les r-éilute idii'eotenaeiLt .en mon'trant
.que la défaite ide Satan ipipouve rayèBemen.t.du royauinie:; .apnèsiquoi
il peut les iMâflaoïeir de aiéolamer mal ,à ipropos un:signe. Mais .cette
simplification de Ja mise eaa:sc.èneap:partie(Q(tià:notire rédacteur..
« Mais lui, (ponnaiseant leurs pensées »., — la notioe paraît ooimcerner
la mauvaise intention des idemandeurs de isigne, mais celle vise aussi
bien et plutôt les calomniateua^s, à qui s'aidresse le diseours suivant,
et dans la source (cf. Mt. xri, aS) elle se rapportait directement à
ceux-ci, — « leur dit ». — Marc (nii, 23) : « il leur dit en paraboles »,
.caractérise la réponse d'après indée .que l'évangéliste se fait des
paraboles, et non 'seul&ment d'après la forme du disooiui's; l'indica-
tion ne vient pas de la source. — « Tout iCmpire (divisé contre lui-
naôme est dévasté »,. '-— .C'est ce .qu'on lit dams Matthieu. Marc (111,24)
dit d'abord, en eommenitaire des couipan^aisons qui suivent :« Com-
anent Satan peutnil chasser Satan ? » — « Et anaison tombe sur mai-
son ». ~ La source donne en second exemple de ruine par division
intestine celui d'une maison lou famille. sGette ifois, c'est Marc (m, 26)
qui représente plus exacteiment la source : «.Si une m.aisonest divisée
contre elle-mêone, cette maison iue pourra tenir ». Matthieu .associe
mal à propos une « A''idle » à la .v. maison » ; et notre éyangéliste
r,amène les deux exemples à un seul, se représentant les maisons qui
s'tcfirondrent les unes sur les autres 'dans l'icmpire dévasté. — « -Or, si
Satan aussi est divisé icontre lud-miême, commeoit .subsistera son
empire ? '» — Marc '((tu, 26) et Matthieu (xji, 26), qui icombine ici
Marc aviec l'autre source, ont p.araphrasé cette (conclusion. Mais ce
que notre évangile y ajoute : — « Puisque vans dites que je .chasse
les .démons par Beelzeboul», -^ n'iest pas autre chose que l'observa-
tion finale de Mare (;ira, 3o) : « parce qu'ils avaient idit : « Il a un
esprit impui' », transposée dans le discoiurs ,de Jésus .en manière de
transition à ce qui va être dit ides esorcismes jjiuifs . La sentence prin-
cipale, apologie par comparaison tirée <de laaommune sagesse, pour-
rait appartenir aussi bien aux premiers apôtres du clmstia,nisme iqu'.à
Jfisus lui-même,
LUC, XI, 19-20 3â3
^^ Mais, si c'est par Beélzeboul que je chasse les aênions,
vos fils, par qui les chassent-ils ?
C'est pourquoi ils seront vos juges. '
*" Mais, si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons,
est donc venu à vous le royaume de Dieu,
« Mais si, moi, c'es;t jpar Beelz&boul que je chasse les démons, vos
fils, — les exorcistes juifs en général, — « par qui les chassent-
ils ? >), etc. Argumentation plus facile à comprendre pour les premiers
temps chrétiens, où les exorcistes de la secte se trouvent en compé-
tition avec les exorcistes juifs (cf. Bultmann, 98), peut-être même
avec des exorcistes juifs se risquant à employer le nom de Jésus (cf.
AcT. XIX, 13-14)» que dans la bouche de J«sus lui-même. — « Mais si
c'est par le doigt de Dieu », — Matthieu (xn, 28) : «par l'Esprit de
Dieu », ce qui est plus probaMement la leçon de la source fponr celle
de Luc, cf. Ex. viii, i5), — '« que je clïasse les démons »., etc. Bien
qu'associé au précédent dans la source 'commune de Matthieu et de
Luc, on pourrait trouver que ce second argument s'en distingue k
raison de son caractère eschatologique et voir là une marque parti-
culière d'authenticité (Bultmann, loc. cit.} ; mais l'arguiment n'est-il
pas une déduction fondée suï" oe qui vient d'êti-e dit.et peut-on parler
d'eschatologie, si le royaume est censé présent ? Une telle idée du
royaume actuellement réalisé par l'expulsion des démons n'appar-
tient-élle pas plutôt au christianisme déjà né? Il faut tenir compte de
ce que Marc ignore cette argumentation, où la logique fait quelque
peu défaut. Car les exorcistes juifs ne sont pas raillés ici, ils sont
censés guérir les démoniaques ; xnais on ne voit pas bien comment, si
leurs exorcismes ne prouvent lùen, ceux de Jésus prouveraient quel-
que chose.
La comparaison de l'homme armé, qu'il faut avoir vaincu pour
prendre son bien dans sa maison, paraît avoir été paraphrasée dans
notre évangile. — « Quant le fort armé garde son château, ce qu'il
possède est en sûreté ». — Sauf la mention du « fort » (Icyucô^),
Marc et Matthieu n'ont rien de ce préambule ; du reste, notre auteur
substitue au propriétaire qui se défend contre un voleur le seigneur
qui résiste à l'assaut d'un ennemi. — « Mais si un plus fort que lui,
survenant, triomphe de lui », — dans Marc (tu, 27) et dans Matthieu
(xn, 29), il s'agit d'un individu qui pénètre dans la maison et fait
main basse sur le mobilier après avoir lié « le fort », — « il emporte
l'arUiure où » — le premier — «mettait sa confiance et distribue ses
324 LUC, XI, 21-24
21 Quand le fort bien armé garde son cliftteau,
en sCirelé sont ses hiens ;
22 mais, si pins fort que lui, survenant, triomphe de lui,
(celui-là) emporte toutes les armes où. il mettait sa bonfiance,
et ses dépouilles il distribue.
" Qui n'est pas avec moi, contre moi il est,
et qui n^amasse pas avec moi, il dissipe.
24 Lorsque l'esprit impur est sorti de l'homme,
il parcourt des lieux arides, cherchant demeure ;
et n'en trouvant pas, il dit ;
« Je retournerai en ma maison, d'où je suis parti, n
dépouilles », — comme butin clé guerre (cf. Is. Liir, .12). La descrip-
tion ainsi développée a perdu toiit caractère de comparaison, et
l'auteur la prend en allégorie. On n'est pas obligé toutefois, sèmble-
t-il, d'attribuer un sens spécial aux termes de la description et de
supposer que les âmes des démoniaques seraient pj'ésentées comme
la propriété du fort (les possédés ne sont pas précisément « en paix »),
et les démons comme sa panoplie. Originairement, c'est un propos de
sagesse profane dont l'application au thème des exorcismes chrétiens
peut aussi bien et même plutôt s'être faite dans la tradition chré-
tienne que par Jésus lui-môme.
C'est le Christ glorieux, vainqueur dé Satan, qui dit ensuite : —
« Qui n'est pas avec moi », etc.{MT.xn, 3o). — Autre propos de sagesse
profane, dont on a rencontré précédemment (ix, 5o) la contre-partie,
et qui aura été plutôt exploité au nom de Jésus dans la tradition que
par Jésus enseignant (cf. Bultmann, 61). Au lieu de placer ici, avec
Marc et Matthieu, la parole sur le péché contre le saint Esprit,
notre auteur amène le tableau de la rechute en possession, que Mat-
thieu introduit seulement après la réponse aux demandeurs de signe.
On peut ci'oire qu'il a suivi en cela l'ordrede la source, où le tableau
de la rechute venait après la réponse de Jésus à ceux qui l'accu-
saient d'êti-e possédé, le rapprochement se fondant non, sur la coor-
dination logique des deux morceaux, mais sur ce que, dans tous les.
deux, il était parlé de possession. Notre auteur paraît avoir entendu
que quiconque n'est pas avec Jésus par une foi sincèi^e et persévé-
rante ne gagne rien à chasser les démons ou à être délivré provisoi-
rement de leur joug ; voué à la réprobation finale, il ressemble à un
possédé qui aurait été délivré momentanément de son démon pour
en gagner huit. Cette interprétation paraît suggérée aussi par la
LUC, x[, 25-27 325
25 Et venant, il la trouve nettoyée et ornée,
26 Alors il s'en va prendre avec lui d'autres esprits,
plus méchants que lui, sept ;
et entrant, ils s'installent là ;
et le dernier état de cet homme devient
pire que le premier. »
*' Or, comme il disait cela,
une femme, élevant la voix au milieu de la foule, lui dit :
« Bienheureux le sein qui t'a porté,
et les mamelles que tu as sucées !»
parole que l'évangéliste a placée ensuite (xi, 28): « Bienheureux ceux
qui écoutent la parole de Dieu », etc. Si l'évangéliste avait voulu signi-
fier que les exorcisines juifs ne produisaient pas de guérlson durable,
il aurait négligé de dire le principal de sa pensée. Les variantes à
l'égard de Matthieu sont insignifiantes ; mais Luc n'a pas la conclu-
sion ; « Ainsi en sera-t-il de cette génération mauvaise » (Mt. xti, 45),
qui ne vient pas de source et qui correspond, au sens que le rédac-
teur du premier évangile a voulu trouver dans ce passage par rappox't
au peuple juif. Cas singulier d'une remarque, empruntée peut-être
à quelque livre juif (Bulïmann, 100), où s'exprimait naturellement
un scepticisme radical touchant l'elficacité des exorcismes, et qui,
recueilli dans la tradition chrétienne, pour la simple raison qu'il y
était parlé de démon et de possession, devient parole de Jésus
moyennant une application forcée et, pour ce qui regarde notre évan-
gile, assez mal définie.
Notre auteur ayant placé après le discours des paraboles (via, 19-21)
le mot sur les vrais parents de Jésus, qui vient dans Marc (m, 3i-35)
après l'affaire de Beelzeboul, et que Matthieu (xii, 46-5o) a renvoyée
après la réplique aux solliciteurs de signes, y substitue ici un doublet
qu'il ne paraît pas bien nécessaire d'attribuer à une source particu-
lière, vu qu'il porte la marque de l'évangéliste' et qu'il' n'a pas
réclamé grand effort d'invention (voir Klosteumann, 489. un récit
bouddhique où l'on a pensé, un peu légèrement, trouver le prototype
du nôtre).
« Or advint, comme il disait cela », — l'apologie qu'on vient de
voir, qu'une femme », — notre auteur a un certain goût des femmes,
comme le bon Hermas, et de la sensibilité féminine, — « élevant la
voix » du milieu « de la foule, lui dit », — enveloppant son admira-
tion pour lui dans une louange à l'adresse de sa mère : — « Bienheu-
326; LTîG,. XI, 28-29,
^^ Mais il dit ; « Bienheureux plutôt
ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l'observent !»
*»Etles foules s'amassant, il se mit à dire :
« Cette génération est une génération mauvaise ;
signe elle demande,
et signe ne lui sera pas donné,
sinon le signe de Jonas.
reux le sein qui Va porté, et l'es mamelles que tu as sucées ! » — L'ex-
clamation est dans le style des. récits de l'enfance [i, 4'2, 4S) 48), et
revient à dire qu'heureuse est la mère d'un tel fils (voir parallèles rab-
biniques, Klostebmann, 490) ; on sait que le rédacteur du troisième
évangile et des Actes se.plaît à. donner relief au personnage de Marie-
Gomme v dans l'anecdo te des parents, il a tenté de rendre inoffensive,
par rapport aux parents naturels la déclaration l'elative àlaparenté^
spirituelle, il entend, que dans le cas présent, la réponse de Jiésus-ài
la femme soit une leçon pour ses auditeurs sans nuire à la considé-
ration de sa mère.
« Mais, il dit : «.Heureux plutôt », — et non pas : « heureux seule-
ment ») ([j^e^youv peut signifier confirmation ou rectification ; c'est le
second, sens qui convient, ici) ; la femme, a raison ; pourtant elle a
oublié- le prinflipali, car bienheureux sont tous — « ceux q-ui écoutent
la parole de Dieu et qui l'observent ! » — Sous une forme un peui
modifiée, c'est.la parole: concernant les vrais parents (vut, 21 ; cf.x,,
39,. 42). Jésus, n'est pas censé nier que sa mère soit heureuse de.
l'avoin pour fils ;, il l'aiflirme' plutôt implicitement, mais l'avantage
de sa mère ne constitue point un mérite, et la meilleure: louange, à
laquelle: tout âme de bonne: volonté peut prétendre,, se justifie parla
fidélité à la parole de;Dieu. L'évangéliste n'a certainement pas voulut
insinuer que ce dernier éloge n'appartiendrait pas à Marie.
«> Or les foules s'amassant,. il se mit à dire ». — La foule était déjà
présente (xi, i4) ; mais elle se presse maintenant autour de 1! orateur,,
pai'ce que, notre évangéliste ayant anticipé (xi, 16) la demande de
signe, a besoin d'une transition quelconque pour amener la, réponse
de Jé&us. — «■ Cette génération est une: génération miiuvaise ; elle
demande un signe ». — Matthieu (xu, Sg) : « Génération mauvaise eC
adultère réclame signe ». Le mot « adultère » paraît venir de source,
et notre évangéliste- aura omis l'épithète comme trop focte ou, peu
intelligible pour le commun de ses lecteurs ; la conséquence de cette
omission a été un remaniement qui ne sauve qu'à moitié U harmonie-
de: la phrase. — « Et signe ne lui s.era pas donné »„etc;
30 Car, de même que Jonas a é^é signe aux Ninivites-,
ainsi sera le Fils de rkGinme.â cette génération.
Notre auteur a l'èculé devant l'explication nette d'u' signe de Jonas.
— « Car de même que Jonas deviiat signe au Ninifvites-,. ainsi serai le
Fils de l'homme à cette génération) ». — Cette phrase ua peu plate et
intentionnellement vague se substitue, à. : « Car de même que Jonas a
été; dans le ventre du poisson », etc. (Mx. xu, 4o)- Mais il n'y a pas
lieu pour autant de supposer que notre évangéliste aurait compris
autrement [que Matthieu le signe de Jonas ; cai* la prédication de
Jonas n'est pas un signe, et d'ailleurs il s'agit toujours de Jonas et
non de sa'prédication ; il se trouve même que, d'ans notre évangile,
le rappel de la prédication ne vient qu'après l'exempre de la reine de
Saba, si toutefois il n'a pas été omis tout à fait. Notre auteur vise
donc aussi bien que Matthieu le miracle de Jonas, mais il a laissé
tomber les trois jours et les^ trois nuits, parce qu'ils ne s'accordaient
plus avec le schéma traditionnel de la résurrection. Si la comparaison
portait sur la prédication de Jonas â-Ninive et sur celle' dé Jésus aux
Juifs, il n'y aurait pas lieu de' dire que le Fils de rhom'me « sera » un
signe', il le serait actuellement. Le signe du Fils de Thomme est sa
manifestation terrestre couronnée par sa résui-reetion", et devant ce
signe les Juifs n'ont témoigné que' d'une aveugle incrédulité. G'est
aussi bien ce fait duFilis de l'homme, en sa gloire de ressuscité', qui
est plus que Jonas rescapé et que'Salomon dans l'écTat de sa répul/ai-
tion. Mais tout ceci .exprime la foi des premières générations chré-
tiennes-, ïïon une prédication d'e Jésus.
« La reine du midi », etc. — D'ans- Matthieu (xn, 4r-42)) Fexempie
dés Ninivites suit plus naturellement le signe d'c Jonas. On peut sup^-
poser que notre évangéliste a voulu rétablir l'ordre chronol'ogiquedes
cas cités-, mais peut-être avait-il omis tout simplement l'exempl'e- des
Ninivites (xt, 82 manque dans l'e ms. D, qui, par une sorte de com-
pensation, interpole Mï. xn, 4^' après xi, S'o), comme superflu à côté
de la l'eine de Saba. L'exemple dès Ninivites vient maintenant en
surcharge dans le texte traditionnel'. Il peut êïre risqué d'admettre
(avec BuLï5iA.Nïiî-, 69) que notre évangile aurait gardé l'ordre primitif
dès exemples, interverti par Matthieu pour rapprocher les Ninivites
. de ce qui est dit touchant le' signe de Jonas-, l'a remarque sur- lé signe
étant née dans la tradition, et les exemples ayant été a'ilég'ués par
Jésus sans rapport avec sa personne'. Mais n'est-ce pas la tradition
chrétienne seulement qui a pu reprocher à \si génération contempo-
raine' de Jésus de' n'avoir pas cru à son message ?
328 LUC, XI, 31-33
^^ La reine du Midi comparaîtra au jugement
avec les liommes de cette génération,
et elle les condamnera,
parce qu'elle est venue des extrémités de la terre
pour écouler la sagesse de Salomon ;
et il n'y a plus que Salomon ici.
^^ Les. hommes de Ninive se lèveront au jugement
avec cette génération,
et ils la condamneront,
parce qu'ils se sont convertis à la prédication de Jonas;:
et il y a plus que Jonas ici,
3^ Nul, allumant lampe, en cachette ne la met,
[ni sous le boisseau],
mais sur le support,
pour que les entrants voient la lumière.
On peut croire que l'évangéliste a vu un rapport entre les compa-
raisons delà lumière, larnpe et œil, et le thème du signe, puisqu'ili
les amène en cet endroit ; sans doute entend-il que le Christ est la
lumière du monde. Il avait déjà rapporté plus haut (viii, i6), d'après
Mare (iv, 21), la comparaison delà lampe. — «Nul, ayant allumé une
lampe, ne la met dans une cachette ni sous le boisseau ». — Plus
haut, notre auteur remplaçait « le boisseau » par « un vase » ; il prend
ici « cachette ') (xpuTtr^) pour changer, la source (cf. Mt. v, i5) ayant
« boisseau ». Les mots ; « ni sous le boisseau », ont dû être ajoutés
d'après Matthieu dans le texte ordinaire (Ss, ms. Lue les ont pas), n'y
ayant pas plus motif de garder ici le boisseau que dans le premier
passage, et «cachette » et « boisseau » allant assez mal ensemble. —
« Mais sur le support, afin que ceux qui entrent voient la lumière » .
— Matthieu :« et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison».
Dans la pensée de notre auteur, la lumière n'est pas tant pour les
premiers occupants de la maison de Dieu, les Jui(s, que pour ceux
qui y entrent maintenant, les Gentils ; mais il n'est pas autrenïent
probable que la lampe dans la cachette figure pour lui le Christ aux
enfers (Zahn, ap. Klostkrmann, 49o)- Cas de proverbe employé à toutes
fins utiles par la tradition chrétienne ; et sans doute convient-il d'en
dire autant de. la parole suivante.
« Le flambeau du corps, c'est ton œil ». — Matthieu (vi, 22) : « c'est
l'œil ». La transition se fait dans notre évangile sur le mot « lampe »
ou « flambeau » (Xû/voç) ; on peut supposer, du reste, que la présente
LUC, XI, 34-36 32&
3* Le flambeau du corps, c'est Ion œil ;
lorsque ton œil est juste,
tout ton corps aussi est éclairé ;
mais, s'il est mauvais,
ton corps aussi est ténébreux.
'^ Prends donc garde que la lumière qui est en toi ne soit
[ténèbres.
8* Si donc tout ton corps est éclairé,
n'ayant rien de ténébreux,
il sera tout éclairé,
comme quand la lampe de son rayonnement t'éclaire. »
sentence, de caractère moral, esf pour l'application du principe géné-
ral et dogmatique signifié dans la sentence précédente. — « Quand
ton œil est bon, tout ton corps est éclairé ». — Matthieu : « Si donc
ton œil est bon, tout ton corps sera éclaire ». — « Mais, s'il est mau-
vais, ton corps, aussi est ténébreux ». — Matthieu (vi, aS) : « tout ton
corps sera dans les ténèbres ». — « Prends donc garde que la lumière
qui est:entoi ne soit ténèbres ». — Matthieu : « Et si la lumière qui est
«n toi est ténèbres, que seront les ténèbres ! » Notre auteur paraît
avoir voulu dégager plus clairement l'idée contenue dans cette
remarque. La lumière intérieure est le cœur sincère qui s'ouvre à la
vérité, la conscience droite qui s'y porte. Il ne semble pas que le
croyant ainsi éclairé soit présenté en même temps comme une lumière
pour les autres hommes. En tout cas, « œil simple » ne semble pas
pouvoir être ici, comme dans Matthieu, synonyme de désintéresse-
ment, ni « œil mauvais » de jalousie.
Ce qui suit est d'une rare platitude et ressemble à une mauvaise
glose ajoutée au texte de la sentence primitive. — « Si donc ton corps
est tout éclairé, n'ayant rien de ténébreux », — ceci semble vouloir
faire pendant à (xi, 34 c) : « mais si » ton œil « est mauvais, ton corps
aussi est dans les ténèbres «, — « il sera tout éclairé, comme quand
une lampe t'éclaire de ses rayons ». — Et ceci répète assez fâcheuse-
ment(34&) '• <v quand ton œil est bon, toutton corps est éclairé ». Cer-
tains témoins n'ont pas cette lourde finale (ms. D, mss. lat., qui rem-
placent XI, 35 par Mr. xii, aS 6 ; Se. garde xt, 35 mais remplace xi, 36
parMT.xii, a3.6; Ss., confirmé par deux mss lat., axt, 35, aussi xr, 36,
mais avec une variante, qu'on peut supposer être une correction
volontaire et qui est loin de rendre le verset plus intelligible: « Si donc
ton corps, quand il n'a pas en lui de lumière qui brille, est ténébreux,
•330; LUC, XI.. 31
3' Et pendant qu'il parlait, un pharisien. l'iniviilat
à diner chez lui;
et entré, il se mit à table.
ainsi, quand la lumière brille, elle t'écliaiiaie ». Le second membre
de la phrase paraît, être une traduction libre à& xt; 36 b ;■ le premier
membre est traduit de 36 a : v. oùv tô côjxâ cou ô'Xov cptoxetvôv, [K-q lypv j^époç
Ti cxoxeivov, en intervertissant les mots cpw.Teivdv et (ijcoTeivôv),
XL VII. Les pharisiens
Notre évangile, qui repx-oduira plus loin (xx, 45-47) If^ simple avis
qui, dans Marc(xii;, 38-30), remplace et résume lediscouTS contre les
pharisiens, amène' maintenant ce discours, qui remplit le ch. xxin de'
Matthieu-. Le discours n'a pas été conçu en vue d'unauditoiregalileenv
et à la fin Jésus prend congé de l'assistance' comme s'il n& devait plus'
revoii? les Juils- que d'ans sa parousie : peut-être- est-ce justement ce
qui a déterminé l'a transposition ; l'on aura anticipé dansd'e ministère
samaritain, en la morcelant et en la corrigeant, cette' conclusiun dU
ministèi'e hîerosolymifcain dans le recueil de sentence», parce que l'on
voulait mettre' à sa place le dàscours apocalyptique de Marc. Mais
ces invectives contre les pharisiens-, librement traitées dans la tradi-
tion, ont été dès d'abord la dénonciation du judaïsme inci^édule par
un pi'ophète chrétien, bien que les critiques en général (ainsi Bult-
aiANN, 77) continuant d'en attribuer le fond à Jésus,
La lormulede' transition : — « Et pendiant qu'il parlait»' — suppo'-
seraitunlien très étroit entre le discours qui va venii' etceluioù Jésus
parle du signe' do Jonas. Combinaison purement didactique et rédac-
tionnelle. La vraie transition est dans l'esprit de l'évangéliste, qui
continue, en ce décor samiaritain figurant révangélisation des- Gren-
tils, à pronostiquer et à expliquer la réprobation des- Juifs-. Il n'e'st,
du reste, pas permis- d'entendre la» formule de transition comme si
elle signifiait : « Pendant qu'il prononçait un discours quelconque;
en un lieu inconnu». L'indrcation est très précise, mais- sans objet
réel. — - «Un pharisien l'invita à dînei'' chez lui, et étant entré, il' se
mit à tabl'e »-. — Ceci est pour lai mise en scène dudiscours contre leS'
ph'arisiens ; mai&il n'est pas nécessaire de démontrerquela série des;
malédictions contre les scribes et les phaatisiens n'a pas été conçue
comme propos de table, et la liberté des: mœurs orientales n'a rien à
voir en cette affaire:,. Ce qu'on lit dans lé discours, touchant la puaù-
LOfi,. SI, 38-39' Sm
*^ Ce que voyant, le pharisien s'étonna
qu'il ne se fut pas d'abord lavé avanib le diner..
^^ Mais le Seigneur lui dit :
« Vous autres pharisiens:,
vous nettoyez l'extérieur de la coupe et du plat,
mais votre intérieur est rempli de rapine et de méchanceté.
ficationdes coupes et des plats, a pu suggérer l'idée du: repas, et
l'évangéliste a pu coordounei' ce qui est dit de « l'intérieur' plein dé-
rapine, et de méchanceté » (xi, Sg) avec ce qu'on vient de lire (xi, 35»)
touchant les hommes dont l'intérieur n'est que ténèbres. S'il est parlé:
du « dîner » (àpicTov)^ pour nous ce serait le déjeuner, et non dti' sou-
per, c'est probablement parce que la journée ne sera pas unie avec Ife
discours contre les pharisiens (cf. xii, l), non parce que le repas de
midi était moins important q'ue celui du. soir.
« Mais le pharisien fat étonné de voir qu'il ne s'était, pas latvé
d'abord avant le dîner ». — Ici l'évangéliste exploite la, mise en scène'
de la controverse touchant l'ablution des mains:(Mc. vu, i-23), dont il-
n'a pas gardé la relation détaillée. Le bain avant le repas peut s'en-
tendre des ablutions eoutumières aux pharisiens, le' bain complet,
n'ayant été,- semble-t-il, de rigueur que chez les esséniens (toutelois
notre auteur aurait pu le déduire de Me. vu, 4, dont, il s'inspire en ce.*
endroit) ;, mais, l' ablution des mains (avec le: bain de: pieds ;; cf..
VII, 44) pourrait être censée d'autant plus nécessaire que Jiésus vient
de guérir un démoniaque et de se trouver en contact avec une foule
très mêlée.
« Or le Seigneur », — noter l'emploi dui mot dans ce préambule
artificiel, — « lui dit Wj — comme pour répondre à sa préoccupation!..
Car il n'est pas même insinué que le pharisien ait manifesté en paroica
son étonnement.. Si Matthieu a. modifié surtont par des: additions- lai
teneur du. discours primitif, notre aateur paraît. Uavoir changée par
des. omissions dans le développeraentdes apostrophes, et il a dû faire
aussi des transpositions. Des. sept malédictions que présente Matthieu
notre évangile en retient cinq ; comme il emploie la première en
gjiiise d'exorde, il n'en, aurait plus- que quatre, s'il ne donnait en malé-
diction deux passages qui n'ont pas ce caractère dans Matthieu, parce
q^ue celui-ci, de son côté,, les a utilisés en. exonde. Les deux malédic^
tioHs qu'iUn'a pas (M.ï.xxiii,.i5-22) sont de rédaction secondaire, et il
a pn ne pas les trouver dans le recueil de sentences. Il répartit ses six.
malédictions entre les ■ pharisiens et, les: scribes,, trois. pou,c chaque:
332 LUC, XI, 40-41
*° Insensés !
Est-ce que celui qui a fait l'extérieur
n'a pas fait aussi l'intérieur? ,
^1 Du reste, donnez en aumônes ce que vous pouvez,
et ainsi tout vous sera pur.
groupe, tandis que, dans le premier évangile, pharisiens et scribes sont
apostrophés simultanément. Combinaison artificielle, et l'interven-
tion du docteur (xi, 45), après ^es trois malédictions des phai'isiens,
n'est qu'un moyen de varier la mise en scène par un jeu de dialogue
dont l'évangéliste se sex*t en d'autres endroits (cf. xn, 4ï ; xiv, a5 ;
xvii, 5, 3;j). Les scribes, étant des pharisiens, n'avaient pas besoin
d'être interpellés à part, et le discours vise en général les docteurs du
pharisaïsme, non le vulgaire qui les suit.
(( Vous autres pharisiens, vous nettoyez l'extérieur de la coupe et
du plat». — Dans Matthieu (xxiii, 25), c'est la cinquième malédic-
tion : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que
vous nettoyez l'extérieur de la coupe et du plat » . Notre auteur a pris
l'objet de cette malédiction pour en faire l'exorde du discours, parce
que cet objet pouvait sembler correspondre à la mise en scène. Mais
la combinaison 'n'est pas tellement naturelle qu'on n'en sente l'arti-
fice. Il est évident que la malédiction a été supprimée pour quele com-
mencement du discours ne parût pas trop violent (le vïv du début
est oratoire et ne s'entend pas objectivement au sens de «maintenant»
par rapport aux pharisiens) . — « Mais votre intérieur est rempli de
rapine et de méchanceté ». — Il s'agit, dans Matthieu, de la coupe et
du plat « qui, à l'intérieur, sont remplis par la rapine et par l'ava-
l'ice ». La transposition peut trahir l'influence de Marc (vu, i^-aS). Il
en résulte une certaine confusion dans le discours, car on ne voit pas
. bien si ce qu'on lit ensuite, touchant « ce qui est dedans »,se rapporte
à la conscience des hommes, d'après ce qui vient d'être dit de leur
intérieur, ou au contenu des plats, comme l'entend Matthieu.
« Insensés, est-ce que celui qui a fait l'extérieur n'a pas fait aussi
l'intérieur?)^ — Matthieu (xxiir, a6) : « Pharisien aveugle, purifie
d'abord l'intérieur de la coupe pour que l'extérieur aussi soit pur ».
En interprétant LUc par Matthieu, on pourrait traduire: « Celui qui a
fait l'extérieur » du plat, « n'a-t-il pas fait aussi l'intérieur)), ce qui
est dedans ? Ce qui induirait à entendre la suite : « Mais donnez en
aumônes ce qui est dedans, et tout sera pur ». Eu égard au contexte,
le sens serait plutôt : « Celui qui a fait le dehors », les choses exté-
rieures, vases et aliments, «'n'a-t-il pas lait aussi le dedans », Tinté-
LUC, XI, 42 333
** Mais malheur à vous, pharisiens,
parce que vous dîmez la menthe, la rue et. tout légume,
et que vous négligez la justice et l'amour de Dieu !
[C'est ceci qu'il fallait pratiquer,
sans omettre' cela.]
rieur de l'homme, qu'il importe plus encore de purifier? Pour que
tout, extérieur et intérieur, soit pur, il n'est que de faire aumône de ce
dont on dispose. — a Mais donnez en aumônes ce que vous pouvez »,
— ou bien : « ce qui est dans » le plat (rà àvdvTa) ; mais le premier sens
parait plus recommandé, soit par l'usage, soit par le contexte, où le
« dedans » ne se rapporte pas aux plats, — « et ainsi tout vous sera
pur». — En toute hypothèse, l'évangéliste paraît avoir voulu con-
seiller le dépouillement complet des biens terrestres au profit des
pauvres, après quoi toutes les règles extérieures de pureté légale ne
comptent de rien. Matthieu n'a pas cette finale, et l'on a supposé
une traduction fondée sur une fausse lecture de l'araméen [zakki,
« faire l'aumône ■),âulieu de ûîaMî, « purifier » ; Welliiatjsen, 6i),
dont le sens animait été: « Purifiez l'intérieur, et tout sera pur»,
ce qui se rapprocherait de Matthieu (xxui, 26). Mais l'esprit du rédac-
teur évangélique rend suffisamment compte de cette glose, sans évp-
cation de l'original araméen.
« Mais )). — Ce « mais » (àXXa) est pour introduire les invectives, et
l'artifice en est sensible. — « Malheur à vous, pharisiens, parce que
vous dîmez la nienthe, la rue et tout légume ». — C'est le quatrième
avertissement comminatoire de Matthieu ; mais celui-ci (xxiii, aS) dit
en spécifiant : « la menthe, l'aneth et le cumin ». Notre évangéliste
aura remplacé l'aneth parla rue, et le cumin par les légumes en géné-
l'al. — « Et vous négligez la justice et l'amour de Dieu ». — Matthieu :
« Et vous omettez les choses les plus importantes de la Loi, la justice,
la miséricorde, la bonne foi ». En remplaçant la miséricorde et la bonne
foi par l'amour de Dieu, notre auteur semble avoir voulu rappeler
le double précepte de la chante. S'il a trouvé dans la source la com-
paraison du moucheron et du chameau (Mt.xxiii, 24), il a pu la laisser
de côté parce qu'elle ne satisfaisait pas son goût, — « Or c'est ceci
qu'il fallait pratiquer, sans négliger cela ». - — Omis dans un manuscrit
ancien (ms, D, aussi dans Marcion), et peut-êti'e importé ancienne-
ment de 'Matthieu.
« Malheur à vous, pharisiens, parce que vous aimez le premier
siège dans les synagogues, et les salutations sur les places ». —
18'4 LUC, ,13a, 43-45 '
*^ Malheur à vous, pharasiens,
parce que vous aimez le (premier isiège dans les syTïagogues
et les salutalions sur les places !
** Malheur à vous,
parce que vous êtes comme les tombeaux qu'on "ne voit pas
et sur lesquels les gens passent sans le savoir I »
*^ Or, prenant la parole, un des légistes lui dit :
(( Maître, en disant cela,
c'est aussi nous que lu insultes, n •
Malédiction idiluëe dans le long préambule de Matthieu (xxiii, '6) :
« Ils recherchent ie premier rang dans les repas ». — Neutre auteur a
pu omettre ice trait, qu'il déveloippera plus loin (xtv, 7-11 ; mss. CD,
mss.lat. l'ajoutent ici à la fin du verset, d'après Matthieu), — « le
premier siège», etc. Ge que Matthieu (x:xiii, 7) ajoute : « et d'être
appelés rabbi par les hommes », ne vient probablement pas de source.
« Malheur à vous, parce que vousêtescomme lestombeaux qu'on ne
vioitîpas », — dont on ne soupçonne pas Inexistence, — <( et sur lesquels
les :gens passent sans le savoir ». — Matthieu (xxiii, 27-28) disait beau-
coup plus clairement dans sa sixième malédiction : « parce que vous
ressemblez à des sépulcres blanchis », etc. Notre auteur n'aura su que
faire de cette allusion à une coutume hiérosolymitainé; on peut dou-
ter qu'il ait eu en viae l'impureté rituelle que l'on contracterait invo-
lontairement en marchant sur un tombeau ; il songe plutôt à l'intime
perversité des pharisiens, qu'on ne soupçonnerait pas sous leur inté-
rieur si correct, comme on ne soiupçonne pas la pourriture qui est
datas le tombeau invisible.
« Or, prenant la parole, un des légistes », — ou docteui's de la Loi,.
— «lui dît : « Maître, en disant cela » — pour les pharisiens, dont
nous soim mes, — « tu nous insultes aussi » — avec eux. Artifice
rédactionnel (en rapport avec la répartition des invectives en deux
•séries.
« Et il dit : « A vous aussi, légistes, malheur !» — « Aussi » est en
rapport avec la division des invectives. Gelle qui vient d'abord devait-
être, dans la source, la première, adressée aux « scribes et aux phari-
siens » (cf. Mï.xxni,4). — » Parce que vous imposez aux hommes des
charges accablantes ». — Des fardeaux difficiles à porter ((pooria
oua(3a(TT7.xTiz) ; Matthieu : « ils lient des fardeaux lourds » (tp. ^apsa) et
les mettent sur les épaules des (hommes ». — « Et ne touchez point
vous-mêmes d'un seul de vos doigts à ces fardeaux ». — Matthieu :
LUC, XI, 46-48 335'
^^ Et il dit : « A. vous aussi, légistes, malheur,
parce que vous imposez aux liommes des fardeaux accaMants,
et que vous-même ne touchez )pas id'iun de vos doigts à ces
[fapd-eaux !
*'' Malheur à vous,
parce que vous bâtissez les tombeaux des proplaètes !
Et ce sont vos perdes qui les lont itoés !
*^ Donc vous êtes témoins, et vionas approuviez les actions de
[vos pères,
.puisque ce sont .eux qui les onit itués,
et que" c'est vous qui bâtissez.
« mais ils ne veulent pas les i-emuér du doigt ». Les docteurs savent
se dérober en casuistes à la discipline sévère qu'ils ont eux-mêmes
instituée. .S'il a gardé la forme du. discoui's dii'ect, notre évangéliste
■en <a retouché les termes les plus expressifs .
« Malheur à vous,,pai'ce que vous bâtissez les tombeaux des pro-
iphètes, que vos pères ont tués ». — Ra'ccoui'ci de Matthieu (xxiii, 29-
3o) : « parce que vous bâtissez les sépulcres des pj^ophètes », etc. —
« Donc vous êtes témoins -> — vous-mêmes de la solidarité qui existe,
ipour les crimes que vous rappelez, entre vos pères -et vous,— «et
vous approuv.ez les .actions .de vos pères, puisqu'ils les ont tués et
que vous », — achevant l'œuvre des meurtriers, — « vous bâtissez»,
— lestombeauxde leurs victimes. Fiction oratoire, qui accentue un
peu violemment ce qu'on lit dans Matthieu (sxiii, Si-Saa) : « Si bien
que vous témoignez vous-mêmes être les fils de ceux qui ont tué les
prophètes. A votre tour, comblez la mesure de vos pères ».
C'était dans la soui'ce la dernière malédiction, que complétaient
naturellement le rappel des crimes anciens et la prophétie menaçante
contre .Jérusalem (Mï, xxiii, 34-37). Notre auteur a réparti en deux
endroits les deux pai*ties de cette conclusion, retenant la première
dans le présent discours, sauf à eu amortir l'eflet en la reculant avant
la fin des malédictions, et renvoyant plus loin la seconde partie, pour
servir de commentaire à la parole (xiii, 33) : « IL n'est pus possible
qu'un prophète périsse hors de Jérusalem». Cette combinaison arti-
ficielle a été occasionnée par la transposition du discours : Jésus ne
pouvait apostropher Jérusalem étant à table chez un pharisien eu un
lieu quelconque de la Galilée ou de la Judée sur les confins de la
Samaiùe^ Déjà môme la prophétie menaçante qui suit le rapi^el des
crimes (xi, 5i) vient ti'ès mal dans notre discours, nonobstant le cor-
336 LDC, xr, 49-51
**> C'est pourquoi la Sag:esse de Dieu aussi dit:
« Je leur enverrai prophètes et apôtres,
et ils en tueront et persécuteront,
^^ afin que soit demandé compte du sang de tous les prophètes,
répandu depuis la fonda,tion du monde,
à cette génération,
51 depuis le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie,
tué entre l'autel et le temple.
Oui, je vous dis,
compte en sera demandé à cette génération.
rectif qui l'ésulte de l'encadrement, Cependant, si notre évangéliste»
a découpé la prophétie, il paraît avoir conservé la formule d'intro-
duction qu'elle avait dans la source.
« C'est poui-quoi aussi la Sagesse de Dieu a dit ». — La conclusion
se détachait assez naturellement du discours, non pas peut-être comme
une citation (hypothèse encore admise par Bultmann, 69; E. Meyer,
1,34, la combat, mais attribue à Luc la formule d'introduction : « c'est
pourquoi la Sagesse de Dieu a dit », qui aurait été dérivée des
« sages » mentionnés dans la source), mais comme un oracle particu-
lièrement significatif, prononcé au nom du Christ, Sagesse de Dieu, ou
interprète autorisé de cette sagesse, parle prophète chrétien qui, dans
les invectives contre les pharisiens, imitait déjà les anciens oracles.
Notre évangéliste entend bien que la Sagesse de Dieu est le Christ lui-
même (le ms. D ne retient que : « c'est pourquoi », mais ce peut être
par influence de Mt. xxni, 34, et à cause de l'embarras que fait
l'apparence de citation). — « Je leur enverrai prophètes et apôtres ».
— Matthieu : « Voici que je vous envoie prophètes, sages et scribes ».
Ces termes désignent en termes pris de l'usage juif les personnages
chrétiens investis des divers charismes d'enseignement. Notre évan-
géliste paraît avoir été effarouché de cette terminologie juive, et, pour
être plus clair, il substitue les apôtres aux « sages» et aux « scribes ».
C'est l'influence de la soui'ce qui lui a fait mettre les prophètes en
premier lieu ; car il n'a guère pu viser dans ce discours de Jésus les
prophètes de l'Ancien Testament. — « Et ils en tueront, et persécu-
teront )). — Matthieu ; « Vous tuerez les uns et les crucifierez », etc.,
semble être une paraphrase.
« Afin que soit demandé compte à cette génération du sang de tous
les prophètes qui a été répandu depuis la fondation du monde ». —
Matthieu (xxtit, 35) : « Afin que retombe sur vous tout le sang inno-
LUC, XI, 82 337
" Malheur à vous, légistes,
parce que vous avez pris la clef de la science 1
Vous-mêmes n'êtes pas entrés^
Et ceux qui entraient, vous (les) avez empêchés. »
cent qui a été répandu sur la terre ». — « Depuis le sang d'Abel », —
Matthieu : « du juste Abel », — « jusqu'au sang de Zacharie, qui
périt enti'e l'autel et le temple », — Matthieu : « Jusqu'au sang de
Zacharie fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et
l'autel ». — (( Oui, je vous dis, compte en sera demandé à cette géné-
ration ». — Matthieu (xxiu, 36) : « En vérité je vous dis, tout cela
viendra sur cette génération » , Les meurtres commis sur la terre
se trouvent compris entre le premier meurtre signalé dans la
Bible, celui d'Abel, et le . dernier, celui du prêtre Zacharie fils
de Joïada (c'est par un lapsus ou une glose erronée qu'on le dit dans
Matthieu fils de Barachie, d'après Zagh. i, i, ou Is. vrn, 2) raconté
à la fin de la Chronique (II Chron, xxiv, 20-22). Certains critiques
(HoLTZMANN, 282 ; Wbllhausen, Mat. iig-i2i) avaient pensé qu'il
pourrait être question de Zacharie fils de Baruch, personnage qui
fut tué par les zélotes dans la cour du temple, au commencement
du siège de Jérusalem par les Romains (Josèphe, Bell.jud. IV,
5, 4)- Hypothèse superflue (bien que relevée récemment par
E. Meyer, loc, cit., qui s'en sert pour dater la rédaction des Logia):
un prophète chrétien n'avait aucune raison de mettre le meurtre du
fils de Baruch sur le même plan que celui d'Abel. 11 peut être peu
naturel et rabbinique de présenter le meurtre du fils de Joïada comme
le dernier crime des Juifs ; mais il n'est pas plus naturel de leur
imputer le meurtre d'Abel. 11 s'agit, en réalité, d'une vue apocalyptique,
où la ruine de Jérusalem est présentée comme le juste châtiment des
Juifs, meurtriers des prophètes, du Christ et de plusieurs apôtres, et
qui ont payé ainsi pour tous les meurtres commis sur la terre.
({ Malheur à vous, légistes, parce que vous avez pris la clef de la
science ». — C'est, dans Matthieu (xxiii, i3), la première malédiction :
« Mais malheur à vous, .scribes et pharisiens hypocrites, parce que
vous'fermez le royaume des cieux devant les hommes «. Notre auteur
aura pu trouver que la formule : « Vous fermez le royaume de Dieu »
attribuait trop de pouvoir aux scribes, ou ne définissait pas clairement
leur péché, et il entend que les docteurs juifs « ont dérobé la clef de
la science », soit en faussant l'esprit de la Loi, soit plutôt en interpré-
tant à faux les Ecritures. Mais la suite, où il est question d'entrée,
A. LoisY. — L'Evangile selon Luc. aa
388 LUC, XI, .53
^^ Et quand il fut sorti de là,
Les scribes et les pharisiens commencèrent à être terrible-
[ment faciles
et à lui poser beaucoup de questions,
lui tendant embûches^
afin de surprendre quelque mot de sa bouche,
s'entend mieux par rapport au royaume que par rapport à la seience.
— « Vous-mêmes n'êtes pas entrés, et vous avez empêclié ceux qui
entraient», — ceux qui sans vous auraient pu accepter le messag-e
évangélique. Matthieu : « car vous n'entrez pas, et vous ne laissez pas
entrer ceux qui voudraient » . C'est avec réflexion que notre auteur a
voulu terminer le discours par cette menace, à laquelle se rattache
(xj, 53) un jugement d'ensemble sur l'attitude des pharisiens a l'égard
de l'Evangile. Par là il refoulait dans le corps de l'instruction l'an-
nonce du châtiment final et masquait en partie l'incohérence qui
résulte de la transposition du discours ; en mêmeiempsil reliait tant
l)îen que mal le discours transposé à ce qu'il avait Kntention de dire
touchant l'hypocrisie des pharisiens et la publication du mystère que
les pharisiens n'avaient pas voulu comprendre.
« Et quand il fut sorti de là », — de chez le pliarisien où il avait
déjeuné. C'est la leçon des meilleurs manuscrits; mais beaucoup de
témoins (mss, AD etc. Ss. Se. mss, lat.) lisent : « 'Or, comme il
disait ces choses devant tout le peuple », leçon qui cadre mal avec la
mise en scène du discours, mais qui s'accorderait assez bien avec ce
qui suit (xu, i). Toutefois, si l'on peut supposer que la leçon la plus
autoi'isée pourrait être une correction suggérée pour l'accord avec la
mise en scène, on peut tout aussi bien admettre que la variante a été
inspirée par ce qui suit et par Matthieu(xxiii,T). — « Les sci'ibes et
les pharisiens commencèrent à le presser vivement et à lui poser
beaucoup de questions ». — Ce n'est pourtant pas la semonce qu'ils
viennent de recevoir qui pouvait les y encourager. — ■ « L'épiant, afin
de surprendre quelque mot de sa bouche ». — Yariante (ms. D) : (des
pharisiens et les légistes », — ceci correspond bien à la division du
discours, — « se mirent à être fâchés et à disputer avec lui sur beau-
coup de choses, tâchant d'avoir de lui matière où ils trouveraient de
quoi l'accuser ». Tout cela est encore pour masquer la transposition
et préparer les discussions ultérieures avec les pharisiens.
LUC, xiî, i 339
''"Sur quoi, la foule s'étant amassée à myriades,
au point que l'on s'écrasait,
il se mit à dire, à ses diseiples d'afeord :
« Gardez -vous du levain,
c'est-à-dire de l'hypocrisie, des pharisiens.
XLVIII. Avertissement et encouragements aux croyants
A ce discours contre les pharisiens se rattache artificiellement un
discours non moins artificiellement construit : la parole du Christ sur
le levain des pharisiens (xii, i ; Me .; vni, i5) introduit l'exhortation à
confesser courageusement l'Evangile et le nom de Jésus (xrt, a-id),
empruntée au recueil de sentences (Mt. x, 26-33; Me. m, 28-29;
Mt. X, 19-20); suit une instruction sur le désintéressement à l'égard
des biens terrestres, dont une partie (xtr, i3-2i) est propre à notre
évangile, et le reste (xtt, 23-34) l'ii 6st commun avec Matthieu (vi, 26-
33, 20-21); après quoi viennent des conseils de vigilance en vue du
grand jugement (xTT> 35-59), qui ont, pour une grande partie (xir, 36-
46, 54-56, 58-59), leurs parallèles dans le premier évangile (Mt. xxrv,
42-5i; XXV, i-i3; x, 34-36; xvt, 2-3; v, 25-26).
Gomme si ce nouveau discours avait réclamé un changement de la
mise en scène, on lit d'abord: — « Sur quoi les myriades de la foille
s' étant amassées au point que l'on s'écrasait ». — Variante (ms D,
mss. lat,): « Or, beaucoup de foules s'assemblant à l'entour, au point
que l'on s'étouffait ». — « Il se mit à dire, d'abord à ses disciples ». —
Le discours, bien que tenu devant la foule, est adressé aux disciples,
parce que les. sentences dont on l'a formé s'adx'essent en réalité à
des croyants. A raison de cette disposition, le mot « d'aboi'd »
(upâ-rov) peut se l'attacher à la formule d'introduction, pour signi-
fier que le discours s'adresse principalement aux disciples, ce qui
trahit l'artifice de la combinaison rédactionnelle. N'était le rythme,
on pourrait peut-être l'adjoindre au conseil qui suit {Klostek-
MANN, 49^) '• « Avant tout, — gardez-vous du levain des Phari-
siens ». — C'est sur ce. mot de « pharisiens » que se fait la transition
du précédent discours à celui-ci. Marc {loc. cil.) ajoutait « le levain
d'Hérode » à celui des pharisiens, et Matthieu (xvr, 6) y amenait les
sadducéens. Notre évangéliste a pu trouver dans le recueil de sen-
tences la réflexion sur le levain des pharisiens associée à d'auti^s
paroles concernant les mêmes personnages, et sans le commentaire
340 . LUC, xîi, 2-3
2 Mais rien n'est caché qui ne doive être découvert,
ni secret qui ne doive être connu.
' C'est pourquoi tout ce que dans l'obscurité vous aurez dit
à la lumière sera entendu,
et ce qu'à l'oreille vous aurez prononcé, dans les chambres^
sera prêché sur les toils.
narratif de Marc; il^ura préféré cette relation plus comHe parce-
qu'elle ne jetait aucun discrédit sur les apôtres. La glose : — « qui
est hypocrisie », — vient de liii ou de sa source immédiate. Gomme
elle est gauchement placée dans certains manuscrits (B L, où elle
vient avant : « des pharisiens »), on pourrait la soupçonner d'avoir
été ajoutée ^près coup; mais elle paraît indispensable pour la tran-
sition, et elle est dans l'esprit de la sentence.
L'hypocrisie pourrait être avantageuse si'elle n'était bientôt démas-
quée. — « Mais rien n'est caché quine doive être découvert, ni secret
qui ne doive être connu. » — Proverbe vulgaire, dont Jésus, si ce.
n'est plutôt la tradition, aura voulu faire application à la foi évangé-
lique. Car il ne s'agit pas, en réalité, de mettre les disciples en garde
conti'e les pharisiens, mais de les rassurer sur l'avenir de leur foi, —
« C'est pourquoi tout ce que vous avez dit dans l'obscurité sera-
entendu à la lumière ». — Matthieu (x, a;;): « Ce que je vous dis dans
l'obscurité, dites-le à la lumière ». C'est la leçon de la source. Notre
évangéliste n'aura pas voulu que Jésus eût enseigné dans le secret,,
et il aura pensé aussi que la prédication des premiers disciples n'avait
pas eu tant d'éclat, la publicité de l'Evangile n'étant venue que plus
tard, si tant est qu'elle ne soit pas réservée à l'avenir. — « Et ce que
vous avez prononcé à l'oi'eille, dans les chambres », — littéralement
« les celliers » (cf. xu. 24)1 — « sera prêché sur les toits ». — Matthieu;
« Et ce que vous entendez à l'oreille, prêchez-le sur les toits ». Se
rappeler que les toits en terrasse, où l'on converse entre voisins, sont
fort bien adaptés à l'usage qu'on en veut faire ici. La recommanda-
tion de n'avoir pas peur se trouve d'ailleurs moins bien amenée dans
notre texte, les disciples n'ayant pas besoin d'un si grand courage
pour prêcher dans les maisons particulières.
« Or je vous dis, à vous mes amis ». — Reprise rédactionnelle
(cf. VT, 27), qui semble ti'ahir la préoccupation de rentrer dans la
perspective historique du discours, qu'a débordée la sentence précé-
dente. — « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, et, après cela,
n'ont quoi faire en plus ». — Matthieu (x, 28): « Et ne craignez pas
LUC, xir, 4-7 341
* Or je dis à vous, mes amis :
ne craigrnez pas ceux qui tuent le corps^
et après cela ne peuvent rien faire de plus.
^ Mais je vous montrerai qui vous devez craindre :
craignez celui 'qui, après avoir tué,
à pouvoir de jeter en la géhenne.
Oui, vous dis-je, craignez celui-là.
^ Est-ce que cinq passereaux ne se vendent pas deux liards ?
Et pas un d'eux n'est oublié devant Dieu.
^ Mais même les cheveux de votre tète sont tous comptés.
Ne craignez pas ;
vous valez mieux que nombreux passereaux.
«eux qui peuvent tuer le corps, mais ne peuvent tuer l'âme ». La
locution: « tuer l'âme » aura déplu à notre auteur. — « Mais je vous
montrerai qui vous devez craindre ». — Remplissage oratoire (cf. vi,
47). — « Craignez celui qui, après avoir fait mourir, a pouvoir de
jeter en géhenne », — Redressement de la source (Mt.): « Mais crai-
gnez plutôt celui qui peut perdre et l'âme et le corps en géhenne. »
Les formules ont été corrigées dans notre évangile en vue d'une
anthropologie et d'une eschatologie particulières : notre auteur n'aura
pas voulu laisser entendre que le mort, avant la résurrection, soit
une âme sans corps, que les pécheurs n'aillent pas en enfer avant
le jugement dernier, qu'ils doivent être détruits corps et âme dans
le feu de la géhenne; le pécheur est tourmenté en enfer dès qu'il a
quitté ce monde, et le juste va en paradis (cf. xvt, as-aS; xxni, 43)- —
« Oui, vous dis-je, craignez celui-là. » — Addition oratoire, comme
celle qui commence cette phrase .
. « Est-ce que cinq passereaux ne se vendent pas deux liards ? » —
Matthieu (x, 29) : « Est-ce que deux passereaux ne se vendent pas un '
liard ?» Le changement des chiffres paraît imputable à notre auteur,
et n'a pas dû être fait par égard pour le prix courant des passereaux
dans son milieu, mais simplement pour l'équilibre rythmique du
discours. — « Et pas un d'eux n'est oublié devant Dieu ». — C'est-à-
dire « par Dieu », mais « devant » atténue l'anthropomorphisme.
Matthieu: « Et pas un d'eux ne tombe à terre malgré votre Père. »
C'est donc toute la formule qui a été corrigée dans Luc (sauf « votre
Père », qui est de Matthieu). — « Mais môme les cheveux de votre
tête ont tous été comptés ». — Matthieu (x, 3o): « sont tous comp-
tés. » — (( Ne craignez pas ». — Matthieu (x, 3i): « Ne craignez donc
342; LUC, xïï, 8-10
^Orje vous dis,
quiconque aura fait confession àe moi devant les hommes,
le Fils de l'homme anssi fera confessioîi de lui devant les-
[anges de Dieu ^
8 mais celui qui m'aura renié devant les hommes
sera renié devant les anges de Dieu.
" Et quiconque dira parole contre le Fils de l'homme,
il lui sera pardonné ;
mais à qui aura blasphénié contre le saint Esprit
il ne sera point pardonné.
pas. w — « Vous valez mieux que plusieurs passereaux. » — La cor-
rection: « vous l'emportez de beaucoup (-noXXô, au lieu de ttoXXwv) sur
les passereaux », suggérée par plusieurs, ne s'impose pas.
Le Christ n'oubHera pas ceux, qui auront souffert pour lui. — « Or
je vous dis, quiconque fera confession de moi devant les bomimes». —
Matthieu (x, Sa) : « Quiconque donc fera confession dg moi devant
les hommes ». — Notre auteur ajoute ; «je vous dis », pour le reHef
de la nouvelle sentence. — « Le Fils de l'homme aussi fera confes-
sion de lui devant les anges de Dieu », — Matthieu : « Je. ferai, moi
aussi,, confession de lui devant mon Père qui est aux cieux ». La
source disait « je », comme Matthieu, et « le Fils de l'homme » est
mis ici pour L'emphase messianique du discours. En revanche, la
soui'ce nommait « les anges », pour éviter le nom de « Dieu » (Da.l-
MAN, Die Worte Jesu, Ï,i6i,,i7a),que notre texte y ajoute, et Matthieu
y aura substitué « le Père qui est aux cieux ». — a Mais celui qui me
reniera devant les hommes sera renié devant les anges de Dieu ». —
Matthieu (x, 33) : « Mais quiconque me reniera devant les hommes,,
je le renierai, moi aussi, devant mon Père qui est aux cieux ». « Je le
renierai » est la leçon de la source.
Suit, un peu inattendue, la parole sur le blasphème impardonnable.
— « Et quiconque dira parole contre le Fils de l'homme, il lui sera
pardonné ». — Matthieu (xii. Sa) : « Et qui dit parole contre le Fils
de l'homme, elle lui sera pardonnée » : ce qui serait à entendre de
l'incrédule ignorant. Eu égard à ce qui précède, on pourrait supposer
que le reniement du Christ (xn, 9) est précisément le blasphème
contre l'Esprit, mais commis par le croyant, le péché dont il est dit :
— « Mais à qui blasphème contre le saint Esprit, il ne sera point par-
donné », — Matthieu : « Mais qui dit (parole) contre l'Esprit saint,,
elle ne lui sera pai'donnée ni en ce monde ni en l'autre » . Les derniers
LUC, xri, 11-12 M$ ■
1^ Mais quand on vous amènepa devant Ifls synag;^og'U'es, les
[mag-istrats et les aulOFilés.
ne vous inquiétez pas pour la façon dont vous défendrez,
ni de ce que vous direz ;
^* car le saint Esprit vous enseignera,
dans le moment môme, ce qu'il faut dire. »
mots sont de Matthieu, où il s'agit de ceux q,ul nient l'action de
l'Esprit dans l'oeavre du Christ, l'expulsion des démons. En interpré-
tant ici la sentence par rapport à ce qui suit, le blasphème serait
plutôt celui des adversaires, insulteurs de l'Esprit qui parle par la
bouche des croyants. Â.insi comprise la sentence viendrait m'ieucs un ^,
peu plus loin (après xii, 12). En toute hypothèse le rapport des
sentences est artificiel, et le compilateur du présent dfecou'rs- s'est
guidé sur la symétrie extérieure des sentences touchant la confession
que le Fils de l'homme récompense de son areu, le reniement qu'il
punit, et la parole injurieuse qui peut être pard'onnée, le blasphème
qui ne le sera pas ; on peut même soupçonner que le Fils de l'homme
a été introduit d'ans la première sentence (xit, 8) pour accentuer' la
correspondance verbale. Tout cela, d'ailleurs, paraît conçu' en regard
des persécutions subies par le christianisme naissant.
Les croyants seront assistés dans leur confession courageuse, -^
« Or, quand on vous amènei^a devant les synagogues, les autorités
et les puissances » . — Abrégé de ce qu'on lit dans Matthieu (x, 1 7-18),
où il est parlé de « tribunaux » et de « synagogues », de « gouver-
neurs )) et de « rois ))^ C'est que la même instruction reviendra plus
loin (xxi, 12-17, ig), d'après Marc (xiii, g-iS). — « Ne vous inquiétez
pas de la façon dont vous vous défendrez ». — La plupart des
témoins lisent : « Gomment ou par quoi (rtoç -q ti) vous vous défen-
drez )) ; mais quelques-uns (cns. D, mss. lat. Se) n'ont que « com-
ment » ; et « ou quoi », suggéré peut-être par Matthieu (x, 19),
fait répétition fâcheuse devant : — a Ni de ce que vous direz d. —
Sans doute y a-t-il quelque subtilité à dire (avec J. Weiss-Bousset, 5^4)
que le lettré Luc se montrerait ici non moins soucieux de la forme
que du fond de l'apologie ; car le « comment » vise aussi bien, en
général, les moyens de défense, que le « par quoi)) viserait en détail.
— « Car le saint Esprit vous apprendra en cette heure ce qu'il faut
dire ))". — Cette partie principale de la sentence résume également
Matthieu (x, 19-20). L'Esprit qui assistera les disciples se trouve être
celui que leurs ennemis ont blasphémé en en méconnaissant la pré-
344 LUC, XII, 13-16
^3 Or quelqu'un de la foule lui dit : « Maître,
dis à mon frère de partager avec moi l'héritage. »
ï* Mais il lui dit : « Homme,
qui m'a institué juge' ou arbitre sur vous ? »
15 Et il leur dit :
« Voyez à vous garder de toute avarice ;
car la vie d'un homme dans l'abondance
ne dépend pas de ce qu'il possède. »
" Et il leur adressa parabole, disant :
(c A un homme riche sa terre avait rapporté beaucoup ;
sence et l'action dans les fidèles du Christ. On peut croire que le
rédacteur de notre disccMirs, comme celui de Matthieu, avait rencontré
cet avertissement avant la sentence relative au secret qui doit être
connu (xu, 2-9), mais que le cadre qu'il a créé pour le discours, et la
mention de l'hypocrisie pharisaïque l'ont induit à faire une transpo-
sition ; pour rattraper ce qui a été dit de l'Esprit qui assistera les
disciples (xu, 11-12), il a inséré la sentence relative au Blasphème
contre l'Espiùt saint, sans se soucier autrement de l'incohérence qu'il
introduisait par là dans le discours.
XLIX. Sur les biens de ce monde
Une brève anecdote (xu, i3-i4) sert à amener lapai^abole du Riche
insensé (xii, i5-2i), particulière à notre évangile, et les sentences
concernant le désintéressement (xu, 22-34)- On dirait que le précé-
dent discours est interrompu par un individu qui s'aviserait de solli-
citer l'intervention de Jésus dans une alfaire particulière. — «Or
quelqu'un de la foule lui dit : « Maître, dis à mon frère de partager
avec moi l'héritage». — Mise en scène plus que vague, sous une appa-
rence de précision. L'on dit que le recours à une autorité religieuse
pour l'accomodation de litiges d'ordre temporel est chose coutumière
en Orient (WELJUHA.USBN, 64), et l'on suppose que le Irère en question
pouvait être un aîné qui refusait à son cadet la part légitime de celui-
ci dans la succession paternelle (cf. Deut. xxr, 15). — « Et il lui dit :
« Homme (cf. xxn, 58, 60), qui m'a établi juge et arbitre sur vous?» —
Le Christ ne veut pas se mêler de ces intérêts matériels, et il décline
la requête avec un suprême dédain. Quant à la forme, la réplique,
s'inspire d'un passage de l'Exode (n, i4). L'anecdote pourrait bien
LUC, xri, 17-19 345
1' et il réfléchissait en lui-même, disant :
« Que ferai-je ? Car je n'ai pas où loger mes récoltes ? »
18 Et il dit :« Je ferai ceci :
j'abattrai mes greniers,
et de plus grands je bâtirai,
et j'y amasserai tous rnes produits et biens.
1^ Et je dirai à mon âme :
« Ame, tu as beaucoup de biens
en réserve pour beaucoup d'années ;
repose-toi, mange, bois, réjouis-toi. «
avoir été simplement inventée pour servir d'introduction à la para-
bole qui suit.
« Et il leur dit». — C'est à lafobleque va s'adresser la leçon contre
l'avarice, et non spécialement aux disciples, comme l'instruction pré-
cédente et celle qui suivra. — « Voyez à vous garder de toute ava-
rice ». — L'évangcliste donne à entendre que l'homme qui réclamait
sa part d'héritage était un avare, et qu'il aura fourni à Jésus l'occa-
sion de prémunir son auditoire contre l'avarice. Mais l'homme est
censé avare tout simplement parce qu'il avait souci de biens ter-
restres. — « Car la vie d'un homme dans l'abondance ne dépend pas
de ce qu'il possède ». — L'abondance des biens ne garantit pas la
prolongation de l'existence, encore moins la vie étei'uelle. Réflexion
banale, gauchement présentée. La parabole, qui s'inspire de l'Ancien
Testament (cf. xir, i6, et Ps. xltx, 19-20 ; xix, 17-19, et Ecgli. xt,
18-19, hébr. ; xii, ao, et Sag. xv, 8), n'a guère plus d'originalité.
« Et il lenr adressa une parabole, disant : « D'nn homme riche la
terre avait beaucoup rapporté ». — Il s'agissait de loger cette abon-
dante récolte. — u Et il réfléchissait en lui-même, disant : « Que
ferai-je ? Car je n'ai pas où loger mes produits ?» — Notre homme
ne songe qu'à en tirer parti pour lui-même. — « Et il dit ». — La
reprise donne à supposer que l'homme, après quelque perplexité, se
décide pour. ce qu'il croit lui être le plus avantageux. — « Voici ce
queje ferai: j'abattrai mes greniers et j'en construirai de plus grands».
— Au lieu de la reprise, un témoin ancien (Ss.) paraphrase : « Il faut
que j'abatte mes greniers, queje les rebâtisse et les agrandisse ». —
« J'y amènerai mes produits et tous mes biens ». — L'homme estime
qu'après cela il pourra se donner du bon temps. — « Et je dirai à mon
âme ». — C'est-à-dire (< à moi-même ». Façon de parler volontaire-
ment hébraïsante. 11 y a quelque subtilité à dire que l'àme est inter-
346 Lnc, xir;„ âO-âl
20 Mais Dieu lui dit :
« Insensé, cette nuit même,
Ion âme on te redemande ;
ce que tu as préparé, à qui sera-ce ?»
•1 Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même
et qui n'est pas riche vers Dieu. »
pellée comme principe de la vie végétative et sensitive, ou que
l'homme s'adresse à son moi jouisseur. — « Ame, tu as beaucoup de
biens en réserve, pour beaucoup d'années ». — Voilà des provisions
pour longtemps. — «Repose-toi». — On pourrait songer au repos
qui va compenser les fatigues de la moisson, mais il s'agit plutôt de
se mettre à l'aise, de s'asseoir ou de s'étendre pour le repos. —
(I Mange, bois, réjouis-toi ». — Quelques témoins (ms. D', rass lat.).
lisent seulement : « Tu as beaucoup de biens, réjouis-toi />. Le texte
plus long pourrait être inspiré de rEcclésiaste (viii, iS; cf. Tob. vit,
lo), ce qui, dans cette parabole, ne serait pas un argument contre
l'authenticité du passage. Le riche annonce l'intention de couler une
vie douce.
« Mais Dieu lui dit ». — Les choses se passent comme si Dieu lui
disait, ou bien plutôt Dieu est censé lui signifier, en songe ou autre-
ment, dans l'a nuit, ce qu'on va lire. — « Insensé ». — Le riche est
fou et impie, en oubliant qu'il est perpéluelleraent dans la miain de
Dieu. — « Cette nuit même on te redemandera ton âme ». — On ne
dit pas qui réclamera la vie de l'homme ; ce ne peut être que Dieu, en
la façon qui lui plaira, et il ne paraît pas nécessaire de faire inter-
venir spécialement les anges de la mort; en tout cas, il ne s'agit point
d'un vulgaire assassin. — « Et à qui sera ce que tu as préparé? » —
Pas au mort, certainement. La rniit où est signifié l'arrêt de moiii
n'est pas celle qui suit le monologue du propriétaire, mais celle qui
vient après- raccomplissement d'es projets énoncés dans ce mono-
logue, a moins que, dans la. perspective un peu flottante de cette
médiocre parabole, la réponse de Dieu ne traite les projets du riche
comme s'ils étaient réalisés. On nepeut pas se dissimuler que le récili.
manque de consistance et de précision; La vraie morale de l'histoire
est que l'homme propose et Dieu dispose ; celui qui voulait tant jouir
de son bien accumulé n'en profitera pas, parée que Dieu lui interdit
le lendemain..
« Ainsi est celui qui thésaurise pour lui-même et qui n'est pas- riche
vers Dieu ». — Tel est le sort de quiconque amasse pour soi (aûrcô),.
lire, xir, 22-26 »47
'•'- Et il dit à ses disciples :
« C'est pourquoi je vous dis : •
ne vous inquiétez pas, pour la vie, de'ce que vous mangerez,
ni, pour le corps, de ce que vous revêtirez ;
■^ car la vie est plus que la nottrciture,
et le corps que lé vêtement,
"* Considérez les corbeaux :
ils ne sèment ni ne moissonnent,
n'ayant ni cellier ni grenier,
et Dieu les nourrit.
Combien plus valez-vous que les oiseaux !
*^ Qui d'entre vous, par soins,
peut ajouter à son existence une coudée ?
Si donc la. moindre" chose vous ne pouvez,
pourquoi du reste vous inquiéter ?
égoïstement, et qui ne s'enrichit pas auprès de Dieu (elçOeôv). « Vers
Dieu» ne signifie pas « au jugement de Dieu», en biens que Dieu
aurait pour agréables ; ni « pour Dieu », à son profit et dans son inté-
rêt, vu que le bon usage[de& biens terrestres ne constitue pas un
avantage à Dieu ;, ni en prenant Dieu pour fin, ce qui est de trop
haute métaphysique pour l' é van g.é liste; il s'agit plutôt d'un trésoi?
constitué auprès de Dieu par et paur celui qui distribue des biens en
aumônes (cf. xii, 33-34)' Ce n'est pas la morale qui résulte directement
de la parabole^ mais L'idée est dans l'esprit de notre évangile et fait
transition de la parabole à ce qui suit. Si le raccord est un peu gauche,
c'est que le thème de la parabole a été emprunté et que la transition
viehtdu rédacteurévangélique. L'omission de ce verset dans quelques
témoins (ms. D, et deux mss. latins) ne semble pas un argument
décisif couti'e sou authenticité. C'est grâce à lui que la parabole prend
un sens chrétien;, par elle-même ce n'est qu'un thème de vieille sagesse
orientale (cf. Eggli. xi, 18-19, et le récit des Mille et une nuits cité
par BuLTMANN,, 128).
,« Or il dit à ses disciples ».. — Changement d'auditoire, parce que
la leçon qui suit, empruntée au l'ecueil de sentences, est présentée
comme explication, pour les disciples seuls, de la parabole précé-
dente. Transition artificielle, sur cette idée, que, le riche s'étant trouvé
mal de s'attacher à ses biens, l'eu ne doit pas avoir souci de sa subsis-
tance. — « C'est pourquoi je "vous dis »■. — La formule de liaison se
troave ainsi avoir un autre sens que dans le premier évangile (vi, aSj.
348 LUC, xii. 27-31
2' Considérez les lis ;
comme quoi ils ne filent ni ne tissent ;
or, je vous dis,
même Salomon, dans toute sa magnificence,
n'était pas vêtu comme l'un d'eux.
28 Mais, si c'est la plante, aujourd'hui dans les champs
et demain au four jetée,
que Dieu habille ainsi,
combien plutôt vous, gens de peu de foi !
2" Vous non plus, ne vous demandez pas
ce que vous mangerez ou ce que vous boirez,
et ne vous en inquiétez pas ;
^o car c'est de tout cela que les Gentils du monde se préoccupent ;
mais voire Père sait que vous en avez besoin.
3^ Seulement, cherchez son royaume,
et cela par surcroît vous sera donné.
— « Ne vous inquiétez pas, pour la vie », — Matthieu : « pour votre
vie », — (( de ce que vous mangerez, ni pour le corps », — Matthieu :
(( votre corps », — « de ce dont vous vous habillerez. Car la vie est »,
— Matthieu : « La vie n'est-elle pas » — « plus que la nourriture, et
le corps, que le vêtement. Considérez les corbeaux». — Matthieu
(vi, 26) ; (( Regarde/ les oiseaux du ciel ». Les corbeaux de Luc pour-
raient venir de Job (xxxviii, 3i; cf. Ps. cxlvii, 9) et ils ne sont pas
cités ici par préférence, comme plus négligents que d'autres oiseaux.
Les (( oiseaux » se retrouveront à la fin du verset, -r « Ils ne sèment
ni ne moissonnent, n'ayant cellier ni grenier ». — Matthieu : « ni
n'amassent en greniers ». — « Et Dieu », — Matthieu : « votre Père
céleste », — «les nouriût. Combien valez-vous plus que les oiseaux? »
— Matthieu : « Ne valez-vous pas plus qu'eux ?» — « Et qui d'entre
vous peut», etc. — « Si donc vous ne pouvez pas la plus petite chose ».
— Formule de remplissage, qui manque dans Matthieu; mais il est
évident que notre auteur entend de l'âge ou de l'existence ce qui
vient d'être dit du rallongement ; car une coudée ne serait pas peu de
chose comme surplus à la taille d'un homme. - — « Pourquoi vous
inquiétez-vous du reste ? » — Matthieu (vi, 28) : « Du vêtement aussi
pourquoi vous inquiéter ? » fait meilleure transition à ce qui suit.
(( Considérez les lis». — Matthieu: « Remarquez les lis desc'uamps,
comment ils croissent.» — « Ils ne filent ni ne tissent ». — Matthieu :
« ils ne travaillent ni ne filent n. — « Or, je vous dis, même Salo-
LUC, XII, 32 349-
^2 Ne crains pas, pelit troupeau ;
car il a plu à voire Père
de vous donner le royaume.
;
mon », etc. « Vous non plus ne vous demandez pas ce que vous man-
gerez ni ce que vous boirez, et ne vous en tourmentez pas », — Mat-
thieu (vi, 3i) : « Ne soyez donc point en peine, disant : « Que mange-
rons-nous ? » ou: « Que boirons-nous? » ou: a De quoi nous
habilierons-nous ? » Développement plus régulier de la sentence. —
« Car c'est de tout cela que les païens du monde », — Matthieu (vi,
3q): « les païens », et notre auteur ajoute inutilement : « du monde »,
pour le rythme de la phrase, plutôt que par imitation du langage rab-
binique ( Dalman, 1,i44)> — *' se préoccupent. Mais votre Pèresaitque
vous en avez besoin » — Matthieu : n Car votre Père céleste sait que
vous avez besoin de tout cela ». — « Seulement, cherchez son royau-
me. » — Matthieu (vi, 33): « Mais cherchez premièrement son royaume
et sa justice ». La source ne parlait pas « de justice», — « Et cela vous
sera donné par surcroît ». — Matthieu : « Et tout cela », etc. Si l'on
veut que la recherche modérée de ce qui est nécessaire à la vie ne soit
pas condamnée ici, on devrait reconnaître au moins qu'elle est sim-
plement ignorée comme condition indispensable de l'existence. Mais
on nous assure (Lagrange, 364) qu^ Dieu nourrit beaucoup de chré-
tiens qui «cherchent le règne de Dieu sans se proposer, de gagner leur
vie». Il serait plus expédient de noter que la recommandation, si
pénétrée qu'elle soit de mysticisme, n'est pas spécifiquement évangé-
Uque, étant conçue sans rapport direct avec le grand avènement.
Afin d'amener ensuite l'instruction sur la façon de se faire par
l'aumône un trésor dans le ciel (xii, 33-34), l'évangéliste introduit de
son chef une exhortation à la confiance en Dieu pour la rémunération
finale. Combinaison artificielle, qui réunit en un seul discours des
éléments primitivement indépendants, mais dont on peut supposer
qu'ils voisinaient dans la source. La crainte contre laquelle Jésus est
censé prémunir ses disciples n/est plus l'inquiétude pour les besoins de
la vie, et ce n'est pas davantage la terreur des persécutions (xii, ^-'j),
mais c'est l'incertitude où les disciples pourraient être touchant leur
participation auroyaume. La transition se fait donc plutôt sur l'idée
du prochain royaume que sur celle de la crainte. — a Ne crains pas,
petit troupeau ». — Les croyants sont un troupeau dont le Christ est
le pasteur (cf. Mt. xxvi, 3i) ; le troupeau est petit en nombre et parla
faiblesse apparente de ceux qui le constituent. Là serait le motif de
la crainte, sans qu'il soit besoin de faire intervenir spécialement la
mO LUC, xii, 33-35
33 Vendez ce que vou^ avez,
et donnez -le en aumône ;
faites-vous des bourses qui ne s'usent pas^
un trésor inépuisable dans les cieux,
là où voleur n'approche pas,
où teigne ne ronge pas ;
^^ car là où est votre trésor,
là aussi votre cœur sera .
"* Que vos reins soient ceints,
et vos lampes allumées ;
pensée des loups. — « Car votre Père a volonté de vous donner le
royaume», — Les croyants sont prédestinés. Mais ils' doivent se
dépouiller des biens de ce monde en faveur des pauvres. Le petit trou-
peau qui va être invité à vendre ses biens n'est pas le groupe très peu
fortuné qui a suivi Jésus au temps de sa prédication, mais la com-
munauté chrétienne, à laquelle notre évangéliste propose son idéal
de renoncement.
L'équilibre de la sentence toucharlt les trésors qu'il faut avoir au
ciel, et non sur la terre, a été altéré par notre évangéliste, qui y a
introduit (d'après xvi.ir, 22) son idée de dépouillement complet par
vente au profit des pauvres, en accentuant ainsi dans un sens plus
spécial la leçon primitive, — « Vendez ce que vous avez et donnez-le
en aumône », — Ceci remplace (Mt. vi, 19) : « Ne vous thésaurisez
pas de trésors sur la terre », etc., qui ne laisse pas d'être indispen-
sable pour l'intelligence de ce qui suit. — « Faites-vous des bourses
qui ne s'usent pas». — ■ Formule un peu triviale eu égard à son
objet. — «Un trésor inépuisable dans les cieux ». — Matthieu (vi, 20):
« Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, )) — « Là où le voleur
n'approche pas, où le ver ne ronge pas », — Matthieu: «.La où ni
ver ni pourriture ne détruisent, et où voleurs ne fouillent ni ne
dérobent ». Ces images ne s'entendent bien que par antithèse aux
vêtements précieux qui sur la terre peuvent être rongés dans les
coffres du riche. Notre auteur a mis les richesses en monnaie, et c'est
pourquoi il a parlé de bourses inusables. — « Car lào'i est votre
trésor, là sera aussi votre cœur ». — Matthieu (vi, 21): « ton trésor»,
« ton cœur»,
L. Vigilance nécessaîhe en vxje ntr jugement
Pour les conseils de vigilance en vue du grand jugement, d'autres
données traditionnelles ont été exploitées, à savoir certaines compa-
LUC, Kii, 36-357 mi
^•^ et vous-mêmes «oyez semblables à gens attendant leur maître
quand il revient des noces,
afin, lorsqu'il arrivera et frappera,
qu'ils lui ouvrent aussitôt.
^^ Bienheureux ces serviteurs-là,
qu'à son arrivée le maître trouvera veildants 1
En vérité je vous dis
qu'il se ceindra, les fera iriettpe à table
et, se présentant, les servira.
raisons ou paraboles que Marc et Matthieu ont logées dans le grand
discours apocalyptique. Ce qu'on lit d'abord (xii, 35-36) n'est pas
sans analogie avec ce qu'on trouve dans Marc ( xiii, 33-36) touchant
lesserviteurs qui veillent en attendanit le retour du maître, maispour-
■rait faire soupçonner amssi quelque inâuence de la parabole des
Vierg€s(MT. xxv,a->i3) ou d'unthèmeparaboliqueappairenté à eeUe-ci.
(( Que vos reins soient ceints ». — Pour le travail, les Orientaux 03at
besoin de retrousser et fixer leurs longs vêtements . — «Etvoslampès
allumées». — Seconde image qui ne cada'e pas bien avec la pre-
mière : tous les esclaves ont besoin d'être prêts a servir leur maiitra,
mais ils n'ont pas besoin d'avoir tous des lampes pour le recevoir.
D'où présomption que la métaphore des lampes a été prise ailleurs
que celle du serviteur veillant. — « Et soyez vous-mêmes semblables
à des gens qui attendent leur maître quand il revient du festin nup-
tial ». — Le mot (yaixo'.) pourrait s'entendiie d'un festin ordinaire,
et la situation n'est pas la même qu«dans la parabole des Vierges, .où
le Christ arrivepour le festin. Mais le px'ésent tableau esticomplexe:le
maître en question est, pour l'évangéliste, le Christ arrivant du iciel,
où est le festin du bonheiur éterneil, et ce mêm.e Christ lest .censé con-
vier aussitôt ses fidèles, ses «serviteurs », à un festin qu'il leur serviria
lui-même 1x11,37) ! l'es serviteurs vigulaimits se trouveront ainsi dans la
situation des vierges sages. — (( Afin que, loirsqu'il arrivera et friip-
,pera »,— comme Je Christ dei'Apocalypse.(iw, 20; cfMï.xxv, ai, dont
le pendant exact est Le. xtii, aS). — « Ils lui ouvrent aussitôt», — sans
le faire attendre. Bès que le maître arrive et frappe à la porte, on
lui ouvre, parce que tout le monde est sur pied, disposé à le servir.
({ Heureux ces serviteurs, qu'à son arrivée le maître trouvera vieill-
lants ! )) — Car grande sera la satisfa,ction de ce maîitre : il fera pour
ses serviteurs ce que ceux-ci font pour lui, il des fera mettre à sa
place et les servira. — « En vérité Je vous dis qu'il se ceindica, les
352 LUC, XII, 38-40
38 Qu'à la deuxième ou bien à la Iroisième veille il arrive,
s'illes trouve ainsi,
bienheureux sont ceux-là !
3^ Mais comprenez ceci :
que si le maître de maison savait
à quelle heure le voleur viendra,
il veillerait
et ne laisserait pas forcer sa maison ;
*" vous aussi soyez prêts,
parce que, à Theure que vous ne pensez pas,
le Fils de l'homme viendra.
fera mettre à table, et passant devant » — eax, — « les servira »,
— Ce trait n'est pas pris de l'usage ordinaire et ne peut être qu'al-
légorique : il s'agit du festin messianique, et peut-être la rédaction
a-t-elle été influencée par le discours où Jésus se dit le serviteur de
ses disciples (xxii, 26-27; Me x, 45)- Nulle raison d'admettre que
l'auteur ait pensé à la coutume l'omaine des saturnales. — « Qu'il
vienne à la deuxième ou à la troisième veille, s'il les trouve ainsi, bien-
heureux sont ceux-là! » — Marc(xiii, 35) indique quatre veilles, con-
formément à l'usage romain. Notre évangile parle seulement de trois
veilles, non qu'il ait négligé la quatrième comme trop tardive pour
un retour de noces, mais parce qu il retient le partage de la nuit en
trois veilles suivant la coutume juive. Ce n'est pas à dire que la pre-
mière veille étant censée consacrée au festin, la seconde et la troi-
sième demeureront pour le retour ; l'idée du festin est adventice à la
comparaison ou parabole à laquelle se rattache la mention des veilles ;
et il semble plutôt que la première veille ne soit pas exclue comme
temps possible du retour, mais que la seconde et la troisième sont
mentionnées pour faire valoir le zèle des serviteurs ; ceux-ci atten-
dront, s'il le faut, jusqu'à la fin de la nuit. Quelques témoins (D, mss
lat., etc.) paraphrasent ce passage en mentionnant expressément les
trois veilles (veille du soir, deuxième, troisième).
«Or sachez ceci : que si le chef de maison savait à quelle heure», —
il s'agit d'une heure de nuit, d'une « veille », comme le dit expressé-
ment Matthieu [xxiv, 43), — « le voleur viendra, il ne laisserait pas
forcer sa maison. » — Il est probable que la leçon plus complète : « il
veillerait et il ne laisserait pas, etc. (ms. B A, etc.), qui était celle de
la source, a été interpolée d'après Matthieu. — « Vous aussi». —
Matthieu (xxiv, 44) • << C'est pourquoi, vous aussi». — « Soyez prêts,
LUC, xir, 41-44 353
*i Et Pierre dit : « Seig-neur,
est-ce pour nous que tù dis celle parabole,
ou bien aussi pour tous? »
*2 Et le Seigneur dit .
« Quel est donc l'intendant fidèle, prudent,
que le maître préposera à ses domestiques,
pour (leur) donner en temps (voulu) la pitance ?
** Bienheureux ce serviteur-là,
qu'en arrivant son maître trouvera faisant ainsi !
^* En vérité je vous dis
qu'à tous ses biens il le préposera.
parce qu'à l'heure que vous ne pensez pas îe Fils de l'homme vien-
dra. » — Ce verset manque dans quelques témoins (mss. i, ii8, 209) ;
on l'a supposé interpolé d'après Matthieu, qui l'aurait ajouté en
commentaire de la sentence précédente (Blass, 21).
Suivant un procédé qui lui est familier, notre évangéliste. avant
d'amener la comparaison des deux serviteurs, fait intei'venir Pierre,
qui pose une question à laquelle la parabole est censée servir de
réponse. La lorme de la parabole est beaucoup plus satisfaisante
•dans Matthieu (xxiv, 45-5i); elle a été modifiée dans Luc en yue
d'une application directe aux apôlres, c'est-à-dire aux chefs des
communautés chrétiennes. La question de Pierre est en rapport avec
cette application; elle ramène assez maladroitement à une seule
leçon les trois comparaisons ou paraboles qui suivent (xii, 42-44? 4^"
46, 47-48), en associant les deux premières de telle sorte que la troi-
sième paraisse en être le commentaire. L'évangéliste a voulu faire
ressortir dans cette dernière l'idée d'une rétribution proportionnée
à la quantité des grâces reçues et à l'usage qui en a été fait. C'est
pourquoi il a tenté d'établir une distinction expresse entre l'inten-
dant et le simple serviteur, mais la distinction, primitivement étran-
gère à la parabole, n'est pas soutenue et nuit plutôt à la clarté aussi
bien qu'à l'équilibre du récit.
« Or Pierre dit : « Est-ce à nous » — les apôtres, spécialement,
— « ou bien à tous » —r les croyants, indistinctement, — « que tu
adresses cette parabole ?» — On dirait que cette question fait écho
à un passage de Marc (xiii, 37). Pour l'évangéliste la « parabole »
n'est pas seulement la vigilance recommandée par la comparaison du
voleur (xu, 39), mais la môme recommandation par la compai*aison
des serviteurs qui veillent en attendant leur maître (xu, 35-38).
A. LoisY. — VEvangile selon Lnc. 23
354 LUG. XII, 45-48
*^ Mais si ce serviteur dit en son cœur :
« Mon maître tarde à venir »,
et qu'il se mette à battre les servants et les servantes,
à manger, à boire et à s'enivrer,
*8 le maître de ce serviteur viendra
au jour où celui-ci ne s'attend pas,
et à l'heure qu'il ne connaît pas;
il le fera couper en deux
et lui donnera part avec les infidèles.
*^ Or ce serviteur qui, connaissant la volonté de son maître-
n'aura rien préparé ni fait selon sa volonté,
recevra beaucoup de coups ;
*8 mais celui qui ne (la) connaît pas,
et qui aura fait choses dignes de coups,
en recevra peu.
A quiconque a été donné beaucoup,
beaucoup lui sera demandé;
et à qui l'on a confié beaucoup,
davantage on lui réclamera.
« Et le Seigneur dit : « Quel est donc l'intendant », — Matthieu
(xxiv, 45) : « le serviteur », — « fidèle et prudent, que le maître pré-
posera à ses domestiques, pour leur donner la pitance en temps » —
voulu? — «Heureux ce serviteur, qu'à l'arrivée son maître trou-
vera y>, etc. — Dans Matthieu (xxiv, 49)» le mauvais serviteur est dit
«boire avec les ivrognes; ici(xii, 45) — «boire et s'enivrer » —
Dans Matthieu (xvîv, 5i), le maître lui fait sa part « avec les hypo-
cartes », ici (xii, 46) — « avec les infidèles ». — Suit, en manière de
glose quelque peu embarrassée, l'application au même sujet d'une
autre comparaison ou leçon de commune sagesse.
« Or ce serviteur », — non peut-être celui dont on vient de par-
ler, mai^ celui dont on va dire la coupable conduite, — « qui, con-
naissant la volonté de son maîti-e », — dans la pensée de l'évangéliste
le serviteur doit être le chef de communauté bien instruit de ses
devoirs, — « n'aura rien préparé ni fait selon sa volonté, recevra
beaucoup de coups ». — L'auteur seul pourrait dire ce qu'il entend
par cette punition; rien pourtant n'empêche d'admettre que ce soit
un châtiment d'outre-tombe, et il en va de même pour l'autre cas. —
(( Mais celui qui, sans savoir », — étant mal instruit, et, si l'évangé-
LUC, xir, 49 358-.
*9 Je suis venu jeter du feu sur la terre,
et combien voudrais -je qu'il brûlât déjà !
liste a quelque logique, ce serait le simple croyant, — « aura fait des
choses dignes de coups, en i-ecevra peu ». — La platitude de cette
leçon n'est pas à nier, et sans doute n'y a-t-il pas lieu de se deman-
der ce qu'elle aurait pu signifier dans la bouche de Jésus, soit en
application aux docteurs de la Loi et aux simples Juifs (JiiLicHER. II,
. i58), soit en application aux Juifs et aux païens (Wellhausen", 69).
On remarquera que cette comparaison ne s'accorde pas avec la pré-
cédente; car il n'y est plus question de maîti'e revenant; les coups
sont au-dessous de la peine de mort, et les serviteurs qui se sont abs-
tenus de faire ce qu'ils devaient ne sont pas dans le cas de celui qui a
fait le contraire.
Une sentence générale complète la leçon que l'évangéliste a en vue :
a — Mais à quiconque a été donné beaucoup, beaucoup lui sera
demandé ». — La forme est d'un pi^overbe dont on recommande
l'application morale. — « Et à qui l'on a confié beaucoup, on lui récla-
mera davantage. » — Eu égard au contexte, le sens ne paraît pas
être : « on demandera plus qu'il n'a été donné », mais : « on deman-
dera plus qu'aux autres », bien que les deux explications reviennent
à peu près au môme pour le fond. De tels propos n'ont point d'au-
teur; Jésus aurait pu s'en servir, mais on a pu tout aussi bien en
enrichir son enseignement.
Comme si l'idée du compte à rendre éveillait celle des difficultés à
surmonter, notre auteur amène, après un préambule de sa façon, la
sentence concernant les divisions que provoque l'Evangile — « Je
suis venu jeter du feu sur la terre » . — Imitation et anticipation de
la formule : « Je ne suis pas Yenn jeter la paix», que notre auteur a
certainement lue dans la source (cf. Mt. x,34). Le feu en question ne
peut être ni le saint Esprit, ni la vertu pui'ifiante de la parole
divine, ni le renoncement évangélique, ni l'ardeur pour le sacrifice,
toutes choses qui ne sont point à jeter et qui ne mettent point la
terre en feu. Jésus n'aurait pas pu dire non plus qu'il jetait le feu du
jugement (Klostermann, 5o2), car tout au plus l'annonçait-il. Vu les
expressions choisies et la suite du discours, le ieu n'est pas autre
chose que la discoi'de introduite dans le monde par la prédication
de l'Evangile, ou la prédication évangélique en tant que principe de
cette discorde, ou l'Eglise naissante. Autant dire que ce préambule,
encore plus que la sentence à laquelle il sert d'introduction, suppose
l'expérience de la prédication chrétienne, l'existence des commu-
356 LUC, XII, 52-53
'"Mais j'ai à être baptisé de baptême,
et combien suis-je angoissé jusqu'à ce qu'il soit accompli !
^3 Vous pensez que je suis venu donner paix sur la terre ?
Non, je vous dis, mais division,
nautés chrétiennes (cf. Bultmann,94, 99), et ne peut en aucune façon
être considéré comme un précieux témoignage touchant les senti-
ment de Jésus (J. Weiss-Bousset, 458). — « Et combien je voudrais
qu'il brûlât déjà ! » — Jésus est censé-émettre ce vœu, parce que la
lutte dont il s'agit doit se produire avant que le règne de Dieu ait
son accomplissement. Il faut, d'ailleurs, que le Christ lui-même
.succombe avant que la lutte ait lieu.
« Mais j'ai a être baptisé de baptême ». — C'est-à-dire immergé
dans la mort. L'image du baptême, que notre auteur emprunte à
Marc (x, 38), parce qu'il ne veut pas la laisser perdre, tout en négli-
geant le l'écit qui l'encadre dans le second évangile, est réunie artifi-
ciellement à celle du feu, et la perspective du discoui's n'est aucune-
ment historique. — « Et combien suis-je angoissé jusqu'à ce qu'il
soit accompli I » — Exclamation taillée sur le même patron que la
précédente, et anticipation de Gethsémani. Rien n'invite à penser
que l'angoisse ((Juvé-/o\).y.'. ; cf. (Tuvet'xovxo, viii, 3;;) soit celle du désir,
désir de salut pour le monde, ou désir de prompte mort afin d'en
être plutôt quitte. Jésus est censé envisager avec terreur la mort qui
l'attend : il se trouve ainsi partagé entre deux sentiments, le désir
de voir bientôt se préparer par la pi'édication apostolique l'avène-
ment du royaume, et refTroi que lui inspire la terrible épreuve par
laquelle lui-même doit passer avant cette préparation.
« Vous pensez que je suis venu mettre la paix sur la terre? » —
Matthieu, (x, 3^) : « Ne pensez pas que je sois venu jeter la paix sur
la terre ». Notre auteur dit ici : « mettre (SoUvat) la paix », parce
qu''il a dit plus haut : «jeter le feu ». — « Non, je vous dis, mais la
division ». , — Matthieu : « Je ne suis pas venu jeter la paix mais le
glaive ». Ne pouvant dire : «mettre le glaive », notre auteur sup-
prime la métaphore, — « Ils seront désormais cinq, dans chaque mai-
son, divisés. » — En faisant dire à Jésus que les divisions existeront
«depuis maintenant» (Hno tou vuv), l'évangéliste paraît oublier que
le feu delà discorde s'allumera seulement après que 1^ Christ aura été
baptisé dans la mort : c'est que, par rapport à lui, le moment où
Jésus parle et celui de sa mort se confondent presque. — «Trois
conti'e deux, et deux contre trois seront divisés». — Au lieu de
présenter simplement les trois couples d'opposants, comme Matthieu
LUC, XII, 54-56 357
5* Car on sera désormais cinq, en une maison, divisés :
trois contre deux et deux conlre Irois ^'' ils seront divisés,
père contre fils et fils contre père,
mère contre fille et ûlle contre mère,
belle-mère conlre bru et bru contre belle-mère. »
55 Or il disait aussi aux foules :
« Lorsque vous voyez nuage s'élever au couchant,
aussitôt vous dites qu'il va pleuvoir, et il en est ainsi ;
et lorsque vent du midi souffle,
vous dites qu'il fera chaud, et cela arrive.
^® Hypocrites,
de l'aspect de la terre et du ciel vous savez juger :
de ce temps-ci comment ne jugez-vous pas ?
(x, 35) : « Car je suis venu faire division de l'homme conlre son père,
delà fille contre sa mère, de la bru conlre sa belle-mère-», qui semble,
après Michce (vil, 6), viser le soulèvement de la jeune génération
contre la vieille (mais on ne voit pas que Matthieu considère comme
croyante la jeune génération, ainsi que le supposent J. Weiss-Bous-
sET, loc. cil. ; et l'idée pourrait bien être la même que Me. sut, 12 î
Le, xxT, i6>, notre évangéliste a compté les membres de la famille et
trouvé qu'il y a seulement cinq personnes, la môme étant à la fois
mère et belle-mère ; il montre donc les cinq divisés en deux
groupes ennemis, trois et deux. Ces combinaisons arithmétiques
doivent être secondaires par rapport au texte de Matthieu. — « Père
contre fils, et fils contre père, mère contre fille, et fille contre mère,
belle-mère contre bru, et bru contre belle-mère ». — Tous les possibi-
lités ne sont pas épuisées pas ces hypothèses ; car, dans la confusion
supposée des rapport de famille, le fils, par exemple, pourrait aussi
bien s'attaquer à sa mère, et la filie'à son père.
On ne voit pas bien comment ai-rive ici la parole sur lés signes du
temps, que les gens ne savent pas compi'endre. Peut-être l'évangé-
liste a-t-il voulu, après une instruction où Jcs discipes sont avertis
de.se prépai-er au jugement de Dieu, en placer une où le peuple
reçoit le même enseignement sous lormc de similitudes qui ne sont
pas expliquées.
« Or il disait aussi aux foules », — ne se contentant pas d'enseigner
ses disciples : — « Lorsque vous voyez un nuage s'élever au couchant,
aussitôt vous dites que la pluie vient», — parce que c'en est le signe
ordinaire, — « et il en arrive ainsi. Et quand » — vous voyez — « le
3S8 LUC, XII, 57
^'Mais pourquoi aussi de vous-mêmes ne jugez-vous pas
[ce qui est juste ?
vent du midi souffler, vous dites », — le pronostic n'étant pas moins
sûr, — «qu'il fera chaud, et cela arrive». — Dans Matthieu (xvi,
2-3), les indices sont autx-ement choisis, la rougeur du ciel au soir
présageant beau temps pour le lendemain, et au matin mauvais
temps pour la journée. Sur un pareil thème rien n'était plus facile
que de trouver des variantes, d'après les observations et dictons
familiers dans le milieu particulier de chaque évangéliste.
« Hypocrites». — Cette épithète, qui manque dans Matthieu, pour-
rait faire supposer que notre auteur pense aux pharisiens, ou bien qu'il
a considéré comme affectée l'ignorance des Juifs, qui n'ont pas su et
qui ne savent pas reconnaître en Jésus le Christ annoncé ; mais, dans
la perspective, il s'agit du prochain jugement de Dieu. — « L'aspect
de la terre et du ciel vous savez apprécier », — pour en tirer les
indications opportunes. Matthieu, seulement : « l'aspect du ciel ». —
« Comment n'appréciez-vous pas » — de même — « ce temps-ci », —
pour en déduire le prochain avènement du règne? Matthieu : « Mais
les signes du temps, vous ne pouvez » les apprécier. Comme l'ensei-
gnement évangélique a ignoré d'abord les signes donnés en vue de
l'avènement, il est à présumer que cette comparaison des signes
■météorologiques aux signes du « temps » a été conçue dans la tradi-
tion.
Suit, très artificiellement amenée, la comparaison du litige qu'il
convient de régler à l'amiable avant de comparaître devant le
j-uge (Mt. V, 25-26) — « Mais pourquoi aussi de vous-mêmes ne jugez-
vous pas ce qui est juste? » — Transition obscure et embarrassée, à
quoi rien ne correspond dans Matthieu. L'auteur paraît vouloir dire
que des gens si habiles à se reconnaître dans les choses matérielles
devraient savoir « par eux-mêmes », non pas sans signes aucuns,
puisque la comparaison précédente suppose que le temps actuel n'en
est pas dépourvu, mais sans instruction spéciale sur le sujet et d'après
les signes qui s'offrent, ceux que Dieu envoie, prendre le parti qui
convient à l'intérêt de leur étei-nité, le bon parti, celui qui est selon
Dieu (cf. AcT. iv, 19), le parti de la repentance.il faut prendre en vue
du jugement dernier l'arrangement qu'il est recommandé de prendre
avant un procès douteux, la conciliation.
« Car, quand tu vas avec ton adversaire devant magistrat, fais en
sorte, en chemin, de te dégager de lui » — ■ Mauvaise retouche de ce
qu'on lit dans Matthieu (v, 25) : « Mets-toi en bons termes avec ton
LUC, XII, 58 59 359
^^ Car, quand tu vas avec ton adversaire devant magistrat,
prends soin, en chemin, d'en finir avec lui,
de peur qu'il ne te traîne au juge,
que le juge ne te livre à l'huissier,
et que l'huissier ne te jette en prison :
•5' je te dis, tu ne sortiras pas de là
que tu n'aies payé jusqu'à la dernière obole. »
adversaire, pendant que tu es avec lui dans le chemin. » — « De peur
qu'il ne te traîne » -^ Matthieu : « te livre » — « au juge ; que le juge
ne te livre à l'huissier » ; — proprement : « l'exécuteur ». Matthieu :
•<( le juge au sergent » ; — « et que l'huissier ne te jette en prison ». — •
Matthieu : « et que tu ne sois jeté en prison ». — « Je te dis. » —
Matthieu (v, 26), plus solennellement: <( En vérité je te dis ». — ^
« Tu n'en sortiras pas que tu n'aies payé jusqu'à la dernière obole. »
— Matthieu : « le dernier liard » (-/oSpocvTTiv ; Le. Xetîtôv). Une interpré-
tation allégoi'ique paraît insinuée ; car l'invitation à se dérober au
poursuivant s'explique mieux dans cette hypothèse, et l'adversaire
pourrait être le diable . Les variantes à l'égard de Matthieu, qui se
rencontrent dans la suite de la description, pourraient être en rapport
avec la procédure des tribunaux romains (Klostermann, 5o3). Par
lui-même, ce logion n'est qu'un conseil de' sagesse commune, dont
l'application au thème du règne de Dieu n'est pas exempte d'artifice.
Du reste, le chapitre qu'on vient de voir montre mieux que toute
autre page des évangiles synoptiques combien les prétendus discours
évangéliques ont été arbitrairement construits par groupement de
sentences dont la plupart, sinon toutes, ont été faites « évangé-
liques » par la tradition chrétienne.
LI. La conversion ou la moht
Les faits dont il va être parlé (xin, i-6) et la parabole du Figuier
contiennent la même leçon morale que la parabole précédente ;
mais l'évangéliste paraît y voir aussi bien une figure du châtiment
qui attend les Juifs.
« Or certains vinrent en ce même temps », — préambule et syn-
chi'onisrae visiblement artificiels, — (( lui parler des Galiléens dont
Pilate avait mêlé le sang avec leurs sacrifices », — ou plutôt « avec
celui de leurs sacrifices » (Klostermann, 5o4) : il s'agirait d'un évé-
nement très connu et tout récent dont on ferait pax't à Jésus, qui en
360 LUC, xjii, 1-3
XI" Or certains se trouvaient là en ce même temps^
qui l'informèrent au sujet des Galiléens
dont Pilate avait mêlé le sang avec leurs sacrifices.
'Et répondant il leur dit : •
« Pensez-vous que ces Galiléens
fussent les plus pécheurs de tous les Galiléens,
parce qu'ils ont ainsi souffert?
3 Non, je vous dis,
mais, si vous ne vous convertissez,
tous de même vous périrez.
tirerait le plus terrible pronostic pour ses auditeurs. Et l'on sent,
tout autant d'artifice dans le rapport imaginé entre la leçon et le fait.
Il est superflu de vouloir mettre cette affaire en rapport avec celle de
Barabbas, ou déterminer l'endroit où se trouvait Jésus quand eut lieu
l'entretien dont il s'agit. On peut voir dans Josèphe que Pilate avait
la main dure. Mais Josèphe ne signale pas le cas de Galiléens massa-
crés dans le temple, sur leurs victimes, au moment du sacrifice; et il.
n'aurait probablement pas négligé d'en parler, si le cas était réel.
Etant donné l'esprit de notre rédacteur, il n'est aucunement témé-
raire de supposer (avec Welluausen, 71) que le prétendu cas des
Galiléens massacrés dans le temple de Jérusalem est une transposition
de ce qu'on lit dans Jonèphe (A nt. XVIII, 4) touchant un massacre
de Samaritains sur le Garizim, en des circonstances analogues, après
la pàque de l'an 35.
« Et répondant, il leur dit », — au lieu de s'apitoyer sur le sort de ses
compatriotes, et les présentant comme les prémices de l'extermina-
tion universelle : — « Pensez-vous que ces Galiléens fussent pécheurs
plus que tous les Galiléens », ^- que la masse des Galiléens actuelle-
ment vivants, — «parce qu'ils ont subi cela?» — On n'est pas obligé
de supposer que les interlocuteurs de Jésus, sans plaindre ceux que
Pilate avait tués, se sont avisés tout de suite qu'ils avaient dû mériter
leur sort, et que Jésus combattrait cette idée ; dans la.circonstance,
Jésus est censé plutôt professer que ces Galiléens, comme tous les
Juifs, ont mérité la mort, en sorte que le meurtre de ces quelques
Galiléens présage la destinée des Juifs, s'ils persévèrent dans leur
endurcissement, comme on entrevoit qu'ils y persévéreront. Inutile de
se demander si la pensée de Jésus n'aurait pas été autre que celle de
l'évangéliste, et si elle n'aurait pas concerné seulement la perte éter-
nelle des individus incrédules. — « Il n'en est rien, je vous dis m. —
LUC, xin, 4-5 361
* Ou bien ces dix-huit
sur lesquels est tombée la tour à Siloé,
et qu'elle a tués,
pensez- vous qu'ils fussent les plus coupables
de tous les gens qui habitent Jérusalem ?
^Non, je vous dis;
mais, si vous ne vous convertissez,
tous ainsi vous périrez.
Ces Galiléens n'étaient pas pires que les autres Juifs. — « Mais si vous
ne vdus convertissez, vous périssez tous de manière semblable. « —
Cette parole de violence, si clic était authentique, ne ferait pas grand
honneur à celui qui l'aurait prononcée ; mais il n'y a que naïveté, non
cruauté, dans une prophétie faite après coup. Noter que la présenta-
tion du fait comme. un cas typique et prophétique s'accorde fort bien
avec l'hypothèse d'une fiction.
« Ou bien ces dix-huit ». — L'auteur, comme dans le casprécédent,^
affecte une façon de parler qui conviendrait pour un fait récent et
connu de tout le monde. Cependant il a tout l'air de ne rien savoir
de plus que ce qu'il invente. Mais l'accident qu'il va signaler montre
que, pour lui, le cas précédent n'est aussi qu'un accident providen-
tiel. Fantaisies théologiques derrière lesquelles on chercherait vaine-
ment une impression de réalité. — «Ces dix-huit sur lesquels est
tombée la tour, à Siloé », — près de la fameuse source, — « et qu'elle
a tués, pensez-vous », — pai'ce qu'ils ont ainsi péri, — « qu'ils fussent
coupables plus que tous les gens qui habitent Jérusalem ?» — Ici
encore Jésus a l'air de combattre une idée qu'on pourrait avoir, non
une idée qui aurait été émise devant lui ; et il va nier seulement que
les dix-huit écrasés aient mérité leur sort plus que les autres habi-
tants de Jérusalem. — « Il n'en est rien, je vous dis ; mais, si vous
ne vous convertissez, vous tous ainsi périrez ». — On ne prouvei'a
jamais que la tour en question n'a pas existé, ou bien qu'elle ne s'est
pas écroulée sur dix-huit personnes au temps de Ponce Pilate (les
fouilles archéologiques ont mis- au jour les assises d"une tour 'bâtie
près du canal de Siloé. Lagrange, 38o). Mais il y a bien des chances
pour que ce cas soit fictif comme le précédent. Les deux incidents
sont présentés comme figurant la destruction complète de la natio-
nalité juive ; et l'on peut croire que le narrateur est au clair sur l'ac-
complissement de ces prévisions.
«'Et il dit cette parabole ». — La parabole est présentée comme
362 LUC, XIII, 6-7
* Et il dit cette parabole :
« Quelqu'un avait figuier planté dans sa vigne ;
il vint y chercher fruit,
el il n'en trouva pas.
' Il dit alors au vigneron :
« Voilà trois ans que je viens chercher fruit
en ce figuier et n'en trouve pas.
Coupe-le ;
pourquoi aussi rend-il la terre stérile ? »
contenant en fo'rme symbolique la leçon et la prédiction qui ont été
faites à propos des deux événements ci-dessus mentionnés. Le déve-
loppement ne manque pas d'analogie avec l'allégorie de la vigne
dans Isaïe (v, 1-7 ; le rapport est plus éloigné avec Jér. xxiv, allégorie
des bonnes et des mauvaises figues, et Ps. lxxx, vigne transplantée),
mais le symbolisme n'est que dans la donnée générale. Au moins
dans la pensée de l'évangéliste, le figuier n'est pas un individu quel-
conque mais le peuple juif. Si l'on suppose l'authenticité, il n'y aurait
eu, pour ce qui est de Jésus, qu'une comparaison avec application
aux auditeurs. Mais on doit tenir compte de ce que cette parabole
remplace en quelque façon dans notre évangile l'histoire symbolique
du figuier desséché (Me. xi, 12-14, .ao-^aS ; M^. xxi, 18-22), et il est
permis de se demander si la parabole n'aurait pas été conçue tout
exprès sur le thème fourni par ce qu'on a lu plus haut (m, 9 ; Mt. m,
10) de Jean-Baptiste ; le récit de Marc est autant dire parallèle à
la parabole plutôt qu'il n'en est dérivé. Une parabole semblable à
la nôtre se trouvait parmi les fables d'Achikar (Charles, The Psea-
depigraphica. II, 776). Le thème étant donné, l'application au minis-
tère de Jésus près du peuple juif était facile, non pour Jésus lui-
même, mais pour les interprètes delà tradition évangélique.
« Quelqu'un avait un figuier planté en sa vigne ».— Le cas est censé
ordinaire de figuier planté ainsi (Deut. xxii, 9, n'y contredit pas, car
on y proscrit l'ensemencement de la vigne ; cf. Jûlicher, II, 434)' —
« Il vint », — un certain jour, — « y chercher du fruit, et il n'en trouva
pas », — La suite montre que le propriétaire est déjà venu plusieurs
fois inutilement. Ce début manque de netteté. — « Or il dit au
vigneron », — à l'ouvrier chargé de cultiver la vigne et de la garder.
On dirait que le propriétaire en question n'apparaît dans sa vigne
que pour prendre les fruits : situation analogue à celle du proprié-
taire dans la parabole des Vignerons (xx, 19-10 ; Me. xû, 1-2 ; Mt.
LUC, XII], 8-9 363
** Mais celui-ci, répondant, lui dit : « Seigneur,
laisse-le encore cette année,
pour que je bêche à i'entour et mette du fumier ;
® peut-être portera-t-il fruit à l'avenir ;
sinon, tu le couperas. »
:xxi, 33-34). — « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit à ce
figuier et que je n'en trouve pas ». — Ce pi-opriétaire est venu trois
ans de suite inutilement ; voici la troisième année qu'il est déçiu. Ces
trois années de stérilité ne sont pas les trois années qu'aurait duré le
ministère du Christ d'après le quatrième évangile, ou qui se seraient
écoulées depuis la prédication de Jean-Baptiste, ni les trois années
au bout desquelles seulement, d'après la Loi (LÉ v. xix, 23-25), le
propriétaire avait le droit de cueillir les fruits d'un arbre nouvelle-
ment planté : dans la première hypothèse, on ne voit pas à quoi cor-
respondrait l'année de grâce ; la seconde est tirée de trop loin et elle
serait d'ailleurs exclue par la chronologie des synoptiques ; la troi-
sième est exclue parle fait que le propriétaire vient chercher les fruits
de ces trois années. Les trois ans marquent un temps assez long
durant lequel l'arbre aurait dû normalement donner des fruits à son
maître et n'a rien produit. — «Coupe-le ». — Dans un manuscrit (D),
le maître dit d'abord : « Apporte la hache » ; mais ce peut être
une glose (d'après ni, 9). — « Pourquoi rend-il aussi la terre stéi'ile ? »
— On peut entendre que l'arbre épuise la terre pour rien, où gêne de
-son ombre le voisinage, mais le sens peut être simplement que l'arbre,
par le lait de sa stérilité, rend aussi bien stérile la place qu'il occupe.
« Mais lui », — le vigneron, — « répondant, lui dit : « Seigneur,
laisse-le encore cette année », — au lieu de le couper tout de suite, —
« pour que je bêchéà I'entour et que je mette du fumier ». — Par
l'effet de cette culture et de l'engrais, — « peut-être portera-t-il du
fruit à llaveuir », — c'est-à-dire l'an prochain. Littéralement : « et
s'il porte du fruit », la conduite à tenir, dans cette hypothèse, étant
sous-entendue (ms. D et mss. lat. paraphrasent : «corbeille de
fumier »). — « Sinon tu le couperas ». — On peut entendre : « Tu le
feï'as couper » ; mais l'exécution pourrait bien être réservée au pro-
priétaire, parce que le propriétaire est Dieu, qui châtiera le peuple
juif, et que le vigneron est identifié à Jésus lui-môme (cf. Herjmas,
Sim. v). Plusieurs témoins (AD, Ss. Se. Vg.) lisent : «Peut-être
portera-t-il du fruit, sinon, plus tard, tu le couperas », en transpo-
sant elç -rb |j.éXXov après el o£ pi./,7£, et peut-être sous-entendant 'éto; :
364 LUC, XIII, 10-13
" Or.il était à enseigner dans une synagogue, en sabbat ;
" ellà était unefemme ayant esprit d'infirmité depuis dix-huit ans ;
elle était courbée
et elle ne pouvait se redresser tout à fait.
12 Et l'ayant vue, Jésus l'appela et lui dit :
« Femmej tu es délivrée de ton infirmité » ;
>3 el il lui imposa les mains ;
et aussitôt elle se redressa, et elle rendait gloire à Dieu.
« l'an prochain », ce qui est moins précisément indiqué dans l'autre
leçon, plus autorisée). La menace reste suspendue, et l'on ne pouvait,
pas, sans rompre la perspective de l'évangile, dire qu'elle avaiteu son
accomplissement. 11 sutïitque dans ce petit drame horticole on entre-
voie le di'ame du salut avec ses conséquences funestes pour Israël.
LU. Le SABBA.T
A première vue, l'on ne saisit aucun rapport entre le récit de gué-
rispn sabbatique et la parabole qui le précède, ou celles qui le suivent,
d'autant que ce récit, par son contenu, semblerait appartenir au.
ministère galiléen. Faute de meilleure explication, l'on suppose que
l'évangéliste l'a trouvé ainsi encadré dans la source où il l'a pris
(Klostérmann, 5o6) ".hypothèse qui donnerait une assez médiocre idée
de la source en question.' Les Pères qui ont vu dans la femme guérie
l'Eglise, opposée au figuier stérile et condamné de la synagogue, ont
peut-être rencontré, sans le vouloir, la pensée qui a présidé à l'arran-
gement de ces morceaux. Le récit de guérison sabbatique pourrait
donc être un doublet fictif du récit galiléen qui est commun aux trois
synoptiques, comme le ressuscité de Naïn double la fille de Jaïr, et il
aurait été tout exprès localisé vers la Samarie pom*- figurer le salut des
Gentils. 11 ne faut donc pas se hâter d'alléguer la vraisemblance,
d'après les détails delà mise en scène, pour transporter le miracle à
Gapharnaûm. Le rédacteur évangélique aura probablement trouvé
le récit tout fait, et il l'aura tellement quellement adapté à son cadre.
« Or il était à enseigner dans une des synagogues le jour du
sabbat ». — Remarquer le vague de ce préambule. Qu'une telle façon
d'enseigner ne convienne guère ni au temps ni au lieu, c'est ce dont
le narrateur n'a aucun souci. — « Et il se trouvait là une femme qui
avait un esprit d'infirmité depuis dix-huit ans ». — Tout à l'heure
LUC, xiii, 14 365
^^ Or, prenant la parole, le chef de la synagogue,
indigné de ce que Jésus eût fait en sabbat guérison,
dit à la foule :
« II y a six jours où l'on doit travailler ;
venez donc ces jours-là vous faire guérir,
et non le jour du sabbat. ».
(xm, 4) on nous a parlé de dix-huit hommes, mais le rapport des
chiffres doit êti'e fortuit. Si l'auteur, au lieu de mentionner la maladie,
désigne l'esprit quienest cause, ce pourrait bien n'être pas seulement
parce qu'il regarde la maladie comme une sorte de possession, mais
parce que la femme représente la Gentilité. En tout cas, il n'y a ,
pas lieu de la considéi*er comme proprement possédée, c'est-à-dire
folle, ni comme s'étant rendue préalablement coupable de péché, si
ce n'est pour autant que la maladie de là femme serait l'image de l'état
d'impureté moi-ale où vivaient les Gentils. — « Elle était courbée », —
à raison de cette espèce de paralysie, — « et elle ne pouvait se
redresser tout à fait ». — Corps tout penché, d'où résulte impossibi-
lité de relever la tête. Gomme dans le cas précédemment raconté
(vi, 6- II), la guéiùson va se faire sans que la pei'sonne intéressée
l'ait d'abord demandée. — « Or, l'ayant vue, Jésus », — par un sen-
timent de souveraine pitié, — « l'appela et lui dit : « Femme tu es
délivrée de ton infirmité. » Et », — ce disant, — « il lui imposa les
mains ». — Parole" et geste sont simultanés ; les deux opèrent la gué-
rison, car il s'agit de guérison miraculeuse, non d'exorcisme efficace,
comme dans les cas de possession ; et, vu le caractère du récit, pas
n'est besoin de supposer que l'imposition des mains aurait été ajoutée
par l'évangéliste. Le trait ne laisse pas de différencier cette guérison
de l'autre guérison sabbatique, et peut-être tend-il à en souligner la
signification religieuse. L'homme précédemment guéri n'était para-
lysé que de la main droite, et sa guérison ne réussit qu'à provoquer
la haine des pharisiens ; la femme dont il s'agit maintenant était
paralysée de tout le corps, et sa guérison, par l'imposition des mains,
va, en confondant les ennemis du Glii*ist, réjouir une foule qui
acclame ses miracles. Groira qui voudra que ces détails ont été pris
au hasard pour le grossissement du pi^odige et non pour faire entrevoir
l'accession des Gentils au salut. — « Aussitôt elle se redressa et
rendit gloire à Dieu ». — Nulle mention d'action de grâces dans le
premier récit.
a Or, prenant la parole » — sur le fait qui vient de se pi'oduire, —
« le chef de la synagogue », — qui fait pendant aux pharisiens de l'autre
366 I.UC, XIII, 15. 16
■1^ Mais le Seigneur lui répondit et dit ; «Hypocrites,
chacun de vous en sabbat ne détache-t-ilpas son bœuf
ou son âne de la crèche pour les mener boire ?
18 Et cette fille d'Abra.ham,
que Satan a liée voici dix-huit ans,
il n'aurait pas fallu la détacher de ce lien le jour du sabbat ? »
récit, et que l'on peut supposer pharisien lui-même — « indigné de cer
que Jésus avait fait guérison en sabbat, dit à la foule », — comme s'il
n'osait s'attaquer directement à Jésus pour le réprimander de la vio-
lation commise : — « Il y a six jom*s où l'on doit travailler », — les
six jours où Dieu s'est acquitté du travail de la création (cf.DEUT. v,
i3) ; — « venez donc ces jours-là vous faire guérir », — puisqu'on
ne peut légitimement s'occuper de vous que ces jours-là, — « et non
le jour du sabbat ».
« Mais le Seigneur ». — Noter l'emploi du mot dans ce récit secon-
daire. Jésus, relevant l'apostropbe du chef de la synagogue, — « lui
répondit et dit ». — Gomme le chef de la synagogue ne s'est pas
adressé directement au Christ, celui-ci ne lui adresse pas individuel-
lement sa réponse, mais au groupe qu'il représente, aux pharisiens,.
aux Juifs incrédules. — « Hypocrites ». — Quelques témoins (D, Ss.
Se.) ont le singulier, probablement pour l'accord avec la formule
d'introduction : « il lai répondit» ; mais le pluriel est recommandé
par la suite du discours. — « Chacun de vous, le jour du sabbat, ne
détache-t-il pas son bœuf ou son âne de la crèche pour les mener
boire ?» — Les plus scrupuleux observateurs de la Loi se croient
permis de rendre ce service, intéressé d'ailleurs, à des animaux sans
l'aison. Matthieu (xir, ii) fait valoir la même idée'dans l'auti^e récit
sous une forme différente, que notre auteur de son côté reproduira
dans un troisième récit de guérison sabbatique (xiv, i-6). Les deux,
récits propres à notre évangile ont été construits, comme les autres
histoires sabbatiques, autour de l'idée, argument d'école contre une
interprétation trop rigide du repos sabbatique (cf. Bultmann 5).
Il n'est aucunement certain que les arguments et à plus forte raison
les guérisons miraculeuses doivent être attribués à Jésus. — « Et
cette fille d'Abraham ». — Zachée aussi sera qualifié fils d'Abraham
(xix, 9), en tant que croyant. Le titre qui est donné à la femme
pourrait bien viser derrière son apparente descendance la signification
spirituelle de son personnage — « Que Satan a liée voici dix huit ans » , —
qu'il tient liée depuis ce temps-là par la maladie. Il n'est pas autrement
LUC, XIII, 17-19 367
1' Et pendant qu'il disait cela,
tous ses adversaires étaient confondus ;
et toute la foule se réjouissait
de tous les miracles opérés par lui.
18 II disait donc ;
« A quoi est comparable le royaume de Dieu^
et à quoi le comparerai-je ?
1® Il est comparable à grain de sénevé
qu'a pris un homme pour le jeter dans son jardin ;
il a grandi et il est devenu arbre,
et les oiseaux du ciel ont niché dans ses branches. »
insinué que la maladie ait été conséquence d'un péché. — « Il ne
fallait pas la détacher de ce lien », — les mots (XuO-fivat aTcd) sont
choisis pour la correspondance avec ce qui a été dit du bœuf et de
l'âne, — « le jour du sabbat ». — L'argument est supposé sans
réplique. Non seulement c'est un droit, mais c'est un devoir de guérir
un malade, si on le peut, le jour du sabbat.
« Et comme il disait cela, ses adversaires étaient confondus ». —
Réminiscence probable d'Isaïe (xlv, i6, Sept.), et qui ne prouve pas
que l'évangéliste écrivait en érudit,mais qu'il connaissait assezbien la
Bible des Septante. Ce passage n'est pas le seul où on s'en aperçoive.
— « Et toute la foule se réjouissait de toutes les merveilles qui se
faisaient par lui ». — On a rencontré des formules semblables dans
les récits du ministère galiléen (v, 26 ; vu, 16-17) ; mais celle-ci a de
quoi surprendi'e aprèsun miracle isolé ; on pourrait supposer que
le récita été rédigé d'abord pour terminer une série, ou plutôt que
cette espèce de ti'iomphe est en rapport avec le sens mystérieux de
l'anecdote. La dernière hypothèse, en effet, semble confirmée par les
paraboles qui viennent ensuite.
V
LUI. Paraboles
« Il dit donc ». — La parabole semblerait aussi avoir été dite en
considération du succès qui vient d'être obtenu, comme si le fait
raconté avait le même sens figuratif que la parabole. — « A quoi est
comparable le royaume de Dieu, et à quoi le comparerai-je ?» —
Préambule paraphrasé dans Marc (iv, 3o), omis dans Matthieu (xiii,
3i), et qui vient de la source commune.
368 LUC, XIII, 20-21
20 Et il dit encore :
(( A quoi eomparerai-je le royaume de Dieu?
21 11 est comparable à levain
([u'a pris une femme pour le mêler à trois mesures de farine,
jusqu'à ce que tout ait fermenté. »
« Il est comparable à un grain de sénevé, qu'un homme a pris
pour le jeter dans son jardin ». — Matthieu dit : « semer dans son
champ », et il ajoute, probablement d'après Marc (iv, Si-Sa), et
d'après la source commune, que c'est « la plus petite de toutes les
semences, mais une fois poussé, le plus grand des légumes ». La
même antithèse existe d^ailleurs dans notre évangile entre le sénevé
à l'état de grain et le sénevé à l'état d'arbre où les oiseaux s'abritent.
— «Il a grandi et il est devenu arbre », — au moins par la taille, —
(( et les oiseaux du ciel se sont abrités dans ses branches ». — Marc
(iv, 32) paraphrase : « Il pousse de grandes branches, en sorte que les
oiseaux du ciel peuvent s'abriter sous son ombre ». Matthieu (xnt, Sa)
se rapproche de la source commune, tout en subissant l'influence de
Marc : « Il devient arbre, en sorte que les oiseaux du ciel viennent
s'abriter dans ses branches. » Notre auteur pense à la diffusion
rapide de l'Evangile parmi les Gentils, et tel doit être déjà le sens de
la source (cf. Ez. xvir, 24; xxxi, 6; Dan. iv, g, i8).
« Et il dit encore » — cette autre parabole : — « A quoi compa-
rerai-je le royaume de Dieu ?» — Matthieu (xtii, 33] n'a pas non plus
ce pi'éambule interrogatif, qui doit venir de la source, comme le pré-
cédent. - ((11 est comparable à du levain », etc. — La seconde pax^a-
bole est pinsé dans le même sens que la première, et rien n'invite à
penser que la puissance intensive de l'Evangile y serait visée indépen-
damment de sa force extensive, que concernerait le Sénevé : Texpan-
sion agissante et bienfaisante est visée dans les deux paraboles. Peut-
être y aurait-il lieu plutôt de considérer (avec Bultmann, io6) la
parabole du Levain comme ajoutée après coup, dans la tradition, à
la pai'abole du Sénevé. L'application des deux pax'aboles a d'ailleurs
été conçue en regard des (progrès extraordinaires qu'a promptement
réalisés le christianisme naissant.
LIV. Les élus
Suit un moi'ceau d'enseignement, fait de sentences combinées que
Matthieu présente séparément. Notre auteur y met une introduction
LUC,. XIII, 22-23 369
22 Et il s'en allait, par villes et villages enseignant,
et faisant route vers Jérusalem.
"8 Or quelqu'un lui dit : « Seigneur,
y aura-t-il peu de sauvés ? »
Mais il leur dit :
historique. — «Et il s'en allait par villes et villages, enseignant»,
— comme déjà l'on vient de le voir. On peut construire : a II s'en
allait, par villes et villages enseignant » (cf, vni,i). — « Et faisant
route vers Jérusalem ». — Le rappel du voyage est inattendu entre
deux paraboles sur le royaume de Dieu, et un discours sur ceux qui y
seront admis. Le narrateur, après la scène qu'il a placée en synagogue,
semble avoir voulu reprendre le fil conducteur de son récit, afin de pré-
parer ce qu'on va lire touchant ceux qui auront entendu inutilement
la prédication de Jésus, et, par la mention de Jérusalem, préluder à
l'annonce de sa mort, qui viendra un peu plus loin (xm, 33). Le grand
dessein providentiel sur la réprobation des Juifs et le salut des Gen-
tils est en voie de se réaliser, et Jésus est censé profiter des occasions
qui se présentent pour le proclamer devant le peuple. Mais l'itiné-
raire qu'on lui fait suivre est des plus confus. Nous pourrions croire
qu'il a traversé la Samarie et qu'il est déjà en Judée ; or,- un peu plus
loin (xitt, 2i), on va nous le montrer sur les terres d'Antipas. Les
ooncordistes trouvent en celle ligne l'indice d'un voyage particulier
que Jésus aurait fait à Jérusalem et qui ne serait pas le dernier :
précieux rapport avec le quatrième évangile, mais qui n'a pas
l'ombre de réalité.
« Or quelqu'un lui dit ». — On ne voit pas où ni quand ni comment
surgit ce personnage, ni ce qu'il peut être. Son intervention est un
.le ces artifices rédactionnels dont notre évangéliste se sert volon.
tiers pour amener les sentences que ses sources lui fournissent. —
« Seigneur, y aura-til peu de sauvés ?» — Cette question a été
Urée de la parole : « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus »?
([uise lit dans Matthieu (xxu, i4), et elle est d'ailleurs influencée par
le logion sur la porte étroite (cf. Mt. vu, i4), dont notre rédacteur
n'a utilisé qu'une partie. Le rapport qui existe entre les réflexions
sur le salut, qu'on va nous faire lire, et ce qui se trouve avant et
après, est un rapport logique, fondé surl'aflinité des pensées. C'est
au problème du salut que répondent les trois sentences ici réunies en
un seul discours : comparaison de la porte étroite par où beaucoup
:ie pourront pas pnsser (xm, 24) > parabole de ceux qui arrivent
au festin quand la porte est fermée et qui sont condamnés à rester
A. LoisY. — L.'Ei'anffUe selon Luc. a4
370 LUC, xni, 24
** « Efforcez- vous d'entrer par la porte étroite,
parce que beaucoup, je vous dis,
chercheront à entrer et ne pourront pas.
dehors (xni, 25-28) ; déclaration concernant l'admission des Gentils
au festin messianique (xiir, ag-So), Quel que soit l'auteur de cette
combinaison, elle ne peut appartenir qu'à une rédaction secondaire
des sentences attribuées au Christ.
« Et il leur dit ». — Leçon la plus autorisée (ms. D : « et il dit » ;
Ss. Se. : « et il lui dit : « Efforce-toi »). Mais si la réponse est collec-
tive, c'est que la teneur des sentences le veut, et le questionneur est
censé porte-parole d'un groupe. — « Efforcez- vous d'entrer par la
porte étroite ». — La métaphore de la porte étroite, qui introduit à
la vie éternelle, est combinée dans Matthieu (vu, i3-i4) avec celle
des deux voies. On dirait que notre auteur a connu la première à
l'état indépendant, à moins qu'il ne l'ait isolée pour l'adapter à ce qui
est dit ensuite au sujet de la porte à laquelle on vient frapper inuti-
lement. (]e qu'il nous dit de la porte étroite atteste une combinaison
rédactionnelle ; car la porte étroite est à peine mentionnée qu'elle
devient la porte à laquelle plusieurs viendront inutilement frapper.
Le développement naturel de la sentence serait qu'on doit se gêner
pour entrer par la porte étroite, parce que celle-ci est le seul moyen
d'accès à la vie éternelle. No.tre auteur, qui pax'le de « la porte étroite »
comme si elle était déjà connue du lecteur, ne donne pas la raison
directe et positive pour laquelle on doit s'effoi'cer d'entrer par cette
porte, et il introduit une autre considération : se hâter d'entrer pour
ne pas ti'ouver porte fermée. — « Parce que beaucoup, je vous dis,
chercheront à entrer et ne pourront pas » . — Ceux qui ne pourront
pas entrer ne sont pas des gens qui feraient inutilement effort pour
entrer par la porte étroite, mais ceux qu'on va voir frapper en vain
à la porte du chef de maison. La porte étroite par laquelle on était
convié d'entrer était le repentir ; celle devant laquelle le pécheur
non converti frappe en pure perte est la porte du ciel, mais en tant
que fermée au pécheur, c'est-à-dire la damnation, l'obstacle insur-
montable qui s'oppose à l'entrée des impénitents dans le royaume de
Dieu.
<n Quand le chef de maison se sera levé pour fermer la porte ». —
Entendons : quand le Christ aura introduit ses élus dans le royaume
de Dieu. — « Et que vous vous mettrez, étant restés dehors », —
ne vous étant pas trouvés en mesure d'entrer avec les justes dans ce
royaume, — « à frapper à la porte », — non plus porte étroite, mais
LUC, xiii, 25-27 371
a» Lorsque se sera levé le chef de maison,
<ju'il aura fermé la porte,
■et que vous vous mettrez, étant restés dehors,
à frapper à la porte en disant :
<i Seigneur, ouvre-nous »,
et que, répondant, il vous dira :
« Je ne sais pas d'où vous êtes »,
*8 Alors vous vous mettrez à dire :
« Nous avons mangé en ta présence et nous avons bu,
et sur nos places tu as enseigné. »
'^' Et il dira : « Je vous dis,
je ne sais pas d'où vous êtes ;
éloignez -vous de moi tous,
artisans d'iniquité. »
porte fermée, — « disant : « Seigneur, ouvre-nous », — comme les
filles étourdies, dans la parabole de Matthieu (xxv, i-i3), qu'on
dirait ici résumée, — (( et que, répondant il vous dira : « Je ne sais
pas d'où vous êtes ». — Comme l'époux dit aux filles étourdies : «Je
ne vous connais pas ».
« Alors vous vous mettrez à dire ». — Il résulte de ce qui va être
dit que le maître de maison est Jésus lui-même dans la gloire de son
règne. Mais la construction de ce passage est terriblement embarras-
sée : on se demande d'abord si le commencement : « depuis que le
<;hef de maison », etc. (xiu, aS) dépend de la réflexion précédente
(xm, 24), 6t, supposé, qu'il n'en dépende pas, où s'arrête la phrase
antécédente gouvernée par « depuis que » (àtp ' ou), soit après : « Ouvre-
nous », soit après : « Je ne sais d'où vous êtes ». Cet échange de pro-
pos forme une, sorte d'intercalation rédactionnelle, empruntée à la
parabole des Vierges ou à sa source, pour amener l'avertissement à
-ceux qui pourraient se réclamer de relations personnelles avec Jésus,
avertissement que notre auteur a dû emprunter à la même source que
Matthieu (vu, ai-aS) et qu'on dirait avoir voisiné dans cette source
avec le mot sur la porte étroite. On a pu voir que lejpréambule seu-
lement de ce logion avait été utilisé (vi, 46) dans le discours général
de morale évangélique [supj\ p. 9,12). — « Nous'avons mangé et bu en
ta présence ». — Façon respectueuse de dire : « en ta compagnie ».
— « Et c'est sur nos places que tu as enseigné ». — Il s'agit évidem-
ment du Christ, et ce sont des Juifs qui pai'lent. Dans Matthieu
<vn, 22), ce sont de faux apôtres et de laux prophètes. ^,Notre rédac-
372 LUC XIII, 28
28 Là il y aura les pleurs et le grincement des dents,
lorsque vous verrez Abraham, Isaac et Jacob,
et tous les prophètes, dans le royaume de Dieu,
et vous autres jetés dehors.
teur n'a pas dû retourner contre les Juifs une sentence qui visait,
d'abord les faux croyants ; mais la sentence qu'il reproduit n'en est
pas moins d'un prophète chrétien menaçant les Juifs au nom de Jésus
glorifié. — « Et il dira : « Je vous dis, je ne sais d'où vous êtes ». —
Répétition de ce qui a été dit plus haut (xii, aS). Dans Matthieu (vu,.
23) : « Et alors je leur déclarerai : « Jamais je ne vous connus ». —
« Eloignez-vous de moi tous, artisans d'iniquité ». — Pour cet
emprunt (Ps. vi, g), les premiers mots sont plus et les derniers moins
conformes au grec des Septante que dans Matthieu.
« Là »,. — c'est-à-dire dans le'lieu où sei'ont envoyés les réprouvés,
et où nptre évangéliste expédie les Juifs incrédules et impénitents,
— « il y aura les pleurs et le grincement des dents » . — Pour faire
transition, cette formule descx'iptive a été transposée au commence-
ment de la sentence, dont elle forme plus naturellement la conclusion
dans Matthieu (vni, 12). On ne voit pas d'abord à quoi se rapporte
le mot « là », qui dans Matthieu se réfère aux « ténèbres extérieures ».
La déclaration relative au salut des Gentils, que Matthieu a interca-
lée telle quelle dans l'histoire du centurion de Gapharnaûm, apparaît
ici désarticulée et comme retournée pour l'adaptation à son contexte.
— « Lorsque vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les pro-
phètes, dans le royaume de Dieu ». — Dans Matthieu (vin, 11), ce sont
les Gentils qui •viennent s'asseoir avec les trois patriarches. Notre
auteur leur adjoint « tous les prophètes » ; peut-être entend-il que
les justes de l'Ancien Testament sont déjà en possession du bonheur
éternel (cf. xvi, 28 ; xxiu, 43). — « Et vous autres jetés dehors ». —
« Vous » désigne les Juifs. Matthieu : « et les fils du royaume seront
jetés dans les ténèbres extérieures ». Dans le contexte de notre
évangile, ceux qui ne sont pas admis au festin sont restés à la porte ;
il ne serait donc pas nécessaire de les jeter dehors.
t Et il en viendra de l'orient et de l'occident, da nord et du midi ».
— Notre auteur aura voulu mentionner les quatre points cardinaux ;
Matthieu parle seulement de l'orient et de l'occident. — « Qui s'atta-
bleront dans le royaume de Dieu », — pour l'éternel festin. — « Et il
y a des derniers qui seront premiers, il y a des premiers qui seront
derniers ». — Adaptation d'une sentence que Marc (x,3i) et Matthieu
/xix, 3o; XX, 16) rapportent dans un autre contexte et avec un autre
LUC, XIII, 29-31 373
^^ Et il en viendra del'orient et de l'occident, du nord et du midi,
qui s'attableront dans le royaume de Dieu;
^" et il y a des derniers qui seront premiers,
et il y a des premiers qui seront derniers,
^^ En ce moment même,
s'approchèrent certains pharisiens qui lui dirent :
« Pars et va-t'en d'ici ;
car Hérode veut te tuer. »
. sens. Car il ne semble pas que notre auteur voie dans les premiers
et les derniers dillerents. membres de la communauté chrétienne;
pour lui, les premiers qui deviennent derniers doivent être les Juifs,
exclus du royaume, et les derniers qui deviennent premiers sont les
Gentils convertis. Adaptation d'un dicton vulgaire au thème du salut
chrétien.
LV. IJÉRODE
L'anecdote racontée ensuite semble étroilement liée au discours
qu'on vient de lire, puisqu'elle arrive — « au même moment ». -^
Mais c'est combinaison rédactionnelle, d'oùne résulte aucune indica-
tion précise, puisque l'on ne sait au juste ni où ni quand le discours a
été tenu. Jésus est censé dans le pays gouverné par Hérode Antipas,
c'est-à-dire en Galilée ou en Pérée. Eu égard à ce qui précède, on
j)ourrait être tenté de préférer ce dernier pays ; mais notre évangile
(m, ij.nedit pas que la Pérée appartienne à Antipas, et l'itinéraire
prêté à Jésus est si incertain que l'on peut supposer le Christ encore à
la frontière de Galilée. Pris en lui-môme, l'incident semblerait se
passer quand Jésus se dispose à quitter le théâtre ordinaii'c desa pré-
dication.
' « Certains pharisiens vinrent lui dire: « Pars et va-t'en d'ici », — où
tu n'es pas en sûreté, — « car Hérode veut te tuer ». — C'est le cas
d'Amos(vu, io-i;;i), invité par le prêtrede Béthelà s'en aller prophétiser
en Juda, et notre rédacteur paraît s'inspii-er du texte prophétique, ce qui
n'est pas pour garantir l'historicité du fait. Plusieurs ont pensé que la
communication faite à Jésus étaitune fiction imaginée pour l'éloigner
de la Galilée, soit que les pharisiens eussent attribué à Hérode une
intention qu'il n'avait pas, soit que le tétrarque se fût concerté avec
les pharisiens pour écarter le nouveau prédicateur, sans recourir aux
moyens violents qu'il se reprochait d'avoir employés contre Jean. La
première hypothèse parait contraire à l'esprit du récit, qui suppose
374 LUC, XIII, 32 ,
82 Et il leur dit:
« Allez dire à ce renard :
Voici que je chasse démons
el accomplis guérisons aujourd'hui et demain,
et le troisième jour je suis à terme.
plutôt les pharisiens en connivence avec Hérode (cf. Me ni, 6 ; viii^
i5).. La seconde hypothèse est mieux (ondée mais insuffisante, Jésus-
étant censé courir un danger réel : Hérode serait disposé à user de
violence si Jésus ne s'éloigne pas. Il est vrai que cette disposition ne
s'accorde pas bien avec le désir qui lui est prêté ailleurs (ix, 9;xxni^
8) de voir Jésus ; mais la contradiction pourrait provenir de ce que
ces indications divergentes n'ont pas la môme origine; et peut-être
aussi notre auteur n'y regarde-t-il pas de si près. En tout cas, la mal-
veillance d'Antipas serait à présumer plutôt qu'un sentiment de
curiosité .
a Et il leur dit : « Allez dire à ce renard », — La réplique donne à
entendre que les, interlocuteurs sont considérés comme gens d'Hérode,
.qualifiés pour transmettre à celui qui les a commissionnés la réponse
de Jésus. Si le tétrarque est traité de renard. Ce n'est pas en manière
de compliment mais d'injure, et le trait pourrait manquer de vrai-
semblance, pas plus pourtant que la démarche des pharisiens et le
message d'Hérode. Il n'est pas autrement certain que la qualification
de «l'enard» implique ici l'idée de ruse, avec une allusion à la politique
astucieuse du tétrarque et à sa conduite dans la circonstance ; le
renard est présenté dans la lîible (Jug. xv;4) seulement comme une
bête de proie (cf.. Wellhausen, 76 ; voir cependant Klostermann,.
5io ; BuLTMANN, i8, n. i ; Lagrange, SgS). — « Je chasse les démons
et j'accomplis des guérisons aujourd'hui et demain.» — Les deux
jours signifient le présent et le prochain avenir, le tout formant un
temps assez court, celui que Dieu a réglé pour la mission de son.
envoyé. On peut douter que Jésus lui-même eût défini cette mission
comme étant simplement celle d'un exoi'ciste guérisseur ; mais c'est
ainsi que le rédacteur des Actes affecte de la présenter (cf. Agt. 11,
22 ; X, 38). — « Et le troisième jour je suis à mon terme » — Je finis
après-demain. Mais le mot employé (TsXetoU^at) ne paraît pas signifier
que le terme de l'œuvre ou de l'existence ; il vise plutôt l'accomplisse-
ment personnel de Jésus dans la gloire, à travers la mort (cf. Hébr.
XI, 40 ; xn, 23), ce qui dépasse grandement la perspective du minis-
tère galiléen.
LUC, XIII, 33-.'i4 375
^^ Mais il me faut aujourd'hui, demain et le jour suivant marcher,
car il ne convient pas que prophète périsse hors de Jérusalem.
2* Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes,
et lapides ceux qui sont envoyés vers toi,
combien de fois ai-je voulu rassembler les enfiinls,
comme poule sa couvée sous ses ailes,
et vous n'avez pas voulu !
«' Mais il faut que je marche aujourd'hui, demain et après-
demain ». — Répétition des trois jours indiqués ci-dessus, pour
revenir sur la signification du troisième, celui de l'accomplisse-
ment, — « Car il n'est pas possible qu'un prophète périsse hors
de Jérusalem ». — Inutile qu'Hérode s'en mêle, Jérusalem a le mono-
pole du meurtre sur les envoj'-és dé Dieu. Que Jésus semble se mettre
à lasuite des prophètes et concevoir sa mort. comme conditionnée par
sa mission et non par les prophéties, ce n'est point ici une pi*euve
spéciale d'historicité ; car Jésus, pournotreévangéliste, est aussi bien
le prophète annoncé par Moïse, et l'on ne peut s'attendre à ce qu'il
se désigne à Hérode coinme Christ ; ce qu'il dit de sa mort est conçu
en nécessité providentielle, et si l'on y veut bien regarder, toute
cette déclaration est aussi artificielle que la mise en scène. La
reprise des Irois jours (xin, 33) pourrait être un indice de double
rédaction, mais la première indication (xni, Sa) semble appeler un
commentaire, elle n'est point par elle-même plus vraisemblable
que celui-ci. Par des coups de ciseau appropriés on peut obtenir une
meilleure suite logique et littéi*aire du discours : « Je chasse les
démons et j'accomplis desguérisons aujourd'hui et demain ; mais il
faut que je m'en aille le jour suivant, car il n'est pas possible », etc.,
(Wbllhausen, •]&). L'interpolation, si interpolation il y avait, devrait
être attribuée au rédacteur évangclique, mais là cori'ection pi'oposée
pourrait bien êtx-e logique à l'excès.
L'authenticité de la déclaration primitive ne serait pas garantie
pour autant, et l'on est plutôt tenté d'y voir une variante des prédic-
tions que J ésus fait ailleurs de sa mort aux disciples, mais coordonnée
à une indication de la source de Marc touchant le motif qui avait
déterminé Jésus à quitter la Galilée (cf. Marc, i8^). Du reste, il ne
s'agit pas d'une simple préAdsion, fondée sur le sort des prophètes
antérieurs. L'évangéliste entend bien que Jésus fait une prédiction
rigoureuse ; et si cette prédiction ne se réfère pas à des prophéties
messianiques, c'est que le sort des prophètes a figuré celui du Christ.
376 LUC, XIII, 35
3s Voici que {}oas est laissée votre maison.
Mais je vous dis :
vous ne me verrez pas
jusqu'à ce qu'arrive le temps où vous direz ;
Béni soit qui vient au nom de Seigneur. »
Au surplus, l'idée qu'an pi'ophète doit mourir à Jérusalem n'est pas
autrement naturelle ; on ne l'amène ici que pour introduire l'apos-
trophe comminatoire à la ville coupable, apostrophe d'autant plus
mal placée que Jésus est encore loin de la ville et n'est, pas censé y
avoir mis le pied depuis le commencement de son ministère.
Suit l'apostrophe à Jérusalem, que la mention de cette ville et une
facile association d'idées font introduire en cet endroit, mais qui est
mieux située dans Matthieu (xxui, 3;;-39), en conclusion du minis-
tère hiérosolymitain. Elle sert ici à expliquer la répi'obation des
Juifs et fait pendant à la prophétie menaçante, par laquelle Amos
[loc. ci7.,) répond à la communication du prêtre de Béthel. Seconde
partie d'un oracle dont la première seulement a été retenue par
notre rédacteur dans le discours aux pharisiens, à raison de la
transposition qu'il a faite de ce discours (cf. snpr. p. 336). Rien ne
montre mieux que ce découpage le cai'actère artificiel du procédé
suivi par l'évangéliste dans le classement des sentences attribuées à
Jésus. On peut même se demander si l'embai'ras qu'il a éprouvé
devant la prédiction menaçante qui terminait,dans la source le dis-
cours aux pharisiens n'aurait pas contribué à la transposition qu'il a
faite de tout le discours et à la séparation de. la menace finale, qu'il
s'efforcerait, en dépit de son contenu, de rapporter aux Galiléens, de
telle sorte que la salutation messianique sur le mont des Oliviers pût
être considérée comme l'accomplissement de la prophétie (Holtz-
MANN, 38o).
Le rédacteur a voulu lire — :■<>, Votre demeure va vous être
laissée. » — Matthieu (xxni, 38) ajoute : « déserte », si toutefois le
mot (eoT|aoç) est authentique dans Matthieu. Noter que les paroles:
« Je vous dis, vous ne me verrez plus » etc. , sont peu naturelles dans
la cii^constance, adressées seulement à quelques pharisiens, et qu'elles
conviennent mieux à la mise en scène de Matthieu. C'est par cette
finale (ou seulement parles mots : « Je vous dis, vous ne me veri'ez
plus », BULTMANN69), que l'apostrophe à Jérusalem, si on la prend
pour une citation, se tourne en discours de Jésus. La formule qui
introduit l'acclamation messianique varie dans les manuscrits :
LUC, XIV, 1 377
^'^ Et advint : comme il était entré
dans la maison d'un chef des pharisiens, en sabbat,
pour prendre repas,
eux étaient à l'observer.
«Vous ne me verrez pas qae vous ne disiez » (éw; ,ou soj; av eï-r^Ts,
BS etc. ; cf. Mr. xxii, 39) ; ou bien : « jusqu'à ce qu'il arrive que
vous disiez » (ëa);-/j?e'. OTE dTZ-r\-:e, AD etc.).
LVI. A LA TABLE DU PHARISIEN
Sans lien réel avec ce qui pi'écède, et artificiellement rassemblés
dans un cadre l'édactionnel, viennent une nouvelle guérison sabba-
tique (xiV, 1-6), un avis sur la place à prendre quand on est invité à
un repas (xi V, j-n), un autre sur les invitations à faire quand' on
■en donne un (xiv, 12-14), et la parabole du Festin (xiv, 16-24). ^^^^ "*
propos de table aussi vaguement localisés que possible,
« Et advint, comme il était entré dans la maison d'un chef des
pharisiens ». — L'auteur prend les pharisien"s afin de leur faire adres-
ser les leçons qui vont suivre, et un chef des pharisiens pour expli-
■quer la présence d'un grand nombi'e d'autres pharisiens dans sa
maison. L'entrée de Jésus dans la maison du pharisien n'est pas en
rapport avec la circonstance du voyage antérieurement signalée,
mais elle est pour la mise en scène de ce qui suit. Ce qu'était au
juste ce chef des pharisiens, on ne nous le dit pas, et il est superflu de
le conjecturer. Rien n'invite à le supposer membre du sanhédrin ou
habitant Jérusalem. D'ailleurs, on interpréterait un peu arbitraire-
ment la notice en entendant : « un chef qui était pharisien », par
exemple, un chef de synagogue (Klostermann, 5ii). Il s'agit d'un
personnage important dans la secte même, bien que le langage de
i'évangéliste prête à équivoque, les phaxnsiens n'ayant pas été un parti
politiquement oi-gànisé. Il semblerait que, dans la pensée de l'au-
teur, la mention des pharisiens suflit pour établir la' continuité
logique du présent récit avec le pi'écédent, — « Le jour du sabbat ».
: — Ceci est dit pour amorcer Thistoire de guérison, et les pharisiens
sont là pour en être scandalisés. — « Pour pi-endre un repas ». —
Et ceci est pour accrocher les propos roulant sur le thème du fes-
tin. •— « Eux étaient à l'observer ». — Les pharisiens ne sont pas là
pour autre chose ; mais on peut trouver que ce trait, emprunté au
premier récit de guérison sabbatique (vr, 7 ; Me. iii, 2), arrive trop
378 LL-c,. xrv, 2-4
2 Et voiui (|u'uii homme hydpophjueélait dcvaiil lui ;
' etprenaal la parole, Jésus s'adressa aux légistes et aux pha-
[l'isiens, disand :
« Est-il pei'jnis, en sabbat, de guérir, ou non ? »
"* Mais eux se tinrent cois,
Et l'ayant pris, il le guérit ;
tôt. Car on dirait que les pharisiens n'ont pas autre chose à faire
que d'épier Jésus, et ils observent seulement l'attitude que Jésus
adoptera vis-à-vis de l'hydropique, dont il va être fait aussitôt
mention. .
« Et voilà qu'un homme hydropique était devant lui ». — C'est le
sujet à guérir, qui faitbesoin pour l'histoire, et dont on ne dit pas com-
ment il se trouvait là. Toute cette mise en scène est assez gauche, et
l'on en voit trpp le procédé de construction. Ce doit être parce qu'il
avait localisé dans une synagogue, à l'instar du récit type, la gué-
rison de la femme infirme (xiii, lo-ij), que notre auteur localise
dans une maison particulière la guérison de l'hydropique. Réunion
privée pour banquet, au lieu de réunion synagogale. Le trait est d'ail-
leurs conforme aux habitudes juives. Rien ne s'opposait à ce qu'on
donnât des repas le jour du sabbat, et même on le faisait volontiei'S,
les préparatifs ayant été exécutés la veille.
« Et prenant la parole ». -^11 faut supposer que, comme dans le
récit qui a servi de modèle à celui-ci (vt,7; cl. xtit, i4), les pharisiens se-
demandentsi Jésus se permettra d'opérer une guérison le jour du sab-
bat. C'est à cette préoccupation de leur esprit que Jésus l'épond, en les
faisant, pour ainsi dire, arbitres du cas. — « Jésus s'adressa aux légistes
et aux pharisiens ». — Les docteurs sont aussi des pharisiens, mais on
parle de docteurs parce que la question qui se pose parait être de leur
ressoi-t. — r- « Est-il permis ou non d'opérer guérison le jour du sab-
bat ? » — Les docteurs n'osent pas dire non. ^^ « Mais ils gardèrent le
silence ». — Trait de Marc (tu, 4)» omis par notre auteur dans la
reproduction du récit typique, et utilisé ici. — « Et l'ayant pris, il le
guérit ». — Jésus guérit cet hydropique en le touchant (cf. Me. i, 4i).
On peut croire que le geste est pour varier la forme de la guérison ;il
peut sembler approprié à la nature de la maladie et dispense l'auteur
de chercher une parole impérative qui y convienne. — « Et il le con-
gédia » . — Gomme si l'homme n'avait plus l'ien à faire auprès de lui
(cf. vin,38).
« Et à eux il dit », — combattant l'objection qu'ils sont supposés
LUC, xiv, 5-7 379
* et il leur dit :
(( Qui d'entre vous si son âne (?) ou son bœuf en puits tombe^
aussitôt ne l'en retire, (même) en jour de sabbat? »
^ Et ils ne purent pas répliquer à cela.
' Et il adressa aux invités parabole,
remarquant comment ils choisissaient les premières places,
(et) il leur dit :
n'avoir pas osé exprimer, — « Qui d'entre vous, si son fils ou son
bœuf tombe dans un puits, ne l'en l'etire aussitôt », — quand même ce
serait — « le jour du sabbat ». — L'association du fils et du bœuf
■ paraît singulière ;. et plusieurs témoins (S L, Ss. mss. lat. Vg.) ont
« l'âne » (ovo;) au lieu du « fils (uW;, A B, etc. ; Se, a le fils, le bœuf
et l'âne). On allègue les passages de la Loi (Ex. xx, lo ; Deut. v, i4)
où l'homme et les animaux apparaissent ensemble comme soumis à
l'obligation du sabbat ; mais ces textes n'ont qu'un rapport éloigné
avec le sujet de notre discours ; plus probants seraient certaiens textes
rabbiniques en rapport avec la discipline du sabbat (voir Kloster-
MANN, Sia). Mais il est possible que le texte primitif, au lieu du fils ou
de l'âne ait parlé de la brebis (oiç, dont on aurait fait uloç et ô'voç. Well-
HAUSEN, 76. Dans Mt. xii, '35, passage tout à fait parallèle, il est
question de brebis, 7Tpôj3xTov, qui est la leçon de D dans notre passage).
S'il est permis, le jour du sabbat, de venir en aide à un animal pour
l'empêcher de périr, à plus forte raison la même chose doit être per-
mise quand il s'agit d'un homme. La vie de l'homme et celle delà
bête importent plus que l'observation du sabbat. Telle est l'idée qui
ressort du texte (comme de Mt. loc. cit.), même si l'on garde la men-
tion du fils, et ce n'est pas précisément le devoir de la charité qui est
mis au-dessus du sabbat (comme dans xm, i5). — « Et ils ne pou-
vaient rien répondre à cela », — n'ayant pas d'argument à fairevaloir
contre ce raisonnement en vue duquel l'histoire a été conçue. Car ici
encore l'histoire aété conçue comme illustration d''un argument contre
la rigueur de l'observance sabbatique, et elle n'a d'autre valeur que
celle de l'argument ; c'est un produit de la tradition, que l'évangéliste
aura utilisé en y ajoutant seulement le cadre (xxv, i), où il se propo-
sait de loger d'autres enseignements (Bultmann, 5)
La guérison de l'hydropique est censée opérée avant qu'on se mette
à table; puis chacun prend place pour le repas, et Jésus, voyant les
convives se porter vers les premières places, ferait une observation
à ce sujet. Au fond, l'évangéliste exploite ce qui est dit ailleurs (Mo.
xu, 39 ; Mt. xxui, 6 ; Le. xx, 46) sur le goût des docteurs et des pha-
:380 LUC, XIV, 8-9
^ « Lorsque lu seras invité par quelqu'un à festin,
ne te mets pas à la première place,
de peur que plus digne que toi n'ait été invité par lui,
^ et que celui qui vous a invités tous deux ne vienne te dire ;
« Cède-lui la place »,
et que tu n'arrives, avec confusion,
à occuper la dernière place.
risiens pour les premières places dans les festins. Cette remarque et la
guivante, qui s'adresse au maître de la maison, ne seraient pas tout
à fait conformes à nos i-ègles de politesse ; mais une pareille liberté
•de langage n'avait rien de choquant dans le milieu où vivait l'auteur,
ou bien il.a pensé que le Christ pouvait se la permettre. On peut
croire que la première sentence est qualifiée parabole à raison de
l'application, que l'évangélisle a en vue, aux conditions du royaume,
Il n'est pas autrement nécessaire de supposer que la leçon a été pré-
sentée d'abord en manière de récitparaboliqiie et tournée en incident
réel par notre auteur. Il est bien plus probable que celui-ci adapte
tellement quellement au thème de l'évangile une leçon de commune
sagesse.
« Or il adressa aux invités », — aux pharisiens aassemblés chez le
chef, — « une parabole, remarquant comme ils choisissaient les pre-
mières places, leur disant : « Quand tu sera invité ». — La leçon
s'adresse à chacun des convives présents ; mais la vraie raison pour
l'emploi du singulier est que la sentence n'a pas été conçue d'abord en
discours évangélique, mais en conseil de sagesse (cf. Pnov. xxv, 6-j,
dont notre passage pourrait bien dépendre). — <f A un festin ». — Il
s'agit d'un repas solennel, et peut-être doit- on maintenir le sens de
festin nuptial (cf. xn, 36), que le mot grec (yâ-it-oi) comporte naturelle-
ment, l'auteur étant fort capable d'y attacher une signification allé-
gorique (on pourrait même supposer une influence de la parabole du
Festin dans Mt. xxit, 2). — « Ne te mets pas », — de toi-même et
d'abord, — a à la première place », — au haut bout de la table, à la
place qu'on destine à l'hôte le plus distingué, — « de peur qu'un plus
digne que toi n'ait été invité par lui », — par ton hôte. Les convives
sont supposés arriver les premiers dans la salle du festin et se placer
eux-mêmes ; un personnage honorable, ari'ivant le dernier, peut se
trouver obligé de se mettre au bas bout de la table ; le maître vient
quand tout le monde est installé ; s'il y a nécessité, il rectifie les posi-
tions. — « Et que celui qui vous a, toi et lui, invités, ne vienne te
dire : « Cède-lui place ». — Pour ne pas déranger tout le monde en
LUC, XIV, 10-11 381
^° Mais, lorsque lu seras invité,
va te mellre à là dernière place,
■ afin, quand sera venu celui qui t'a invité, qu'il te dise :
. « Ami monte plus haut. »
Alors ce te sera honneur devant tous tes commensaux.
11 Car quiconque s'élève sera abaissé,
et qui s'abaisse sera élevé. »
mettant le plus digne à la première place, le maître fait simplement
échange de la première et de la dernière pljace entre ceux qui les
occupaient. — « Et qu'alors tu n'arrives, avec confusion », — pour-
pette humiliation publique, — « à occuper la dernière place ». — La
prudence est donc de prendre un parti contraire.
« Mais lorsque tu seras invité, va te mettre à la dernière place ».
— Là du moins on n'a d'autre chance à courir que celle de voir l'hôte
vous dire que vous êtes trop modeste. — « Afin que, quand celui qui
t'a invité sera venu, il te dise ». — C'est à raison de l'application que
la chose est présentée comme certaine; car, dans le cours ordinaire
ses choses, il ne suivrait pas nécessairement que celui qui choisirait
la dernière place dût être appelé à la première. « Afin que » (ïva)
n'est pas non plus à prendre en rigueur, comme prescrivant l'inten-
tion qu'on doit avoir, mais comme déterminant les conséquences de
l'acte prescrit. — «Ami, monte plus haut». Alors te sera honneur»,
— d'être ainsi traité, — « devant tous ceux qui seront à table avec
toi ». — Raison de ce renversement : — «. Parce que quiconque s'élève
sera abaissé », — comme il arrive dans le premier cas indiqué, —
« et qui s'abaisse sera élevé », — comme il est dit dans le second.
La même sentence reviendra plus loin (xvin, ï4 '> cf- Mt. xxiii, 12)
avec un sens nettement religieux et eschatologique. Ainsi doit-on
l'entendre dans le présent contexte, car ce principe est loin de se
vérifier toujours dans le coui'ant de la vie ordinaire. Ce doit être
propos courant, dont la tradition a tiré parti selon les opportunités
(BuLTMANN, Qi). Le conseil auquel il est ici adapté n'est pas d'un,
mysticisme transcendant, et c'est de sol un précepte de sagesse,
politesse et habileté, dont on pourrait s'étonner qu'il ait trouvé place
dans l'enseignement attribué à Jésus (Bultmann, loc. cit.), si la
tradition n'y avait introduit une pointe d'allégorie. On peut dire
que la présente leçon, dans son ensemble, est une exhortation à l'hu-
milité, dont on voit d'abord une application' particulière et occasion-
nelle dans le cas du festin, puis la l'écompense cei'taine et durable
•382 LUC, XIV, 12-13
^2 Et il disait aussi à celui qui l'avait invjlé :
« Quand tu donnes diner ou souper,
n'invite pas tes amis, ni tes frères,
ni tes parents_, ni des voisins riches,
de peur qu'eux aussi ne te retournent invitation,
et qu'il ne te soit rendu la pareille.
^' Mais, quand tu donnes feslin,
invite pauvres, estropiés, boiteux, aveugles ;
dans la gloire du l'ègne de Dieu : il faut être dernier et serviteur mainte-
nant pour être premier dans le royaume à venir. Mais on ne peut pas
l'entendre comme une comparaison : de même que celui qui prend la
première place à table s'expose à être renvoyé à la dernière, ainsi
celui qui s'enorgueillit rencontre Thumiliation. Ce n'est pas de cette
façon que notre auteur le comprend, et il verrait plutôt dans le tout
une allégorie qui, pour le sens, équivaudrait à la parabole du Pha-
risien et du publicain (xvin, 9-14^.
Il est à noter que le ms. D contient dans Matthieu (xx, après 28)
une variante de notre passage, sous une forme relativement indé-
pendante: « Mais vous, cherchez, de petit, à grandir, et, déplus
grand, à être moindre. Et entrant et invités à souper, ne vous atta-
blez pas aux places distinguées, de peur qu'un plus honorable que
toi ne survienne, et que rinvitateur(o£i7rvQ/.X-(iTwû, l'esclave chargé des
invitations) ne vienne te dire: « Descends, plus bas »,et que tu n'aies
honte. Mais si tu te mets au plus bas lieu et qu'un moindre que, toi
arrive, l'invitateur te dira : « monte plus haut », et cela te sera pro-
fitable. »
Le Christ se retournerait ensuite vers son hôte. — « Or il dit à
celui qui l'avait invité ». — L'hôte est choisi pour destinataire d'une
leçon concernant les invitations ; mais la leçon aurait pu être aussi
bien adressée à tous les convives. Leçon artificielle d'ailleurs, et
qu'on dirait avoir été simplement tirée de la parabole du Festin en
manière d'instruction morale sur l'amour des pauvres : à en pressex'
les termes, on croirait que Jésus défend de se recevoir entre égaux
et oblige à ne festoyer que les miséreux. C'est que l'auteur a glissé,
dans une leçon sur les invitations à faire, son idéal de communisme
au profit des déshérités. — « Quand tu donneras dîner ou souper ».
— Lé festin de la parabole va être dans notre évangile un souper;
mais c'est un dîner dans Matthieu (xxn, 4)- — « N'invite pas tes amis
ni tes frères, ni tes parents, ni voisins i-iches », — personne de ta
LUC. XIV, .14 383
^*et bienheureux seras-tu,
de ce qu'ils n'ont pas de quoi te rendre,
car cela le sera rendu
en la résurrection des justes.
condition, — « de peur qu'eux aussi ne t'invitent réciproquement et
que » — par-là même — « il ne te soit rendu la pareille ». — Le l'ésul-
tat est qu'on n'a i*ien donné, donc rien acquis pour le ciel.
« Mais quand tu fais festin, invite pauvres, estropiés, aveugles ».
— Il va de soi que les estropiés et les aveugles dont il s'agit sont
aussi des miséreux ; car les riches ne sont pas soustraits aux infir-
mités. Gomme les personnes qu'on dit ici de ne pas inviter sont en
étroite correspondance avec celles qui, dans la parabole suivante,
refusent de se rendre à l'invitation qui leur a été faite (xxv, 16-20),
celles qu'on dit d'inviter sont exactement les mêmes qui, dans la
parabole (xiv, 21), sont dites prendre la place des pi'emiers conviés. 11
y a donc lieu de penser que le sens allégorique de la parabole domine
déjà la pi'ésente sentence, et qu'il ne s'agit pas tant de recomman-
der la charité désintéressée que l'idéal de vie commune préconisée
par l'évangéliste, le Juif pharisien étant d'ailleurs, le type de la jus-
tice intéressée, et le Samaritain généreux celui de la vraie charité.
L'esprit du rédacteur se reconnaît dans la conclusion : — « Et
bienheureux seras-tu », — en n'invitant que des misérables, —
« parce qu'ils n'ont pas de quoi te rendre ». — Ce bienfait gratuit
crée un titre au bonheur éternel. — « Car cela te sera rendu dans
la résurrection des justes ». — Moyennant cette condition, l'on
aura part au l'ègne de Dieu. Ainsi l'entend l'auteur, puisque c'est sur
cette équivalence de « la résurrection des justes » et du «royaume de
Dieu » que va se faire la transition à la parabole du Festin. On pour-
rait supposer que la résurrection des justes s'oppose à la résurrection
générale, celle du jugement, qui viendra plus tard et à laquelle par-
ticiperont en quelques façon les méchants (cl. Ap. xx, 5 ; I Cor.
XV, 23). Mais cette distinction n'est aucunement recommandée parle
contexte, et noli'e auteur paraît ne vouloir admettre, comme les pha-
risiens eux-mêmes, de l'ésurrection que pour les justes (cf. xx, 35) ;
et il n'y aurait, pas à dire que le sort des méchants est simplement
laissé en dehors de la perspective. La formule pourrait avoir été
choisie à dessein pour accentuer l'identité de l'idée chrétienne avec
la croyance du judaïsme orthodoxe. Tout notre j^assage a donc
chance d'être i-édactionnel, et il n'y pas lieu de distinguer (avec
li. Weiss, 620) une leçon de Jésus, sur la bienfaisance désintéressée,
384 LUC, xiY, 15-lG
^^ Or, entendant cela, l'un des convives lui dit :
« Bienheureux qui prendra repas dans le royaume de Dieu ! )>
18 Et il lui dit :
« Un homme donnait grand souper et il invita beaucoup
[de gens ;
que l'évangéliste aurait adaptée à la matière des repas ou plutôt à
son propre idéal de vie commune.
Une de ces transitions par trop faciles, dont le rédacteur est cou-
tumier, amène la parabole du Festin. Il convient de noter l'artifice,
tout littéraire et médiocrement réussi, par lequel la pi'emière sen-
tence (xiv, 7-1 1 ) a été adressée aux commensaux du Christ, la deuxième
(xiu, i2-i4) à son hôte, et la parabole présentée comme réponse à la
remarque d,'un des convives. — « Or, ayant entendu cela », —
ce qui vient d'être dit de la récompense dans la résurrection des
justes, — (( un des convives lui dit : «Bienheui'euxqui mangera du pain
dans le royaume de Dieu ! » — Heureux qui aura part au repas des
justes élus ! L'homme, qui est pharisien, songe probablement à lui-
même. Ce pharisien et les autres représentent le judaïsme orgueil-
leux, riche et avare, qui n'aura point de part au royaume qu'il
espère. C'est ce que Jésus va faii'e entendre dans la parabole. Sans
doute n'est-il pas indispensable de voir (avec Bultmann, 65) dans ce
passage une sentence qui aurait eu cours dans la tradition et qu'on
aurait pu aussi bien attribuer à Jésus, mais que l'évangéliste aurait
utilisée simplement en manière de transition.
« Mais il lui dit : « Un homme fit un grand souper ». — Dans la
source, la parabole commençait sans doute comme chez Matthieu
(xxii, 2) : (( Le royaume des cieux est comparable à un homme,
etc. Notre auteur, ayant mis, pour sa combinaison rédaction-
nelle, le l'oyaume dans la question du pharisien, commence l'histoire
ex abrupto : « Certain homme faisait grand repas ». Du reste, la
parabole, avec son développement, n'est pas du tout un propos de
table, et conviendrait mieux dans un discours public, ainsi que Mat-
thieu l'a pensé. — « Et il invita beaucoup de gens ». — A grand
festin beaucoup d'invités. Apparemment il s'agit d'u.n riche particu-
lier qui offre un repas à des gens de son monde. L'auteur entend que
Dieu adresse au peuple juif le message du royaume; il n'insiste pas
sur l'invitation préliminaire, qui est censée avoir été faite par les
prophètes, comme dans Matthieu (xxit, 3) pour la première invita-
tion. Dans l'économie du récit, l'invitation a été faite quelques jours
à l'avance et a paru acceptée ; l'heure n'a pas été indiquée avec préci-
LUC, XIV, 17-;20 38b
^' et il envoya son serviteur, à l'heure du souper,
dire aux invités : « Venez,
parce que c'est déjà prêt. »
^^ Et ils se mirent (comme) d'ensemble tous à s'excuser.
Le premier lui dit : « Terre j'ai achetée,
et j'ai nécessité de l'aller voir ;
je te prie, tiens-moi pour excusé. »
" Et, un autre dit:
« J'ai acheté cinq paires de bœufs,
et je m'en vais les essayer ;
je te prie, tiens-moi pour excusé. »
2" El un autre dit :
«J'ai pris femme,
et c'est pourquoi je ne puis venir. »
sion, parce qu'une seconde invitation se fait le jour même, quand le
Tepas est prêt, pour le rassemblement des convives,
« Et il envoya son serviteur, à l'heure ..du souper, dire aux invi-
tés », — sur lesquels il croyait pouvoir compter : — « Venez, parce que
c'est déjà prêt ». — Il faut donc venir sans tarder. C'est peu d'un ser-
viteur pour un homme si riche et pour un si grand festin, où tant de
monde est convié. Dans Matthieu (xxii, 3-4, 8-io), les serviteurs
sont toujours en nombre, et l'on peut croire que notre évangéliste
parle d'un seul serviteur parce qu'il a en vue le Christ, venu pour
■servir (xxiir, 27). — « Et ils se mirent d'un seul coup tous à s'excu-
ser». — Sans s'être autrement concertés, les invités s'accordent
tous pour décliner tout de suite l'invitation sous divers prétextes (la
formule àTtb |j.iaî marque l'unanimité simultanée dans le refus, bien
-que les invités ne soient pas réunis ensemble et qu'ils ne se soient
pas entendus pour refuser l'invitation). Le détail des excuses laisse
•entendre que chacun est chez soi quand on l'appelle ; mais l'emploi
d'un seul serviteur, visitant un si grand nombre de personnes et
disant qu'on vienne tout de suite, ne s'accorde pas bien avec la cir-
constance ni avec l'espèce d'unanimité simultanée du refus.
« Le premier lui dit » . — La réponse est donnée au serviteur,
mais dans les termes de politesse qui conviendraient en s'adressant
-directement au maître et qui devront lui être répétés. — « J'ai acheté
une terre, et j'ai nécessité de l'aller voir ». — Comme on est à l'heure
dursouperi l'excuse est assez mal placée, et il en sera de môme pour
la suivante. Matthieu (XXII, 4), qui parle du repas de midi (itoKJxov),
A. Lois Y. — L'Evangile selon Luc. 25
380 - LUG, XIV, 21-24
" Et revenu, le serviteur rapporta cela à son maître.
Alors, irrité, le n;aître de maison dit à son serviteur r
(' Va vite dans les places et les rues de la vilJe;
et amène ici les pauvres, estropiés, aveugles et boiteux. »•
22 Et le serviteur dit : « Seigneur,
il a été fait comme tu as ordonné,
et il y a encore de la place, n
28 Et le maître dit au serviteur :
« Va-l'en le long des chemins cl des haies
et force (les gens) d'entrer,
afin que soil remplie ma maison ;
2* car je vous dis
que pas un de ces hommes invités ne goûtera de mon souper. »'
a dû conserver la donnée de la source, et noire évangéliste l'aura
modifiée, estimant que le repas du soir (Seîtivov) convenait mieux pour
figurer le grand festin du. royaume. — « Je te prie, liens-moi pour
excusé ». — Il ne semble pas que la forme de l'excuse ait une portée
allégorique. — « Et un autre dit : « J'ai acheté cinq paires de bœufs,
et je vais les essayer ». — Même remarque que pour la précédente
excuse. — ce Je te prie, tiens-moi pour excusé ». Et un autre dit :
« J'ai pris femme, et c'est pourquoi je ne puis venir ». — Le dernier
ne prend pas la peine de s'excuser autrement, mais ce peut être pour
varier le formulaire, non pour marquer quelque incivilité de forme ;
ou plutôt encore c'est que, dans celte strophe, le retour du serviteur
a dû pi'endre la place de l'excuse polie.
Ces trois excuses sont typiques de toutes celles qu'on dit avoir élé
faites; elles ne sont ni invraisemblables ni mensongères; mais ce
sont des prétextes qui auraient pu être prévus quand la première
invitation a élé proposée, et qu'on découvre maintenant, parce que,
au moment décisif, on ne se soucie pas de répondre à l'appel. Les
excuses sont simplement représentées dans Matthieu (xxii, 5) par
l'indication : « Ils s'en allèrent l'un à la campagne, l'autre à son
négoce » (le cas du marié n'était pas facile à transposer dans le récit
du premier évangile, où le rédacteur ne voulait pas parler d'autres
noces que celles du prince royal); mais il n'est pas nécessaire de sup-
poser que notre auteur aurait donné en forme de dialogue ce que la
source énonçait en forme de récit, Matthieu ayant pu énoncer aussi
bien en forme de récit ce que la source donnait en forme de dialogue»
Quant au fond, notre évangéliste voit dans les invités qui s'excusent
LUC. A'iv, 21-24 387
les types des hommes qui refusent le salut, absorbés qu'ils sont par
les intérêts et les joies de ce monde.
(( Et revenu » — à la maison, — « le serviteur rapporta cela à son
maître. Alors, irrité », — mais ne voulant pas avoir pre'parc son
festin pour rien, — « le chef de maison dit à son serviteur : « Va vite
dans ïes places et les rues de la ville ». — Nous ne savions pas que
la scène se passait en ville ; mais l'ensemble de la mise en scène le
faisait entendre. — « Et amène ici les pauvres, les estropiés, les
aveugles et les boiteux ». — C'est l'énumération rencontrée plus haut
(xiv, i3). On ne raconte pas l'exécution de cet ordre, et, par une
liberté singulière de la narration, le serviteur y répond comme s'il
était accompli.
«Et le serviteur dit: « Seigneur, il a été fait comme tu l'as
ordonné », — on a ramassé dans les rues les pauvres, etc. — « et il y a
encore de la place ,). — La salle du festin n'est pas remplie. — « Et
le maître dit au serviteur : « Va le long des chemins et des haies », —
hors de la ville, où sont les pui'S vagabonds, — « et force », — non par
violente contrainte, mais par sollicitation pressante, les gens —
«d'entrer, afin que ma maison soit remplie». — Suit un arrêt de
condamnation contre les premiers invités, comme s'ils ne s'étaient
pas eux-mêmes exclus de la fête. -^ « Car je vous dis que pas un de
ces hommes qui étaient invités ne goûtera de mon souper». — L'exé-
cution du dernier ordre est sous-entendue, comme celle du précé-
dent, et l'histoire est ainsi terminée. Dans cette finale, l'auteur est
dominé par la préoccupation allégorique; il pense au règne de Dieu,
où les invités du Maîli'e éternel, c'est-à-dire les tenants du judaïsme
officiel n'auront point de part; il y pense même tellement que, sans
s'apercevoir de l'incohérence, il met dans la bouche du maître parlant
à son unique servitexir les mots :« je vous dis », qu'on devrait,
imputer au Christ faisant l'application de la parabole, si le maître,
c'est-à-dire Dieu, ne disait, à la fin de la phrase, « mon festin ».
La seconde mission du serviteur pour trouver des convives de
remplacement a été dédoublée de la première, la seule que dût con-
naître la source, et qui soit indiquée dans Matthieu (xxii, 9-10). Cette
seconde mission introduit dans la parabole une complication invrai-
semblable, les pauvres qui ont été recrutés dans la ville attendant,
pour goûter au festin, qu'on ait ramené les vagabonds de la banlieue.
C'est que l'évangéliste, ayant vu dans les premiers invités les Juifs
.incrédules, suivant une idée familière au rédacteur des Actes, a voulu
figurer dans les pauvres de la ville les convertis du judaïsme, dans-
ceux du dehors les convertis de la gentilité. Il conçoit les incrédules
388 LLc, XIV, 2b-27
^^ Or faisaient route avec lui foules nombreuses,
et se retournant, iileur dit:
'^ a Si quelqu'un vient à moi
et ne hait ses père et mère,
femme et enfants,
frères et sœurs,
et même encore sa propre vie,
il ne peut être mon disciple,
27 Qui ne porte sa croix. f
et ne marche derrière moi ' i ,
ne peut être mon disciple.
comme riches, les croyants comme pauvres, ce qui donne à l'allég-orie
une couleur de révolution sociale qu'elle n'a pas dans Matthieu.
L'allégorisation de Matthieu est plus apocalyptique, celle de Luc
plus morale. Les deux laissent entrevoir une parabole adaptée aux
circonstances de la prédication chrétienne en ses premiers temps, et
qui pouvait bien être une allé'gorisation plus simple d'un thème para-
bolique fourni par la tradition juive.
LVIL Le IIENONCEMENT
L'instruction qui suit, sur le thème du renoncement, est artificiel-
lement construite avec deux petites paraboles propres à notre évan-
gile et encadrées de sentences que Matthieu a logées soit dans le
discours de mission (Mt. x, S^-Sg), soit dans le discours sur la mon-
tagne (Mt. V, i3). Le tout fait une manière de conclusion aux deux
chapitres qui précèdent: on y peut voir que les Juifs ont été réprou-
vés parce qu'ils n'ont point satisfait à la condition indispensable
pour être héritier du royaume, renoncer aux affections et aux intérêts
de ce monde. Telle est l'ariùère-pensée de l'évangéliste, bien plutôt
que : tous sont appelés, peu nombreux sont les vrais disciples
(Wellhausen, 79).
Inutile de discuter la formule d'introduction, qui n'a rien d'histo-
rique. ■ — « Or marchaient avec lui foules nombreuses, et s'étant
retourné, il leur dit ». — On ne sait si le narrateur a voulu reprendre
ici la suite du voyage de Judée, perdu de vue depuis quelque temps,
ou simplement ménager une transition pour le nouveau discours. Des
foules âont amenées pour s'entendre dire à quelles conditions l'on
peut réellement suivre Jésus, et il est sous-entendu que la masse ue
LL-c. x'iv. 28 389
■8 Car qui d'entre vous, voulant bâtir une tour,
1)6 s'assied d'abord pour calculer la dépense,
(et savoir) s'il a de quoi achever ?
comprendra pas. Rien n'inviteà supposer ici (avec J. Weiss-Bousset,
465) une troupe de gens qui s'empresseraient à la suite de Jésus pour
voir à Jérusalem l'avènement du règne de Dieu (cf. xi, 29 ; xii, i ; un
rapport avec xix, 11, 87, n'est pas indiqué).
« Si quelqu'un vient à moi », — se proposant de me suivre, — «et
ne hait ses père,mère, femme, enfants, frères, sœurs, et même encore
sa propre personne, il ne peut être mon disciple )). — Combinaison
de la formule adoptée (ix, 28 24) ponr la leçon du renoncement per-
sonnel (d'après Me. VIII, 34), et de la formule du renoncement aux
parents et enfants dans le recueil de sentences (Mt. x, S^-SS), formule
dont notre auteur garde le mot «haïr», que Matthieu atténue en
« aimer plus que moi » ; la femme, les frères et les sœurs sont ajoutés
d'après l'énumération qui se fait dans la promesse à ceux qui ont tout
quitté pour le royaume (xviii, 29; Me. x, 29). Au lieu de : « ne peut
être mon disciple », on lit dans Matthieu {x/dj, 38) : « n'est pas digne
de moi ». — « Qui ne porte sa croix et ne marche derrière moi ne
peut être mon disciple ». — Même rapport avec Matthieu (x, 38), et
même doublet par rapport à la leçon déjà donnée (ix, 23) d'après
Marc (viii, 34). Les formules de Luc ont chance de représenter plus
fidèlement la source que celles de Matthieu, qui semblent atténuées;
les sentences elles-mêmes sont plutôt des oracles rendus au nom du
Christ, dans les premiers cercles chrétiens, qu'un enseignement de
Jésus, ainsi qu'en témoigne d'ailleui-s la mention de la croix (malgré
l'hésitation de BuLTMANN, 98, 99). Elles correspondent a la situation
du christianisme déjà suspect et persécuté.
Les deux comparaisons qui suivent sont pour montrer à quoi
s'expose celui qui voudrait s'attacher à Jésus sans être dans ces dis-
positions. — « Qui d'entre vous, voulant bâtir une tour, ne s'assied
d'abord pour calculer la dépense ». — L'homme s'assied pour faire
son calcul, que l'on suppose assez compliqué. La tour à bâtir, s'il
s'agit, comme il semble, d'un particulier, quelqu'un de l'assistance,
ne semblerait pouvoir être une sorte de forteresse; mais, si l'on veut
que ce soit une tour de garde, comme il y en avait dans les vignes,
une telle bâtisse ne devait pas être de si grande dépense . Il s'agit
d'une construction assez considérable, et, comme l'exemple est hypo-
thétique, il ne faut pas trop regarder à la condition des auditeurs.
L'hypothèse de la tour à construire fait pendant à celle de la guerre à
390 LUC, XIV, 29-33
2^ De peur que, s'il pose le fondement
et qu'il ne soit pas en mesure de terminer,
tous ceux qui verront (cela)
ne se meltent à le ridiculiser, 3" disant:
« Cet homme a commencé de bâtir,
et il n'a pas été en mesure de terminer. »
^^ Ou bien quel roi, marchant contre un autre roi en guerre;
ne s'assied d'abord pour examiner
s'il sera capable, avec dix mille hommes, de tenir tête
à celui qui, avec \ingt mille, s'avance contre lui ?
^^ Sinon, pendaut que celui-ci est encore loin,
il envoie embassade pour demander les conditions de paix.
^3 Ainsi donc quiconque d'entre vous
ne renonce pas à tout ce qu'il possède
ne peut pas être mon disciple.
faire, et l'on, doit supposer entre les deux quelque proportion et ana-
logie. Celui qui veut bâtir doit savoir d'avance — « s'il a de quoi
achever », — mener à bonne fin son enti'eprise de construction, —
« De peur que, s'il pose le fondement et qu'il ne puisse achever », —
faute de ressources, — « ceux qui verront cela ne se mettent à le ridi-
culiser, disant : « Cet homme a commencé de bâtir et il n'a pu ache-
ver. » — L'ironie est plutôt dans le ton que dans le fond de cette
remarque banale. « Cet homme-ci » est dit avec dédain, mais aussi
pai'ce que le héros de l'histoire est anonyme et qu'il n'est pas besoin
de le connaître pour riredeson échec (La.gr a.nge, ^ii). La comparai-
son est médiocre de forme, et elle n'est pas très heureuse, pai'ce que
la correspondance est trop lointaine entre le cas moral en question
et l'exemple qui y est comparé.
Il en va de même pour la comparaison suivante. — « Ou bien quel
roi, allant faire la guerre à un autre roi, ne s'assied d'abord » — pour
tenir conseil avec ses capitaines et — « examiner s'il sera capable,
avec dix mille hommes, de faire face à celui qiii, avec vingt mille, vient
contre lui ? Et s'il ne le peut», — comme il y a grande apparence qu'il
ne le pourra pas, — « pendant que celui-ci est encore loin, il envoie
une ambassade pour demander la paix». — Nul besoin de conjectu-
l'cr que les rapports d'Hérode Anlipas avegson beau-père Arétas, roi
des Nabatéens, auraient fourni la matière de cette faible parabole.
La traduction : « il s'informe de sa santé » (suggérée par Klostkr-
MANN, 5i6, pour èpojT-/ Ta TTcbç e'p'i^vriv, en lisant elç £lc'/)V7]v) est peu
LUC, XIV, 34 35 391
^* Bon, certes, est le sel ;
mais, si le sel même s'affadit,
avec quoi l'assaisonnera-t-on ?
^^ Ni en terre ni en fumier il n'est utilisable ;
dehors on le jette.
Qui a oreilles pour entendre entende ! »
recommandée par le contexte, quand même on y verrait un témoi-
gnage de soumission. — « Ainsi donc quiconque d'entre vous ne
renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple ».
~ La conclusion ne s'adapte qu'à moitié aux paraboles et achève seu-
lement de les encadrerdans le précepte du renoncement. Les exemples
cités dissuaderaient plutôt les gens de suivre le Christ. Mais l'évan-
géliste, qui serait fort capable de les avoir lui-même arrangés, a
voulu signifier que mieux vaut ne pas tenter de faire ce qu'on ne peut
réaliser, n'avoir pas la velléité de se faire chrétien quand on n'a pas
le courage du sacrifice total que demande la profession chrétienne.
IL n'en reste pas moins que deux exemples, qui par eux-mêmes
ne sont que des leçons empruntées à la commune sagesse, se trouvent
adaptés artificiellement au thème du renoncement évangélique : fait
littéraire, accommodation réalisée dans la tradition évangélique,
quelle que soit la source d'où proviennent les exemples allégués .
Si l'on veut que la réflexion sur le sel soit en l'apport avec l'instruc-
tion dont elle fait partie, on devra dire que la profession de disciple
est quelque chose d'excellent en soi, mais qu'elle perd toute sa
valeur si elle ne s'accompague toujours du renoncement qu'elle com-
porte . — « Bon, certes, est le sel ». — Début de la sentence, conservé
d'après la source, comme dans Marc (ix, 5o). — « Mais si le sel même
s?affadit ». — Conformité avec Matthieu (v, i3, [xcopavOyi). — « Avec
quoi l'assaisonnera-t-on ? « — Ici (àpTuOT^CTexat) conformité avec Marc
(àpTuffexe). — « Il ne convient ni en terre ni en fumier », — il n'est pas
même utilisable comme engrais ; — .« on le jette dehors ». — Mat-
thieu ; Cl II n'est plus bon à rien qu'à être jeté dehors pour être foulé
par les hommes » . L'idée du sel engrais a été introduite par noti'e
auteur .
(( Qui a oreilles pour entendre entende ! » — Cet appel invite à
chercher plus loin que le sens apparent du texte et à n'y pas voir
qu'une instruction d'ordre moral . Les Juifs et leurs chefs étaient le
sel de l'humanité ; infidèles à leur mission, puisqu'ils sont indociles
nu. Christ et ne compreiment pas la leçon du renoncement évangé-
392 LUC, XV, i -2
^v Or venaient à lui tous les publieains et les pécheur»^
[afin de l'entendre ;.
' et les pharisiens et les scribes murmuraient, disant :
« Cet (homme) reçoit des pécheurs et il mange avec eux. »
lique, ils ne sont plus bons à rien et ont perdu leur droit au royaume
de Dieu. Moyennant cette application du dicton sur le sel, le discours-
surle renoncement se trouve subordonné à l'idée qui domine les-
récits et discours précédents, à savoir la réprobation d'Israël et la
vocation des Gentils. Pris en lui-même, le logion sur le selesi enuore^
un de ces dictons que la tradition chrétienne a élevés à lu dignité de
leçons évangéliques en les pourvoyant d'applications religieuses et
morales (cf. BuLTMANN, 91).
LVIII. Le pardon divin
Aucune circonstance particulière n'est àssrgnée ,aux trois para-
boles du pardon. L'introduction paraît avoir été déduite de ce qu'on a
lu plus haut (v, 27-32) touchant l'afïluence des publieains et des
pécheurs autour de Jésus, et les murmures des pharisiens à ce sujet.
— « Or tous les publieains et les pécheurs »,— les publieains sont
des pécheurs, mais tous les pécheurs ne sont pas des publieains, — .
« venaient à lui pour l'entendre ». — C'est, vaguement généralisé, le
fait signalé déjà. — « Et les pharisiens et les scribes », — ce n'est
pas la première fois qu'on les l'cncontre (cf. notamment v, 3o), —
a murmuraient, disant : « Cet homme reçoit des pécheurs et mange
avec eux ». — Même reproche que ci-dessus {loc, cit.), un peu délayé.
Mais, à prendre cette indication à la lettre, lei'eproche serait à peine
fondé, puisque ce sont les publieains qui se pressent pour entendre
Jésus et qu'il n'a pas été question de commensalité,
« Mais illeur adressa cette parabole, disant ». — Ce sont deux, para-
boles qui viennent d'abord (xv, ^-Jo), liées ensemble, et une troisième
s'y ajoutera (xv, ii-32). Le mot « parabole » semble viser le discours
parabolique tout entier (cf. v, 36), plutôt que la première parabole,
inséparable ici de la seconde. Il n'y a pas lieu de supposer que l'in-
troduction, dans la source, concernait le Fils prodigue, et que l'évan-.
géliste aurait inséré dans ce cadre préparé, sans modifier le préam-
bule, les deux petites paraboles, qu'il prenait dans le recueil de
sentences : le préambule, tout artificiel, ne convient pas mieux à la
troisième parabole qu'aux deux autres, et si l'exorde avait été écrit
LUC, XV, 3-6 3^3
^ Mais il leur adressa celte parabole, disant:
^ « Quel homme d'entre vous, ayant cent brebis,
s'il en perd une,
ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf dans le désert,
pour aller après la perdue, jusqu'à ce qu'il la trouve ?
• Et quand il l'a trouvée, il la met sur ses épaules, joyeux^
^ et arrivé à la maison, il convoque les amis elles voisins,
leur disant : « Réjouisséz-voas avec moi,
parce que j'ai trouvé ma brebis qui était perdue. »
pour la dernière (B. WriîP.Sa^), rirn n'empêchait l'évangéliste de
mettre au pluriel le mot « parabole » quand il intercala les deux
autres. Le Christ justifierait sa conduite à l'égard des pécheurs par
les sentiments de Dieu même à l'égard rie ses enfants égarés : le Père
céleste a grand désir de ramener ceux-ci au bien, comme le berger
souhaite ramener.au bercailla brebis perdue ; il est anxieux de les
retrouver, comme la ménagère économe de retrouver la pièce de mon-
naie qu'elle a laissée tomber dans sa maison ; il les accueille avec bonté
quand ils i*eviennent à lui, comme un père dont le fils coupable,,
mais malheureux et enfin repentant, vient implorer le pai'don. Ce
n'est pas en vue de cette apologie personnelle que les paraboles ont
été conçues d'abord.
Dans les deux premières, les auditeurs sont interpellés directement^
comme si le paraboliste soumettait à leur jugement des exemples
qui doivent leur être familiers. — « Quel homme parmi vous, ayant
cent brebis et en ayant perdu une » . — Ces formules d'interrogation
un peu contournées, dont la parabole suivante fournira un autre cas,
pourraient bien appartenir en propre à notre évangéliste (cf. xi, ii).
Matthieu (xviii, 12) : « Que vous en semble ? si un homme a cent
brebis et que l'une d'elle s'égare», doit reproduire la leçon de la
source. — « Ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf dans le désert », —
en leur lieu de pâture. Matthieu : « sur les montagnes ». — « Pour
jaller après celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il la retrouve » ? —
Matthieu : « pour aller chercher celle qui est égarée ». Le maître
est censé pouvoir sans inconvénient laisser seules au pâturage les
quatre-vingt-dix-neuf brebis paisibles, pendant qu'il recherchera la
yagabonde. — «Et quand il l'a trouvée,il la met sur ses épaules avec
joie », — pour la rapporter au bercail. Quelques manuscrits latins
omettent « avec joie » (/aîpcov), sans doute à tort et par influence
de la parabole suivante ; le trait et le mot sont dans "la manière de
394 LUC, XV, 7-9
' Je vous dis que de même plus de joie au ciel sera
pour un seul pécheur repentant
que pour quatre-vingt-dix-neuf justes
qui n'ont pas besoin de pénitence.
8 Ou bien quelle femme, ayant dix drachmes,
si elle perd une drachme,
n'allume lampe, ne balaie la maison
et ne cherche avec soin jusqu'à ce qu'elle ait trouvé ?
^ Et quand elle a trouvé, elle convoque les amies et voi-
[sines, disant :
« Réjouissez vous avec moi, parce que j'ai trouvé la drachme
[que j'avais perdue. »
Tévangéliste.Il se peut d'ailleiirs que notre auteur ait accentué le sen-
timent dans cette finale, que Matthieu (xviii, i3-i4) a modifiée en
l'abrégeant. — « Et arrivé à la maison, il convoque les amis et les
voisins », — pour les associer à son contentement, — « leur disant :
« Réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai trouvé ma brebis qui était
perdue ».
Application facile: — « Je vous dis qiie de même », — en la matière
du salut, — « il y a plus de joie au ciel », -^ on dit : « dans le ciel »,
pour éviter l'anthropomorphisme qu'il y aurait à dire : « à Dieu»,
ou plutôt l'évangéliste affecte ou retient une formule de langage
rabbini'que sans partager le scrupule qui y a donné lieu (cf.-xv, lo),
— «pour un seul pécheur qui.se repent », — et dont on pourrait
presque dire qu'il n'était plus attendu, — « que pour quatre vingt-
dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence». — Embarras
des commentateurs devant cette conclusion qui s,emblerait ' com-
prendre la justice indépendamment de la foi à l'Evangile : les uns
disent que l'existence de ces justes est purement hypothétique, et
que Jésus a parlé selon le sens pharisien ; les autres que la conclu-
sion est ironique et tourne en dérision les justes selon la Loi. Mais
cette ironie détruirait à fond l'économie de la parabole ; et les justes
ont autant de réalité que le pécheur repentant. On a fait dire
pareillement à Jésus, sur le même sujet (v. Sa ; Me. ii, 17) : « Je ne
suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs». Là aussi on
parle sérieusement des justes selon la Loi. 11 est à croire que cette
parabole est une donnée juive adaptée au thème de l'Evangile, soit
par Jésus, soit par la tradition judéochrétienne. Notre auteur n'a
LUC, XV, 10 395
" Ainsi, je vous dis, il y a joie parmi les anges de Dieu
pour un seul pécheur repentant. »
pas vu d'inconvénient à la retenir, bien qu'elle s'accorde mal avec
l'idée qu'il professe touchant la réprobation des Juifs.
La parabole de la Drachme est construite sur le même type que
■celle de la Brebis et doit provenir de la même source. — a Ou quelle
femme ». — Même forme d'interrogation que plus haut (xv, 4)'
L'évangéliste n'ajoute pas ici : « parmi vous », parce que le
discours n'est pas censé adressé à des femmes. — « Ayant dix
drachmes». — La drachme valait environ soixante-dix ou quatre-
vingts centimes. La femme est à peu près du même monde que
l'homme aux cent brebis, qui les fait paître lui-même, ni riche ni
pauvre. — « Si elle en perd une ». — Dommage appréciable poui* elle.
— a N'allume une lampe ». — Non qu'il fasse nuit, mais c'est que
les maisons oi'ientales sont mal éclairées. — « Ne balaie la maison».
— La pièce de monnaie étant censée cachée dans la poussière sur le
sol battu, — « Et ne chei'che avec soin jusque ce qu'elle ait trouvé?»
— Là femme cherche dans la maison, parce qu'elle est censée n'avoir
pas emporté son argent dehors ; l'hypothèse d'un vol est écartée,
puisqu'une seule drachme sur dix a disparu. — « Et quand elle a
trouvé, elle convoque les amies et les voisines» . — Gomme l'homme
à la brebis dans le cas précédent. — « Disant: « Réjouissez- vous avec
moi,parce que j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue ».
« Ainsi, vous dis-je, se fait-il joie parmi les anges de Dieu». —
La société céleste arrive ici, comme plus haut le ciel, afin de ne pas
mettre Dieu personnellement en cause ; mais, dans la rigueur du lan-
,gage rabbinique, il aurait fallu dire simplement « les anges », et non
(( les anges de Dieu ». 11 paraît assez hardi de supposer que les anges
correspondent aux voisins et aux voisines denos paraboles, car l'auteur
n'entend pas que Dieu appelle les anges à se réjouir avec lui pour la
•conversion du pécheur. — « Pour un seul pécheur qui se repent ». —
Jl n'est point ici parlé de justes, parce que les drachmes ne s'adap-
taient pas comme les brebis à ce côté de la comparaison, peut-être
aussi parce que neuf signifierait peu après quatre-vingt-dix-neuf
(JûLiCHBR, II, 322). Cette parabole, un peu artificielle, paraît secon-
daire eu égard à celle de la Brebis perdue, comme le Levain après le
Sénevé (cf. Bultmann, i22).0n pourrait citer un pendant l'abbinique
{Fi-EhiG, GleichnisredénJcsu, 84).
396 LUC, XV, 11^13
"Etildit:
« Un homme avait deux fils ;
^" etle plus jeune des (deux) dil au père :
« Père donne-moi la part qui (me) revient de la fortune. »
Et lui leur partagea le bien.
^' El peu de jours après, ayant lout réalisé,
le plus jeune fils parlil pourun pays éloigné,
et il y dissipa. tout son avoir, vivant en, liberlijQ.
((Et il dit». — Celte courte formule d'introduclion détache des-
pai-aboles pnécédenles l'hisloire du Fils pro(3igue. L'importance da
récit justifie cette la çbn d'alinéa; mais peut-êlre aussi est-ce un
indice de provenance distincte. Histoire assez longue, en deux
tableaux, dont le principal (xv, n-24 a) contient les aventures du
prodigue et son repentir, le second (xv, 24 &-32), sorte d'appendice,,
concerne le fils qui n^a point failli.
« Un homme avait deux fils ». — Il s'agit, comme on va le voir^
d'un propriétaire assez fortuné. — « Et le plus jeune d'entre eux dit
au père : « Père, donne-moi la part qui (me) revient de la fortune >>.
— On ne dit pas le motif de cette démarche, mais la conduite ulté-
rieux'e du jeune homme le laisse facilement deviner. D'après la Loi
(Deut. XXI, 17), la part du fils cadet devait êli'e la moitié de celle qui
était réservée à l'aîné. On n'aurait pu attribuer le rôle de prodigue à
l'aîné sans compliquer la parabole : pour demander sa part, l'aîné
aurait dû renoncer à la succession principale et céder son di'oit au
plus jeune. On voit, en effet, que le fonds du patrimoine familial lui
est assuré. Ce doit être pour cette cause, et non parce que le plus
jeune doit être censé plus étourdi, que l'aîné a reçu le rôle du sage.
En droit, le partage n'est exécutable qu'au décès du testateur ; le
plus jeune fils, en réclamant la jouissance immédiate, a sollicité une
laveur ; l'aîné, qui n'a rien demandé, a sa pai-t garantie ; on n'est pas
obligé de supposer qu'il n'a pas voulu, par pitié filiale, entrer en
possession du patrimoine. — « Et lui leur partagea le bien ». — Gela
ne signifie pas que les deux parts aient été égales, mais il en résulte
que celle de l'aîné a été fixée de façon définitive. De tels arrangements
étaient dans les habitudes du temps, et un cadet pouvait avoir de
bonnes raisons pour solliciter les moyens de se créer une situation
indépendante. — « Et pas beaucoup de jours après, ayant tout ramas-
sé ». — La part du plus jeune, qui consiste probablement en argent
et objets de valeur, est pi'omptement réalisée, on va voir pourquoi.
LUC, XV, 14-16 397
^* Or, quand il eut dépensé tout,
advint famine g'rande en ce pays là,
et il se trouva dans le besoin.
^'Et il alla s'attacher à l'un deis citoyens de ce pays,
et (celui-ci) l'envoya dans ses champs paître dés porcs.
" Et il aurait bien voulu s'emplir le ventre
des caroubes que mangeaient les porcs ;
et personne ne lui en donnait.
— « Le plus jeune fils », — pour échapper à la surveillance de son
père, — (f partit en pays lointain, et il y dissipa tout son avoir en
menant une vie dérég^lée ». — Le trésor emporté se vide rapidement.
Pour l'instant, le narrateur ne donne aucun détail sur les déborde-
ments du prodigue (Ss. Se. ajoutent : « avec des prostituées», d'après
XV, 3o), mais il en décrit soigneusement lés suites.
« Or, quand il eut tout dépensé, advint une grande famine dans
ce pays-là », — qui lui enleva jusqu'à la ressource de la mendicité, —
« et il se trouva dans le besoin ». — Nul moyen de vivre qu'en pre-
nant quelque service chez un propriétaire. — « Et il alla s'attacher à
l'un des citoyens de ce pays », — un citadin, possesseur de biens
ruraux, — « qui l'envoya dans ses champs garder des porcs ». —
Emploi qui, pour un Jnif, l'eprésente le dernier degré de l'humi-
liation.
Cependant le malheureux n'a même pas l'avantage d'éviter ainsi le'
supplice de la faim ; on accepte ses services et on ne les paie pas ; ce
n'est pas lui qui distribue aux pourceaux les gousses de caroubier
dont on les nourrit, sans quoi il en prendrait pour calmer vaille que
vaille les tiraillement de son estomac vide. — « Et il aurait bien voulu
s'emplir le ventre ». — Leçon de nombreux témoins (Ss. mss, lat, etc);
celle des manuscrits les plus autorisés (SBDL) : c se rassasier »,
a chance d'être une atténuation voulue. — « Des caroubes que man-
geaient les porcs, et personne ne lui en donnait ». — De savoir com-
ment il se ti'ouve empêché de prendre aux porcs quelques gousses
de caroubier, et par le fait dé. gens qui auraient été les détenteui*s de
cette pâture, c'est ce qu'on néglige de nous dire, comme n'important
pas au but de la parabole ; mais le trait pai'aît dû à la fantaisie du
narrateur et pourrait manquer de vraisemblance.
« Or, étant rentré en lui-même », — ayant repris possession de sa
raison et jugeant nettement sa situation, ce qui n'est pas encore le
repentir, mais sa condition préliminaire, — «il dit », — songeant à ce
398 LUC, XV, 17-21
l' Mais, fenlré en lui-même, il dit :
(i Combien de journaliers de mon père ont trop de pain,
tandis que moi je meurs ici de faim ?
" Je vais aller trouver mon père,
et je lui dirai : « Père,
j'ai péché conire le ciel et envers loi ;
" je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ;
traite-moi comme un de tes journaliers. »
2" Et il s'en alla trouver son père.
Mais, comme il était encore k distance,
son père l'aperçut, et il eut pitié ;
et accourant, il se jeta à son cou,
et il l'embrassa,
ai Et le fils lui dit: a Père,
j'ai péché conire le ciel et envers toi ;
je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. »
qui se passait et se passe encore dans la maison paternelle : — « Com-
bien de mercenaires de mon père », — ouvriers payés à la journée
ou à la semaine et vIa ant de leur salaire, — « ont plus de pain qu'il
neleurenfaut»,— parce qu'ils peuvent aisément se procurer le néces-
saire, — « tandis que moi » — je n'aipas à ma disposition les gousses
de caroubier qu'on donne aux porcs, et — « je meui's ici de faim. Je
vais aller trouver mon père ». — C'est la résolution aussitôt prise
(àvaffxâç devant ■KoçeéaoïJ.v.i, et plus bas, 20, devant ïjXOev, ne signifie pas
proprement se lever, mais plutôt se mettre en mouvement, en route ;
cf. I, 39 ; il serait arbitaire d'introduire ici une nuance morale,
comme si l'homme se redressait de son abattement). — « Et je lui
dirai ; « Père, j'ai péché conti'e le ciel », — c'est-à-dire contre Dieu,
— « et envers toi ». — Pour être accueilli, il faudra se reconnaître
coupable et demander pardon ; mais le prodigue reconnaît ses torts
et il se déclarera prêt à les expier. — « Je ne suis plus digne d'être
appelé ton fils », — d'être considéré comme tel, — « traite-moi
comme un de tes mercenaires », — un de ces étrangei's que l'on prend •
à gages et qui sont payés selon leur travail.
« Et il s'en alla trouver son père»— dans ces dispositions. — « Or,
comme il était encore à distance » — de la maison paternelle, —
« son père l'aperçut et fut touché de compassion, et », — sans atten-
dre seulement que son fils vienne jusqu'à lui et implore sa pitié, —
LUC, XV, 22-23 39^
22 Mais le père dit à ses serviteurs :
« Vile apportez la plus belle robe et l'en revêtez ;
mettez-lui anneau à la main
et souliers aux pieds ;
2' et amenez le veau gras,
et tuez-le, et mangeons en réjouissance,
« accourant, il se jeta à son cou et l'embrassa. Et le fils », — com-
mençant sa conlession, — « lui dit : « Père, j'ai péché contre le ciel et
envers toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ». — Il n'ajoute
pas les mots : « traite-moi comme un de les mercenaires », qui son-
neraient faux en cet endroit (Les mss. SBD les ajoutent, bien à tort,
d'après xv, 19) ; et s'il s'en abstient, ce n'est pas précisément parce
que l'accueil paternel lui promet davantage, mais parce que cet
accueil le confond et qu'il s'en tient à l'aveu de sa faute, sans expri-
mer aucun désir. Le père d'ailleurs, ne lui laisse pas le temps d'en
dire davantage. Notons aussi que la ligne en question viendrait en
surnombre dans la strophe, et qu'il pourrait bien n'y avoir aucune
nuance morale dans cette omission.
« Mais le père », — ému de pitié pour ce mendiant qui est son
enfant, — « dit à ses serviteurs », — venus sur les pas du père et
que celui-ci va mettre tous en mouvement pour le service du pro-
digue repentant . — (( Apportez vite ». — Plusieurs témoins omettent
« vite' », peut-être parce que, entendant ce passage allégorique-
ment, on ne pensait pas que le péché dût être si facilement pardonné
(.liiLiCHER, II, 35o). — <i La plus belle robe ». — Littéralement : « la
première », ce qu'il y a de mieux dans le coffre aux habits.. Non pas
son ancienne robe, et d'autant moins que le prodigue a eu soin d'em-
porter tout ce qu'il avait : celte interprétation était chère à la tradi-
tion catholique, parce qu'on y voyait la restitution de l'innocence et
de là grâce. — « Et mettez-la lui ». — Le repenti est traité en tout
comme un hôte de grande distinction, et les éléments de la descrip-
tion sont choisis pour suggérer celte idée. Ce n'est pas qu'il y soit
réellement hôte, mais encore moins y est-il maître, si l'on en ci'oit
l'évangélisle, puisqu'on nous dira plus loin que tout le bien du père
appartient à l'aîné. Il va sans dire qu'on n'aura pas négligé des soins
plus vulgaires et qu'on aura commencé par débarbouiller le mal-
heureux. — « Donnez-lui un anneau à la main et des souliers
aux pieds ». — Qu'on le costume en homme de condition ; l'on
va faire la fête en son honneur. — « Amenez le veau gras » . —
•400 LUC. XV, 24-27
**jjaice que ce mien fils était'mort, et il revitj
il était perdu, et il est retrouvé ».
Et ils se mirent à festoyer.
25 Or son fils aîné était aux champs ; ;
et comme, en revenant, il approchait de la maison,
il entendit musique et chœurs;
26 et appelant un des serviteurs, il demanda ce que c'était.
2' Celui-ci lui dit: « C'est que ton frère est venu,
et ton père a tué le veau gras,
parce qu'il Ta recouvré en bonne santé. »
Le veau qu'on engraisse à l'étable pour la première occasion de
réjouissance. — « Tuez-le et mangeons en joie ».— Onques n'en fut
meilleur sujet. — « Parce que ce mien fils était mort, et il est res-
suscité ; il était perdu et il est retrouvé ». — Le fils était mort
pour les siens parce que perdu. Toutefois les termes ont dû être
choisis en vue de l'application religieuse et morale ; et la seconde
antithèse, perdu et retrouvé, sert à marquer le rapport de cette
parabole avec les deux précédentes. Le parallélisme serait exact'
si la parabole finissait en cet endroit ; mais elle contient une seconde
partie qui ramène intentionnellement la conclusion de la première,
« Et ils se mirent en fête ». — Ce trait fait transition à la seconde
partie delà parabole. — « Or son fils aîné, — pendant que tout cela
se passait », — « était aux champs », — comme on doit supposer qu'il
avait accoutumé d'y travailler, Le père n'est pas un pinnce, mais un
propriétaire qui exploite un bien de campagne avec son fils et ses
esclaves. — « Et comme, en revenant, il approchait de la maison »,
— où maintenant la fête battait sonplein, ~ t il entendit musique et
danses ». — Musique et chœur de danseuses étaient alors l'accom-
pagnement obligé d'un grand festin (crup.cpcovt'a est un concert de voix
ou d'instruments ; mais lemot peut s'entendre d'un seul instrument;
et plusieurs y voient une façon de cornemuse, tenant lieu d'orchestre.
Cf. Wbllhausex, 85 ; Klostermann, 622 ; Lagrangb, 4271 se pro-
nonce décidément contre là cornemuse). — « Et ayant appelé un des
serviteurs ». — Avant d'entrer, l'aîné, qui n'est pas en tenue de fête,
veut savoir ce que signifie tout ce tapage. — « Il s'informa de ce que
c''était. Et» —le serviteur— «lui dit : « C'est que ton frère est venu,
et ton père a tué le veau gras » ; — on fait la fête, — « parce qu'il l'a
retrouvé en bonne santé ». — L'esclave dit, sans commentaire, ce
LLC, XV, 28-30 401
28 Or il se fâcha, el il ne voulait pas entrer ;
mais son père, élanl sorti, l'en priait ;
2" et lui, répondant, dit à son père :
« Voici tant d'années que je te sers,
et jamais à Ion ordre je n'ai désobéi ;
et jamais tu ne m'as donné chevreau
pour festoyer avec mes amis ;
^' rhais quand ce tien fils,
qui a mangé ton bien avec des prostituées, est venu,
lu as tué pour lui le veau gras. »
qui se passe, et il ne rappelle pas l'état misérable dans lequel le pro-
digue s'est présenté.
Mais l'aîné se révolte. — «Il se fâcha, et il ne voulait pas entrer.
Mais son père »,— qu'on doit supposer averti par l'esclave, — « étant
sorti, l'en priait ». — Le père l'invite à faire ce qu'on vient de dire
qu'il ne voulait pas, prendre part aux réjouissances (■Kapeaâ.Xei aûrôv
ne signifie pas « il le consolait », ou « ill'apaisait », mais « il l'exhor-
tait » à entrer). — « Et lui, répondant, dit au père ». — La réponse
va montrer que laîné ne trouve pas seulement le père trop indulgent,
mais qu'il regarde comme une façon d'injustice envers lui-même le
traitement si favorable que le père fait à son cadet. — « Voilà tant
d'çinnées que je te sers ». — Terme de respect (cf. Gen, xxxt, 40 et
qui n'est pas pour marquer l'esprit mercenaire du fils aîné. Le témoi-
gnage que celui-ci se rend n'est pas non plus indice d'orgueil. —
« Sans avoir jamais désobéi à ton oi'dre ». — Tout ceci est dit pour le
contraste avec la conduite du prodigue. L'aîné n'a jamais causé à
son père le moindre mécontentement. — « Et jamais tu ne m'as
donné un chevreau », — modeste régal, — « pour faire réjouissance
avec mes amis ». — D'après ce qui a été dit plus haut du partage des
biens, on ne s'attendrait pas à ti'ouver le fils aîné dans une situation
aussi dépendante. — « Mais lorsque ce tien fils ». — L'aîné a soin
de ne pas l'appeler son frère. — « Qui a mangé son bien avec des
prostituées ». — Inutile de se demander comment l'aîné a pu être
renseigné sur les désordres de son frère ; il a pu lêtre, comme le
père lui môme, par la renommée, par des gens venus du pays où
était le prodigue. — « Est arrivé ». — Il a sufii qu'il se présentât. —
« Tu as tué pour lui le veau gras ». — L'aîné parle du veau gras parce
que le serviteur en a parlé. C'est le trait caractéristique du grand
A. LoisY. — L'Evangile selon Luc. a6
402 LUC, XV, 31-32
31 Mais il lai dit :
a Mon enfant, tu es toujours avec moi,
et tout ce qui est à moi est à loi;
32 niais il fallait festoyer et se réjouir,
parce que ce tien frère était mort et qu'il revit,
qu'il était perdu et qu'il est retrouvé. »
festin, et qui fait pendant au chevreau que l'nîné n'a pas obtenu.
L'aîné trouve que la vertu est plus mal récompensée que le vice.
tt Mais il lui dit », — sans le l'éprimander pour l'amertume et
l'injustice de ses propos, et en lui représentant affectueusement le
véritable état des choses : — « Mon enfant, tu es toujours avec moi,
et tout ce qui est à moi est à toi». — L'aîné est riiérilier à qui
revient maintenant tout le bien patrimonial ; il n'a donc rien à
envier à son frère. Ces propos ne sont pas à discuter de trop près :
le père semble dire à son aîné qu'il n'a pas de cadeau à lui faire,
puisque tout lui appartient ; mais, en vertu de cette assertion, il se
trouve, dans ce qu'il a fait pour le prodigue revenu, avoir disposé, de
choses appartenant à l'aîné-, sans l'aveu de celui-ci (Klostermann,
023). — « Mais il fallait faire fête et se réjouir », — il y avait lieu à
réjouissance, — «parce que ce tien frère », — le père dit exprès :
« ton frère n, comme l'aîné a dit : « ton fils », — « était mort et qu'il
vit, qu'il était perdu et qu'il est retrouvé». — Ainsi le frère aîné
devrait se réjouir comme le père, mais on ne nous dit pas s'il a été
docile à l'admonestation paternelle.
L'unité de cette histoire a été contestée, et il est certain que la
seconde parlie a presque l'air d'un appendice. On répond qu'il,
était superflu d'attribuer deux fils au père si l'aîné n'avait aucun
rôle à jouer dans le récit; que l'économie de la narration paraît
fondée sur la conduite différente des deux fils et sur l'attitude du
père et de l'aîné à l'égard du plus jeune ; qu'il ne s'agit pas seu-
lement de montrer la bonté de Dieu à l'égard des pécheurs, mais de
faire voir comment ceux qui n'ont pas failli auraient tort de la
blâmer. Tout cela est vrai ; et il est vrai encore que la parabole
n'est pas une allégorie tendant à expliquer, d'une pai*t les rapports
de Jésus avec les pécheurs, de l'autre son attitude à l'égard des
pharisiens. Mais il est vrai aussi que la seconde partie de la para-
bole n'est pas en harmonie parfaite avec la première et qu'elle
semblerait n'y avoir pas été prévue (cf. Bultmann, laS). Faut-il
en conclure que, les scrupules sur les avantages respectifs du
LUC, XVI, 1 403
''^^ Or il disait aussi aux disciples:
« Il était un homme riche qui avait un économe ;
el celui-ci lui fut dénoncé
comme dissipant ses biens.
juste persévérant et du pécheur pardonné étant plutôt survenus
■dans la tradition (cf. Wellhausbn, 83), une parabole authentique,
représentée par la première partie de la n^tre, aura été pourvue
du supplément que présente la deuxième partie ? Il est plus vrai-
semblable qu'une parabole, conçue comme celle de la Brebis perdue
pour faire valoir la miséricorde de Dieu envers le pécheur, mais
qui pouri'ait aussi bien appartenir à la tradition juive qu'à l'ensei-
gnement pi'opre de Jésus, aura été paraphrasée et complétée par
notre évangéliste, afin de figurer discrètement, non pas la jalousie
•des pharisiens à l'égard des pécheurs que recevait Jésus, jalousie
-qui n'a pas existé, mais celle que le rédacteur prête aux Juifs à
regard des païens, dont les Juifs sont supposés ne pas vouloir l'admis-
sion au règne de Dieu. C'est en vain que les Juifs, à qui revient
naturellement l'héritage céleste, voudraient en refuser la grâce aux
païens.
LiX. L'Econome INFIDÈLE
Comme l'est celle du Prodigue, comme le sera celle de Lazare, la
parabole de l'Econome infidèle semble dirigée contre le judaïsme
pharisaïque, ces trois grandes paraboles, où l'évangéliste a mis
beaucoup du sien, formant une sorte de trilogie artificielle, où se
reconnaît la tendance apologétique par laquelle est caractérisée la
dernière rédaction de notre évangile et des Actes. — « Et il dit aux
disciples aussi ». — Vai'iante de mise en scène, pour introduire un
autre morceau d'enseignement, une leçon qu'il était bien superflu
d'adresser aux pharisiens ; mais ceux-ci sont toujours là, ils enten-
dront la leçon que Jésus va donner aux disciples ; ils s'en moqueront
à la fin et recevront une verte semonce. La parabole qui va suivre
est une histoire plutôt immorale, une leçon de sagesse plus que pro-
fane, que l'auteur a pu prendre n'importe où, excepté dans la tradi-
tion proprement évangélique, et dont il a pensé pouvoir faire appli-
cation à son thème favori du communisme chrétien.
« TTn homme était riche, qui avait un économe », — intendant de
condition libre auquel il avait confié l'administration de sa fortune, —
«. et celui-ci lui fut dénoncé comme dissipant ses biens ». — Ce n'était
404 LUC, XVI, 2-4
^ Et l'ayant appelé, il lui dit:
« Qu'est ce que j'entends dire de toi?
Rends le compte de ta gestion ;
car tu ne peux plus être économe. »
^Et l'économe se dit : « Que ferai-je,
puisque mon maître m'enlève l'économat ?
Bêcher je ne puis ;
de mendier j'ai honte :
*je sais ce que je ferai,
afin, lorsque j'aurai élé destitué de l'économat,
qu'ils me reçoivent dans leurs maisons. »
probablement pas en volant audacieusemént son maître; car, dans ce
cas, c'est la restitution et non le renvoi qui s'imposait ; il s'agit
plutôt d'une mauvaise gestion, d'opérations suspectes ou l'isquées et
malheureuses. Fondée ou non, l'accusation est recueillie parle maître,,
et la l'évocation de l'économe est décidée.
« Et l'ayant fait venir, il lui dit : « Qu'est-ce que j'entends dire àe-
toi?» — Interrogation oratoire, et qui est pour marquer le méconten-
tement du maître ; car celui-ci n'attend pas la réponse. Le maître a
entendu dire que son intendant n'est pas sûr,et ilci'oit avoir motif de
lui retirer sa confiance. La suite montrera que, très certainement, il
n'avait pas tort, et on ne voit pas que l'intendant proteste contre la
décision qui lui est aussitôt signifiée. — «Rends compte de ta gestion,,
car tu ne peux plus être économe ». — Il s'agit du compte à rendre en
sortant de chai'ge, non d'explications à fournir sur tous les actes de
sa gestion ; d'après la suite on voit que l'intendant n'a pas à subir
une sorte d'information judiciaire mais à produire un état de la caisse
en doit et avoir, avec les recouvrements à efl'ectuer. Dans la perspec-
tive du récit la décision du maître paraît irrévocable, et l'on n'a pas
besoin de savoir si elle peut être révoquée. Le sort de l'économe est,
quant à présent, réglé ; lui-même ne songe qu'à se procurer une
sortie avantageuse.
« Or l'économe se dit ». — Les réflexions qu'il va faire n'accusent
ni les remords d'un coupable ni la révolte intérieure d'un innocent
calomnié. Ce monologue, comme il arrive ordinairement dans Ie&
récits populaires, remplace l'analyse des sentiments qu'a dû avoir le
personnage mis en cause. L'unique préoccupation dii nôtre est son
avenir. — « Que ferai-je, puisque mon maître m'enlève l'économat ?»
— 11 n'envisage même pas la possibilité de prétendre à une situation.
LUC, XVI, 5-7- 405
, 5 Et faisant venir un à un les débiteurs de son maître,
il dit au premier :
« Combien dois-tu à mon maître ? »
^Celui-ci dit : « Cent barils d'imile. »
Et il lui dit :
<c Prends ton billet,
et t'asseyant, vite écris cinquante. »
' Ensuite à un autre il dit :
« Et toi, combien dois-tu ? »
Et il dit: « Cent mesures de blé. »
Il lui dit : « Prends ton billet,
et écris quatre-vingts. »
comme celle qu'il va pei'dre. Resterait le travail des mains. — « Je ne
puis pas bêcher ». — Le travail de la terre est dur pour un homme
qui n'en a pas l'habitude. — « J'ai honte de mendier ». — Ce serait
l'unique ressource, puisqu'il n'y a pas à compter sur le travail ; mais
mendier quand on a été dans un grand emploi et traité avec beaucoup
de gens qui riront de votre abaissement!... Une idée lui vient. —
« Je sais ce que je ferai ». — Ce que j'ai à faire. L'homme n'a pas un
moment d'hésitation sur cette bonne idée qui s'est présentée à son
esprit. — « Pour que, quand je serait destitué de l'économat», — dès
que j'aurai définitivement quitté mon poste, — «ils me reçoivent
dans leuivs maisons ». — On ne peut guère ti-aduire (SsÇtovTai pis): « on
me reçoive»; car la pensée de l'intendant va tout droit aux débiteurs
de son maître, les seules personnes qu'il puisse obliger dans les con-
ditions qu'on va voir.
Le-maître a des débiteurs dont l'intendant tient par devers lui les
reconnaissances ; il n'est que de réduire leur dette pour qu'ils soient
contents ; le maître n'y verra rien, et ils seront bienveillants à celui
qui aura ménagé leurs intérêts. — «Et ayant fait venir chacun des dé-
biteurs de son maître ». — Il les fait venir promptement tous, mais il
traite à part, avec l'intéressé, ralTaire de chacun. — «Il dit au pre-
mier : « Combien dois-tu à mon maître ?» — La question n'était pas
nécessaire pour instruire l'intendant ni pour faire sentir au débiteur
l'importance de la remise qui va être octroyée, mais elle met le lecteur
au courant de la situation ; on peut d'ailleurs supposer que l'aveu du
débiteur est sollicité pour établir l'affaire au net. Dans l'économie du
récit, intendant et débiteur sont seuls à connaître la quotité réelle de
la dette. — « Celui-ci dit : « Cent mesures d'huile». — On peut se
406 LDG, :xvi, 8
® El le maîire loua Téconome inlidèle
de ce qu'habilement il avait- agi .
Car Ie8 tils de ce siècle sont plus habiles
que les enfants de la lumière, à l'égard de leurs semblables.
demander si le débiteur est un homme qui doit cent mesures d'huile avt.
maître, pour les avoir achetées, ou bien un fermier qui devrait livrer
cette quantité d'huile en nature. La première hypothèse est plus pro-
bable, non seulement à cause de la question: « Que dois-tu ? », mais-
parce que les billets qu'a en main l'intendant sont compris en simple
reconnaissance de dette contractée envers le maître, non comme des
contrats de louage. Les débiteurs ont à verser de l'argent pour les
denrées qu'ils ont reçues. — « Et il lui dit : « Prends ton billet, et
assieds-toi pour écrire vitemenl cinquante ». — Ou bien : « Assieds-
toi vitement pour écrire», etc. ; mais c'est plutôt l'écriture qui
demande du temps et qui, dans la circonstance, a besoin d'être faite
lestement, — « Et à un autre il dit: «Et loi combien dois-tu?» Et illui
dit : « Cent mesures de blé». — Ce sont mesures bibliques, 6a</i (envi-
ron trente-huit litres) pourUliuile.et kor (cinq cent quatre-vingt-neuf
liti'es) pour le grain. Le trait ne prouve pas que la parabole ait été
jamais prononcée ou écrite en langage sémitique. — «Illui dit:
(( Prends ton billet et écris quatre-vingts ». — Et ainsi de suite, les deux
cas cités n'étant que des exemples. Chacun saura ce qu'il doit à la
complaisance d'un homme si facile eri affaires. On rédige à mesure,
semble-t-il, de nouveaux billets ; à moins qu'on ne change simple-
ment les chiffres, mais l'hypothèse n'est pas vraisemblable, puisque la
rature dénoncerait la fraude. Si la pro]]|ortion de la remise n'est pas
la môme dans les deux cas cités, ce doit être pour la variété du récit.
11 est sous-entendu que les débiteurs ainsi gratifiés seront recon-.
naissants : ils ne sont pourtant guère honnêtes. On dit que l'histoire
est orientale et qu'elle a dû être vraisemblable en son milieu d'ori-
gine. Mais le récit que nous avons est arrangé en .vue de l'application
qui en sera faite ; et s'il n'y a pas lieu de chicaner autrement snr
la vraisemblance, du moins faut-il reconnaître que cette friponnerie
'.se recommandait aussi peu que possible à une application moi-ale.
C'est par gauchei'ie intellectuelle et manque de tact que notre rédac-
teur l'aura introduite dans son évangile.
L'histoire pourrait sembler finie par le bean trait de sagesse qu'a
montré l'intendant prévaricateur. On doit penser que son ingénieux
procédé lui a réussi, débiteursetinlendant ayant intérêt à ce qne la
fraude commise demeure ignorée. Resterait à montrer aux disciples
LL-c, svi, 9 4,07
9 Et moi je vous dis :
Faites-vous des amis
avec l'argent de l'iniquité,
afin, lorsqu'il (vous) maïKiuera..
qu'ils vous reçoivent dans les éternelles demeures.
comment ils peuvent tirer parti d'un si bon exemple. — a Et le Sei-
gneur », — c'est ainsi du moins, que plusieurs traduisent, — « loua
l'économe injuste ». — On nous accorde que c'était un filou ; mais
on le fait célébrer tout de même par le Christ disant; — « 11 a pru-
demment agi », — il s'est comporté en homme habile et prévoyant, —
«parce que les fils de ce siècle », — les gens de ce monde passager, qui
vivent appliqués à ses intérêts, — « sont plus habiles vis-à-vis de leur
génération », — dans leur façon de traiter avec leurs contemporains,
— « que les enfants de la lumière » — les enfants de Dieu, appelés à
jouir de sa lumière éternelle, ne le sont à garantir, dans leurs rela-
tions avec ces mêmes contemporains, l'intérêt supérieur de leur
éternité. Dire que les enfants de lumière sont moins liabiles que les
enfants du siècle dans les afïaires temporelles serait une remarque sans
portée pour l'application morale qui est développée assez naturelle-
ment dans ce qui suit.
(( Et moi je vous dis », — d'après cet exemple d'habileté temporelle,
— «faites-vous des amis avec les richesses de Finiquité ». — Les
richesses de ce monde sont toutes injustes, dans la pensée de l'évan-
géliste ; elles ne pei-dent ce caractère que si elles sont distribuées en
aumônes. Qu'on se procure donc dès amis avec ces richesses en les
distribuant, comme l'intendant delà parabole s'est acquis des amis
en faisant des cadeaux aux débiteurs de son maître. L'enchaînement
des idées est assez satisfaisant, eu égard à la mentalité de l'auteur et i
à ses préoccupalionç, pour qu'il n'y ait pas lieu de le vouloir rompre
en distinguant une parabole authentique, avec sa morale, qui aurait
été la recommandation générale d'user du présent pour préparer
l'avenir (Jûlicuer,II, 5ii), et en supposant que le rédacteur évangé-
lique, reproduisant la parabole, aurait compris que le .maître de
l'intendant avait loué la ruse de son employé ; ensuite de quoi, notre
rédacteur aurait introduit sa propre application, plus restreinte, de
la parabole en faisant dire à Jésus: « Et moi je vous dis, faites-vous
des amis », etc. La première application qu'on suppose serait beaucoup
trop vague, ettrès certainement l'évangéliste fait parler Jésus en son
propre nom avant : « Et moi je vous dis » (xvi,9), la réflexion sur les
408 LUC, xvj,
enfants du siècle et les enfants delà lumière ne pouvant ôtre attribuée
au maître de la parabole. D'autre part, on a trouvé incroyable que
le rédacteur évangélique ait voulu montrer le maître plein d'admi-
ration devant la fraude commise à son préjudice, tout en amenant
ensuite, sans autre avertissement, une réflexion qui ne convient qu'au
Christ, On a donc proposé (Klostbumann, 5a5) d'admettre que la
reprise: « Et le Seigneur loua l'économe infidèle», vient de lui et
qu'il l'a ménagée tout exprès pour introduire l'explication que lui-
même avait déjà en vue en arrangeant la parabole; et l'on signale
ailleurs une combinaison littéraire analogue (xvni, i-5, parabole ;
6-8, application amenée par réflexion sur ce qu'a dit « le juge
injuste », avec ce préambule : « Et le Seigneur dit »). Dans le cas
présent, le narrateur., ayant achevé le récit parabolique, introduirait
r.explication par : « Et le Seigneur Joua », ce qui suit contenant la
louange même en discours direct (introduit par oxi ; mais ot! cppovc'[Ji.coç
É7roW|ffev pourrait encore dans cette hypothèse, appartenir à la for-
mule d'introduction, et le discours direct, commençant avec ci uiol toîj
cclwvoç xtX., serait introduit parle second ort).
Si plausible que semble cette combinaison, le sens naturel du texte
exige plutôt que la morale de la parabole vienne seulement avec la
phrase où Jésus est censé l'exprimer (xvt,9), et le préambule de cette
phrase : « Et' moi je vous dis », suppose que l'opinion précédemment
émise sur la conduite habile de l'économe (xvt, 8) est la conclusion du
récit, non la morale, qui d'ailleurs serait assez immorale (le cas de
xviii, 1-8, n'est pas exactement parallèle, car 6-8 se détache nettement
en commentaire de 2-5, et 8, « je vous dis » etc., répond à la question
posée dans 7 par « le Seigneur »), Il est donc préférable de traduire :
« Et le maître », — ainsi qualifié (xûpioç) plusieurs fois dans le récit, —
«loua l'économe infidèle de ce qu'il avait agi avec habileté», c'est-à-dire
qu'il reconnut son savoir-faire, f/explication ultérieure : « parce que
les fils de ce siècle », etc. , n'a plus rien à voir avec les sentiments du
maître mais expriment une réflexion de Jésus qui n'est pas directe-
ment subordonnée à la pi'oposition principale (le second on ne dépend
aucunement de ÈTt/jVEçev, mais coordonne à la phrase qui précède une
remarque sur le contenu de celle-ci) ; aussi bien la strophique du mor-
ceau paraît-elle détacher cette réflexion de la parabole, comme intro-
duction à la morale proprement dite que Jésus est censé en tirer.
Mais, en prenant les choses ainsi, il ne s'ensuit pas que Jésus constate
d'abord mélancoliquement l'incapacité des siens dans les choses tem-
porelles : on lui fait dire que les chrétiens ne savent pas aussi bien
assurer leur salut en usant chrétiennement de leurs biens, c'est-à-
LUC, XVI, 10 • 409
" Qui .est fidèle en très peu aussi en beaucoup est fidèle ;
et qui en 1res peu est malhonnête en beaucoup aussi est
[malhonnête.
dire en les donnant aux pauvres, que l'intendant malhonnête à su se
garantir une paisible l'etraite en faisant des cadeaux aux débiteurs
de son maître. Si l'idée ne se dégage pas plus nettement, c'est que la
parabole, en vérité, se prêtait mal à une application morale.
L'application est eu correspondance avec la parabole. Il faut, à
l'instar de l'habile intendant, se faire des amis avec les richesses
injustes, — « afin que, quand elles manqueront », — quand elles
échapperont par le fait de la mort. C'est la leçon (IxXÎTrv]) des plus
anciens témoins (SBAD, mss. lat. Ss. Se). La variante moins autori-
sée : « quand vous manquerez » (èxXcVriTe), vise directement la mort
du propriétaire ; elle pourrait avoir été introduite tout exprès pour
rappeler la déposition de l'intendant, en un temps où la distinction
de la mort des individus et de la fin du monde s'imposait à l'exégèse.
Eu égard au contexte, il est plus naturel d'insister directement sur la
perte des richesses que sur celle de la vie. L'évangéliste paraît d'ail-
leurs entendre que la mort introduit immédiatement le juste dans le
paradis. — «On vous reçoive dans les demeures étei'uelles ». Pour
l'exacte correspondance avec la parabole.on est bien tenté de traduire
{5É?covTai, comme dans 4) • «ils vous reçoivent », le mort étant reçu au
ciel par ceux qu'il a secourus en ce monde, bien qu'il ne soit pas
autrement indiqué de les supposer. tous morts avant leur bienfaiteur,
ni surtout de les regai'der comme ayant faculté de donner à celui-ci
une place en paradis ; d'ailleurs, « recevoir » ne signifie pas non plus
intercéder efficacement pour que le bienfaiteur soit reçu. On a sup-
posé que le sujet poui'rait être indéterminé, en visant les anges
(Klostermann, 526), ou, plus vaguement,Dieu(Wi!:Li,HAUSEN,85), près
de qui est le trésor acquis au ciel par les aumônes, et que l'on oblige
en la personne des siens (cf, xiv, 12-14 ; Mr. xxv, 3i-46 ; pour les
« demeures éternelles », cf. Hénogii, xxxix, 4-5, 7 ; la formule pourrait
être « technique», Klostermann, 526, sans exclure une allusion anti-
thétique aux tentes des patriarches ou à celles des Israélites au désert).
Il paraît plus risqué d'entendre (avec Fiebig, 211) par « amis» les
œuvres de bienfaisance, en'raison desquelles Uieu agréerait le bien-
faiteur. Le rapport de cette réflexion avec la parabole invite à consi-
dérer « les amis » comme des pei'sonnes, et à regarder ces « amis »
«omme « recevant » leur bienfaiteur quand il n'est plus de ce monde.
410 LETG, S\l, 11-13
^^ Si doiic donc podr l'injuste argent vous n'avez pas élc (idèles^
le vrai, (jui^vous le coudera ?
^2 El si pour le bien d'aulrui vous n'avez pas été tidèles,
le vôtre, qui vous, le donnera ?
1^ Nul domestique ne peut deux maîtres servir :
car, ou il haïra l'un et il aimera l'autrCj
ou bien il s'attachera à celui-ci et il méprisera celui-là .
Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent. »
Les considérations qui suivent semblent destinées à prévenir toute-
fâcheuse conclusion qui pourrait être tirée de la parabole, et I'ohi
y insiste sur ce que l'usage des richesses qui vient d'être recommandé
est la vraie forme de la fidélité. On ne laisse pas d'y continuer l'inter-
prétation allégorique de la parabole, sans trop s'inquiéter de fin-
cohérence qui résulte de ce faux point de dépai't. Le vrai riche est.
Dieu, maître du monde, qui donne à qui lui plaît ce peu de chose
que sont les richesses. Qui se montrera fidèle dans la gestion d&
ces biens périssables, fausses richesses, méritera d'obtenir le vrai
bien, la félicité du royaume céleste. — « Qui est fidèle pour très
peu est fidèle aussi pour beaucoup »> — Façon de proverbe qui de soi
n'a rien à voir, et tant s'en faut, avec le sacrifice des biens terrestres
au bien étei'nel. Contre-partie : — « Et qui est malhonnête pour très
peu est malhonnête aussi pour .beaucoup ». — Comme l'autre, l'occa-
sion se présentant, il sera en grand ce qu'il a été en petit. Jugé
d'après cet axiome, l'intendant de la paratole ne mériterait pas
d'être loué ; mais c'est sur ce principe qu'est fondée la parabole des-
Mines (^xix, 11-27). L'application qui va en êlTC laite ici est passable-
ment détoux'née. .
(( Si donc vous n'avez pas été fidèles pour les richesses injuste^ w.
— Entendons : si vous n'avez pas voulu distribuer aux pauvres ces
laux biens. — « Qui vous confiera les vraies? » — Dans la sentence rap-
portée d'abord, 'les locutions « peu » et « beaucoup » concernent
des biens du même ordre ; ici les richesses injustes, qui correspondent
au peu, se trouvent alignées avec les vraies, qui correspondent à
beaucoup, et qui ne sont pas ici du même ordre que le peu. — « Et si
vous n'avezpas été fidèles.pour le bien d'autrui ». — Le bien d'autrui,.
ou le bien éli-anger, s'entend encore des biens terrestres, qui n'ont par
eux-mêmes rien de commun avec la fin où tendent les disciples.de
l'Evangile. — « Qui vous donnera le vôtx*e ? » — Le bien propre des
enfants de Dieu est le même que la richesse véi-itable, à savoir la vie
éternelle et la grâce d'y atteindre. Peu importe après cela que l'éco-
LUC, XVI, 14 411
1* Or écoutaient tout cela les pharisiens,
qui étaient amis de l'argent,
et ils se moquaient de lui.
nome de la parabole se soit bien trouvé de tromper son maître au pro-
fit des débiteurs de celui-ci, ce n'est pas tromper le grand Maître, mais-
lui être fidèle, que de jeter aux pauvres les biens de la terre, qu'on a
reçus de lui, c'est lui être fidèle en peu de chose et mériter la grande
récompense. Contorsion logique.
La parole sur les deux maîtres qu'on ne peut servir en même temps
arrive ici parce qu'il y est question de la richesse, et que la richesse
(jxafjLcovSç) est en vedette dans les sentences précédentes. On peut tou-
jours suppléer, si l'on veut, une transition artificielle et implicite :
qui donne ses biens aux pauvres se dégage du service de Mammon
pour appartenir à Dieu. — « Nul domestique ». — Matthieu ("vi, 24)
n'a pas « domestique » (olxÉT-fjç), ajouté sans doute par notre évangé-
listepour plus de clarté, ou simplement pour le rythme de la phrase.,
— « Ne peut servir deux maîtres », etc.
^LX. Leçon aux pharisiens. Le Riche et Lazare.
On s'aperçoit aussitôt que les pharisiens n'étaient pas loin, et que
l'évangéliste les tenait en réserve pour leur faire administrer une
leçon spécialement en rapport avec lem' caractère. — « Or les phari-
siens, qui aimaient l'argent, entendaient tout cela, et », — comme si
cet enseignement de Jésus leur semblait déraisonnable, — « ils se
moquaient de lui ». — Ce que les pharisiens sont supposés trouver
ridicule est l'enseignement de Jésus sur les richesses, l'emploi qu'il
faut en faire, leur incompatibilité essentielle avec la piété véritable.
On nous représente les pharisiens comme de riches bourgeois qui
veulent passer pour justes (f. x, 2g; xviir, 9-12), et qui invoqueraient
volontiers la. prospérité de leurs aiTaires en preuve de leur sainteté ;
mais leur justice n'est pas plus la sainti&té véritable que leurs richesses
ne sont les vrais biens. La parabole du Riche et de Lazare va leur
signifier sur ce point le jugement de Dieu, La notice qu'on vient de
voir et les sentences qui la suivent servent d'introduction à la para-
bole et ont été combinées à cette fin par le réducteur. Aussi bien
l'enchaînement des sentences est-il arbitraire et leur application peu
naturelle. La première sentence (xvi, i5),la seule qui soit en situation,
et qui paraît avoir été construite par l'évangéliste, déclare aux pha-
412 LUC, XVI, lb-16
15 Et il leur dit:
« Vous êtes ceux qui se font justes devant les hommes,
mais Dieu connaît vos cœurs;
car ce qui est chez les hommes élevé
est abomination devant Dieu.
^^ La Loi et les Prophètes jusqu'à Jean :
depuis lors le royaume de Dieu est annoncé,
et chacun lui fait violence.
risiens que leur orgueilleuse justice, qui veut éblouir les hommes, est
abominable à Dieu; cette sentence est en rapport assez logique avec
la parabole qui va venir (au. moins pour la partie principale, xvi, 19-
q5), et elle l'introduirait assez naturellement. Mais on nous amène
d'abord (xvi, 16) la parole sur la Loi et les Prophètes, qui ont duré
jusqu'à Jean, pour faire place au royaume de Dieu (Mï. xi, i2-i3),
ce qui n'empêche pas d'ajouter (xvi, i^) que la Loi durera autant que
le ciel et la terre (Mt, v, 18). Dans la pensée du compilateur, ces
pensées sont cooi'données à la dei*nière partie de la parabole (xvi,
26-3i), où Abraham renvoie le riche et ses frères à la Loi et aux Pro-
phètes pour y apprendre la vraie foi : rapport tout littéraire et arti-
ficiel. Enfin aiTive, très inattendue, la condamnation du divorce
(xvi, 18; Mt. V, 32), dont il est malaisé de voir ce que le compilateur
en a voulu faire dans ce contexte.
« Et il leur dit: « Vous êtes ceux qui se font justes », — qui posent
pour la justice, qui se donnent pour justes (cf. xviu, 9) — « devant
les hommes ». — Le reproche est général, non motivé spécialement,
et s'accorde. avec ce que laisse entendre Matthieu (vi, 1-2, 5, 16). —
« Mais Dieu connaît vos cœurs ». — Il n'est point dupe des appa-
rences et il n'ignore pas que les pharisiens sont, par les sentiments
de leur cœur, les serviteurs de Mammon et non les siens. Et il n'ap-
précie pas non plus de la même façon que les hommes ce que ceux-ci
appellent grandeur, l'éclat des rictiesses et de la prospérité mon-
daine. — (( Car ce qui est élevé chez les hommes », — ce qui leur
paraît grand, — « est abomination devant Dieu ». — Dieu déteste
l'orgueil et le faste.
« La Loi et les Prophètes jusqu'à. Jean ». — Peut-être la transition
^se fait-elle sur cette idée: que les pharisiens se glorifient à tort de
l'Ecriture, puisqu'ils ne savent pas reconnaître le royaume de Dieu
qui se réalise, depuis la prédication de Jean, par le salut qu'a apporté
Jésus, Matthieu (xi, ii-i4)a paraphrasé à sa manière la sentence
LUC. XVI,. d 7 413-
!■' Mais il esl plu? facile que le ciel et la terre passent,
que de la Loi iiiiseul Irait tombe,
concernant le rapport de Jean avec le royaume; notre auteur qui ne
tient pas à relever le rôle de' Jean, n'a pas reproduit cette sentence
dans le discoui'S qui se rattache au message du Baptiste (vu, i8-35) ;
il n'en retient ici qu'une partie, usant de Jean comme d'une date. On
lit dans Matthieu (xt, i3) : « Car tous les prophètes et la Loi ont pro-
phétisé jusqu'à Jean ». — « Depuis lors le l'oyaume de Dieu est
annoncé ». — Matthieu (xi, 12): « Depuis les jours de Jean le Bap-
tiste jusqu'à maintenant le royaume des cieux est violenté ». — « Et.
chacun lui fait violence »; — Matthieu: « et des violents le dérobent »..
Plusieurs pensent que notre auteur a voulu signifler l'empresse-
mentdes convertis, et traduisent (PiâCsTac) ; « chacun s'y presse »• L'hy-
perbole serait forte, même de la part des optimistes les plus déter-
minés. Ces considérations sur le rapport de Jean et de l'Evangile
sont rétrospectives, comme celles qu'on a rencontrées plus haut sur
J ean-Baptiste et sur l'attitude des Juifs à l'égard de Jean et de J ésus
(vu, a4-35) ; elles sont nées x^ar conséquent dans la tradition chrétienne.
« Mais il est plus facile que le ciel et la terre passent, qu'un seul
trait de la Loi tombe ». — Matthieu (v, 18) : « Car en vérité je vous
dis, avant que passent le ciel et la terre, pas un iota ou un trait ne
passeront que tout ne soit arrivé ». On peut croire que notre auteur,
bien qu'il accentue la sentence en l'abrégeant, l'entend de la même
façon que Matthieu, c'est-à-dire d'un accomplissement spirituel et
lypologique. La violence que le royaume de Dieu subit de la part de
ses ennemis n'empêchera pas toutes les volontés et promesses de
Dieu de se réaliser dans les temps et conditions marqués par sa
providence.
(( Quiconque répudie sa femme, et en épouse une autre, commet un
adultère ». — Notx'e évangile ne touche point ailleurs la question du
divorce; il introduit donc ici la sentence que Matthieu (v, Sa) rapporte
dans le discoui'ssur la montagne, comme un cas où l'Evangile accom-
plit la Loi; mais il se trouve plutôt conforme à Marc (x, 11), et il
ignore, ou il écarte, l'exception d'infidélité, admise par Matthieu. —
« Et qui épouse une femme répudiée par son mari commet un adul-
tère ». — Cette sentence sur le divorce est si peu en rapport avec le
contexte que certains ont pensé devoir l'entendre en allégorie :
l'évangéliste aurait voulu signifier que l'Evangile et. la Loi sont unis
indissolublement, et que ce serait une façon d'adultère de vouloir
l'un sans l'autre (Jûlicher, II, 633). Mais Tallégorie serait tirée de
414 LUC, xvr, 18-19
18 Quiconque répudie sa femme
et en épouse une autre est adultère ;
et qui épouse femme répudiée par son mari
est adultère.
" Il était un homme riche,
qui se vêtait de pourpre et de linon,
faisant tous les jours chère somptueuse.
bien loin, et l'on peut croire que, si l'auteur j avait pensé, il y attrait
quelque peu adapté le texte. Le plus probable est qu'ail voit et pré-
sente dans cette leçon contre le dÎTorce un cas spécial d'accomplisse-
ment de la Loi par l'Evan^le. Gela étant, il serait, pour les deux der-
nières sentences (xvi, 17-18), dans la dépendance, sinon de Matthieu,
au moins d'une recension du discours sur la montagne qui aurait été
apparentée de très près à Matthieu et dont il se serait borné à
prendre quelques extraits.
La parabole du Riche arrive en conclusion du discours (D y met
une introduction : « Or il dit une autre parabole », sans doute parce
qu'on ne voyait pas de. rapport entre la parabole et ce qui précède).
— « Or il était un homme riche ». — C'est une histoire qui nous est
contée en manière de parabole, non une parabole proprement dite
dont la leçon se dériverait par application. Le cas est significatif par
lui-même et la leçon qu'il comporte y est; donnée directement. Il ne
s'ensuit pas que le récitait le moindre fondement de réalité. Le nom
de Lazare ne prouve pas que le riche et le pauvre de notre conte
aient historiquement plus de consistance que l'enfant prodigue et que
l'économe infidèle . Si le pauvre a un nom, c'est parce que les compli-
cations du récit et du dialogue l'ont réclamé. Il est vrai que, pour
réquilibre, on aurait dû donner aussi un nom au riche (Priscillien,
tr. IX, et l'auteur du De Pascha compntas l'appellent Finees ; et la
version sahidique Nineué) ; mais le personnage du riche était moins
intéressant, el ce ne serait pas motif pour^ supposer (avec Klosteu-
MANN, 527) que le nom de Lazare aurait été interpolé ici d'après Jean
(xi). L'auteur de la parabole, qui pourrait bien être l'evangéliste lui-
même, aura trouvé quelque part le thème des deux morts avec le
renversement de leurs conditions dans l'autre monde (voir dans
Klostérma-NN, 628, extraits d'un conte égyptien, d'après Gtuessmann,
et la mention d'une légende rabhinique, tout au long rapportée dans
FiEBiG, T09-112; autres légendes ibîd., 98-100, ii4-ii5), et il t'aura
sans peine adapté à son idéal évangéliqae .
LLG, XVI, 20-21 41b
^''Or uri pauvre, nommé Lazare,
gisait à sa porte, couvert d'ulcères,
^^et désireux de se rassasier de ce qui tombait de la table du
[riche ;
mais les chiens encore, venant, léchaient ses plaies.
On nous donne quelques détails essentiels touchant la vie que
tneriait le riche. — « Il se vêtait de pourpre et de linon». — La
pourpre est pour l'habit de dessus, le manteau ; et le linon ((Buccoç), ia
fine toile de coton d'Egypte, pour l'habit de dessous, la tunique. —
<(Faisant tous les jours fête somptueusement». — L'homme était
assez l'iche pour que tous ses jours fussent de réjouissance.
«r Et un pauvre, nommé Lazare » — Forme gi-écisée et abrégée du
nom hébreu Eléazar, « Dieu aide » . Mais il n'est pas nécessaire
d'admettre que le nom ait été choisi à raison de sa signification
étymologique ; bien moins encore convient-il de supposer une autre
étymologie (lô ézer) pour que le riom signifie : « sans secours ». —
a Gisait à sa porte v. — Non pas contre la porte, mais à côté (cf. Agt.
III, 2) ; les gens du riche voient Lazare quand ils ouvrent la porte, et
on le voit aussi de la rue. — « Couvert d'ulcèi'cs ». — • Lazare est censé
incapable de marcher, on l'apporte devant la maison du i"iche pour
<jja'il y mendie sa subsistance, — a Et qui souhaitait se rassasier de
ce qui tombait de la table du riche ». — Il ne s'agit pas de la desserte,
mais des menus débris, on peut dire la part deschiens, qui.justement,
vont être aussitôt mentionnés. Et l'on a probablement ici une rémi-
niscence de l'histoire de la Cananéenne (Me. vu, 2;j-28), que notre
■évangile n'a point reproduite. Plusieurs témoins mentionnent expres-
sément « les miettes «(d'après Mt. xv, 2;?). Quelques-uns même ajou-
tent (d'après xv, 16) : « et personne ne lui en donnait » ; ce qui est
•exagéré, vu que Lazare ne serait pas censé venir là régulièrement, et
par conséquent y trouver sa subsistance, si on ne lui donnait rien.
Mais on a voulu représenter le mendiant dans l'attente des quelques
bribes qu'on lui jette, et il va de soi qu'il ne vit pas dans l'abondance.
— « Mais les chiens », — les chiens de la rue, qui fréquentent la
porte du l'iche pour le même motif que Lazare, — « venaient même
lécher ses plaies ». — Surcroît de misère. Car le narrateur n'entend
pas opposer la pitié des chiens à la rigueur des hommes. Il n'est pas
dit que le riche et ses gens se montrent positivement malveillants
pour Lazare. On parle des chiens pour relever la triste situation du
mendiant infirme, qui ne peut môme pas écarter de lui les chiens
errants ; pour leur donner un rôle dans la fable, on dit que les chiens
416 LUC, xvi, 22
^^ Or advint que mourut le pauvre,
et qu'il fut emporté par les anges au sein d'Abraham ;
el mourut aussi le riehe, et il fut enterré,
lèchent ses jîlaies ; mais ils ne sont point censés le faire comme pour
le caresser ; ce n'est pour le malheureux qu'un supplément de honte
et de douleur. Dans cette mise en scène, l'antithèse porte directement
sur les positions non sur les sentiments des personnages ; toutefois le
riche, sans être méchant, est censé égoïste, jouisseur, loin de Dieu,
comme tous ceux de sa condition ; et Lazare, i?auvre et souffrant, est
censé avoir les vertus de son étal, l'humilité et la patience, qui le
rendent agréable à Dieu.
(( Or advint que le pauvre mourut, et qu'il lut porté par les anges
dans le sein d'Abraham », — De sa sépulture il n^est pas question,
car mieux vaut ne pas penser à ce qu'a pu devenir sa dépouille. Il
suffit de savoir que les anges ont pris soin de son être immortel, de
ce qui, dans la conception vulgaire, subsiste d'un homme défunt, son
ombre vivante, quelque chose qui n'est précisément ni le corps ni
l'âme, et qui participe de l'un et de l'autre, corps par les ajjparences,
âme par la subtilité. L'endroit où Abraham i*eçoit ses enfants
fidèles est « le paradis » dont le Christ parlera au bon larron (xxiii,
43) ; c'est à raison de son accueil paternel, non parce que Lazare
serait censé couché près de lui au festin des bienheureux (cf. Jn. xiii,.
23), qu'Abraham est dit le prendre.dans son sein. 11 serait d'ailleurs
peu naturel de dire que les auges portèrent Lazare à table auprès
d'Abraham. Le séjour des justes ne pai'ait pas être un simple lieu
d'attente, comme il l'est en d'autres documents (Ap. vi, 9 ; IV Esdu.
n', 35, ; viii, Sa). On trouve-dans Hénoch(xxii) une description
détaillée du séjour des défunts avant le jugement dernier : le séjour
lumineux des justes est voisin de l'endroit où sont les pécheurs ; il
contient une source d'eau vive; les deux endroits sont en dehors de la
terre des vivants, non au-dessus ni au-dessous. Ailleurs.danslemême
livre (Hénoch, xxxix, lxx), le paradis semble être le séjour définitif
des élus. Notre parabole associe cette idée du séjour définitif
avec la topographie de l'autre passage, tout en supposant, comme on
va le voir, une plus grande distance entre le paradis et l'enfer. Le
livre slave d'Hénoch (Moufill et Charles, Secrets of Enoch, 7-8].
met le paradis au troisième ciel, mais en correspondance avec le
monde inférieur.
(( Et le x'iche mourut aussi et fut enterré » — avec les honneurs dus
à son rang. — « Et dans l'enfer », — où il s'en alla. On ne dit pas s'il
LUC, XVI, 23-24 417
23 Et dans l'enfer, comme il levait les yeux,
étant en tourments,
il vit Abraham de loin,
et Lazare dans son sein.
24 Et criant, il dit :
« Père Abrahanl,
aie pitié de moi et envoie Lazare,
pour qu'il trempe le bout de son doigt dans l'eau
et rafraîchisse ma langue ;
car je suis torturé dans cette flamme. »
y fut conduit par les anges du châtiment. Le texte de ce passage ne
paraît par sûr. Quelques témoins (S, mss. lat. Vulg. Marcion, Tatien)
lisent : « et il fut enterre en enfer» . Métaphore peu conforme à la
•gravité du récit. Un avantagé apparent résulte de ce que la sépulture
«n enfer s'oppose au transfert dans le sein d'Abraham ; mais l'an-
tithèse porte plutôt sur le sort final des personnages. La leçon (Ss.) :
« il fut enterre et jeté en enfer », serait plus satisfaisante, si elle
était mieux attestée. — « Ayant levé les yeux, comme il était en
tourments ». — L'enfer où est le riche est un lieu de souffrances, et
l'infortuné lève les yeux, cherchant quelque secours, vers le com-
partiment des bienheureux, qui paraît être ici sur un plan supé-
rieur à celui des réprouvés. — ; « Il vit Abraham de loin ». — A
-une grande distance, qu'il est superflu de vouloir mesurer, car il
faudrait savoir jusqu'où peut atteindre la vue des morts. — u Et
Lazare dans son sein ». — Lazare ne doit pas être le seul juste qui
soit dans le sein d'Abraham, mais c'est le seul qui importe au récit
et que le riche reconnaisse. Ainsi le pauvre était maintenant au
comble de la félicité, le riche au plus profond de l'infortune.
«Et criant». — Il faut bien crier pour se faire entendre de si loin. —
« Il dit : « Père A.braham » — En tant que Juif, le riche a le droit .
d'appeler Abraham son père. Rien n'oblige à voir là une allusion
directe à des fonctions souveraines ou' à un pouvoir d'intercession
que le patriarche exercerait dans l'autre monde. — « Aie pitié de moi
et envoie Lazare s>. — On ne] peut pas demandera Abraham de se
•déranger lui-même. — « Pour qu'il trempe le bout de son doigt dans
l'eau et me rafraîchisse la langue ». — Gom,tne la phrase est cons-
truite, il ne semble pas que Lazare soit invité à prendre du bout de
son doigt à la source d'eau vive qui est dans le paradis (locns refri-
...gerii, lacis et pacis, dans la tradition chrétienne ; Lagrange, 445»
A. LoisY. — U Evangile selon Luc. aj
448 LUC, XVI, 25-26
26 Mais Abraham dit :
(c Mon enfant, souviens-toi
que tu" as reçu tes biens en ta vie,
el Lazare pareillement les maux ;
or maintenant il est ici consolé,
et toi lu es torturé.
2*5 Et avec tout cela,
entre nous et vous grand abîme a été placé,
de façon que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous
ne le puissent pas,
et que non plus de là-bas vers nous on ne traverse. »
rappelle le 4'"XP^'^ ^S'^p désiré par les serviteurs d'Osiris), une goutte-
qu'il viendrait mettre sur la langue du riche ; il semblerait plutôt
qu'il y a dé l'eau en enfer, mais que les damnés, qui la voient pour
leur tourment, sont empêchés d'y atteindre (voir citation rabbinique
dans Klostebmann, 532). — « Parce que je suis torturé dans cette-
flamme ». — Le riche est donc dans le feu de Tenler, bien qu'il ne soit
pas précisément dans, la géhenne, et il souffre d'une soif ardente
(cf. Me. IX, 43, 48 ; IV Mach. IX, 9).
« Et Abi'aham », — avec la calme et douce majesté qiui convient
aux élus, — « dit : « Mon enfant ». — Un témoin considérable (Ss. )-
omet ce mot (xéîcvov), probablement pour qu'Abraham n'appelle pas
un réprouvé son fils. — « Souviens-toi que. tu as reçu tes biens-
dui'ant ta vie ». — Le riche a goûté, durant son existence tei'restre,
sa part de bonheur, celle qu'il appréciait, qu'il voulait. — « Et Lazare
pareillement les maux ». — Lazare, pendant ce temps-là, a eu sa part
de malheur, qu'il n'avait point cherchée, mais qu'il a subie sans
révolte — « Or maintenant », — par un juste retour, — « il est ici
consolé » — de ses souffrances passées ; il a la part de félicité que
Dieu réserve aux méprisés et aux déshérités dé ce monde. Variante
moins autorisée : « Et maintenant c'est lui (oSs au lieu de Sihe) qui est.
consolé ». Le contraste est m'oins entre les personnes qu'entre les
conditions et les lieux. Citons pour mémoire la leçon de Gyprien'
(Test. 111, 61) : « Nunc hic rogatur (traduction inexacte de TrapajcaXeïTat),
tu autem doles », avec laquelle s'accordent Aphraates et Ephrem,.
probablement d'après le Diatessaron (Burkitt„<S. Ephraim'squota-
iions from the Gospel, 71). — « Et c'est toi qui es torturé ». — La
situation du riche est sans remède, parce qu'elle est dans la logique
inflexible des déci*ets divins : à chacun son lot. Théologie et morale-
LUC, XVI, 2b-2G 41&
assez sommaires, qui seroat quelque peu amendées et complétées par
le supplément qu'on y va mettre. Du reste, il ne s'agit pas, en ce
moment, d'expliquer au riche pourquoi il a dû aller en enfer et Lazai-e
en paradis, mais pourquoi il n'a plus, en enfer,, de bien à attendre, ni
Lazare, en paradis, de mal à craindre. L'idée qui ressort jusqu'à pré-
sent de la fable est qu'il y a, dans l'autre vie, une compensation pour
le pauvre.
Une considération supplémentaire intervient, qui sert de transition
à la dernière partie de la parabole, où se remarque une théologie
plus profonde, — «Et avec tout cela », — dans la situation qui vient
d'être décrite (èv ■kxci toûtoiç. Var. kni) . 11 ne s'agit pas d'enchérir
sur l'argument précédent, mais d'attirer l'attention sur une circons-
tance qui rend irréalisable la requête du riche. La traduction : « et
dans toutes ces régions «(Lagrange, 447)> q,ui donne à la formule un
sens géographique, accentue de façon exagérée peut-être le carac-
tère peu naturel de la notice : les réprouvés n'ont-il pas connaissance
de cet abîme qui les sépare des élus, et est-il besoin de leur signifier
d'abord qu'il existe?^« Enti'enous et vous ». — (( Nous » désigne les
bienheureux, et « vous » les damnés. Abraham et Lazare ont des
compagnons de bonheur, le riche a des compagnons de tourment. Visi-
blement la perspective du récit s'élargit. — «Un grand abîme est
établi », — pour séparer à jamais l'enfer du paradis. — « De façon
que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne le puissent pas,
ni ceux de là-bas » — où tu es — « passer chez nous ». — Lazare ne
peut pas plus se rendre auprès du riche en enfer que le riche auprès
de Lazare en paradis.
Le refus d'Abraham se trouve ainsi discrètement formulé dans les
raisons métaphysiques et réelles qui rendent la demande du riche
inexécutable. Sur quoi le riche fait une autre demande qui n'est pas
dans son intérêt, mais dans celui des frères qu'il a laissés chez lui sur
la terre. Dans la. réalité, après avoir traité de la destinée finale du
riche etdu pauvre, on va parler du judaïsme réprouvé, qui est incon-
vertissable, parce qu'il ne sait pas reconnaître* le Christ dans les
Ecritures. L'unité de la parabole est sauve en tant que déjà le riche
et Lazare personnifient respectivement le judaïsme pharisaïque et la
masse des chrétiens. Unité artificielle, et qui ne préjuge pas même
l'authenticité de la première partie, dont l'eschatologie n'est pas celle
•de l'Evangile primitif, et qui est plutôt un conte juif, peut être un
conte égyptien judaïsé. La réflexion sur le grand abîme est une tran-
sition ménagée pour amener les considérations finales et d'abord la
seconde demande, assez singulière, que va taire le riche.
420 u;c, XVI, 27-28
" Et il dit : « Je te prie donc, père,
de l'envoyer à la maison de mon père,
car j'ai cinq frères,
"8 pour qu'il les avertisse,
afinqu'ils ne viennent pas, eux aussi, en ce lieu du tourment. »
« Et il dit : « Je te prie donc, père, de l'envoyer à ma maison
paternelle ». — Puisque Lazare ne peut venir apporter au riche dans
l'enfer le rafraîchissemet d'une goutte d'eau, gu'il aille sur la terre
prêcher ceux que le riche y a laissés. L'inférence est inattendue. Est-
il donc si facile et si habituel aux morts de venir en ce monde caté-
chiser les vivants ? Il est vrai que « l'impossibilité de passer n'existe
pas de la région heureuse à la terre » (Lagrange, 4^7); nous devons,
du moins, le supposer; encore est-il que le riche est un peu pressé de
demander une chose assez extraordinaire. — « Car j'ai cinq frères ».
— Autant qu'il y a de livres dans la Loi. Avec le riche, on aurait six
frères, la moitié de douze et l'on a pu conjecturer (Jûlicher, II, 689)
que les six représentaient l'Israël incrédule ; mais l'auteur n'a pas
dû évaluer à la moitié du judaïsme l'apport judéochrétien. — « Pour
les avertir » — du malheureux sort qui m'est échu, et qui les attend
s'ils ne se convertissent, — « afin qu'ils ne viennent pas, eux aussi,
en ce lieu de tourments ».
Sans toucher à la question de possibilité, Abraham nie d'abord là
nécessité d'un tel message, et il en contestera ensuite l'utilité. —
« Mais Abraham dit : « Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu'ils les
écoutent ». — Il ne s'agit pas de cinq hommes opulents qui oublie-
raient d'apprendre dans la Bible à user sagement de leur fortune, à
s'en détacher comme il convient : Moïse et les prophètes ne sont pas
spéciaux pour cet objet. 11 n'est d'ailleurs j)as question d'amener les
cinq frèi'es au renoncement; on voudrait les amener à la foi qui
sauve, à cette foi que Moïse et les Prophètes sont censés enseigner ;
et l'on déclare qu'ils sont réfractaires à l'enseignement de l'Ecri-
ture.
« Et il dit: «Non,pèi'e Abraham». — L'Ecriture ne fait pas sur eux
l'impi'ession qu'il faudrait. — « Mais, si quelqu'un des morts va les
trouver, ils se convertiront ». — Il ne semble pas que le mort ait
besoin pour cela de ressusciter, ou plutôt Lazare, dans le sein d'Abra-
ham, est tout ressuscité ; il irait faire une apparition sur la terre. ^—
« Et il lui dit : (C S'ils n'écoutent pas Moïse et les Prophètes, quand
même quelqu'un ressusciterait des morts », — variante (Ss. mss. lat.
LUC XVI, 29-31 421
« 29 Mais Abraham dit :•
« Ils ont Moïse et les prophè(es ;
qu'ils les écoulent. »
3" Et il dit : « Non, père Abraham ;
mais si quelqu'un des morls va vers eux,ils se convertiront. »
31 Mais il lui dit :
« S'ils n'écoutent pas Moïse et les Prophètes,
quand même quelqu'un ressusciterait d'entre les morts,
ils ne seront pas persuadés. »
Marcion) : « viendrait (àiréXôv|, au lieu de àvâffTVj. D, Irénée, àvâuTvi xal
àTféXÔy)) des morts », — « ils ne seront pas persuadés ».
Que notre évangéliste ait connu le récit johannique de la résur-
rection de Lazare et qu'il y lasse ici allusion, il est possible, mais on
ne saurait l'affirmer. L'auteur fait dire à Abraham que la résurrec-
tion d'un mort ne toucherait pas les Juifs, et il croit savoir que la
résurrection de Jésus les a trouvés indifférents ; le récit johannique
monlre les Juifs incrédules à l'égai'd de Jésus, nonobstant la résur-
rection de Lazare, qu'il a opérée. On croira difficilement que la
pai'abole et le récit soient indépendants l'un de l'autre ; mais le récit
johannique, dans sa forme actuelle, dépend de Luc pour les deux
soeurs, Marthe et Marie, qu'il donne à Lazare (voir Le quatrième Evan-
gile, 5i, 338) ; c'est seulement à l'égard du récit fondamental de Jean
qu'un rapport de dépendance pourrait être admis hypothétiquement
pour la dernière partie de la parabole, et aussi bien pour le nom de
Lazare. Que même cette seconde partie soit toute juive d'esprit et
signifie simplement qu'il ne faille pas demander à Dieu un miracle en
confirmation de sa volonté connue par l'Ecriture (Boltmann, 12^), il
est permis d'en douter, la conversion par l'autorité de Moïse et des
prophètes n'étant pas chose d'ordre purement moi'al,mais prolession
de la foi chrétienne avec tous les renoncements qu'elle implique.
LXI. Leçons aux disciples
Lf' s sentences sur le scandale (xvii, i-a), le pardon (xvii, 3-4), la
foi (xvi, 5-6), le devoir (xvii, [^-lo), qui précèdent l'histoire des dix
lépreux (xvii, 11-19), n'ont pas grand lien entre elles, et c'est proba-
blement l'évangéliste qui les a ainsi rassemblées. La comparaison
avec Matthieu (xviii, 1-21) donnerait à penser que les sentences con-
cernant le scandale et le pardon voisinaient dans le recueil de dis-
422 Lcc, x\ii, J-2
^^^^ El il (lilàses {lisci^)les :
« Il est impossible que les scandales n'arrivent pas ;
mais malheur à celui par qui ils arrivent !
2 Mieux vaudrait pour lui
que pierre de meule lui fùl attachée au cou,
et qu'il fîit jelé a la mer,
que de scandaliser uîi de ces petits.
coui's avec la paral^ole de la Brebis perdue. Du tout notre auteur a
fait une instruction qu'il dit, à raison du contenu, adressée aux
disciples, et, à ce qu'il semble, aux disciples seuls.
Comme l'averlissement contre le'scandale des petits se trouve dans
les trois synoptiques, et la remarque générale sur la nécessité des
scandales seulement dans Matthieu et dans Luc, on admet volontiers
que la source de l'avertissement est Marc, et celle de la i-emarque
générale le recueil de sentences. Le plus probable est que remarque
et avertissement étaient associés déjà dans le recueil de sentences :
Marc aurait laissé tomberlaremarque générale, que Matthieu, suivant
Marc, a fait passer après l'avertissement. — « Et il dit à. ses dis-
ciples : « Il est inévitable que les scandales arrivent ». — Matthieu
(^vm, 7; :« Nécessité est que les scandales arrivent ». Il est fatal
que des occasions se présentent, qui. soient comme des pièges ayant
pour appât le péché. — « Mais malheur à celui par qui ils viennent! »
— Matthieu: « Mais malheur à l'homme par qui le scandale vient! »
— « Mieux vaudrait pour lui qu'une pierre de meule ». — Marc (ix,
42) et Matthieu (xvni, 6) ont « meule d'àne « (sur le vrai sens de
[A.ÛX0Ç ovixôi;, voir Laukange, 45i), qui est plus précis, et qui doit être
la leçon de la source, — « et qu'on le jetât à la mer, que de scanda-
liser un de ces petits ». — Marc : « un de ces petits qui ont la foi » ;
Matthieu ; « un de ces petits qui croient en moi ». Il s'agit partout
des humbles fidèles, et c'est au fidèle aussi bien que l'avertissement
est donné de ne pas contribuer volontairement à la chute d'un frère :
ainsi cet avertissement suppose la communauté chrétienne déjà
constituée. 11 pourrait bien en être de même pour le pardon.
« Prenez garde à vous», — Apostrophe qui tient lieu de transition.
On pourrait, à la rigueur, l'entendre en conclusion de l'avertissement
contre le scandale, qui peut-être donné sans intention formelle et
n'être pas excusable pour autant. — «Si ton frère a péché, reprends-
le ; et s'il se repent, pardonne lui ». — Le péché en question est une
offense personnelle. Matthieu (xviir, iS-i^) a construit sur ce ;piAé-
LUC, XVII, 3-6 423
'' Prenez garde à vous.
Si ton frère a péché
reprends- le ;
et s'il se repent,
pardonne-lui.
* Et si sept fois le jour il pèche contre toî,
et que sept fois il revienne à toi,
disant : « Je me repens »,
tu lui pardonneras. »
^Et les apôtres dirent au Seigneur :
(( Augmente-nous la foi ».
■* Et le Seigneur dit :
« Si vous aviez de foi comme grain de sénevé,
vous diriez à ce sycomore :
« Arrache-toi et plante-toi dans la mer »,
et il vous obéirait.
cepte du pardon pei'sonnelun petit traité de discipline ecclésiastique,
et il l'a isolé ainsi de sa suite naturelle, que notre évangile a retenue.
— « Et s'il t'oCTense sept fois le jour, et que sept fois», — c'est-à-dire,
après chaque offense, — « il revienne à toi, disant : «Je me repens »,
tu lui pardonneras ». — Noter la mention explicite du pardon
demandé, et la modération du chiffre relativement à Matthieu
^(xviiT, 22).
Vient la leçon de la foi, qui suit dans Marc (xi, 22-24) ^t dans Mat-
thieu (xxi, 21-22) le miracle du figuier ; mais Matthieu (xvii, 20) la
donne aussi après la guérison de l'épileptique. Notre évangile y a
imis une introduction artificielle et abrupte, dont l'emploi des mots
« apôtres » et « Seigneur » dénonce le caractère secondaire. — « Et
les apôti'es dirent au Seigneur : « Augmente-nous la foi ». — Il ne
s'agit pas de la foi en général, de la foi à l'Evangile et à la mission de
Jésus, mais de la confiance absolue qui réalise les miracles. C'est
■celte confiance que les apôtres sentiraient ne pas posséder au degré
suffisant pour le bien de leur mission. D'ailleurs, on pourrait tra-
duire (irpocsOeç -?i[xTv Tti'fîTiv) : «Ajoute-nous de la foi », c'est-à-dire: joins
la foi aux dons par nous reçus. Au lieu de répondre à la prière des
apôtres, Jésus énonce le paradoxe sur la puissance de la foi, qui se
lit dans les deux autres évangiles. — « Et le Seigneur dit : « Si vous
aviez de la foi comme un grain de sénevé ». -^ La comparaison du
grain de sénevé est seulement dans Matthieu (xvn, 20). Mais la pré-
424 LUC, xvn, 7
' Qui donc d'entre vous, ayant esclave, laboureur ou pâtre,,
quand celui-ci revient des champs, lui dira :
« Viens Jout de suite le mettre à table » ?
sente sentence ne dépend pas de la parabole du Sénevé, et elle jr
serait plutôt antérieur^. — «Vous diriez à ce sycomore : «Arrache-
toi et plante-toi dans la mer», et il vous obéirait». — Marc et Mat-
thieu parlent de montagne jetée à la mer. On ne voit pas bien-
pourquoi notre évangéliste y a substitué l'image, apparemment moins
hyperbolique, mais moins naturelle aussi, d'un arbre qui va se plan-
ter dans l'eau, si ce n'est par une certaine influence de Mare (peut-
être aussi de Matthieu (xxi, ai), où la leçon de la fui se rallache à une
histoire de figuier desséché. Notre auteur aura pu trouver un peu vio-
lente l'image delà montagne, mais Marc lui a suggéré l'idée de l'arbi-e
(ffuxâ(jMvoç est probablement iè sycomore, comme dans les Septante,
bien que ce soit proprement le mûrier). Et l'on pourrait presque
se demander si. l'introduction mal venue,' la requête des apôtres
(xviii, i5), n'accusei'ait pas une influence combinée de Marc et de
Matthieu, cette demande Taisant écho à la prière que le pèi'c de l'épi-
leptique adresse à Jésus dans Marc (ix, 24), et le i^apport de cetle
prière avec la leçon de la foi s'établissant par Matthieu (xvii, 20).
La comparaison qui suit manque de relief, et l'on n'en voit pas le
rapport logique avec la leçon de la foi, qu'elle semblerait pourtant
vouloir compléter. L'auteur se serait-il proposé de recommander aux
croyants thaumaturges la plus parfaite humilité? Quoi que fasse le
chrétien pour Dieu, il n'en fait pas plus que le comporte son rôle
d'esclave. — « Mais qui d'entre vous, ayant un esclave laboureur ou
pâtre». — Ce n'était pas le cas des apôtres. On peut dire que, par
un mouvement oratoire, ils sont faits juges de l'exemple. La vérité
doit être que le rapport de la sentence, d'où qu'elle vienne, avec ce
qui précède, est artificiel, et que l'évangéliste a pu paraphraser de
lui-même une sentence de morale juive (cf. le dit d'Antigone de Socha
dans Pirqé aboth, i, 3, cité Klostermann, 535). — « Lui dira, quand il
revient des champs : « Viens tout de suite te mettre à table ». — Le
maître dont il s'agit a un esclave qu'il emploie durant le jour à
travailler la terre ou à garder les troupeaux, selon la saison. Quand
l'esclave revient des champs, il serait disposé à manger et à se repo-
ser. Mais, sUr l'ordre du maître, ildoit d'abord préparer le souper de
celui-ci et même le lui servir.
« Mais ne lui dira-t-il pas ; « Prépare-moi à souper, et, te ceignant,,
sers-moi ». — Images familières à noli'e auteur (cf. xii, 3j, qui est
LUC, XVII, 8-10 425.
^ Mais ne lui dira-l-il pas :
« Prépare-moi de quoi souper,
et te ceignant, sers-moi, que je mange et je boive ;
et après cela, tu mangeras et lu boiras toi-même » ?
^ Est-ce qu'il a gré au serviteur
d'avoir fait ce qui (lui) élait commandé ?
*" De même vous,
quand vous aurez fait tout ce iiui vous est commandé,
dites :
« Serviteurs inutiles naus sommes,
nous avons fait caque nous devions faire. »
comme la contrepartie r^e notre passage). — «Que je mange et que je
boive » — d'abord ; — « après cela, tu mangeras et tu boiras toi-
même ». — Le paraboliste trouve naturel qu'il en soit ainsi, et il ne
s'apitoye pas plus sur la condition du serviteur qu'il ne critique les
exigences du maître. 11 figure, à son ordinaire, avec une certaine
complaisance dans son procédé, l'action dans le discours. — « Est-ce
qu'il sait gré au serviteur d'avoir fait ce qui était commandé? » —
Le maître n'a pas de gré particulier à lui savoir pour des services
qui sont tous dans l'ordre et le devoir de sa condition. Or les
croyants sont devant Dieu dans la condition de cet esclave.
« De même vous, quand vous aurez fait tout ce qui vous est com-
mandé». — L'auteur n'y voit pas de difficulté et regarde comme
possible cet accomplissement des préceptes. — « Dites : « Nous
sommes des serviteurs inutiles ». — Un seul témoin (Ss.) omet le mot:
«inutiles » (àj^peïot), et certains critiques s'empressent aussi de l'aban-
doiiner, sous prétexte qu'il s'agit ici de marquer la condition générale
4u chrétien comme serviteur de Dieu et non différentes sortes de
serviteurs. Mais l'idée n'est pas que le serviteur doit se déclarer
mauvais (comme dans Mt. xxv, 3o, d'où, pour cette raison même/
il n'est pas vraisemblable que le mot ait été emprunté) ; c'est terme
d'humilité, en rapport avec la condition de l'esclave et le sen-
timent qu'elle doit lui inspirer ; le plus fervent des fidèles n'est
toujours devant Dieu qu'un pauvre esclave qui ne saurait en faire plus
qu'il ne doit, puisqu'il doit à Dieu tout le bien dont il est capable
(cf. JiÏLicHERjII, 21). — (( Nous avons fait ce que nous devions
faire ». — Une s'ensuit pas que le service du juste soit sans résultat
objectif, sans avantage pour lui-même. On nous a ditplus haut(xii, 87)
la récompense du bon serviteur.
426 LUC, XVII, 11-12
1^ Et pendant qu'il se dirigeait vers Jésusalem,
il passa entre Samarie et Galilée ;
^" et comme il entrait en certain village,
se trouvèrent dix hommes lépreux
qui se tinrent à distance.
LXII. Les dix lépreux
Après toutes ces paraboles et réflexions morales, révangéliste a
besoin de reprendre le fil de son récit 'pour situer l'anecdote qu'il
va raconter, et il profile de l'occasion. pour rappeler que Jésus s'en
allait à Jérusalem. Mais la reprise est gauche et sans précision. —
« Et advint, en allant à Jérusalem, qu'il passa entre la Samarie et la
Galilée». — On ne peut entendre que Jésus traverse successivement"
la Samarie et la Galilée, puisqu'il ne vient pas de Jérusalem, mais
qu'il se trouvait entre la Samarie et la Galilée, la Samarie étant
mentionnée d'abord parce que l'auteur pense au lépreux samaritain
dont il va parler. Les exégètes de bonne volonté supposent que
Jésus contourne ou est censé contourner la Samarie, se dirigeatft
vers le Jourdain pour gagner Jérusalem par la Pérée. Le fait est
plutôt que l'auteur en prend à son aise avec l'itinéraire de Jésus et
la géograpliic de la Palestine. Pour commencer, le Christ a été en
Samarie (ix, Sa, .56); il s'est retrouvé ensuite en Galilée (xui, 3i) ;
le voici maintenant entre les deux provinces ; il voyage en dehors
de la réalité ; et ce n'est pas l'histoire des dix lépreux qui va l'y
faire rentrer.
« Et comme il entrait en certain village », — Un village inconnu,
et pour cause (cf. tx, Sa, 56 ; xt, i ; xxii, lo ; xiv. i). — « Se présen-
tèrent à lui ». — Variantes dans le texte (mss. AB. etc. àTcriVTTjffa.v; SL
x)iT7]vr^i7av). Des témoins importants omettent « à lui » (aùxw), peut
être parce qu'il est dit ensuite que les lépreux se tenaient à dis-
tance (Ss, omet même à'!:-/)vr^(7av : « voici que dix hommes lépreux
se tenaient à "distance », et D lit ; « un village où étaient dix hommes
lépreux, et ils se tenaient à distance p). — « Dix hommes lépreux
qui se tinrent à distance». — On peut croire que les lépreux en
question sont avertis que Jésus arrive, et, se.proposant de lui deman-
der leur guérison, s'arrêtent à la distance que prescrivaient la Loi et
la coutume (cf. LÉv. xnt, 45-46 ; Noivnîiî. v, 2-4).
« Et ils élevèrent la voix, disant : « Jésus, maître ». — Le mot
« maîti'e » (ÈTttffTàr^ç) s'est déjà plusieurs fois rencontré (v, 5 ; vm.
LDC, XVII, 13-14 427
•* Et il's élevèrent la voix disant : ■
« Jésus, maître, aie pitié de nous. »
^* El ce voyant, il leur dit :
« Allez vous montrer aux prêtres. ))
Et advint que, s'en allant, ils furent purifiés.
■a^, 45 ; IX, 33, 49)' — « Aie pitié de nous ». — Leurs cris attirent l'at-
tention de Jésus. — « Et voyant » — de quoi il s'agissait, — « il leur
dit ; « Allez vous montrer aux prêtres ». — Ainsi Jésus ne les guérit
pas tout de suite ni en les touchant, comme il a guéri le lépreux de
Galilée (v, i3) ; mais l'ordre qu'il leur donne est une assurance impli-
cite de leur guérison prochaine, car, leur maladie ayant été consta-
tée, ils n'avaient avoir les prêtres que pour en faire constater la
disparition. L'ordre a aussi bien raison d'être à l'égard du Samari-
tain qui se trouve parmi les dix ; car les Samaritains observaient
les règlements de la Loi concernant la lèpre, et ils avaient leurs
prêtres. Il n'est d'ailleurs pas besoin de discuter les détails de cette
histoire au point de vue de la réalité.
« Et advint qu'en s'en allant ils furent guéris». — Littéralement .•
« ils furent purifiés ». — La guérison est subite, elle texte ne signifie
pas que la maladie s'en allait diminuant à mesure que les hommes
s'éloignaient. Pour l'enchaînement du récit, on doit supposer que la
guérison ne tarde pas à se produire. Mais l'évangéliste fait faire la
guérison à distance, et il a eu soin de n'amener pas les malades
jusqu'auprès du Christ : Jésus n'a pas guéri par contact la lèpre du
Samaritain, parce qu'il n'est pas allé en personne porter l'Evangile et
le salut aux païens.
« Or l'un d'eux », — un seul, sur les dix, et celui-là n'était point
juif, — « voyant qu'il était guéri, revint », — non pas sans doute api'ès
s'être montré au prêtre, mais tout de suite retourna sur ses pas,
pendant que les autres continuaient leur chemin, — « gloinfiant Dieu
à haute voix, et il se prosterna à ses pieds », — aux pieds de Jésus,
— • « lui rendant grâces ». : — Cet homme loue Dieu et Jésus. Ce
trait a signification par la valeur symbolique du personnage. — « Et
c'était un Samaritain ». — Ce lépreux samaritain rappelle Naaman
le Syrien (II Rois, v, i-i4), et comme lui il figure, pour notre évangé-
liste (cf. iv, 27), la gentilité croyante. Aussi bien ce Samaritain recon-
naissant fait-il pendant au Samaritain charitable de la parabole,
« Or, pr.enant la parole » — à ce propos, — « Jésus dit : « Est-ce
que les dix n'ont pas été purifiés ? Où sont les neuf ?» — Les neuf
428 LUC, XVII, 155-19
^* Or l'un d'eux, s6 voyant guéri, revint,
à haute voix glorifiant Dieu ;
^^ et il se jeta face contre terre à ses pieds,
lui rendant grâces.
Et c'était un Samaritain.
" Prenant la parole, Jésus dit :
a Est-ce que les dix n'ont pas été purifiés? Où sont doncle&
[neuf?
" Ne s'est-il trouvé pour revenir donner gloire à Dieu
que cet étranger ?
19 Et il lui dit : « Lève-toi> va ;
ta foi t'a sauvé. »
autres, qui ne donnent pas signe de reconnaissance au Christ, sont
juifs. — « Ne s'est-il trouvé, pour revenir donner gloire à Dieu, que
cet étranger ? » — C'est l'étranger (ô hlXoyzrfi<;) ^"i seul se montre
reconnaissant, vraiment fidèle. — « Et il lui dit» — en manière de
congé : — « Lève-toi, va ; ta foi t'a sauvé ». — Il ne faut pas deman-
der si ce n'est pas aussi bien la foi des autres qui les a guéris. C'est la
loi du Samaritain qui compte, et les neuf Juifs ingrats, méconnais-
sant le Sauveur, ne laissent pas de figurer un judaïsme incrédule.
Et il est clair que, si l'on n'a pas égard à sa signification symbo-
lique, l'anecdote est assez mal venue. Ce peut-être adaptation de
légende antérieure (composition secondaire et' hellénistique, dit
BuLTMANN, i^, qui attribue seulement à la rédaction xvii, ii et 19) y
et en tout cas, c'est doublet allégorique de la guérison de lépreux
antérieurement rapportée (v, 12-14) d'après Marc (1, ^o-/^5). Le
miracle des dix lépreux est à ranger dans la même catégoi'ie que le
ressuscité de Naïn, que la femme et l'hydropique guéris le jour du
sabbat.
LXIIL L'avènement du royaume
Le discours eschatologique qui remplit la fin du chapitre ne tient
à rien dans le contexte ; le corps du discours se retrouve dans
Matthieu, combiné avec le discours apocalyptique de Marc (xni) y
le préambule (xvii, 20-21) paraît avoir été conçu par notre évangé-
liste. — « Or, interrogé par les pharisiens sur le temps oii viendrait
le royaume de Dieu ». — On ne sait d'où sortent ces pharisiens ;.
mais ce doit être avec intention que notre évangéliste a remplacé,.
LUC, XVII, 20 429
^0 Or, interrogé par les pharisiens
sur le temps où viendrait le règne de Dieu,
il leur répondit et dit*:
« Le règne de Dieu ne vient pas d'après observation.
au commencement de l'apocalypse synoptique (xxi, 5), les disciples
par « certains » individus, et qu'il fait poser ici par les pharisiens la
question du grand avènement, sauf à ramener ensuite les disciples
pour entendre l'instruction principale. Les phai'isiens étant connus
<;omme demandeurs de signes (cf. Mt. xn, 38 ; xvt, i ; Me. vni,
II; daas le passage parallèle de Le. xi, i6, les pharisiens ne sont
pas nommés, et l'on dirait qu'ils ont été réservés pour le cas pré-
sent), il était aisé de leur prêter semblable interrogation. On ne leur
attribue aucune intention de raillerie, ni celle de compromettre
Jésus par sa réponse. Leur question ne vient que pour amener la
déclaration que fait le Christ, et cette déclaration est plutôt néga-
tive Il est de toute probabilité que la question et la réponse ont
été aiTangées par l'évangéliste en manière de compensation pour la
l)arole toUs^hant le jour et l'heure du grand avènement (Mt. xxtv, 36,
que suit un moi'ceau parallèle au présent discours de Luc ; Me. xiii,
Sa), parole qui a été soigneusement omise dans notre évangile.
«Il leur répondit et dit:« Le royaume de Dieu ne vient pas d'après .
observation »,— d'après un signe observable qui en serait l'annonce
certaine. Le mot « observation » (-TtappcT-^o'OTti;) ne se renconti'e qu'ici
dans la Bible, et il appartient au langage de notre évangéliste. Cer-
tains commentateurs ont soin de noter qu'il était employé par les
médecins. Mais il ne s'agit point ici de médecine. Le mot ne peut,
dans notre cas, signifier espionnage et s'entendre par rapport aux
dispositions des pharisiens ; ni observance et s'entendre du culte
légal, qui devrait faire place au culte en esprit ; ni remarque, si l'on
veut entendre par là que le royaume viendra ou qu'il est arrivé sans
qu'on s'en aperçoive. Dans cette dernière hypothèse, il y aurait con-
tradiction flagrante entre la déclaration préliminaire et le discours, où
il est ditque le Fils de l'homme apparaîtra comme un éclair illuminant
tout l'horizon. L'observation. dont on parle est l'attention aux signes
précui'seurs du règne messianique, observation qui n'aui*a pas lieu
d'être, parce qu'elle n'aurait pas d'objet, l'avènement du royaume ne
devant pas être précédé d'indices auxquels on reconnaîtrait son
approche immédiate, La réponse du Christ aux pharisiens est dans
le sens du discours qu'on va lire ; elle n'est pas tout à fait dans le
droit fil de la question posée, puisqu'on a demandé» quand » et
430 Ltc, xYii, 21
" On ne dira pas : « Il esl ici », ou bien : « Là v ;
car voici que le règne de Dieu est parmi vous. »
non comment le l'oy.aume arrivera;, mais celui quia conçu la demande
et la réponse était préoccupé du retard de la parousie, et il esquive
le«quand » par le comment; s'il avait en pensée un avènement spiri-
tuiel et moral du royaume, l'échange de propos entre le Christel les
pharisiens,se résumerait dans une équivoque, puisque les j^harisiens
entendi*aient l'avènement du royaume au sens eschatologique,. et
Jésus au sens moral, abstraction faite de l'eschatologie, et la réponse
aux pharisiens, se trouverait contenir, touchant le caractère moral
du royaume une révélation, d'ailleurs inintelligible, dont le discours-
qui va être adressé aux disciples ne contient pas la moindre trace.
« On ne dira pas », — on n'aura pas à dire : — « Il est ici », ou
bien : « Là ». — Ces px'opos conviendraient mieux au Christ qu'au
royaume ;onleslrouverabientôtappliqués au Fils derhomme(xvii,23);
l'évangéliste les aura donc anticipes un peu. gauchement dans ce
préambule ; mais]il ne laisse pas d'en maintenir la signification escba-
tologique. — « Car voici le royaume de Dieu parmi vous », — Asser-
tion brève et dont il ne convient pas de faire donner l'explication
aux pharisiens, mais qui prétend néanmoins justifier ce qui vient
d'être dit touchant l'impossibilité de prévoir à coup sûr la manifesta-
tion du royaume. Eu égard à ce qui précède et au discoui-s qui' suit,
discours en vue duquel l'assertion a été conçue par le rédacteur, le
sens de la formule (ISoÙYàp-^ j3a(JtX£(« tou OepïïlvTÔç û;j.Gv 'èffrcv) ne peut
être que. le suivant: quand le royaume viendra, on ne pourra pas dire
qu'il est en tel lieu et qu'il va venir, mais il sera d'un seul coup et
partout arrivé ; il sera chez vous comme ailleurs,^ et nulle part avant,
Prise en soi, la formule pourrait signifier : « Le royaume de Dieu est
en vous », et les théologiens modernes surtout se sont délectés dans
cette idée d'un royaume tout spirituel et invisible, bien qu'elle soit,. .
par ailleurs, étrangère à l'Evangile, et l'on peut dire à la. Bible
entière. Mais ce n'est pas aux pharisiens que l'évangéliste aurait fait
dire ou que Jésus aurait dit: le royaume de Dieu est dans vos cœurs.
La distinction, subtile et tbéologique,, entre le règne qui serait
actuel, et le royaume qui sex^ait à venir, le règne de- Dieu étant ici
visé, et l'avènement messianique dans le discours suivant, n'est
qu'une échappatoire d'apologistes en détresse. Si la formule : « Le
royaume de Dieu est chez vous », doit s'entendre d'un fait actuel, il
ne s'agira pas précisément du règne de.Dieu'(LAGRANGE, 459), ni du
royaume censé inauguré par l'expulsion des démons (opinion préférée
LUC, XVII, 22-23 431
22 Mais il dit aux disciples :
«Viendront des jours où vous souhaiterez
voir un seul des jours du Fils de l'iiomme,
et vous ne (le) verrez pas.
23 Et l'on vous dira : « Il est ici », « 11 est là » ;
ne bougez pas ; n'y courez pas.
par J. Weiss-Iîousset, 479» où l'interprétation eschatologique est
présentée comme possible), mais le règne de Dieu sera le salât apporté
par le Christ, réalisé dans l'Eglise, ce sera la communauté chrétienne,
et le préambule ne s'accordera qu'en apparence avec son contexte et
le discours qui suit; mais c'est peut-être tout ce que l'auteur du préam-
bule a voulu. La distinction du règne et de l'avènement devient ainsi
une réalité, mais ce règne, c'est-à-dire l'établissement chrétien, et
cet avènement retardé sont, à proprement parler, des concepts de la
tradition chrétienne.
Gomme le discours eschatologique, où l'é vangéliste voulait en venir,
s'adressait aux disciples,, une reprise aussi facile qu'artificielle per-
met de les rejoindre, et Jésus va parler comme il convient pour
calmer l'impatience anxieuse des chrétiens à l'égard de la pai'ousie.
— « Mais il dit aux disciples ». — Ce qui va être dit commente la
réponse aux pharisiens ; mais il ne semble pas que les pharisiens
soient censés rester là pour entendre cet enseignement.
« Viendront des jours où vous^ souhaiterez », — exaspérés dans
l'attente du règne de Dieu, — « voir un seul des jours du Fils de
l'homme, » — c'est-à-dire du Messie glorieux, — '« et vous ne le
verrez pas». — Les jours dont on parle ne peuvent être ceux que
Jésus passe maintenant avec ses disciples, mais ceux qui commence-
ront avec son apparition dans le grand avènement. Il n'est pas dit en
termes exprès que le désir des disciples sera excité par les angoisses
de la situation où ils se trouveront, mais l'évangéliste a dû le com-
prendre ainsi, et c'est lui probablement que nous entendons encore
dans cet exorde (cf. BuLTMi\.NN,;79)ila source ayant pu contenir, après
ime déclaration sur le jour et l'heure que le Père seul connaît, ce
qu'on lit maintenant dans Luc et dans Matthieu sur la manifestation
inopinée du Christ et du royaume. Ce n'est pas le seul endroit où
notre rédacteur fait combattre par Jésus l'attente fiévreuse de la
parousie(cf. xix, ii).
« Et l'on vous dira : « Il est ici. — Il est là ». — C'est ce que dit
Mauc (xin, ai) des faux Christs, probablement d'après la source où
puise notre évangéliste, qui ne laisse i)as de subir eii môme temps
432 LUC, XVII, 24-2o
2* Carde même que l'éclair, fulgurant,
d'un bout de l'horizon à l'autre bout de l'horizon brille,
' ainsi sera le Fils de l'homme en son jour.
25 Mais d'abord il faut que beaucoup il souffre,
et qu'il soit rejeté par cetle génération.
l'influence de Marc ; Matthieu, qui commence (xxiv, a3) par suivre
Marc, a ici un doublet, et ce doit être d'après la source qu'il écrit
ensuite (xxiv, a6) : « Si donc on vous dit : « La voici dans le désert»,
ne sortez pas », etc. — « Ne bougez pas, n'y courez pas ». — Inutile
de se déranger. — « Car de même que l'éclair, éclatant à un bout de
l'horizon, brille jusqu'à l'autre bout ». — Matthieu (xxiv, 27) : « sort
de l'orient et brille jusqu'à l'occident ». Notre auteur se souvient que
les éclairs peuvent rayonner dans toutes les directions. — « Ainsi
sera le Fils de l'homme en son jour ». — Matthieu : « ainsi sera la
parousie du Fils de l'homme ». — Notre auteur évite le mot « pà-
rousie » et y substitue régulièi-ement dans tout ce morceau» le jour»
ou « les jours du Fils de l'homme » (cf. Wellhausen, Mt. 124). L'hy-
pothèse contraire est moins vraisemblable, vu que le mot « parousie »
convient à la notion juive du Fils de l'homme, plutôt qu'à l'avènement,
au retour glorieux du Messie chrétien. Dans le cas présent, la compa-
raison paraît plus régulière entre l'éclair et l'épiphanie ou la parousie
qu'entre l'éclair et le Christ « en son jour ».
« Mais d'abord il faut qu'il souflre beaucoup et qu'il soit rejeté par
cette génération ». — Intei^polation évidente dans la description
eschatologique, et qui rend plus sensible l'absence de celte précision
dans le document pi<imitif, Seulement il est permis de se demander,
ici comme pour la grande apocalypse synoptique, si le document pri-
mitif était chrétien et non simplement juif : le ton du morceau s'ac-
eorderait aussi bien avec la dernière hypothèse. Notre évangéliste a
voulu marquer les conditions réelles de l'entrée du Christ dans son
règne. Peut-être a-t-il inséré cette prophétie de la passion, où il se copie
lui-même (cf. ix,22;,à la place occupée d'abord parla comparaison du
cadavre et des vautours (cf. Mt. xxiv, 2j), dont il a voulu faire la
conclusion du discours. Aux deux comparaisons se rattachait assez
naturellement le rappel de ce qui s'est passé au temps du déluge.
« Et comme il advint, aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il aux jours
du Fils de l'homme ». — Matthieu (xxiv, 3j) : « Et comme les jours
de Noé, ainsi sera la parousie du Fils de l'homme ». Ici encore la
forme de la comparaison est plus simple et plus natui-elle dans Mat-
thieu. La parousie se produira, comme le déluge, au moment où les
LUC, xvir, 26-27 433
•^ Et comme il advint aux jours de Noé,
ainsi en sera-t-ilaux jours du Fils de l'homme ;
" on mangeait, buvait, prenait femme, était épousée,
jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,
et vint le déluge, qui les fit périr tous.
hommes, menant leur train de vie ordinaire, s'y attendront le moins.
— « On mangeait, on buvait, on prenait femme, on était épousée ».
Matthieu (xxiv, 38) : « Car de même que, dans les jours d'avant le
déluge, on mangeait et on buvait », etc. — « Jusqu'au jour où Noé
entra dans l'arche et où le déluge vint les détruire tous ». — Matthieu,
plus amplement : « jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche, et qu'on
ne connut pas le déluge. avant qu'il arrivât et emportât tout le monde,
ainsi sera la parousie du Fils de l'homme ». On dirait que notre
auteur a resserré l'exemple du déluge pour faire place à celui de
Sodome, en réservantla conclusion: « ainsi sera »etc, pour la mettra
après ce second exemple. Du reste l'association de Lot à Noé se ren-
contre fréquemment chez les rabbins (Klostermann, SSg), et ailleurs
dans le Nouveau Testament (cf. II Pjer. ti, 4-6 ; Jun. 6-7),
« Pareillement, comme il advint aux jours de Lot », — quand ce
neveu d'Abraham demeùi'ait à Sodome ; — « on mangeait, on buvait,
on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait », — en toute sécu-
rité, sans prévoir la destruction imminente ; — « et le jour où Lot
sortit de Sodome, il plut du ciel », — dans la Genèse (xix, 24)» c'est
lahvé qui fait pleuvoir, — « feu et soufre qui les détruisirent tous.
De même en sera-t-il au jour où le Fils de l'homme sera révélé ».
Remarquer la paraphrase de : « Ainsi sera la parousie du Fils de
l'homme » (Mt. supr. cit.). La suite naturelle de cette pensée est, dans
Matthieu (xxiv, 4o"4ï). le choix subit et imprévu qui se lait entre les
Jiommes pour le salut ou la réprobation. Notre auteur amène ici
l'avertissement, qui est donné dans le discours apocalyptique (Me.
xui, i5-i6; Mï. XXIV, i;7*ï8), de fuir sans le moindre retard quand on
verra l'abomination de la désolation.
« En ce joux'-là, que celui qui sera sur le toit, et dont les outils seront
à la maison, ne descende pas les prendre ». — Adaptation de Marc
(xiii, i5) : « Que celui qui sera sur le toit ne descende pas pour entrer
prendre quelque chose dans sa maison ». Nonobstant la modifica-
tion opérée, le conseil, pris littéralement, -ne s'accorde pas avec la
perspective du pi'ésent discours: le Chi'ist ai'rivant, on n'aura même
pas le temps de songer à quoi que ce soit. Ce que l'auteur recom-
A. Loisv. L^Ëvanffile selon Lnc, a8
43'f LUC, XYii. 28-33
28 Pareillement, comme il advint aux jours de Lot :
on mangeait, buvait, achetait, vendait, plantait, bâtissait ;
^^ mais, le jour où Lotli sortitde Sodome,
tomba du ciel pluie de feu et desoujre, qui les fit périr tous.
^o Ainsi en sera-t-il le jour où le Fils de l'homme sera révélé.
" En ce jour là, que celui qui sera sur le toit,
et dontlesontils seront dans la maison,
ne descende pas les prendre ;
et que de même qui sera aux champs ne retourne \i2i% en arrière.
^2 Souvenez-vous de la femme de Lot.
^^ Qui cherchera à sauver sa vie la perdra,
et qui l'aura perdue la sauvera.
mande, gauchement et par anticipation, serait donc le détachement
des biens de ce monde. — « Et que celui qui sera dans les champs ne
retourne pas non plus à ce qui sera derrière lui ». — Marc (xut, i6) :
« ne retourne pas chez lui prendi'e son manteau ». Même adaptation
insuffisante. L'auteur prescrit le renoncement universel pour un ins-
tant où l'on sera tout renoncé. Comme si ce « retour en arrière »,
après la mention de Lot et de Sodome, lui avait rappelé la mésaven-
ture subie par la femme du patriarche (Gen. xix, 9.6), il tire de cet
accident une moralité : — « Souvenez-vous de la femme de Lot ». —
Le mot est presque piquant; mais, dans la présente économie de la
parousie, la femme de Lot n'auraitpas eu le temps de. se retourner.
L'évangéliste découvre son idée en amenant ici, bien mal à propos,
la sentence, déjà citée (ix, a4) d'après Marc (viir, 35), mais qui se
lisait aussi dans le recueil de sentences (cf. Mt. x, 3g) : — « Qui
cherchera à sauver sa vie la perdra; et qui l'aura perdue la sauvera ».
— L'emploi de synonymes (■jispi'noieraOat, Çwoyoveïv, au lieu de crciÇetv,
IX, 24) "6 déguise pas la répétition. Et c'est en vue de la parousie,
non dans l'instant où elle se produira, que l'on devra risquer sa vie
pour la sauver. On remarquera que cette réflexion fait surcharge
pour la strophique.
Le caractère subit du grand avènement appa^-aît dans le dévelop-
pement final — « Je vous dis ». — Matthieu (xxiv, 4o) n'a pas ce « je
vous dis », par lequel noti-e auteur rejoint la source. — « Cette nuit-
là ». — Matthieu : « alors ». Il n'a été parlé auparavant que de jour,
et dans Matthieu les deux cas cités sont de personnes au travail. Notre
évangéliste aura parlé de lanuit elmis leshommes dans leur lit, parce
qu'il avait déjà parlé des champs, et en considération des comparai-
LUC, XVII, 34-37 435
2* Je vous dis,
<}ette nuit-là, deux seront sur un lit :
l'un sera pris, et l'autre sera laissé ;
35 deux femmes seront à moudre ensemble :
l'une sera prise, et l'autre sera laissée. »
3' Et prenant la parole, ils lui dirent :
« Où, Seigneur ?
Et il leur dit :
« Où sera le corps,
là aussi les vautours se rassembleront. »
•sons if ui aissimilent le ("hrist au voleui* nocturne ou au maître qui
Tcntre chez lui pendant la nuit. — « DeaiX seront dans un lit, l'un
sera pris,.l'autpe laissé ». — Matthieu : « Deux seront aux champs ».
■On dit que l'exemple donné dans Matthieu est moins bon que celui
de, Luc (Wbllausen, Mt. 127 ; Le. 97) ; mais les deux hommes sont
•censés travailler ensemble, comme les deux femmes, et il n'est pas
•autrement naturel de faire dormir les hommes pendant que les
femmes travaillent; on peut faire veiller celles-ci plus tard que leurs
maris, sans contredire la réalité des faits ordinaires, mais ce n'est
pas sans quelque artifice dans le cas présent. Plusieurs témoins (D,
Ss. mss. lat.) intercalent après l'exemple des deux femmes celui des
deux hommes ■ aux champs • mais on ne fait par là qu'accroître la
contradiction, et il n'est pas douteux que l'interpolation a été faite
d'après Matthieu, destinée peut-être originairement à remplacer
l'exemple des deux hommes couchés . — « Deux seront à moudre
ensemble, l'une sera prise et l'autre laissée ». — Matthieu (xxiv, 41) '
•« Deux seront à moudre à la meule ». On dirait que notre auteur a
voulu accentuer la communauté du travail ; il a pu vouloir aussi rap-
procher les deux hommes en les mettant dans le même lit.
« Et prenant la parole, ils lui dirent ; « Où Seigneur ? » — On ne
voit pas bien pourquoi les disciples posent à nouveau la question du
lieu de la parousie, puisque' la solution a été' donnée au commence-
ment du discours (xvii, 23-24) î niais c'est que Fauteur veut amener
comme mot de la fin la comparaison du cadavre et des vautours,
qu'il a réservée à cet eftet ; le discours sans cela n'aurait x^as eu de
conclusion.— r« Et il leur dit: « Où sera le coi'ps, là aussi les vautours
s'assembleront». — Notre auteur dit «' corps » (ffà5[i.«), et non « ca-
davre » (TrTwjj^a, Mt. XXIV, 29), qui est le mot propre du proverbe.
Ij'application qu'il vise n'apparaît pas nettement. On lui attribue peut-
436 LUC, xviii, 1
xvui Or il leur adressait parabole
sur ce qu'il leur fallait toujours prier, sans se lasser,
êti'e une préoccupation qu'il n'a pas si l'on fait demander par les dis-
ciples où s'exercera le jugement des pei'sonnes dont il vient d'être
parlé, et si loi} fait dire au Christ que le jugement de Dieu atteindra,
partout où ils seront, tous ceux qui devront être jugés (J. Weiss-
BoussET, 480). Comparaison obscure et mal venue, idée subtile. Est-il
si naturel que les hommes àjuger.qui sont innombrables, soient com-
parés à un seul corps, et le juge unique à la nuée de vautours ? N'ob-
tient-on pas ainsi une représentation inverse de celle que suggère la
description précédente, où le juge ne fond pas sur les hommes, mais
les justes sont ravis auprès du Christ, les réprouvés livrés à leur infor-
tune ? Nonobstant la transposition, notre auteur entend parler plu-
tôt du rassemblement des élus autour du Fils de l'homme, et il fait
du proverbe la même application que Matthieu.
LXIV. La Veuve et le juge
Les enseignements qui suivent concernent le royaume de Dieu et
la façon de s'y préparer, les conditions requises pour y être admis :.
paraboles de la "Veuve et du juge (xviii, 1-8), du Pharisien et du
publicain (xvm, 9-ï3), qui sont propres à notre évangile ; dit sur les
enfants (xvm, iS-i^), et anecdote du jeune homme riche (xviii, 18-
3o), par lesquels on rejoint Marc. La parabole de la Veuve est un récit
qui n'a rien de moral en soi et dont il est fait application au thème de
la prière pour le grand avènement : il s'agit de montrer que la prière
persévérante ne saurait manquer d'obtenir l'avènement du règne de
Dieu. Tout autre est le caractère de la parabole suivante, où il est
établi par un exemple que la prière efficace de réconciliation avec
Dieu est celle de l'humble qui se repent,non celle de l'orgueilleux qui
s'admire lui-même. La liaison de cette parabole avec la première se
fait sur cette idée, exprimée dans la conclusion, que les humbles se-
ront sauvés. Le lien des deux paraboles est donc artificiel. En son
idée générale, la parabole de la Veuve ressemble à celle de l'Ami
importun (xi, 5-8), et l'on a pu supposer que, l'application eschatolo-
gique pouvant être détachée de la première, les deux paraboles fai-
saient paire dans la source où notre évangéliste les a prises. Mais il
est à remarquer d'autre part que la première parabole ne se laisse pas
si facilement détacher de son application eschatologique, eu
LUC, xviii, 2-3 437
=2 disant -
« Certain juge était, en'certaine ville,
qui ne craignait pas Dieu,
el qui d'homme n'avait souci,
^ or une veuve était, en cette ville-là,
qui venait à lui, disant :
« Fais-moi justice de mon adversaire. »
vue de laquelle plutôt elle semblerait conçue ou recueillie ; car la
comparaison rie porte pas que sur l'exaucement, elle porte spéciale-
ment sur la justice à obtenir. En réalité, le thème est autre que celui
de l'Ami importun (cf. Wbllkausen, Le. 98; Bultmann, laS). Quant
à l'esprit, les paraboles ne laissent pas d'être apparentées, et elles
pourraient provenir d'une même source, qu'on n'est pas obligé de sup-
poser originairement chrétienne ; il est pareillement superflu de
rechei'cher laquelle des deux serait la plus ancienne.
« Et il leur adressa une parabole touchant la nécessité ou ils étaient
de toujours piûei", sans se lasser ». — La recommandation de prier
toujours est faite aux disciples; elle ne doit pas s'entendre d'une
prière ininterrompue, mais l'expression est hyperbolique à dessein,
pour marquer la nécessité de la persévérance dans la prière si l'on
veut être exaucé. L'idée toute moderne d'une disposition à prier,
qui se traduit souvent par des actes d'oraison humble et sincère,
n'est pas à introduire^ ici. Comme ce préambule paraît généraliser
l'objet de l'enseignement, on pourrait être tenté de supposer que
l'évangéliste a voulu atténuer l'application de la parabole ; mais
puisqu'il laisse subsister cette application dans son texte, il ne l'at-
ténue pas, et il n'y a pas lieu de comparer le cas de l'oraison domi-
nicale, où notre évangile aurait substitué la demande du saint Esprit
à celle du règne de Dieu (Wellhausen, 57,98); même en admet-
tant cette substitution, le cas ne serait point parallèle, puisque, dans
notre cas, la demande pour la pârousie est maintenue. L'introduc-
tion aura été plutôt déduite simplement de la parabole et pour en
•confirmer la leçon, sans égard spécial au commentaire eschatologique.
« Disant : « Certain juge était en certaine ville », — homme sans
conscience,— « qui ne craignait pas Dieu ni ne se souciait d'homme ».
— Jugement de Dieu et opinion des hommes lui étaient pai-eillement
indifférents. On sait que l'Ancien Testament proteste en divers
endroits contre la vénalité des juges, et que le culte de la justice pour
•elle-même n'a jamais été très florissant en Orient. Le juge de la
438 hiDC, xvui, 4-5
* El il ne voulait pas, durant uii temps.
Mais, après cela, il dit en lui-raême : ,
« Bien que je ne craigne pas Dieu
et que d'homme je n'aie souci,
'puisque cette veuve me cause ennui, je lui ferai justice,
pour qu'elle ne vienne pas jusqu'à la lin m'assommer. »
parabole n'est donc pas à considérer comme une exception, si ce-
n'est par l'absence de toute vergogne dans la violation du droit qu'il
était censé faire respecter .
« Or une veuve », — femme seule et sans appui, — « était, en
cette ville, qui », — lésée par un de ses voisins, — « venait chez lui,
disant : « Fais-moi justice de ma partie » . — La femme vient en sup-
pliante; si elle ne salue pas le juge en l'appelant « seigneur », c'est
par rusticité, non par insolence, ou bien pai'ce que ce juge de bour-
gade n'est pas censé un haut personnage ; la peur qu'il a finalement
de la femme montre qu'on ne le regarde pas comme une autorité bien
considérable. Du reste, la plainte de la femme est précise, comme il
convient devant un tribunal ; et la femme ne demande pas seulement
qu'on empêche son ennemi de lui nuire, mais qu'on le punisse pour le
mal qu'il lui a fait (èxSt'xTiffdv [xs ànb tou àvTtSi'îtou |xou).
« Et il ne voulut pas durant un temps ». — Il n'avait pas d'intérêt
pour l'adversaire, mais il ne voulait pas se donner de peine pour une
affaire qui ne lui rapportei'aitrien. Un certain laps de temps est sup-
posé nécessaire pour que le juge change d'avis. — « Mais, après cela »,
r— comme la femme venait souvent et qu'elle ne se lassait pas, — «il
se dit en lui-même: « Bien que je ne craigne pas Dieu ni me soucie
d'homme». — Cette répétition du jugement formulé sur le personnage
même par le narrateur est un peu singulière. Mais le monologue du
juge remplace l'analyse des sentiments qui ont gouverné sa conduite
et de ceux qui motivent son changement d'attitude. Il raisonne son
cas avec un "parfait scepticisme et une pointe d'ironie. On n'a pas dit
plus haut ce qu'il répondait à la veuve, parce que son refus corres-
pond à une abstention, non à un acte, et que son silence même
exprime l'accueil fait par lui à la requête dont il finit par être obsédé.
— n Néanmoins, parce que cette veuve me cause importunité, je lui
ferai justice », — et non seulement pour me débarrasser d'elle, mais
— ^ pour qu'elle ne vienne pas, jusqu'à la fin, me donner des coups ))^
— - au visage (tvà ji-v) elç tIXo;, kpyio^ivy\ ÛTTWTrtocÇv) (ae.. Le verbe peut s'en-
tendre au figuré; mais, comme il a été déjà question d'importunité, l&
LLC, -wm, G-7 430
^Et le Seigneur dil:
« Ecoulez ce que dit le juge inique !
'Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus
qui crient à lui jour et nuit
[et il patienterait à leur égard?]
juge semble craindre que la femme ne vienne lui pocher les yeus).
Et l'on ne prend pas la peine d'ajouter que ce magistrat intègre agit
conformément à la délibération prise. Histoire plutôt triviale, et qui
ne relève-pas l'évangile. On a beau dire qu'il s'agit de comparaison ;
la comparaison n'est pas honorable pour les êtres mystiques, Dieu
et la communauté chi'étienne, qui en sont l'objet. Mais la parabole
est antérieure* au commentaire eschalologique dont elle va être pour-
vue, et rien n'empêche d'admettre qu'elle a été empruntée à la
sagesse juive par quelque compilateur évangélique (cf. supr. p. 3i8).
« Et le Seigneur dit ». — La reprise sert à distinguer delà parabole
l'application qui en est faite et à faire valoir celle-ci. — « Ecoutez
ce que dit le juge inique ». — « Le juge inique » (ô xpiTYi; ttjç
àSixt'aç) fait un assez digne pendant à « l'économe infidèle » que le
maître a loué plus haut [xvi, 8, xa\ è7tr|V£ff£v b y.ûpioç tôv oIxovo[jlov t%
àStxi'aç). Sans qu'il fussent plus honnêtes l'un que l'autre, et guidés
uniquement par leuriulérêt, le juge a fait actede justice, etréconomé
acte de sagesse. Le mauvais juge n'a pu résister à la prière de la
veuve. — « Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient à lui
nuit et jour! » — 11 est impossible que Dieu ne se rende pas à la
prière de ses élus, qui demandent incessamment d'être délivrés de
leurs persécuteurs, le suppliant de venir rendre à ceux-ci le châtiment
qu'ils méritent, à eux-mêmes la récompense qu'ils souhaitent.Le der-
nier membre de celte phrase fait difficulté! Gn peut traduire (xal
|ji,axpoOu[i.£ï ETr'aÙTorç) : (( Et' à l'égard desquels ilest patient » (en fai-
sant dépendre cette finale de l'interrogation où p.-/), au commence-
ment de la phrase). Mais on n'obtient pas ainsi un sens satisfaisant
(J.WKiss-BoussET,43i,ne le proposent qu'hypothétiquemcnt), puisque
le contexte réclame contre la lenteur de Dieu à exaucer les élus. On
détache donc volontiers la dernière proposition, et l'on entend : <( Et
patientei;a-t-il envers eux », tardera-t-il à punir les ennemis ? — ce
qui fait la formule obscure, puisque les ennemis n'ont pas été nom-
més; — ou bien : « Sera-t-il lent à leur égard ? », tardant à s'oceupei*
des.justes, — ce qui s'accorde mal avec le sens du verbe, qui est
patienter, non tarder. — Si le texte n'est pas altét-é, l'on croirait
440 LUC, xviii, 8-9
^ Je vous dis qu'il leur fera justice bienlôt.
Mais le Fils de riiommè, arrivant , t rouvera- t-il la foi sur la terre? «
^ II dit aussi ai certains,
qui se persuadaient qu'ils étaient justes
et qui méprisaient les autres, celte parabole :
plutôt, à en juger d'après le langage de l'Ancien Testament (cf. Eccli.
xxxir, i5-23, surtout aa-aS, dont notre passage pourrait dépendre ;
aussi bien l'hypothèse suggérée par Jûligher, II, 2B8, d'une interpo-
lation de xa'i iJi.axpo6up,£! ÈTr'aÙToïi; d'après EccLi. xxxii, 22, n'est elle pas
déconseillée par la stropliique) qu'il s'agit de la longanimité de Dieu,
non pas à l'égard des croyants , qu'il ménagerait en n'amenant pas
trop tôt la fin, mais à l'égard de leurs adversaii'es dont Dieu ne sau-
rait supporter les agissements (cf. Wellhausen, 98). — « Je vous
dis qu'il leur fera justice bientôt ». — Réponse nette à la question
qui vient d'être posée (pour le : « je vous dis», cf. xvi, 9). C'est ce
que dit l'Apocalypse (i, i ; xxii, 6; cf, vi, lo-i.i, xix, a). Mais cette
réponse fait ressortir comme une surcharge la ligne pi^écédente, si
cette ligne concerne les ennemis. . '
« Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur
la terre ?» — Il s'agit de la parousie du Christ, et non plus du juge-
ment de Dieu ; la foi dont on parle n'est pas simplement la foi en
Jésus comme Christ, ou la foi au sens de Paul, mais la saine croyance,
le christianisme authentique, déjà menacé par lès hérésies. Cette
réflexion paraît fondée sur de tristes expériences et exprimerait,
presque une crainte du grand avènement . Il conviept de l'attribuer
au rédacteur évangélique, parce que le rôle déjuge y semble attribué
au Christ et que la fièvre apocalyptique des versets précédents y est
quelque peu refrénée (cf. Bultmann, io8).
LXV. Le PuAnisiBN et le publigain
« Or il dit aussi », — on croirait que c'est dans la même occasion, —
« à certains, qui s'étaient persuadés qu'ils étaient justes, et qui mépri-
saient les autres, cette parabole». — La parabole est dirigée contreces
gens ; mais ce n'est pas seulement à leur sujet qu'elle a été prononcée;
on dit qu'elle leur a été adressée. Le vague de la formule a fait penser
qu'elle avait été suppléée parl'évangéliste, comme celle qui introduit
la parabole précédente, et par le même moyen, c'est-à-dire par une
conjecture fondée sur le récit même. Si les personnes visées ne sont pas
LUC, XVIII, 10 441
1" « Deux hommes montèrent au temple prier,
l'un pharisien, et l'autre publicain.
des pharisiens, ce sont des gens qui leur ressemblent fort, puisque la
parabole met en scène un pharisien pour le condamner. L'évangéliste
a en vue les piiarisiens (cf. xtv, i,;j ; xvt, i5 ; xx, 20), mais il a évité
de les nommer, précisément parce qu'un pharisien figurait dans le
récit et qu'il n'était pas nécessaire de les désigner autrement. Du
reste, la parabole est d'une portée générale, et il est assez puéril
de supposer qu'elle aurait été prononcée tout exprès devant un
groupe de gens qui tombaient dans le travers signalé chez le phax'isien
de la parabole. Celle-ci a été conçue pour prémunir des auditeurs ou
des lecteurs quelconques contre le travers dont il s'agit, c'est-à-dire
l'estime exagérée de soi-même et le mépris d'autrui. La scène se
passe à Jérusalem ; mais l'évangéliste a estimé que la parabole avait
pu être d'abord contée ailleurs. Somme toute, introduction et para-
bole pourraient être du même auteur, qui aurait construit la parabole
sur^un thème donné qui concernait la véritable prière, en y introdui-
sant les types du pharisien et du publicain, fournis par la tradition
évangélique. Le publicain va donner un exemple de la prière que
Dieu exauce, et qui est la prière d'un humble.
(( Deux hommes », — le même jour et en même temps, — « mon-
tèrent au temple ». — Le temple étant situé sur une éminence, on y
« montait » de la ville. — « Pour prier ». — Peut-être à l'une des
heures habituelles de la prière. Mais on venait aussi bien au temple
en dehors de ces heures (cf. 11, 34 ; Act. xt, 4^), la prière dans
le temple étant jugée plus efficace. — « L'un pharisien, l'autre publi-
cain». — L'identité de la démarche, du lieu et du temps, va faire
ressortir la différence de leur prière. Plus grand personnage, le pha-
risien est nommé le premier (comme, x, 3i-3a, le prêtre passe avant
le lévite).
« Le pharisien, debout » — dans le parvis (cf. Me. xi, aS), selon
la coutume, mais bien en vue et plein d'assurance, — « faisait en lui-
même cette prière ». — La prière est censée l'apportée textuellement,
et il est assez singulier que le texte ordinaire la présente comme
intérieure, ce qui n'est pas conforme à l'usage et ne s'accorde pas
non plus avec l'économie du récit ; car le publicain prie tout haut en
se frappant la poitrine. L'on est bien tenté de lire, avec quelques
témoins (D, Ss. Se.) : « Le pharisien, se tenant à part(ffTaO£\; xaO'é-jcuTÔv
TaÏÏTa 7cpo(;-rjU);6To ; ou bien faudrait-il lire axa^s'n; TrpdaOev TaUra xTX.;cf. l3,
fxxxpoOev), disait cette prière », d'autant que les autres témoins ne
442 LLur, Avjii, 11-12
1^ Le pharisien, debout, faisait en lui mè;ne celte prière :
« Dieu, je te rends grâces •
de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes,
voleurs, injustes, adultères,
ni encore comme ce publicain.
^" Je jeune deux fois la seinaine,
je dîme tous mes prolits. »
s'accordent pas (les témoins qui ont Tipôç ÉauTov le mettent soit avant
xauxa, — A et la plupart des mss.onciaux, soit après, — B L. — S,m&s.
lat. lisent simplement : dTaOelç xauTa 7ipo(77iû"/£To), — « Dieu, je te rends-
grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes ». - Gettfr
action de grâce n'est pas autre chose au fond qu'un orgueilleux mo-
nologue où le pharisien se délivre à lui-même un certificat de perfec-
tion. Par « le reste des hommes (olXoiiîol xôSv àvôpw-Kwv) il n'entend pas
lé genre humain tout entier à l'exception de lui-même, mais les-
gens de sa connaissance qui ne sont pas des pharisiens ; il partage
les hommes en deux catégories, ceux qui lui ressemblent, et les
autres ; et ce pharisien n'est pas loin d'être pour notre évangélisle le
type du Juif, Il se félicite donc de n'être pas comme le commun des
mortels, — « voleurs, injustes », — c'est-à-dire fraudeurs (àStxoi s'en-
tendant ici au sens propre et concret), — « adultères, ni encore
comme ce publicain ». — Le vil publicain se trouve à propos pour
lui fournir un terme spécial et avantageux de comparaison; il n'est
ni plus ni moins méprisé que « les autres hommes », et ce n'est pas
précisément sa personne, dont le pharisien ne sait rien, qui est mé-
prisée, mais sa profession. L'énumération des pécheurs n'est pas une
classification rigoureuse, et les publicains n'y forment pas plus un
groupe distinct que les voleurs ou les adultères. La complaisance-
du pharisien en lui-même est un peu accentuée, mais ne dépasse pas
les limites du vraisemblable fvoir la prière du docteur juif, citée Klos-
TERMANN, 543). Elle uc fait pas que son remerciement sbit hypocrite,,
car la sincérité de sa prière n'est pas en cause, mais elle le montre
beaucoup trop content^ de lui même ; Le pharisien est naïvement
heureux et fier de sa fidélité. — « Je jeûne deux fois la semaine ».
— Les pharisiens zélés jeûnaient le lundi et le jeudi (c^.Bidaché,
vin, I, où ilest recommandé aux chrétiens de prendre pour le jeûne
deux auti'cs jours, le mercredi elle vendredi). — « Je dlme tous mes
profits », — Notre homme prélève la dîme, non seulement sur les
principaux fruits delà terre et des troupeaux, comme il est prescrit.
LUC, xviii, 13-14 445^
13 Quant au publicain, se tenant à distance,
il n'osait pas même lever les yeux au ciel,
mais il se frappait la poitrine, disant :
« Dieu, sois miséricordieux à moi pécheur. »
1* Je vous dis :
celui-ci est descendu justifié
à sa maison plutôt que celui-là ;
car quiconque s'élève jsera abaissé,
et qui s'abaisse sera élevé.»
maïs sur tous ses profits ou revenus (àTcoSsxaTcuw uàvra osa xTwfAai)..
Gar il ne paraît non plus qu'on doive restreindre ici « acquérîi- »
au sens de « faire acTiat ». La traduction : « Je donne la dîme de
tout ce que je possède », est inexacte et exprime une impossibilité.
Le pharisien se gardait bien de s'appauvrir en décimant constam-
ment son patrimoine. D'autre part, on atténuerait mal à propos le
sens de notre passage en supposant que le pharisien a seulement en
vue les moindres produits du sol, qui ne méritent pas d'entrer en
compte (d'après xi, 4^ ! Mt.xxui, 23). Tout est donc pour le mieux,
si Dieu est aussi content du pharisien que le pharisien est content
de lui-môme.
« Cependant le publicain, se tenant à distance », — à l'écart et en
arrière, tandis que le pharisien s'est mis en avant et bien en vue, —
« n'osait pas même lever les yeux au ciel ». — Attitude de pécheur
confus et repentant. — « Mais il se frappait la poitrine », — en signe
de douleur, — « disant », — et rien n'invite à supposer qu'il joint à
des gestes expressifs une prière toute mentale ; — « Dieu, aie pitié de
moi pécheur». — Au lieu de remercier, il supplie ; il se reconnaît
pécheur, mais il ne dit pas le dernier des pécheurs, ce qui serait uiie
exagération ; il ne se comparée personne et regarde seulement sa
propre faiblesse ; iJ implore la miséricorde divine pour obtenir le
pardon de ses péchés, non pour le soulagement d'une misère tempo-
relle.
« Je vous dis », — La morale du récit est donnée sans qu'il soit
noté que Jésus prend la parole à cet ellet ; mais l'économie de l'en*
semble ne laisse pas d'être la même que pour la parabole précédente
(xvni, 6) et pour l'Econome infidèle (cf. xvi, 9). — « Celui-ci est des.
cendu à sa maison justifié », — en i-ègle avec Dieu, — « plutôt que
l'autre ». — On pourrait entendre : à l'exclusion de l'autre. Dans tous
les cas, le sens est que celui qui a bien prié, et à qui Dieu tient compte
444 LUC, xYiii, 15
15 Or on lui amenait aussi les petits enfants pour qu'il les
[touchât ;
ce que voyant, les disciples lés gourmandaient.
de sa prière, n'est pas le pharisien, mais le publicain, et il ne s'agit
pas, au moins directement, de péchés remisa celui-ci, imputés à
celui-là. Les paroles attribuées au Christ ne sont pas à interpréter
d'après une théorie dogmatique de la justification. Il ne s'agit pas
de déterminer à quel degré le pharisien se trouve au-dessous du
publicain, ni de reconnaître au pharisien une certaine justice incom-
plète, obtenue par les œuvres de la Loi ; le pharisien n'est pas con-
fondu avec les pécheurs qu'il a d'abord énumérés, mais il n'a pas la
justice qui plaît à Dieu et qui donne accès à son royaume.
« Parce que quiconque s'élève sera abaissé, et qui s'abaisse sera
élevé ». — L'évangéliste ramène ici (il l'a déjà donnée xiv, ii), par
manière de seconde conclusion, une sentence qui n'est pas en rapport
avec l'objet de la parabole ; d'après celle-ci, un publicain contrit est
plus près de Dieu qu'un pharisien rempli de soi, de même qu'un
Samaritain charitable vaut mieux qu'un prêtre égoïste. Maintenant
le publicain apparaît comme type des élus, le pharisien comme type
des damnés ; c'est que, pour notre auteur, le publicain, comme plus
haut le Samaritain, représente les païens convertis à la foi du Christ,
et que le pharisien, comme plus haut le prêtre et le lévite, repré-
sente les Juifs incrédules.
LXVI. Les enfants
A partir de cet endroit notre évangile rejoint Marc et Matthieu ;il
omet la question posée parles pharisiens au sujet du divorce (Me. x,
2-12), pro.bablement parce que l'allusion faite plus haut (xvi, 18)
aura semblé suffisante et que la question du divorce, étant traitée
dans Marc par rapport à la coutume juive, était de moindre intérêt
pour le lecteur hellénochrétien : il est fort possible, la péricope du
divorce étant artificiellement placée dans Marc à l'endroit où elle se
trouve, que Luc ne l'y ait point lue, et que la rédaction se soit ensuite
contentée de l'insertion (xvi, i8) plus haut rencontrée. Désormais
notre évangile suivra Marc, non sans quelques omissions, " non plus
sans quelques additions plus ou moins importantes
« Or on lui amenait aussi les petits enfants », — et non seulement
des malades, — « pour qu'il les touchât ». — Donnée de Marc (x, i3).
LUC, xviii, 16 17 445-
^* Mais Jésus lesi appela disant :
« Laissez les enfanis venir à moi,
et ne les enipéclicz pas ;
car c'est à leurs pareils qu'appartient le royaume de Dieu.
^' En vérité je vous dis,
qui ne recevra pas le royaume de Dieu comme un enfant
n'y entrera pas. »
Le terme employé dans Luc (^pécp-ri, au lieu de TratSfa) désignerait des
enfants qui viennent de naître (cf. u, 12, 16), ce qui s'accorde assez
mal avec le corps de l'anecdote, où les enfants sont supposés capables
de connaissance. — « Ce que voyant, les disciples les gourman-
daient ». — Les disciples, comme dans Marc, s'en prennent à ceux
qui amènent les enfants, et ils voudraient les écarter.
« Mais Jésus les fit venir », — il fit venir les enfants (aÛTa, se rap-
portant à Ppéfïi), — « près de lui, disant » — aux disciples : — « Lais-
sez les enfants », — ici même terme que Marc, — « venir à moi et ne
les empêchez pas ». — Il ne faut pas les écai'ter.carles enfants sont, en
quelque façon, par leur candeur et leur simplicité, des images du vrai
croyant. — « Car c'est à leurs pareils qu'appartient le royaume de
Dieu. » — Le royaume de Dieu n'appartient pas qu'aux enfants, il
appartient à tous ceux qui accueillent la foi dans un esprit d'en-
fance. L'anecdote paraît avoir été conçue pour l'illustration de celte
sentence (cf. Bultmann, 16), où l'on peut reconnaître l'esprit de
l'Evangile primilif, bien que la sentence ait pu être énoncée aussi
bien par Un prophète chrétien que par Jésus lui-même.
Notre auteur, qui a omis, avant de l'apporter la parole de Jésus,
de dire qu'il» se fâcha » (Me. x, i4), laisse tomber la conclusion de
Marc (x, 16) : « Et les ayant embrassés, ils les bénit en leur imposant
les mains». Il l'avait anticipée et résumée en disant, avant de rap-
porter les paroles du Christ aux disciples, que Jésus « appela à lui »
les enfants, ce qui donne à entendre qu'il leur imposa les mains et
les bénit, selon le désir des parents
LXVII. Les RICHESSES
L'anecdote du riche n'a pu être localisée, comme elle l'est dans
Marc (x, 17), par z'apport aux deux précédentes. L'omission est sans
inconvénient, la transition de Marc : « comme il se mettait en
route », étant artificielle, et Luc ayant pu connaître la présente
446 LUC, XVIII, 18-21
18 Et certain magistrat l'interrogea, disant :
« Maître bon, que dois-je faire
pour obtenir vie éternelle ? »
1" Mais Jésus lui dit ;
« Pourquoi m'appelles-tu bon ?
Nui n'est bon que Dieu seul.
" Tu connais les commandements :
point ne seras adultère, point ne tueras,
point ne voleras, point à faux ne témoigTtera» ;
honore ton père et ta mère. »
^21 Et il dit :
« Tout cela, je l'ai observé dès. (ma) jeunesse. »
-pérricope sans cette transition. Mais l'anecdote: est en. l'air, comme
celle des enfants, et rinstruetioii sur le danger des richesses s'en
distingue moins netleraenl que dans Marc. Du reste, le caractère
tyiaique de l'anecdote considérée en elle-même en compromet l'his-
toricité. Même la parole : « Pourquoi m'appelles-tu bon ? nul n'est
bon que Dieu», que Luc a repi'oduite d'après Marc, et que plusieurs
ont regardée comme authentiqué entre toutes parce qu'elle fait
embarras aux théologiens, pourrait être une subtilité mystique dans
une dispute d'école plutôt qu'un trait vivant. Tout ce qu'on peut dire
estque l'anecdote a été conçue dans l'esprit du christianisme primitif,
esprit que l'on doit supposer avoir été celui de Jésus.
« Et un chef l'interrogea, disant », etc. — « Certain chef » (xal ètcyi-
pu>TT|(i£v Tiç aÛTov ap'/wv) remplace le « quelqu'un » de Marc (7rpo(TS.pap.à)v
elç x.at '/ovuTreT-i^aaç aÙTÔv sTrTipwTa auTov). L'évangéliste a pensé probable-
ment, non à un président de synagogue, mais à un personnage de
condition, pstrce que cet homme est dit très opulent.
Dans l'énumération des commandements(MG.x,.i9), notre évangile
omet: « tu ne leras tort à personne » (B et Ss. l'omettent dans Me),
qui n'a pas été pris dans le décalogue, et qui manque aussi " dans
Matthieu.
Pour la réponse : « J'ai observé tout cela », mêmes variantes que
dans Marc et dans Matthieu (pour Luc, ABSL, Ss. àipuXaÇa; D et mss.
plus récents £<fiuXâ?a[x-f|v) .
« Et entendant cela, Jésus lui dit » . — Marc (x, 21): « Et Jésus,
l'ayant regardé, l'aima, et il lui dit », Notre évangéliste, pas plus
que Matthieu, n'a retenu ce mouvement de sympathie pour l'interro-
gateur. — « Encore une chose te manque ; vends tout ce que tu as,
LUC, xvni, 23-2o 447
^'^ Ce qu'entendant, Jésus lui dit, :
« Une chose encore le manque ;
tout ce que tu as, vends-le
et donne-le aux pauvres,
et tu auras trésor aux uieux ;
puis viens, suis-moi. »
2» Mais lui, entendant cela, triste devint ;
car il était fort riche.
^* El le voyant (ainsi), Jésus dit :
« Combien difficilement les possesseurs des richessesentrent-
[ils au royaume de Dieu !
^^ Car plus facile est à chameau d'enlrer par chas d'aiguille
. qu'à riche d'entrer au royaume de Dieu. »
distribue-le aux pauvres », etc. — Marc (x, o.\) : « Une chose te man^
que; va, vends tout (ocra; Le. Travra oaa) ce que tu as et donne-le
^ux pauvres », etc. Notre évangéliste s'attache à Marc, et il ne voit
pas dans l'instruction donnée par Jésus au riche un conseil de per-
fection, ou le perfectionnement chrétien de la Loi, comme l'entend
Matthieu (xix, 2i), mais tout simplement la forme naturelle de la
vie évangélique. Noter que l'ordre de suivre Jésus paraît bien, dans
notre passage, s'entendre au sens moral et mystique de l'ini-
'tiation au Christ et de l'entrée dans la communauté, non au sens lit-
téral.
vMais lui, ayant entendu cela, devint triste ; car il était fort riche».
— Marc, X, 22) : « Mais lui, chagriné de ce discoui's, s'en alla
atti'isté; car il avait beaucoup de biens », Les corrections de Luc ne
sont ici que de style, mais assez maladroitement opérées pour qu'on
ne sache pas ce que devient le questionneur, ni s'il est encore là pour
entendre les réflexions suivantes.
11 semblerait plutôt que l'évangéliste veuille le retenir, puisqu'il
«joute: — «Et l'ayant vu, Jésus dit ». — II est assurément plus
jiâturel d'entendre : « le voyant dans ses dispositions », que : « l'ayant
vu parti ainsi », puisqu'il n'a pas été question de départ, d'autant
plus que notre auteur a évité de dire que le discours suivant
s'adresse aux disciples. Dans Marc (x, aS) : « Et Jésus, regardant
autour de lui, dit à ses disciples ». Il est curieux de constater la subs-
titution de : « le voyant » (18 wv Se aÙTÔv) à : « regardant à l'entour »
!7:£pi|3XYi'j/x|X£vo;). Notre auteur aussi a pensé qu'il valait mieux ne pas
faire adresser directement aux disciples seuls, qui étaient pauvres,
448 LUC, xviir, 26-30
2" Or ceux qui avaient entendu dirent :
« Et qui peut-être sauvé ?»
2' Mais il dit :
« Ce qui est impossible aux hommes possible est à Dieu, »
«8 Et Pierre dit :
« Quant ^ nous, quittant ce que nous avions, nous l'avons
[suivi. »
29 Et il leur dit : « En vérité je vous dis
que nul n'aura quitté maison,
femme, frères, parents ou enfants,
à cause du royaume de Dieu,
"" qui ne reçoive plusieurs fois autant dans ce temps,
et, dans le siècle à venir, vie éternelle . »
la leçon sur le danger des richesses. — « Combien difficilement ceux
qui ont des richesses entrent-ils dans le royaume de Dieu ! « — Marc
disait : « entreront-ils » (elaeXeùmvzai.), et non : « entrent-ils » (elsTto-
peôovTai). La nuance importe à la conception da royaume.
Notre auteur omet ce que dit Marc (x, 34) touchant l'étonnement
des disciples, ainsi que la répétition : « Mes enfants, combien il est
difficile d'entrer dans le royaume de Dieu ! » Il amène tout de suite
l'hyperbole: — « Car il est plus facile à un chameiau », etc. — D'ordi-
naire il omet volontiers les traits qui ne sont point favorables aux
disciples; mais ici l'omission pourrait s'expliquer en même temps par
la connaissance du récit plus court sur lequel paraît avoir travaillé
le rédacteur de Marc (voir Marc, 297).
« Or ceux qui l'avaient entendu dirent: « Et qui peut être sauvé ? »
— Retouche volontaire de Marc (x, 26) : « Or ils (les disciple.-)
furent encore plus troublés, se disant les uns aux autres : « Et
qui peut être sauvé ? » Notre auteur évite encore de mettre en
cause les disciples, et c'est l'auditoire, l'auditoire juif, où il a retenu
le riche lui-même, qui trouve le salut impossible si les riches n'y ont
point de part . L'intervention de Pierre va se trouver ainsi plus en
relief, et ce qu'il dit du renoncement pratiqué par les disciples fait
contraste avec l'attitude des auditeurs juifs. — « Et il dit: « Ce qui
est impossible aux hommes est possible à Dieu ». — Marc (x, 27) :
« Les regardant (il s'agit toujours des disciples), Jésus dit : « Aux
hommes c'est impossible, mais non à Dieu ; car tout est possible à
Dieu ». Ces sentences et réflexions touchant la difficulté du salut
pour les riches sont coordonnées à l'anecdote de l'homme riche, à
LUC, xvm, 31 449
^^ Or, prenanl les Douze, il leur dit :
« Voici que nous montons à Jérusalem
et que va s'accomplir tout ce qui a été écrit par les prophètes
[sur le Fils de l'homme.
laquelle on les a rattachées artificiellement par un jeu de mise en
scène et de dialogue; elles se présentent, pour ce qui est de l'histo-
Hcité, dans les mêmes conditions que l'anecdote.
« Or Pierre dit : « Quant à nous, quittant ce que nous avions, nous
t'avons suivi w. — Marc (x, 28).: « Pierre se mit à lui dire : « Quant à
nous, nous avons tout quitté et nous t'avons suivi ».
« Et il leur dit ». — Ici la l'éponse concerne les disciples, au nom
desquels Pierre a parlé. — « En vérité je vous dis que nul n'aura
quitté maison ou femme ». — Ni Marc (x, 24), ni Matthieu (xix, 29)
ne parlent ici de femme, 'non seulement parce que les apôtres, en
fait, n'ont pas quitté leurs femmes, mais parce qu'il est plutôt cho-
quant de dire, même au sens spirituel, qu'on recevra cent femmes
pour une qu'on a quittée. Mais notre auteur à déjà mentionné la
femme dans une énumération semblable (xix, 26). — « Ou frères » .
— Marc et Matthieu ajoutent : « ou sœurs ». — « Ou parents ». —
Marc et Matthieu: «ou père et mère ». — « Ou enfants ». — Marc et
Matthieu ajoutent : « ou champs ». — « A cause du royaume de Dieu ».
— Marc: «à cause de moi et à cause de l'Evangile », Matthieu «à cause
de mon nom ». Il s'agit toujours de mériter une place dans le
royaume en participant maintenant par le renoncement à l'œuvre du
royaume, à la préparation de son avènement. — « Qui ne reçoive
beaucoup plus en ce temps, et, dans le siècle à Venir, la vie éter-
nelle ». — Marc (x, 3o): « Qui ne reçoive maintenant, dans ce
monde, le centuple en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et
champs, avec des persécutions, et dans le siècle à venir la vie éter-
nelle». — Matthieu et Luc abrègent ici Marc; et laissent tomber la
mention des persécutions, si toutefois ils l'ont trouvée dans Marc ;
mais notre auteur maintient la perspective des deux récompenses,
•celle de ce monde et celle de l'autre. Il néglige la réflexion finale
(Me. X, 3i): « Mais beaucoup de premiers seront derniers, et de
derniers premiers », soit parce qu'il l'a déjà rapportée (xm, 3o), soit
parce que l'application lui en a paru moins appropriée au cas pré-
sent. ,
LXVIIT. L'avenir ou Fitls de l'homme
'Ayant déjà par deux fois (ix, 5i; xvii, it) montré Jésus sur le
«hemin de Jérusalem, notre évangéliste laisse le pi'éambule que
A. LoisY. — VEvangile selon Luc. 29
4S0 LUC, XVIII, 32-33
^2 Car il sera livre aux Gentils,
moqué, outragé, couvert de crachats ;
33 et l'ayant flagellé, ils le tueront,
et le troisième jour il ressucitera. »
donne Marc (x, 3û) à la troisième (dans Ltic, «n comptant xvn, aS^
c'est la quatrième) prophétie 'de lia passion ; il ne se souciait -d 'ailleurs-
aucunement de dire que les disciples, accompagnant Jésus dans son
pèlerinage, « étaient fort troublés et que 'ceux qui le suivaient avaient
peur ». Il ne tient qu'à énoncer la prophétie et à dire que les dis-
ciples alors ne la comprirent pas.
« Or, prenant les Douze » . — On dii'ait que Jésus prend les disciples
à part, après l'incident du riche et i'instniction sur le salut. Marc :
« Et prenant de nouveau les Douze avec lui », se réfère à la seconde
prophétie (Me. ix, So-Sa). — « Il leur dit ». — Marc : « Il se mit à
leur dire ce qui devait lui amver ». Mais, pour ce trait de Marc, il y
a compensation dans le discours même. — « Voici que nous montons
à Jérusalem, et que va s'accomplir tout ce qui a été écrit par les pro-
phètes sur le Fils de l'homme ». — Marc (x, 33) n'a pas ce dei-nier
membre de phrase, véritable paraphrase théologique de « ce qui doit
arriver », et qui est bien dans l'esprit de notre rédacteur ; on retrou-
vera cette note à la fin de l'évangile (xxiv, aS-a;^, 45-4^) 6t dans les
Actes.
« Car il sera livré aux Gentils ». — Ici omission préalable de Marc :
« Et le Fils de l'homme sera livré aux grands-prêtres et aux scribes,
qui le condamneront à mort et le livreront aux, Gentils». Notre
auteur n'a retenu que le dernier trait, et ce n'est point hasai*d,,
puisque, dans le récit de la passion on ne trouvera pas de condamna-
tion à mort par le sanhédrin, mais seulement un interrogatoire
ensuite duquel grands-prêtres et scribes conduiront Jésus à Pilate
(xxii, 66-xxiii, I). Dans notre évangile, comme dans les deux autres
synoptiques, cette prophétie est donc étroitement coordonnée au
récit de la passion. — « Il sera moqué, outragé, couvert de cra-
chats ». — Les outrages (ûfJptffOr^ffeTat) sont ajoutés à l'énumération de
Marc ; mais il est à noter que le trait des crachats, emprunté à Marc,
ne se retrouvera pas dans le récit de la passion, non plus que la fla-
gellation, dont il va être parlé. Mais la flagellation peut être sous-
entendue dans le récit du supplice, tandis qu'une part des outrages
subsiste seulement dans la scène qui se passe chez Hérode (xxiii, ii).
Ne serait-ce pas que le texte de cette prophétie a été conçu, à moins
qu'il n'ait été interpolé, d'après les parallèles ? — « Et l'ayant flagellé,.
LUC, xviii, 34-35 451
3* Et eux ne comprirent rien de cela,
et cette parole leur était inintelligible,
et ils ne savaient pas ce qui leur était dit.
^^ Or advint, comme il approchait de Jéricho,
qu'un aveugle était assis au bord du chemin, mendiant.
on le tuera, et le troisième jour il ressusciler.t ». — « Le troisième
jour,» remplace, à l'ordinaire la formule de Marc : « après trois
jours».
« Et eux ne comprirent rien de cela », — de cette prédiction
détaillée. Aveuglement surnaturel; car la prédiction est aussi claire
que possible. ~ « Et la parole leur était cachée», — c'est-à-dire inin-
telligible. Le sens leur en était dérobé (cf. ix, 45). — « Et ils ne
savaient pas ce qui leur était dit ». — L'auteur paraît insister à plaisir
sur cette providentielle inintelligence, qui ne cessera que dans la
vision d'Emmaûs, en vue de laquelle on nous la décrit si abondam-
ment. On nous l'a déjà signalée de la même façon (rx,45) en para-
phrasant Marc (ix, 3i). Mais ici ni Marc, ni Matthieu n'ont cette
réflexion, qui se trouve remplacer dans notre évangile l'anecdote
concernant les fils de Zébédée (Me. x, 35-4o ; Mt. xx, 20 -aS). L'anec-
dote, au fond, signifie ce que dit notre auteur; mais celui-ci aura
préféré une remarque générale, qui, dans le sens qu'il y attribue, ne
compromet pas les apôtres, à une anecdote qui montre sous un jour
plutôt fâcheux deux personnages de la légende apostolique ; on peut
donc supposer qu'il a voulu ménager Jacques et Jean, comme il a
plus haut ménagé Pierre; etilestprobable aussi que notre rédacteur,
qui paraît bien avoir, dans les Actes (xii, 2 ; voir Actes, 482), sup-
primé le martyre de Jean par égard pour la légende d'Ephèse, n'aura
pas voulu, pour le même motif, faire annoncer ce martyre dans
l'évangile. La leçon du service apostohque, rattachée par Marc (x,
41-45) à l'incident desZébédéides, a été insérée par notre évangéliste,
d'après la source où Marc lui-même l'avait prise, dans le récit de la
passion.
LXIX. L'aveugle de Jéricho
Par suite de ces omissions la guéi'ison de l'aveugle de Jéricho vient '
après la dernière prophétie de la passion. Notre auteur place le.
miracle avant l'entrée de Jésus à Jéricho, tandis que Marc (x, 46 ;
Mt. XX, 29) le met au sortir de la ville, parce qu'il a pensé amener
plus convenablement l'histoire de Zachée (xix, i-ioj en la faisant pré-
452 LUC, xviii, 36-39
3* Entendant foule passer, il demanda ce que c'était,
3' et on lui apprit que c'était Jésus le Nazoréen qui passait.
'8 Et il cria, disant :
« Jésus lils de David, aie pitié de moi. »
^» Et ceux qui marchaient devant le reprenaient pour qu'il se tiit ;
mais lui n'en criait que beaucoup plus fort :
« Fils dé David, aie pitié de moi. »
céder pai* la guérison de l'aveugle. Il prépare au Christ une entrée
solennelle dans Jéricho, sorte de prélude à la manifestation messia-
nique sur le mont des Oliviers, et il place le miracle auparavant, afin
d'avoir une foule enthousiaste autour de Jésus dans Jéricho. La
coordination de ces récits à la parabole des Mines donne à penser
qu'il a voulu figurer dans la guérison de l'aveugle la conversion des
judéo-chrétiens, et dans le cas de Zachée celle des Gentils, les deux
devant se produire avant le grand avènement, annoncé dans la para-
bole.
« Or advint, comme il approchait de Jéricho ». — Inutile de se
demander, par quelle voie Jésus arrive à Jéricho ; mais rien dans
notre évangile n'invite à supposer que Jésus vient de la Pérée
(cf. Lagrange, 485), où Marc (x, i) l'a conduit. Marc (x, 4^) :
« Et ils arrivèi'ent à Jéricho, et comme il sortait dé Jéricho avec ses
disciples et une foule nombreuse. » Notre auteur ne dit rien des- dis-
ciples, mais il va utiliser la foule — « Qu'un aveugle était assis au
bord du chemin, demandant l'aumône ». — Marc disait le nom de
l'aveugle, Bar-Timée.
« Et entendant passer une foule »,-:- la foule dont parle Marc^ — «il
demanda ce que c'était; et on l'informa que c'était Jésus le Nazoréen
qui passait ». — Paraphrase de Marc fx, 47) :'« Et 'apprenant que
c'était Jésus leNazarène » qui passait avec la foule d'abord mention-
née. — « Et il cria, disant : « Jésus fils de David, aie pitié de moi ».
— Cette acclamation messianique n'est aucunement préparée; il n'en
faut pas chercher d'autre raison que la signification symbolique du
récit, qui, dans Marc, prélude immédiatement à l'espèce de triomphe,
symbolique aussi, qu'on a placé au mont des Oliviers pour accomplis-
sement de prophétie. — « Et ceux qui marchaient devant». — Ce sont
les premiers de la troupe qui rencontrent d'abord l'aveugle. Marc
(x, 48) : « plusieurs ». — « Le reprenaient durement pour qu'il se
tût », etc.
«Et s'étant arrêté, Jésus ordonna qu'on le lui amenât». — Marc
(x, 49) : « Et s'arrêtant, Jésus dit : « Appelez-le ». — « Et quand il se
LUC, XVIII, 4J-4ti ; xix, 1 Ao3-
*" El s'élant arrêté, Jésus ordonna qu'on le lui amenât ;
et quand il se fut approché, il lui demanda :
*i « Que veux-lu que je te fasse ? »
Et il dit : c( Seigneur, que je voie ! »
^8 Et Jésus lui dit :
« Vois. Ta foi l'a sauvé. »
*8Et aussitôt, il vit,
et il le suivait en glorifiant Dieu.
Et tout le peuple, voyant cela, donna louange à Dieu.
^^^ Et étant entré, il traversait Jéricho.
fut approché, il lui demanda : « Que veux-tu que je te fasse ?» —
Grande simplification de Marc (x, 49-5o) : encouragement de la loule
à l'aveugle, qui jette son manteau pour venir promptement auprès
de Jésus. — « Et il dit : « Seigneur ». — Mai^c (x, 5i) ■: « Maître »
[rabbouni). — « Que je voie ». El Jésus, lui dit : « Vois ». — Marc
(x, 52) : (( Va ». — « Ta foi t'a sauvé. » Et aussitôt il jouit de la vue,
et il le suivit en glorifiant Dieu». — Marc : « et il le suivit dans le
chemin ». Notre auteur ne se contente pas de faire louer Dieu par
l'aveugle. — « Et tout le peuple, voyant cela, donna louange à
Dieu. »
Le miracle de Jéricho se présente dans les mômes conditions que
les principaux miracles galiléens : il est symbolique et figure le salut,
la lumière donnée à la foi ; il se place convenablement à l'entrée du
grand mystère, et il a pu d'abord être conçu en accomplissement de
la prophétie d'Isaïe (xxxv, 4 '■> cf. Le. vu, 22, supra, p. 224); la locali-
sation à Jéricho tient à la coordination établie dans Marc entre ce
miracle et le triomphe au mont des Oliviers ; la nuance particulière
que prend ce symbolisme dans Luc se détermine par la signification
de l'histoii'e deZachée, fiction propre à notre évangile^
LXX. Zaghée '
Nonobstant la précision de certains détails, l'histoire de Zachée
porte la marque particulière de l'évàngéliste et se tourne en leçon
analogue à celles qui ressortent des paraboles de l'Econome infidèle,
du Riche et de Lazare, du Pharisien et du publicain. Elle se présente
en même temps comme un doublet de l'anecdote relative au publi-
cain Lévi (v, 27-82). Dans Lévi et dans Zachée notre auteur a vu le
type des « pécheurs », des gens sans loi qui se convertissent à l'Evan-
454 LUC, XIX, 2-4
2 Et il y avait là un homme appelé Zachée :
c'était un chef des publicains, et il était riche.
^ Et il chercliail à voir qui était Jésus,
et il ne pouvait à cause de la foule,
parce qu'il était pelit de taille,
* Et courant en avant,
il monta sur un sycomore afin de le voir, ,
parce qu'il devait passer par là.
gile. Mais la préoccupation allégorique est bien plus sensible dans
l'histoire de Zachée, qui semble venir ici à cause de la signification
qu'on veut lui donner, non par l'influence d'une source autorisée qui
aurait contenu le même récit sans arrière-pensée symbolique.
u Et étant entité, il traversait Jéricho w. — C'est l'indication que
Marc (x, 46) a placée avant l'histoire de l'aveugle. La localisation
ne va pas très bien s'accorder avec la mise en scène ; car on ne
trouve pas d'ordinaire, dans les villes d'Orient, beaucoup d'arbres
pour y gi'imper^ et Zachée aurait eu plus fa3ile de monter sur un toit
(Wellhausèn, io3). Mais l'évangéliste n'y regarde pas de si près ; il
a pu jucher Zachée sur un arbre pour que Jésus le vît plus facile-
ment ; et peut-être même a-t-il attaché une valeur symbolique au
sycomore.
« Et il y avait un homme appelé Zachée ». — Le nom paraît sémi-
tique {Zakkai pourrait signifier «pur» ; Wellhausèn, Iog. cit., y
voit une forme abrégée de Zacharie). Il ne faut pas demander com-
ment l'évangéliste, qui ne sait pas ou ne veut pas savoir le nom de
l'aveugle, connaît celui de ce nouveau personnage. Le nom donne
relief à une individualité dont on ne signale par ailleurs aucun trait
caractéristique, si ce n'est celui de sa profession et sa médiocre sta-
ture. S'il s'agissait d'un personnage réel, l'origine juive de Zachée
pourrait être garantie dans une certaine mesure par son nom, et sa
profession n'obligerait pas à admettre qu'il n'était pas juif de nais-
sance. Mais on nous fait connaître seulement le publicain, et c'est à
cette qualité qui s'attache la signification du personnage. — « Il était
publicain chef ». — Arcliipublicain (à.pyiX£X(âvr\i;). On ne saurait dire
au juste à quoi correspond ce titre, qui paraît être surtout pour notre
auteur un moyen d'accentuer le caractère professionnel de son per-
sonnage. On peut croire, si l'on veut, que Zachée avait à ferme la
perception des taxes pour la ville de Jéricho, ou qu'il était le premier
agent du fermier général pour cette ville. — « Et il était riche ». — On
Ta voir que ce n'était pas sans avoir pressuré parfois le contribuable.
LUC, XIX, &-7 455
s Et comme il arrivait en cet endroit,
levant les yeux, Jésus lui dit :
« Zachée, hâte-toi de descendre ;
car aujourd'hui c'est dans ta maison qu'ilme faut demeurer. »
■^ Et en hâte il descendit
et il le reçut avec joie.
^ Et voyant (cela), tous murmuraient, disant :
« C'est chez homme pécheur qu'il est entré loger. »
— « Et. il cherchait à voir qui était Jésus ». — Il aurait hien voulu
voir le prophète que célébrait la foute, et il aurait pu le recon-
naître paruti ses disciples si ta cohue n'y avait mis pour lui obstacle.
— « Et il ne pouvait pas, à cause de la foule, parce qu'il était petit
de taille ». — Pour parer à cet inconvénient, — « courant en avant,
il monta sur un sycamore pour le voir » , — C'est le sycotoore dont
l'homme avait besoin; inutile de se demander comment l'ai'bre se
trouve en bordure de la rue, et il n'est pas plus nécessaire de recon-
naître le sycomore « dans les beaux arbres au feuillage sombre qu'on
voit encore à Jéricho » (LalGiiange, 48^)- — « Parce qu'il devait pas-
ser par là )), — devant le sycomore en question.
« Et quant il fut arrivé en cet endroit, Jésus », — comme s'il connais-
sait à fond les dispositions de Zachée et sa vocation providentielle,
et non seulement parce que l'a curiosité de cet homme le lui fait juger
« digne » de le recevoir (conformément à Mt, x, ii), — « levant les
yeux, lui dit ; « Zachée, hâte-toi de descendre». — Le Christ connaît
Zachée par son nom et dispose de lui. Ce doit être même en partie
pour la commodité du récit et j)our cette aposti-ophe de Jésus qu^un
nom a été donné au pubhcain.— « Car c'est aujourd'hui dans ta mai-
,son qu'il me faut loger ». — Comme cet « il faut » (ad) n'est pas l'ex-
pression d'un caprice personnel, il signifie la volonté de Dieu sur
.Zachée, et il va eertes beaucoup plus loin que l'hospitalité d'un jour
-chez l'archipublicain de Jéricho. Jésus chez Zachée, on va nous le
dire assez clairement, figure le salut de ce qui était perdu, la récep-
tion de l'Evangile dans le monde païen.
« Et il se hâta de descendre, et il le reçut avec joie ». — Sur ce
dernier trait, le récit devient extrêmement vague, comme il convient
à un tableau qui vaut surtout par sa signification. On peut, si l'on
veut, supposer que Jésus est entré chez Zachée avec ses disciples. — •
(( Et à cette vue, tous murmuraient » , — C'est beaucoup dire ; il fau-
drait l'entendre de la foule juive et spécialement des pharisiens. En
456 LUC, XIX, 8
8^Mais, debout, Zachée dit au Seigneur :
« La moitié de mes biens, Seigneur,
je vais donner aux pauvres,
et si j'ai fait un tort à quelqu'un,
je rends le quadruple. ».
réalité, il s'agit du prétendu scandale juif devant la propagande
chrétienne auprès des païens. — « Disant : « C'est chez un homme
pécheur qu'il est entré loger ». — A la lettre, réédition d'un grief
déjà formulé (v, 3o ; xv, 2), devant un nouveau cas de la bienveil-
lance de Jésus à l'égard des pécheurs.
Aucun détail sur Thospitalité donnée à Jésus. Quand il est entré,,
et il serait arbitraire de supposer que c'est après, un long entretien
du Christ avec son hôte, celui-ci prend la pai'ole pour annoncer une
grave décision qu'il vient de prendre sous l'impression que lut a
causée la présence de Jésus dans sa demeure, ou la condescendance
dont Jésus a lait preuve en venant chez lui. Entendons que les
croyants du monde païen se donnent généreusement au Christ qui
vient à eux. — « Cependant Zachée, debout ». — en face de Jésus»
dans sa maison, — « dit au Seigneur ». — Noter l'emploi du mot
dans ce récit très secondaire. — « Je vais, Seigneur, donner aux
pauvres la moitié de mes biens ». — On explique volontiers que,
s'agissant de biens mal acquis, la part donnée aux pauvres est une
façon de restitution générale. Ce n'est pas du tout ce qu'insinue le
texte, où la restitution du bien mal acquis est nettement distinguée
de l'aumône : Zachée donne aux pauvres la -moitié de sa fortune ;.
quant aux dommages causés, la compensation s'en fait, comme de
juste, à ceux qui les ont subis. — « Et si j'ai fait quelque tort à
quelqu'un, je lui rends le quadruple ». -^ Il n'y a pas lieu de
i*echercher dans quelle mesure la chose est possible, eu égard aux
conditions dans lesquelles le publicain a pu réaliser ses gains illi-
cites. Le quadruple est la proportion établie par la Loi (Ex. xxi, 3y)
pour la compensation d'un vol (même amende dans la loi romaine
pour le fiirtum manifestum) ; pour les cas de fraude, l'exigence
était seulement d'un cinquième en plus du dommage causé (Lév. v,.
24)- Zachée renonçait-il en même temps à son emploi? On ne nous
le dit pas. L'évangéliste se soucie beaucoup moins de renseigner son.
lecteur sur la vie d'un' individu, qui très probablement n'a pas existé,
que de montrer en la personne de Zachée l'exemple d'un publicain
sauvé, c'est-à-dire du païen converti, du bon fidèle qui maintenant,
dans l'Eglise, donne son bien aux pauvres. C'es.t peut-être pour ce
LUC, XIX, 9-10 457
«Et Jésus lui dit .
« Aujourd'hui le salut à celte maison est arrivé,
parce que lui aussi est fils d'Abraham.
" Car le Fils de l'homme est venu
chercher et sauver ce qui était perdu. » .
motif que l'on ne dit pas de Zachée qu'il ait suivi Jésus, comme on
l'a dit pour Lévi et pour l'aveugle de Jéricho.
« Et Jésus dit vers lui ». — Ce n'est pas tout à fait (sItcev Se Ttpbç
aÙTovô'I.): «Et Jésus lui dit», puisque ie discours ne s'adresse pas
à Zachée (quelques mss. lat. et Gvprien ont seulement : « Jésus dit » ;
mais ce peut être correction ; on rencontre aussi la variante: « Jésus
leur dit »). Jésus dit, devant Zachée, à ceux qui étaient là, ce qu'il
faut penser de son cas. L'équivoque résulte de la confusion qui règne
dans la dernière partie du l'écit ; car la déclaration que Jésus va faire
est mal amenée, et elle est faite de deux morceaux correspondant à la
double préoccupation qui s'est fait jour antérieurement dans la mise
en scène . On n'y remédie pas en supposant rédactionnelle (avec
BuLXMANN, 17) la déclaration de Zachée (xix, 8), qui aurait été
introduite dans un simple doublet du récit concernant le publicain
Lévi ; sans doute le doublet existe, mais mal venu et construit
plutôt en vue de la déclaration qui a l'air de le surchai'ger. —
« Aujourd'hui le salut est arrivé à cette maison, parce que lui aussi
est fils d'Abraham ». — « Cette première remarque est en rapport
avec ce que Zachée vient de dire et contient le vrai sens de l'his-,
toire, ce que le lecteur en doit surtout rétenir ; et elle n'a sa pleine
signification que dans la typologie du récit. Le salut s'entend de la
venue de Jésus lui-même chez le publicain, venue qui s'explique
par le fait que le publicain est lui aussi, à sa manière, qu'il soit juif
d'origine ou qu'il ne le soit pas, fils d'Abraham, c'est-à-dire selon
l'esprit, ce qui est la vraie manière d'être fils d'Abraham, ainsi qu'en
témoignent les dispositions par lui manifestées (cf. Rom, iv, 1-24 ;
Gal. m, g). Faire dire ici à Jésus qu'il a bien le droit d'entrer
chez un juif même publicain, et qu'il ne serait pas entré chez un païen
(Wkllhausen, io4 ; Kloste'umann, 549 ' LA«iRANGE 490). serait
méconnaître le sens profond de la narration et l'esprit de l'évangé-
liste .
« Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était
perdu ». — Ceci est un autre élément de la réponse et vise directe-
ment les critiques signalées plus haut (xix, 7). A la lettre, cela sem-
■458 LUC, XIX, 11
^^ Or, comme on écoutait cela, il dit de plus parabole,
parce qu'il était près de Jérusaïem,
et que l'on pensait que tout de suite
le royaume de Dieu allait apparaître.
Lierait n'en pas dire plus que la réplique de Jésus aux pharisiens
dans l'anecdote de Lévi (v, Si-Sa) ; mais L'évangéliste n'a pas mis ce
doublet pour rien. Il emploie une formule aussi générale que possible
(en rapport avec XV, i-j) pour signifier le salut de ce qui paraissait
être.à jamais perdu, le monde de la gentilité. Ce ne sont pas les
déclarations judaïsantes de Matth.ieu(x, 6; xv, 24), et peut-être a-t-on
voulu corriger celles-ci.
Il est donc superflu de discuter la nationalité de Zacbée; mais on ne
peut guère douter que l'évangéliste, en racontant l'histoire du publi-
cain pénitent, ait songé au salut des Gentils. Il serait plus risqué de
voir dans Zachée sur son arbre la figure de la gentilité croyante, gref-
fée sur le tronc d'Israël (Rom. xt, 17-18). Zachée et sa maison ne
laissent pas de représenter les Gentils à qui le salut arrive de façon
inespérée, nonobstant la protestation des Juifs, et ce nouveau fils
d'Abraham fait pendant à la femme paralysée (xni, i6), la fille
d'Abraham selon la chair, qxii, représentant l'Israël de la foi,. a été
guérie dans la synagogue. Du reste, l'auteur ne veut pas briser la
perspective de l'histoire, et il insinue par le symbole ce qu'il ne croit
pas pouvoir dire expressément, La fortune ultérieure de Zachée dans
la tradition chrétienne n'est pas de notre sujet (on peut voir sur ce
point Lagrange, 490).
LXXI. Les Mines
La pai"abole des Mines s'intercale assez singulièrement entre les
incidents de Jéricho et le triomphe messianique sur le mont des Oli-
viers. Cette parabole est la môme que celle des Talents dans Matthieu
(xxv, i4-3o), qui l'a simplement annexée au grand discours apocaly-
ptique. Dans notre évangile, la parabole est censée devoir expliquer
le retardement de la parousie, bien que, par elle-même, elle tende à
faire valoir plutôt le triomphe du Christ sur les Juifs par la destruc-
tion de Jérusalem. C'est l'évangéliste, semble-t-il, qui estprêoccupé du
retard, et qui en cherche l'explication dans le dessein providentiel
que manifeste la parabole ; il a imaginé que celle-ci avait été dite
par Jésus pour calmer l'attente des disciples qui croyaient à la révé-
lation immédiate de sa gloire messianique ; mais il paraît se com-
LUC, XIX, 12 459
^2 II dit donc ;
Un homme de haute naissance partit en pays lointain,
pour recevoir investiture de royauté et revenir (ensuite).
plaire surtout à mettre en relief la réprobation d'Israël, motivée
par son incrédulité à l'égard de Jésus et de la prédication chrétienne.
Telle quelle, la parabole n'est aucunement conçue de façon à faire
entendre aux disciples que Jésus devra les quitter, mais à expliquer
AUX chrétiens les faits accomplis depuis sa mort et le retardement de
sa manifestation glorieuse.
ft Or, comme on écoutait cela », — ce qui vient d'être dit à propos
lie Zachée. Mais ou ne voit pas bien quel peut être l'auditoire visé :
Jésus est entré à Jéricho avec une foule enthousiasmée par la guérison
de l'aveugle, puis il est venu chez Zachée, où l'on ne conçoit pas que
cette foute ait pu le suivre ; on dit, il est vrai, que « tous » ont mur-
muré en le voyant entrer chez le publicain, et les paroles prononcées
en dernier lieu par Jésus répondaient à cette critique ; la parabole
serait adressée au même auditoire vague, dont il ne faudrait pas
chercher comment il a pu trouver place dans la maison de Zachée.
Le véritable auditoire est formé par les lecteurs de l'évangéliste. Ce
qu'on nous dit de l'auditoire fictif ne laisse pas d'avoir sou intérêt,
« tl ajouta » — au précédent discours — « une parabole », — sans
doute pour compléter l'enseignement donné, — ^ « parce qu'il était
près de Jérusalem », — la cité de Dieu et de son Christ, — «et qu'on
pensait », — les gens qui venaient de l'entendre célébrer les mérites
du publicain croyaient — « que le royaume de Dieu allait tout de
suite apparaître ». — L'indication est d'autant plus précieuse qu'elle
est plus mal préparée et que Tauteur prend. sur lui de la neutraliser.
Car c'est lui qui trouve ou qui met dans la parabole de quoi prouver
que Jésus n'a pas annoncé le prochain avènement de Dieu ; ce n'est
pas Jésus qui a polémisé ainsi contre l'objet propre de son message.
Mais pour que l'évangéliste ait eu recours à un semblable procédé,
il faut que la notice qu'il neutralise ait été dans la tradition qu'il
exploite, dans la source qui le supporte ; il ne se serait point avisé
lui-même de l'inventer. Notre auteur lisait encore ce qu'on peut à
peine entrevoir dans la rédaction actuelle de Mai'c (x. Sa) : que Jésus
et sa suite venaient à Jérusalem pour la manifestation du royaume
céleste. La rédaction de Marc remplace celte donnée par la troisième
prophétie de la passion ; notre auteur y substitue la parabole par
laquelle Jésus est censé avoir combattu la persuasion de son entou-
rage. 11 en résulte une perspective des plus incohérentes. Pris à la
460 LUC, XIX, 12
lettre, le discours de Jésus à propos de Zachée n'a pu suffire à éveil-
ler chez ses auditeurs l'espérance du grand avèùeinent ; et si c'est
seulement le voisinage de Jérusalem qui suggère à la foule l'idée du
triomphe messianique, la parabole des Mines ne combat pas cette
illusion ; elle ne la dissiperait que si ceux qui l'entendent étaient
capables de pénétrer le mystère qu'y découvre l'évangélisle. Mais
dans la pensée de celui-ci, comme la- parabole de la Veuve enseigne
que le jugement divin ne sera pas indéfiniment retardé, comme celle
du Pharisien fait pressentir la réprobation d'Israël, comme la der-
nière prophétie de la passion annonce la condition préliminaire de
toute cette eschatologie, comme la guérison de l'aveugle figure le
judéochristianisme, et la conversion de Zachée la naissance de
l'hellénochristianisme, la parabole des Mines résume la perspective
eschâtologique en logeant dans l'absence du Christ, entre sa mort sui-
vie de résurrection et son avènement final, la formation de l'Eglise
et la destruction de Jérusalem. L'enchaînement des récits n'existe que
dans cette perspective idéale. On peut supposer que l'instruction est
donnée surtout pour les disciples; elle n'a jamais été adressée
qu'aux chrétiens.
Tandis que la parabole de Matthieu conserve la forme de compa-
raison (Mt, XXV, i4), dans Luc le récit se présente plutôt c;pmme une
description allégorique du salut. — « Un homme de haute naissance
alla en pays lointain pour prendre investiture d'un royaume" et reve-
nir ». — Matthieu met simplement en scène unhommequis'envapour
un certain temps à l'étranger. Le personnage de Luc rappellerait la
situation d'Hérode et de ses fils et petits-fils à l'égard de Rome, dont
ils tenaient leur autorité ; mais le prince dont il s'agit n'appartient pas
à la famille hérodienne, et ce n'est pas en Italie qu'il va ; il représente
directement le Christ lui-même, fils de David et fils de Dieu, quittant
ce monde pour aller chercher l'investiture du royaume éternel qui
s'établira sur la terre quand le Christ reviendra dans sa gloire. Sa
naissance lui donne droit à l'empire qui lui sera confié (cf. i, 32-33) ;
il est appelé à régner sur son propre pays lorsque la Jérusalem
céleste se substituera à celle de la terre, et que le royaume de David
deviendra le royaume de Dieu.
(( Et ayant appelé dix de ses serviteurs, il leur donna dix mines »,
— une à chacun, — « et il leur dit : « Faites-les valoir en attendant
que je vienne ». — Le prince ne dit pas : « pendant mon absence »,
parce que l'évangéliste a eh vue le terme dé cette absence, c'est-à-
dire la parousie, qui demeure le véritable avènement du Christ et
n'est pas un simple retour. L'ordre donné est une addition de l'évan-
LUC; XIX, 13 461
13 Or, ayant appelé dix de ses serviteurs,
il leur donna dix mines,
et il leur dit :
« Faites-les yaloir en attendant que je vienne. »
géliste, à quoi rien ne correspond dans Matthieu ; dans la suite on ne
■ reprochera pas au serviteur négligent d'à voir contrevenu aux instruc-
tions reçues ; mais notre auteur a voulu marquer le devoir chrétien.
Une disproportion sensible existe entre le rang du personnage et la
somme qu'il distribue : d'homme de Matthieu (xxv, i5) avait huit
talents (une quarantaine de mille francs) à répartir entre trois servi-
teurs, notre prince y va par mines et n'a que dix mines pour dix
serviteurs ; que la mine en question soit la mine grecque (environ
quatre-vingt-dix francs) ou l'ancienne mine hébraïque (environ cent
quarante francs), la somme serait chétive pour un roi, et la recom-
mandation de faire valoir un si médiocre capital conviendrait peu à
sa dignité. L'auteur n'a pas voulu par là vainter la pauvreté de la
première communauté chrétienne ; une mine est donnée à chaque
serviteur, parce que la mine est la grâce du christianisme, qui est la
même pour tous. Dans Matthieu les talents sont inégalement distri-
bués, selon la capacité des trois serviteurs. Ici les serviteui's sont dix,
choisis, à ce qu'il semble, dans un plus grand nombre, qu'ils parais-
sent représenter, parce que trois serviteurs étaient trop peu pour un
roi, surtout pour le Seigneur Christ, qui a comme serviteurs tous les
candidats au royaume céleste. Peut-être y a-t-il quelque rapport
entre ces dix serviteurs et les dix vierges de Matthieu (xxv, i). Dans
la suite du récit on ne retrouve plus que trois serviteurs, ce qui
montre l'artifice de la retouche.
« Or ses concitoyens le haïssaient», — On néglige de nous dire
pourquoi. — « Et ils envoyèrent une députation derrière lui », —
auprès de l'autorité suprême-, — « pour dire : « Nous ne voulons
pas que celui-ci règne sur nous ». — Pas un mot sur l'accueil fait à
cette ambassade, on connaît seulement par la suite qu'elle n'a pas
empêché le pi'étendant d'être investi. Mais ce détail est encore
emprunté à l'histoire des princes hérodiens : après la mort d'Hérode
le Grand, par exemple, les Juifs envoyèrent des députés à Rome
pour demander à être administrés directement par l'empire, non
par Arciiélaûs ; et plus tard leurs plaintes provoquèrent la dépo-
sition de celui-ci. Des indications si particulières sont d'autant
plus remarquables que l'application réelle en est plus détournée ;
462 LDC, XIX, 14-15
^* Mais ses concitoyens le haïssaient,
et ils envoyèrent ambassade après lai pour dire :
(( Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous. »
^^ Et advint, quand il rentra investi de la royauté,
qu'il fit appeler ces serviteurs à qui il avait donné l'argent»
pour savoir ce que chacun avait fait dé profit.
car la protestation méprisante (ci. Jn. xix, i4-t5) des citoyens contre
le prétendant ne signifie pas autre chose que l'incrédulité des Juifs
à la parole et à la mission de Jésus, leur résistance à là prédication
apostolique. Cette allégorie vient d'ailleurs en surcharge et boule-
verse l'équilibre de la narration, mieux gardé dans Matthieu. Nul
besoin cependant d'imaginer (avec Strauss, Ewald, WelUxausen,
Harnack), une parabole distinctequi aurait eu pour thème le roi con-
testé, et que l'évangéliste aurait amalgamée avec celle de l'homme
aux talents. Notre auteur était parfaitement capable d'orner lui-
même de ses gloses allégoriques (cf. Bultmann, laS), dérivées par
lui de Josèphe, la parabole de l'homme aux talents. Le trait de
l'ambassade se trouve remplacer ce que Matthieu (xxv, 16-18) raconte
du parti que prennent les serviteurs ; mais le récit primitif pouvait
fort bien, comme notre auteur, ne mentionner ces détails que dans la
reddition de comptes.
« Et il arriva, quand il revint après avoir reçu le royaume ». — De
même qu'Archélaiis obtint malgré les Juifs l'investiture du gouver
nement que lui avait destiné son père, le prince de la parabole
revient avec le titre et le pouvoir de roi dans son pays ; c'est le Christ
dans sa parousie. — « Qu'il fit appeler près de lui ces serviteurs à qui
il avait donné l'argent, afin de savoir ce que chacun avait fait de
pi'ofit ». — Ainsi fait le maître dans Matthieu (xxv,. 19). Ici le procédé
paraît peu royal ; mais l'idée du compte à rendre était le fond même
de la parabole et devait être conservée ; du reste, le roi n'y compro-
met pas sa dignité, puisqu'il s'agit du jugement dernier.
« Or le premier se présenta, disant : « Seigneur, ta mine a rap-
porté dix mines ». — Proportion plus forte que dans Matthieu (xxv, 20),
où la mise de fonds est seulement doublée. Le serviteur n'en est que
plus modeste, et l'on dirait qu'il n'a été pour rien dans le succès ; il
ne se flatte pas, comme le serviteur de Matthieu, d'avoir gagné l'ai*-
gent (cf. XVII, 10). Cette réserve, assez naturelle d'ailleurs, peut
venir de source et n'accuser pas d'arrière-pensée théologique. — « Et
il lui dit : « Bien, bon sei'viteur, puisque tu. as été fidèle pour très
LUC, XIX, l6-i9 463^
, ^^ Le premier se présenta, disant : « Seigneur,
« Ta mine a produit dix mines. »
1' Et il lui dit :
« Bien, bon serviteur,
puisque pour très peu tu as été fidèle,
tu auras autorité sur dix villes. »
18 Et le second vint, disant :
« Ta mine, Seigneur
a produit cinq mines. »
1® El il dit aussi à celui-là .:
({ Toi aussi, sois préposé à cinq villes. »
peu, tu auras autorité sur dix villes ». — L'antithèse naturelle-
demanderait : « Je te confierai beaucoup », comme dans Matthieu
(xxv, 2i) ; mais la réponse du roi est mise en rapport avec la dignité
qu'il vient d'acquérir. Ce moyen de l'ecrutement administratif
échapxje à touto critique, si Ton considère la pensée de l'évangéliste :
le chrétien qui aura bien vécu, amassant des mérites pour le ciel,
sera associé à la royauté de Jésus ; il en est qui gouverneront une
province du nouvel Israël dans le royaume de Dieu (noter que xvi,
10-12, anticipe rantithèse de « peu » et « beaucoup », comme elle
existait dans le récit piMmitif).
« Et le second vint, disant : « Ta mine, Seigneur, a produit cinq
raines ». — Le second serviteur de Matthieu (xxv, 22) apporte
quatre talents au lieu de deux. — « Et il dit aussi à celui-là : a Toi
aussi, tu seras préposé à cinq villes >;.
« Et l'autre vint ».'— On dirait qu'il y a seulement trois serviteurs,
et il ne faut pas demander ce qu'ont fait les sept dont on ne parle
plus. Comme les trois sont typiques, cette négligence n'a pas d'in-
convénient, — « Disant : « Voici ta mine, que j'ai tenue enveloppée
dans un linge » . — Façon de parler qui suppose une longue absence
du maître, bien que révaugéliste n'en ait pas l'ait l'indication expresse
(comme Mï. xxv, 19). La mine était roulée dans un linge, sans
doute logée dans un coffre, sei-rée en lieu sûr. Matthieu (xxv, aS)
pouvait faire enterrer le talent, qui était beaucoup plus gros. — « Car
j'avais peur de toi, parce que tu es homme sévère ». — Epithète
(aùcT-fipoç) moins forte que le « dur » (c7xXr,pôç) de Matthieu (xxv, 24). —
« Tu prends ce que tu n'as pas déposé », — réclamant comme tien ce
qui ne t'appartient pas. Formule plus nette, mais non plus primitive
que Matthieu : <( ramassant où tu n'as pas dispersé ». — « Et tu
464 LUC, XIX, 20-23
2» Et l'autre vint disant :
« Seigneur, voici ta mine, .
que j'ai mise à part dans un mouchoir ;
21 car j'avais peur de toi,
parce que tu es homme sévère,
tu prends ce que tu n'as pas déposé,
et lu moissonnes ce que tu n'as pas semé. »
22 II lui dit:
« De ta bouche je te juge, méchant serviteur.
Tu savais que -je suis homme sévère,
prenant ce que je n'ai pas déposé
et moissonnant ce que je n'ai pas semé 1
^3 Et que n'a-tu mis mon argent en banque ?
Et moi, en arrivant, avec intérêts je l'eusse retiré. »
moissonnes 3e que tu n'as pas semé ». — L'idée du dépôt, suggérée
par le récit même, a été expiùmée d'abord, et la critique du serviteur
est censée n'atteindre pas le maître, c'est-à-dire le Christ, parce
qu'elle est mal fondée.
« Il lui dit : « Par ta bouche je te jugerai », — ou mieux peut-être :
«je te juge » (xpt'vo), au lieu de xptvS). Développement oratoire, qui
manque dans Matthieu (xxv, 26). — « Mauvais serviteur ». — Mat-
thieu dit de plus : « et paresseux ». — « Tu savais que je suis homme
sévère», etc. «Et pourquoi n'as-tu pas mis mon argent en banque?
Et moi, arrivant, je l'eusse retiré avec intérêt ». — Pour cette par-
tie notable du récit primitif, la correspondance avec Matthieu (xxv,
2;;) : (( Il te fallait donc verser mon argent aux banquiers, et arri-
vant, j'aurais retiré mon bien avec intérêts », est aussi étroite que
significative pour l'identité de source.
« Et il dit aux assistants ». — Notre auteur a pensé devoir nom-
mer ces assistants, parce qu'il a besoin d'eux pour exécuter l'ordre
donné par le roi. On peut, si l'on veut, les prendre dans le groupe des
serviteurs fidèles ; mais peut-être vaudrait-il mieux les identifier aux
anges (cf. ix, 26 ; xii, 8-9 ; et la distinction des serviteurs et des
ministres dans Mt. xxii, 10, i3). — « Otez-lui la mine et donnez-la
â celui qui a les dix mines ». — Matthieu (xxv, 26) : « dix talents »,
est exact ; mais notre auteur n'a pas songé que le serviteur aux dix
mines en a maintenant onze . Avant d'amener le proverbe que Mat-
thieu (xxv, 29) introduit sans autre préambule, il intercale une
remarque des « assistants ». — • « Et ils lui dirent : « Seigneur, il a
LUC. XIX, 24-26 465
^
2* El aux ass.islanls il dit :
« Otez-lui la mine
et donnez-la à celui qui a les dix mines. »
2s El ils lui direnl :
(I Seigneur, il a dix mines.
2" — Je vous d's qu'à quiconque possède on donnera,
mais, à (jui n'a pas, même ce qu'il a seia ôlé.
dix mines». — Cette remarque étant omise dans quelques témoins ,
(D, Ss.Sc. mss.lat.), plusieurs la jugent interpolée. Elle l'est, en effet,
parrapport au récit primitif; mais une interpolation du texte évangé-
lique est peu vraisemblable, et l'omission s'explique par l'influence
de Matthieu, l'intention de rendre son unité au discours du roi, et
peut-être aussi d'effacer en partie la difficulté provenant du chiffre
des mines. On dirait que l'évangéliste n'a pas voulu laisser dire de
lui-môme au roi le motif de sa conduite envers le serviteur zélé,
parce qu'il n'a de confidences à l'aire à personne ; mais l'inquiétude
des «assistants » fournit au souverain l'occasion de promulguer, avec
la majesté du Christ juge, le principe général de la rétribution.
Car c'est évidemment le Christ qui, par la bouche du roi de la para-
bole, prononce l'assertion solennelle : — « Je vous dis qu'à quiconque
possède on donnera )) . — Le serviteur zélé finit par représenter le
groupe des élus. — « Mais à qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a ».
•— Le serviteur négligent représente le groupe des damnés. Toute-
fois le groupe des élus se confond plus ou moins dans la perspective
avec les Gentils convertis, et le groupe des damnés avec les Juifs
incréduleset exterminés. Ce devait être la conclusion du récit dans
la source commune, où le maître alléguait cette façon de proverbe en
commentaire de sa conduite envers le serviteur zélé. On a pu voir que
le même dicton a été reproduit d'après Marc dans le discours des
paraboles (viii, i8).
« Quanta ces miens ennemis, qui ne voulaient pas que je l'égnasse
sur eux », — ces Juifs qui ont refusé de reconnaître Jésus comme
Christ et qui l'ont crucifié, — « airienez-les ici et massacrez-les devant
moi ». — La destruction de Jérusalem sera leur châtiment. C'est
ainsi que Matthieu(xxti, 7) introduit la destruction de Jérusalem dans
la parabole du Festin. Celte conclusion est visiblement surajoutée,
comme tout ce qui a rapport à la royauté du maître (cf. xviii, 8 b, où
une addition rédactionnelle est introduite de la môme façon, par
TïVriv. D ajoute encore, en surcharge de Le. 27, Mt. xxv, 3o). Moyen-
A. LoisY. — L'Evangile selon Luc, 3o
466 LUC, XIX, 27-28
" Quant à ces (gens) mes ennemis,
qui ne voulaienl pas que je régnasse sur eux,
amenez-les ici,
et massacrez-les devant moi. »
-8 Et cela dit, il prit le devant, montant à Jérusalem.
nant cette addition, qui complète les précédentes, la parabole qui,
dans sa première adaptation chrétienne, faisait i*essortir la pi'opor-
tion que le jugé suprême établira entre la récompense et les mérites
des individus, se trouve maintenant contenir une vue apocalyptique
sur les destinées du peuple juif. Ces gloses ont le même caractère que
celles du Festin dans Matthieu ; bien qu'elles puissent, à raisou de
leur coordination (dans xix, 12, i4-i5 a, 27), offrir un sens complet,
elles paraissent avoir été plutôt conçues en paraphrase apocalyptique
de la parabole.
■On peut imaginer, d'après le rapport de Matthieu et de Luc, une
première fable chrétienne ainsi conçue : un homme de condition aisée
sans être opulente, s'en allant en voyage, avait confié à ses trois
serviteurs, ou à trois de ses serviteurs, huit mines, cinq à l'un, deux
à l'autre une au troisième ; revenu au bout d'un certain temps, il
trouva que les deux premiers avaient doublé leur petit capital et que
l'autre n'avait cherché à rien gagner ; il félicitait les deux premiers,
et il reprenait la mine du troisième pour la donner au premier, en
vertu de l'adage : « On donne à qui possède ». Mais un tel récit n'est
pas dans l'esprit de l'Evangile. Il faut le solliciter légèrement pour
lui faire dire (avec Jûlicher, II, 482-483) que la vie, activité féconde
dans l'ordre de la nature, doit lêtre aussi dans l'ordre religieux el
moral. Cette conception de philosophie abstraite n'a rien de spécifi-
quement évangélique, et le récit même ne s'adapte pas sans difficullé
à la conception évangélique du règne de Dieu. Ni le trait de la mine
donnée à celui qui a gagné beaucoup, ni la sentence : « On donne à
qui possède, on prend à qui n'a rien », n'y ont d'application naturelle.
L'utilisation laborieuse de ces thèmes de sagesse se sera plutôt faite
dans la ti-adition qu'à l'origine du mouvement chrétien.
LXXII. Au MONT DES Oliviers
Jésus arrive enfin à Jérusalem. Son départ pour celte ville (ix, 5i)
sépare les récits galiléens delà relation artificielle du voyage; on
peut dire qu'une troisième partie, celle des récits hiérosolymitains,
LUC, XIX, 29-32 467
^8 Et quand il approcha de Bolhphagé et de Béthanie,
au monl dit dés Oliviers,
il envoya deux des disciples,
^0 disant: « Allez au village en face,
où, en entrant, vous trouverez ànon attaché,
qu'aucun hommen'a jamais monté ;
et l'ayant détaché, amenez-le.
'31 Et si quelqu'un vous demande : ce Pourquoi détachez-vous ? »
vous direz ainsi : « Le Seigneur en a besoin. »
32 Or, étant partis, les envoyés trouvèrent comme il leur
[avait dit ;
commence avec le triomphe messianique sur le mont des Oliviers.
Mais l'introduction manque un peu de solennité ; ce n'est qu'une
formule de transition. — « Et cela dit », — ayant raconté la parabole
des Mines pour combattre la persuasion où était son entourage tou-
chant l'imminente manifestation du règue de Dieu, — « il prit le
devant, montant à Jérusalem ». — Echo inattendu de Marc (x, 3a) :
« Or ils étaient en route, montant à Jérusalem et Jésus marchait
-devant eux ». On conçoit que l'évangéliste ait eu cette indication
présente à l'esprit, si l'idée qu'il s'est flatté de combattre dans la
parabole des Mines était signalée dans la source comme motivant la
démarche de Jésus. Mais notre auteur n'entend probablement pas
dix'e, comme Marc, que Jésus marchait devant ses compagnons,
mais plutôt qu'il marchait en avant, qu'il continuait sa route vers
Jérusalem. Il n'est pas autrement tenu compte de la station chez
Zachée.
a Et advint, comme il approchait de Bethphagé et de Béthanie, vers
la montagne dite des Oliviers ». -— D'après Marc (xi, i), en omettant
la mention de Jérusalem, qui vient d'être faite dans la formule de
transition (xix, yS. Dansxxi,37, Aot. i, 12, notre'auteur écrit, èXaîwv,
c( olivetum », comme Josèphe ; xtx,37, etxxii, -Sg, il écrit zh opoç tSv
tkoLiSiv , comme Marc et Matthieu ; ici l'on doit lire probablement èXocav) .
— « Qu'il envoya deux des disciples », — Marc (xt, i) : « de ses dis-
ciples », — « disant : « Allez au village en face », — Marc (xi, 2) : « en
face de vous ». — « En y entrant », — Marc : « et aussitôt entrés », —
« vous trouverez un ânon », etc. « Et si quelqu'un vous demande :
« Pourquoi détachez-vous ?» — Marc (xt, 3) : « Et si quelqu'un vous
dit : (( Pourquoi faites-vous cela ?» — a Vous direz ceci : « Parce que
468 LUC XIX, 33-37
3» et comme ils délachaient l'ânon,
ses maîtres leur dirent ;
« Pourquoi détachez-vous l'ànon ? »
3* Et ils dirent : « Parce que le Seigneur en a besoin. »
3s Et ils l'amenèrent à Jésus ;
et ayant jelé leurs manteaux sur l'ânon,
ils firent monter Jésus dessus.
3« Et à mesure qu'il avançait,
il étendaient leurs manteaux sur le chemin.
3' Mais, comme il approchait déjà
de la descente du mont des Oliviers,
toute la troupe des disciples se mirent
tout joyeux à louer Dieu à pleine voix
le Seigneur en a besoin ». — Marc : « Dites : le Seigneur en a besoin,
et aussitôt il le renverra ici ».
« Or, étant partis, les envoyés trouvèrent selon qu'il leur avait
dit ». — Marc (xi, 4) : « Et ils s'en allèrent et ils trouvèrent l'ânon
attaché près d'une porte, dehors, sur la voie publique ». — « Et comme
ils détachaient l'ânon, ses maîtres leur dirent : « Pourquoi détachez-
vous l'ânon ? » — Marc (xi, 45) : a Et ils le détachèrent. Et quelques-
uns de ceux qui étaient là leur dirent : « Que faites-vous à détacher
l'ânon ?» — « Et ils dirent : « Parce que le Seigneur en a besoin ». —
Marc (xi, 6) : « Et il leur dirent comme avait dit Jésus, et on le&
laissa » faire .
« Et ils l'amenèrent à Jésus, et ayant jeté leurs manteaux sur
l'ânon, ils firent monter Jésus dessus ». — Marc (xi, 7) : « Et ils con-
duisirent l'ânon à Jésus, le couvrirent de leurs manteaux, et il monta
dessus ». — « Et à mesure qu'il avançait, ils étendaient leurs manteaux
sur le chemin ». — Ce n'étaient pas les mômes qui mettaient leurs
manteaux sur l'âne et qui les étendaient sur le chemin. Marc (xi, 8)
dit : « Et plusieurs étendaient leurs manteaux sur le chemin, et
d'autres des branches qu'ils coupaient dans les champs ».
« Et comme il était déjà près d'arriver à la descente du mont des
Oliviers ». — Celte apparente précision est propre à notre évangile.
Pas n'est besoin d'y supposer une source spéciale, mais l'intention de
souligner le lieu de la manifestation, pour faire droit aux prophéties
(cf. Marc, 3i8 ; et xxiv,5o ; Acr. i, 12). — « Toute la foule des
disciples, transportés de joie, se mirent à louer Dieu à haute voix
pour tous les miracles qu'ils avaient vus ». — Interprétation et
LUC, XIX, 38-40 469
pour tous les miracles qu'ils avaient vus, ^^ disant :
a Béni soit celui qui vient, (comme) roi, au nom de Seigneur I
Dans le ciel paix, et gloire dans les hauteurs 1 »
^^ Et certains pharisiens (qui étaient) dans la foule lui dirent :
« Maître, reprends tes disciples. »
*° Et répondant, il dit : « Je vous dis,
si ceux-ci se taisent, les pierres crieront. »
paraphrase de Marc (xi, 9) : « Et ceux qui marchaient devant et
ceux qui suivaient, criaient », Notre évangéliste a voulu dire pour-
quoi la foule éclata en acclamations joyeuses (cf. 11, i3-i4),et le
motif est tellement chei'ché qu'ildoitservirune intention particulière.
Or cette intention doit être la même qui s'est trahie dans le préam-
bule donné à la parabole des Mines : il ne s'agissait pas de parousie
messianique et Jésus lui-même a corrigé sur ce point l'opinion de ses
disciples ; les disciples, non seulement les Douze, mais le cercle plus
large d'adhéi'ents dont il a été déjà parlé (vi, 17), ne célèbrent
pas maintenant la Venue du Messie en Jésus, ils louent Dieu rétros-
pectivement pour tous les miracles accomplis par son envoyé.
I/artiflce est évident, et la préoccupation de l'évangéliste ne l'est
guère moins. L'auteur veut bien qu'on célèbre le Christ, mais non
pas qu'on ait l'air d'inaugurer son règne.
Il semble que la même préoccupation ait réagi sur la forme' de l'ac-
elamation messianique. — « Disant: «Béni soit celui qui vient, le roi,
au nom de Seigneur. » — Les hosanna de Marc (xr, 10) sont omis ;
on va les trouver i-emplacés par une doxologie qui rappelle le cantique
des anges àlanaissance du Christ (11, i4),et qui est sans rapport direct
avec la circonstance. Dans les meilleurs témoins, la formule du
Psaume (cxviii, 26): « Béni soit celui qui vient au nom de Seigneur »,
est surchargée du mot « roi », ou «le roi », soil par allusion à Zacha-
ine(ix, 9), soit par influence de Marc (xi, 10): « Béni soit le royaume
qui vient, de notre père David » ; mais ce roi est celui de la parabole
(xix, 12, i5-2^) — « Dans le ciel paix, et gloire dans les hauteurs ». —
11 s'agit de la paix du ciel, avec regard vers les croyants àqui elle est
promise, non pi'écisément d'une réconciliation de la terre avec les
cieux par la médiation du Christ ; et la foule qui acclame Jésus est
censée s'associer aux louanges que les esprits célestes rendent à Dieu.
C'est d'après certains textes de l'Ancien Testament qu'a été conçu
le triomphe messianique sur le mont des Oliviers : Matthieu (xxi, 4-5)
et Jean (xii, i4) indiquent le texte de Zacharie (ix.g) sur lequel a été
470 LUC, XIX, 41-i2
*i Et quand il fut proche, A'oyant la ville,
il pleura'sur^elle, ^^ disant :
construit le récit, qui a été probablement influencé aussi par la pro-
phétie de Jacob (Gen. XLix, II);, le Psaume cxvm (25-26) a fourni
l'acclamation messianique ; la localisation de l'incident doit être éga-
lement en rapport avec un texte de Zacliarie (xiv, 4)'
Au lieu de la notice de Marc (xi, 11) sur la première visite de Jésus
au temple et son retour à Béthanie, on trouve mention d'un incident
particulier qui correspond à ce que Matthieu (xxi, 14-17) raconte de
la protestation des prêtres contre l'acclamation faite à Jésus par les
enfants dans le temple. — « Et certains des pharisiens de la foule ». —
Construction un peu embarassée (xat tivs? twv <ï>api(T(/.''wv k-Ko ■:ouoyXo\j);
mais on ne peut guère supprimer « les x^harisiens » (avec Ss. ), dont la
mention expresse est significative pour le récit, ni « la foule w (avec
le ms. b), simple spectatrice, à distinguer de « la troupe (ttàtiOoç) des
disciples, et à laquelle appartiennent les pharisiens dont il s'agit. —
« Lui dirent : « Maître, reprends tes disciples ». — L'intervention des
pharisiens n'est pas autrement attendue sur le chemin de Bëthanie à
Jérusalem, quand le Christ s'avance au milieu delà troupe qui l'ac-
clame; mais le contraste est voulu pour la signification des deux ta-
bleaux : la foiet le cantique des disciples, écho du cantique des anges
à Bethléem, figurent le triomphe du Christ et la conversion du monde ;
la remarque des pharisiens et la réplique de Jésus font ressortir
l'incrédulité, la jalousie et l'impuissance du judaïsme devant le succès
chrétien. — « Et répondant, il dit : a Si ceux-ci se taisent, les pierres
cineront ». — On pourrait songer aux « pierres dont Dieu peut faire
des enfants d'Abraham )) (m, >]] ; mais il y a plutôt emploi de locutions
proverbiales (cf. Hab. it, 11). Fiction conçue dans la tradition chré-
tienne, plus sobre, mais pas plus sûre que celle de Matthieu, et qui,
si elle n'en est pas dépendante, procède de la même intention.
LXXIIL Le sort de Jérusalem
L'intervention des pharisiens est censée se produire lorsque Jésus-
est encore assez loin de Jérusalem, en sorte que, dès Béthanie, une
assistance simplement curieuse paraît se joindi'e à la troupe enthou-
siaste qui accompagne le Christ ; un autre trait, plus touchant, est
rapporté au moment où Jésus, s'approchant de plus en plus, découvre
la ville entière ; et comme la protestation des pharisiens rend témoi-
LUC, XIX, 4:i-44 47i'
« Que ne reconnais- tu en ce jour,
loi aussi, ce qui esl pour paix;
Mais, maintenant cela est caché à les yeux.
^3 Car viendront des jours sur loi
où tes ennemis l'environneiont de tranchées,
l'invesliront, le resserreront de toutes paris;
^'^ elil le briseront contre terre ainsi (\\xc,tës enfants, en toi,
el ils ne laisseront pas pierre sur pierre en toi,
parce que tu n'as pas reconnu le temps où tu étais visitée . »
gnage de l'inci'édulilé juive, la douloureuse prédiction du Christ sur
Jérusalem montre que le judaïsme a mérité la condamnation dont il a
été frappé en l'an ;jo. Dans la p.ensée del'évangéliste la protestation
(les pharisiens correspond à celle que les sujets ont faite contre l'avè-
nement de leur roi dans la parabole des Mines, et la prédiction que
Jésus va énoncer lait pendant à ce qu'on lit dans la parabole touchant
l'extermination des rebelles. C'est aussi bien ce que notre auteur a
jugé bon de substituer à l'histoire du figuier desséché dans Marc
(xi, 12-14, 20-21).
« Et quand il fut proche, voyant la ville, il pleura sur elle ». — Le
Christ de notre évangile est beaucoup plus sensible que celui de
Marc ; il l'est ici plus que dans les paraboles de la Veuve (xviii, ;j-8)
etdes Mines (xix, ar^), parce que c'est le rédacteur qui le fait parler
(cf. xxiii,.2;7-3i). — « Disant : « Si ta reconnaissais en ce jour, toi
aussi, ce qui est pour paix ! » — Variantes: « du moins (y.a' 7e) en ce
jour ». Mais il n'y apeut-ôtre pas tant lieu d'insister sur « ce jour »,
et l'auteUr pourrait bien opposer Jérusalem incrédule, à la troupe
croyante, figure de l'Eglise, qui reconnaît où est le salut(BS ont xat crû,
après « en ce jour «.etn'ontpas xaiyeavant). Expression d' un veèaqul
est censé ne devoir pas ou plutôt ne pouvoir se réaliser, on pourrait
dire un regret de ce que le souhait se soit trouvé irréalisable. Un jour
de grâce était donné à Jérusalem, dont elle n'a pas profité plus que
Capharnaûm, Chorazin et Bethsaïde. En réalité, la perspectiA'e du
discours est celle de la ruine accomplie. L'emploi du mot « paix»
pour désigner le salut se justifie suflisamment par le contexte, et il
n'est pas autrement indiqué devoir là (avec Klostbrmann, 555), une
allusion à l'étymologie de Jérusalem (ptsi'o pacis).
« Mais maintenant cela est caché à tes yeux ». — L'aveuglement de
Jérusalem entre dans les plans de la Providence ; elle ne veut pas
voir, et Dieu lui cache où est le salut. — « Car viendront des jours sui»^
472 LUC, XIX, 45-46
*^ Et étant entré dans le temple,.,
il se mit à chasser les vendeurs,
■*" leur disant : « Il est écrit:
«.Et ma maison sera maison de prière » ;
mais vous en avez fait caç>erne de voleurs. »
toi où tes ennemis t'environneront de tranchées, t'investiront, te ser-
reront de toutes parts». — C'est la description d'un siège, et d'après
Isaïe (xxix, 3)'; mais l'auteur connaît le siège de Jérusalem par les
Romains, et il connaît aussi la destruclion de la ville. — « El ils te
renverseront par terre ». — Autre réminiscence d'isaïe (xxix, 4)< -—
<( Ainsi que tes enfants en toi », — c'est-à-dire tes habitants (xni,34),
mais assimilés aux enfants massacrés dans le sac d'une ville (cf. II
Rois, vin, 12 ; Os. x, i4 ; xiv,t ; Ps. cxxxvu, 9). L'incohérence de
la description provient du conflit des réminiscences bibliques (im-
pliquées dans'IBacpcoïj'îtv, Is. xxvi, 5 ; xxix, 4i pour la ville renversée ;
Ps. cxxxvn, 9 ; Os. x, 14, etc., pour les enfants écrasés). — « Et ils
ne laisseront pas pierre sur pierre en toi ». — Ce trait vient plutôt
de Marc (xui, 2). — « Parce que tu n'as pas reconnu le temps où tu
étais visitée ». — Jérusalem a méconnu le temps où Dieu la visitait
par son Christ dans la miséricorde (i, 68, 78) ; il la visitera, ill'a visi-
tée de nouveau pour le châtiment
Ainsi ce petit morceau sentimental a été conçu à distance par un
homme versé dans la connaissante des Ecritures et des sentences
antérieurement attribuées à Jésus, et ce pieux romancier n'a eu nul-
lement besoin de calculer et de doser ses emprunts ; des réminis-
cences lui sont venues en rapport avec la situation donnée par les
récits antérieurs et imaginés par lui. Il ne luia pas fallu plus de recher-
ches pour construire la grande scène de prédicationà Nazareth et la
vocation des disciples par Ija pêche miraculeuse. L'hypothèse d'une
source relativement ancienne et même araméenne (Bulïmann, ^4) ne
paraît aucunement s'imposer, et elle ne pourrait se recommander
qu'à ceux qui croiraient notre évangéliste incapable d'écrire quatre
lignes de sa propre initiative.
LXXIV. Les vknduurs du temple
Ce ne doit pas être uniquement pour des motifs d'ordre symbo-
lique ou littéraire que l'expulsion des vendeurs du temple suit immé-
diatement dans Luc le triomphe sur le mont des Oliviers, mais
d'abord parce que tel était l'enchaînement des récits dans la rela-
LUC, XLV, 47 • 473
^' Et il était à enseigner chaque jour dans le temple ;
et les grands-prètres et les scribes cherchaient à le perdre,
ainsi que les principaux du peujile ;
tion qui est à la base de Marc (cf.Marc, Sao) . On ^leut croiio que Luc
se conformait à celte source et que le rédacteur de notre évangile
a suivi Luc. Le récit de l'expulsion paraît abrégé relativement à
celui de Marc; encore ne saurait-on dire si c'est aussi par influence
de la source ou par l'omission délibérée de détails qui n'avaient pas
d'intérêt pour l'auteur. Mais, en parlant seulement des vendeurs,
notre texte devient trop bref ; car un lecteur non averti ne sait pas
de quels vendeurs il s'agit. Un document hiérosolymitain, destiné à
des lecteurs qui connaissaient le temple et l'organisation de son mar-
ché pouvait être aussi peu explicite, à moins, ce qui est très vrai-
semblable, que le récit primitif n'ait pas été fondé sur un souvenir
réel, mais sur les textes de Zachai'ie (xiv, 20) et de Malachie (lu, i),
que très probablement il vise (voir Marc, 3a4)-
« Et étant entré dans le temple, il se mit à chasser les vendeurs ».
— Un incident miraculeux, qui accomplit une prophétie, fait suite à
une prédiction personnelle. Le lien de ces choses est logique plus
que réel. Et passant sur tous les détails de Marc (xi, i5-i6), l'auteur
amène tout de suite la parole de conclusion. — « Lear disant ». —
Ces vendeurs représentent les Juifs, et la réprobation qui les atteint
est la condamnation du judaïsme, de son temple, et du culte frelaté
qu'ily pratique. -~ « Il est écrit : « Et ma maison sera une maison de
prière ». — Marc (xi, i;jj ajoute, conformément à Isaïe (lvi, 7) :
'< pour toutes les nations ». Notre récit, aussi bien que Matthieu
(xxi, i3), l'omet, sans doute en considérant que le temple, mainte-
nant détruit, n'a jamais guère été et ne deviendra jamais une mai-
son de prière pour les Gentils. — « Mais vous en avez fait une
caverne de voleurs ». — Rien de plus ; et l'on dirait que le fait passe
inaperçu, comme s'il n'avait qu'une portée idéale.
La notice générale qui vient ensuite est fondée sur Marc (xi, 18);
elle sera répétée en forme plus complète et meilleure à la lin des l'écits
hiérosolymitains. — « Et il était à enseigner cha([ue jour ». — Le
nombre dejours n'est pas et nesera pas indiqué; ily serafaitde môme
plus loin (xxu, 53) une allusion globale. On dirait que le rédacteur
de cette notice s'est délibérément abstenu démarquer la succession
des jours, sans doute parce que Luc ne l'avait pas in<iiquéeet que le
document fondamental de Marc n'avait pas réparti en journées dis-
tinctes les faits hiérosolymitains antérieurs à la passion. — « Dans
47'4 LUC, XIX, 48
*^ et ils ne iTcmvaient pas moyen de rien faire,
parce que lout le peuple était suspendu à l'écouler.
le temple ». — On ne dit pas où Jésus passe la nuit, celte indication
étant réservée pour la notice finale (xxi, 3^). — « Et les gi'ands
prêtres et les scribes cIierGhaient à le perdre ». — Ceci vient de Marc
(loc. cit.); mais notre évangéliste y ajoute comme par surcharge:
— « ainsi que les principaux du peuple », ■ — ceux qu'il appellera
bientôt (xx, i) « les anciens » (d'après Me. xi, 27). — « Et ils ne
trouvaient pas moyen de rienfaii'e ». — Eclaircissement de Marc :
« car ils avaient peur de. lui ». ' — « Parce que tout le peuple était sus-
pendu à l'écouter ». — Marc : « parce que tout le peuple était ravi de
son enseignement ».
11 y a quelque contradiction dans notre évangile entre ce qui est dit
maintenant de la faveur trouvée par Jésus auprès du peuple, et
ce que le Christ a dit plus haut'touchant l'inci'édulité qu'il va ren-
contrer dans la capitale du judaïsme et qui paraît universelle. C'est
que le discours apprécie de loin, en connaissance des événements de
l'an 70, les résultats du ministère hiérosolymitain, tandis que la pré-
sente notice fait écho à la tradition de Marc, tradition qui peut être
fondée dans une certaine mesure sur la réalité, mais que les évan-
g^élistes font valoir dans un intérêt apologétique. 11 leur, plaît, et il
plaît spécialement au rédacteur du troisième évangile et des Actes,
de faire entendre que la mort du Christ et l'incrédulité finale des
Juifs sont dues aux chefs religieux de la nation. Dans l'ensemble
cette notice paraît anticipée ; car on ne voit pas encore maintenant
comment l'enseignement de Jésus peut causer si grande inquiétude
au sanhédi'in et trouver si grande faveur auprès du peuple.
LXXV. La question des prêtres
Dans notre évangile la question des grands-prêtres et autres
membres du sanhédrin n'a aucun rapport avec l'expulsion des ven-
deurs. Peut-être l'anecdole a-t-elle été conçue d'abord pour elle-
même et sans rapport avec un incident spécial du ministère hiéro-
solymitain ; elle manque passablement de vraisemblance; mais on
y peut entrevoir une fois de plus le lien qui a existé originaire-
ment entre les deux sectes, baptiste et chrétienne, l'avantage que
l'apologétique chrétienne tâchait d'en tirer, et la subtilité toute rab-
biinique qui caractérisait les débuts de cette apologétique ; il sem-
blerait qu'on veuille ici arguer de la tolérance accordée à la secte
LUC, XX, 1-2 47.5-
XX Et, advint, un jour,
comme il enseignait le peuple dans le temple et annonçait
[évangile,
que survinrent les grands-prètres et les scribes avec les
[anciens,
2 et ils dirent, s'adressanl à lui :
« Dis-nous par quelle autorité tu fais cela,
ou qui est celui qui t'a donné cette autorité ? »
baptiste.pai' les Juifs, contre l'intolérance témoignée par les mêmes
Juifs à l'égard des chrétiens (cf. Bulïmann, 9, ïoo) ; ces propos ont
dû figurer d'abord parmi les sentences concernant Jean-Baptiste
(dont le bloc principal se trouve vu, i8-35 ; Mt. xt, 2-19).
« Et il advint, l'un des jours » — dont il vient d'être parle (xix, 47),
— « comme il enseignait le peuple dans le temple et annonçait la
bonne nouvelle )). — Cette mise en scène appartient à notre auteur,
mais elle peut s'expliquer en paraphi-ase de Marc (xi, a^) ; « comme il
se promenait dans le temple » ; car Jésus n'est pas censé marcher
seul dans le temple, mais enseigner en marchant. Notre auteur a
tourné son préambule de telle sorte que la question des pi'êtres se
l'apporte, non à l'initiative que Jésus a prise d'expulser les vendeurs,
ni précisément à la liberté qu'il prend d'enseigner dans le temple,
mais à l'autorité qu'il s'attribue pour enseigner ce qu'il enseigne, à
savoir « l'évangile » du royaume (remarquer l'explication -aoù eûa^ye-
)a(îo(i£vou). — « Qu'arrivèrent les grands prêtres et les sciùbes avec
les anciens». — Marc; « Les gi'ands prêtres, les scribes et les anciens
s'approchèrent de lui », — « Et dirent, s'adressant à lui : « Dis-nous
par quelle autorité tu fais cela ». — Marc (xi, 28) : « Et ils lui dirent:
« Par quelle autorité fais-tu cela ? » — « Ou qui est celui qui t'a
donné ce pouvoir ? » — Marc : « Ou qui t'a donné le pouvoir de le
faire ? »
« Mais, répondant, il leur dit : « Je vous demanderai, moi aussi,
une chose, et dites-moi. » — Marc (xi, 29) : « Je vous demanderai
une seule chose. Répondez-moi, et je vous dirai par quelle autorité
je fais cela ». Dans notre évangile, Jésus ne promet pas de
répondre si les autres parlent d'abord ; il leur demande de s'expli-
quer sur une autre question ; la forme d'argumentation l'abbinique.
bien gardée dans Marc, aura été ainsi corrigée dans Luc, pour que
Jésus n'eût pas l'air de converser d'égal à égal avec les docteurs
juifs. — « Le baptême de Jean était-il du ciel ou des hommes ? » —
476 LUC, XX, 3-9 -
^ Mais, répondant, il leur dit :
« Je vous demanderai, moi aussi, une ciiose ;
et dites-moi : * « Le baptême de Jean,
était-il du ciel ou des hommes ? »
^ Or ils raisonnèrent entre eux, disant ;
« Si nous disons : « Du ciel » ,
il dira : « Pourquoi n'avez -vous pas cru en lui? »
" Mais si nous disons : « Des hommes »,
le peuple entier nous lapidera ;
car il est persuadé que Jean était prophète. »
' Et ils répondirent qu'ils ne savaient pas d'où (il était).
^ Et Jésus leur dit :
« Moi non plus je ne vous dirai pas
par quelle autorité je fais cela. »
^ Et il se mit à dire au peuple celte parabole:
«Un homme planta vigne,
il la loua à des vignerons,
et il s'en alla du pays pour un long temps.
Marc (xi, 3o) : « Le baptême de Jean, etc. ? Répondez-moi ». — « Or
ils raisonnèrent » etc. « Mais si nous disons : « Des hommes », tout le
peuple nous lapidex'a, car il est persuadé que Jean était prophète, »
— Marc (vi, Sa) : « Mais si nous disons : « Des hommes... » ils crai-
gnaient le peuple, parce que tous regardaient Jean comme étant réelle-
ment prophète». — « Et ils répondirent qu'ils ne savaient pas d'où».
— Marc (xi, 33) : « Et répondant, ils dirent à Jésus : «Nousne savons
pas ». — « Et Jésus leur dit : « Moi non plus » etc.
S'il n'est pas très naturel que le sanhédrin vienne discuter avec le
novateur galiléen dans la cour du temple, il ne l'est guère plus qu'il
renonce à son enquête devant la fin de non-recevoir qu'ose lui
opposer l'individu interrogé. Mais ce préaiJibule invraisemblable du
ministère hiérosolymilain est assez logiquement placé, puisque, le
sanhédrin se trouvant paralysé par une réponse habile, Jésus va
pouvoir librement prêcher jusqu'au moment où les autorités juives,
toujours impuissantes et sans courage, auront trouvé le moyen de le
prendre par ruse. C'est donc toute la perspective du ministère hié-
l'osolymitain qui est artificielle, et non seulement ce point de départ.
LUC, XX, 10-H 47T
1" Et en saison il envoya vers les vignerons un serviteur
pour qu'ils lui donnassent du fruit de la vigne ;
mais les vignerons, après l'avoir battu, le renvoyèrent à vide.
1^ Et derechef il envoya un autre serviteur ;
mais eux, l'ayant aussi battu et outragé, le renvoyèrent à vide.
LXXVI. Les Vignerons meurtriers
La parabole des Vignerons meurtriers est donnée d'après Marc-
(xn, i-ii), avec de légères variantes. — «Or il se mita dire au
peuple cette parabole». — Marc (xii, i) : « Et il se mit à leur parler
en paraboles ». Notre auteur fait adresser la parabole aupeuple, bien
qu'il suppose présents les membres du sanhédrin ; il aura pensé sans
doute que Jésus, qui vient d'opposer un refus net à leur question, ne
leur a pas aussitôt adressé un discoui's . Du reste, la prétendue para-
bole, qui est une façon d'apocalypse, où sont présupposées la mort de
Jésus, l'évangélisation des païens, la ruine du peuple juif, paraît
avoir occupé d'abord la place qui est attribuée au discours apoca-
lyptique dans les rédactions canoniques des trois premiers évangiles,
(voir Marc, 342-345). Le récit allégorique est complet sans la cita-
lion biblique au moyen de laquelle on l'a commenté, faisant du
récit et de la citation un discours de Jésus ; récit et application de
texte sont œuvre de prophètes chrétiens et produit de la tradition
chrétienne (cf. Bui.tmaiNN, iio, laô) ; le tout sei't à définir la situa-
tien de Jésus à l'égard des Juifs, spécialement du judaïsme olïiciel,.
qui a causé sa mort.
« Un homme planta une vigne, la loua à des vignerons ». —Omis-
sion des détails, empruntés par Marc (xu, i) à^[sàïe(v, 1-2), touchant
la clôture, la cuve, la tour, dont la' vigne a été poui-vue. — « Et il
s'en alla en pays étranger pour un longtemps «, — Marc sous-entend
ce long temps de l'absence. La vigne est Israël, mais elle est aussi
et surtout la i^eligion instituée par Dieu et z'emise en garde aux
Israélites ; la plantation de la vigne est l'établissement du peuple et
son organisation légale ; Dieu y a pouvvu en personne, et depuis il a
surveillé de loin son œuvre ; c'est pourquoi notre auteur signale
expressément la longueur d'une absence qui, de soi, est un trait
peu divin.
« Et en saison il envoya vers les vignerons un serviteur, pour
qu'ils lui donnassent du fruit de la vigne». — Marc (xu, 2) : « Et il
478 LUC, XX, 12-15
^2 Et il en envoya encore un troisième ;
mais eux, après l'avoir aussi blessé, le ehassèrenl.
13 Or le maître de la vigne dit : » Que ferai-je ?
J'enverrai mon fils bien-aimé ;
peut-être auront-ils pour lui des égards? »
1* Mais, le voyant, les vignerons délibérèrent entre eux, disant :
« C'est l'héritier ; tuons-le,
pour qu'à nous soit l'héritage. »
" Et l'ayant jeté hors de la vigne, ils le tuèrent.
Que leur fera donc le maître de la vigne ?
envoya vers les vignerons en la saison un serviteur, pour recevoir des
vignerons part des fruits de la vigne. — « Mais les vignerons, après
l'avoir battu, le renvoyèrent à vide ». — Marc (xii, 3) : « Et s'étant
saisis de lui, ils le battirent et le renvoyèrent à vide ». — « Et il
envoya encore un autre serviteur ; mais eux, ayant aussi battu et
o-utragé celui-là, le renvoyèrent à vide ». — Marc(xii, 4) •' « Etderechef
il envoya vers eux un autre serviteur, et ils le frappèrent à la tête et
l'outragèrent ». — « Et il en envoya encore un troisième; mais eux,
après avoir aussi blessé celui-là, le chassèrent » . — Marc (xu, 5) : « Et
il en envoya un troisième, et ils le tuèrent ; et plusieurs encore, dont
ils battirent les uns et tuèrent les autres ». Notre évangéliste s'en
tient à l'envoi de. trois serviteurs, et il gradue les mauvais traitements
de façon à réserver la mort pour le fds dupropriétaiv-e; il aura pensé
que les trois serviteurs représentaient suffisamment les prophètes, et
il a voulu équilibrer plus exactement la mise en scène ; il a dû abré-
ger Marc en le coi'rigeant.
« Or le maître de la vigne dit : « Que ferai-je ? J'enverrai mon fils
bien-aimé)), — faconde parler qui implique l'unicité du fils en ques-
tion, — « peut-être auront-ils des égards pour lui ». — Marc (xu, 6) :
« Il avait encore un fils qu'il aimait ; il l'envoya le dernier vers eux,
disant : « Ils auront des égards pour mon fils ». Noire auteur dra-
matisé celte partie du récit en introduisant la résolution du père dans
le monologue préliminaire à l'envoi du fils. L'interrogation : « Que
ferai-je ? » est peu digne du Père éternel, mais c'est forme de dis-
cours assez fréquente dans les monologues du troisième évangile. Une
sorte de compensation résulte du « peut-être » qui est inséré dans
l'assertion : « Ils aurontdes égards pour mon fils. » Une faut pas que
le père-Dieu ait l'air d'avoir été surpris par l'événement. Le « peut-
être », il est vrai, n'ajoute qu'une prévision éventuelle, mais on ne
LUC, XX, 16 479
^« Il viendra et fera périr ces vignerons,
et il donnera la vigne à d'autres. »
Ce qu'entendant, lis dirent : « A Dieu ne plaise ! »
pouvait aller plus loin sans rendre odieax ce père qui aurait envoyé
délibérément son fils à la mort. 11 y a même déjà quelque chose de
•choquant dans la prévision d'un manque d'égards qui, vu les antécé-
dents, est un danger sérieux pour l'existence du' fils". Dans Marc et
•dans Matthieu, le père semble dépourvu de. toute prudence ; dans
Luc, il est plus avisé, mais il n'en apparaît que moins soucieux du
péril que va courir son fils unique.
« Mais, l'ayant vu, les vignerons délibérèrent entre eux, disant :
•« C'est l'héritier. Tuons-le, pour qu'à nous vienne l'héritage ». —
Marc (xii,7):<( Mais ces vignerons se dirent entre eux : « C'est l'héri-
tier. Allons, tuons-le, et l'héritage sera pour nous ». La folie de ces
vignerons atteint ici au comble ; mais il faut regarder le sens de l'al-
légorie, Israël est censé avoir tué le Fils de Dieu pour s'assurer la pos-
session perpétuelle de la vigne : si.les Juifs pensaient.se rendre ainsi
héritiers, c'est une pure insanité qu'on leur prête, et tel est le sens
apparent da texte; mais, le Fils étant le Seigneur Jésus et le Sauveur
des hommes, il est possible que la préoccupation des vignerons soit
d'asçurer l'héritage à eux seuls, au fond, de prévenir toute participa-
tion des païens au salut, l'efietde leur crime devant être, au contraire,
la transmission de l'héritage aux païens à l'exclusion des Juifs. Le trait
serait d'ailleurs dépourvu de toute signification intelligible en tant
•que sentiment des chefs du judaïsme :à l'égard de Jésus. — « Et
l'ayant jeté hors delà vigne, ils le tuèrent ». — Marc (xn, 8) : « Et
s'étant saisis de lui.ils le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne». Marc
fait tuer le fils dans la vigne et jeter le cadavre dehors ; notre auteur,
•comme Matthieu (xxr, 39), fait traîner le fils hoi's de la vigne avant qu'on
le tue, parce que Jésus a été crucifîéhors de Jérusalem (cf. Hédb. xin,
12). La variante à l'égard de Marc peut avoir été acceptée, non conçue
d'abord, par l'évangéliste lui-même, puisqu'elle est aussi dans Mat-
thieu. Ce doit être le développement même de la légende évangélique
qui l'aura provoquée, l'allégorie primitive ayant été construite, sinon
sans aucun égard aux circonstances réelles de la mort et de la sépul-
ture de Jésus, tout.au moins dans un temps où le schéma traditionnel
de la passion, de la sépulture et de la résurrection n'était pas encore
arrêté dans ses lignes principales.
« Que leur fera donc le maître de la vigne ? Il viendra et fera périr
■ces vignerons, et il donnera la vigne à d'autres ». — Pour le relief de
480 LUC, XX, 17-19
1' Mais lui, les regardant, dit :
« Que signifie donc cette Ecriture :
« La pierre qu'ont rejetée tes constructeurs,
c'est elle qui est devenue pierre d'angle y) ?
18 Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé ;
celui sur qui elle tombera, elle l'écrasera. »
^^ Et les scribes et les grands-prêtres cherchèrent
à mettre les mains sur lui à l'heure même,
et ils craignirent le peuple ;
car ils avaient compris qu'il avait dit pour eux cette parabole,
cette substitution, qui est celle des Gentils aux Juifs dans la possession .
du salut, notre évangéliste, au lieu d'amener tout de suite, comme
Marc, le texte de psaume qui sert de conclusion à la parabole, inter-
cale une protestation des auditeurs. — « Or, ayant entendu cela, ils
dirent : « A Dieu ne plaise !» — Les Juifs protestent contre-la con-
damnation des premiers vignerons, comme s'ils comprenaient qu'il
s'agit d'eux. Il est incroyable que l'évangéliste ait voulu seulement
leur faire témoigner de l'effroi devant la conclusion du récit, s'ils ne
se sentent pas eux-mêmes en cause. On dix-a tout à l'heure qu'ils
ont compris la parabole, et rien ne fait supposer que la citation pro-
phétique seulement leur en aura donné l'intelligence. Notre auteur
aui'a trouvé que- le rapport de la citation avec le récit parabolique
n'était pas suffisamment indiqué dans Marc, et par un de ces artifices
de dialogue qui lui sont familiers, il fait faire aux auditeurs une pro-
testation qui attire directement sur leurs têtes la prophétie redoutable
(^s. lit ici : « Et entendant cela, ils comprirent qu'il avait dit pour
eux cette parabole », et omet l'indication à la fin du v. ig).
(( Mais lui, les regardant». — Non d'un œil irrité,carla protestation
n'a rien d'offensant pour lui, mais pas non plus d'un œil bienveillant,
puisqu'il va confirmer la prophétie ; le regard direct doit être ici pour
soutenir la parole, et lalancer.pour ainsi dire à bout portant, sur ceux
que concerne la malédiction. - «Dit: « Que signifie donc cette Ecri-
ture ?» — Marc (xix, xo) '■ « N'avez-vous pas lu cette Ecritux'e? » Noti'e
auteur retient seulement la première pai'tie de la citation du Psaume
(cxviii, l'i.) : — « La pierre qu'ont i*ejetée les consti'ucteui's, c'est elle
qui est devenue pieiM'e d'angle ». — Et la seconde pax'tiede la citation
dans Marc (xii, ii) fait ici place à une sorte de glose, synthèse artifi-
cielle de passages bibliques (Is. viir, i4-i5 ; xxviii, i3 ; Dan. xi, 35),
où l'image de la pierre sur laquelle on tx'ébuche, et celle de la pieri'e
LUC, XX, 20 . 481
2" Et se mettant au guet, ils envoyèrent (gens) apostés,
qui feignaient d'être justes,
pour qu'ils le surprissent en parole,
afin de le livrer au pouvoir et à l'autorité du gouverneur.
•qui brise ce qu'elle atteint, viennent compléter l'image de la pierre
•d'angle (cf. I Pier. ir, 7-8). — « Quiconque tombera sur cette pierre
sera brisé :, celui sur qui elle tombera elle l'écrasera », — L'évangé-
liste aura trouvé toute faite dans quelque recueil cette combiriaison
de textes sur le Christ-pierre, et la menace contenue dans cette finale,
-comme celle qui se lit en termes exprès dans Matthieu (xxi, 43), sert à
expliquer l'impression fâcheuse que produit sur les membres du
■sanhédrin la parabole des Vignerons. 11 est signifié au peuple et à ses
•chefs que le Fils de Dieu par eux tué devient la pierre d'angle d'un
édifice nouveau ou ils n'auront point accès, l'image de l'édifice se
substituant à celle de la vigne ; et cette même pierre devient celle
à laquelle trébuchent, sous laquelle sont écrasés les ennemis de Dieu,
•les Juifs, meurtriers du fils que le maître delà vigne leur avait envoyé,
•et qu'il a exterminés pour ce fait.
« Et les scribes et les grands-prêtres eurent envie de mettre la main
sur lui à l'heure même ». — Marc (xii, 12) : « Et ils avaient envie de
•s'emparer de lui ». — « Kt ils craignirent le peuple ». — Marc ; « la
toule ». — « Car ils avaient compris qu'il avait dit pour eux cette pa-
rabole » — Et notre auteur laisse tomber le trait final de Marc : « Et
le laissant, ils s'en allèrent », dont quelques témoins (D. mss. lat.)
gardent cependant trace au commencement du récit suivant (sur la
significationpremiére de cette notice, conclusion invraisemblable d'un
invraisemblable discours, voir ilfarc, 344)-
if
LXXVII. Le tribut de César
c( Et s' étant mis au guet )) . — Début suspect et qui fait double emploi
avec la fin delà phrase (■rcapaT-ripvicavxeç, ici, demanderait un complément;
cf. Klostbrmann, 559). La leçon des témoins précités (àTto'/ojpTjcavTEç) :
« Et s'étant éloignés », est plus naturelle, et elle peut sembler indis-
pensable, vu que, si les membres du sanhédrin sont restés sur place,
ils n'ont pas besoin d'envoyer personne pour questionner Jésus. —
« Ils envoyèrent des gens apostés qui feignaient d'être justes ». —
Marc (XII, i3) : « Et ils lui envoyèrent quelques-uns des pharisiens
«t des hérodiens ». — Notre évangile laisse tomber cette mention des
A. I.01SY. — UÉvanffile selon Lac. 3i
482 LUC, XX, 21-24
2^ Et ils l'interrogèrent, disant: «Maître,
nous savons qu'en droiture tu parles et enseignes,
et que lu ne fais pas acception de personne,
mais que selon vérité tu enseignes la voie de Dieu :
22 nous est-il permis de donner le tribut à César ou non? »
23 Mais, ayant remarqué leur fourbe, il leur dit :
« Montrez-moi un denier .
'* De qui porte-t-il image et inscription ?»
Et ils dirent : «De César. »
hérodiens (comme lia laissé tomber celle de Me. m, 6), et au lieu de-
désigner les pharisiens par leur nom de secte, il se sert de la para-
phrase déjà employée (xviii,9)dans le préambule de la parabole du
Pharisien et du publicain. On dirait que les lecteurs sont supposés ne-
pas s'intéresser aux divisions intérieures du judaïsme au temps de
Jésus et les connaître mal. ~ « Afin de le sui'prendre en paroles ».
— C'est ce que dit Marc, mais notre auteur ajoute, pour marquer
l'importance de la question, et trahissant ainsi celle que lui-même y
attache : — « pour le livrer à l'autorité et au pouvoir du gouverneur »..
— « L'autorité » (àp^v)), qualité de chef, doit être celle du gouverneur,
aussi bien que « la puissance » {k^ouaia), exercice de gouvernement, le
sanhédrin n'ayant pas à intervenir dans l'affaire du tribut; d'ailleurs
ce sont les membres du sanhédrin qui envoient les émissaires dont
il s'agit, et l'auteur n'entend pas signifier qu'ils veuillent livrer Jésus
à leur propre tribunal ,
« Et ils l'interrogèrent, disant : « Maître.nous savons que tu parles
et enseignes en droiture )). — Marc (xir,i4) : « Et venant, ils lui dirent :
« Maître, nous savons que tu es sincère, et que tu ne tiens compte de
qui que ce soit », — « Et que tu ne fais pas acception de personnes ».
— On a proposé de traduire (Lagra.nge,5i3) : « et que tu ne joues pas
un rôle » ; mais il n'est pas probable que l'auteur ait retenu cette for-
mule biblique en y attachant un autre sens que Marc (dans les passages
d'Epictète cités par Lagrange, c'est àvaXa[;i,pàve'.v, et non )va[x|3âv£iv, qui .
est employé avec TcpôawTrov, dans le sens de « prendre un masque »).
— «Mais que selon la vérité tu enseignes la voie de Dieu ». — Marc :
« Car tu ne fais pas acception » etc. — « Nous est-il permis de payer
le tribut à César, ou non ?» — Marc ajoute : (( Le paierons-nous, ou
bien ne le paierons-nous pas ? »
(( Mais, ayant compris leur ruse, il leur dit ». — Marc (xu, i5 :
« Mais lui, sachant leur hypocrisie, leur dit ». — « Montreiz-moi un
LUC, XX, 25-27 48^.
26 Et il leur dit :
« Rendez donc ce qui eut de César à César,
et ce qui est de Dieu à Dieu. »
. 26 Et ils ne purent le surprendre en parole devant le peuple,
et tout étonnés de sa réponse, ils se turent.
2' Or, s'élant approchés, quelques-uns des sadducéens,
ceux qui contestent que résurrection il y ait,
denier w. — Marc: « Pourquoi m'éprouve/-vous ? Apportez-moi un
denier pour que je voie » — « De qui porte-l-il image et inscription ?»
— Notre auteur ne s'ari'ête pas aux détails de Marc (xii, ï6) : « Et ils
en apportèrent un. Et il leur dit : (( De qui est cette image avec l'ins-
cription ? )) Au point de vue de la vraisemblance ces détails ne sont
pas superflus, lesquestionneui's n'étant pas censés avoir sur eux de
cette monnaie pi'pfane. — « Or ils dirent : (( De César».
« Et il leur dit : a Rendez donc ce qui est de César » etc. « Et ils ne
purent lui surprendre aucune parole devant le peuple » . — Notre
auteur tient à le constater en termes exprès, visiblement préoccupé
de montrer que Jésus a été irréprochable sur cette question du tribut,
qui est d'actualité. "pour les chrétiens. En se montrant contiùbuables
exacts, ils ne'font qu'appliquer une leçon de leur maître. — « Et tout
étonnés de sa réponse, ils se turent ». — Marc (xii, 17) : « Et ils furent
tout étonnés de lui )).
L'anecdote du tribut tend à justifier le Christ d'avoir été en rébel-
lion contre l'autorité romaine, et sans doute a-t-elle été conçue à cet
effet, pour empêcher qu'on ne solidarisât les chrétiens avec les
zétotes juifs, l'évoltés contre la domination impériale. Il n'est point
■ du tout certain que Jésus et ses premiers sectateurs aient considéré
si favorablement l'autorité de César, mais on comprit d'assez bonne
heure la nécessité de ce ralliement, bien qu'il ait comporté des excep-
tions, témoin l'Apocalypse johanriiquè.
LXXVIIl. La résurrection des morts
Gomme la question du tribut était censée posée par les pharisiens,
celle de la résurrection est posée par les sadducéens, qui ne croient
pas à cette doctrine professée par le christianisme comme par le
judaïsme pharisaïque : évidemment l'intention des rédacteurs évan-
géliques a été de montrer Jésus aux prises avec les principales sectes
juives de l'époque, et, pour les sadducéens, on n'avait que l'ai'ticle de-
484 LUC, XX, 28-32
riiiterrogèrent, 28 disant :
« Maître, Moïse nous a prescrit
que, si un frère meurt ayQRl femme,
et qu'il soit sans enfant^
son frère prenne la jemme
et suscite postérité à son frère.
^° II était donc sept frères :
et le premier, ayant pris femme, est mort sans enfant ;
30 et le deuxième, ^^ puis le troisième l'ont prise,
et ainsi de suite les sept n'ont pas laissé d'enfants et sont
[morts ;
22 enfin la femme aussi est morte. '
la résurrection ; rien d'ailleurs n'est plus disparate que cette question
et celle du tribut, [d'autant que le point de la résuiTection est traité en
dispute d'école, et que tout le morceau, objection et réponse, pour-
rait avoir été emprunté tel quel à la casuistique juive. On remarquera
toutefois que la réponse attribuée à Jésus est double et que le second
argument (xx, 37-38) paraît avoir été ajouté à l'anecdote déjà cons-
ti'uite, en sorte que, si l'anecdote a été empruntée à la scolastique
juive, cet argument, qui peut être aussi bien juif d'origine, a chance
néanmoins d'avoir été ajouté à l'anecdote dans la tradition ckrétienne
(cf. BULTMANN, l3).
« Or, s'.étant approchés ». — Il semblerait que ce soit, au moins
pour la perspective, en suite de l'incident du tribut. — «Quelques-uns
des sadducéens,.qui disent qu'il n'y a pas de résurrection, l'interro-
gèrent, disant ». — Redressement de Marc (xii, i8) : « Et vinrent à lui
des sadducéens, qui disent qu'il n'y a pas de résurrection », etc. — '■
« Maître, Moïse nous a prescrit que si un frère meurt ayant femme et
qu'il n'ait pas d'enfant » etc. — Marc (xii, 19) : « Si un frère meurt
laissant une femme, sans laisser d'enfant ». — « Sept frères donc
étaient ». — Marc (xii, ao) n'a pas « donc ». — « Le premier, ayant
pris femme, est mort sans enfants ». — Marc : « Le premier prit
femme et, mourant, ne laissa pas postérité ». — « Le deuxième, le
troisième l'ont épousée, et ainsi de suite les sept n'ont pas laissé
d'enfants et sont morts ». — Entendons : et ainsi de suite jusqu'au
septième, tous étant morts l'un après l'autre sans laisser d'enfant.
Marc (xii, 21-22) : « Le deuxième la prit et mourut sans laisser posté-
rité ; le troisième pareillement, et les sept ne laissèrent pas posté-
rité », c'est-à-dire que les autres épousèrent aussi, pour le même
LUC, xx, 33-30 485
23 La femme donc, en la résurrection,
duquel d'entre eux devient-elle femme ?
Car les sept l'ont eue pour femme ? »
^*Et Jésus leur dit:
« Les enfants, de ce monde-ci sont épouseurs et épousées ;
3^ mais ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part à ce mondé-là
et à la résurrection d'entre les morts
ne sont pas épouseurs ni épousées ;^
^^ car ils ne peuvent plus mourir ;
car ils sont pareils iiux anges, et ils sont fils de Dieu,
étant fils de la résurrection.
motif et sans plus de résultat. — « En dernier lieu, lu femme aussi est
morte ». — Marc : « Après tous,la,femme » etc. — « La femme, dans
la résurrection, de qui donc devient-elle femme ? Car les sept » etc.
— Marc (xii, aS) : «'Dans la résurrection, quand ils ressusciteront,
duquel d'entre eux sera-t-elle femme ? Car les sept )x etc.
« Et Jésus leur dit ». — Notre auteur laisse tomber la remarque
préliminaire (Me. xu, 24): <' Ne seriez-vous point dans l'erreur, faute
de connaître les Ecritures et la puissance de Dieu » ; mais il paraphrase
le principal de la réponse. — « Les enfants de ce monde épousent »,
— prennent femme, s'ils sont hommes, — «et sontépouséés)), — pris eu
épouses, s'ils sont femmes. Quelques témoins (D mss. lat.) ont une
façon de doublet : «sont engendrés et engendrent, épousent et sont
épousés », et d'autres (ms. lat. Cypr.) ont seulement : « engendrent
et sont engendrés » (Ss. : « sont engendrés et engendrent »). On ne
peut guère retenir (avec Klostermann, 56o) cette leçon de préférence
à la leçon commune, car l'équilibre de la phrase paraît exiger qu'il
soit ici question de mariage. — « Mais ceux qui auront été jugés
dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection d'entre les
morts », — c'est-à-dire, à « la résurrection des justes » (cf. xiv, i4), et
l'auteur a soin de ne pas dire « la résuri'ection dos morts », — « ne
sont ni épouseurs ni épousées ». — Marc (xii, aS), simplement : « Car,
lorsqu'on ressuscitera d'entre les morts, on ne sei-a ni épouseur, ni
épousée, mais on sera comme anges dans les cieux ». — Ce dernier
membre de phrase est également paraphrasé par notre auteur. —
« En effet, ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges ».
— Les ressuscites n'ont pas besoin de se marier, parce qu'ils sont
immortels, comme les anges. C'est bien ce qu'entendait Mai'c en
disant que les ressuscites ne se marieront pas, parce qu'ils seront
486 LUC, xx,*3740
3' Mais, que ressuscitent les morts,
Moïse aussi l'a t'ait entendre, à l'endroit du buisson,
quand il dit Seigneur Dieu d'Abraham^ Dieu d'Isaac et Dieu
[de Jacob.
^^ Il n'est pas Dieu de morts, mais de vivants ;
car tous lui sont vivants. »
^^ Or, prenant la parole, certains des scribes dirent :
« Maître, tu as bien parlé. »
*" Car ils n'osaient plus lui adresser question aucune.
comme les anges. Mais il est évident que les deux évangélistes ne
pensent qu'à la résurrection des justes. — « Et ils sont fils de Dieu,
étant fils de la résurrection ». — Gomme ils sont immortels et pareils
aux anges, ils sont aussi fils de Dieu par le fait de leur résurrection
dans la gloire. L'espèce d'équivalence établie enti'c les qualités
d'immortel, ressuscité, ange, fils de Dieu (cf. Gen. vi, a, 4), niérite
d'être notée. L'omission des mots : « et ils sont fils de Dieu », par
un témoin, notable (Ss.) ne semble pas autoriser l'hypothèse d'une
glose explicative (admise par Klostermann, 56o, après WbllhÀusbn,
ii3). La formule :« fils de la résurx'cction », est un hébraïsme du
rédacteur évangélique.
(( Mais, que les morts ressuscitent, Moïse aussi le fait entendre, à
l'endroit du buisson». — Notre auteur a bien senti que Marc (xii,
26) allait un peu loin en présentant comme une preuve directe de
l'immortalité des patriarches le passage de l'Exode (m, 6) où ils sont
nommés : « Et quant à la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu
dans le livre de Moïse, à l'endroit du buisson, comment Dieu lui pai-la,
disant » etc. 11 ne s'agit ici que d'une inférence ou d'un symbole :
c'est encore beaucoup plus que ne comporte le sens naturel du
texte. Moïse « indique » ('£[j.vivug£v) et signifie l'immortalité des justes
— « quand il nomme Seigneur Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et
Dieu de Jacob. Or il n'est pas Dieu de morts mais de vivants ». — A
cet argument de Marc (xir, 27) notre auteur ajoute : — « Car tous
lui sont vivants ». — Non que tous les morts, bons et iriéchants,
soient dits simplement subsister devant Dieu parce qu'il les connaît ;
ou que du moins les justes "soient censés présents à la pensée de
Dieu, qui doit les ressusciter; mais parce que les justes défunts, ceux
qui ont pour Dieu le Seigneur, dès avant le grand jugement, quand le
monde les tient pour morts, vivent à Dieu, unis à lui, et partagent sa
félicité (cf. XVI, ig-Si; xxni, 4^; Marc, 353). La réflexion paraît
LUC, XX, 41-43 487
41 Mais il leur dit :
« Comment dit-on que le Christ est fils de David ?
^2 Car David lui-r^ême dit, au livre des Psaumes :
« Seigneur a dit à mon Seigneur :
« Assieds-toi à ma droite,
'^^ jusqu'à ce que je mette tes ennemis
en escabeau sous tes pieds. »
•empruntée au quatrième livre des Machabées (vu, 19 ; xvi, aS ;
l'auteur a en vue l'immortalité des âmes justes. Le rapport avec Act.
XVII, a8, est purement extérieur).
Notre évangéliste ayant reproduit ailleurs (x, aS-aS) la question du
grand commandement (Me. xii, 28-34) ne laisse pas de puiser dans
Marc une conclusion pour l'anecdote des sadducéens. Marc (xii, a8)
dit qu'un des scribes, trouvant que Jésus avait bien répondu aux
sadducéens, lui posa la question du grand commandement; notre
auteur reprend : — « Et certains des scribes, prenant la parole,
dirent : « Maître, tu as bien parlé *. — Marc (xii, 34) a dit pour finir :
« Et nul n'osait plus l'interroger » ; notre auteur s'empare de cette
phrase en la rattachant à la première par un « car » (SBL, oùxét'. yâp)
dont la tradition a été assez embarrassée pour que plusieurs témoins
^ient jugé bon de le supprimer (AD etc. oùkétc 5e), et il éprit ; — « Car
ils n'osaient plus lui demander rien». — La contradiction est fla-
grante avec Marc, où précisément un scribe interroge parce que
Jésus a bien répondu aux sadducéens ; mais il serait arbitraire
d'entendre que ce sont les sadducéens qui n'osent plus interroger le
Christ. Rien n'est plus artificiel que cette conclusion; cependant
l'auteur entend que tous les questionneurs sont en déroute, et que
les scribes, adversaires du Christ, aiment mieux l'applaudir plus ou
moins sincèrement que de lui ménager d'autres victoires en lui posant
de nouvelles questions.
LXXIX. Lb Fils de David
En suite de cette combinaison, notre auteur fait adresser aux scribes
eux-mêmes la question de Jésus touchant la filiation davidique du
Christ. — « Or il leur dit : « Comment dit-on », — comment peut-on
-dire — « que le Christ est fils de David ?» — Marc (x, 35) : « Et prenant
la parole, Jésus dit, enseignant dans le temple : « Comment les scribes
disent-ils que le Christ est fils de David ? » On voit Tartifice du i-ema-
aiiement : notre auteur, faisant adresser la question aux scribes et ne
488 LUC, XX. 44
** Ainsi David l'appelle Seigneur ;
comment donc esl-il son fils ?»
voulant pas les mettre en cause en faisant dire à Jésus : « Comment
dites- vous » etc., s'est borné à supprimer « les scribes » dans le
libellé de la question, ce qui donne à la phrase une tournure indé-
cise. — u Car David lui- môme dit, au livre des Psaumes », — La réfé-
rence n'avait guère besoin d'être précisée, et Marc (xit, 36) préférait
accentuer l'inspiration du roi prophète : « David lui-même a dit par
l'Esprit saint ». — « Seigneur a dit » etc. « Ainsi David l'appelle
Seigneur : comment donc est-il son fils ?» — Mai'c (xn, 3^) : « David
lui-même l'appelle Seigneur : et d'où vient qu'il est son fils ? » Notre
auteur laisse tomber la réflexion de Marc : «Et tout le peuple l'écou-
tait avec plaisir ».
On serait curieux de savoir comment il s'arrangeait de cette anec-
dote, bien peu compatible, au fond, avec les récits de la naissance
(cf. 1, 32, 69). Sans doute subordonne-t-il, comme Marc(cf. il^arc,36o)'
et Matthieu, la filiation davidique à la filiation divine par laquelle
se justifient et le titre de Seigneur et le culte du Christ ; mais il se
pourrait que le sens naturel de cette péricope eût été gardé assez,
longtemps dans certaines branches de la tradition évangélique,
puisque l'épître dite de Barnabe (xii, 10) fait au Christ l'application
du texte en en tirant argument contre la filiation davidique. On con-
çoit diflicilement que Jésus ait ainsi argumenté sans nécessité pour
prouver qu'il pouvait se passer de la filiation davidique, et allégué le
texte où la tradition chrétienne a pensé reconnaître son Christ res-
suscité et glorifié, le Seigneur Christ ; il n'est pas non plus très pro-
bable que l'argumentation ait été conçue dans la communauté judéo-
chrétienne, pour démontrer que Jésus était plus grand que David, et
parce qu'on n'était pas en mesure de le rattacher à la descendance
royale ; elle aura été plutôt élaborée dans quelque groupe helléno-
chrétien où l'on croyait pouvoir sacrifier la filiation davidique en
s'autorisant de l'Ecriture et en professant que le Seigneur Christ
n'avait pas besoin d'êti*e descendant d'un roi, si toutefois on lui attri-
buait une descendance humaine (cf. Bultmann, 83 ; Bousseï, Kyrios
Christ os, 5, 5i).
LXXX. Les Pharisiens
Bien qu'il ^ait reproduit plus haut (xi, Sy-Sa) le discours contre
les pharisiens, notre évangéliste retient l'abrégé qu'en a fait Marc
LUC, XX, 45-47 ; xxi, i 489
^^ Et tout le peuple entendant, il dit aux disciples :
*^ « Défiez-vous des scribes,
qui affectent de se promener en robes,
qui aiment les salutations sur les places,
les premiers sièges dans les synagogues,
et les premiers lits dans les repas ;
" qui dévorent les maisons des veuves
et font semblant de prier longuement.
Il en seront plus sévèrement jugés. »
^^^ Et regardant, il vit les riches
qui jetaient au tronc leurs offrandes ;
(xii, 38-4o). — « Or, tout le peuple entendant, il dit aux disciples t.
— Le cas n'est pas nouveau de ce double auditoire, disciples pour qui
la leçon est donnée, peuple qui est plutôt témoin qu'auditeur véri-
table. Ce qui est remarquable ici est la rencontre avec Matthieu
(xxiii, i) : « Alors Jésus parla à la foule et à ses disciples », tandis
qu'on lit dans Mai'c'(xii, 38) : «El il disait en son enseignement».
Mais la présence du peuple a été déduite du contexte de Marc, qui
parait faire adresser l'instruction à la foule ; Matthieu ajoute les dis-
ciples en vue des additions rédactionnelles qui les concernent dans
le discours ; notre évangéliste compense par la mention du peuple
l'omission de la notice (Me. xii, 87) : « Et la masse du peuple l'écou-
tait avec plaisir » ; et il fait adresser le discours aux disciples,
parce qu'il lui a paru convenable que la condamnation du judaïsme,
représenté par les scribes, ne fût pas signifiée directement au peuple
réprouvé.
« Défiez-vous des scribes ». — Marc; « Gardez-vous {■;:ç>of>\iT,sx£. Le.
7ïpoffé-/£T£) des sci'ibes ». — « Qui aiment se promener en robes, qui
afïectionnent les salutations sur les places ». — Mare : « Qui aiment
se promener en robes et les salutations sur les places ». — a Les pre-
miers sièges dans les synagogues » etc. On peut bésiter à penser que
le même auteur ait inséré ici ce résumé de Marc, et logé plus haut si
mal, en le remaniant si étrangement, le discours contre les phari-
siens.
LXXXL Lk i.iard de la veuve
Comme il arrive pour bien d'autres anecdotes, celle de la veuve au
liard est plus sobrement esquissée dans notre évangile que dans
490 LUC, XXI, 2-4
2 mais il vit aussi une veuve pauvre
qui y jelait deux petites pièces ;
'et il dit : « Eu vrai je vous dis
que cette veuve pauvre plus que tous a jeté ;
* car tous ceux-ci de leur supertlu ont jeté aux offrandes ;
mais elle, de son dénuement,
tout ce qu'elle avait de ressources elle a jeté. »
Marc (xir, 4i"44)' — '-^ Et levant les yeux il vit les gens riches qui
jetaient leurs offi-andes dans le tronc ». . — Les gens riches se con-
fondent dans la perspective avec les pharisiens, et l'anecdote de la
veuve fait pendant au précédent discours, la veuve n'étant pas loin
de personnifier pour notre auteur la communauté chrétienne (cf. la
veuve de xviii, i-8). Marc(xii, 4i) est plus circonstancié : «Et s'étant
assis en face du tronc (sur ce tronc, voir Marc, 363), il regardait
comment la foule jetait de la monnaie dans le tronc, et plusieurs en
jetaient beaucoup ». Notre auteur n'a voulu considérer que ces l'iches,
pour le contraste avec la veuve.
« Etil vit une veuve pauvre qui y jetait deux petites pièces », —
Marc (xii, 42) : « Et venant, une veuve pauvre jeta deux petites
pièces, c'est-à-dire un liard ». — « Et il dit ». — Marc (xii, 43) : «Et
appelant à lui ses disciples, il leur dit «. Notre auteur n'a pas besoin
de faire appeler les disciples, puisque le discours précédent leur a été
adressé et que Jésus est censé, de la même place, n'avoir eu qu'à lever
les yeux pour voir ce qui se passait autour du tronc. — « En vrai
je vous dis que cette veuve pauvre a mis plus que tous m. — Marc :
« En vérité (à[/.-(iv, remplacé dans Luc par àXviSojç) je a'^ous ■ dis que
cette veuve pauvre a jeté plus que tous ceux qui ont jeté au tronc ».
— « Car tous ceux-là ont jeté de leur superflu pour les offrandes ». —
Marc (xii, 44) • « Clar tous ont jeté de leur superflu ». — « Mais elle,
c'est de son indigence qu'elle a jeté toutes les ressources qu'elle
avait ». — Marc : « Mais elle, c'est de son indigence qu'elle a jeté
tout ce qu'elle avait, toutes ses ressources ». Grâce à ce qu'elle a de
iiymbolisme, l'anecdote de la veuve peut servir en quelque manière
d'introduction au discours sur la fin du monde.
Par elle-même l'anecdote est une scène idéale, sans grande portée,
construite sur un thème antérieurement connu, thème de récit moral
ou de fjarabole (cf. Bulïmann, 16), qu'on n'est pas obligé de suppo-
ser employé en quelque occasion par Jésus lui-même ; et ce récit a
été utilisé, faute de mieux, pour enrichir la légende de Jésus.
LUC, XXI, 5-7 491
^ Et certains disant du temple
qu'il était orné de belles pierres et d'ex-voto,
il dit : « ^ Ce que vous voyez là,
viendront des jours où il n'en restera pas pierre sur pierre
qui ne soit renversée! »
' Et ils l'interrogèrent, disant :
« Maître, quand donc cela sera-t-il,
et quel sera le signe quand cela sera au point d'arriver ? »
LXXXII. La Fin
Le discours eschàtologique paraît ici prononcé dans les mêmes cou-
-ditions que les propos précédents, devant le peuple et pour les dis-
<:iples. — « Et certains », — il n'est pas dit expi'esséinent que ce
soient des disciples, — « disant du temple qu'il était orné de belles
pierres et de dons ». — Sorte d'adaptation de ce qui se lit dans Marc
(xin, r) : « Et comme il sortait du temple, un de ses disciples lui dit :
« Regarde quelles pierres et quels bâtiments ». Notre auteur a voulu
remplacer les « constructions » par les ex-voto, que lui a fait connaître
Josèphe, et dont il veut paraître informé. 11 n'a pas compris ou n'a
pas voulu comprendre pourquoi Marc avait atténué la parole du
Christ sur le temple et l'avait fait prononcer seulement devant les
disciples (voir Marc, 365) ; il n'a pas compris davantage ou il n'a
pas voulu comprendre pourquoi aussi Marc avait fait dire le discours
général sur la fin du monde en manière de confidence aux quatre
principaux disciples, et il s'est i-isqué à laire de ce discours la der-
nière prédication publique de Jésus dans le temple. Il suffît de cons-
tater ce progrès dans la fiction.
« Il dit ; « Ce que vous voyez là, viendront des jours où il n'en
restera pas pierre sur piexTe qui ne soit renversée ». — Marc : « Et
Jésus lui dit : «Tu vois ces grands bâtiments ? Il n'en restera pas » etc.
Notre auteur laisse voir que des « jours » très nombreux sont déjà
passés depuis que cette prétendue prophétie a reçu son accomplisse-
ment .
a Or ils l'interrogèrent, disant ». — Les interrogateurs sont ceux
-qui ont fait la réflexion précédente sur les constructions du temple.
Dans Marc (xiii, 3) : « Et quand il se fut assis sur la montagne des
Oliviers, en face du temple, Pierre, Jacques, Jean et André lui de-
492 . LUC, XXI, 8
^ Et il dit '. « Voyez à n'èlre p'as trompés ;
car beaucoup viendront en mon nom,
disant : « Je le suis »,
et : « Le temps est proclie ».
N'allez point à leur suite.
mandèrent en particulier », — « Maître, quand donc cela sera-t-il
et quel (sera) le signe que cela va venir ? » — Marc (xiii, 6) : « Dis-
no-us quand cela sera, et quel (sera) le signe que tout cela est près de
s'accomplir ? » Notre auteur fait employer aux questionneurs le mot
(SioâffxaAe) qu'emploient les étrangers qui appellent Jésus « maître »•
(les disciples disent xûpts ou kitia-rAzx. Wellhausen, ii6), ce qui donne-
rait à penser qu'il n'a pas voulu les prendre parmi les disciples, bien
que le discours soit pour l'instruction de ceux-ci, c'est-à-dire des
fidèles. 11 n'est pas indifférent de noter (avec Wellhausen, loc. cit.)
que, dans notre évangile, les disciples ont reçu plus havit (xvii, 22-3^)
sur le sujet une instruction qui semblerait rendre superflue de leur
part la question qui est ici posée.
L'ordonnance du discours est la même que dans Marc, et l'on y dis-
tingue encore assezfacilement les trois points fondamentaux, commen-
cement, comble des douleurs, parousie; mais notre auteur évite ou atté-
nue les doubles emplois par rapport à ce qui a été dit auparavant, et il
utilise l'expérience des temps écoulés. — « Et il dit ». — Marc (xiii,.
5) : « Et Jésus se mit à leur dire ». — « Voyez à n'être pas trompés ».
— Marc : « Voyez à ce que nul ne vous trompe ». — « Car beaucoup
viendront eu mon nom, disant : « Je le suis », et : « le temps en pro-
pose ». — Marc (xiir, 6) a seulement : « Beaucoup viendront en mon
nom, disant : « Je le suis » ; et Matthieu (xxiv, 5) explique : « Je suis
le Christ » (sur la difficulté de la formule : «en mon nom», voir Marc
370). Les mots : « Je le suis » (kyôi £ip,t) pourraient ne pas signifier
précisément : « Je suis le Christ », mais être une sorte de formule-
sacramentelle dans le langage mystique de certains cultes pour signi-
fier l'épiphanie divine en un individu donné. Il y aurait là une con-
ception du Christ qui confinerait à celle du quatrième évangile, où la
même formule est employée, à ce qu'il semble, en ce sens absolu
(cf. ^^'.ETTER, « Ich hin es », dans Stud. u. Krit., 1915, Heft 2). Notre
auteur semble d'ailleurs orienter cette formule dans le sens propre-
ment messianique, tout comme Matthieu, puisqu'il y ajoute, en ma-
nière d'éclaircissement : « Le temps est proche » — « N'allez point
à leur suite». — Ceci remplace Marc : a Et ils en induiront beaucoup-
en erreur ». L'avei'tissement que notre auteur a mis au lieu de cette
LUC, XXI, 9-11 493
® Et quand vous entendrez parler guerres et révolulions,
ne vous effrayez pas ;
car cela doit arriver d'abord,
mais ce ne sera pas tout de suite la fin.
^° Alors il leur disait :
« Se lèvera nation contre nation et royaume contre royaume ;
^^ et grands tremblements de terre et par endroits pestes et fa-
[mines il y aura ;
apparitions terrifiantes et au ciel grands signes seront.
annonce en est aussi bien l'atténuation. Sans cloute s'agit-il toujours
des faux Messies qui ont paru en Judce avant la ruine de Jéru-
salem et que la source de Marc signalait comme se prévalant fausse-
ment d'une mission divine (voir Marc, 'i')o).
« Et quand vous entendrez parler guerres et révolutions, ne vous
effrayez pas ». — Marc (xiii, ;; ) : « Et quand vous entendrez parler
guerres et bruits de guerres,, ne vous troublez pas ». — «Car cela
doit arriver d'abord, mais ce ne sera pas tout de suite la fin ». —
Marc : « Cela doit arriver, mais ce n'est pas encore la fin ». Les mots
<( d'abord » (upôTov) et « aussitôt (eùOéw;) n'ont pas été ajoutés sans
intention par notre évangéliste.Marc semblait dire que la fin suivrait
immédiatement les guerres, et comme celles-ci n'avaient pas manqué
depuis le temps de Jésus, notre auteur a pris soin de marquer un
intervalle. Les révolutions dont il parle pourraient être les événe-
ments compris entre la fin du règne de Néron et l'avènement du Ves-
pasien.
La reprise : — « Alors il leur dit », — qui précède l'énumération
des fléaux, ne provient pas de ce que l'auteur utiliserait une autre
source, puisqu'il continue de suivre Marc ; elle est plutôt destinée à
élargir la perspective trop étroite de celui-ci, en renvoyant les sou-
lèvements de peuples contre peuples et les autres fléaux à un avenir
plus éloigné que les guerres et les révolutions dont il a été parlé en
premier lieu ; il est dit que les guerres et les révolutions ari'iveront
d'abord, parce qu'on les croit arrivées ; les soulèvements, famines et
autres fléaux appartiennent à l'avenir inconnu, que l'on s'obstine à
prévoir. — «On se soulèvera peuple contre peuple et royaume contre
royaume ». — Marc(xin, 8) ; « Car on se soulèvera » etc. — « Et il
y aura grands tremblements de terre et en divers lieux pestes et
famines ». — Marc : « Il y aura tremblements de terre en divers
lieux, il y aura famines ». — « Et il y aura choses terrifiantes et
494 LUC, XXI, i2-13
^2 Mais, avant toutî^cela,
Ton melira sur vous les mains et on vous persécutera,
vous menant aux synagogues et aux prisonsi
vous traduisant deyanl rois et gouverneurs à cause de mon
[nom ;
^3 cela finira pour vous à témoignage.
grands signes au ciel ». — Bien que ces signes effrayants (cf. Is., xix.
17) ne soient pas encoi'e le bouleversement du monde céleste et qu'il
s'agisse de prodiges ou phénomènes inquiétants, comme pluie de sang,
apparition de comètes, etc., il y a là quelque anticipation du dernier
acte de la tragédie apocalyptique ; car on ne peut guère distinguer
deux séries distinctes de pliénomènes célestes, ni voir dans les signes
en question les présages menaçants que Josèphe dit s'être produits
avant la prise de Jérusalem par Titus. Si l'indication de Marc (xiii,
9) : « C'est le commencement des douleurs », est omise, ce ne doit
pas être afin d'éviter unemétaphore peu intelligible pour les chrétiens^
de la gentilité, mais,' parce que les choses dont il vient d'être parlé
sont encore à venir.
C'est ce qui résulte aussi bien de la formule de transition : — « Mais
avant tout cela», — qui introduit l'annonce des premières persé-
cutions, lesquelles sont, par rapport à l'auteur, un fait déjà ancien,
Marc: «Mais prenez garde vous-mêmes à vous».' — «On mettra les
mains sur vous et on vous persécutera, vous livrant aux synagogues
et aux prisons ». — Marc : « Car on vous livrera aux tribunaux, vous
serez fustigés dans les synagogues». — Notre auteur omet la mention
des tribunaux juifs, et il ajoute aux synagogues juives les prisons
impériales ; il ne retient pas le trait de la fustigation. — «Traînés
devant rois et gouverneurs à cause de mon nom d . — Marc : « Vous
serez traduits devant gouverneurs et rois à cause de moi». Marc
entend les procurateurs de Judée et les empereurs de Rome (comme
Mt. X, 18) ; notre auteur, qui met les rois avant les gouverneurs^
serait fort capable d'avoir visé dans les rois les princes hérodiens
qui figurent dans les Actes. — « Gela vous deviendra témoi-
gnage ». — Formule contournée, pour ne pas dire avec Marc (et Mt.
loc. cit.) : « en témoignage pour eux ». Notre évangéliste veut dire
cependant aussi que la persécution fournira aux chrétiens l'occasion
de confesser leur foi, mais il aura hésité à dire que le témoignage
serait pour les juges. Le témoignage n'est pas le martyre, au sens chré-
tien du mot, une telle acception étant ici assez insignifiante et ne se
Li:c, XXI. 14-15 495.
1* Ayez donc bien à cœur
de ne préméditer point votre défense ;
^^ car je vous donnerai, moi, bouche et sagesse
à quoi ne pourront résister ni répliquer tous vos adversaires..
recommandant d'ailleurs ni par le contexte ni par l'usage du Nouveau
Testament, Il n'y a pas lieu non plus de s'arrêter à l'idée d'une preuve
de loyauté envers les pouvoirs établis, ou de fidélité au Christ, ou
d^assistance pi'ocurée par le Christ, ou à celle de l'honneur qui
revient à la foi courageusement professée, ou bien de raltestation
que le Christ rendra devant son Père à ceux qui lui auront été
fidèles. Si notre auteur ne reproduit pas ce , 'que dit Marc (xui, lo)
touchant la prédication de l'Evangile dans tout l'univers, ce ne doit
pas être seulement pour avoir fait réflexion que les persécutions
n'avaient pas atten'du la diflusion de l'Evangile dans tout l'empire,
mais a.ussi bien parce qu'il a senti l'incohérence qui résulte de ce
propos dans Marc.
« Mettez-vous donc bien au cœur» — la résolution— « de ne prémé-
diter point votre défense». — Mai'c (xm, ri) : «Et lorsqu'on vous
emmènera pour vous livrer, ne vous inquiétez pas de ce que vous
direz. » Dès ce début et dans le développement de cette pensée notre
auteur s'abstient de suivre textuellement Marc, parce qu'il a déjà
donné la même leçon (xii, 11-12), d'après là source où puise mainte-
nant Marc. — « Car je vous donnerai bouche » — éloquente — « et
■ sagesse à quoi tous vos adversaires ne pourront résister ni répli-
quer ». — Ceci nous détournerait presque du témoignage rendu
devant les tribunaux, pour nous orienter plutôt vers les discussions
doctrinales ; mais, en parlant de ces apologistes inspirés, l'évangé-
liste pense, et il veut que l'on pense à Etienne et à Paul.
« Mais vous serez livrés par parents, frères, proches, amis, et l'on
en tuera d'entre vous » . — Redressement peu réussi de Marc (xiii,
ra) : « Et frère livrera frère à mort, et père enfant; et enfants se lève-
ront contre parents et les feront mourir » — «Et vous serez haïs de
tous à cause de mon nom » . — Accord parfait sur cette formule avec
Marc (xiii, i3 ; etMi. x, 22). — Ce trait ne concerne plus les chrétiens-
devant les tribunaux, mais la masse des fidèles qui continue de vivre
au milieu d'un monde ennemi; — « Et pas un cheveu de votre tête ne
se perdra ». — Idée l'eprise d'un autre passage (xii, 7 ; cf. I Sam. xiv,
45, pour l'expression), pour relever ce qui suit : — « C'est par votre
patience que vous gagnerez vos vies ». — Interprétation de Marc
(Mt. X. 22; xxiv, i3) : «Mais qui aura persévéré jusqu'à la fin, celui-
49) LUC, xxr, 16-19
1^ Mais vous serez livrés même par parents et frères, proches et
[amis,
et l'on en fera mourir d'entre vous ;
" et vous serez haïs de tous à cause de mon nom.
^^ El pas un cheveu de votre tête ne se perdra :
1^ c'est par votre patience que -vous gagnerez vos vies,
là sera sauvé h. Eu égard surtout à l'assertion précédente, «gagner
sa vie » ne peut guère s'entendre de la vie éternelle gagnée, si besoin
est, par la moi*t temporelle, mais plutôt de l'existence préservée; ce
qui accentue la contradiction qui est déjà dans Marc; On vient de
dire que les chrétiens seront mis à mort : comment auront-ils la vie
sauve et ne perdront-ils pas seulement un cheveu ? Sans doute y a-
t-il un peu trop de subtilité à dire que, selon l'évangéliste, les
fidèles, qui mourront dans la persécution, retrôuv^iront tous leurs
cheveux quand ils ressusciteront (Lagrange, Saô). L'auteur vient
lui-même d'opposer le petit nombre de ceux qui seront tués, au com-
mun des croyants poursuivis par la haine du monde. Il semble donc
que nos évangélistes s'eflbi'cent à regarder les martyrs comme une
exception ; pour un peu on dirait que notre auteur, vivant pro-
bablement dans une période de tranquillité relative, les considère
comme appartenant au passé, les chrétiens ayant surtout à subir
les avanies et l'hostilité des hommes. Ses martyrs sont ceux de
l'âge apostolique, avant la destruction de Jérusalem (cf. I Glem.
v-vi). '' ■
«Mais quand vous verrez Jérusalem cernée de campements», —
d'une armée assiégeante, — « alors sachez que proche est sa déso-
lation». — L'exorcisation du synchronisme établi entre la ruine de
Jérusalem, et la parousie est poursuivie fort dextrement dans ce
passage, Marc (xûi, i4) : «Mais quand vous verrez Tabomination de
la désolation établie où elle ne doit pas être, — que celui qui lit
fasse attention ! — alors », etc. Notre auteur écarte tout ce mystère ;
l'influence de Marc ne se trahit que par l'emploi du mot «déso-
lation»; l'abomination, la profanation du temple n'est plus le signe
delà fin; c'est le siège de Jérusalem qui devient (après coup, très
visiblement) le signe de sa ruine prochaine, laquelle est acquise,
incontestablement, dans le temps où écrit l'évangéliste. Ce qu'on lit
ensuite de la fuite dans les montagnes se trouve n'avoir applica-
tion qu'à la circonstance du siège et non plus à la fin du monde ;
ainsi la prophétie acquiert une apparence de réalité qu'elle a
beaucoup moins dans Marc et dans Matthieu. Cette sorte de contact
LUC. XXI. 20-22 497
2" Mais, quand vous verrez cernée de campements Jérusalem,
alors sachez
que proche est sa désolation.
^1 Alors que ceux qui seront en Judée fuient aux montagnes ;
que ceux qui seront dans la (ville) s'en retirent,
et que ceux qui seront dans les campagnes n'y entrent pas ;
2* parce que ce sont jours de vengeance,
pour que soit accompli tout ce qui est écrit.
qu'elle prend avec l'histoire ne prouve pas que l'évangéliste ait dis-
posé d'une source particulière qui aurait été rédigée au commen-
cement du siège de Jérusalem, et que cette source pourrait même
être l'oracle, dont parle Eusèbe {Hist.eccl. 111,5,3), qui aurait décidé
les judéochrétiens de Jérusalem à se l'etirer à Pella (J. Weiss-
BoussET, 492). La précision des détails concernant la fuite se com-
prend tout aussi bien et même mieux à une certaine distance des
événements ; si notre auteur ne signale pas la destruction de Jérusa-
lem et du temple, c'est qu'il subit encore l'influence de Marc, où il
n'en était pas question, et qu'il ne se soucie pas d'y insister autre-
ment qu'en annonçant «la dévastation » de la ville (cf. xiii, 34 ; xix,
43-44) î ce qu il dit (xxi, 24) des Juifs tués ou emmenés en captivité
s'entend naturellement du sort de tous ceux qui ont péri dans le siège
ou qui furent pris quand la ville succomba ; il a parlé de ces choses
d'après la connaissance qu'il en avait, en imitant le style des
anciens prophètes, et pour montrer l'accomplissement des prophéties,
censées renouvelées, avec toute, la précision désirable, par Jésus.
« Alors que ceux qui seront en Judée s'enfuient aux montagnes » .
— C'est ce que dit Marc ; mais, au lieu de prendre ce que Marc ajoute
(xiii, i5-i6) à propos de ceux qui seront sur le toit ou dans les
champs, et qui devront fuir sans rentrer chez eux, notre, auteur, qui
a utilisé plus haut (xvii, 3i) ces traits, en fait une adaptation à Jéru-
salem et à la circonstance du siège. — a Que ceux qui seront au
milieu d'elle », — de la ville, et non de la Judée, — « s'en retirent,
et que ceux qui seront dans les campagnes n'y entrent pas », —
n'entrent pas à Jérusalem. La mention de la Judée fait équivoque,
mais ce n'est pas motif suffisant pour suspecter (avec Wellhausbn,
118) le premier membre de plirase: « Que ceux qui seront en Judée
s'enfuient aux montagnes », d'avoir été interpolé d'après Marc ; l'idée
de Jérusalem domine tout le développement, et l'équivoque existe
à peine ; l'évangéliste ne l'a pas sentie en retouchant à mesui'C le
A. LoisY. — VEvangile selon Luc. Sa
498 LUC, XXI, 23-24
23 Malheur à celles qui seront enceintes
et qui allaiteront en ces jours -là !
Car ce sera détresse. grande sur la terre,
et colère contre ce peuple.
24 Et ils tomberont au fil de l'épée,
ils seront emmenés captifs dans toutes les nations,
et Jérusalem sera foulée par Gentils,
jusqu'à ce que soient accomplis les temps de Gentils.
texte de Marc. Il est vrai que les «. campagnes » (x^p^O sont plutôt
les cantons de la province que la banlieue de la ville ; mais si l'on
supprime la mention des montagnes, il n'y aura .plus de but assigné
à la fuite. — « Parce que ce sont jours de vengeance », — les jours
où Dieu punit (cf. Jér. xlvi, Sept, xxvi, lo, Os. tx, y), où il ven-
gera les siens (xvni, 'j), — « pour que soit accompli tout ce qui est
écrit ». — Cette allusion aux prophéties anciennes est de remplis-
sage rédactionnel.
« Malheur à celles qui seront enceintes » etc. — Transcrit de Marc
(xni, 17). La recommandation de prier pour que la fuite n'ait pas
lieu en hiver (Me. xin, i8)ni lejour du sabbat (Mï. xxiv, 20) n'avait
plus de sens pour notre auteur, et il l'a simplement omise. — « Car
ce sera grande détresse sur la terre », — le pays de Judée, — « et
colère contre ce peuple », — le peuple juif. Marc (xni, 19-20) : « Car
ces jours-là sei'ont tribulation » etc., décrit une catastrophe mondiale
dont la Judée est seulement le centre, et qui sera une épreuve pour
les élus de Dieu ; notre auteur a corrigé à sa manière tout ce dévelop-
pement, où il ne veut voir que le sort fait aux Juifs et à Jérusalem
par les événements de l'an 70. — « Et ils tomberont au fll de l'épée,
ils seronteramenés captifs dans toutes les nations », — les Juifs seront
tués ou tomberont en esclavage, — « et Jérusalem sera foulée par des
Gentils », — comme l'a dit Daniel (viu, i3 ; cf. ap. xi, 2), — « jusqu'à
ce que soient accomplis temps de Gentils ». — A la lettre et d'après
le passage de Daniel dont s'inspire l'auteur, ce serait le temps assigné
par Dieu à la domination des païens sur Jérusalem dévastée. Il n'est
pas impossible que l'auteur ait également pensé au temps laissé aux
Gentils pour leur conversion (ce qui ferait droit à Me. xni, 10) ; mais
la forme du discours ne favorise guère cette hypothèse. L'auteur
conçoit comme limitée d'assez court la durée de l'empire, bien qu'il
n'en voie pas la fin très prochaine : les Juifs ont disparu comme
nation, la puissance qui les a détruits va dominer sur la terre durant
LUC, XXI, 25--26 499
2SEt seront signes ien soleil, lune et étoiles,
et sur la terre angoisse de nations,
inquiètes du fracas de la mer et des flots,
^^ les hommes expirant de frayeur
et d'anxiété pour ce qui doit arriver à l'univers ;
car les puissances des deux seront ébranlées.
le temps marqué par la Providence. Ce que Marc (xin, 21-23) dit
ensuite en manièx-e d'avertissement contre les apparitions de faux
Christs a été omis comme doublant ce qui a été dit d'abord (xxt, 8), et
parce que notre évangéliste en avait fait emploi antérieurement
(xvn, 23-24).
La fin est amenée sans qu'on insiste sur le moment. — « Et il y aura
des signes dans le soleil, la lune, les étoiles». — L'auteur est tout aussi
réservé sur la nature de ces signes que sur la circonstance du templs.
Le contraste est sensible avec Marc (xti, 24-26) : « En ces joui's-Ià,
après cette tribulation, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus
sa lumière, les étoiles tomberont du ciel ». Ici les astres ne bougent
pas: on y voit seulement des choses effrayantes (comme plus haut,
XXI, II). Par une sorte de compensation, l'on décrit la terreur des
hommes. — « Et sur la terre une angoisse de nations éperdues devant
le fracas de la mer et des flots » . — Effet de rhétorique où il ne faut
pas se hâter de voir l'annonce d'un nouveau déluge. L'auteur n'est
pas pour les trop grands cataclysmes. Mais il ne s'agit pas non plus
d'un « raz de marée » (Lagrange, 53i). Le mouvement extraordinaire
de l'océan appai-tient à la même catégorie que les signes dans lés
astres : c'est surtout une grande menace, l'annonce de la fin, comme
la suite du discours le donne assez à entendre. — « Les hommes
expirant de frayeur et d'inquiétude », — devant tous ces signes
inquiétants, — ^c pour ce qui doit arriver à l'universi», — la terre
habitée (oîxoujxévïi ; xxr, 24, 711 désignait la Palestine). — « Car les
puissances des cieux seront ébranlées ». — Ce trait dans Marc (xm,
25) fait suite au dérangement des astres . Il ne semble pas pourtant
que l'auteur l'entende autrement que Marc. Tout le détraquement de
la machine céleste et le désarroi des puissances qui d'ordinaire y
président sont l'introduction qui convient l'avènement du Fils de
l'homme . \
« Et alors on verra le Fils de l'homme venant dans une nuée ».
— Marc (xin, 26) : « dans des nuées » C'est toujours le Fils de
rhomme de Daniel (va," i3). — « Avec grande puissance et
500 LUC, XXI, 27-29
" Et alors on verra le Fils de l'homme
venant en nuée avec puissance et majesté grande.
2^ Or, quand ces choses commenceront d'arriver,
redressez-vous et levez la tête,
parce qu'approche votre délivrance. »
29 Et il leur dit parabole :
« Voyez le figuier et tous les arbres ;
majesté ». — L'auteur ne dit rien des anges, que le Fils de l'homme,
dans Marc (xin, 27), envoie recueillir les élus par- toute la terre ,"
il a parlé ailleurs (xvu, 35) de la façon dont les élus seront ravis
subitement au Christ, et peut-être a-t-il senti que la description de
Marc ne s'accordait pas avec celle que lui-même avait précédem-
ment donnée. Il y substitue un mot d'exhortation et d'espérance qui
anticipe sur la comparaison du figuier. — « Or, quand ces choses
commenceront d'arriver, reprenez courage et levez la tête ». — On
reconnaît ici le Ion particulier de notre auteur. — « Parce qu'ap-
proche votre délivrance ». — Cette rédemption (àTvoXÛTpcofftç) s'en-
tend par rapport à l'angoisse des derniers temps, non au sens,
mystico-moral que présente le mot dans Paul et dans l'épître aux
Hébreux ; il n'y a donc pas à dire que la parousie remplace ici la
niiort de Jésus comme principe du salut ; et ce n'est pas seulement
à la communauté judéo-chrétienne que s'adresse l'encouragement..
C'est à la communauté contemporaine de l'évangéhste et qui est
encore censée devoir ou pouvoir être témoin de la fin. C'est dans la
perspective de la fin qu'il est parlé des « choses commençant d'arri-
ver », et qui sont les signes dont il vient d'êti-e parlé ; la « déli-
vrance » dont il s'agit ne pouvant être que le salut final et total, le
grand avènement, l'auteur ne peut entendre par ces « choses » les
événements qu'il a dit devoir précéder la ruine de Jérusalem, attendu,
que, dans sa pensée, il y a loin de ces événements à la- fin du monde.
Et il n'y a pas lieu de discuter l'opinion de ceux qui pensent voir-
dans la destruction des Juifs en 70 la « délivrance » des chrétiens.
La reprise : — « Et il leur dit une comparaison », — ne vient pro-
bablement pas de ce que le rédacteur retourne à Marc après avoir
suivi une autre source, mais de ce qu'il rejoint Marc après avoir arrangé-
à sa façon la conclusion du tableau apocalyptique; peut-être aussi
a-t-il voulu rectifier la formule un peu insolite de Marc (xiii, 28) :
« Apprenez du figuier une comparaison » . — « Regardez le figuier
et tous les arbres » . — Marc ne parle que dufiguier, et l'adjonction de-
LUC, XXI, 30-33 501
^° lorsqu'ils bourgeonnent déjà,
(les) regardani, par vous-mêmes vous connaissez
que déjà proche est l'été .
^^ De même vous, quand vous verrez ces choses arriver,
connaissez que proche est le règne de Dieu.
^^ En vérité je vous dis
que celte génération ne passera pas que tout ne soit arrivé.
^^Le ciel et la terre passeront,
mais mes paroles ne passeront pas.
« tous les arbres n enlève de sa précision à la comparaison, car
tous les arbres ne produisent pas leurs feuilles en même temps, —
<( Quand ils commencent à bourgeonner » . — Marc : « Lorsque
ses branches deviennent déjà tendres et qu'il pousse des feuilles » .
— « Voyant » — cela, — « par vous-mêmes, vous connaissez que
' l'été est proche ». — Les mots: « voyant, par vous-mêmes » se pré-
sentent comme une surcharge insignifiante et pourraient êtreuneglose
■(ils manquent dans D, Ss.,et ils auraient été ajoutés par influence de
XII, 5;^ ; on gagne peu aies transposer, comme le suggère Wellhausen,
119, au v.3i, après : « De même vous »). — « De même vous, quand
vous verrez ces choses arriver, vous saurez qu'est proche le royaume
de Dieu ». — Marc (xiii, 29): « Sachez qu'il est tout près, aux portes »,
s'entend du Fils de l'homme. L'idée reste ici la même, bien que l'ex-
pression soit moins nette que dans Marc ; car tout aussitôt l'auteur va
parler du « jour » et du « Fils de l'homme » en son avènement.
« Je vous dis en vérité » etc . — Notre évangéliste n'a pas cru pou-
voir supprimer l'annonce de la fin au cours de la génération contem-
poraine, bien que le terme fût dépassé déjà. Peut-être considérait-il
que la ruine de Jérusalem, prélude maintenant assez lointain des
derniers événements, la justifiait suffisamment, ou plutôt encore cet
avis aux contemporains a-t-il toujours paru opportun, abstraction
faite de toute considération historique, tant que la fin du monde a été
•censée prochaine. Mais le rédacteur du présent discours paraît avoir
connu et délibérément omis ce qu'on lit dans Marc (xni, 82) touchant
l'incertitude du jour et de l'heure, que Dieu seul connaît. On a supposé
qu'il n'avait pas voulu laisser croire que le Christ ignorât le jour du
jugement ; ou bien qu'il avait trouvé l'assertion contradictoire à ce qui
venait d'être dit sur l'accomplissement au cours de la génération pré-
sente ; ou qu'il se réservait de traiter ce point au commencement des
Actes (i, ^), Ces hypothèses ne s'excluent point; cai% dans les Actes,
502 LDC, XXI, 34-35
^* Mais prenez garde à vous,
que vos cœurs ne s'appesantissent
par crapule, ivrognerie et soucis de la vie,
et que ne tombe sur vous à l'improviste ce jour, "'^ comme filet ^
car il surviendra sur lous ceux
qui sont installés à la surface de toute la terre.
le Christ donne à entendre qu'iln'ignore pas lui-même le secret du Père,
secret que les disciples n'ont pas le droit de connaître (la véporise-
évasive de xvii, 20, paraît avoir été écrite aussi dans la connaissance
de Me. XIII, 32, ou de sa source ; cf. Marc, 383).
Pour finir, notre auteur traite à sa façon le thème de la vigilance,
retenant seulement les proportions de la même leçon dans Marc(xiii,
33-35— « Mais prenez garde que vos cœurs ne s'appesantissent dans
Jia crapule ». — Littéralement, il faudrait entendre par ce mot les
suites ou l'influence de l'ivresse récente ; mais l'auteur pourrait avoir
en vue les excès de mangeaille (cf. xvii, 28). — « L'ivrognerie, les
inquiétudes de la vie », — les soins matériels de l'existence (cf. viii,
i4). — « Et que ce jour ne tombe sur vous à l'improviste, comme un
filet». — Plusieurs témoins (A G. etc. Ss. Se.) rattachent les mots:
« comme un filet »(en lisant wç -Kctyic; ^âp èirEtdeXsucETat, au lieu de k-Ksia-
slBvaerixi '^ip)k la phrase suivante. La comparaison du fllet paraîtvenir
d'Isaïe (xxiv, 17, Sept., dont la suite, v. 20, a dû influencer également
la rédaction de notre passage). Ainsi les pécheurs ressembleront à
des bêtes capturées. — « Car il tombera sur tous ceux qui sont établis
à la surface de toute la terre ». — Il s'agit du genre humain, non des
habitants de la Judée. — « Mais veillez en tout temps ». — Ce « veil-
lez » (àypuTivEïxe) faitécho à Marc (xiii, 33). — « Priant que vous puissiez
échapper à tout cela qw.i doit arriver», — traverser sans défaillance
les terribles événements qui sont annoncés, — « et vous tenir », —
vous présenter (aTaOvivat ; cf. xviir, 11) sans crainte, — « devant le Fils
de l'homme». — Il ne s'agit pas de faire présenter les élus au Christ
par les anges (d'après Me. xiii, 17), dont notre auteurn'a point parlé.
Cette finale manque un peu de relief ; mais peut-être accuse-t-elle un
certain sentiment des réalités et l'espèce de pessimisme dont s'ins-
pirait celui qui plus haut (xviii, 8) s'est demandé si le Fils de l'homme
en son avènement trouverait encore la foi dans le monde.
Il va de soi que ce discours eschatologique, secondaire dans Marc
(voir Marc, 366 ss . ) et construit sur une petite apocalypse plutôt
juive que judéochrétienne, est encore moins authentique, s'il est
possible, dans le troisième évangile que dans le second.
LUC, XXI, 36-38 K03'
30
'• Mais veillez, en tout temps priant
pour que vous soyez capables d'échapper à tout cela
qui doit arriver,
et de vous présenter devant le Fils de l'homme. »
, ^' Or il était, les jours, dans le temple, à enseigner.;
mais, les nuits, il allait prendre gîte au mont dit des Oliviers ;
^^ et tout le peuple dès le matin venait à lui
dans le temple pour l'entendre.
En suite du discoui's et comme introduction au récit de la passion,
vient une notice générale louchant les habitudes de Jésus pendant les
jours qui précédèrent son arrestation. — « Or, les jours, il était, dans
le temple, à enseigner ». — C'est sur l'emploi des journées, non sur
leur nombre, qu'on attire notre attention. — « Mais, les nuits, sor-
tant » — de la ville, — « il prenait gîte au mont dit des Oliviers ». —
L'expression employée par notre auteur (riûXfÇsTo) n'oblige, pas à
admettre que Jésus passât la nuit dehors (cf. Mï. xxi, 17) ; mais elle
ne convient pas, semble-t-il, à une hospitalité régulièrement reçue
dans une maison (cf. Lagrange, 53^) ; ce n'est peut-être pas sans
motif que l'évangéliste substitue le mont des Oliviers à Béthanie ; il
n'a pas le récit de l'onction, que Marc (xiv, 3) localise dans ce bourg,
et l'on dirait que l'arrestation se produit «au mont des Oliviers »,.
dans « le lieu » où Jésus avait « accoutumé » de se l'endre les jours
précédents (xxii, Sg). — « Et tout le peuple était matinal auprès de
lui dans le temple pour l'entendre ». — Le caractère un peu systé-
matique des données pourraitles faire prendre pour une sorte degéné-
ralisation rectificative des indications spéciales que l'on trouve dans
Marc. Le nombre des jours expressément signalés dans cet évangile
entre l'entrée de Jésus à Jérusalem et son arrestation a pu être jugé
insuffisant, d'autant qu'il se trouvait diminué par l'omission du récit
concernantla femme adultère. G'estpeut-être pour avoir senti l'incon-
vénient de cette omission, ou pour la dissimuler, que notre auteur
a rédigé sa note, où l'on diraitqu'il s'inspire de l'anecdote supprimée
(HoLïZMANN, 93, 407. Cf. Jn. viir, i-a. Certains mss., groupe Ferrar,
insèrent la péricope de l'adultère après Le. xxi, 38). Gomme il va
laisser tomber également l'indication chronologique placée par Marc
(xiv, 8) en tête des récits de la passion, c'est que l'artifice de cette
chronologie ne lui a pas échappé, ou qu'il a trouvé quelque avantage
à la négliger. Luc d'ailleurs a pu l'ignorer, parce que le document
fondamental de Marc ne la connaissait pas, et notre auteur se sera
5,04 LUC, XXII, 1-2
^''^ Cependant approchait la fête des azymes, dite pàque ;
^ et les grands-prêtres et les scribes cherchaient
comment ils pourraient se défaire de lui ;
car ils craignaient le peuple.
tenu dans le vague afin de ne contredire expressëraent ni la rédac-
tion de Marc, ni le rapport ' aVec la coutume pascale de l'Eglise
romaine, ni la tradition plus ancienne qui supportait la coutume
pascaledes communautés d'Asie.
LXXXIII. Les grands-prêtres et Judas
Le l'écit de l'onction dans Marc (xiv, 89) ayant été comme anticipé
dans l'histoire de la pécheresse (vu, 36-5o), la trahison de Judas se
trouve rattachée directement au projet des grands-prêtres, comme
il est naturel et comme l'indiquait probablement la soui'ce de Marc,
— « Or approchait la fête des azymes, dite pâque ». — Marc
(xiv, i): « Or la pâque et les azymes étaient dans deux jours ».
Notre auteur semble confondre la pâque proprement dite avec la
semaine des azymes, qui en est distincte, mais la même façon de par-
ler se rencontre dans Josèphe (Ant. XIV, 2, i ; XVIII, 9, 3). On ne
peut que conjecturer pourquoi il remplace par une donnée vague
l'indication précise de Marc touchantles deux jours. Gomme il a géné-
ralisé,, à la fin du chapitre précédent, les indications spéciales de Marc
touchant les journées du ministère hiérosolymitain, iln'y a pas trop lieu
de s'étonner qu'il omette icila mention du jour. Mais l'influence de la
source peut avoir suggéré l'omission, soit que la source n'ait pas
contenu l'indication des deux jours, soit qu'elle l'ait rapporté à un
autre objet, à la dernière cène et non au repas de l'onction. Il paraît
moins probable que l'indication ait été omise parce que le l'écit de
l'onction l'était, ou bien parce que l'évangéliste aurait jugé conti'a-
dictoires les données de Marc, où les prêtres, qui ne veulent pas
prendre Jésus « dans la fête », ne laissent pas de le faire prendre et
juger au plus grand jour de la solennité. La contradiction existe in-
dépendamment de l'indication des deux jours, et l'on en peut inférer
seulement que Jésus a dû être arrêté, non pas le jour où l'on immo-
lait, l'agneau pascal, mais l'un des jours précédents.
« Et les grands-prêtres et les scribes cherchaient comment ils
pourraient se défaire de lui ». — • Marc : « Et les grands-prêtres et
les scribes cherchaient comment ils pourraient se saisir de lui par
LUC, XXII, 3-4 50o
^ Or Satan entra en Judas dit Iscariote,
qui était du nombre des Douze ;
■* et il s'en alla conférer avec les grands-prêtres et les stratèges
sur le moyen de le leur livrer.
ruse, afin de le faire mourir ». Notre auteur n'insiste pas sur la ruse,
et il donne à entendre seulement que les autorités juives trouvaient
inconvénient à une arrestation publique. — « Car ils craignaient le
peuple », — à raison de la laveur que Jésus trouvait auprès lui
(xix, 48 ; XXI, 38).
« Or Satan entra en Judas dit Iscariote, qui était au nombre des
Douze ». — Marc (xiv, lo) disait plus simplement : « Or Judas Isca-
riote, l'un des Douze, s'en alla vers les grands-prêtres pour le leur
livrer ». Notre auteur fait une phrase pour expliquer la trahison de
Judas par une influence du diable. Il ne s'agit pas d'une possession
proprement dite, mais d'une sorte de possession morale, Satan
s'étant servi de cet instrument pour recommencer contre Jésus la
lutte qu'il avait interrompue après la grande scène de la tentation
(iv, i3 ; XXII, 3i ; cf. Ji^. xiii, a, 27). Parler ici de suggestion est
accentuer dans le sens psychologique une indication qui est aussi bien
théologique. — -« Et il s'en alla conférer avec les grands-prêtres et les
capitaines », — Marc ne parle que des grands-prêtres. Notre auteur,
•quia lu Josèphe, a pensé que la garde du temple avait dû concourir
à l'arrestation du Christ ; mais le titre de « sti'atège » n'appartient
d'ordinaire qu'au chef suprême de cette garde ; il est employé ici
pour en désigner tous les officiers (cf. Act, iv, 2^-26). — « Sur le
moyen de leur livrer ».
« Et ils se réjouirent ». — Marc (xiv, 11) : « Et ceux-ci, l'ayant
entendu, se réjouirent ». — « Et ils promirent de lui donner de l'ar-
gent ». — Ainsi Marc. — « Et il engagea sa parole ». — Trait propre
à notre auteur (omis dans Ss. Se. mss. lat.). — «Et il cherchait
l'occasion de le leur livrer sans foule », — c'est-à-dire dans un
moment où Jésus serait isolé, de façon que le peuple ne sût rien de son
arrestation et ne pût s'en émouvoir. Ainsi le sous-entend Marc, qui
n'a pas : « sans foule » (àxep o/Xou), et notre auteur n'a fait que trans-
poser et interpréter ce qu'on lit d'abord dans Marc (xiv, 2) touchant
le désir des prêti'es.
Il y a beaucoup de convenu en ce récit et dans tout ce qui con-
<;erne Judas : le complot et le marché auront été, pour le moins,
inférés du fait de la trahison. On sait que la légende de Judas est
506 LUC, XXII, 5-8
^ Et ils se réjouirent et ils convinrent
de lui donner de l'argent ;
® et il consentit, et il cherchait occasion
de le leur livrer en dehors de la foule.
' Or arriva le jour des azymes,
où il fallait immoler la pâque ;
8 et il envoya Pierre et Jean, disant :
« Allez nous préparer la pâque, pour que nous (la) mangions. »
allée grossissant : Matthieu (xxyi, i5 ; xxvii, 3io) dit la somme quia
été payée au traître, mais il a pensé la trouver dans une prophétie
(Zach. XI, 12] ; il le fait mourir de maie mort, mais les Actes (i, 18-19)
racontent la chose d'une autre manière. Bien que quelques-uns aient
contesté jusqu'à l'existence de Judas, sans nier pour autant celle de
Jésus, il n'apparaît pas évident que le simple fait de la trahison ait
été déduit des anciens textes (par exemple de Ps. xli, 10, cité à ce
propos dans Jn, xiii, 18) ; on pouri'ait dire que le personnage du
traître appartenait presque nécessairement à la mise en scène de la
passion ; mais il n'appartient pas moins naturellement à la conclusion
de l'aventure messianique tentée par Jésus; par ailleurs, il va de soi
que, si le collège apostolique n'a pas été institué par Jésus, Judas n'a
pu être l'un des Douze (sur la question de Judas, voir Bultmann,
169,16:;).
LXXXIV. La Cène
Les préliminaires de la dernière cène sont racontés d'après Marc,
avec de légères retouches. — « Or arriva le jour des azymes, où il
fallait immoler la pâque ». — Marc (xiv, 12) disait plus exactement :
« Le i)remier jour des azymes, où l'on immolait la pâque ». Notre
auteur entend bien le même jour, celui où l'on immolait l'agneau
pascal, c'est-à-dii'e le i4 nisan ; mais azymes et pâque étant pom*
lui deux noms d'une même fête, il parle comme si n'y avait eu qu'un
jour d'azymes, celui où l'on immolait et mangeait l'agneau. — « Et
il envoya Pierre et Jean». —Dans Marc, ce sont les disciples qui
demandent d'abord où il faut préparer la pâque, et Jésus en envoie
deux quine sont pas nommés. Ce doit être avec intention que l'ini-
tiative a été réservée à Jésus, peut-être pour accentuer le désir
qu'avait le Christ de célébrer cette pâque (xxii, i5). La mention nomi-
native des deux disciples envoyés doit probablement, être attribuée
LUC, XXII, 9-14 SOT
\
3 Et ils lui dirent :
« Où veux -lu que nous préparions ? »
• 10 Et il leur dit :
« Lorsque vous serez entrés en la ville,
à votre rencontre se trouvera homme portant cruche d'eau ;
suivez-le dans la maison où il entrera ;
11 et vous direz au maître de la maison :
« Le Maître te dit :
(( Où est la salle
où je pourrai manger la pâque avec mes disciples ? »
12 Et il vous montrera salle haute, grande, garnie de tapis.
Faites-là les préparatifs. »
1^ Or, s'en étant allés, ils trouvèrent comme il leur avait dit,
et ils préparèrent la pâque.
1* Et lorsque fut venue l'heure, il se mit à table,
au rédacteur qui, dans les Actes (in, i-4, n ; iv, i3, 19; viii, i4))
s'est plu à montrer Jean auprès de Pierre. — « Disant ; « Allez
nous préparer la pâque, pour que nous » la « mangions ». — Peut-être
vaudrait-il mieux construire (d'après Marc) : « Allez nous faire pré-
paratifs pour que nous mangions la pâque v.
« Et ils lui dirent ; « Où veux-tu que nous préparions ?» — L'on
retombe ainsi dans la question que Marc faitposer d'abord : « Où veux-
tu que nous allions préparer pour que tu manges la pâque ? » , — « Et
il leur dit : « Lorsque vous entrerez dans la ville-, vous rencontrerez
un homme portant une cruche d'eau. », — Marc (xiv, i3) : « Allez à
la ville et vous rencontrerez », etc. — « Suivez-le dans la maison où il
enti'era, et dites au maître de la maison ». — Marc (i3-i4) : « Suivez-
le, et, où qu'il entre, vous direz au maître de la maison ». — « Le
Maître te dit : « Où est la chambre où je pourrai manger la pâque
avec mes disciples? » — Marc : «Le maître dit : « Où est ma chambre »,
etc. — • « Et il vous montrera une salle haute, grande, garnie de cous-
sins ; faites là les préparatifs ». — Marc (xiv, i5 j : « Et vous nous
fex'ez là les préparatifs ».
« Or, étant partis, ils trouvèrent selon qu'il leur avait dit ». —
Marc (xiv, i5): « Et les disciples s'en allèrent, ils vinrent à la ville et
ils trouvèrent selon qu'il leur avait dit ». — « Et ils préparèrent la
pâque ». — Le petit miracle de prévision que racontait Marc, ûction
secondaire s'il en fut (voir ilf arc, 3g6 ; cl. Bultmann, 160), a donc
été soigneusement retenu par noti'C évangéliste.
b08 LUC, XXII, 18-16
1^ et les apôtres avec lui . '
Et il leur dit :
« J'ai grandement désiré manger cette pâque avec vous
avant de souffrir.
^^ Car je vous dis que je ne la mangerai plus
avant qu'elle s'accomplisse dans le royaume de Dieu. »
« Et quand fut venue l'heure », — le temps voulu, fixé par la Loi et
la coutume pour le repas pascal. Marc (xiv, 17] : « Et le soir venu b.
— « Il se mit à table, et les apôtres avec lui ». — Marc : « Il arriva avec
les Douze, et pendant qu'ils étaient à table », etc., Marc faisant venir
la dénonciation du traître avant l'institution de la cène. Gomme la
dénonciation paraît superposée à l'institution, notre évangile, en
omettant ici la dénonciation, doit être conforme à la source de Marc.
« Et il leur dit : « J'ai beaucoup désiré manger cette pâque avec
vous avant de soufïVir ». — C'est pour cette raison qu'il l'a fait prépa-
rer. Ainsi notre rédacteur insiste sur le caractère pascal du dernier
repas et sur l'importance que Jésus attachait à cette dernière pâque,
sans douté à oause de sa signification. Et l'agneau pascal, que Jésus
a si ardemment désiré de manger avant de souffrir, va se trouver en
parallèle avec la coupe de vin que Jésus boit aussi pour la dernière
fois . Combinaison rédactionnelle : la tradition commune est ferme
sur le parallélisme du pain et du vin, elle ignore celui du vin et de
l'agneau. L'on reconnaît en ce qui est dif de la pâque le style du
rédacteur et aussi l'esprit de l'apologiste qui s'emploie à judaïser,
quant à la forme, et l'évangile et l'histoire apostolique.
« Car je vous dis que je ne la mangerai plus jusqu'à ce qu'elje s'ac-
complisse dans le royaume de Dieu ». — Le Christ, qui mange si dévo-
tement cette pâque de sa passion, n'aura plus part désormais qu'à
la pâque éternelle, à la véritable délivrance dans le règne messia-
nique. Ce n'est pas sans motif que l'auteur a écrit: «jusqu'à ce
qu'elle s'accomplisse « (TiVfjpwôvi), c'est-à-dire, jusqu'à ce que se réalise
ce qu'elle figure. La variante (D): «jusqu'à ce qu'elle soitmangéenou-
velle » (xaivbv ^piaO-q, suggérée par Marc, xiv, 25), n'est pas recomman-
dée par le parallélisme, et le rédacteur qui évite de dire (18) qu'il y
aura vin nouveau dans le royaume de Dieu, n'a aucun souci d'y mettre
une véritable pâque. Mais il est bien vraisemblable que notre rédac-
teur a travaillé sur une relation où, sans qu'il fût question de la
pâque, on faisait dire à Jésus bénissant le pain, qu'il n'en mangerait
plus avant de le manger nouveau dans le royaume de Dieu, comme
on le lui fait dire pour le vin (cf. ANOsasEN, Das Ahendmahl in den
LUC, XIII, l7-d8 509
1'' Et prenant une coupe, grâces rendues, il dit ;
« Prenez ceci et partagez-le entre vous ;
^^ car je vous dis :
je ne boirai plus désormais dii fruit de la vigne,
jusque ce que le royaume de Dieu soit arrivé, »
zwei ersten J ahrhunderten nach Ghristus, 35). Selon la fiction de
notre auteur, Jésus, en se mettant à table, ferait une réflexion sur
l'agneau, figuratif de sa passion, puis il ferait une réflexion parallèle
sur la coupe qui lui est présentée, sans doute la .première coupe du
festin pascal.
« Et ayant reçu une coupe ». — Dans les relations parallèles (Mc>
XIV, 23 ; Mt. XXVI, aj), Jésus « prend » la coupe (ÀajSwv ; ici oeçâjjLevoç).
comme il « prend » le pain (19). — « Après avoir rendu grâce, il dit :
« Prenez ceci et distribuez-le entre vous ». — Cet ordre est imité de
la formule qui accompagne les mots mystiques : « Ceci est mon
corps» (Me. XIV, 22); il se comprend si le geste est typique de
l'institution eucharistique et si l'auteur a en vue la coupe de la cène.
« Ceci » (toSto) est le vin dont on lit ailleurs (Me. xiv, 24) : « Ceci est
mon sang ». L'invitation n'a de sens que par rapport au souvenir et
à la coinmémoratiou qui devront être ultérieurement observés par
les disciples. C'est à raison de cette perspective flottante q«e Jésus,
tout à l'heure si pressé de manger la pâque, semblerait maintenant
ne vouloir point boire le vin qui sert pour le repas pascal. Le vin dont
il dispose actuellement est celui qui sera bvL après sa mort.
« Car je vous dis que je ne boirai plus désormais du produit de 1-a
vigne jusqu'à ce que le royaume de Dieu arrive ». — Le « car » est
embarrassant. Marc (xiv, 25) et Matthieu (xxvii,29), qui ontces paroles
après : « Ceci est mon sang », etc., écrivent, le premier ; « En vérité
je vous dis » ; le second : « Mais je vous dis » (Xé^w Se) ; le discours est
incohérent, mais la parole sur le vin que Jésus ne boira plus n'est
pas précisément pour signifier que les disciples doivent boire parce
que Jésus ne boira plus. Ici, en pressant les termes, et si l'on écarte
toute arrière-pensée symbolique, on fei-ait dire au Christ : « Buvez
maintenant, parce que je ne boirai plus ». Précepte et motif qui
n'auraient guère de signification. Si l'auteur a e» vue la cène chré-
tienne, le précepte s'entend, et le motif est la commémoration du
Christ en attendant sa venue. Mais on sent l'artifice de la combinai-
son rédactionnelle. Notre auteur ne dit pas, comme Marc : «jusqu'à
ce jour oïl je leboirai nouveau dans le royaume de Dieu ». Ce n'est
pas le festin des élus qu'il a eu en vue.
^10 ■ LUC, XXII, 19
" Et prenant du pain,
grâces rendues, iTle rompit,
et il le leur donna disant:
« Et ayant pris du pain et rendu grâce ». — Marc (xiv,22) : « ayant
dit la bénédiction [£Ù\oy~f\Gy.<;.'Lnc, £Ù/xpicT-/](7aç,ici comme ly ; cl. IGor.
XI, [24). — « Il le rompit et le leur donna, disant : « Ceci est mon
corps )). —Marc: « Prenez, ceci est mon corps ». L'omission de
« Prenez » tient peut-être à ce qu'il a été dit pour la coupe : « Prenez
ceci et partagez entre vous », et que le même oi'dre est à sous-entendre
pour le pain (cf. Me. xiv, 22 et 24). Dans le troisième évangile comme
dans les autres le caractère essentiel du dernier repas est son rapport
mystique avec la cène chrétienne dont il est le prototype ; mais, dans
les récits des synoptiques, deux conceptions assez différentes se super-
posent, qui ont été harmonisées ou fondues dans le quatrième évan-
gile. On a cru d'abord que Jésus, en ce (dernier repas, qui n'avait
pas de rapport spécial avec la pâque (cf. B. Meyek, I, 177 ss.), après
avoir prononcé les paroles ordinaires sur le pain et sur la coupe, avait
déclaré à ses disciples qu'ils ne se réuniraient plus avec lui que dans
le festin du royaume de Dieu (Me. xiv, 26; Mï. xxvi, 2g ; Le. xxii,
16-18). Telle peut être l'impression qu'eurent, après coup, de ce
repas les premiers disciples ;. mais c'est aussi bien une conception de
ce repas en type de la cène comprise comme anticipant la commu-
nion des élus au Christ ressuscité, conception qui implique seulement
la commémoration de sa mort et de sa résurrection, et qui a été figurée
de même dans la multiplication des pains. Sur cette conception, qu'on
a tout lieu de juger primitive, Marc (xiv, 22-24) grelFe l'idée que
Paul a résumée dans sa vision du dernier repas (I Cor. xi, 23-26), où
la cène est la commémoration directe de la mort salutaire, le pain
figurant le corps, et le vin le sang de Jésus. Il semble que la conception
de Paul se soit insinuée dans notre évangile en ce qui est dit de la
pâque, et exprimée seulement dans la formule : « Ceci est mon
corps »,
Le texte ordinaire ajoute : « Qui est donné pour vous. Faites ceci
en mémoire de moi ». — Emprunt à la pi'emière aux Corinthiens (xi,
24-25), le mot « donné » (oiSojj-svov) ayant été ajouté pour la clarté. Et
de la même source encore vient la seconde mention de la coupe : —
« Et la coupe de même, après le souper, disant : « Cette coupe est la
nouvelle alliance dans mon sang ». — A quoi s'ajoute, d'après Marc
(xiv, 24) : — « Qtii est répandu pour vous ». — Marc^dit : « pour plu-
sieurs » ; mais « répandu pour vous » correspondra : « donné pour
LUC, XXII, 20 511
« Ceci est mon corps. »
■vous )). Ainsi l'on a, ici deux coupes et deux bénédictions de vin.
Certains interprètes, faisant foi au texte reçu, croient y voir mention de
deux pâques, la pâque juive, que Jésus aurait voulu célébrer selon la
tradition (i5-i8), etla pàque chrétienne, l'eucharistie que Jésus aurait
iijauî^urée (19-20) après la célébration de la pàque juive ; mais la
distinction des deux pâques n'est aucunement indiquée dans le texte,
et la bénédiction du pain ne peut pas être indépendante de la pâque
juive ; c'est le même pain et le même vin qui servent pour la pâque
et pour l'eucharistie ; et il y a cet embarras, que le texte reçu de Luc
répartit entre deux coupes les paroles que Marc et Matthieu font dire
à propos de la même coupe. Si l'on veut que le texte ordinaire soit
authentique, on peut admettre que l'évangéliste a eu en vue deux
coupes difféi'entes du festin pascal, ou bien que, nonobstant les appa-
rences, il a eu en vue la même coupe ; mais aucune de ces hypothèses
n'est satisfaisante.
D'anciens témoins (D et mss. lat. ) n'ont rien après : « Ceci est mon
corps », et ne parlent pas de la seconde coupe, c'est-à-dire qu'ils
omettent ce qui paraîfc venir de la premièreaux Corinthiens. Ilest donc
à présumer que l'emprunt fait à l'épître est une glose ancienne, une
interpolation faite pour accorder Luc avec Marc, Matthieu et Paul.
Nulle vraisemblance à ce qu'on ait omis dans certains manuscrits la
seconde mention de la coupe pour accorder Luc avec Marc et Mat-
thieu ; car, dans ce cas, c'est la première mention qu'on aurait dû sup-
primer, et l'on ne se serait pas avisé d'effacer les mots : « Cette coupe
est la nouvelle alliance » etc., qui exprimaient la croyance de l'Eglise,
en leur préférant : «. Je ne boirai plus de vin»; rien d'ailleurs n'aurait
été plus facile que de rapporter à la même coupe, en se conformant à
Marc, les paroles que le texte ordinaire de Luc présente séparées.
(Pour remettre la coupe à sa place, deux mss. lat., b e, qui n'ont pas
. les additions venues de I Cou., transposent 17-18 après 19 a. Se. fait
la même ti'ansposition, mais lit 19 avec le supplément : « donné pour
vous » etc. Ss. a aussi 19 entier, l'amène après 16, et amalgame 17-18
avec 20, comme il suit : « Et après qu'ils eurent soupe, il prirt la
coupe, y fit l'action de grâce el dit: « Prenez cela et partagez-le entre
vous. Ceci est mon sang, la nouvelle alliance. Car je vous dis que je
ne boirai plus de ce fruit jusqu'à ce qu'am'ive le règne de Dieu »). La
pirésence, dans l'évangile de Marcion, des mots concernant la coupe
•de l'alliance (Haunacic, Marcion, 2i5), est loin d'être un témoignage
décisif en faveur du texte reçu et pourrait au contraire en expliquer
512 Lcc, XXII, 20
l'origine ; car Marcion était fort capable de rectifier Luc d'api'ès Paul
(en omettant 17-18, comme le suppose Harnack, loc. cit,)
Aucun témoignage traditionnel ne supporte l'opinion des critiques
qui suspectent aussi bien l'authenticité des paroles concernant le pain
(Wellhausen, 123 ; Blass, Lietzmann ; cf. Klostermann, 574)-
Assurément ces paroles ne procèdent pas de la même tradition que
les précédentes, et la juxtaposition des unes et des autres provient
d'une combinaison rédactionnelle ; mais cette combinaison, qui a eu
lieu dans Marc, se réalise sous une autre forme dans Luc. Il se peut
que Luc lui-même n'ait parlé ni du pain-corps ni du vin-sang, et qu'il
ait gardé la perspective eschatologique du dernier repas, en suivant
la source qui lui est commune avec Marc ; mais le rédacteur de notre
évangile, qui a commencé par substituer la pâque au pain, n'a pas dû
pour cela supprimer la bénédiction du pain dans sa relation de la
dernière cène. La bénédiction du vin ne saurait aller ici sans celle du
pain. Et il est souverainement arbitraire de supposer que l'auteur
accentuerait la dernière pâque juive de Jésus pour détourner les
chrétiens de célébrer la pâque des Juifs. La vérité doit être que le
rédacteur, toujours soucieux de montrer que le christianisme est
l'authentique accomplissement du judaïsme, conserve au dernier
repas sa physionomie juive et eschatologique, dans l'intention de
présenter la cène chrétienne comme le vrai rite pascal, la commé-
moration du salut, et qu'ils'est borné à insinuer le sens proprement
chrétien de la cène dans ce qu'il dit de la bénédiction du pain. S'il ne
parle pas de nouvelle alliance, c'est qu'il ne veut rien dire qui puisse
taire considérer le christianisme comme une religion réellement dis-
tincte du judaïsme.
Son récit de la cène, qui s'achève sur les mots :« Ceci est mon
corps», est assez mal équilibré ; mais c'est lui qui en a d'abord com-
promis l'équilibre en mettant la pâque à la place du pain. La bénédic-
tion du pain y gagne en relief, et l'on ne doit pas oublier que, pour le
l'édacteur de Luc et des Actes, la cène chi'étienne est proprement « la
fraction du pain». Du reste, dans l'usage ordinaire des Juifs, qui dut
être aussi, au commencement, celui des chrétiens, la bénédiction de
la coupe précé.dait celle du pain, et la Didaché (ix) garde cet ordre,
comme notre auteur; mais dans la distribution, le pain passait avant
le vin ; c'est pourquoi Paul et les deux autres synoptiques men-
tionnent le pain en premier lieu.
On dit que les paroles concernant le traître (2<-23) font suite aux
pi'évisions de mort(i5-i8): c'est une suite très ai'tificielle ; et pour
le rédacteur, l'idée de la mort est aussi bien impliquée dans : « Ceci
LUC, XXII, 21-23 513
21 (( Pourtant la main de qui me livre est avec moi à la table,
^2 parce que le Fils de l'homme, selon qu'il est décrété, s'en va ;
mais malheur. à cet homme par qui il est livré ! »
23 Et ils se mirent à discuter ensemble
lequel d'entre eux devait faire cela.
est mon corps » . Mais il parait tout aussi gratuit de supposer
<jue notre évangéliste, ayant égard à ce qu'on lit dans la pre-
mière aux Corinthiens, aurait voulu montrer en Judas un exemple de
communion indigne. Le rapport immédiat qui se trouve établi dans
Luc entre les formules eucharistiques et l'annonce de la trahison est
une combinaison rédactionnelle qui ne cache pas de sous-entendus.
Il résulte de cette combinaison que Judas était présent quand Jésus
distribua le pain et le vin ; mais rien ne fait ressortir la signification
sacrilège de cette présence; et ni Marc ni même Matthieu, qui met-
tent l'annonce de la trahison avant les paroles eucharistiques,, ne
laissent entendre que Judas ait quitté ses compagnons avant la fin
du repas (cf. Jn. xiii, 2i-3o). L'annonce de la trahison est -adven-
tice à la plus ancienne relation du dernier repas ; notre évangéliste a
voulu lui faire une place, et dans Luc elle a beaucoup moins que dans
Marc l'apparence d'une surcharge,
Noti*e auteur laisse tomber presque toute la mise en scène de Marc
(xiv, i8-2T)et il ne retient guère que la dénonciation, qu'il s'abstient
de di-amatiser. — « D'ailleurs ». — Mot de liaison (ttXtiv) que l'évangé-
liste emploie volontiers, à défaut de transition meilleure, dans ses
coaibinaisons rédaclionnelles,.— « La main de celui qui me livre est
avec moi à la table ». — Résumé des deux déclarations (Me. xiv, i8) :
« En vérité je vous dis que l'un de vous me livrera, qui mange avec
moi », et (20) : « C'est un des Douze qui met avec moi la main au
plat ». S'il est question de « main » dans noti'e évangile, c'est parce
que Marc en a parlé ; s'il n'est pas question de main au plat, c'est
parce que dans l'économie du récit, le repas est fini ; le texte n'en
•signifie pas moins que le traître est un des commensaux actuels de
Jésus, et la main n'est pas mentionnée comme instrument de la ti*a-
hison. — « Parce que le I-i'ils de l'homme, selon ce qui est décrété,
s'en va ». — Marc (ai) : « Car le Fils de l'homme s'en va, selon qu'il
•est écrit de lui )) . — «Mais malheur à cet homme par qui il est
livré ! ». — Marc ajoute : « Mieux vaudrait pour cet homme qu'il ne
fût pas né ». Ces paroles impliquent sans doute déjà la connaissance
de quelque sombre légende sur la lin de Judas; notre rédacteur a
pu facilement les omettre, si c'est lui qui raconte dans les Actes
A. LoisY. —L'Évangile selon Lut, 3J
514. LUC. XXII, 24
2* Or il y eut aussi querelle entre eux,
à qui parmi eux serait regardé comme le plus grand.
(i, 18-19) ^^ mort du traître dans le champ dit Akeldama (voir-
ai c^es, 177).
« Et ils se mirent à discuter ensemble lequel d'entre eux devait
faire cela». — L'évangéliste a pensé pallier ainsi l'invraisemblance
de Mai'c (xiv, 19): « Il se mirent à s'affliger et à lui dire l'un après
l'autre: « Est-ce moi?» Invraisemblance agravée dans Matthieu (xxvï,
25) par la réponse de Jésus à Judas : « Tu l'as dit »; dans le quatrième
évangile par la confidence de Jésus au disciple bien-aimé et l'ordre
donné au traître d'en finir (Jn. xïii, -ii-So). Ici les disciples se deman-
dent entre eux qui ce peut être, et Jésus n'est pas censé faire atten-
tion au débat. Il faut supposer que les disciples ne réussissent pas à
tirer la chose au clair, ou bien qu'ils s'accordent avec Jésus pour ne
pas faire obstacle à « ce qui est décrété ». La l'emarque sert à pré-
parer et introduire une autre dispute dont les deux premiers évan-
giles ne parlent pas en cet endroit. Ce peut être en vue de cette
combinaison littéraire que notre auteur a placé après les paroles
eucharistiques la dénonciation du traître. Celle-ci est très mal amenée,
dans le texte ordinaire, après le développement des paroles 'eucha-
ristiques.
LXXXy, Instructions aux disciples
Après l'annonce de la trahison par Judas, et dans une sorte de coor-
dination logique avec celle-ci, l'auteur se propose de signaler l'an-
nonce du reniement par Pierre. Ce peut être par la considération de
celui-ci, qui est pour notre évangéliste le principal apôtre, qu'a été
insérée entre les deux prédictions la querelle pour la première place,
avec la leçon qui y correspond: non que Jésus soit censé combattre
la prétention de Pierre à la primauté, mais tout simplement parce
que la pensée de Pierre a évoqué dans l'esprit de l'auteur celle de
la primauté apostolique et du caractère qui lui appartient. Du reste,
l'évangéliste paraît avoir trouvé la leçon du service appropriée à la
situation de Jésus à table et présageant en son dernier repas tout
autant les conditions du service des tables, de la cène eucharistique
dans les communautés chrétiennes, que les circonstances du festin
dans le royaume de Dieu. A vrai dire, il ne i-éussit qu'imparfaite-
ment à conformer les textes au rapport qu'il a perçu. Il a voulu ras-
LUC, xxrr, 2a- 20 515:
2« Mais il leur dit :
« Les rois des nations les tiennent soumises,
et ceux qui autorité sur elles bienfaiteurs sont appelés.
2' Or de vous il n'en est point ainsi :
mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus jeune,
etle chef comme le servant.
sembler la leçon sur le service apostolique, amenée dans Marc et
dans Maltlneu par la demande des Zébédéides, et la promesse des
trônes qui se lit seulement dans Matthieu (xix, 28). Bien. qu'il ait omis
l'incident des Zébédéides,. il se trouve, comme Marc, avoir deux dis
putes sur les préséances; la première(ix, 46-4^)5 certainement d'après
Marc (ix, 33-3;j) lui-même ; la seconde, d'après une source dont dé-
pend aussi bien Marc (x, 42-45) pour la leçon insérée dans le récit con-
cernant les Zébédéides. Et il a voiilu mettre la l'écompense à côté du
service. La mention de la table et du festin messianique dans la pro-
messe des trônes n'explique pas l'insertion de ce morceau dans le
récit de la cène ; elle en est plutôt la conséquence ; et c'est pour la
même i*aison que le service apostolique se trouve ici comparé à un
service de table. Grâce à ces modifications, Ja leçon sur le service et
sa récompense se trouve plus ou moins coordonnée à ce qu'a dit Jésus
(xxir, 16,, 18) touchant le festin auquel il prendrait part avec ses dis-
ciples dans le royaume de Dieu.
« Or il y eut querelle », — une contestation impliquant rivalité, —
« entre eux, à qui serait regardé » — ou à regarder — « comme le plus
grand». — II est superflu de chercher l'occasion de cette querelle,
attendu que le narrateur n'a eu en vue aucune circonstance particu-
lière, et que sa phrase n'a qu'une valeur d'introduction littéraire au
discours qui suit. Après avoir cherché qui est le traître, les disciples
cherchent qui est le plus grand : on ne peut voir dans ce rapproche-
ment autre chose qn'un artifice rédactionnel. Les apôtres ne sont
pas censés se disputer les premières places dans le royaume à venir,
mais déjà quant au présent, les deux prétentions étant corrélatives.
« Mais il leur dit : « Les rois des nations ». — Marc (x, 42) : « Vous
savez que ceux qui sont regardés comme chefs » (ol oox.oUv-e; àc'/stv.
C'est de ce Soxowteç que vient le Soxeï employé par notre auteur dans
la formule d'introduction ; cf. Gal. ii, 19). — « Les tiennent soumises »,
— littéralement : « en sont maîtres » (y.uûi.euoufftv), agissent envers
elles et sont traités comme « seigneurs », — « et ceux qui ont pouvoir
sur elles sont appelés bienfaiteurs ». — Marc ; « Et que leurs grands.
516 Luc,'xxir, 27
2" Car qui est le plus grand,
celui qui est à table ou bien le servant?
N'esl-ec pas celui qui est à table ?
Or, moi, au milieu de vous je suis comme le servant.
ont pouvoir sur elles. » Notre auteur a voulu raffiner en faisant allu-
sion, sans ironie semble-l-il, aux titres de «bienfaiteur » (Evergète)
ou de «sauveur » (Soter), acceptés ou revendiqués parles souverains.
— (' Or il n'en est pas », — il n'en doit pas être — « ainsi de vous;
mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus jeune ». —
Marc (x, 43) : « mais celui qui voudra devenir grand parmi vous sera
votre serviteur » ;. ce qui revient à dire qu'on "devient grand par le
service. Notre texte signifie plutôt que le plus grand doit se com-
porter, moyennant le service, comme s'il était le plus jeune, à qui
naturellement le service incombe. — « Et le chef, comme celui qui
sert ». — Marc (x, 644) • « El^ q^^i voudra parmi vous être premier
sera de tous esclave ». Les termes choisis par notre auteur sont en
rapport plus accentué avec la direction et le ministère ecclésiastiques
(vjyoù'pLevoç, oiaxovwv). Le service s'entend apparemment, pour la com-
paraison et eu égard à la circonstance, du service de table (cf. Act.
VI, 1-4). Mais il paraît bien y avoir en même temps un écho de ce que
dit Marc (x, 45) touchant le Fils de l'homme, qui est venu pour
«servir ». — « Car qui est plus grand, celui qui est à table, ou bien
celui qui sert ? N'est-ce pas » — évidemment '— « celui qui est à
table ? Or moi, au milieu de vous, je suis », — non seulement dans
la circonstance présente, mais en général,— « comme celui qui sert».
— Nulle allusion au lavement des pieds (Jn. xiii, i-ao), qui a été
bien plutôt conçu d'après notre passage. Le texte, ne vise pas non
plus formellement ce que Jésus vient de faire en présentant à ses
disciples le pain. et le vin, car Jésus en cela n'a point agi comme
ministre mais comme président du repas. Il est bien probable toute-
fois.que la comparaison est tournée de ce côté à raison de la circons-
tance, et parce que l'évangéliste pense au service de salut, service
commémoré dans l'eucharistie, laquelle est un service de la commu-
nauté, l'auteur se défendant ici et ailleurs, de le définir dans les ter-
mes de Marc, dans la foi^me propre du mystère chrétien, parce qu'il
ne veut pas trop s'écarter du formulaire juif. Cette paraphrase sur le
Christ serviteur, parallèle à Marc, n'est donc point primitive relati-
vement à lui (quant à l'origine même du logion, cf. p. 281), et elle est
arrangée aussi pour qu'on y puisse tant bien que mal ajuster la pro-
messe des trônes.
LUC, xxit, 28-30 517
'^ Mais vous èies, vous, ceux qui sont demeurés avec moi
[dans mes épreuves ;
29 et moi je vous attribue,
comme mon Père me l'a attribue, le royaume,
2° afinque vous mangiez elbuviezà ma table dans mou royaume,
et que vous soyez assis sur trônes,
jugeant les douze tribus d'Israël.
Cai' entre la leçon du service et la promesse il n'y a pas, à propre-
ment parler, de transition. Ce sont des pensées juxtaposées entre
lesquelles n'existe pas de lien autre qu'une certaine analogie de sujet.
— « Mais vous, vous êtes ceux qui ont persévéré avec moi dans mes
épreuves ». — Eloge visiblement destine à introduire la promesse, et
qui n'appartient i)as au texte original de celle-ci (cf. Mï. xtx, 28); il
n'est pas autrement juslilîé par la dispute sur la primauté. L'allusion
aux « tentations » (•ïï.Etpatiji.oi) du Christ répond plutôt aux spécula-
tions du cliristianisme primitif qulà une tradition historique ; elle
anticipe sur la passion et conviendrait mieux dans la bouche du
Christ glorifié ; prise telle quelle, la formule représente l'idée que
l'évangéliste a voulu donner des apôtres (cf. Acr. i, ai-aa). « Mais
vous » n'oppose pas les disciples fidèles à des disciples infidèles, mais
les disciples présents à Jésus lui-môme. Les variantes du ms. D
n'améliorent pas le texte : «Or il n'en est pas ainsi de vous, mais que
le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et le chef comme
celui qui sert, j)liilôt que (comme) celui qui est à table. Car moi, au
milieu de vous je suis venu, non comme celui qui est à table, mais
comme celui qui sert ; et vous, vous avez grandi dans mon service
comme celui qui sert, vous qui avez persévéré avec moi » etc. (cf. la
glose de D après Mt. xx, 28, supr. p. 882).
«Et moi, je vous attribue le royaume » — pu plutôt « royauté»
(patriXEi'av sans article) — « comme mon Père me l'a attribué», -r- Dis-
position solennelle (8iàTi6£ji.ai), écho de l'alliance (o>.o:0-r^/.-t\) dont parle
Marc (xiv, 24), non testamentaire, puisqu'elle est analogue à l'acte
par lequel Dieu attribue le royaume à son Fils, mais authentique et
définitive, volonté suprême du maître qui va quitter les siens. —
« Afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume ».
— Façon de parler qui convient mieux au Christ glorieux qu'à Jésus.
Matthieu (xix, qB) n'a rien de cette commènsalité, et notre auteur a
introduit la mention du festin pour le raccord avec la cène eucharis-
tique. Il n'est pas du tout nécessaii*e d'être associé à la royauté pour
^18 • LUC, XXII, 30
manger avec le roi. — « Et que vous soyez assis sur des trônes,
jugeant les douze tribus d'Israël ». — Plusieurs témoins (D. Ss. Se.,
etc). ont : « douze trônes », d'après Mattliieu ; car c'est l'évangc-
liste, plutôt que la tradition, qui n'aura pas voulu mettre ici douze
trônes, afin de n'avoir pas Tair d'en attribuer un à Judas. Mais les
douze trônes sont en l'apport avec les douze tribus, comme aussibien
.le chiffre des douze apôtres. La sentence n'a pas été conçue d'abord
dans le cadre delà passion. Notre auteur entend que les Douze exer-
ceront une sorte de magistrature permanente sur tous les. élus, figu-
rés par les douze tribus, dans le l'oyaume de Dieu." Jésus, qui, dans
Marc(x,4o), s'interdisait d'attribuer les premières places du royaume,
en dispose ici souverainement. Le texte de la promesse dans Mat-
thieu implique simplement la destination providentielle des douze
trônes aux douze apôtres, qui siégeront à côté du Christ juge; mais
ici, en coordination avec le festin perpétuel du royaume, la magistra-
ture des apôtres ne semble pas limitée spécialement au jugement
dernier. 11 va sans dire que ce logion implique le rôle des Douze dans
la première communauté et n'a été conçu qu'après la fondation de
celle-ci.
Par un artifice rédactionnel des plus hardis, l'annonce du renie-
ment de Pierre et de la défection générale des apôtres arrive ensuite,
dissimulée en quelque sorte derrière une promesse d'assistance et la
prédiction du rôle qui revient à Simon dans l'instauration de la foi
après la grande épreuve. C'est bien au prince des apôti'es que s'adresse
la prédiction, qui pour cela même a pu être l'attachée sans transi-
tion à la leçon du service et à la promesse des trônes. La reprise :
« Et le Seigneur dit », manque dans plusieurs anciens témoins
(S A. D, etc.) et paraît avoir été ajoutée pour atténuer ce qu'a
d'inattendu l'apostrophe lancée à Simon. Dans Marc et dans Mat-
thieu, l'annonce du l'eniement a lieu sur le chemin de Gethsémani. Ici
Jésus n'annonce pas expressément la défection des apôtres, comme
dans Marc (xiv, 27 ; Mr. xxvt,3i) ; il paraît seulement lasupposer dans
la promesse et l'ordre adressés à Pierre, promesse et ordre qui sontun-
véi'itable équivalent des paroles d'investiture que Matthieu (xvi, 17-
19) a placées après la confession messianique. Mais, si notre auteur
omet ainsi la prophétie de Zacharie (xiii, ']) et son application, ce
n'est pas seulement parce qu'il lui répugnait de dire que Dieu avait
frappé le Ghi-ist, c'est parce que le cadre qu'il adopte pour les récits
de la passion, de la résurx'ection, de l'institution de l'Eglise, exclut
la dispersion des apôtres. Mais le discours adressé par Jésus à Pierre
ne laisse pas d'impliquer le fait qui a été supprimé dans le récit,
LUC, XXII, 31-33 519
31 Simon, Simon, voici que Satan a obtenu
de vous cribler comme le blé ;
^^* mais j'ai prié pour toi
afin que ta foi ne défaille pas ;
et toi, une fois revenu,
affermis tes frères. »
»* Et il lui dit : « Seigneur,
avec toi je suis prêt
et à prison et à mort marcher. » ^
•attendu que Pierre ne « reviendra » le premier qu'après la défection
■de tous, déiection qui a été autre chose que la lenteur à croire signa-
lée dans le dernier chapitre de notre évangile.
« Simon, Simon ». — Beaucoup de i-aisons invraisemblables ont été
imaginées afin d'expliquer pourquoi Jésus emploie ici le nom de
Simon, La vraie raison doit être que les paroles du Christ, à l'instar
de Matthieu : « Simon fils de Jean, je te dis que tu es Pierre », sont
une interprétation, mais en foi'me discrète, du nom et du surnom de
Papôlre : il s'agit de signifier comment le disciple Simon deviendra
Pierre. On peut dire que Simon désigne « l'homme naturel » (Holtz-
MANN, (\io.), mais ce n'est pas pour présager le reniement, c'est pour
opposer l'homme à l'apôtre, en prévision du rôle éminent qui sera
celui de Pierre dans la fondation de la foi et de l'Eglise chrétiennes.
— « Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le blé ». — Cette
annonce métaphorique de la grande épreuve, où se reconnaît le style
rédactionnel et l'imitation de l'Ancien Testament, remplace la pré-
diction directe de la défection et de la fuite. De même que la légende
réprésente l'ennemi des hommes sollicitant du Seigneur la permission
de tourmenter Job (Job, i, ii-ia ; ii, 4 6), on le figure ici demandant
et obtenant (c'est bien l'idée contenue dans klr^T-f py.To, Lagrange,
553) la permission de malmener les apôtres. La comparaison
porte uniquement sur la secousse imprimée au grain dans le
crible (cf. Am. ix, g), non sur le nettoyage qui est le l'ésultat de
l'opération. Ou ne prête pas à Satan l'intention de fournir aux
apôtres une occasion de montrer leur fidélité à Jésus ; il est censé
vouloir les mettre, par ses machinations et lés difficultés qu'il va sus-
citer à leur foi et à leur courage, en cas d'abandonner le Clirist pour
toujours : Dieu, en effet, va laisser Satan dominer provisoirement
sur le Fils de l'homme (xxii, 53), et ce triomphe du mal doit devenir
pour les disciples une occasion de chute.
520 ' LUC, XXII, 34
•* Mais il dit : « Je le dis, Pierre,
Ne chantera point aujourd'hui coq
Av. ntque trois fois tu n'aies nié de me connaître. »
« Mais j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas ». — Jésus^
de son côté, a prévenu les conséquences irréparables qu'aurait pu
avoir la défection des disciples ; il a prié (cf. Jn. xvii, 9-19) pour
Simon, afin que celui-ci ne cesse pas de croire au Christ et au
royaume divin que Jésus doit un jour amener ; et s'il a prié spé-
.cialement pour cet apôtre, ce n'est pas que Simon eût personnel-
lement plus grand besoin qu'un autre d'être affermi dans la loi, c'est
que la foi et la persévérance de ses compagnons dépendent, en
quelque façon, de sa persévéï'ance et de sa foi, — « Et toi, une fois
revenu », — un abandon préalable est impliqué dans ce retour (sui^^
la signification morale de àTïtcxpÉ-laç, cf. 1, 16 ; xv, 17), — «affermis
tes frères ». — Il appartient à Simon, après qu'il aura succombé-
comme les àuti-es, non pas en abandonnant sa foi mais en la reniant
en jiaroles et en succombant au découragement, après qu'il aura le
pi'emier déploré sa faiblesse, de raffermir, premier témoin de la
résurrection, la foi et le zèle de ses frères. Il va de soi que la prière
du Christ sera exaucée et que Pierre remplira dignement en son temps
la mission qui lui est échue. Ainsi la grande vocation de Pierre est
signalée fort à propos pour pallier son reniement. Inutile d'ajouter
que l'auteur ne songe pas à l'infaillibilité du pape, mais il fait valoir
l'action de Pierre dans la formation.de la communauté apostolique,
et la place éminente que le prince des apôtre^ relient ou qu'il est en
train de prendre dans le souvenir chrétien. La traduction : « affermis
tes frères en les convertissant », ne se recommande pas (D, au Sa
ÈTcîaTpe'lov >cai cTTipiÇov xtX., pourrait s'entendre ainsi, mais pas nécessai-
rement ; cf. Ss. : « Et toi, convertis-toi un jour et affermis tes
frères »). Une épreuve terrible de tous les disciples, Pierre compris,
a été indiquée ; il faut bien que Pierre la surmonte d'abord pour raf-
fermir les autres, et c'est par lui que le raffermissement doit com-
mencer. La protestation de fidélité.qui va venir aussitôt se comprend
mieux si une faiblesse particulière de Pierre est supposée dans les
dernières paroles de Jésus. D'ailleurs, il va de soi que le reniement de
Pierre, s'il à été réel, et la défection générale des disciples ont été des
faits acquis à la tradition avant qu'on s'avisât de les faire prédire au »
Christ. Le caractère secondaire de la présente relation apparaît en
ce que l'annonce du reniement s'y trouve associée à celle du rôle qu'a
eu Pierre dans l'institution de la foi et de la communauté primitives. ,
LUC, xxii, 3u 521
^^ Et il leur dit :
« Lorsque je vous ai envoyés
sans bourse, ni besace, ni souliers,
de quelque chose avez-vous manqué ? »
Et ils dirent : « De rien. » -
Il apparaîtra que le rédacteur n'ignore pas non plus son martyre. On
a même soutenu que l'apostrophe à Simon prévoit l'épreuve des dis-
ciples, mais non le reniement, car le sens naturel de la parole est que
la fidélité de Pierre, et non seulement sa foi, sera inébranlable ; et
que la rédaction aura ajouté « converti m pour concilier ce dit avec
l'anecdote du reniement (Bultmaniv, 162). .
(( Et il lui dit : « Seigneur je suis prêt à aller avec toi et en prison
et à la mort », — Paraphrase de la seconde protestation dans Marc
(3i) ; « Quand il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas ».
Mais la distinction de la prison et de la mort laisse voir que l'évan-
géliste connaît l'histoire ultérieure de Pierre, l'emprisonnement à
Jérusalem (Act. xn, S-/}:), et le mai'tyre à Rome (cf. Jn. xxr, 18 19, où
Tannonce de la mort vient après les paroles : « Pais mes agneaux,
pais mes brebis », équivalent johannique de Le. xxii, Sa), — « Etildit:
« Je te dis, Pierre ». — Pierre est le nom que Marc emploie dans son
récit. — « Ne chantera pas aujourd'hui coq avant que trois fois tu
aies nié de me connaître ». — Marc(xiv, 3o) : « En vérité je te dis
que toi, aujourd'hui, cette nuit, avant que deux fois coq ait chanté,
trois fois tu me renieras ». Notre auteur n'accentue pas les prévisions,
et il s'accorde avecMatthieu(xxvi, 34)à ne pas mentionner deux chants
du coq, soit qu'il ait été embarrassé de ce double chant, soit qu'il ait
connu un récit plus simple où il n'en était pas question (cf. Marc,
439). Il omet la seconde protestation dePierre et celle des autres dis-
ciples (Me. XIV, 3i), trait qui pourrait être compromettant pour le
prestige apostolique.
L'instruction qui termine ce petit discours après la cène appartient
en propre à notre évangile et pour une bonne partie, sinon pour le
tout, à sa dernière rédaction ; on y trouve une prédiction assez
gauche des tribulations qui attendent les apôtres, et du supplice
infamant que va subir le Christ lui-même.
«Et il leur dit : » Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni
souliers, avez-vous manqué de quelque chose ?» — Référence di-
recte au discours précédemment adressé aux soixante-douze disciples
(x,4 ; cf. ix,3), et comme si ce discours avait été adressé aux apôtres.
Mais notre,'auteur n'y regarde pas de si près, et il serait bien insqué
S22 LUC, XXII, 36
3 « Et il leur dit :
(( Mais maialeiiant, qui a bourse la prenne,
et pareillement la besace ;
et que celui qui n'en a pas vende son manteau
et achète épée.
d'admettre que le renvoi appartiendrait à la source où a été pris le
discours, qui, originairement, concernait les apôtres. — « Et ils
dirent : « De rien ». — Pour la mission dont il s' agit, les disciples qui
n'avaient rien emporté, n'ont de rien manqué. Ce préambule est
conçu en vue de la leçon que l'auteur veut amener.
« Et il leur dit : « Mais maintenant n, — les circonstances
changeant, une autre conduite s'impose; — « que celui qui aune bourse
la prenne, et pai-eillement le sac ». — On aura besoin d'argent et de
provisions. — « Et que celui qui n'en a pas », — qui n'a pas d'ar-
gent pour se procurer le nécessaire, — « vende son manteau et
achète une épée », — Ainsi l'épée va-t-elle être plus indispensable
que le manteau. La phrase est un peu équivoque. On pourrait croire
que celui qui a bourse et besace n'a pas besoin d'épée, mais telle
n'est pas la pensée de l'auteur. Garce n'est pas pour se procurer de
quoi vivre qu'il est recommandé d'acheter une épée, mais pour se
défendre en cas de besoin, et l'épée n'est pas moins nécessaire à celui
qui a une bourse ; l'achat de l'épée est donc recommandé à tous, et
si l'on conseille à celui qui n'a rien de vendre son manteau, c'est qu'il
n'a pas d'autre moyen de se procurer l'épée. Etrange conseil, quand
même on le limiterait, comme il convient, aux moyens de défense que
doivent avoir les gens qui voyagent en des contrées peu sûres. Même
en le prenant ainsi, le conseil figurerait plutôt les dangers à venir que
l'obligation immédiate de porter sur soi une épée. Le rédacteur a
donc pu l'entendre plus ou moins métaphoriquement (cf. xii, 49-^1 5
Mt. X, 34).
Mais le rapprochement est plus que singulier de ce conseil avec
l'emploi réel de l'épée au mont des Oliviers ; et les disciples eux-
mêmes vont parler des deux épées qu'ils ont. Prêter à Jésus, dans les
circonstances où il se trouve, l'idée d'une défense à main armée, sem-
blerait une hypothèse d'autant plus précaire, que l'esprit de l'Evan-
:gile y répugne par ailleurs. 11 faut avouer cependant que notre récit,
•considéré sans parti pris, est construit réellement sur l'idée d'une
semblable résistance, à laquelle deux épées sont supposées devoir
suffire pour le moment, et qui s'exerce en fait dans l'incident de
LUC, XXII, 37 523
3^ Car je vous dis
que cette Ecriture doit s'accomplir en moi :
« Etaoec m'ilfalteiirs il a été compté. »
Aussi bien ce qui me regarde prend-il fm. »
l'oreille coupée, sauf à être arrêtée par Jésus lui-même. Il se pour-
rait qu'on n'ait rien à retenir de tout cela comme historique (cf.
E. Meyeii, I, i8a). Cependant le fait d'une résistance opposée par les
disciples à l'arrestation de Jésus paraît assez consistant, et aussi
leur pi'ompte déroute ; il serait donc possible également, bien que les
interprètes n'aient guère songé à l'admettre, que notre évangéliste
ait travaillé sur une source où la résistance des disciples avait été
prévue et même encouragée par Jésus. Mais il est possible enfin, et
peut-être est-il plus vraisemblable, que l'évangéliste ait construit
maladroitement tout le présent passage sur le simple fait de la résis-
tance attesté dans la source de Marc (cf. Marc, 421). et de façon à
préparer ce qu'il euâ voulait retenir dans le récit de l'arrestation.
Dans la réalité, celle-ci paraît avoir été plutôt un coup de surprise,
contre lequel Jésus n'aurait pu se précautionner. Eu. tout cas, le
discours de mission ayant été conçu dans la tradition chrétienne,
ces propos, qui s'y réfèrent, sont plus récents encore et ne sont pas
à discuter comme paroles de Jésus. Dans la perspective ouverte par
Tévangéliste, les disciples doivent s'attendre aux plus graves périls,
puisque leur maître, pour commencer, va être mis à mort en des
eonditions ignomineuses.
« Car je vous dis que cette Ecriture », — le passage d'Isaïe (lui,
12) qui vaêti'e cité, — « doit s'accomplir en moi : « Et parmi les mal-
faiteurs il a été compté ». — Ce qui ne doit pas signifier que lui-
même est apparemment considéré par Dieu comme un impie ou un
pécheur, mais que les hommes, les Juifs, vont le traiter comme le
dernier des criminels. Le trait provient de la description relative
au serviteur de lahvé, et il a été emprunté par l'auteur au réper-
toire de l'apologétique chrétienne (cf. citation d'un autre passage
du même morceau, Is. lui, 7-8, dansAcr. viii, 32-33). — « Aussi bien
ce qui me regarde prend-il tin». — C'est-à-dire: ma fortune est à
sonterme. Comme la citation alourdit le discours, qui se trouve en
quelque sorte pourvu d'une double conclusion, on pourrait supposer
que le texte prophétique a été inséré par le rédacteur évangélique
dans le discours antérieurement construit. Cependant l'hypothèse ne
s'impose pas, étant donné le décousu qui l'ègne dans tout le mor-
ceau. 11 est bien vrai que le texte d'Isaïe est amené en témoignage
b24 LUC, XXII, 38
3 8 Et ils dirent : « Seigneur,
il y a ici deux épées. »
Et il leur dit :
(( C'est assez. »
des desseins providentiels, pour signifier que le Christ devait mou-
rir de la mort des scélérats, et que les disciples n'en tiennent pas
compte ; mais ce qui est ajouté touchant la fin imminente du
Christ dit la môme chose que le texte et ne s'accorde pas mieux
avec la l'ecommandation de prendre l'épée. Ce sont choses écrites-
pour l'édification du lecteur.
Les disciples sont censés n'avoir été frappés que du conseil à
eux donné de s'armer. — « Et ils dirent », — très sérieusement, à
ce qu'il semble : — « Seigneur, voici deux épées ». — C'est tout ce
qu'ils ont, et ils ont l'air de demander s'il en faut davantage. Evi-
demment il s'agit d'épées véritables et non des couteaux qui auraient
servi pour l'immolation de l'agneau pascal (hypothèse de Chrysbs-
tome, reprise par quelques modernes). — « Et il leur dit : « C'est
assez ». — Bien téméraires sont les critiques qui pensent savoir ce
que Jésus a voulu dire par là, et qui perçoivent, dans cette brève
réponse, soit la mélancolique ironie de l'homme incompris qu'on
veut défendre par un moyen ridiculement insuffisant, 'qu'il n'a pas
voulu prescrire, soit un simple moyen de clore une conversation sans
objet, ou bien les deux à la fois, l'intention de couper court à l'entre-
tien après la méprise des disciples.il importerait surtout de savoir ce
que l'auteur s'est proposé défaire dire à Jésus. Peut-être a-t-il voulu
signifier que deux épées suffiraient à l'accomplissement des desseins
providentiels dans le cas présent. Et l'on peut dire qu'une seule
aurait suffi, mais qu'on en a mis deux pour l'ornement du discours.
L'attitude prêtée à Jésus n'est pas à discuter au point de vue delà
psychologie et de la morale : l'évangéliste ne lui attribue certaine-
ment pas ridée d'une résistance armée à l'autofité juive et à l'au-
torité romaine ; son discours n'en paraît pas moins justifier le coup-
d'épée qu'il réparera, sans blâmer celui qui l'a donné, et tout en
défendant d'aller plus loin. Poseconvenue et artificielle, par laquelle-
l'évangéliste entend expliquer et l'espèce de prédiction faite aux
futurs missionnaires du Christ, et le coup d'épée de Gethsémani, et
le respect de Jésus pour les autorités constituées.
Lou, XXII, 39-40 528
^''Et étant sorti, il s'en alla, comme de coutume,
au mont des Oliviers ;
Et l'accompag-nèrent aussi les disciples.
^o Or, arrivé au lieu, il leur dit :
« Priez pour n'entrer pas eu tentation.
LXXXVI. La prière au mont des Oliviers
ET i/aRRBSI'ATION DE JÉSUS
« Et étant sorti », — non seulement de la maison où il est censé
avoir célébré la pâque, mais de Jérusalem. Notre auteur néglige
de mentionner le chant da Hallgl avant le départ (Me. xi v, 26). — « Il
s'en alla, comme de coutume, au mont des Oliviers », — La réfé-
rence (à XXI, 3'^) laisse entendre que Jésus se i*erid à l'endroit où il
a passé les nuits précédentes. — « Et ses disciples l'accompagnè-
rent » . — De cette indication l'on aurait tort de conclure que les dis-
ciples n'étaient pas encore venus avec Jésus en ce lieu ; car leur pré-
sence est signalée en vue des scènes de l'agonie et de l'arrestation, où
ils ont un rôle '; il est sous-entendu que Judas peut venir prendre
Jésus en cet endroit, parce qu'il le connaît d'avance, y étant venu les
jours précédents.
«"Et arrivé en ce lieu, il leur dit : « Priez pour n'entrer pas en ten-
tation >;. — Notre auteur, qixi ne parle pas deGethsémani, ne dit rien
non plus des trois disciples que Jésus emmènerait avec lui, en lais-
sant les autres, ni d'abord de l'angoisse dont le Christ aurait fait part
à ses trois compagnons (Me. xiv, 32-34).. Sans doute suit-il la source
en omettant les détails surajoutés par le rédacteur de Marc. De
même, et probablement 'pour la même raison, il lait faire aux dis-
ciples la l'ecommandation de prier, parce qu'il n'a pas les trois actes
de prière ni les trois retours successifs de Jésus. Le rapport entre la
présente scène et celle de la tentation au désert, qui tend à s'efTacer
dans Marc et dans Matthieu, est encore très bien senti dans notre
récit, et l'on dii'ait que le narrateur a hésité d'abord à substituer les
apôtres à Jésus comme sujets de l'épi'euve ; il s'est i-etenu de dire :
« Priez pour que je n'entre pas en tentation », ce qui devait être la
leçon de la source (Trpoceu'/EGTe jx-/) slffsXOeïv [[xe] sic 7reip«ajj.ôv. Dans la
répétition de 46, il dépend de Me. xiv, 38).
« Et il s'éloigna d'eux, environ d'un jet de pierre», — Précision (cf.
Gen. XXI, 16, Sept.) qui manque dans Marc (xiv, 35) : « Et s'étant
avancé un peu ». Et il ne s'agit pas d'un simple éloignement ; on
526 LUC, XXII, 41-42
*i Et lui-même s'éloigna d'eux, environ d'unjel de pierre;
et s'étant mis à genoux, il priait, *2 disant :
« Père, si tu veux,
éloigne cette coupe de moi ;
[pourtant, que non ma volonté, mais la tienne se- fasse. »]
dirait que Jésus est comme entraîné (à.-!i£cniy.(jOr{) à quelque dis-
tance par la force de son émotion, — « Et s'étant mis à genoux, il
priait, disant ». — Autres détails dans Marc : « 11 se jetait contre
terre et priait que, s'il était possible, cette heure passât loin dejui». —
« Père, situ veux, éloigne cette coupe de moi». — Marc (xiv,36) :
« Et il dit : » Abba Père, tout t'est possible, éloigne de moi cette
coupe». Quelques témoins de Luc (A, etc.) lisent : « Père, si tu veux
éloigner (L, etc. 7rapev£7/.at ; A, etc., Ttap£V£7/.eTv) cette coupe de moi ! »
La phrase resterait suspendue, le souhait se trouvant coupé par
l'acte de résignation qui vient ensuite. Mais la réticence est peu
naturelle (le cas n'est pas le même que xxx, 42). — « Cependant, que
ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse ». — Marc :
« Néanmoins pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». Notre évan-
gile, pour cette partie de la prière, accuserait une réminiscence de
l'oraison dominicale dans la forme de Matthieu (vi, 10). Il est à noter
que certains témoins (D, mss. lat.) ont, après l'invocation : «Père »,.
la seconde partie de la prière : « Que ce ne soit pas ma volonté » etc.
(en omettant TrXvjv au commencement), et amènent en dernier lieu :
« Si tu veux » etc. Cette divergence pourrait faire supposer que l'acte'
formel de résignation a été interpolé ,* d'ailleurs, « si tu veux » paraît
vouloir rej)résenter la seconde partie de la prière dans Marc et se
trouve maintenant doubler inutilement Tacte de résignation.
Les deux versets suivants, concernant l'apparition de l'ange et la
sueur de sang, appartiennent en propre à notre évangile et sont pour
le moins rédactionnels ; beaucoup les regardent comme une interpo-
lation. Pour ce qui est de la critique interne, ce morceau se relie fort
médiocrement au contexte, bien que le récit paraisse d'abord singu-
lièrement affaibli si on les enlève ; après l'acte de résignation com-
plète (42 &), l'intervention de l'ange paraît superflue ; cette interven-
tion (43) viendrait mieux après la description de l'agonie (44) ; la
reprise (45) : « Et s'étant levé de la prière », néglige et l'intervention
de l'ange et l'agonie, pour se x'éférer à la prière seule (42). Ces argu-
ments toutefois ne sont pas décisifs : le défaut d'équilibre et de cohé-
sion n'est point particulier à notre i'écit et peut s'expliquer, ici comme
ailleurs, par les conditions du travail rédactionnel ; la mention du.
LUC, XXII, 43 S27'
^3 Or lui apparut du ciel nu ange qui le réconfortait ;
messager céleste ne répugnerait pas à l'esprit du rédacteur qui a fait
apparaître Gabriel à Zacharie et à Marie, qui a conduit une foule
d'anges à Bethléem, qui en amènera deux au tombeau du Christ et à
son ascension ; et l'on peut môme se demander s'il n'a pas voulu com-
penser l'omission des anges qui, dans Marc (t, i3) et dans Matthieu
(iv, II), servent le Christ au désert, par l'assistance d'un ange dans
la suprême tentation ; enfin ce qu'il dit de la sueur de sang n'est pas
))lus étrange que ce qu'on lit dans l'épître aux Hébreux (v,;;) touchant
la prière du Christ « aux jours de sa chair ». En ce qui l'egarde les
témoignages extei'nes, l'existence de notre passage est attestée déjà
par Justin (DmZ. io3),lrénée, Hippolyte;on le trouve dans le ms.S.
et chez les témoins dits occidentaux (D, mss. lat.Sc. etc.) Par contre il
manque chez des témoins autorisés (Ss. B A,etc., témoins alexandrins
et palestiniens ; pas de citations dans Clément, Origène, Cyrille de
Jérusalem, Grégoire de Nysse). Le témoignage externe ne sulfit donc
pas non plus à résoudre la question d'authenticité. L'omission volon-
taire pourrait s'expliquer aussi facilement que l'addition : celle-ci
aurait pu être produite après coup par la spéculation chrétienne ;
mais le sens chrétien pourrait aussi avoir été choqué de voir le Fils
de Dieu moralement secouru par un ange et physiquement anéanti
devant la perspective de la mort; que de tels scrupules aient été par-
ticulièrement sentis à Alexandrie, et que, l'intérêt de controverse
aidant, ils aient provoqué la suppression des versets gênants dans les
exemplaires de plusieurs communautés et pendant assez longtemps,
c'est une hypothèse non moins admissible que celle d'une interpola-
tion. La considération du style (cf. Agt. tx, 19 ; xu, 5) semble con-
firmer l'hypothèse de l'authenticité. Dans ce cas, il conviendrait de
supposer que l'acte de résignation : « Cependant que ce ne soit pas ma
volonté )) etc., aurait été importé dans Luc par les recenseurs qui
pensaient devoir éliminer l'ange et la sueur de sang, et sei'ait entrée,
par l'influence de ce texte corrigé, dans la tradition occidentale et
dans le texte vulgaire. L'économie du récit primitif aurait été assez
satisfaisante : Jésus, bien que soumis à la volonté de son Père,
demande que le calice de mort lui soit épargné ; préoccupé de la
suprême épreuve du Christ, le narrateur introduit le réconfort de
l'ange ; la prolongation et l'intensité de la prière remplacent et com-
pensent la triple prière et les allées et venues du Christ dans Marc. Le
défaut d'équilibre qui subsiste dans l'ensemble provient de ce que le
rédacteur n'a pas réussi à fondre les trois éléments de son récit : rela-
828 • LUC, XXII, 44
^* Kt lombé en agonie, il priait avec plus d'inslance ;
el devenait sa sueur
comme caillots de sang- dégouttant sur la terre.
tion primitive, source de Marc, que l'on peut supposer ayoir été suivie
par Luc ; relation de Marc ; données complémentaires, ange etsueur
de sang, qui se coord(mnent dans la pensée de l'écrivain à ce qu'il a
raconté de la tentation au désert. Il ne semble pas qu'on puisse voir
dans l'apparition de l'ange comme un écho de ce qu'on lit dans Mat-
thieu (xxvi, 53) touchant les légions d'anges que le Christ aurait pu
demander à son Père : cette parole aurait engagé l'écrivain à éviter
plutôt qu'à rechercher une intervention angélique .
« Or il lui apparut », — venant -^ « du ciel, un ange qui le récon-
fortait » — C'est bien l'ange assistant, qui était réservé pour la grande
épreuve, et l'auteur pense à l'accomplissement du Psaume (xci, ii;
cité IV, lo). — « Et tombé en agonie, il priait avec plus d'instance ».
— Par cette « agonie » Ton doit entendre une profonde impression de
tex'reur, d'où va résulter la sueur de sang. Mais devant cette terreur
on se demande à quoi sert le réconfort de l'ange; et peut-être y a-t-il
quelque subtilité à dire que l'ange réconforte Jésus pour la prière ins-
tante qu'il fait (Klostermann, 584; Lagrange, 56o). La vérité doit
être que le i-éconfort de l'ange accomplit une prophétie, et l'agonie
avec la prière une autre prophétie qui n'est pas autrement difficile à
identifier. C'est encore et toujours le Psaume xxit (a-3),. lequel pour-
rait bien av.oir aussi fourni la sueur de sang. « Comme eaux je me
suis répandu », disait le psalmiste (i5): n'était-ce pas la sueur d'an-
goisse? Et comme cette sueur aurait été trop vulgpaire pour le Christ,
rien n'était plus facile que de la convertir en sang. — « Et sa sueur
devenait comme caillots de sang qui tombaient sur la terre ». — Le
rapport de la sueur avec des gouttes de sang coagulé ne paraît pas
être de pure métaphore ou de simple ressemblance, non plus un chan-
gement miraculeux de sueur en sang; ce que suait Jésus faisait l'effet
de sang, sans doute parce que c'en était. Inutile de se demander si
cette sueur était naturelle ou miraculeiise ; l'évangéfiste l'aura plutôt
regardée comme un phénomène naturel bien que peu ordinaire; mais
cette circonstance n'exclut pas une arrière-pensée symbolique.- Ce
n'est pas pour rien que l'on parle ici de sang, et Cette sueur mysté-
rieuse pourrait bien être d'assez près apparentée avec l'eau et le sang
que, d'après le rédacteur johannique, le côté du Christ verse par
l'effet du coup de lance. Peut-être même notre rédacteur a-t-il imaginé
là une sorte de compensation pour ce qu'il trouvait dans Marc (xiv,34)
LUC, xxn, 4^-47 529
*^ Et s'étant relevé de la prière,
venant aux disciples, il les trouva endormis de tristesse,
*8 et il leur dit : « Pourquoi dormez-vous?
Levez-vous et priez, pour que vous n'entriez pas en tentation. »
" Comme il parlait encore, survint une troupe ;
et le nommé Judas, un des Douze, marchait devant eux,
et il s'approcha de Jésus pour le baiser ;
touchant le sang de la nouvelle alliance, et que lui-même n'avait pas
cru devoir utiliser dans le récit de la dernière cène.
« Et s'étant levé de la prière et venant près des disciples, il les
trouvaendormis de tristesse». — Le sommeil vient de Marc (xiv, 37-40),
et la tristesse vient de noire auteur, qui a voulu trouver une excuse
au sommeil des apôtres — « Et il leur dit: « Pourquoi dovmez-vous?»
— Reproche modéré; il est simplement sous-entendu que le sommeil
n'est pas de saison. Comparer Marc ixiv, 87) « Simon tu dors? Tu
n'as pas pu veiller une heure ? » C'est de Marc aussi bien que viennent
les paroles suivantes, qui tournent dans notre évangile à la répéti-
tion. — « Levez-vous et priez pour que vous n'entriez pas en tenta-
lion» — Marc (xiv, 38): « Veillez et priez», etc. Bien que notre auteur
emprunte le fond de son récit à une tradition qui entendait y figurer
la mort comme suprême tentation du Christ, et que lui-même ne laisse
pas de l'entendre ainsi, faisant organiser en quelque sorte par Satan
la passion de Jésus, il ne parle expressément de tentation que par
rapport aux disciples (ici et 40). L'idée de la tentation du Christ
appartient donc beaucoup plus à la source qu'à l'évangélisle lui-même.
Judas survenant, la recomnaandation de prier se trouve superflue
pour l'instant; elle n'est pas à dédaigner pour l'avenir, et c'est pour-
quoi on l'a gardée ici. Mais on peut croire que le rédacteur a très déli-
bérément omis les propos contradictoires et confus de Marc (xiv, 4i)-
Les paroles: « Dormez maintenant et reposez-vous », étaient trop
fâcheusement démenties par l'événement, et ce qui suit: «C'est assez;
l'heure est venue », etc., qu'il savait manquer dans la source, lui a paru
être une prédiction trop faible pour mériter d'être conservée. Il
saura bien faire entendre autrement que Jésus n'a pas été sui'pris, et
il se contente de clore le récit par l'invitation à prier, que Marc fai-
sait dire par le Christ à son premier retour.
Il semble donc que ce récit de l'agonie de Jésus au mont des Oliviers
ait localisé et daté une scène conçue d'abord d'après le Psaume xxii,
sans spécification de lieu ni de temps. Luc a dû connaître ce récit
dans la forme plus sobre où l'a trouvé le rédacteur de Marc, qui
A. LoiSY. — L'Évangile selon Luc. 34
î)30 LUC, XXII, 48-49
^8 mais Jésus lui dit : « Judas,
c'est par baiser que tu livres le Fils de l'homme I »
^^ Or ceux qui étaient autour de lui, voyant ce qui allait
[arriver,
dirent : « Seigneur,
frapperons-nous avec épée ? »
y a inséré, à leur détriment, ce qui regarde les trois disciples (pour
l'hypothèse contraire voir Bultmann, 162) ; de son côté, le rédacteur
du troisième évangile aui'a inséré l'ange assistant et la sueur de sang.
Les indications générales touchant l'arrestation peuvent êlre his-
toriques, mais la scène est altérée, pour l'eflet de dramatisation, déjà
dans Mare en plusieurs détails, baiser de Judas, incident de l'oreille
■coupée, discours de Jésus ; traits que la rédaction des deux autres
synoptiques a plus ou moins retouchés et amplifiés.
« Gomme il parlait encore, survint une troupe, et le nommé Judas,
un des Douze, marchait devant eux », — servant de guide à cette
bande (o/Àoç, comme dans Me. xiv,43). Marc: « Et aussitôt, comme il
parlait encore, arriva Judas, un des Douze, et avec lui une foule avec
épées et bâtons, de la part des grands-prêtres, des scribes et des
<inciens ». Notre auteur utilisera plus loin les éléments de Marc qu'il
néglige pour le moment ; il se réserve de faire apostropher par Jésus
les membres du sanhédrin, comme s'ils avaient accompagné la
troupe pour le coup de main qu'ils avaient concerté avec Judas ; il ne
pouvait pas dire que les magistrats avaient envoyé une troupe à
laquelle ils se joignaient eux-mêmes.
« Et il s'approcha de Jésus pour le baiser ». — 11 faut entendre que
Judas baisa le Christ. Ce qu'on nous dit est l'équivalent de Marc (xiv,
45) :« Il s'approcha... et il le baisa ». Mais notre auteur semble ne
vouloir pas insister comme Marc sur ce fait répugnant, et il omet le
détail du signe donné, que Marc(xiv, 44)p*'6sente en. ternies quelque
peu naïfs (0 et d'autres témoins ont pensé devoir ajouter à Le. 4;7 le
contenu de Mt. xxvi, 4^ = Me. xiv, 44)- — «Et Jésus lui dit :
« Judas, c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme ! » —
Marc (xiv, 46) fait arrêter le Christ après le baiser de Judas et n'a pas
le mot de 'protestation qu'on vient de lire. Matthieu (xxvi, 56) en a
imaginé un autre. Notre auteur garde Jésxis en liberté pour tout ce
qu'il veut lui faire dire. et faire, avant de le montrer aux mains de ses
ennemis, qui le prendront pour l'emmener chez le grand-prêtre (54)-
Jésus apostrophe Judas comme s'il repoussait le baiser du traître ; et
l'apostrophe même fait entendre que le baiser désignait Jésus à la
LUC, XXII, 50-51 531
'^^ Et l'un d'eux frappa le serviteur du grand-prètre
et lui enleva l'oreille droite.
s^ Mais, prenant la parole, Jésus dit :
(( Laissez faire cela. »
Et touchant l'oreille, il le guérit.
'troupe venue pour le prendre, comme Marc le'Jdit 'expressément.
L'exclamation est donc quelque, peu empreintejde rhétorique et d'arti-
fice littéraire .
Le trait du coup d'épée, simplement indiqué dans jMarc (xiv, 47)»
est développé avec une complaisance particulière Jdans notre évan-
gile. L'auteur veut que les disciples aient d'abord ||demandé à Jésus
s'ils doivent se servir des armes qu'ils ont avec Jeux, comme il a été
-dit plus haut. Question peu naturelle au milieu de [cette bagarre.
Mais c'est le cas de tous les propos que notre auteurjattribue ici à ses
personnages, — « Or ceux qui étaient avec lui, voyant ce qui allait
arriv.er », — c'est-à-dire que Jésus allait être pris s'ils n'y mettaient
obstacle, — « dirent ; « Seigneur, frapperons-nous de l'épée? » — Les
'disciples demandent s'ils sont dans le cas prévu par la frecommanda-
tion qui leur a été/aitede se pourvoir d'épée. La ^coordination des
deux passages fait ressortir l'artifice de leur conception. Ce préam-
bule est d'ailleurs pour expliquer le coup d'épée [donné. Jésus ne
répond pas à la question qui lui est faite. On peut, sijil'on veut, sup-
poser qu'il n'en a pas eu le temps, un des disciples ayant frappé tout
■de suite.
« Et l'un d'eux frappa» — de son épée — « le serviteur du grand-
prêtre ». — Tous les ëvangélistes parlent de ce ïserviteur comme si
on le connaissait, bien que son rôle dans la circonstance ne soit pas
•défini. On dirait un personnage de thème conveilu. — «"Et il lui coupa
l'oreille droite », — Marc ignorait, sagement> laquelle des deux
oreilles avait été coupée.
« Mais, prenant la parole, Jésus dit : « Arrêtez là ! » — A. la lettre :
« Laissez jusqu'ici » (éaTe 'eux; toutou). Ce ne peut être une [demande à
la troupe de ne pas s'en prendre aux disciples pour ce qui vient d'être
fait, ou bien de laisser Jésus s'occuper du blessé. Le Christ parle aux
disciples et leur demande de n'aller pas plus loin dans leur essai de
défense, ou plutôt de laisser faire les gens qui viennent pour l'arrêter,
ce qui revient au même pour le sens. — «Et ayant touché l'oreille » —
du blessé, — «il le guérit ». — Le Christ de notre évangile est gué-
risseur jusqu'à son dernier instant. Certains interprètes estiment que
532 LUC, XXII, 52
'^^ Or Jésus dit à ceux qui l'étaient venus prendre,
grands-prètres, stratèges du temple et anciens :
« Comme contre brigand vous êtes venus-
avec épées et bâtons !
c'est la plaie seulement qui fut guérie, sans que l'oreille fût remise. Le
texte ne favorise pas ce raccourcissement du miracle, car il est dit
que Jésus toucha l'oreille de l'homme et non la place qu'elle avait
occupée (D et mss. lat. lisent : « Et tendant la main, il le toucha, et
son oreille fut restaurée »). Mais le narrateur lui-même s'esl-il
demandé sérieusement si c'était la blessure ou bien l'oreille qui avait
été guérie ? Ce qu'il veut dire est que le coup porté a été réparé de
façon à ne laisser pas de traces : le serviteur du grand-prêtre rapporta
ses deux oreilles intactes à Jérusalem. Et voilà, certes, un pauvre
miracle, mais ce n'est pas motif de supposer (avec J. Weiss-Bousseï,
5oo) que le coup d'épée et la guérison (5o, 5i b) seraient une sur-
charge. C'est toute la scène qui est médiocre et secondaire (et la trans-
position après 52-53 de 5i b dans deux mss. lat. est un appui trè&
insuffisant pour l'hypothèse indiquée). Somme toute, le miracle sert
à expliquer comment le coup d'épée n'a pas eu de suites fâcheuses, les
disciples étant invités à s'abstenir désormais de toute violence, et celle
qu'ils ont commise étant déjà réparée.
Le discours à la troupe armée est, en substance, conforme à Marc,
mais notre auteur le fait adresser, ou peu s'en faut, pour plus de
solennité, à tout le sanhédrin, jouant de cette assemblée avec la même
désinvolture que dans les Actes. — « Qr Jésus dit à ceux qui l'étaient
venus prendre, grands-prêtres, capitaines du temple», — état-major
de la garde, qui remplace, ici comme plus haut (4), les « scribes » de
Marc(xiv, 43), — « et anciens ». — La présence de tous ces person-
nages au milieu de la nuit sacrée delapàque, sur le mont des Oliviers,
pour procéder à une mesure de police, si importante qu'on la puisse
supposer dans leur estime, n'est pas très vraisemblable, mais notre
auteur l'a conçue pour correspondre à la solennité du discours, qui,
dans Marc et dans Matthieu, est fort mal adressé à la valetaille
envoyée pour prendre Jésus.
« Vous êtes sortis, comme contre un voleur, avec épées et bâtons »..
— Ce sont les épées et bâtons que Marc (xiv, 43, 48) met aux mains
dos satellites, mais qu'on ne voit pas très bien dans celles des grands-
prêtres et des anciens. — u Quand j'étais chaque jour avec vous dans
le temple, vous n'avez pas porté les mains sur moi ». — Jusqu'ici les-
LUC, XXII, B3 533
*^ Quand j'élais chaque jouf avec vous dans le temple,
vous n'avez pas porté les mains sur moi ;
mais c'est ici votre heure,
et la puissance des ténèbres. »
■variantes à l'égard de Marc sont insignifiantes ; la conclusion du dis-
cours a été modifiée au moins quant à la forme. -^« Mais c'est votre
heure, et la puissance des ténèbres », — Marc : « Mais c'est pour que
soient accomplies les Ecritures ». Notre auteur a cité plus haut (3^)
TEcriturequi s'accomplit spécialement en cette circonstance où Jésus
est traité comme un voleur ; il a donc remplacé avec intention et pour
instruction plus ample la formule vague concernant l'accomplissement
des Ecritures. « L'heure » ne signifie pas seulement la nuit comme le
temps le plus propice aux actions honteuses, et « la puissance des
ténèbres » rie désigne pas seulement un pouvoir qui veut s'exercer
dans l'obscurité ; « l'heure » est le temps que Dieu abandonne à la
perversité des hommes, pour le faire servir à l'oeuvre du salut ; « la
puissance des ténèbres » est celle du démon, prince des ténèbres. En
<îette nuit le démon et ses auxiliaires ont la permission d'accomplir
leur œuvre d'iniquité, d'où le salut sortira par la vertu de Dieu. On
aplatirait singulièrement la pensée de l'auteur en lisant (avec Well-
HAUSEN, 128, d'après D) ; « Voici votre heure et le lieu de votre
pouvoir, l'obscurité » de la nuit.
Pas un mot de la fuite des disciples (Me. xiv, 5o), donti'évangéliste
a eu soin dé ne pas faire annoncer explicitement la défection. 11 ne
veut pas les éloigner, parce qu'il entend les rendre témoins, à Jéru-
salem, des apparitions du Chi'ist ressuscité ; il a bien senti la contra-
diction mal dissimulée qu'offre Marc, et qui est passée dans Matthieu,
entre ce qui est dit de la dispersion des disciples, censée accomplie
aussitôt après l'arrestation de Jésus, et ce qu'on lit plus loin de leur
présence à Jérusalem le matin de la résurrection ; il a résolu cette
contradiction en supprimant la fuite des disciples. Si malaisées
qu'elles soient à mesurer dans le détail, les relouches et additions
^u'il a opérées sur le récit de la passion qu'avait rédigé Luc ont été
aussi considérables que celles qu'il a pratiquées sur la relation du
ministère, aussi considérables, nous pouvons maintenant le dire, que
celles qu'il a pratiquées dans le second livre à Théophile pour en faire
notre livre des Actes. On n'est pas étonné de lui voir passer sous
silence comme insignifiant l'incident du jeune homme qui s'enfuit nu
(Me, XIV, 5i-52), incident que, d'ailleurs, Luc a fort bien pu ignorer,
■car il paraît avoir été conçu en accomplissement de prophétie (voir
534 LUC, xxii^ 54-55
^* Et s'étant saisis de lui, ils l'emmenèrent
el ils l'introduisirent dans la maison du grand-prêtre.
Or Pierre suivait de loin ;
^^ et comme ils allumèrent du feii au milieu de la cour
et s'assirent ensemble,
Pierre s'assit au milieu d'eux.
Marc, 423 ss.^ bien que plusieurs (et récemment Bulïmann, i63) y
voient Tin lambeav\ de tradition primitive qui aurait été omis dans-
Matthieu et dans Luc parce qu'on ne le comprenait plus. Ce n'est pas
l'incident qu'on ne comprenait plus, c'est plutôt sa signification mes~
sianique qui aura échappé ou qui aura paru sans portée.
LXXXVII. Chez le grand-prêtre
Au lieu d'êti'e fâcheusement coupée par la séance nocturne que
Marc fait tenir au sanhédrin, l'anecdote de Pierre et du reniement
(54-6q) suit dans notre' évangile celle de l'arrestation; la scène de
dérision chez le grand-prêtre est maintenue (63-65) ; la délibération
que Marc place au matin se développe en interrogatoire avec conclu-
sion (66-71). Il doit y avoir là autre chose qu'un abrégé et un rema-
niement du second évangile ; bien plutôt Luc, tout comme le docu-
ment fondamental de Marc, ignorait l'impossible et imaginaire séance
du sanhédrin; et le rédacteur aura enrichi de traits empruntés à cette-
séance la délibération matinale où les ennemis de Jésus concertèrent,
leurs accusations (Me. XV, i).
« Or, l'ayant pris, ils l'emmenèrent et le conduisirent à la maison
du grand-prêtre ». — Dans Marc (xiv, 53j, où Jésus a été pris tout de
suite (xiv,46) par la troupe armée, on lit simplement: « Et ils emme-
nèrent Jésus chez le grand-prêtré ». — Luc n'a pas nommé le grand-
prêtre, que Marc ne nommait pas, — « Et Pierre suivait de loin )n
— Il n'aurait pas été superflu d'ajouter avec Marc (xiv, 54) : « jusque
dans la cour du grand-prêtre », mais l'auteur va parler tout aussitôt
de la cour et expliquer comment Pierre a pu s'y chaufïer. — « Et
comme ils allumèrent du feu au milieu de la cour et s'assirent auprès,.
Pierre s'assit au milieu d'eux ». — Paraphrase de Marc ; « Et il était
assis au milieu des valets et se chauflait devant le feu ». Ici a été
intercalée dans Marc la séance nocturne du sanhédrin pour la con-
damnation de Jésus. Notre évangile amène le récit du triple renie-
ment, que prépare ce préambule; et sûrement, ce n'est pas parce
LUC, XXII, 5G-58 533
^^ Mais une servante, l'ayant vu assis à la lumière,
et ra3'ant regardé attentivement, dit :
« Celui-ci aussi était avec lui. »
" Et il nia, disant :
« Je ne le connais pas, femme. »
^8 Et peu après, un autre, le voyant, dit :
« Toi aussi lu en es. »
- Mais Pierre dit :
« Homme, je n'en suis pas. »
que l'auteur écrit a avec suite )),mais bien parce que la source de Marc
le présentait ainsi, sans la coupure maladroite qui y a inséi'é.la scène
fictive du jugement nocturne.
« Or, une servante, l'ayant vu assis près du feu ». — . Marc (xiv,
6ô) est plus circonstancié, à raison de la reprise qu'a nécessitée
l'intercalation du jugement : « Et comme Pierre était en bas dans la
cour, vint une des servantes du grând-prêtre, et voyant Pierre qui se
chauftait ». — ^ «Et l'ayant regardé attentivement ;). — Le regard
(àcTEv'aaca) est moins accentué dans Marc (àp.j3X£'J>affa). — « Dit: « 11
était aussi avec lui ». — La .servante parle aux assistants, et notre
auteur parait avoir évité de lui faire prononcer avec mépris le nom
de Jésus, comme elle fait dans Marc, s'adressant à Pierre : « Toi
aussi, tu étais avec Jésus le Nazarène ». C'est à elle néanmoins que
Pierre répond». — « Mais il nia, disant : « B'emme,je ne le con-
nais pas ». — Reniement formel pour commencer; mais notre auteur
utilisera dans la troisième réplique ce que Marc lui fait répondre à la
servante : « Je ne sais ni ne comprends ce que tu dis. »
« Et peu après, un autre, le voyant, dit : « Toi aussi, tu en es ». —
Dans Marc (xiv, 68-69), c'est la même servante, mais Pierre s'est
déplacé, allant dans le vestibule, le coq a chanté pour la première
fois, et la servante dit aux assistants : a II en est ». Notre récit suit la
source en retenant Pierre au même endroit pour les trois reniements,
et en ne parlant pas de chant du coq après le premier ; mais il ne
laisse pas démettre des intervalles entre les reniements, sans se sou-
cier plus que Marc de la vraisemblance, et pour la même raison,
parce que l'histoire du reniement et la scène d'outrages qu'il a placée
ensuite lui servent à remplir un temps déterminé, les heures com-
prises entre l'arrivée de Jésus chez le grand-prêtre et la séance mati-
nale du sanhédrin. C'est l'intervalle placé entre les deux premiers
reniements qui a occasionné un changement dans la personne par
536 LUC, XXII, 51'-(.,0
^^ El une heure envirou s'élant écoulée,
un autre insislail, disant :
« Sûrement, celui-ci aussi était avec lui ;
car il est Galiléen, »
^° Mais Pierre dit :
« Homme, je ne sais ce qu(^ lu dis >>
Et aussitôt, comme il parlait encore, chanta coq;
laquelle est provoquée le second (cf.MT.xx"vi,;;/i).Au lieudela servante
c'est « un autre », un liomme quelconque, et qui s'adresse à Pieri'ô
lui-même. — « Mais Pierre dit : a Homme, je n'en suis pas ». — Marc
(xiv, 70) : « Et il nia de nouveau ». Dans notre évangile la réponse
expresse, avec l'apostrophe : «homme )), accentue le changement
d'interlocuteur, et les deux premières réponses avec les apostrophes,
« femme », « homme », se trouvent parallèles.
«Et une heure environ s'étant écoulée, un autre insistait, disant »
— Marc : « Et peu après ceux qui étaient là dirent encore ». Dans
notre récit le second intervalle a été évalue à une heure, parce que
le « peu après » de Marc avait été utilisé pour le premier ; mais la
durée de l'incident ne s'allonge qu'aux dépens de la A'raisemblance ;
et comme le second reniement ne peut pas, dans les conditions indi-
quées, former l'occasion du troisième, notre auteur ne fait pas inter-
venir les assistants pour la remarque ; c'est encore « un autre » qui,
au bout d'une heure, s'avise de dire en d'autres termes à ses compa-
gnons ce que la servante avait dit d'abord. — « Certainement celui-là
aussi était avec lui, car il est Galiléen ». — Dans Mai'c, les assistants
disent à Pierre lui-même : « Cértainementtu en es, car tu esGaliléen ».
Crescendo dans l'attaque, auquel correspond un crescendo dans la
riposte (Me. xtv) : « Et il se mit à faire des imprécations et à jurer ;
« Je ne connais pas cet homme dont vous parlez ». Notre auteur se
contente d'une simple négation. — « Mais Pierre dit : « Homme, je ne
sais ce que tu dis ». Réponse qui est, dans Marc, le premier renie-
ment. La faiblesse de Pierre a été palliée autant que possible, et l'on
se tait sur les faux serments.
« Et à l'instant, comme il parlait encore, un coq chanta », — selon
la prédiction du Christ. Marc(xiv, 72) : « Et aussitôt, pour la seconde
fois, un coq chanta ». Mais notre auteur ne s'est pas contenté de faire
chanter le coq. — « Et s'étant retourné, le Seigneur regarda Pierre »,
— pour lui rappeler la prédiction faite quelques heures auparavant.
Détail inattendu et dont il convient, avant de le trouver « merveilleu-
LUC, AXM, 01-02 537
*^ et s'étanl retourné, le Seigneur regarda Pierre.
El Pierre se souvint de la parole du Seigneur,
comment il lui avait dit :
« Avant que coq chante aujourd'hui
tu me renieras trois fois. »
^* [Et s'en allant dehors, il pleura amèrement.]
sèment beau » (Lagrange, 670), de n'exagérer point la portée dans les
intentions de l'évangéliste. Certes, celui-ci ne s'est point avisé qu'il
grossissait l'indignilé du reniement en le taisant faire en présence du
Christ ; et sans doute n'a-t-il pas voulu non plus signifier que le
regard de Jésus était un re[)roche muet qui devait provoquer le
repentir de l'apôtre. Le contexte montre que l'idée dominante est
celle delà prédiction accomplie. Le regard de Jésus rappelle à Pierre
la parole prophétique louchant le reniement et le chant du coq. Et si
l'interpolateur de ce trait a une autre préoccupation, c'est celle d'ac-
erocher la scène de dérision qu'il veut mettre dans la cour du grand-
prêtre, et sans y faire intervenir, comme Marc, les membres du san-
liédrin. Il a voulu signifier que le Christ, au lieu d'être en présence
de ses juges pendant cette partie de la nuil, comme on le lit dans
Marc, était resté dans la cour, sous la garde des gens qui lavaient
arrêté, et qui lui firent subir les pires injures. Fiction et combinaison
rédactionnelles .
« Et Pierre », — doublement averti, et par le chant du coq et par le
regard du Christ, — « se souvint de la parole du Seigneur, comme il
lui avait dit :« Avant que coq chante aujourd'hui, tu me renieras
trois lois». — C'est la conclusion de Marc (avec omission du Eîç,
remplacé par «jvj[ji.£pov), et il semble que notre auteur s'en soit tenu là.
Ce qui suit : — « Et s'en allant dehors, il pleura amèrement », —
paraît avoir été transcrit de Matthieu (xxvi, 75)pour la conformation
aux deux autres synoptiques (62 manque dans plusieurs mss. lat ; et
il paraît laire aussi surcharge dans la strophe).
Le triple reniement de Pierre est un récit arrangé dans la tradition
et que chaque évangélisle a traité à sa manière. On a vu plus haut
(p. 5'ii) que Luc pourrait l'avoir ignoré. Etant donnée la malveillance
avec laquelle sont traitées dans Marc les principaux apôtres gali-
léens, et spécialement Pierre, ou peut se demander si l'histoire même
du reniement n'aurait pas été inventée (cf. Bultmann, i63) dans la
tradition propre du second évangile (comme la protestation de Pierre
■contre la première prophétie de la passion et son sommeil obstiné
538 LUG, XXII, 63-65
^^ Et les hommes qui le tenaient se jouaient de lui, le frap-
[pant,.
"* et l'ayant couvert d'un voile, ils l'interrogeaient, disant :
« Prophétise ; qui est celui qui t'a frappé ? »
'^'^ Et beaucoup d'autres injures ils proféraient contre lui.
durant la triple prière de Gethsémani), bien que le récit paraisse en
avoir été retouché dans la rédaction dernière de Mai'c, où la couardise
de Pierre se trouve finalement atténuée par son repentir (sur la forme
que paraît avoir eue d'abord l'anecdote du reniement, voir Marc,
439-441).
Notre auteur voulant retenir la scène d'outrages qui, dans Marc,
suit la condamnation de Jésus par le sanhédrin, et ne i*acontant pas
ce jugement, ne pouvait la loger convenablement entre la réunion
matinale des magistrats juifs et le jugement par.Pilate ; il l'a donc
insérée après le reniement de Pierre, la localisant dans la cour du.
grand-prêtre et y faisant intervenir seulement la valetaille qui gar-
dait Jésus. D'autre part, les injures de , ces gens remplacent aussi
bien la scène de dérision par les soldats romains (Me. xv, 16-20), dont
notre évangéliste ne s'est pas soucié de parler.
(( Et les hommes quile tenaient se moquaientde lui ». — On remar-
quera que la transition est plus naturelle si l'on omet ce qui, dans le
texte ordinaire (62), concerne la retraite de Pierre ; mais l'artifice du
rappi'ochcment entre la scène des outrages et celle du reniement ne
laisse pas d'être sensible. La'scène des outrages a plus d'unité, aussi ^
plus d'apparente clarté dans notx'e évangile, où les éléments fournis
par Marc ont été atténués et fondus. — « Le frappant et lui voilant
la face ». — Marc (xiv, 65) : « Et quelques-uns se mirent à cracher sur
lui, à lui voiler le visage, à lui donner des coups de poing ». On
dirait que ce sont les membres du sanhédrin qui interviennent, mais
à la fin Marc parle des «valets ». Notre auteur a supprimé l'ignomi-
nie des crachats ; il retient les coups et le voile, coordonnant ceux-ci
à celui-là. — « Ils l'interrogeaient, disant : « Prophétise; qui est celui
qui t'a frappé ? » — Jésus aurait été invité à désigner les auteurs des
coups qu'il recevait ; puisqu'il ne les voit pas, il faut donc qu'il dise
les noms ; mais, pour se livrer à ce jeu, on n'avait pas besoin de lui
bander les yeux (cf. Mt. xxvi, 6;^ 68, oùil n'est pas question du voile).
D'après Marc, les insulteurs, tout en frappant, disaient : « Prophé-
tise », mais il n'est pas sûr que ce soit une invitation à faire connaître
les auteurs des coups. — « Et ils disaient, en l'injuriant, beaucoup-
hvc, XXII, 66 - 53 9-
^^ Et quand il l'ut jour, s'assembla le sénat du peuple,
et grands-prêlres et scribes,
et ils le firent amener devant leur conseil,
d'autres choses contre lui». — Ceci remplace le dernier trait de
Marc :« Et les valets le reçurent avec des soufflets ». Morceau de
remplissage, pour l'accomplissement des prophéties (voir Marc,^3'j).
Mais peut-êti'e convient-il de songer, tant'pour ce trait que pour la
-série de tableaux oti l'on s'est habitué à voir l'histoire de la passion et
de la résurrection de Jésus, au caractère liturgique de nos récits, où
ne sont pas marquées seulement les étapes de la commémoration
rituelle, mais aussi bien les scènes qui y correspondent, plus ou moins
figurées dans l'assemblée chrétienne, et peut-être accompagnées
des lectures de l'Ancien Testament où elles étaient censées prédites.
Les variantes mêmes des récits peuvent s'expliquer en partie par ce
caractère des relations : ce sont des formes diverses de dramatisa-
tion d'un même thème, conçu principalement pour l'édification des
croyants.
LXXXVIII. Devant LE sanhédrin
Marc (xv, i) signale simplement, au matin, une délibéi'ation en suite
de laquelle le sanhédrin aurait emmené Jésus devant le tribunal de
Pilate. Dans la réalité, cette délibération n'aurait pas été une séance
officielle, mais une réunion privée dans laquelle aurait été concertée
l'accusation. Notre évangéliste a replacé dans cette réunion le princi-
pal de ce qu'on lit dans Marc touchant la séance de nuit (cf. Bult-
MÀNN, i64). Il n'est pas probable que la combinaiscm vienne de Luc
lui-même, qui devait se conformer au document fondamental de
Marc, sachant fort bien d'ailleurs que Jésus n'avait pas été jugé ni
condamné par le sanhédrin. Même notre évangéliste ne s'aventure
pas très loin dans cette voie, et tout en représentant le sanhédiùn
comme siégeant officiellement et faisant comparaître devant lui le
Ghristjil se borne à un interrogatoire qui a pour objet direct la préten-
tion messianique de Jésus et qui n'a pas d'autre conclusion que son
aveu. Ce n'est toujours pas une sentence de mort qui va être portée
devant Pilate pour ratification, mais une accusation qui se fonde sur
un aveu officiellement recueilli.
« Et quand il fut jour ». — Dans Marc (xv, i) : « Et dès le matin,
après avoir tenu conseil, les grands-prêtres, avec les anciens et les
scribes, et tout le sanhédrin, ayant fait lier Jésus, l'emmenèrent et
\.
MO LUC, XXII, 67-68
®' disant : « Si lu es le Christ, dis-le nous. »
Mais il leur dit :
u Si je vous (le) dis, vous ne (le) croirez pas,
*^ et si j'interrogeais, vous ne répondriez pas:
le remirent à Pilate.». Cette donnée se trouve ici combinée avec Marc
(xiv, 55) : « Cependant les grands-pi'ôtres et tout le sanhédrin cher-
chaient un témoignage contre Jésus », etc. — « Le sénat du peuple,
grands-prêtres et scribes, s'assemblèrent ». — D'après le texte
ordinaire, la lormule : sénat du peuple » (tô Trpso^uTsptov tou Xaoù) dési-
gnerait le sanhédrin tout entier (cf. Agt. xxh, 5, et v, 21, yspouffia,
morceaux rédactionnels), dont grands-prêtres et scribes seraient les
éléments principaux. Si la formule désignait «les anciens du peuple»,
troisième catégorie des membres du sanhédrin, comme l'entendent
certains témoins (D. Ss. Se), ils ne figureraient pas en tète de la
liste (cf. XX, i).
« Et ils le firent comparaître » — littéralement : « ils l'amenèrent »,
le firent amener, de la cour où Jésus est censé avoir passé la nuit, au
lieu de leur séance, non expressément localisé, mais qu'on peut
supposer dans la maison du grand-prêlre (d'après 54), — « devant
leur conseil », — à leur tribunal (eiç t6 cuvÉopiov aùxwv ne doit pas
s'entendre du lieu, mais du « sénat » réuni en cour judiciaire.
La-gkange, 571), — « disant : « Si tu es le Christ, dis-le nous ». — On
arrive tout de suite à la question capitale (Me. xiv, 61), mais posée
sans solennité, et il n'est pas parlé du grand-prêtre comme interro-
gateur. Ce peut être pour la simplification de la mise en scène, mais
peut-être aussi l'évangéliste hésitait-il entre Hanan et Caïphe, ne
sachant identifier le grand-prêtre de Marc. 11 ne parle pas non plus
de témoins, mais on voit par la conclusion (71) que l'auteur
dépend d'une source qui les mentionnait. Il aura donc trouvé que
l'interrogatoire des témoins était un développement sans intérêt, et
l'on peut croire aussi qu'il ne se souciait pas de reproduire la parole
concernant le temple (cf xxiit, 35, et Me. xv, ag-Sa).
« Mais il leur dit : « Si je vous le dis, vous ne le croirez pas, et si je
vous interroge, vous ne répondrez pas ». — Réponse évasive et subti-
lité rédactionnelle (simple rapport de forme, et pas très étroit, avec
Jér. xxxvin, i5; Sept. xlv). Ni la question n'est posée en termes
juridiques, ni la réplique n'est celle d'un accusé parlant à ses juges.
Ce n'est pas que l'évangéliste n'ait voulu donner à la réunion du
sanhédrin un caractère officiel, mais c'est qu'il arrange lui-même son
récit de façon à mettre en relief l'attitude indépendante de Jésus
LUC, XXII, 69-70 b41
«^ Mais désormais sera le Fils de l'homme
assis à la droite de la puissance de Dieu, »
" Et tous dirent : « Tu es donc' le Fils de Dieu ? »
Et lui leur dit : « Vous dites que je le suis. »
devant le sénat des Juifs. On se demande s'ir quoi porteraient les
questions que Jésus pourrait faire aux juges : à ne considérer que
la vraisemblance, on pouri'ait supposer qu'elles concerneraient les
circonstances et les mbtifs de son arrestation ; mais, vu le contexte,
et dans la pensée de l'évangéliste, il s'agit plutôt de contre-ques-
tions toucli.'int l'objet même de l'interrogation posée par les juges, à
savoir le l'ôle du Messie, et comment l'entendent les membres du
sanhédrin. Ces préliminaires sont destinés à amener ce que l'évan-
géliste a trouvé d'essentiel dans la déclaration attribuée à Jésus par
Marc (xiv, 6a), mais en dégageant les deux éléments de celle-ci,
l'ayeu messianique et l'exaltation du Fils de l'homme. L'aveu mes-
sianique étant réservé pour la conclusion, c'est le second point qui
est traité d'abord,
(( Mais désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la
puissance de Dieu ». — On sent l'artifice rédactionnel par lequel cet
élément de Marc est ajusté à ce qui précède. Mais on lit dans Marc :
« Vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la Puissance, et
venant avec les nuées du ciel ». Notre auteur (noter qu'il a retenu de
.Marc le mot « puissance )),mais comme attribut, non comme désigna-
tion formelle de Dieu) veut opposer au Messie juif le Messie chrétien,
tel d'ailleurs que les Ecritures l'ont annoncé, « Fils de l'homme », et
« assis à la droite » de Dieu ; mais il a eu soin de supprimer tout ce
qui, dans Marc, annonce la parousie prochaine, ayant songé que les
juges du Christ étaient tous morts sans l'avoir vu « venir sur les
nuées ». Les interrogateurs sont censés comprendre en gros où va
cette déclaration, et qu'elle est une profession de messianité,mais de
inessianité transcendante. — « Et ils dirent tous: « Tu est donc le Fils
de Dieu ?» — « Fils de Dieu », dans leur bouche, n'est pas censé un
simple équivalent de Christ, mais une définition messianique jugée
inadmissible par le sanhédrin ; du rçste, ce détour paraît être aussi
bien pour le relief de la réponse finale, après que Jésus a témoigné
ne devoir pas de réponse au sanhédrin. — « Et il leur dit : « Vous
le dites, je le suis», — Il paraît difllcile d'entendre {ûiKeUXÉyexs. oxi
£7(1) eljjt.'.) : « C'est vous qui dites que je le suis », comme si Jésus
affectait de ne pas prendre la responsabilité de l'assertion: restric-
tion mentale dont on ne saurait déterminer le sens.En s'annonçant
:542 LUC, XXII, 71; xxiii, 1-2
'1 Et ils dirent : « Qu'avons nous encore besoin de témoignage ?
Car nous-mêmes l'avons entendu de sa bouche »
''^"i El s'étant levée loule leur assemblée,
ils le conduisirent devant Pilate,
2 et ils se mirent à l'accuser, disant :
a Cet homme nous avons trouvé révolutionnant notre nation,
défendant de payer les tributs à César,
et se disant être Christ roi. »
« Fils de l'homme assis à la droite de Dieu », Jésus s'est bien dit Mes-
sie et Fils de Dieu ; d'autre part, il est clair que les interrogateurs
prennent cette réponse comme un aveu formel, et rien n'invite à sup-
poser qu'ils se soient trompés (cf. J, Wbiss-Bousset, 5o2). Notre
auteur ne fait que paraphraser le : « Je le suis» de Marc. Mais il laisse
encore tomber le Irait du grand-prêtre criant au blasphème : il ne
veut point parler du grand-prêtre, non plus de blasphème, parce,
qu'il ne veut pas parler de condamnation du Christ pour blasphème
parle sanhédrin. Les juges ont recueilli simplement un aveu de
messianité qu'ils vont porter devant Pilate à titre d'accusation.
« Et ils dirent i » Qu'avons-nous encore besoin de témoignage v, —
au sujet de ses prétentions ? — « Car nous-mêmes avons entendu de
sa bouche » — l'aveu de ce qu'il dit être. Paraphrase de ce que dit le
grand-prêtre dans Marc (xïv, 63) : « Qu'avons-nous encore besoin de
témoins ? » Du reste, pas de jugement ni de condamnation par le san-
hédrin. Notre évangéliste n'a pas voulu assumer la contradiction du
double jugement, et il a cherché ailleurs les moyens de changer le
sens de la condamnation portée par Pilate.
LXXXIX. Devant Pilate et Hérodb
« Et toute leur troupe s'étant levée ». — Nous savons déjà que,
dans Marc (xv, i), c'est le sanhédrin tout entier qui se présente au
tribunal du procurateur (il serait pai'faitement arbitraire de supposer
impliqué dans TtX-TiOoç un concours de peuple, d'autant que la suite de
la phrase ne se rapporte qu'aux accusateurs de Jésus ; cf. Act. xxiii,
;7, où le même mot s'applique au sanhédrin). — « Ils le conduisirent
devant Pilate » — pour le faire juger. — « Et ils se mirent à l'accu-
ser». — Dans Marc (xv, 2-3) l'accusation vient fort mal après la
question : « Es-tu le roi des Juifs ? » Logiquement et en fait, l'accusa-
tion a àù. précéder l'interrogatoire. On ne saurait dire si notre
évangéliste a rétabli de lui-même les choses dans l'ordre qu'il fallait.
Lie, XXI n, 3-4 • 1)43
3 Et Pilale l'interrogea, disant :
« Tu es le roi des Juifs ? »
Et répondant il lui dit : « Tu le dis. »
^ Et Pilate dit aux grands-prêtres et aux l'ouïes :
(f Je ne Irouve rien de criminel en cet homme. »
ou bien s'il y a été aidé par la source de Maru , — « Disant ». — Dans
Marc aucun grief particulier n'est exprimé : « Et les grands-prêtres
l'accusaient beaucoup ». Notre récit a une accusation libellée en
bonne et due forme et qu'on voudrait pouvoir tenir pour authen-
tique ; elle se présente de la même façon que l'accusation portée
contre Paul au nom du sanhédrin par l'avocat TurtuUus devant
Félix (AcT. XXIV, 5-6) ; la même main s'y reconnaissant, l'on peut
craindre, dans les deux cas, que le texte donné ne représente avant
tout la façon dont le rédacteur lui-même a voulu que l'on comprît le
rôle des Juifs et le, point de vue juif dans les procès en question.
« C'est lui que nous avons trouvé pervertissant notre nation», —
l'agitant et la sollicitant à la révolte, — « défendant de payer le tribut
à César ». :— Dans la pensée de l'auteur, les deux premiers points
sont calomnieux et se l'éfutent d'eux-mêmes (en regard de xx, q5). Le
troisième auquel se subordonnent les deux autres, est équivoque et
n'est pas censé avoir le sens qu'y insinuent les accusateurs. — « Et se
disant le Christ roi ». — Le mot « roi >> explique pour ï?ilale le mot
« Christ» . Cette accusation pourrait bien contenir plus de vérité que
notre évangéliste ne le pense ; mais on hésite à supposer qu'il l'avait
trouvée à peu près telle dans la source ; il l'aura plutôt conçue pour
l'équilibre de son récit, mais en s'aidant peut-être d'une opinion
courante parmi les Juifs, si ce n'est parmi les chrétiens des tout pre-
miers temps, touchant le rôle de Jésus.
« Et Pilate l'interrogea, disant : « Tu es le roi des Juifs ?» — C'est
la question que Marc fait poser d'abord. La réponse de Jésus est la
même dans les deux évangiles. — « Et répondant, il lui dit : « Tu le
dis ». — Ici encore plusieurs entendent : « C'est toi qui le dis », avec
réserve sur la consistance de l'assertion impliquée dans la question do
Pilate, dont on s'expliquerait ainsi la perplexité. Mais on n'explique
rien; car la réticence ne justifierait pas l'attitude que va prendre
Pilate. Dans la réalité, il s'agii*ait de savoir si l'accusation est fon-
dée, et un demi désaveu ou même une négation de l'accusé ne suffi-
rait pas à l'écarter, il faudrait prouver que le témoignage n'est pas
fondé. De quelque façon qu'on s'y prenne, et quand même on admet-
trait que Jésus n'a pas voulu s'avouer « fils d-e Dieu », au sens juif.
544 LUC, xxiii, 5
5 Mais ils insistaient, disant :
ft II soulève le peuple,
en enseignant par toute la Judée,
ayant commencé par la Galilée (pour venir) jusqu'ici. »
ni Christ roi, devant le sanhédrin, ni Christ-roi devant Pilate, il res-
terait que l'accusation a eu pourtant son plein effet, et que Pilate y a
fait droit. La tradition ne peut nier ce fait, et elle n'apporte pas la
moindre preuve que Pilate ait été induit en erreur par le témoignage
des Juifs. D'autre part, il est dangereux d'invoquer les discours que
Jésus tient à Pilate dans le quatrième évangile, non seulement parce
qu'ils n'ont jamais été tenus, mais parce que l'évangile même donne
aussi bien à entendre que Pilate n'y a rien compris. Les évangélistes
ne se sont aucunement mis en frais pour expliquer la psychologie de
leur Pilate, qui, abstraction faite de l'intérêt apologétique par lequel
son rôle a été suggéré, n'est pas autre chose qu'un personnage
automatique pour drame enfantin. Ce qu'on nous dit d'une condam-
nation que le procui'atsur se serait vu forcé de porter contre sa
conviction intime est de pure fiction apologétique. Aussi bien notre
auteur n'a t-il pas eu souci plus que Marc d'expliquer cette con-
viction de Pilate, qui, sauf la foi, aurait vu Jésus du même œil que
le voyaient les chrétiens de la seconde ou troisième génération, ceux
qui ne l'avaient point connu.
« Et Pilate dit aux grands-prêtres et aux foules ». — Marc (xv, 8)
n'amène la foule que pour l'incident de Barabbas ; notre auteur a
trouvé bon de la supposer présente dès le commencement de l'affaire,
comme si la population de Jérusalem, avertie de ce qui se passait,,
n'avait pas tardé à rejoindre le sanhédrin devant le tribunal de
Pilate. — u Je ne trouve rien de criminel en cet homme ». --Cette
déclaration formelle d'innocence, que Marc a eu la discrétion de né
pas mettre dans la bouche de Pilate, n'est que pour amener la pro-
testation des Juifs et la comparution du Christ devant Hérode.
« Mais ils insistaient » — plus fortement sur l'accusation portée,
— « disant : » Il soulève le peuple en enseignant par toute la
Judée », — tout le pays juif (cf. i, 5), non seulement la province
de Judée, soumise, avec la Samarie, à l'autorité de Pilate, — « ayant
commencé par la Galilée », — pour venir — « jusqu'ici ». — Grâce à
cette mention de la Galilée, Hérode va entrer dans l'affaire, et
Jésus aura un prince hérodien à côté de Pilate pour attester,
quoique de façon assez singulière, son innocence, comme Paul en
aura un dans les Actes (xxvi, Sa). Les deux fictions sont parallèles
LUC, XXIII, 6-9 b45
^ Et Pilate, entendant (cela), demanda
si l'homme était Galiléen ;
' et informé qu'il était sujet d'Hérode,
il le renvoya à Hérode,
qui était, lui aussi, à Jérusalem en ces jours-là.
^ Or Hérode, en voyant Jésus, fut fort content ;
car depuis longtemps il était désireux de le voir^
pour ce qu'il avait entendu dire de lui,
«t il espérait voir de lui quelque miracle.
®Il lui posait nombre de questions,
mais lui rien ne lui répondait.
et de la même main ; mais celle qu'on va lire est moins bien réussie
que celle des Actes, probablement parce que l'auteur ne l'a pas
lui-même inventée et qu'il Ta seulement adaptée à ses propres fins.
« Or Pilate, entendant cela, demanda si l'homme était Galiléen ».
— Pilate songe à se débarrasser de l'affaire ; dans la réalité, il
n'aurait pas été si pressé de renvoyer devant le tétrarque de
Galilée un agitateur qui avait opéré à Jérusalem, et sans doute
n'aurait-il pas permis que, dans sa province, Antipas s'occupât
d'un procès de ce genre. — « Et informé qu'il était de la domination
d'Hérode, il le renvoya à Hérode, qui », — fort opportunément, —
« était aussi à Jérusalem en ces jours-là ».■ — L'auteur lui-même
paraît insinuer que le tétrarque de Galilée était venu à Jérusalem,
pour la pâque (cf. Agt. xii, 14-19)- Rien n'invite à supposer qu'il
soit à Jérusalem pour faire une politesse à Pilate, qu'il aui'ait pu
aussi bien visiter à Gésarée. Il faut admettre aussi qu'Antipas,
venu à Jérusalem en pèlerin, sera en mesure d'instruire l'affaire
et de la i-égler tout de suite ; on nous le met dans la situation
d'Agrippa condamnant Jacques et se disposant à juger Pierre
(Agt. loo. cit.) ; mais Agrippa !"'• était roi de Judée.
«Or Hérode, en voyant Jésus, fut très content, car depuis long-
temps il désirait le voir, pour ce qu'il avait entendu dire de lui ». —
On nous l'avait déjà dit (ix, 7), en prévision de ce qui nous est
raconté maintenant; mais on nous a dit encore (xiii, 3i) qu'Hérode
avait l'intention de tuer Jésus ; il faut donc supposer que lui aussi
aura trouvé Jésus inoffensif, comme le dira plus loin (i5) Pilale. —
« Et il espérait lui voir faire quelque" miracle ». — On nous rappelle
ainsi que l'attention d'Hérode avait été, en Galilée, attirée sur Jésus
par les miracles de celui-ci. Tout cela est d'une invention assez laible
A. LoisY. — L'Eeangile selon Lue. 35
S46 LUC, xxiii, 10-11
^° Mais les graiids-prêlres et les scribes étaient là,
qui l'accusaient fortement.
" Cependant Hérode, l'ayant en mépris,
avec ses hommes d'armes, et se jouant de lui,
après l'avoir revêtu d'une robe brillante, le renvoya à Pilate^
et qui se trahit par l'intérêt môme que l'auteur y prend. — « Et il
Imposait nombre de questions ». — C'est l'interrogatoire judiciaire
qui recommence — « Mais lui ne lui répondit rien » ■ — Adaptation au
procès devant Hérode d'un trait de Marc (xv, 4-5) que noire auteur
atout exprès négligé dans la relation du procès devant Pilate : le
silence de Jésus devant les accusations des prêtres et l'instance que
fait Pilate à ce sujet. Aussi bien notre auteur mentionne-t il égale-
ment les accusations des prêtres.
« Cependant les grands-prêtres et les scribes étaient là, qui l'accu-
saient fortement ».. — L'accusation vient un peu tai'd et reste comme
suspendue en l'air; mais c'estq^ue l'auteur copie Marc, et comme il a
eu très certainement l'intention de montrer Jésus jugé par Hérode et
non condamné, il est assez naturel qu'il mentionne les accusateurs,
qui ne peuvent être que les membres du sanhédrin. Les gaucheries,
du récit ne penvent donc faire suspecter (avec J. Wjeiss-Bousset,,
5o4) l'authenticité de ce, trait ; encore moins doit-on suspecter (avec
Wellhausen, i32) la scène de dérision et ce qui est dit de la réconci-
liation d'Hérode avec Pilate, parce qu'un témoin se ti'ouve ne pas les
avoir (Ss. omet 10-122). Tout cela contribue à l'équilibre, en soi fort;
défectueux, du récit, et sert une intention de l'auteur. Ainsi la
scène de dérision chez Hérode est substituée à la scène de dérisipn
dans le prétoire, omise par notre évangéliste ; et, si Hérode n'y
paraît point à son avantage, les Romains ne laissent pas d'être
déchargés d'autant, sans que les prophéties soient en rien frustrées
de leur accomplissement.
(( Mais Hérode, après l'avoir traité avec mépris et tourné en déri-
sion avec ses soldats » . — On ne nous dit. pas sous l'influence de
quel sentiment Hérode passe de la curiosité la plus vive au plus.vio-
lent mépris : supposons, si cela nous plaît, que le tétrarque n'a trouvé
rien de mieux pour montrer son désappointement. Il est sui'tout
malaisé de comprendre qu'il ait presque une armée avec lui (car
cùv Toï; {îTpaT£u[ji,a(jiv aÙToù ne peut s'entendre des quelques gardes dont
Antipas aurait pu se faire accompagner à Jérusalem. Noter que dans
VE<>. de IHerre, fragment Bouriant, 2, c'est Hérode qm donne des
ordres aux exécuteurs de Jésus). Mais l'auteur a soin de n'entrer pas.
LUC, XXIII, 12-13 547
^^ Et devinrent amisHérode et Pilate, en ce jour, l'un de l'autre ;
car auparavant ils étaient en inimitié l'un vers l'autre.
^3 Or Pilate, ayant convoqué les grands-prêtres,
les magistrats et le peuple ;
dans le détail des injures, et de la scène du prétoire il ne retient qu'un
trait, le vêtement royal. — « Lui ayant fait mettre une robe bril-
lante » . — Cette robe remplace le manteau de pourpre que, dans les
autres évangiles, les soldats romains mettent sur les épaules de Jésus
après la flagellation. La « robe brillante » (TtEoipaXwv £crOT|Ta Xajj.Tcpàv)'
n'est pas nécessairement une robe blanche (cependant cf. Act. x, 3o;
Ap. XV, 6; XXII, i), mais c'est sûrement un vêtement royal, on pour-
rait même dire un habit de couronnement (cf. Lagrange, 58o), que
notre auteur pi'éfère au manteau du soldat romain, soit parce que la
scène se passe chez un roi, soit pour n'avoir pas l'air de compromettre
la pourpre romaine. Quoi qu'il en soit du motif, c'est tout ce que le
rédacteur a voulu retenir de la royauté carnavalesque dont s'est
enrichie de bonne heure la tradition évangélique de la passion,
comme d'un symbole préfigurant la gloire de Jésus en tant que roi
céleste (cf. Hébr. ii, 9). — « Le renvoya à Pilate ». — Il est sous-
entendu qu'Ilérode renvoie l'accusé à Pilate parce qu'il n'a pas
trouvé matière à condamnation: ne demandons pas pourquoi, maître
de la décision à prendre, il n'a pas relâché Jésus, et pourquoi les Juifs
n'ont pas fait pression sur lui comme ils vont faire sur Pilate.
« Or Hérode et Pilate devinrent en ce jour amis l'un de l'autre »,
-^ ayant fait ainsi, à l'occasion et aux dépens de Jésus, assaut de
prévenances. — « Car auparavant ils étaient en inimitié l'un vis-à-vis
de l'autre ». — 11 faut bien qu'ils aient été brouillés auparavant,
puisque l'affaire de Jésus les réconcilie. Mais c'est rêver que de les sup-
poser brouillés pour l'affaire des Galiléens dont il a été parlé plus
haut(xiii,, i). Dans l'évangile de Pierre (9), Hérode traite Pilate de
« frère ». Ce trait de l'amitié réalisée entre le tétrarque et le procura-
teur n'est pas aussi naïf qu'il paraît ; il accomplit une prophétie (Ps.
II, 1-2) qui sera expressément citée dans les Actes (iv, aS-ay) comme
s'appliquant à nos deux personnages (cf. J. Wexss-Bousset, 5o4). Ces
deux témoins de l'innocence du Christ n'ont pas laissé d'être par leur
entente les instruments providentiels de sa mort .
« Or Pilate, ayant convoqué les grands-prêtres, les magistrats et le
j)euple ». — Les magistrats sont les membres du sanhédrin autres que
les grands-prêtres. On dit que tout ce monde n'avait pas besoin d'être
convoqué par Pilate et qu'il a dû revenir avec Jésus de chez Hérode ;
b48 LUC, xxni, 14-16
1* leur dit :
« Vous m'avez amené cet homme comme égarant le peuple ;
et moi, devant vous instruisant (l'affaire),
je n'ai trouvé cet homme coupable en rien
de ce dont vous l'accusez.
^^ Mais Hérode non plus,
car il nous l'a renvoyé.
Rien qui mérite la mort n'a été commis par lui ;
^^ je vais donc, après punition, le relâcher. »
mais l'auteur n'entend pas dire que le procui'ateur ait eu besoin
d'aller quérir sanhédrin et peuple. La formule' n'a guère qu'une
valeur de reprise après la réflexion touchant ramitié d'Hérode et de
Pilate; elle signifie que Pilate s'adresse maintenant à tous pour en
finir (cf. IX, t ; xv, 6, 9 ; Me. xv, 16); et ce qui importe maintenant
est de rejoindre l'incident de Barabbas, fiction plus ancienne (voir
Marc, 445-446), que le rédacteur évàngélique a trouvée dans Marc,
et qui tendait aussi à décharger Pilate en faisant valoir l'innocence de
Jésus. Pilate — « leur dit : « Vous m'avez amené cet homme comme
pervertissant le peuple». — Référence à l'accusation portée d'abord (a),
— « Et moi, après avoir examiné »[ — la cause, comme il conve-
nait avant de prononcer le jugement, — « en votre présence, je n'ai
trouvé en l'ien cet homme coupable de ce dont vous l'accusez ». —
La déclaration est formelle, mais on ne voit pas toujours comment
s'est formée la .conviction de Pilate. Tout cela, au fond, n'est que
remplissage. — « Hérode non plus, car il nous l'a renvoyé ». — De
ce « nous » on ne saurait inférer que les accusateurs ne sont point
allés chez Hérode : comment Pilate pouvait-il remettre l'aflaire
à Hérode sans lui renvoyer en môme temps les accusateurs? Pilate
dit « nous » pour ne pas dire « moi », ou bien pour signifier que l'af-
faire revient maintenant dans les conditions où elle est venue d'abord,
lui étant juge et le sanhédrin accusateur, avec cette différence toute-
fois, qu'Hérode s'étant refusé à condamner, l'innocence de l'accusé ne
devrait plus être mise en doute. Une variante existe (AD, Ss. Se. mss.
lat.) : « Car je vous ai l'envoyés à lui », qui s'accorde peut-être mieux
avec le contexte. Il est vi'aique l'autre leçon (qui est celle de SB L., etc.)
se réfère à ce qui vient d'être dit (11) du renvoi de Jésus à Pilate ;
mais l'autre se réfère au premier renvoi (7), qui était aussi bien celui
des accusateurs, à Hérode, et ensuite de ce x'envoi est arrivé ce
qu'on lit maintenant : qu'Hérode n'a pas plus trouvé que Pilate
LUC, XXIII, 18 549
^8 Mais ils crièrent tous ensemble, disant :
« Fais-le mourir, et relàche-nous Barubbas. »
matière à condamnation. La leçon des témoins les plus autorisés
pourrait être une correcîtion alexandrine, résultant de ce que la réfé-
rence au dernier renA'oi et au renvoi de Jésus aura été jugée plus
naturelle, parce qu'il n'avait pas été question du renvoi des accusa-
teurs. C'est pourquoi la leçon dite occidentale, apparemment plus
difïicile, pourrait être primitive. — « Et rien qui mérite la mort n'a
été commis par lui ». — Le point serait établi par la double enquête
(si toutefois on peut parler d'enquête) qu'ont menée Pilateet Hérode.
— « Je vais donc, après flagellation, le renvoyer». — La flagellation
était donnée préalablement au supplice de la croix; notre auteur
a jugé à pi'opos de l'anticiper ici comme une correction (uaioeucaç est
un terme adouci, choisi tout exprès) qui donnerait satisfaction au
peuple, et il n'en sera pas fait mention plus loin, avant le départ
pour le Calvaire. L'artifice de celle transposition est caractéristique
des procédés suivis [)ar l'évangéliste. Et l'on s'aperçoit aussitôt que
la proposition de Pilate n'est que pour rejoindre l'incident de Barab-
bas. A cette proposition, les Juifs, en effet, répondent en réclamant la
liberté de Barabbas et l'exécution de Jésus. C'est un incident rédac-
tionnel.
Pilate se trouve ainsi en plus fâcheuse posture que dans Marc, où
il n'a pas reconnu publiquement l'innocence de Jésus et croit pouvoir
le sauver en proposant sa grâce . On dirait que notre auteur a réduit
le plus possible l'incident de Barabbas, soit pour regagner la place
faite à celui d'Hé.rode, soit plutôt parce qu'il en était quelque peu
embarrassé et ne se souciait pas d'y insister. — « Et ils crièrent tous
ensemble », — grands-prêti'es, magistrats et peuple (i3), — « disant :
« Fais-le mourir, mais mets-nous en liberté Barabbas ». — Les Juifs
auraient interprété comme une grâce faite à Jésus la proposition de
Pilate, et de cette grâce ils demandent que bénéficie Barabbas. Mais,
après ce qui vient d'être dit par le procurateur, la mise en liberté de
Jésus n'aurait pas dû faire obstacle à la grâce de Barabbas. Et
l'invraisemblance de cette situation juridique n'est point sauvée par la
glose qui est insérée, d'après Marc (xv, 6), dans le texte ordinaire (17),
avant la réponse des Juifs à la proposition de Pilate : « Or il était
obligé de leur accorder, à la fête, la liberté de quelqu'un ». Surcharge
évidente, que certains témoins placent encore jîlus mal, après la
notice concernant Barabbas (19). L'évangéliste avait mieux aimé
passer sous silence la singulière coutume dont parle Marc, et comme
mO LUC, xxiii, 19 22
^^ Celui-ci, pour sédition survenue en la ville,
et pour meurtre, avait été jeté dans la prison.
20 Et (Je nouveau Pilate leur parla,
voulant relâcher Jésus ;
^^ mais ils vociféraient disant :
a Crucifie, crucifie-le ! »
2^ Et lui, pour la troisième fois, leur dit :
« Mais quel mal a-t-il fait ?
Je n'ai trouvé en lui rien qui mérite la mort ;
Je vais donc, après punition, le relâcher. »
il ne pouvait pas rendre plus invraisemblable l'incident de Barabbas,
il l'a rendu plus obscur.
Il tient à dire seulement qui était ce Barabbas, que les Juifs préfé-
raient à Jésus. C'était un individu — « qui, à cause d'une sédition
survenue en la ville, et d'un meurtre, avait été jeté en prison ». ^—
Adaptation et redressement de Marc (xv, ;j) : « Or il y avait le nommé
Barabbas, arrêté avec les séditieux qui, dans la sédition, avaient
commis un meurtre ». Rien n'invite à supposer une allusion à la scène
sanglante dont il a été parlé plus haut (xiii, i). Ce qu'on nous dit
correspond à la proposition de grâce pour Jésus et à la demande des
Juifs en faveur de Barabbas dans Marc (xy, 6-ii). La correspon-
dance est la même pour les deux instances de Pilate en faveur de
Jésus (20-21 correspondant à Me. xv, i2-i3, et 22-25 à i4-i5).
(( Or de nouveau Pilate leur parla, souhaitant mettre en liberté
Jésus ». — On peut supposer que Pilate insiste encore sur l'innocence
de l'accusé ; en tout cas, l'auteur a évité la question par trop naïve
que fait le procurateur dans Marc (xv, 12) : « Que voulez- vous que je
fasse de celui que vous appelez le roi des Juifs ?» ; — « Mais ils
criaient, disant : « Crucifie-le ! crucifie-lé ! » El lui, pour la troisième
fois J>, — proclamant l'innocence de Jésus, — « leur dit : « Mais quel
mal a-t-il fait ?» — C'est tout ce qu'on lit dans Marc (xv, i4). Mais
notre auteur ajoute : — « Je n'ai rien trouvé en lui qui mérite la
mort. Je vais donc, après flagellation, le relâcher». -^ Pilate se
répète, et il ne manifeste toujours qu'une intention, il ne formule pas
xme décision (l'intention devient réalité dans Jn. xix, ï). — « Mais ils
insistaient avec de grands cris, demandant qu'il fût crucifiié ». ■—
Paraphrase de Marc : « Mais ils crièrent plus fort : « Crucifie-le ! » —
« Et leurs clameurs l'emportèrent ». — Le texte [y-ai 7.oixiayuov al tpwvat
aÛTwv) ne paraît pas signifier seulement que les clameurs se firent
LUC, XXIII, 23-25 551
23 jy[aia i[g insistaient à grands cris,
demandant qu'il fût crucifié ;
et leurs clameurs l'emportèrent.
2^ Pilate prononça que s'ex:éouterait leur demande.
^^ Ainsi relàcha-t-il celui, qui pour sédition et meurtre avait été
[emprisonné, qu'ils demandaient,
pt il livra Jésus à leur volonté.
violentes, ce qui serait une tautologie à l'égard de ne qui précède,
mais qu'elles prévalurent (cf. xxi, 36), vainquant les répugnances de
Pilate.
« Et Pilate décida que leur demande serait exécutée», -^eten ce qui
regardait ijarabbas, et en ce qui regardait Jésus. L'auteur croit sau-
ver la dignité du procurate\xr,ou tout au moins la vraisemblance de la
situation, par cette sentence officielle dont Marc ne parle pas. C'est
que, dans Marc, Pilate n'a qu'à autoriser l'exécution de la sentence
l'endue par le sanhédrin; ici, le sanhédi'in n'ayant pas jugé, c'est
Pilate qui ordonne la mort de Jésus. Mais l'auteur use d'un euphé-
misme : (' Pilate prononça que se ferait leur demande », ce qui est
une transposition plus ou moins juridique de Marc (xv, i5) ; « Vou-
lant donner satisfaction au peuple ». Au fond, il veut dire que Pilate
a prononcé la condamnation malgré lui, contre son opinion. Contre
sa conscience serait trop dire, l'auteur ne pensant pas pi'éeisément à
la conscience de Pilate. Sans louer ni blâmer le procurateur, il estime
que celui-ci, dans son rôle officiel, n'a pu faire autrement que de
laisser agir la passion des Juifs contre un homme qui lui était dénoncé
comme prétendant à la royauté. — « Et il relâcha celui qu'ils deman-
daient, qui avait été jeté en prison pour sédition et meurtre ». —
Développement emphatique de Marc : « Pilate leur accorda la liberté
de Barabbas ». — « Et il livra Jésus à leur volonté ». — Simplification
euphémistique de Marc : « Il livra Jésus, après flagellation, pour qu'il
fût crucifié ». On a pu voir comment notre auteur a escamoté la
flagellation. En disant que Pilate a livré Jésus à ce que voulaient les
Juifs, il n'a pas seulement évité de dire en termes crus que Pilate
avait envoyé Jésus à la croix, mais il a entendu transférer aux Juifs'
toute la responsabilité du fait. Pilate coinpte, et beaucoup, mais
comme témoin de moralité pour le Christ.
La perspective du jugement n'est pas plus vraie dans le troisième
évangile que dans les deux premiers, et môme, grâce à l'intrusion
d'Hérode, elle l'est encore moins. On peut douter cependant que
notre évangéliste ait été le premier à faire intervenir Hérode dans
852 LUC, XXIII. 26-27
'^ Et comme ils l'emmenaient,
ayant pris un certain Simon, Cyrénéen, qui revenaitdes champs,,
ils le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus.
*' Or le suivait grande troupe du peuple,
et de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient à
[son sujet.
l'histoire de ,Ja passion. Bien que tout ce qui regarde Hérode soit
emprunté ou dédoublé de ce que Marc raconte du jugement par Pilate,.
il semblerait, eu égard à la scène de dérision, que le dédoublement
et l'emprunt se soient faits d'abord dans une relation évangélique
où Hérode était au premier rang et présidait à l'exécution de Jésus,
comme dans l'évangile de Piei*re, et la source en question pourrait
être une ancienne rédaction de cet évangile. Cependant les fictions
de notre évangéliste sont brodées sur un sobre récit qui ne connais-
sait pas le jugement de Jésus par le sanhédrin et qui pourrait bien
avoir ignoré aussi l'incident de Barabbas, comme il ignorait proba-
blement le reniement de Pierre. Ce développement légendaire n'a
rien de surprenant ; mais peut-être est-il encore plus facile à com-
prendre et à expliquer si l'on y voit les relouches et amplifications
d'un drame sacré. Du reste, la bienveillance de Pilate à l'égard de
Jésus, plus accentuée dans le troisième évangile, est imputable au
rédacteur qui, dans les Actes, s'est constamment efforcé de montrer
favorables au christianisme les autorités romaines.
XG. Au Calvaire
Avec la flagellation disparaît la scène de dérision dans le pi-étoire,
qui y est artificiellement rattachée dans Marc (xv, 16-20) et dans
Matthieu (xxyii, 2;j-3o). Jésus est conduit au lieu du supplice tout de
suite après la condamnation. — « Et comme ils l'emmenaient ». —
Transition prise de Marc (xv, 20 ; cf. Mï. xxvii, 3o) ; dans Marc, ce
sont les soldats du procurateur qui emmènent Jésus, tandis qu'ici,
d'après le contexte, ce seraient les Juifs; toutefois on retrouvera plus
loin les soldats (36) et le centurion (47) ; une part matérielle est donc
réservée implicitement aux soldats romains dans l'exécution, que les.
accusateurs de Jésus semblei'aient encore diriger, comme ils ont
dicté la décision de Pilate. Sont-ce les Juifs ou les soldats qui
réquisitionnent Simon pour porter la croix de Jésus, il est super-
flu de se le demander: en fait, ce seraient les soldats ; mais le parti
LUC, xxiu, 28 553
•^ Etse retournant vers elles, Jésus dit :
« Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi,
mais sur vous mêmes pleurez^ et sur vos enfants,
de l'évangéliste est bien arrêté de limiter l'initiative des agents
romains. — « Ayant pris un certain Simon Gyrénéen, qui revenait
de la campagne ». — Marc (xv, 21) : « Et ils requirent certain pas-
sant, Simon Gyrénéen ». La notice supplémentaire : « père
d'Alexandre et de Rufus », a été omise par notre auteur, s'il l'a con-
nue, comme étant sans intérêt pour ses lectem's. ~ « Ils le chargèrent
de ia croix pour » — la — « porter derrière Jésus». — On a remar-
qué un certain rapport de forme entre ce trait et la parole sur l'obli-
gation de porter sa croix derrière Jésus, si oh veut le suivre (ix, 28;
XIV, 2^7 ; même rapport entre Me. xv, 21 et viii, 34). L'allusion n'est
pas autrement évidente ; si elle a été voulue, il en résulterait que le
rôle de Simon a été compris en symbole de celui du chrétien, non
pas qu'il ait été conçu en vue de ce symbole ; on n'en saurait aucune-
ment déduire que Simon a été crucifié lui-même et que Jésus ne l'a
pas été. Si la précision du trait peut le rendre suspect dans un récit
où manque généralement la netteté dli souvenir, si le nom de Simon
et l'indication de son origine ne garantissent pas plus l'historicité du
personnage que ceux de Jaïr et de Bar-Timée dans Marc, de Marthe et
Marie, de Zachée dans notice évangile, ce n'est pas en vue d'une leçon
morale que le trait aura été d'abord conçu, c'est plutôt qu'on aura
voulu dispenser Jésus de l'humiliation (Jti. xix, l'j, prend la chose
autrement).
Ici s'intercale un morceau de pieuse rhétorique, propre à notre
évangile et qui est tout à fait dans le goût de sa rédaction. — « Or
venait à sa suite grande troupe du peuple et de femmes qui se lamen-
taient »— sur lui — « et le pleuraient », — comme si elles menaient
son deuil. Les autres évangélistes ne mentionnent pas cet accompa-
gnement. Il ne serait pas impossible en soi qu'un certain nombre de
badauds ou de fainéants eussent voulu par curiosité assister à l'exé-
cution ; mais ce n'est pas précisément ce que l'auteur veut dire, car
la troupe dont il parle maintenant se lamentei'a sur Jésus après sa
niort(48), comme font maintenant les femmes sur le chemin du Gal-
vaire. D'après la tradition vahhinique (Bab. Sanh., 43 a), les femmes
de la société hiérosolymitaine faisaient quelquefois la conduite aux
condamnés à mort et leur offraient avant l'exécution un breuvage
assoupissant. Selon Marc (xv, 23), ce breuvage aurait été présenté
en effet à Jésus, mais par les exécuteurs. Ce n'est pas non plus cette
554 LDC, XXIII, 29
" parce que voici venir jours où l'on dira :
Bienheureuses les stériles,
les entrailles qui nont point enfanté,
les mamelles qui n'ont point nourri ! »
coutume que notre auteur a en vue, et il ne songe pas .davantage aux
femmes galiléennes dont il signalera la présence sur le Calvaire (49).
Jérusalem pleure d'avance la mort du Christ, pour que soit accompli
l'oi'acle de Zacharie (xii, 10-14, Sept.) : « Je répandrai sur la maison
de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de bienveil-
lance et de pitié, et ils me regarderont après leurs insultes... En ce
jour-là, le deuil sera grand dans Jérusalem... Et le pays sera en
deuil, familles par familles: la famille de David à part, avec ses
femmes à part, toutes les autres familles, chacune à part, avec leurs
femmes à part», etc. Notre auteur s'abstiendra plus loin de faire
insulter Jésus parles gens du commun. Les magistrats seulement et
les soldats se moqueront de lui, mais le peuple regardera (35-36), et
quand Jésus aura expiré, tous les assistants s'en retourneront en se
fi-appant la poitrine (48). Notre évangéliste raconte la passion d'après
Zacharie.
Les paroles qu'il fait adresser par Jésus aux femmes sont dans le
style des prophètes, dont elles contiennent beaucoup de réminis-
cences. Il ne s'agit aucunement d'imitation ni de combinaisons éx'u-
dites. Un évangéliste chrétien, peut-être notre rédacteur, familier
avec les textes prophétiques, conçoit une scène où se mêlent sponta-
nément divers traits de ses lectures qu'il était accoutumé à regarder
comme messianiques. — « Et se retournant vers elles, Jésus dit ». —
Il faudrait supposer que Jésus a la force de prononcer un discours sur
le ton le plus solennel, et que ceux qui le conduisent lui laissent toute
liberté de haranguer lafoule au milieu du chemin. — « Filles de Jéru-
salem », — Les femmes de Jérusalem sont ainsi appelées par Isaïe
(m, 16) « tilles de Sion » — « Ne pleurez pas sur moi, mais pleurez
sur vous et sur vos enfants». — Ce n'est pas qu'il défende aux
femmes de le pleurer, mais il leur signifie que ce n'est pas lui qui est
vraiment à plaindre et qu'elles auraient meilleur sujet de pleurer sur
leur propre sort et celui des leurs. Les parallèles ne manquent pas
dans la littérature classique (voir Klostermann, 595),et notre auteur
n'est pas sans littérature.
« Parce que voici venir des joui's où l'on dira : « Heureuses les sté-
riles, les entrailles qui n'ont point enfanté, les mamelles qui n'ont
point nourri ! » — Quant au fond, c'est ce qu'on a déjà lu dans le
LUC, XXIII, 30-32 555
^0 Alors on se mettra à dire aux montagnes : « Tombez sur
[nous 1
et aux collines : « Cachez-nous ! »
^1 Car, si l'on traite ainsi le bois vert,
qu'adviendra-t-il du sec ? »
32 Or on emmenait aussi deux autres malfaiteurs avec lui
[pour être suppliciés ;
discom'ssur la fin du inonde (xxi, aS) ; la forme du discours a pu être
affectée par une réminiscence d'[saïe(Liv,i ; parallèles classiques dans
Klostermann, Zoc. ci< ).
V Alors ils se mettront à dire aux montagnes :« Tombez sur nous»,
et aux collines : « Couvrez-nous ». — Ceci vient d'Osée (x, 8 ; cl". A.P.
VI, i6). L'auteur entend que lamortla plus prompte sera la meilleure.
— • « Car si l'on traite ainsi le bois vert », — si le sort du Christ est
■celui que l'on voit, — « qu'adviendra-t-il du sec ? » ~ Quel ne sera
pas le sort des Juifs coupables ? L'antithèse du bois vert et du
bois sec provient d'Ezéchiel (xx, 47)- Cette réflexion ne continue pas
la description du châtiment, elle en montre la certitude et l'immi-
nence. Ce que le rédacteur de Matthieu (xxvtt, 25) a fait prédire par
les Juifs inconscients : « Que son sang retombe sur nous et sur nos
•enfants », notre auteur le fait annoncer par Jésus lui-même (cf. xi,
49-51).
«Or on emmenait aussi deux autres malfaiteurs avec lui ». —
Entendons : deux autres condamnés qui étaient des malfaiteurs et
auxquels Jésus était, par sa propre condamnation, assimilé. —
« Pour être suppliciés ». — La mention des voleurs vient dans
Marc (xx, 2^) api^ès le crucifiement de Jésus; notre auteur donne à
ce trait; qu'il conçoit d'ailleurs, comme Marc, en accomplissement
de prophétie (cf. xxu, 62), meilleure apparence d'histoire, en asso-
ciant dès l'abord les malfaiteurs à Jésus ; mais ce trait pourrait bien
avoir été suggéré par le texte prophétique.
«Et quand ils furent venus au lieu appelé Calvaire». — Marc
(xx, 22) : « Et il le conduisirent au lieu dit Golgotha, ce qui signifie
lieu du Calvaire ». Notre auteur a laissé tomber le nom ai'améen.
Dans Marc, ce sont les soldats du procurateur qui conduisent Jésus à
la mort ; mais, d'api'ès le contexte du présent l'écit, on dirait que ce
sont les Juifs par lesquels Pilate a été forcé de condamner Jésus. —
« Ils le crucifièrent là, ainsi que les malfaiteurs, l'un à droite et l'autre
à gauche ». — Marc (xv, 24) '• « et ils le crucifièrent » ; mais plus loin
(27) : « Et avec lui ils crucifièrent deux voleurs, l'un à sa droite et
556 LUC, XXIII, 33-34
33
et quand ils furenl arrivés au lieu appelé Calvaire,
là ils le crucifièrent ainsi que les malfaiteurs,
l'un à droite, et ï'aulre à gauche.
34 Et Jésus disait :
« Père, pardonne-leur,
car ils ne savent ce qu'ils font. »
Et partageant ses habits, ils les tirèrent au sort.
l'autre à sa gauche ». Avant le crucifiement de Jésus, Marc (xv, 23) a
signalé la présentation du vin aromatisé. Notre auteur, s'il a connu
ce trait, l'a omis, estimant sans doute, avec raison, que c'était un
doublet du vinaigre .
« Et Jésus dit : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils
font ». — Ce serait l'accomplissement d'un texte d'Isaïe (lui, 12,
d'après l'hébreu, 'car Sept . donne un autre sens) : « Et pour les pécheurs
il intercède », La parole est dans l'esprit et le style de l'auteur qui a
fait pleurer le Christ sur Jérusalem (xxx, 4i-44)» <î'ii vient de produire
la pathétique allocution du Christ aux femmes sur le chemin du Cal-
vaire, et qui va faire promettre le paradis au bon larron, le même qui
mettra dans la bouche d'Etienne une prière analogue pour ses bour-
reaux (Agi. vn, 60). Cependant l'authenticité de ce passage n'est pas
tout à fait certaine, vu qu'il manque dans quelques anciens témoins
(S B D, mss. lat. Ss.). L'addition semble plus facile à expliquer que
l'omission, soit que l'on attribue celle-ci à l'influence des autres synop-
tiques, soit qu'on y suppose le parti pris d'empêcher le Christ de
prier pour les Juifs. On ne peut pas dire cependant que la prière ait
simplement été interpolée d'après celle d'Etienne; si elle est sans lien
avec le contexte et se présente un peu comme une surcharge, c'est le
cas d'autres traits dans les récits de la passion, où les fictions diverses,^
les réalisations de prophétie ne sont pas fondues dans une relation
équilibrée ; et l'on a pu s'offusquer d'une prière qui semblait aller
contre les intentions providentielles que Jésus lui-même a proclamées
dans son allocution aux femmes. Car la prière ne concerne pas les
exécuteurs, dont l'évangéliste n'a point parlé spécialement, mais ceux
qu'il a présentés comme les auteurs de la mort du Christ, ceux qui
ont obligé Pilate à prononcer la condamnation capitale, les chefs qui
ont dénoncé Jésus, les Juifs qui lui ont préféré Barabbas. On lira
aussi dans les Actes (ut, 17 ; xui, 27)que les Juifs, en crucifiant Jésus,
ne savaient pas ce. qu'ils faisaient.
« Et se partageant ses vêtements, ils les tirèrent au sort ». —
LUC, xxin, 35-37 857
^^ Et le peuple était là qui regardait.
Or se moquaient même les magistrats, disant:
« D'autres il a sauvés; qu'il. se sauve lui-même,
si c'est lui le Christ élu de Dieu. »
^® Et se jouèrent de lui aussi les soldats, s'approchant
pour lui offrir du vinaigr.e, ^' et disant :
« Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même. »
Simple rappel de la prophétie (Ps. xxit, ig) ; Marc (xv, 34!, qui fait
iaire le partage par les soldats exécuteurs, y met plus de précision :
(( Et ils se partagèrent ses vêtements, tirant au sort ce que chacun en
aurait ». Dans notre évangile, où le nombre des partageants n'est pas
imité à quelques individus, le passage n'a plus couleur de réalité, si
ce n'est comme accessoire du supplice et contribuant à son ignominie,
« Et le peuple était là qui regardait ». — Ce trait de prophétie
(pour l'idée, c'est Zach. xii, lo, supr. cit. ; mais le participe Oewpwv
vient de Ps. xxxi, 8) rempla:ce la dérision des passants avec l'allusion
à la parole du Christ sur le temple (Me. xv, 29), notre évangélisté
voulant ignorer et cette attitude du vulgaire et cette parole de Jésus.
Il retient les injures des chefs. — « Et même les magistrats se riaient
de lui, disant : « Il en a sauvé d'autres, qu'il se sauve lui-même ». —
Marc (xv, 3i) : « De même les grands-prêtres, avec les scribes, se
moquaient de lui entre eux, disant : « Il en a sauvé d'autres, il ne
peut pas se sauver lui-même ». Mais dans Marc (xv, 29) les passants
disent : « Sauve-toi toi-même » . Notre auteur a corrigé quelque peu
la constatation d'impuissance en la remplaçant par le défi, qu'il n'ac-
centue pas, comme Marc, en faisant sommer Jésus de descendre delà
croix. — « Si c'est lui le Christ, élu de Dieu». — Ceci abrège et atténue
Marc (xv. Sa) : « Que le Christ^ le roi d'Israël, descende maintenant
de la croix », etc. Notre auteur ne veut pas d'injures trop brutales ni
trop précises. La formule « élu de Dieu », insignifiante ici, est de
son style, et il l'a employée déjà dans le récit de la transfiguration
(IX, 35).
« Et les soldats aussi s'amusèrent de lui », — comme plus haut (11)
ceux d'Hérode. Les soldats romains apparaissent ici dans un rôle
accessoire pour faire droit à la .donnée de Marc (xv, 36) touchant la
présentation du vinaigre, où notre évangélisté entend bien montrer,
comme les autres, l'accomplissement d'une prophétie (Ps. lxix, 22).
— « S'approchant pour lui présenter du vinaigre » — La présenta-
tion du vinaigre, qui, dans les autres évangiles, est plutôt comprise
558 LUC, xxjir, 38
^^ Il y avail aussi inscription au-dessus de lui:
« Celui-ci est le roi des Juifs. »
en acte charitable, -vient ici parmi les marques de dérision ; et notre-
évangéliste n'en a pas seulement dénaturé le sens, il l'a anticipée, en
détruisant le rapport qu'elle a, dans Marc et dans Matthieu, avec le-
cri de Jésus disant les premières paroles du Psaume xxii ; il ne veut
pas retenir ces paroles, ni les plaisanteries sur Elle ; si bien que la
présentation du vinaigre se trouve correspondre aussi d'une cer-
taine façon à celle du vin aromatisé dans Marc (xv, 33) ; ce qui n'em-
pêche pas cette dérision des soldats d'être substituée aussi à celle-
du peuple, comme en témoignent les paroles qui leur sont attri-
buées . — « Et disant : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même » .
— On dirait que l'auteur ne veut pas connaître d'autre formule inju-
rieuse que celle-là; il l'a déjà mise dans la bouche des Juifs, il la
mettra encore dans celle du larron impénitent.
Notons cependant que quelques témoins (D, Ss. Ss.) lisent ici :
« Salut, roi des Juifs » (^s, Se. ont seulement « salut » et ajou-
tent le texte ordinaire : « Si tu es le roi des Juifs, etc.), lui >meltant
aussi », pour compléter cette salutation dérisoire, « une couronne
d'épines ». Le trait de la couronne d'épines, qui appartient à la scène
de dérision dans" le prétoire, pourrait bien avoir été ramené ici par
notre rédacteur, et supprimé dans le texte canonique pour éviter la
contradiction avec les autres évangiles. La formule : «roi des Juifs »,
vient pour s'ajuster, en quelque façon, à ce qui va être dit de l'ins-
cription..
« Il y avait aussi » — une dérision par affiche, — (( une inscription
au-dessus de lui ». — Plusieurs témoins intez'polent ici d'après-
Jn. xix, 2o) : « en lettres grecques, romaines, hébraïques ». Mfirc
(xv, 26) ne dit pas que l'écriteau était affiché en haut de la croix,,
probablement parce que la chose allait de soi. — « Celui-ci est le roi des
Juifs» — Marc :« Et l'écriteau de sa condamnation était libellé :
« le roi des Juifs » ; Marc ne semble pas considérer l'inscription
comme particulièi.'ement injurieuse à l'égard du supplicié vil en parle
plutôt comme d'un détail légal de l'exécution, conforme à l'usage
romain, où se trouvait exprimée, sans qu'on l'eût -voulu, la qualité
messianique de Jésus. Notre évangéliste, comme Matthieu (xxvii, 2^),
semblerait n'y voir qu'une dérision des soldats ; car il serait d'une
subtilité arbitraire d'admettre qu'on mentionne l'inscription pour
expliquer comment les soldats ont pu connaître Jésus en tant que
«roi des Juifs»; le rédacteur insinue plutôt que les soldats eux-mêmes-
LUC. xxjii, 39-41 5159-
^® Or l'un des malfaiteurs crucifiés 1 injuriait, disant :
« N'es-tu pas le Christ?
Sauve-toi toi-même et nous aussi. »
*" Mais l'autre, prenant la parole, le réprimanda, disant:
« Tu ne crains donc pas seulement Dieu,
toi qui subis le même supplice?
" Et nous c'est justement, car ce que méritaient nos méfaits
[nous recevons ;
mais lui n'a rien fait de mal. »
sont les auteurs de l'inscription. C'est qu'il ne lui plaît pas d'y voir
l'énoncé delà sentence portée par Pilate. Mais ses petites habiletés
comportent beaucoup de fantaisie. Il n'est pas indifférent de consta-
ter comment la scène de dérision par les soldats, que Marc et Mat-
thieu placent dans le prétoire, se trouve comme dédoublée dans notre-
évangile et partagée entre la demeure d'Hérode et le Calvaire.
Dans Marc (xv, Sa) les injures des deux larrons sont simplement
indiquées après celles des passants et des membres du sanhédrin- Sur
celte donnée notre auteui% en convertissant l'un des larrons, cons-
truit une petite scène où se l'econnaît sa touche sentimentale. —
« Cependant l'un des malfaiteurs crucifiés l'injuiùait ». — Marc : « Et
ceux qui avaient été crucifiés avec lui l'insultaient aussi ». — « N'es-
tu pas le Christ ?» — Si tu es ce que tu prétends, — « sauve-toi toi-
même et nous aussi », — par la même occasion. Ce discours du mau-
vais larron est omis dans un petit nombre de témoins (D. lat. e.) Les
injui'es de cet homme remplacent aussi celles du peuple, et la formule
en est empruntée àMai'c (xv, 3o-3x).
« Mais l'autre, prenantlaparole, le réprimanda en disant : « Ne crains-
tu pas même Dieu m, — toi qui lais chorus avec ces insulteurs, quand
se serait le moment de te repentir, — « puisque tu subis le même
supplice », — et que tu vas mourir, comme celui que tu insultes ? —
« Et nous, c'est justice » — que nous mourions ainsi, — « car nous
recevons le prix de nos méfaits, mais lui n'a l'ien fait de mal ». —
Même ce brigand, après Pilate, après Hérode, rend témoignage à
l'innocence de Jésus (ci. 4i i5, 22) ; mais il ne s'en tient pas ià^ car
il est repentant, et il est croyant.
«Et il dit )j, -^ s'adressantà Jésus" (D, oubliant qu'un crucifié n'est
pas entièrement libre de ses mouvements., lit : « Et se tournant vers
le Seigneur, il lui dit) : — « Jésus ». — Seul endroit des évangiles où
le Christ soit interpellé par le seul nom de Jésus ; il s'agit déjà d'une
'^ôiJO LUC, XXIII, 42-43
*2 Et il dit : « Jésus, souviens-toi de moi,
lorsque tu viendras en ton règne. »
^^ Et il lui dit: -«En vérité je te dis,
aujourd'hui, avec moi lu seras dans le paradis. »
véritable pi'ière au Christ, La plupart des témoins corrigent : « Et il
dit à Jésus : « Seigneur » (D, qui a le mot « Seigneur » dans la for-
mule d'introduction, dit simplement: « Souviens-toi », etc.). — « Sou-
viens-toi de moi, lorsque tu viendras en ton règne », — avec la gloire
de ta royauté, au dernier jour (cf. Mt. xvi, 28. La leçon de BL, mss.
lat. : « à ton règne », elç t-/)v jSacrtXefav cou, au lieu de Iv xfi |3. a., doit
être une correction volontaire pour identifier le « règne » au ciel et
au (( paradis dont il va être parlé. D : « Souviens-toi de moi au jour
de ta venue »).
« Et il lui dit : « En vérité je te dis ». — Variante (D) : «Et répon-
dant Jésus dit à celui qui réprimandait (l'autre) : « Courage ! » —
« Aujourd'hui avec moi tu seras dans le paradis ». — Le voleur
repentant n'aura pas besoin d'attendre la parousie ; en ce jour même
il entrera dans la félicité de la vie éternelle, dans le séjour des élus,
« le sein d'Abraham d (xvi, 23), « le paradis de Dieu »(Ap. ti, 7). Il ne
s'agit pas de descendre aux enfers pour annoncer l'Evangile aux
morts (I PiER, iii, 19 ; IV, 6; Ev. de Pierre, 4i"42). mais d'entrer
dans la gloire et le bonheur des saints auprès de Dieu (xx, 38 ; cf. II
Cor. xii, 2-10). Dans cette conception, la résurrection des morts et
celle même de Jésus n'ont plus guère de raison d'être.
On remarquera que l'incident dialogué du lion larron remplace
dans notre évangile les propos échangés dans Marc (xv, 35-36) par les
assistants au sujet d'Elie. L'ensemble de la scène appartient au genre
de développement qu'affectionne l'évangéliste : les deux voleurs sont
devenus deux personnages typiques, comme le riche et Lazare dans
la parabole ; de même que le malfaiteur impénitent représente le
judaïsme incrédule, la foi du malfaiteur repenti figure la conversion
du monde. L'incident a été curieusement ti-ansformé dans l'évangile
de Pierre (i3-i4), où il n'est point parlé des injures du mauvais lar~
l'on, et où le bon apostrophe ceux qui ont crucifié Jésus : (( Or l'un
de ces malfaiteurs les insultait, disant : « Nous, c'est à cause des
méfaits par nous commis que nous souffrons ; mais lui, qui est devenu
sauveur des hommes, quel tort vous a-t-il fait ? » Et s'étant fâchés
contre lui, ils ordonnèrent de ne lui point rompre les jambes, afin
qu'il mourût dans les tourments ».
ùc, xxwi. 44-45 b61
*' El il était déjà environ la sixième heure,
quand ténèbres se firent surloule la terre, jusqu'à la neuvième
[heure^
*^ le soleil s'étant éclipsé ;
et le voile du temple se fendit par le milieu.
« Et- il était déjà la sixième heure », — lorsque Jésus fut crucifié
dans les conditions qui viennent d'être dites, et que se produisirent
les incidents qui viennent d'être racontés. C'est l'heure que Marc
(xv, 33) assigne au commencement des ténèbres (sans doute en
accomplissement d'Aw. viii, 9-10) ; mais notre évangéliste, comme
Matthieu et Jean, a laissé tomber la donnée de Marc (xv, aS) : « Et il
était la troisième heure quand ils le crucifièrent ». — « Et il se fit
des ténèbres sur la terre entière jusqu'à la neuvième heure ». — C'est
la durée que Marc assigne aux ténèbres, mais notre auteur ajoute
en. manière d'explication ; — « Le soleil s'étant éclipsé ». — C'était
d'ailleurs une éclipse extraordinaire, puisqu'elle se produisit au
temps de la pleine lune, qu'elle dura trois heures, et qu'elle s'étendit
à toute la terre. La leçon est néanmoins préférable à la variante des
témoins qui sans doute l'ont voulu corriger en lisant : « Et le soleil
s'obscurcit ». — « Et le voile du temple se déchira par le milieu ». —
Notre auteur a voulu rapprocher des ténèbres le prodige qui, dans
Marc (xv, 38 ; Mt. xxvii, 5i), se produit plus convenablement à l'ins-
tant même où Jésus rend le dernier soupir (cf. Hébr. vi, 19-20 ; x,
19-20 ; voir Marc, fyjo) ; et Marc a soin de dire que le rideau se
lendit « du haut en bas ». On dirait que la même importance n'est
pas attachée ici au prodige et à sa signification.
(( Et parlant à haute voix, Jésus dit : « Père, en tes mains je remets
mon esprit ». — Cette prière confiante remplace directement le grand
cri inarticulé que Jésus, dans Marc (xv, 37),pousse avant de rendre
le dernier soupir, mais elle a été substituée aussi bien, et délibéi'é-
ment, au cri que Marc (xv, 34) place auparavant : « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » C'est aussi une parole de
psaume (Ps. xxxi, 6), mais d'un ton plus apaisant que la citation du
Psaume xxii dans Marc et dans Matthieu. Une des paroles d'Etienne
moui'ant (Act. vu, 69) ressemble à celle-ci et pourrait l'avoir suggé-
rée à l'évangéliste (voir Actes, 3.02). — « Et cela dit, il expira », —
Ainsi comprise, la mort du Christ, si l'on fait abstraction des circons-
tances extérieures, est surtout un grand exemple donné aux siens. »
(( Or le centurion, ayant vu ce qui se passait, glorifia Dieu ». —
Formule chère à notre -évangéliste, et qui tendrait à faire du centu-
A. LolSY. — L'Evangile selon Luc. 36
562 LUC, xxiii, 46 48
^•^ Et criant à pleine voix, .
Jésus dit: « Père,
en tes mains Je remets mon esprit, n
Et cela dit, il expira,
''■' Or le centurion, ayant vu ce qui s'était passé,
glorifiait Dieu, disant:
« Sûrement cet homme était juste. »
*^ Et toutes. les foules qui s'étaient rendues à ce spectacle^
considérant ce qui s'était passé,
se frappaient la poitrine en s'en retournant.
i'ion un converti, puisqu'il célèbre le vrai Dieu. Le centurion loue
Dieu pour ce qui est arrivé, c'est-à-dire les phénomènes extraordi-
naires (bien qu'il n'ait pas pu voir la rupture du voile dans le temple),
et aussi l'attitude de Jésus, les paroles par lui prononcées, la dignité
de sa mort. — « Disant : « Sûrement, cet homme était juste ». —
Marc (xv, Sg): « Vraiment cet homme était fils de Dieu » ; et le centu-
l'ionditcela eu voyant comment Jésus a expiré. On suppose volontiers
que la déclaration du centurion a pris ici une couleur morale pour
que ce païen n'eût pas l'air de parler en chrétien ; c'est bien plutôt
pour que la profession de foi de l'officier romain soit pour Jésus une
dernière attestation d'innocence, la préoccupation de l'apologiste
ayant domine celle du théologien.
(î Et toutes les foules qui s'étaient rendues à ce spectacle », — la
quantité de gens qu'on nous a montrés (27) s'empressant dans les
rues de Jérusalem sur les pas du condamné, — « ayant vu », —
comme le centurion, — « ce qui se passait, s'en retournaient en se
frappant la poitrine ». — Ce trait, qui ne se rencontre dans aucun
autre évangile canonique, est pour l'accomplissement de la prophétie
de ZachaiMe {siipr. cit.). Quelques témoins amplifient la donnée du
texte ordinaire (D : « se frappant la poitrine et le front ». Lat, g:
ajoute : « dicentes : Vae nobis, quae facta sunt hodie propter peccata
nostra ; appropinquavit enim desolatio Jérusalem » , Ce qui ressemble
à la leçon de Ss. Se. : « Et tous ceux qui étaient venus là et qui
avaient vu ce qui se passait se frappaient la poitrine, disant : « Mal-
heur à nous ! Que nous est-il ai'rivé ! Malheur à nous, à cause de
nos péchés ! »). Dans l'évangile de Pierre (aS), qui décrit cette terreur
après que le corps de Jésus a été descendu de la croix, que lé soleil
a reparu et que le cadavre a été remis à Joseph, on lit : « Alors les
Juifs, les anciens et les prêtres, voyant quel mal ils s'étaient fait.
LUC, xxiii, 49-51 563
*» Et tous ses amis se tenaient à distance,
ainsi que les femmes qui l'avaient suivi de Galilée,
regardant cela.
50 Et il était un homme appelé Joseph, membre du conseil,
homme bon et juste,
51 — i[ n'avait point adhéré à leur résolution ni à leur actes, —
d'Arimathie, ville des Juifs,
qui attendait le royaume de Dieu.
se mirent à se lamenter et à dire : « Malheur sur nos péchés ! Le
jugement est proche, et la fin de Jérusalem ! » Il se pourrait que notre
passage (48), ses suppléments non canoniques et l'évangile de Pierre
.procèdent d'une même source.
« Or tous ses amis », — à la lettre : « toutes ses connaissances »
'^TcàvTsç ol7vw(jTol aÛTw), cercle plus large que les disciples, mais dans
lequel ils sont ici compris, — « s'étaient tenus à distance ». — Trait
de psaume (combiné de Ps. xxxviit,.i2, et Ps. lxxxvïii, 9), importé
dans notre récit pour accomplissement de prophétie ; on y rattache
la mention des femmes galiléennes qui ont leur rôle dans le récit de
la sépulture. La présence de « toutes les connaissances » ne compte
pas, même pour la légende. — « Ainsi que les femmes qui l'avaient
suivi de Galilée, pour voir cela ». — Gonnaissanceâ et femmes sont
là pour voir ; mais comme les femmes se trouveront seules avoir vu
quelque chose, certains commentateurs se demandent si la finale :
(( pour voir cela », ne s'appliquerait pas à elles seules. Mais pom^quoi
les connaissances se tiennent-elles là, sinon pour voir ? Le fait est
que notre évangéliste dit de tout le groupe ami ce que Marc
(xv, 40) dit des femmes seules : « Et il y avait aussi des femmes qui
regardaient de loin, parmi lesquelles Marie la Magdalène »,etc. L'énu-
imération des femmes est supprimée, parce que l'auteur l'a donnée
plus haut (vni, i-3) avec plus amples détails. Le progrès du travail
légendaire n'en est pas moins sensible d'un évangile à l'autre.
XGL La. sépubturb
La présence des femmes sur le Calvaire est coordonnée à la sépul-
ture de Jésus et à la découverte du tombeau vide. La fiction nous
apparaît d'abord élaborée dans Marc (voir Marc, 471-478), et elle se
perfectionne dans les récits évangéliques plus récents. Laissant tom-
ber provisoirement l'indication du jour oùl'on était(Mc. xv, 42),notre
564 LUC, xxiii, 52-53
^2 Etant venu trouver Pilate, il demanda le corps de Jésus,
^^ et l'ayant descendu, il l'enveloppa d'un linceul,
et il le déposa en un sépulcre taillé dans le roc,
011 personne n'avait encore été mis.
auteur présente et arrange à sa façon la notice de Joseph d'Àrimathie,
ft Et il se trouva un homme appelé Joseph, qui était membre du
conseil ». — Ceci équivaut à Marc (xv, 43) : « Joseph d'Arimathie,
membre distingué du conseil». La mention d'Arimathie viendra plus
loin, mais notre évangéliste va insister sur les mérites personnels de
Joseph, disant expressément qu'il appartenait au sanhédrin, mais
qu'il n'avait pas approuvé les mesures prises par ses collègues contre
Jésus. — « Homme bon et juste ». — Ici quelques variantes (D. mss,
lat. omettent le second àv/)p devant à-yaOoç. Ss. Se. mettent « juste »
avant « bon » et amènent tout de suite : « d'Arimathie », etc., en
sorte que la parenthèse de 5i a sert d'introduction à ôa), provoquées'
par l'embarras et les surcharges de la notice. — « Lui n'avait point
consenti à leur dessein ni à leur action ». - Réflexion assez gauche
et lourde. On dirait que Joseph assistait . aux délibérations du sanhé-
drin etqu'il s'est abstenu d'émettre unsufl'rage défavorable à Jésus ;.
mais il est trop clair que l'auteur parle par conjecture : puisque
Joseph était membre du conseil et qu'il a pris soin d'ensevelir Jésus^
c'est qu'il n'était pas du même avis que les autres. — « D'Arimathie,.
ville des Juifs ». — Ceci vient tard, et en regard de la parenthèse
précédente, l'explication : « ville des Juifs »,est assez inutile. — « Qui
attendait le royaume de Dieu », — Ceci vient de Marc.
« S'ctant adressé à Pilate, il lui demanda le corps de Jésus ». —
Marc : « 11 osa entrer chez Pilate et lui demanda » etc. Notre auteur
omet l'information prise par Pilate (Me. xv, 44). et même il ne prend
pas la peine de dire que Pilate fit droit à la requête de Joseph, en.
sorte que l'on pouri'ait presque suspecter d'interpolation la ligne
concernant cette requête, d'autant qu'elle est littéralement conforme
à Matthieu (Bla.ss, io8, fait valoir que D lit ensuite : « Et l'ayant des-
cendu, il enveloppa d'un linceul le corps de Jésus », au lieu de : « il
l'enveloppa », comme s'il n'en avait pas été question auparavant).
Comme Pilate, d'après notre auteur, a livré Jésus aux Juifs pour
faire de lui ce qu'ils voulaient, la démarche de Joseph auprès de Pi-
late a pu lui sembler superflue (Acï. xni, 29, pourrait venir à l'appui
de cette hypothèse). — « Et l'ayant descendu, il l'enveloppa d'un lin-
ceul ». — Marc (xv, 46) dit que Joseiph acheta le linceul : Jésus aurait
LUC, xxiii, 54 565
** El c'était jour de préparation et le sabbat se levait.
■été enseveli dans une toile neuve ; notre auteur a négligé ce détail,
mais il se rattrapera sur le tonabeau. — « Et il le déposa en un
sépulcre taillé dans le roc ». — C'est ce que dit Marc, mais notre au-
teur ajoute de son chef : — « où personne n'avait encore été mis ». —
Et ce trait sera retenu par Jean (xix, ^i], Matthieu (xxvii, 60) dit
•aussi que le sépulcre était « neuf », mais que Joseph l'avait fait
pour lui-même. L'auteur néglige de dire que le sépulcre fut fermé
Avec une pierre ; cependant (xxiv, 2) il parlera de « la pierre »,
<îomme s'il en avait été question, ou comme si tout lecteur la connais-
sait (D, lat. c suppléent : « Et lui placé, il mit sur le tombeau une
pierre que vingt roulaient à peine. » Trait singulier, qui supposerait
Joseph assisté d'un très grand nombre de Juifs. Cf. Acr. xiii, 29,
supr. cit.).
Suit, en manière de conclusion, l'indication du jour et de l'heure :
« Et c'était jour de préparation », — vendredi ; — « et sabbat se
levait ». — Expression impropre (ÈTiétpwcîHev), le commencement du
sabbat, le soir du vendredi, n'étant pas une aurore (cf. Mt xxvm, i :
et pour les essais modex-nes d'explication, voir Klostermann, 598), et
simplification de Marc (xv, 43) : « Et le soir étant arrivé déjà, comme
«'était préparation, c'est-à-dire veille de sabbat », Notre évangéliste
amène ici la mention du sabbat parce que, voulant parler des femmes
d'après Marc (xv, 47). il se propose d'ajouter expressément que, le
jour du sabbat, par respect de la Loi, elles ne bougèrent pas.
C'est donc seulement parce qu'il prépare son récit de la résurrec-
tion que notre évangéliste pense à dire le jour de la semaine où eut
lieu la passion. La chronologie de nos récits n'est pas fondée sur
une tradition ferme concernant le jour de la mort ; la tradition
est ferme sur le jour de la résurrection, et ce n'est pas une tradition
historique ; car on n'a jamais su historiquement le jour et l'heure où
Jésus est ressuscité. Mais le premier jour de la semaine, étant devenu
promptement le jour du Seigneur, le jour du Christ ressuscité, est de-
venu aussi le jour de la résurrection, et d'après cette donnée mys-
tique on a mis la passion le vendredi (cf. E. Meyer, I, ijo). D'autre
part, le Christ étant la victime pascale des chrétiens (I Cor. v, ;;;), la
pâque juive, en déterminant la date de la pàque chrétienne a déter-
miné celle de la passion. Cette chronologie mystique s'est peu à peu
élaborée, d'où vient qu'elle n'est pas exempte de contradictions (Jé-
sus, d'après les synoptiques, étant mort le i5 nisan, et d'après Jean
566 LUC, xiiii, 55-56 ; xxiv, 1 ,
^^ Or, ayant (tout) suivi de près, lea femmes
qui r.avaient accorppagné depuis la Galilée
regardèrent le sépulcre et comment avait été plac<é son corps;
^^ et s'en étant revenues, elles préparèrent aromates et parfums.
Et durant le sabbat elles se tinrent tranquilles, selon le pré-'
[cepte 'y.
"'^mais le premier jour de la semaine, dès l'aube,
elles vinrent au tombeau,
portant les aromates qu'elles avaient préparés.
le i4 ; cf. supr., p. 24) ; elle ne fournit aucune base aux recherches-
par lesquelles on s'est efforcé de fixer l'année où est mort Jésus.
XGII. Les femmes au tombeau
« Or, ayant suivi de près » — tout ce que faisait JosejDh pour pro-
curer une sépulture à Jésus, — « les femmes qui étaient venues avec
lui de Galilée », — ici encore, au lieu des noms fournis par Marc (xv,
47), l'auteur s'en tient à une formule générale (cf. xxiii, 49). — «Consi-
dérèrent le sépulcre et comment avait été placé son corps » . — Ampli-
fication de Marc, où les femmes voient seulement « où est déposé » le
corps, non pas comment il est placé dans le tombeau. ^— « Et s'en
étant revenues, elles préparèrent aromates et parfums ». — Marc
(xvi, i) ne fait acheter les parfums par les femmes qu'après le sab-
bat. Notre auteur n'a pas pensé que les femmes n'auraient pas pu,,
sans contravention à la coutume, s'occuper des parfums après le sab-
bat levé, puisqu'il ajoute bravement qu'elles gardèrent le repos da
sabbat. *
« Et le jour dusabbat elles se tinrent tranquilles selon le précepte »..
— Il est sous-entendu que le sabbat seul a pu les empêcher de venir
tout de suite au tombeau avec les parfums préparés. — « Mais le
premier jour de la semaine, de grand matin w. — Dans Marc (xvi,
1-2), les deux Marie et Salomé achètent des parfums « api'ès le sab-
bat », c'est-à-dire le soir du samedi, « pour venir l'embaumer, et, de
grand matin, le premier jour de la semaine, elles viennent au tom-
beau )). — (( Elles vinrent au sépulcre, portant les parfums qu'elles
avaient préparés ». — Notre auteur passe sur la circonstance du
(( soleil déjà levé » et sur l'inquiétude des femmes au sujet de la pierre
(Me. XVI, 2-3). On lit dans le ms.D. (xxiii,55 ss.) : « Or suivirent deux
femmes venues de la Galilée, et elles considérèrent le tombeau ; et
s'en étant i'evenues,etc.Et lejour du sabbat elles se tinrent tranquilles.
LUC, XXIV, 2 5 567
2 Or elles trouvèrent la pierre délournée du sépulcre ;
" mais, étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur
[Jésus.
^ Et elles ne savaient que penser de cela,
quand deux hommes les abordèrent, en vêlement éblouissant.
^ El comme elles prenaient peur
et inclinaient le visage vers la terre,
ils leur dirent:
. « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ?
Mais le premier jour de la semaine... elles vinrent au tombeau, por-
tant ce qu'elles avaient prpparé, et quelques autres avec elles. Or
elles se demandaient en elles-mêmes qui détournerait la pierre ;
mais, arrivées, elles trouvèrent », etc. Remaniement effectué, d'après
Matthieu et Marc, pour l'accord des évangiles. On ne voit pas bien
pourquoi noire auteur fait arriver les femmes aux premières lueurs
du jour, et non au soleil levé, le Christ étant ainsi ressuscité avant
l'aurore; l'association symbolique de la résurrection du Christ avec
le lever du soleil aura été probablement sacinfiée à l'intérêt apologé-
tique ; si les femmes sont arrivées au tombeau dès la première heure,
personne n'avait pu y venir depuis le vendredi soir, et le corps n'a-
vait pu être enlevé ; tout ce qui s'était passé dans ce tombeau ne
pouvait être que l'œuvre de la toute-puissance divine (cf. Jn. xx, 1-2,
i3-i5, où se remarque la même préoccupation).
« Or elles trouvèrent la pierre détournée du sépulcre ». — Simpli-
fication et aplatissement de Marc (xTi, 4)' — «Mais, étant entrées,
elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus ». — Les mots « du
Seigneur Jésus », manquent dans certains témoins (D, mss. lat.) et
pourraient avoir été ajoutés. Dans Marc (xvi, 6), les femmes, en
entrant, voient un ange, et c'est l'ange qui leur fait constater l'absence
du corps ; ici les femmes font d'abord elles-mêmes la constatation,
et les anges n'apparaissent que pour les tirer d'embarras. On
dirait que la perplexité que les femmes, dans Marc(xvi, 3), éprouvent
avant d'arriver, au sujet de la pierre, a été transposée après l'arri-
vée, pour être mise en rapport avec la disparition du cadavre.
Comme il ne sera pas dit plus loin que les femmes sont sorties, on a
conjecturé (Wellhausen, i36) que « étant entrées » (elcreXOoùcrai) était
une ancienne glose, d'après Marc ; en effet, il ne semble pas que l'ap-
parition des deux anges ait lieu dans le tombeau ; et l'on doit se
rappeler que, plus haut (xxui, 55), les femmes sont censées avoir vu
568 LUC, XXIV. G
* [Il n'est point ici, mais il est ressuscité.]
Rappelez-vous comme il vous a parlé, étant encore en Galilée,
du dehors le sépulcre et comment Jésus y était placé ; de môme ici
elles pourraient bien être censées voir de l'entrée que la place est
vide .
« Et advint, tandis qu'elles ]en étaient perplexes », — ne sachant .
que penser de cette disparition, — « que deux hommes les abordèrent,
en robe éclatante » . — Marc (xvi, 5) n'amène dans le tombeau qu'un
jeune homme (veavîffxov) en l'obe blanche; nos deux anges sont des
hommes faits (àvBpsc oûo) et leur vêtement rayonne (êv ka^r^Ti àcTpaTTToti-
(17)). Pourquoi deux anges, quand Mai'c et Matthieu n'en ont qu'un ?
Il y aura encore « deux hommes en vêtements blancs » à l'ascension
(AcT. ï, lo). Peut-être est-ce pour proportionner le nombre des
anges à celui des pei'sonnes que concerne leur message : un seul
ange parle à Zachax'ie et à Marie (i, ii, 26) ; une troupe d'anges se
joint à celui qui avertit les bergers. Nul motif de supposer que notre
évangéliste aurait additionné l'ange de Matthieu (xxvm, 2), qui se
tient près du tombeau, à celui de Marc, qui est dedans, puisque ces
deux anges ont le même rôle et que par ailleurs notre récit n'accuse
aucune dépendance à l'égard de Matthieu.
« Et comme elle étaient devenues craintives et inclinaient le
visage vers la terre ». — De frayeur évidemment, plutôt qu'en signe
de respect. Paraphrase de Marc : « Et elles furent très effrayées », —
(( Ils leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous, le vivant parmi les
morts ? )) — Les autres évangiles n'ont rien de si étudié. Cette
réflexionportelamarquederévangélisle(cf. XV, 24,3a; xx,38); elle a sa
beauté, mais elle tourne en jeu d'esprit trop raffiné pour la circonstance.
Il estsous-entendu dès d'abord que les femmes auraient dû comprendre
que le Christ était ressuscité, puisqu'il l'avait annoncé. « Le vivant »
est Jésus, sur qui la mort n'avait pas de droits et qu'elle n'a pu rete'
nir ; on ne doit pas le chercher dans les tombeaux qui gardent le
commun des hommes défunts. — « Il n'est point ici, mais il est ressus-
cité », — Ces mots, qui manquent dans quelques témoins (D, mss.
lat.), pourraient bien avoir été ajoutés d'après Marc (xvr, 6). Notre
auteur avait eu probablement l'intention de les remplacer par la jolie
formule qu'on vient de. voir, « pourquoi cherchez-vous » correspon-
dant à Marc: « Vous cherchez Jésus le Nazarène, le crucifié », et « le
vivant » qui n'est point « parmi les morts » équivalant à : « Il est res-
suscité, il n'est point ici » ; et il aura trouvé fort inutile d'ajouter :
LUC, XXIV, 7 S69
' vous disant du Fils de l'homme
qu'il devait être livré en mains d'hommes pécheurs, être
[crucifié,
elle troisième jour ressusciter. »
<( Voici le lieu où l'avait déppsé », les femmes ayant vu d'abord que
la place était vide. "
« Rappelez-vous comme il vous a parlé, quand il était encore en
Galilée ». — Ceci remplace Marc (xvr, 17) : « Mais allez dire à ses dis-
ciples et à Pierre : « Il vous précède en Galilée », etc. Substitution
réfléchie et voulue ; escamotage de la tradition relative aux pre-
mières apparitions du Christ en Galilée ; point de départ d'une systé-
matisation de ces apparitions qui se continuera dans les Actes ; le
ton pédagogique de la phrase et la mention- de la Gahlée dénoncent
la pieuse manipulation. C'est le rédacteur des Actes que l'on entend
ici, ce n'est point Luc, et l'on peut même se demander si Luc racon-
tait la découverte du tombeau vide (voir Actes, i5o). Dans Marc,
les apparitions gatiléenhes confirment une prédiction de .fésus (Me.
XIV, 28) ; notre auteur, qui voulait transposer ces apparitions à Jéru-
lem, a commencé par supprimer la prédiction ; mais il en rappelle
d'autres, les prophéties de la passion et de la i'ésurrection,dont il fait
valoir maintenant l'entier accomphssement. — « Disant du F'ils de
l'homme qu'il devait être livré aux mains d'hommes pécheurs ». —
Le mot « pécheurs » manque dans queLjues témoins (D ; mss. lat.) ;
en effet, il ne se rencontre pas dans les passages que vise notre dis-
cours (ix, 22,44) xvm, 32-33), et il pourrait avoir été ajouté par
l'influence de Marc (xiv, ^i ; Mt. xxvi, 45). Du reste, quand même il
serait authentique, il ne faudrait pas se hâter de trouver là indice
d'une source judéochi'étienne où les Gentils auraient été qualifiés
« pécheurs » ; notre auteur, qui attribue la mort du Christ aux Juifs,
n'aurait été nullement empêché de désigner ainsi les membres du
sanhédrin. Le discours des anges fait allusion aux passages de l'évan-
gile où Jésus a prédit sa destinée, même à celui qui se lit avant l'en-
trée à Jéricho, bien que ce ne soit pas un enseignement galiléen
(mais c'est ix, 44) qu'on lit : « le S'ils de l^hommc doit être livré en
mains d'hommes ). — « Qu'il fût crucifié ». — Les textes visés
disaient : « tué ». — « Et qu'il ressuscitai le troisième jour » . — Les
prédictions dont il s'agit ont été adressées aux « disciples », aux
<( Douze » ; notre rédacteur feint que les femmes les ont aussi enten-
dues.
«Et elles se souvinrent de ses paroles », — comme les anges les y
570 LUC, XXIV 8-11
8 Et elles se souvinrent de ses paroles ;
^ et revenues du sépulcre,
elles annoncèrent tout cela aux Onze et à tous les autres.
1" Or c'étaient Marie la Magdalène, loanna et Marie de Jacques.
Et les autres d'avec elles disaient aux apôtres cela;.
^^ et ces propos leur semblèrent comme radotage,
et ils ne les en croyaient point.
avaient invitées ; elles sont probablement censées , comme les discip]es^
ne les avoir pas comprises dans le temps où Jésus les a dites. Au lieu
que, dans Marc (xvi, 8), les femmes s'enfuient épouvantées et ne;
disent rien à personne, ici, rassurées par les anges et confiantes dans
leur message, elles n'oiit rien de plus pressé que de le raconter . —
« Et revenues du sépulcre, elles annoncèrent tout cela aux Onze et à
tous les autres ». -^ L'hagiographe néanmoins modère sa fiction, et'
il maintient que les disciples n'ont cru qu'après avoir vu, les propos
des femmes leur ayant paru tout à fait chimériques. La mention des
« autres » est pour préparer l'histoire d'Emmaûs : nôtre évangéliste
n'a voulu tant de témoins pour la mort de Jésus, qu'afin d'en avoir
autant pour la résurrection. La suite naturelle du récit vient plus
loin (il): — « Et ces discours leur parurent une rêverie, et ils ne les en
crurent point ».
Dans l'intervalle se lit une sorte de reprise qui a l'apparence d'une
explication surajoutée : — « Or c'étaient Marie la Magdalène, Jeanne,
Marie de Jacques />. — Jeanne remplace la Salomé de Marc(xvi, i) et
appartient en propre à notre évangile ; mais on dirait que Marie de
Jacques, non signalée plus haut (viii, 2-3), a été introduite ici pour
l'accord avec Marc. — « Et les autres d'avec elles dirent cela aux
apôtres ». — La phrase, dans les meilleurs manuscrits, n'est pas sur
ses pieds. Plusieurs témoins (A D, Ss. Se.) n'ont pas: « Or c'étaient ))■
(■î)ffav o£ ); ainsi la notice est claire, le rapjjort étant attribué à toutes
les femmes ; mais l'absence de lien avec le contexte rend la glose
presque choquante. D'autres (texte reÇu, mss. lat., etc.) obtiennent le
même sens en suppléant (( qui» (a") devant « disaient », ce qui alourdit
singulièrement la phrase. L'omission de : «Or c'étaient», pourrait venir
de ce qu'on n'a pas voulu conduire toutes les femmes au tombeau
(c'est le cas de D) ; mais le texte des meilleurs manuscrits paraît vouloir
séparer les trois premières, nommément désignées, qui seraient allées
au tombeau, et attribuer le récit aux c autres », ce qui est très arti-
ficiel. On pourrait bien avoir ici une ancienne glose diversement
retouchée dans la tradition. .
LUC, XXIV, 12 o71.
^2 Cependant Pierre, se levant, courut au sépulcre,
et se penchant, il vit les linges, seulement,
et il s'en retourna tout surpris de ce qui était arrivé.
L'cvangélisle paraît tenir beaucoup à ce que la toi de la résurrec-
tion ne semble pas fondée sur le témoignage des femmes : sans doute
la grande px-euve de Marc avait-elle été déjà tournée en objection par
les Juifs et par les païens. Mais si les disciples paraissent abonder
dans le sensée l'objection, ce n'est que pour montrer combien elle
est mal fondée, les disciples ayant été convaincus par les apparitions
de Jésus (|ue les femmes étaient dans le vrai. L'incrédulité provisoire
des disciples sert donc l'intérêt de la démonstration évangélique, et
il n'est pas probable qu'elle soit le grossissement' volontaire d'une
tradition touchant les hésitations qui se seraient produites d'abord
dans le premier groupe croyant sur ce point de la résurrection, La
survie de Jésus et sa survie glorieuse n'ont pas dû faire grande
difficulté pour ceux qui croyaient en lui.
On a remarqué [Bultmann, i^S, après Bousseï, K-yrios Chrisios,
77-79) que la découverte du tombeau vide s'ajuste assez mal au récit
de la sépulture par Joseph d'Arimathie. Ce n'est pas que le récit de la
sépulture soit mieux garanti (nonobstant ropinion contraire de
BuLTMANN, 166) ; mais ce peut être une fiction plus ancienne, conçue
en vue de procurer au Christ un ensevelissement honorable (d'après
Is. LUI, 9, dans l'hébreu, et subsidiairement xxxiii, 16), coordonné à
la résurrection, sans l'être à la découverte du tombeau vide. On dit
que l'idée de l'embaumement au troisième jour est absurde et ne s'ac-
. corde pas avec la donnée plus ancienne de la passion le vendredi et
de la résurrection le dimanche : c'est qu'on a voulu trouver un motif
quelconques la visite des femmes, motif que Mathieu et Jean laissent
à propos tomber. Du reste, il faut distinguer, par rapport à la sépul-
ture et à la résurrection, ce que dit Paul (1 Cor. xv, 4) de la sépulture
et de la résurrection au troisième jour, première fiction de la foi, sur
laquelle paraît avoir été construit d'abord le récit de la sépulture par
Joseph d'Arimathie, et la fixation de la passion au vendredi, de la
résurrection au dimanche, fiction plus l'écente, en rapport avec la
coutume romaine de célébrer la pâque le dimanche en fête de la
résurrection, et que suppose la fiction, relativement tardive, de la
visite des femmes au tombeau.
Le texte ordinaire de Luc ajoute en cet endroit un verset qui
manque dans quelques anciens témoins (D, mss. lat.), et dont l'au-
thenticité parait plus que suspecte à la critique. — « Et Pierre, s'étant
S72 LUC, XXIV, 12
levé », — après cette communication que tous avaient jugée ridicule,
— « courut au tombeau, et se baissant» — par l'ouverture, — « il
vit les linges seulement», — le corps que ces linges enveloppaient
ayant disparu, — « et il s'en revint chez lui étonné de l'événe-
ment ». — Surpris de l'aventure, mais non pas encore, à ce qu'il
semble, admirant le miracle et croyant à la résurrection. Le récit va
continuer (i 3): « Etdeux d'entre eux » etc., comme s'il n'avait pas été
question de Pierre; plus loin (24). ^^s disciples d'Emmaiis diront que
certains des leurs sont allés au tombeau après les' femmes, mais cela
semblerait signifier plus que la visite de Pierre seul au tombeau vide.
Celle-ci est visiblement identique à celle où Jean (xx, a-io) fait interve-
nir avec Pierre le disciple bien-aimé. A la fin du récit d'Emmaiis (34),
il sera dit que le Seigneur est apparu à Simon, mais c'est encore moins
une référence à notre passage, où iln'est question quedu tombeau vide.
L'apparition du Christ à Simon n'est pas racontée dans notre évan-
gile ; elle s'identifie à celle dont parle Paul (I Cor. xv, 5); mais si celte
apparition eut lieu sur le lac de Tibériade (Jn. xxi, i-i3), on conçoit
que notre auteur, qui en a tiré parti ailleurs (v, 3- 10), ait trouvé diffi-
culté à la mettre danslabanlieue de Jérusalem. Notre passage ne laisse
pas d'être coordonné aux deux suivants, et conçu d'après le récit
de Jean ': tous les mots importants viennent de là ; notre auteur n'a
parlé (xxiii, 54) que de « linceul» (atvBwv), et les « linges » (oôôvia) vien-
nent de Jean (xix, 40), qui les distingue du suaire (xx, S-^) ; chez
Jean [xx, 5), c'est le disciple bien-aimé qui, « se baissant, voit les
linges déposés », comme on le dit ici de Pierre. L'étonnement de
celui-ci est le seul trait qui ne soit pas dans le quatrième évangile;
on a pu le trouver, sans grand effort d'imagination, puisqu'on ne se
risquait pas à rompre le cadre général des récits en attribuant la foi
à Pierre avant les apparitions du Christ. On ne pouvait davantage
introduire le disciple bien-aimé dans un évangile qui ne parlait pas
de lui. Il ne faut pas songer à regarder noire verset comme la source
dont se serait inspiré le quatrième évangile, mais ce verset, s'il
n'est pas du rédacteur évangélique, appartiendrait à un remaniement
ultérieur qui aurait coïncidé plus ou moins avec la fixation du
canon des quatre évangiles,
XCIIl. Les disciples d'Emmaiis
Dans noti-e évangile, les récits de la résurrection se présentent
avec le caractèi-e de merveilleux qu'affectionne le rédacteur : véri-
table épiphanie modelée en scènes vivantes, avec des couleurs
LDC, XXIV, 13 573
13
' Et voici que deux d'entre eux, en ce même jour,
se rendaient à un village, distant de soixante stades de Jéru-
[salem,
nommé Emmaûs,
douces, et une hardiesse enfantine dans son réalisme. L'auteur se
limite à deux apparitious, dont la première, celle des disciples
d'Emmaûs, lui appartient en propre, et la seconde, qui a un pendant
dans le premier évangile et dans le quatrième, a un cadre plus flot-
tant, où le rédacteur anticipe une partie de ce qu'il a voulu mettre au
commencement des Actes, Mais, même pour cette conclusion, il est
de toute évidence que Matthieu et Luc ne sont plus soutenus par
Marc leur source commune, et l'on peut dire que chaque évangé-
liste ou la tradition qu'il représente a suivi sa propre voie.
Le récit d'Emmaûs se rattache assez mal à ce qui précède. — « Et
voici que deux d'entre eux, ce jour-là, étaient s'en allant ». —
D'après le contexte (xxiv, lo), on supposerait que les deux sont
apôtres, ce qui paraît démenti par le récit. Les deux sont de ces
« autres « qui ont été mentionnés tout exprès (9) à côté des Onze,
et ce préambule paraît ignorer non seulement le passage concernant
la visite de Pierre au tombeau, mais la notice concernant les
femmes (10) ; on le dirait fait pour s'adapter à un texte ainsi conçu :
« Et revenues du sépulcre, elles annoncèrent tout cela aux Onze et à
tous les autres. Et ces discours leur parurent une rêverie et ils ne les en
crurent point». Et la leçon du ms. D : « Or étaient deux d'entre eux
s'en allant ce jour-là » pourrait sembler pi-éférable au texte commun
(xat ISoù Sùo Èç aÙTwv Iv aiJT-Y| tyi ''ll-'-^P'il^ Y|Cîav 7cop£uô[j!.evoi. D, '}\(S(X.v §è. Sûo
Ttaû=.u6ij.evûi è? aùxwv sv a. t. t). Se rappeler que D n'a pas -?icav Bé au
commencement de 10). — « A. un village distant de soixante stades de
Jérusalem, nommé JRlmmaus ». -^ Quelques témoins (dont S) ont
cent soixante stades, mais ce doit être pour l'identification avec
Emmaûs-Nicopolis (aujourd'hui Amwâs), à cent soixante-seize stades
de Jérusalem.
Josèphe connaît deux Emmaûs, Nicopolis et un autre, plus rappro-
ché de Jérusalem {Bell j'iid. VII, 6, 6), où il dit que Titus avait éta-
bli une colonie de vétérans. Si Josèphe ne parlait que d'Emmaûs-
Nicopolis, on pourrait croire que notre auteur a eu celui-ci en vue,
en raccourcissant la distance pour l'équilibre de son histoire; car il
était fort capable d'inexactitude en géographie com me en chronologie ;
mais, puisque Josèphe a deux Emmaûs, c'est le plus proche de Jéru-
salem qu'il aura visé; et le fait que cet Emmaiis est devenu plus
■o74 LUC, XXIV, 14-16
^* et ils discouraient entre eux de tout ce qui était survenu,
^^ Et pendant qu'ils discouraient et discutaient ensemble,
Jésus lui-même, s'étant approché, ûl aussi route avec eux;
'" mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
tard colonie romaine a pu même influencer son choix. La tradition
chrétienne, depuis le iv" siècle, tenait pour Emmaûs-Nicopolis, sans
s'inquiéter de ce que les disciples qui auraient fait dans la journée une
trentaine de kilomètres pour atteindre Emmaûs, n'eussent guère pu
en refaire tout de suite autant pour regagner Jérusalem le mêmesoir,
ettrouver encore les disciples sur pied. Il n'estpasproblable d'ailleurs
que l'évangéliste eût présenté cet Emmaûs comme un simple bourg ou
village (xwfx-^). Depuis les croisades, les catholiques de Palestine ont
identifié Emmaûs à Kubéibeh, sur la route de Jérusalem à Jaffa, à la
distance marquée par notre évangile; ce doit être pour cela qii'on l'a
choisi. Beaucoup de modernes pensent que Kalonié,sur la même route,
à trente-quatre stades seulement de Jérusalem, représente la colonia
de Titus et TEmmaûs de l'évangile (cependant Lagrangb, 622,
s'abstient de conclure en ce sens, écartant seulement Emmaiis-Nico-
polis et les cent soixante stades).
«! Et ils discouraient entre eux de toutes ces choses qui étaient arri-
vées ». — Dès ce début, l'on sent que l'évangéliste opère lui-même et
qu'il met toutes ses complaisances dans ce récit, qu'il n'aura pas
trouvé tout fait. «Tous ces événements », comme il va ressortir de la
conversation des voyageurs avec Jésus, sont la paSsion du Christ,
avec toutes ses circonstances, et la découvei'te du tombeau vide, non
pas ce dernier fait seulement.
« Et advint, pendant qu'ils discouraient et discutaient ensemble,
que Jésus lui-même, s'étant appi'oché », — à ee qu'il semble (d'a-
près 18), en homme qui, venant comme eux de Jérusalem, les aurait
rejoints en pressant le pas — « fit route avec eux». — Par cette
mise en scène, et même, à beaucoup d'égards, pour l'ensemble de
la narration, le présent récit s'apparente à l'histoire de l'eunuque
éthiopien dans les Actes (viii, 26-35; noter surtout la façon dont
Philippe aborde l'eunuque, puis la démonstration par les prophéties,
enfin la disparition miraculeuse de Philippe aussitôt que l'eunuque
est baptisé). — « Mais leurs yeux étaient empêchés, de façon qu'ils ne
le reconnussent point ». — Il le faut bien pour que le récit prenne
quelque ampleur et que l'auteur y puisse mettre un plus riche ensei-
gnement. Jésus est censé avoir le môme extérieur que durant sa
vie (Mo. xvr, 12, èv sTspa [J.op«pYi, est une interprétation libre de
LUC, XXIV, 17-18 b75
^'' Et il leur dit": « Quels sont ces discours,
que vous échangez entre vous en marchant ? »
Et ils s'arrêtèrent tout tristes.
1^ Et répondant l'un d'eux, nommé Gléopas, lui dit :
« Tu es doncle seul étranger venu à Jérusalem
qui ne sache pas ce qui s'y est passé ces jours-ci ? »
notre passage ; car notre auteur entend que « la forme » de Jésus
reste objectivement la même, mais que les deux disciples ne la recon-
naissent pas, ne la voient pas comme elle est). Ce n'est pas à un
changement de ses traits ou de son costume ordinaire, ou bien à la
préoccupation et à l'abattement des disciples, que la méprise doit
être attribuée, mais à une action particulière de la puissance divine,
qui fait obstacle à l'exercice normal de leurs sens. Bien que l'éVan-
géliste ne le dise pas, et qu'il n'y ait peut-être pas pensé, on doit
supposer qu'ils ne reconnaissent pas plus la voix que les traits de
leur Maître.
« Et il leur dit : « Quels sont ces discours que vous entretenez
ensemble en marchant ?» — Jésus se mêle à la conversation, dont
on doit supposer qu'il a entendu quelque chose et à laquelle il affecte
de ne rien comprendre, jouant ainsi son rôle d'étranger inconnu, jus-
qu'au moment où il disparaîtra d'avec les deux disciples. — « Et ils
restèrent tout tristes ». — Us se tinrent un moment silencieux et
comme sous l'impression d'une vive douleur. Telle est du moins la
leçon des plus anciens manuscrits (SAB). Le plus grand nombre fait
■dépendre de la question posée par Jésus ces derniers mots, en lisant :
« Et (pourquoi) êtes-vous tristes ? » Quelques-uns (Ss. D) omettent :
« en marchant ». Le trait paraît plus vivant si c'est la question de
Jésus qui provoque chez les disciples une émotion pénible en réveil-
lant leur chagrin par un choc imprévu, et qui amène une altération
•subite de leurs visages. La leçon commune est plus facile.
(( Or, r-épondant, l'un d'eux, nommé Gléopas, lui dit ». — L'auteur,
pour la commodité de sa description, dit le nom de celui-là, parce
que c'est lui qui z'épond à Jésus ; il eût été plus naturel si le récit était
fondé en tradition, de dire d'abord les noms des deux disciples. Ce
Gléopas (nom abrégé de Gléopatros) ne saurait être identifié à l'Al-
phée de Marc (m, 18) ; en identifiant de plus ce Gléopas au Glopas de
Jean (xix, aS), la tradition lui a créé un état civil des plus honorables
et des plus complets (frère de Joseph, père des « frères du Seigneur »),
dont rien n'est à retenir. Encore moins y a-t-il lieu de s'arrêter à
l'hypothèse (émise par Zahn), qui identifie (en s'autorisant de 34) le
576 LUC, XXIV, 19-20
" Et il leur dit : « Quoi ? »
Et il lui dirent :
« Ce qui regarde Jésus le Nazarène,
qui fui homme prophète,
puissant en œuvre et parole devant Dieu et lout le peuple ;
20 et comment l'ont livré nos grands prêtres et nos magistrats,
pour condamnation à mort, et l'ont crucifié.
compagnon de Clopas à Sirnéon fils de Glopas et second évêque de
Jérusalem, lequel aurait renseigné Luc sur le fait de l'apparition.
Notre Gléopas n'a jamais dû. exister que pour l'ornement du présent
récit. — « Tu es donc le seul étranger à Jérusalem ». — Cléopas
prend Jésus pour un des nombreux pèlerins qui sont venus à Jérusa-
lem pour la pâque. Il paraît moins indiqué d'entendre : « Es-tu telle-
ment étranger à Jérusalem que tu ne saches pas » (Klostermann^
604, qui propose cette interprétation, reconnaît que, dans ce cas,
ixovo; serait mieux placé devant où/. eyvM;V — « Qui ne sache pas ce
qui s'y est passé ces jours-ci ». — L'étranger ignore le grand événe-
ment qui a mis en émoi toute la ville. Gomme cette ignorance est
simulée, l'auteur juge le trait suffisamment vraisemblable,
« Et il leur dit », — continuant de feindre l'ignorance : — « Quoi ?»
Et ils dirent: » L'affaire de Jésus le Nazarène ». — Plusieurs témoins
(AD, niss. lat, Se.) lisent « Nazoréen ». — « Qui était un homme pro-
phète ». — Gléopas va définir le rôle et le sort de Jésus comme on
les déûnii'a dans les discours des Actes, sauf la déception éprouvée
pour l'instant à l'égard, de l'espérance inessianique. — « Puissant en
œuvre et parole ». — C'est ce qui est dit de Moïse dans le discours
d'Etienne (Act. vu, 22). — « Devant Dieu », — le plus haut témoin
de cette merveilleuse existence (cf. t, 6, i5), — « et devant tout le
peuple », — qui l'a vu et entendu tant en Galilée qu'à Jérusalem. —
« Et comment nos grands-prêti'es et nos magistrats, l'ont livré pour
condamnation à mort et l'ont crucifié ». — On reconnaît ici l'éciùvain
qui a tourné le récit de la dénonciation, de la condamnation et du
supplice de Jésus, en réquisitoire contre les chefs religieux du peuple
juif, le peuple lui-même ayant été plutôt le témoin attristé du crime
commis par ses chefs.
« Quant à nous, nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël » .
— Définition de l'espérance messianique en la forme judaïsanle qu'al-
fecle volontiers l'évangéliste : Zacharie, l'ange Gabriel, le peuple de
Galilée ont parlé comme parle maintenant Gléopas (cf, t, 32-33, 68 ;
LUC, XXIV, 21-23 577
2^ Quant à nous, npus espérions
que ce serait lui qui délivrerait Israël ;
mais, avec tout cela,
voici le troisième jour que cela s'est passé.
'^Cependant quelques femmes des nôtres nous ont stupéfiés :
étant allées de bon matin au sépulcre
^^ et n'ayant pas trouvé son corps,
elles sont venues dire avoir vu aussi apparition d'anges
qui le disent vivant.
11, II, Sa, 38 ; vu, 16-17) ? aussi bien le mot « prophète », dans le dis-
cours de Cléopas, n'est il pas à regarder comme représentant une idée
autre que celle du rôle messianique» si ce n'est que l'avènement du
grand règne était censé l'accomplissement normal du ministère qu'on
voyait exercé par ce prophète. r—« Mais, avec tout cela». — A la dé-
ception causée par sa mort il s'ajoute que rien ne s'est produit
depuis qui en corrige l'effet. — « Voici le troisième jour ». — A la
lettre, on peut traduire (TptT-riv TatJTT)v •fj[j(.épav àyet) : « on en est au troi-
sième jour » (prenant, par exception, à-yet à l'impersonnel), ou bien
(en sous-intendant le sujet) : « Il (Jésus, non pas Israël, ou le temps,
on les événements) en est au troisième jour » de mort, ce qui est peu
naturel (les cas parallèles, cités par Klostermann, 6o5, ne se rappor-
, tent pas à des morts). — « Depuis que ces choses se sont passées ». —
Gomme les disciples ne sont pas censés avoir compris ce que Jésus
avait annoncé de sa résurrection, il est difficile de voir ce qu'ils pou-
vaient attendre. Le propos n'a guère de sens que pour amorcer ce qui
va être dit des femmes et du tombeau vide, et il est prudent de n'y
chercher aucune idée précise. Le discours de Cléopas est pour mon-
trer la profonde incompréhension des disciples, que-niles prédictions
de Jésus ni le tombeau vide n'avaient pu éclairer, et qui ne se sont
rendus qu'à l'évidence du fait en voyant Jésus, en l'entendant, en
conversant avec lui. Il ne faut pas chercher de combinaisons rédac-
tionnelles derrière cette fiction maladroite, comme toutes celles du
même auteur (Wellhausen, i4o, regarde 22-24 comme surajoutés ;
mais que signifie, 21 sans 22-24, et 1© discours de Cléopas peut-il<rester
suspendu en l'air?) Cléopas va mentionner un incident qui paraîtrait
avoir dû au moins donner aux disciples un rayon d'espoir, mais il
n'en est rien ; du moment "qu'on n'a pas vu Jésus, et malgré ce qu'on
a rapporté des anges, Cléopas et les autres ne peuvent imaginer que
Jésus soit vivant.
A. LoisY. — L'Évangile selon Luc, 3?
B78 LUC, XXIV, 24
2* Et quelques-uns d'avec nous sont allés au sépulcre,
et ils ont trouvé (tout) comme les femmes l'avaient dit,
; mais lui, ils ne l'ont pas vu. »
« Aussi bien quelques femmes des nôtres », — de notre compagnie^
— « nous ont fort étonnés : étant allées de bon matin au sépulcre », —
comme il a été dit (opOpivaî correspond à opOpou, i, et doit être de la même
main), — « et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire
qu'elles avaien}; vii aussi », — dire de femme que Cléopas se garde
bien de confirmer, estimant que c'est rêverie (ii), — « une appari-
tion d'anges qui disent qu'il est vivant ». — C'est bien ce qu'ont dit
les anges (5), mais Cléopas ne croit pas que les femmes les aient vus
réellement. Car on a essayé inutilement de vérifier cette prétendue
communication djes anges.
« Et certains d'avec nous sont allés au sépulcre et ont trouvé » —
les choses, l'état du tombeau vide, — « comme les femmes l'avaient
dit,; mais lui, ils ne l'ont point vu ». — La façon dont cette conclusion
est pr'ésentée laisse voir que, dans la pensée de Cléopas, c'est la chose
essentielle : l'auteur affecte d'accepter les objections qu'on peut
faire contre l'argument du tombeau vide, si cet argument n'est cor-
roboré par la preuve des apparitions. Mais il est incroyable que ce
passage du discours n'implique pas, comme ce qui concerne les
femmes, une référence à un trait antéi'ieur du récit. Ce que Cléopas
dit des disciples au tombeau suppose la connaissance de ce qu'on lit
dans Jean (xx, 3-io), c'est-à-dire, très probablement la connaissance
du quatrième évangile. Rien d'étonnant, puisque la rédaction des
. Actes paraît accuser des égards pour la légende éphésienne de
l'apôtre Jean. Cela étant, l'authenticité du passage relatif à Simon
Pierre (12, à raison même de son affinité avec Jn. xx, 3-io) n'est
peut-être pas si désespéx'ée qu'elle semble au commun des cri-
tiques. Si l'on tient compte des libertés que prend l'auteur, elle
fournirait la référence demandée par le présent passage, l'auteur
ayant nommé seulement Pierre pour la course au tombeau, afin de ne
pas s'embrouiller dans l'histoire du disciple bien-aimé, mais ne lais-
sant pas de sous-entendre la présence de celui-ci. L'important pour
lui est d'amener l'instruction de Jésus et le trait symbolique de la
reconnaissance finale. Ainsi l'omission, dans quelques témoins, du
passage concernant Pierre, s'expliquerait par le souci d'éviter des
incohérences et des contradictions dont le rédacteur n'avait cure,
l'autorité des anciens témoins (SB. Ss. Se) qui ont ce passage se
trouvant d'ailleurs conlirmée.
. LDO, XXIV, 2Si-26 579
25 Et lui leur dit :
« O (hommes) inintelligents et lents de cœur
à croire en tout ce qu'ont dit les prophètes !
2« Né fallait-il pas que le Christ souffrît cela
pour entrer dans sa gloire? ))
« Et lui leur dit : « O imbéciles, lents de cœur », — paresseux d'es-
prit, — « à croire en tout ce qu'ont dit les prophètes », — à com-
prendre et accepter avec foi ce qui est écrit touchant l'avenir du
Messie. Jésus ne peut pas ici, comme les anges ont fait pour les
femmes (6), renvoyer les disciples à ce qu'il a dit « étant encore en
Galilée », mais la leçon est la même ; car Jésus en Galilée se réfé-
rait aux prophéties anciennes quand il disait : « 11 faut que le Fils
de l'homme souffre », etc. (ix, at, Seî ; 44> (Jt-éXXei; xviir, 3i, référence
explicite aux prophéties). — » Ne fallait-il pas que le Christ souffrît
cela pour entrer dans sa gloire ?» — Jésus dit : « il fallait » (eSst),
comme jadis il disait : « Il faut ». La nécessité dont il s'agit n'est pas
fondée sur l'idée de la rédemption, c'est la nécessité providentielle,
la coordination établie par la volonté de Dieu entre la mort et la
gloire du Christ (cf. Agt. xxvi, a3). Ce ne doit pas être par une confu-
sion du point de vue de l'évangéliste avec la perspective du discours,^
que le Glmst paraît déjà dans la gloire. On pourrait supposer que
Jésus, dépouillant son propre personnage en la circonstance,
affirme le rapport des souffrances à la gloire sans signifier que celle-
ci soit acquise depuis tel moment ou qu'elle doive l'être le soir ou
dans quarante jours. Mais l'assertion est trop absolue pour qu'on
l'évaporé dans le nuage d'une abstraction. 11 ne faut pas oublier que,
d'après notre évangéliste, Jésus est entré en pai'adis avec le bon
lari'on, non pas le matin de la résurrection, mais le soir même de sa
mortCxxni, 43)
« Et commençant par Moïse et puis tous les prophètes ». — Enten-
dons que Jésus se met à interpréter tous les px'ophèles, en commen-
çant par Moïse (cf. xxiii, 5) ; il n'est aucunement plus naturel de sup-
poser que l'auteur aurait en pensée les Psaumes, dont il ne parle-
rait point ici (cl. 44) ^t à l'égard desquels les livres historiques et
pi'ophétiques fei-aient commencement, — « Il leur expliqua dans
toutes les Ecritures ce qui le concernait ». — L'évangéliste a en vue
tous les endroits de l'Ancien Testament où \o christianisme primitif
a pensé reconnaître des prophéties messianiques, principalement les
textes cités par lui-même dans le présent livre et dans les Actes.
Autant dire qu'il a résumé dans ce trait le travail de la pensée chré-
t:.*(:i^VÎ
580 LUC, XXIV, 27-29
2' Et commençant par Moïse, puis tous les prophètes,
il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.
28 Et ils approchèrent du village ou ils allaient,
et lui fit semblant d'aller plus loin ;
2» et ils le pressèrent instamment, disant : a Reste avec nous,
car il se fait tard et déjà le jour décline. »
Et il entra pour rester avec eux.
tienne aux premiers temps de salormation, lorsque les sectateurs du
Christ cherchaient dans l'Ecriture les preuves^de leur foi et des
arguments contre les Juifs.
« Et ils approchèrent », — tout en écoutant cette leçon, — « du
village où ils allaient, et )), — persévérant dans son rôle d'inconnu,
— « il fît semblant d'aller plus loin », — de vouloir continuer sa
route, comme si Emmaûs n'était pas le terme de son voyage. Les
anciens commehtateuris ont été embarrassés de ce faux départ ; mais
la façon dont Jésus a rejoint les disciples et s'est mêlé à leur con-
versation (i5-i;7) est aussi bien une petite comédie, dont le faux
départ est le pendant naturel. — « Et ils le pressèrent », — suivant
les habitudes de la politesse antique, et témoignant ainsi une res-_
pectueuse bienveillance à celui qui les avait consolés et instruits,
— « disant : « Reste avec nous, car il se fait tard et le jour penche
à son déclin ». — C'est le moment de prendre gîte (cf. Jug. xix, 8-9),
et les deux disciples offrent à leur compagnon l'hospitalité. H semble
en effet, qu'ils l'invitent à reposer sous leur toit, la proposition des
disciples et la mise en scène du repas qui va suivre s'expliquant plus
naturellement si les disciples reçoivent Jésus chez eux, ou chez l'un
d'entre eux, que s'ils l'emmènent dans une hôtellerie. Du reste, le nar-
rateur se tient quelque peu dans le vague, et il serait indiscret de lui
demander si et comment Jésus avait des disciples à Emmaûs.
— « Et il entra » — dans la maison — « pour rester n — prendre
gîte — « avec eux », — comme ils l'en avaient sollicité. Cette inten-
tion aussi n'est que simulée, puisque Jésus s'éclipsera au lieu de
rester.
« Et advint, quand il se fut mis à table avec eux, que, prenant le
pain », — • se comportant en chef de famille, et comme il avait accou-
tumé de faire autrefois avec les siens (cf. ix, 16 ; xxii, 19), — « il dit
la bénédiction, et le rompant, il le leur présenta », — comme il avait
fait aussi bien en son dernier repas , Mais, remarquent à l'envi les
commentateurs, ce n'est pas le souvenir du dernier repas, auque ont
LUC, XXIV, 30r32 881
^" Et quand il se fut mis à table avec eux,
preilant le pain, il dit la bénédiction,
et la fraclion faite, il (le) leur présentait,
®^ Or leurs yeux se dessillèrent et ils le reconnurent,
mais il était disparu d'avec eux
^^ Et ils se dirent l'un à l'autre :
« Notre cœur n'élait-il pas brûlant en nous
lorsqu'il nous parlait dans le chemin,
en nous expliquant les Ecritures ? «
pris part seulement les Douze, qui pouvait être éveillé dans l'esprit
des deux disciples. Admettons-le, bien que peut-être. l'auteur n'eût
pas souci d'une logique si exacte ; mais, si les deux disciples n'ont
pas pensé à la dernière cène, il y pense pour eux, car l'idée de la
cène chrétienne est essentielle à la Conception de ce récit. -^ « Or
leurs yeux se dessillèrent » — à ce moment, Dieu rendant la liberté
à leurs sens, — « et ils le reconnurent» — dans son geste, Il ne s'agit
pas d'un simple fait psychologique, Jésus rappelé à la mémoire de
ses disciples par la manière toute personnelle de son action, et
reconnu ainsi, mais d'un miracle, ou plutôt de la cessation du
' miracle, de l'empêchement mis par la puissance divine à la reconnais-
sance immédiate de Jésus par les deux disciples. Ceux-ci reconnais-
sent Jésus faisant le geste eucharistique, non parce qu'il fait le geste
à eux familier et que reconnaît leur mémoire, mais parce que leurs
yeux ont recouvré la faculté de voir Jésus comme il est. — « Et lui se
trouva disparu d'avec eux », ^- dans l'instant même où ils le reconnais-
saient. De même que la conversation de Jésus avec les deux disciples
témoigne du travail qui s'est fait sur les Ecritures au profit de la foi
dans les premiers temps, chrétiens, la reconnaissance de Jésus dans
la fraction du pain témoigne du rapport qui existe originairement
entre la foi à la résurrection et la cène eucharistique. La foi à la résur-
rection de Jésus et la présence du Christ au milieu des siens dans le
repas de communauté se sont affirmées en même temps ; les deux ne
forment, pour ainsi dire, qu'une même foi au Christ toujours vivant,
« Et ils se dirent l'un à l'auti'e : « Est-ce que notre cœur n'était pas
brûlant en nous », — et cette impression extraordinaire n'aurait-elle
pas dû nous faire reconnaître notre interlocuteur, — « lorsqu'il nous
parlait dans le chemin, lorsqu'il nous expliquait les Ecritures ?» —
Réflexion peu claire, en somme, et qui pourrait n'être pas exempte de
surcharge. Au lieu de « cœur ardent» (xacojxév-^), certains témoins
582 LW, XXIV, 33-34
3" Et se levant à l'heure mêmet ils retournèrent à Jérusalem,
et ils trouvèrent assemblés les Onze et leurs compagnons,
^ qui disaient : « Réellement le Seigneur est ressusoité,
et il est apparu à Simon. »
lisent « cœur voilé » (D, 3cexaXu[j(.(jL£V7i), ou « appesanti » (Ss. Se. Sah.
arm. ; mais un seul point fait en araméen la différence entre iaqid,
« ardent », et iayir, «pesant», et la variante pourrait ainsi s'être
produite en syriaque ; la variante de D pourrait n'être aussi qu'une
fausse lecture ; noter cependant les variantes des mss. lat. : c, excoB-
catum ; e, exterminatum ; l, obtusum) . Bien que le « cœur ardent »
ait la faveur des interprètes, le « cœur voilé » ou « appesanti » serait
plus conforme aux liabitudes du langage biblique et donnerait un
sens plus net, les disciples se demandant comment ils ont pu avoir
l'esprit assez bouché pour ne pas reconnaître Jésus durant la longue
conversation qu'ils ont eue avec lui sur le chemin . Certains témoins
(mss. lat, Ss. Se.) omettent : « comme il nous parlait », qui fait
quelque peu doublet à côté de : « comme il nous expliquait les Ecri-
tures ».
, « Et se levant à l'heure même », — au lieu de rester à Ëmmaûs et
de prendre leur repos, — «ils retournèrent à Jérusalem », — pour
annoncer l'événement au groupe des disciples, qu'on suppose déjà
aussi étroitement uni et persévéramment assemblé qu'on le mon-
trera dans les Actes ; — « et ils trouvèrent réunis les Onze et leurs
compagnons », — tous ceux qui ont déjà reçu la communication des
femmes (9), — « disant ». -r- Dans le texte ordinaire (Xéyovraç), c'est
le groupe hiérosolymitain qui parle, non les voyageurs d'Emmaûs .
D'après le ms. D (X'syovxe;), ce sont ces derniers qui disent : — « Réel-
lement le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon ». — Cette
allusion à la vision de Simon est déconcertante, aucune apparition
du Christ à Pierre n'ayant été racontée. La leçon commune : «Ils
trouvèrent... les Onze... qui disaient» etc., manque de naturel ; car
elle revient à dire, sans que le lecteur s'y attende, que les deux dis-
ciples, apportant au groupe la nouvelle de la résurrection, reçurent
du groupe la nouvelle qu'iU apportaient ; mais il n'est guère plus
naturel d'écrire: «ils trouvèrent... en disant », que : « ils trou-
vèrent » leurs amis « qui disaient ». De pari et d'autre il y a diffi-
culté d'entendre la situation. Si ce sont les croyants de Jérusalem
qui parlent, ils annonceraient aux arrivants une apparition qui se
serait produite en leur absence et dont l'évangéliste s'abstiendrait
LUC, XXIV, ,35 §83
'^ Et ils racontaient ce que s'était passé sur le chemin,
et comment il avait été reconnu par eux à la fraction du
[pain.
de parler autrement, n'ayant pas voulu la raconter. Si ce sont les
disciples d'Emmaùs, onne voit pas- comment ils pourraient annoncei*
au groupe de Jérusalem une apparition dont ce groupe devrait être
mieux informé qu'eux-mêmes, puisque Simon-Pierre est des Onze .
Aucune conclusion solide ne paraît à fonder sur la donnée d'Ori-
gène et d'autres attribuant au compagnon anonyme de Gléopas le
nom de Simon, uii Simon qui ne sei'ait pas Simon-Pierre (?). Le nom
pourrait être emprunté à la communication des deux disciples, si on
les suppose annonçant leur propre vision. Mais comment pourrait-on
attribuer à Simon la vision, quand Gléopas a été le principal inter-
locuteur de Jésus ? Le nom de Simon pourrait avoir été introduit ici
pour que le récit d'Emmaûsnè contredît pas I Corinthiens (xv, 5), qui
attribue à Pierre la première vision. Cette finale serait d'une tenue
parfaite si on se risquait à mettre dans la bouche des deux disciples
la communication : « Réellement le Seigneur est ressuscité et il nous
est apparu (w<pO-/) r)[uv, au lieu de w. St[Awvt), à quoi s'ajuste naturelle-
ment : — "et ils racontaient », — en confirmation de leur asser-
tion première, — » ce qui s'était passé dans le chemin, et comment
il avait été reconnu par eux à la fraction du pain ». — On a remarqué .
(Wellhausen, x4o) que la formule : « et eux » (xat «ùxot) , d'après
l'usage de notre auteur, n'est pas adversative et ne saurait setra-
duire : « eux, de leur côté w.Mais, si la phrase en discours direct, à
laquelle s'appuie en Tnanière d'explication : «et eux racontaient» etc.,
doit être attribuée aux deux disciples, elle n'a pu concerner origi-
nairement d'autre apparition que celle dont ils avaient été eux-
mêmes favorisés. Il y a, du reste, une contradiction flagrante entre
la profession de foi expresse et ferme, qui, dans le teste ordinaire,
est prêtée au gi'oupc hicrosolymitain, et son attitude dans le récit
suivant, quand Jésus se montre à tous (36, l^l]. L'auleur de la finale
de Marc ignorait toiit à fait cette profession de foi à la fin du récit
d'Emmaûs, puisqu'il écrit que les anciens compagnons de Jésus n'en
Gi'urent pas plus les deux disciples qu'ils n'en avaient cru Marie la
Magdalène (Me. xvi, ii, i3). C'est en effet l'impression que donnerait
notre récit, abstraction faite de la profession de foi dont il s'agit.
On a comparé au récit d'Emmaiis les épiphanies divines dans la
Genèse (Gonkel, Ziim religionsgesch. Verstaendnis des N. T., 71) ;
on pourrait aussi bien en rapprocher tels traits de la mythologie ou
584 LUC, XXIV, 36-37 ■
^^ Op, pendant qu'ils disaient cela,
se présenta au milieu d'eux,
et il leur dit : « Paix à vo,us. »
^' Mais stupéfait s et saisis decrainte, ils pensaient voir un esprit ;
des contes populaires (Bultmann, l'j^). Notre récit exploite chrétien-
nement la donnée commune du personnage divin qui pi'end forme
humaine pour traiter avec les hommes sans être reconnu, et qui dis-
paraît dans l'instant même où son identité a été manifestée. Rien
n'était plus lacile que d'adapter ce thème à celui du Christ ressus-
cité ; mais encore fallait-il en avoir l'idée. L'idée sera venue sponta-
nément à quelque prophète chrétien, dont la vision représente à
merveille la foi des premières communautés au Christ annoncé par
les Ecritures, immortel, et présent aux siens dans la cène eucha-
ristique.
XCIV. La grande apparition du Ressuscité
« Or, pendant qu'ils disaient cela, il se présenta » — subitement —
« au milieu d'eux », — de tout le groupe réuni. Entre cette apparition
etja précédente la liaison est artificielle et mécanique, et le cadre de
l'auteur commence à devenir trop étroit pour tous les miracles
qu'il y entasse. En pressant les termes, on pourrait croire que les
deux disciples n'ont pas fini de raconter leur aventure quand Jésus
paraît (le premier aÙTwv de 36, semblant viser les aùroi de 35, qui sont
les disciples d'Emmaûs) ; mais d'après la fin de la phrase (le second
aÛTwv étant la totalité des disciples), il semblerait que tout le monde
parle et qu'on fait échange de communications et de réflexions. La
nuit tombait quand les disciples sont arrivés à Emmaûs ; il est tard
maintenant et voici une nouvelle apparition, qui sera longue, et qui
se terminera par une promenade au mont des Oliviers, où aura lieu
l'ascension. Tout cet assemblage n'est que pour la perspective. L'ap-
parition générale ne suppose pas l'apparition aux deux disciples,
qui, d'autre part, ne semblerait pas avoir été conçue pour la pré-
parer. C'est que l'auteur l'amène à Jérusalem et au jour de la l'ésur-
rection les faits significatifs et les enseignements concernant le
Ressuscité.
La mise en scène de la grande apparition, il convient de le noter,
estia même que dans le quatrième évangile, et il y a même accord
LDC, XXIV, 3840 585
3® et il leur dit : « Qu'avez-vous à être troublés,
et pourquoi des doutes s'élèvent-ils dans vos cœurs ?
®^ Voyez mes mains et mes pieds :
c'est bien moi.
Touchez-moi et voyez :
un esprit n'a pas chair et os
comme vous vérifiez que j'en ai, »
*" Et ce disant, il leur montrait ses pieds et ses mains.
verbal (e<îT7i Iv [xécu) «ùtûv répond à Jn. xx, 19, ïcsx'(\ sU tô (^écrov). — « Et
.11 leur dit : « Paix à vous ». — Ici la correspondance est textuelle avec
Jean, et comme ces mots manquent dans quelques' témoins (D, mss.
la t.), on croit volontiers à une interpolation. Cependant l'omission
paraît laisser un vide dans le récit ; autrement, l'on dirait que Jésus
attend d'avoir fait peur à ses disciples pour leur adresser la parole.
La conformité avec Jean n'a rien qui doive surprendre, puisque notre
évangéiiste paraît avoir connu le quatrième évangile et qu'ill'exploite
dans ces récits ; l'omission dans un si petit nombre de témoins pour-
rait provenir d'un accident de transcription. Bien moins recomman-
dées sont les paroles : « c'est moi, ne craignez pas », empruntées à un
autre endroit de Jean (vi, 20), que des témoins secondaires ajoutent '
au texte commun.
« Mais, frappés de stupeur ». — Ici variantes (ADL, 7i:T07\âÉvTeç ;
B, ôpoYiôsvTsç ; S, cpo^ïiOév-rsç). — « Et saisis de crainte, ils pensaient voir
un esprit», — l'ombre d'un mort, un fantôme (D, Marcion ont (p(xvTa(r[i.a
au lieu de TcveUfia). — « Et il leur dit », — pour dissiper celte crainte :
— « Qu'avez-vous à être troublés, et pourquoi des réflexions », — des
doutes sur la réalité de ce qu'ils ont sous les yeux, de celui qui leur
parle, — « montent-elles dans votre cœur? » — Un style plus sobre
conviendrait k la circonstance ; mais noti'e auteur a de la rhétorique.
— «Voyez mes mains et mes pieds : c'est moi-même». — Afin de prou-
ver son identité, Jésus montre ses mains et ses pieds, où se trouve
encore la marque des clous qui ont servi à le crucifier. Des cordes
auraient pu laisser leurs marques; mais Jean (xx, 20, 26, 27), avec
lequel notre récit continue d'être dans la plus étroite affinité, veut des
clous pour les mains, et notre évangéiiste a dû songer aussi à des
clous pour les pieds. Ces hagiographes trouvent tout naturel que Jésus
ressuscite avec des blessures à peine cicatrisées, comme si la résur-
rection n'avait fait que ranimer le cadavrOi — «Touchez-moi et voyez ».
— Ceci est pour montrer, non plus l'identité, mais, si on l'ose dire, la
substantialité du ressuscité, et c'est encore un trait commun avec
886 fcùti, xxivf 4H2
*^ Mais, comme ils étaient encore incrédules par joie
et émerveillés, il leur dit :
« Avez-vous ici quelque chose à manger ?»
*2 Et ils lui présentèrent un morceau de poisson rôti;
Jean (xx, 27). Que les disciples touchent et en touchant se con-
vainquent de n'avoir pas affaire à un fantôme, — « parce qu'un
esprit », — l'ombre d'un mort, — «n'a ni chair ni os comme vous
voyez que j'en ai ». — On connaît la citation d'Ignace [Smyrn. m,
i), apparentée à notre texte, mais qui vient d'ailleurs (Ev. des
Hébreux, d'après Jérôme, De viris, 16 ; mais Origène, De princ.
prœm. 8, a trouvé aussi dans le Kérygme de Pierre : « Je ne suis pas
un esprit sans corps »),. C'est merveille que lé corps de Jésus soit si.
consistant, puisqu'il pénètre dans les demeures à travers murs et
portes, — « Et ce disant, il leur montra ses mains et ses pieds ». —
C'est Jean (xx, 26) : « Et ce disant, il leur montra ses mains et son
côté ». — Ce trait manque dans les mêmes témoins (et aussi dans
Ss. Se.) que plus haut : « Et il leur dit : « Paix à vous ». L'indication
peut sembler superflue après: «Touchez moi et voyez». Et l'on admet
volontiers l'interpolation, quoique, sans cette notice, la suite : « Mais,
comme ils ne croyaient pas encore», soit moinsbien amenée. L'étroite
ressemblance avec Jean n'est pas un argument décisif contre l'au-
thenticité, vu que cette ressemblance existe aussi pour le contexte.
Notre auteur pousse la démonstration plus loin que les autres
évangélistes, même que le quatrième : pour prouver la.i'éalité corpo-
relle de Jésus ressuscité, il va le faire manger. — « Mais, comme ils
étaient encore incrédules par joie».— La trouvaille est peut-être
moins heureuse qu'elle semble à plusieurs ; car ce n'est pas la joie
des disciples qui les rend inci'édules, mais ils ne croient pas à leur
propre joie, au bonheur de revoir Jésus vivant. Chez Jean (xx, 20),
api'ès : « Et ce disant, il leur montra ses mains et son côté », on lit :
« Les disciples se réjouirent donc envoyant le Seigneur». Ne dirait-
on pas que notre auteur a combiné cette joie avec l'incrédulité dont il
a besoin pour le crescendo de sa démonstration? — « Et qu'ils s'éton-
naient ». — C'est aussi bien cetébaliissement qui est censé faire obs-
tacle à la simple foi. — « Il leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à
manger? » — Naïve habileté du narrateur. Le Christ immortel ne
saurait avoir faim de ce que mangent les disciples. Il mange unique-
ment pour montrer qu'il a un corps, mais il mange réellement (cepen-
dant cf. ToB. XII, 19, le cas de l'ange qui avait l'air de manger avec
ïobie, et qui pourtant ne mangeait pas). — • «Et ils lui présentèrent
• ttc, xïiv, 43 587'
^^ et l'ayant pris, devant eux il le mangea,
un morceau de poisson rôti ». — Beaucoup de témoins, mais non les
plus anciens, ajoutent: «et un rayon de miel» (cf. Justin (?), i)e
resnrr. fr. 9). Addition symbolique; dès le temps de TerluUien
[De cor. 3 ; Marc I, i4), on présentait du miel au nouveau baptisé,
ressuscité dans le Christ à une vie nouvelle; le symbolisme du
poisson est connu d'ailleurs ; et l'association du miel au ' poisson
peut s'expliquer par là. — « Et l'ayant pris, il le mangea devant
eux ». ^- Un certain nombre de témoins ajoutent encore : « et il
donna les restes aux 'disciples », ce qui paraît imité de Jean (xxi,
i3), où l'on voit le Christ ressuscité distribuer à ses disciples le pain et
le poisson. Il est à remarquer d'ailleurs que Jean (xxi, 5) fait poser la
question : « Avez-voUs quelque chose à manger ? », par rapport aux
disciples, près du lac de Tiberiade, avant la pêche miraculeuse ;
lorsque les disciples arrivent à terre, ils trouvent un. brasier tout
allumé, avec un poisson qui rôtit, et du pain pour le repas ; Jésus lui-
même les invite à manger et leur distribue lé pain et le poisson. Bien
qu'on ait pu manger du poisson rôti à Jérusalem, il est encore plus
naturel d'en trouver près de la mer de Galilée ;.et comme notre auteur
a ramassé tant de choses dans cette sqirée de la résurrection, il serait
fort capable d'avoir transporté le poisson du lac dans son tableau des
apparitions hiérosoly mitaines. S'il ne parle pas de pain, ce doit être
parce que les disciples d'Emmaiis ont déjà reconnu Jésus à la frac-
tion du pain. Le poisson a le même sens mystique par rapport à la
cène. Il n'est pas dit chez Jean que le Christ ait pris quelque chose
des éléments qu'il offrait aux disciples; notre auteur, qui n'a pas fait
manger le Christ à Emmaûs, le fait manger ici pour accentuer la
preuve de la résurrection. (sur la portée de ce ti-ait, voir siipr., p. 62).
Ce qui suit est conçu d'après une autre préoccupation et ne' se rat-
tache que dans une vague perspective aux circonstances de la grande
apparition. Les mêmes instructions, couronnées par l'ascension, se
retrouveront au commencement des Actes dans la perspective des
quarante jours ; l'auteur n'a sûrement pas Voulu signifier ici qu'elles
avaient été données à minuit, dix-huit heures après la résurrection,
et une demi-heure avant l'ascension ; on doit dire plutôt qu'après la
grande apparition il laisse flotter-le cadre qu'il précisera au commen-
cement des Actes, le point de départ de ce livre étant précisément la
résurrection,
Jésus recommence, pour tous les disciples, la démonstration exégé-
ti(jue par lui développée sur le cheoiin d'Emmaiis. — « Et il leur,
888 LUC, XXIV, 44
** Et il leur dit : « Ce sont là les choses
que je vous ai dites étant encore avec vous :
que devait s'accomplir tout ce qui est écrit
dans laLoi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes, à mon sujet.
dit: « Ce sont mes paroles que je vous disais étant encore avec vous».
— Exorde qui n'est pas sans gaucherie. Entendons que les laits dont
les disciples viennent d'être témoins, la passion de Jésus et sa résur-
rection, sont l'accomplissement de ce que lui-même leur avait
annoncé quand il leur disait que le Fils de l'homme devait, d'après
les Ecritures, être mis à mort et ressusciter ensuite. La formule :
« étant encoi'e avec vous » (cf. Jn. xiv, 25), sonne faux ; elle dénonce
le rédacteur qui parle, par la bouche du Christ, aux chrétiens de son
temps. Dans les prédictions de la passion qu'ils ont attribuées au
Christ, les évangélistes n'ont pas insisté sur le détail des prophéties
anciennes qui y étaient visées ; et ce sont, assurément les premiers
prédicateurs chrétiens qui ont relevé et coordonné ces prophéties sur
lesquelles a été ultérieurement construite la légende évangélique. —
« Que devait s'accomplir tout ce qui a été écrit dans la Loi de Moïse,
les Prophètes et les Psaumes, à mon sujet ». — Les Prophètes repré-
sentent ici la seconde partie du canon hébreu (Jos. Jug. Sam. Rois,
avec Is. Jér. Ez. et les douze petits prophètes) ; les Psaumes semblent
cités pour eux-mêmes, comme contenant beaucoup de prophéties
messianiques, plutôt que comme figurant, dans une de ses parties les
plus importantes, la troisième section du canon. Il n'est pas probable
d'ailleurs que l'auteur s'enferme rigoureusement dans les classifica-
tions de la Bible hébraïque : il compte ici Moïse comme prophète à
part de la collection générale; il ne s'intéresse pas aux livres histo-
riques qui constituent dans la tradition rabbinique le recueil des pre-
miers prophètes; les Psaumes sont signalés à part, mais David aussi
est prophète, et Daniel, qui, dans le canon hébreu, appartient à la
série des hagiographes, aura été compté parmi les prophètes, comme
il l'est dans les Septante.
« Alors », — les initiant dans le détail à cet accomplissement des
prophéties, — « il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les
Ecritures », — en leur donnant les explications détaillées dont ce
qu'on va lui faire dire n'est encore qu'un résumé. La leçon donnée
aux disciples d'Emmaûs, dont les yeux, à la fin, se dessillent pour
reconnaître Jésus (3i), figure en quelque façon « l'ouverture » que
le Christ réalise dans l'esprit des disciples ; leur intelligence
s'ouvre à la véritable connaissance des prophéties, dont aupa-
LUC, XXIV, 45-47 88^
*^ Alors illeur ouvrit l'esprit pour I4atelligen.ce des Ecritures,
^* et il leur dit :
« Ainsi était-il écrit que souffrirait le Christ
et qu'il ressusciterait d'entre les morts le troisième jour,
*' et que l'on prêchera en son nom pénitence
pour rémission de péchés à toutes les nations,
en commençant par Jérusalem.
ravant ils n'entendaient pas le sens tout en en écoutant la lettre
(contrepartie de xviii, 34), comme les yeux des disciples d'Emmaûs
se sont ouverts au dernier moment pour reconnaître Jésus qu'ils
voyaient auparavant en inconnu. — « Et il leur dit », — réalisant
à mesure cet éclaircissement : — « Ainsi était-il écrit que le Christ
devait souffrir », — endurer supplice mortel, — « et ressusciter des
morts le troisième jour », — choses maintenant accomplies, — « et
que l'on prêchera en son nom pénitence pour rémission de péchés
à toutes les nations » , — C'est ce qui reste à faiz'e par les, disci|)les
eux «mêmes, et c'est le thème du livre des Actes (i, 8). Programme
qui eât aussi en rapport étroit avec celui qui, dans Matthieu
(xxvii, 19, selon la leçon d'Eusèbe)est assigné aux apôti'es, mais avec
moins d'énergie dans l'expression ; très délibérément notre évan-
géliste adopte une formule qui conviendrait à une prédication pure-
ment eschatologique et juive, façon Jean-Baptiste et Evangile primi •
tif,de la nouvelle religion. Les disciples sont donc censés comprendre
maintenant qu'ils sont commissionnés pour réaliser l'accomplisse-
ment du dessein providentiel qui a été manifesté dans les Ecritures,
pour porter l'Evangileà tous les peuples, au nom de Jésus, à sa place,
en continuation de son ministère (cf. Hkbk. ii, 3-4). — « Commençant
par Jérusalem ». — Entendons que, l'Evangile ayant été prêché à
Jérusalem, c'est de là qu'on partira pour évangéliser les nations
(cf. AcT. I, 8). La construction grammaticale est irrégulière (àp^âjxevoi
k-Ko 'lepouaxX'fiii, dépendant de outco; ysypaurac), el l'on ne gagnerait pas
beaucoup à faire au second membre de phrase (xal x'fipu;(OTivai xtX.)
une sorte de phrase indépendante où serait contenu l'ordre de prê-
cher (Weklhausen, i4i). Au surplus, notre auteur paraît éviter de
faire donner cet ordre (cf. Acr, i, 8 : « vous serez mes témoins », etc.),
auquel répondrait trop mal l'exécution. Encore moins convient-il de
rattacher ; « Commençant par Jérusalem », à ce qui suit : « Vous
êtes » — ou « vous serez » — « témoins de ces choses ». La même
idée reviendra en meilleure forme, au commencement des Actes
B90 ttjti, XXIV, 4849
*.* C'est vous qui êtes les témoins de cela.
*» Et moi je vais envoyer sur vous ce qu'à promis monPère "
mais vous, restez en la ville
jusqu'à ce que d'en haut vous soyez investis de force. »
(loc. cit.), et c'est d'après cet autre passage qu'il convient d'inter-
préter le nôtre.
« C'est vous qui êtes témoins de ces choses », ^— des fait accomplis,
c'est-à-dire la mort et la résurrection de Jésus. Car, en dépit du con-
texte, il ne s'agit pas précisément delà preuve biblique appliquée au
double objet dont il.vient d'être parlé ; cette preuve est subordonnée
au témoignage concernant les faits ; et c'est d'ailleurs une idée fami-
lière à notre auteur, que les disciples immédiats de Jésus sont devant
le monde les témoins de sa passion et de sa résurection (cf. Act. i, 8,
22 ; 11,32 ; m, i5 ; v, 32 ; x, Sg, 4i; xni, 3i). 11 y a simplement à dire
que l'idée du témoignage apostolique se trouve ici mal ajustée à celle
du témoignage biblique et de l'accomplissement des prophéties dans
le Christ.
«Et quant à moi, je vais envoyer sur vous ce qu'a promis mon
Père », — c'est-à-dire l'effusion de l'Esprit saint annoncée par Joël
(m, 1-5), qui sera cité dans les Actes (ih, i-S). Il estévident que notre
rédacteur a déjà en tête son récit de la pentecôte. Le ms. D (aussi
lat. e ) lit : « ma promesse ». Leçon douteuse ; car il s'agit plutôt de
l'Esprit promis dans l'Ecriture, non de l'Esprit que Jésus promet en ce
moment aux disciples(cf. Act.i, 4)- Mais peut-être l'évangéliste avait-
il écrit simplement : « la promesse », terme aussi clair que « la
promesse du Père », et suffisamment déterminé quant à son objet
par ce qui vaêtre dit de «la vertu d'en haut », — « Mais vous, restez
dans la ville, en attendant que vous soyez investis de la force d'en
haut». — Notre auteur ne veut pas décidément qu'il y ait d'appari-
tions en Galilée ; les disciples n'auront pas quitté Jérusalem depuis le
jour de la passion jusqu'à celui de la pentecôte.. Jean (xx, 21-23) va
plus loin encoi'e, faisant donner aux apôtres mission et Esprit saint
le soir môme de la résurrection . Notre auteur, trop bien informé par
l'histoire de Luc, maintient une sorte de stage par lequel aurait passé
la vocation des apôtres avant que ceux-ci aient commencé à prêcher ;
mais la forme de ce stage n'est pas conçue moins systématiquement ,
que sa conclusion et sa durée.
« Or il les emmena jusque vers Béthanie ». — C'est le lieu de
l'ascension dans les Actes ; mais les Actes rattachent l'ascension au
discours qui précède, et c'est seulement après coup que le mont des
Ltcj XXIV, H0-8i SOI
^^ Or îl les emmena jusque vers Béthanie, ^
puis, levant les mains, il les bénit,
^1 et, tout en Içs bénissant, il s'éloigna d'eux,
et il était emporté au ciel. ' -
Oliviers est désigné comme l'endroit d'où les disciples reviennent
(AcT. I, la). Dans les Actes,, on pourrait croire que le discours a été
prononcé sur le mont des Oliviers ; ici on ne voit pas pourquoi Jésus
conduit ses disciples hors de la ville pour les quitter aussitôt. C'est
que l'auteur disposé librement de ses matériaux et qu'il se soucie
encore moins de ne pas se contredire que de ne pas se répéter. Du
reste, il se garde bien de dire expressément que Jésus a quitté Jéru-
salem la nuit d'après sa résurrection, comme on pourrait le croire en
serrant de trop près son récit. Ce qu'il va dire se passe on ne sait pas
quand; et le commencement des Actes (i, 3) marquera la date, aussi
tictive que la chose .
«Et levant les mains, il les bénit », — Façon de prendre congé
qui convient au Christ glorieux : les Actes, qui décrivent seulement le
phénomène de l'ascension, et où le discours tient lieu de congé, n'ont
pas ce trait. — « Et advint que, les bénissant, il s'éloigna d'eux ». — ^
C'est tout ce qu'onlit dans un certain nombre d'anciens témoins (SD,
mss. lat. Ss.). Le plus grand nombire ajoute; « etil fut emportéauciel ».
« Et eux, l'ayant adoré, retournèrent à Jérusalem en grande joie». —
Les témoins qui ne font pas mention expresse de l'ascension n'ont pas
non plus (sauf S) : « l'ayant adoré ». L'hypothèse d'une interpolation
dans les deux passages pour le plus grand nombre des témoins peut se
j ustifier par le désir de conformer le récit évangéliqùe à celui des Aictes
et de l'étoffer quelque peu (xpocrxuv7)ffavTeç aûxov ayant pu êti-e suggéré
parMT. XXVIII, 17); et l'on peut dire aussi que l'évangéliste avait fait
son récit très sobre, parce qu'il se proposait de le reprendre au com-
mencement des Actes. Mais l'omission dans un petit nombre de
témoins ne s'expliquerait pas moins facilement ; car on a pu identifier
l'apparition aux disciples avec celle qui, chez Jean (xx, ig-aS), a lieu
le soir de la résurrection, trouver l'évangile en contradiction avec les
Actes, qui mettent l'ascension au bout de quarante jours, et supposer
que le Christ, en l'occasion ici marquée, avait dû prendre seulement
congé des siens pour un temps, et non pas remonter définitivement
au ciel; la formule : « il s'éloigna d'eux », serait bien insuffisante pour
désigner l'ascension, et ce qui est dit de celle-ci dans le texte ordi-
naire n'est point calqué sur le récit des Actes ; les variantes du récit
ont pu être aussi bien voulues par le rédacteur pour éviter les répé-
892 LUC, XXIV, 52
'2 Et eux, l'ayant adoré,
s'en retournèrent à Jérusalem en grande joie ;
et ils étaient constamment dans le temple,
[louant el] bénissant Dieu.
titions littérales. Ainsi le trait de la « grande joie» n'est pas non plus
dans les Actes. Il semble que le rythme de cette finale est phis satis-
faisant dans le texte le plus complet.
« Et ils étaient constamment dans le temple, bénissant Dieu ». —
Quelques témoins ont « louant » (alvoïv-csç, D, mss. lat.) au lieu, de
« bénissant » (eùXo7ouvTeç, SBCL, Ss. ); le texte. ordinaire : « louant et
bénissant Dieu », a probablement recueilli les deux leçons. Les Actes
insisteront sur ce dernier trait, qui appartient à l'histoire de la pre-
mière communauté. On dirait que l'écrivain laisse le lecteur en sus-
pens, comme Jésus laisse les disciples dans l'attente de l'Esprit : c'est
que le fil de l'histoire sera repris dans un autre livre, où l'on racon-
tera ce qu'a fait l'Esprit dans l'Eglise apostolique. Et selon toute vrai-
semblance le même auteur qui a recouvert de fictions l'œuvre de Luc
dans le second livre à Théophile, a surchargé aussi et retondu cette
œuvre en son prepaier livre, non seulement pour le récit de la passion
et de la résurrection, mais pour la totalité. Du moins paraît-il évident
que les récits passablement incohérents delà résurrection contiennent
la légende ou plutôt le système mythique où sont représentées, au
commencement des Actes, lesdébutsdela prédication apostolique.
INDEX ALPHABETIQUE
Actes des apôtres, 5, 6,-44» 46-4?> ^92.
Ambroise, 70.
Andersen, 5o8.
Anges. — Voir Gabriel. — Les anges
et les bergers de Bethléem, ii5-i 17.
— Les anges et le Fils de Dieu, i5i.
— Associés à la gloire du Père et
à celle du Christ, ajo. — Nommés
à la place de Dieu, 342, Sgb. —
Portent Lazare au sein d'Abraliam,
416. — L'ange qui assiste le Christ
en son agonie, 5a6-528. — Deux
anges au tombeau du Ressuscité,
568-569, 577-578. .
Anna, prophétesse, 124-126.
Annas (Hanan), grand-prêtre, i35.
Apôtres. Les Douze, élus et dénom-
més par Jésus, 192-193. — Liste des
Douze, 194195. — Leur mission,
260-261. — Leurs trônes dans le
royaume' de Dieu, 5i7-5i8. — Men-
tion des apôtres, 236, 263, 264, 336,
423, 5o5, 570. — Les Douze au der-
nier repas de Jésus, 5o6-5o8. — Té-
moins du Christ ressuscité, 584-592.
Augustin, 12, 91.
Baptême d'eau, d'esprit, de feu, ,i4o-
i4i. — Baptême de Jésus, 142-143.
— Baptême du Christ dans la mort,
356. — Baptême de Jean, 226, 474-
476.
Barabbas, 549-55i.
Baur, 19,
Bède, 70.
Beelzeboul, 821. Voir Possession,
Satan.
Bélhanie, 467, 691 .
Bethléem, 112, 117. — La grotte de
Bethléem et le culte d'Adonis, 117.
Bethsaïde, 264, 297.
Blass (F.), 69-70.
Bonwetsch, 91.
Bousset, 19-22, 571.
Bultmann, 22-23.
Burkilt, 418,
Cadbury, 63, 72,
Caïphe, i35.
Gajétan,70l
A. LoiBY. — L'Évangile selon Luc.
Calvaire, 355.
Canon de Muratori, 11.
Capharnaum, 160, 164, 21*7.
Cène eucharistique. — Son institu*
tion, 5o8-5i3. — Figurée dans la
multiplication des pains, 266. — La
fraction du pain à Ëmmaûs,58o-58i.
Charles, 65. 362, 416.
Chorazin, 267.
Ghouza, 238.
Chronologie évangélique. — L'an
i5* de Tibère, i32-i33. — Indica-
tions relatives à l'âge de Jésus, 77,
iio, 144 • — Les jours de la passion
et de la résurrection, 5o3-5o4t 565-
566, 571.
Cladder, 64.
Colombe (Esprit), 143.
Commandement (le grand), 3o3-3o6,
Commission pontificale des études
bibliques, 12.
Couchoud (F.-L.), 65.
Credner, i5.
Cyrille d'Alexandrie, 70.
Dalman, 342.
Delafosse(H.), 7.
Démons. Voir Possession,
Diable, tentateur du Christ, i47-i52.
— Voir Satan.
Dibelius (A.), 20.
Dibelius (M.), 23.
Dictons et proverbes appliqués aux
thèmes de l'Evangile, i6o, 161, i83,
l84, 185, 187, 211, ai5, 244, 245 (!i65),
283 et 324 (deux proverbes évan-
géliques employés par César et
cités par Cicéron), 288, 289, 290,
293, 328, 373,381 (444), 410, 435.
Dioscorides, 71.
Discours évangéliques. — Discours
des béatitudes (morale de TEvan-
file), 196-214. — Déclarations, de
ésus touchant Jean-Baptiste, 222-
228. — Discours de mission aposto-
lique, 260-261, 293-302. — Discours
sur les exorcismes, 322-325. — Dis-
cours contre les pharisiens, 33o-
338, 489. — Sur le courage dans la
confession de la foi, 34o-344. —
38
894
TABLE ALPHABÉTIQUE
Contre le souci des choses- ter-
restres et sur la vigilance en vue
du jugement, 344-35ç). — Sur les
élus et les réprouves, SGg-SjS. —
Sur le renoncement, 388-892. — Sur'
le scandale, le pardon, la foi,
l'humilité dans le service de Dieu,
422-425. — Sur la lin du monde,
428-436, 491-502.
Divorce, 4i3.
Eichhorn, i3.
Elle et Jean-Baptiste, 81, 2j6. — Elle
attendu, 262, 267. — Témoin de la
transfiguration, 2j3. — Mention
d'Elie, 162,286.
Elisée, i63.
Elisabeth, 77-78, 90-91. — Eli.sabeth
et Marie, 92-95. — Le cantique
d'Elisabeth, 95-101. — Elisabeth et
le nom de Jean, 101-102.
Emmaiis, 573-074. — Les deux dis-
ciples, 573, 575-576.
Enfants, 28 1, 444-445.
Esprit. — Son rôle dans la concep-
tion de Jésus, 89-90 ; -— dans son
baptême, 142-143. — Conduit Jésus
au désert, 147. — Vertu del'Esprit
agit en Jésus et par lui, i53. —
Vertu de guérison, 178,196. — Ins-
piration, pour cantique, d'Elisa-
beth, 93 ; Zacharie, 104 ; Siméon,
121 ; Jésus, 3oi, — Le blasphème
contre l'Esprit, 342. — La prière
pour l'Esprit, 3i5-3i6, 820. — L'Es-
prit et le témoignage de la foi, 343,
— L'Esprit promis par le Ressus-
cité aux apôtres, 590. — Esprits
impurs. Voir Possessions.
Eusèbe de Gésaréé, 70.
Euthymius Zigabenus, 70.
Feine (P.), 17.
Femmes qui suivaient Jésus, 286-
a38. — Les femmes au Calvaire,,
563 ; — au tombeau du Ressuscité,
566-570, 577-578.
Fiebig, .214.
Fillion, 70.
Foi. — Obtient les miracles, 180,
ai8, 257, 428-424, 453. — Déclin de
la foi à la fin des temps, 44"- — La
foi de Pierre, qui ne faillira pas,
820-521,
Frères de Jésus, 246-247.
Gabriel. — L'ange et Zacharie, 79-88.
— L'ange et Marie, 85-92.
Gentils. — Leur salut annoncé, 872- .
878; ligure. Voir Symbolisme.
Gercke, 44-
Gieseler, 14.
Godet, 70.
.Goguel (M.), 22, 48.
Gressmann, 85, 289, 4i4-
Griesbach, i3.
Grifïïth, i3a.
Guérisons. Voir miraclesé
Guignebert, 60.
Gunkel,.583.
Ilarnack, 8, 19-20.
Haupl (W.), 21.
Hawkins, 18.
Herder, 14.
Ilérode (le Grand), 77.
Hérode (Antipas), 134,141,262-268,373-
374, 545-549.
Hérodiade, 141.
Ililgenfeld, i5.
Hobart, 63.
Iloltzmann (ILJ.), 17-18, 70.
Ignace d'Antioclic, 7.
lohanna, 288, 570.
Irénée, 7, 10,
Jackson (F.) et Lake (K.), 72.
Jacques et Jean, iils de Zébédée,
178, 198, 258, 286. Pierre et Jean,
506-507.
Jean. Rapport du troisième évangile
avec le quatrième, 6, 43-44i 1!74"176,
571-572, 578, 583-587, 090.
Jean-Bapliste. -r- Miraculeusement
annoncé et conçu, 77-85. — Prophé-
tise dans le sein de sa mère, 98. —
Sa naissance, 101-104. — Sa jeu-
nesse, 109. — Sa prédication et
son emprisonnement, i33-i4i. —
Sa mort; 268. — Propos de Jésus
au sujet de Jean, 222-228, 4i2-4i3,
435-476. ^^.. ,
Jesus-Ghrist. — Miraculeusement
annoncé et conçu, 85-92. — Sa nais-
sance à Bethléem, 109-118. — Sa
circoncision et sa çrésenlation
au temple, 119-126. —Jésus à douze
ans, 126-182. — Baptisé par Jean,
142-148. — Sa généalogie, i44-i47.
— Sa tentation par le diable, 147-
iSa. — Sa prédication à Nazareth,
153-164. — Jésus à Gapharnaiim,
165-169. — 11 appelle à lui Simon
et les deux fils de Zébédée, 169-178
— Pour les guérisons et prodiges,
voir Miracles ; pour l'enseigne-
ment, voir Dictons et proverbes.
Discours évangéliques. Paraboles.
— Jésus fréquente publicains et
pécheurs, 182-184, 227, 892, 455, 457.
— 11 remet les péchés, i8o-i8r,
235. — 11 n'observe pas le sabbat,
188-192, 364-367, 377-880. — Il choi-
sit parmi ses disciples douze apô-
tres, 192-194. — Il guérit et enseigne, .
195-197. — 11 envoie les Douze prê-
cher et guérir, 260-261. — Il est
salué Christ par Pierre et répond
que le Fils de l'homme doit être
TABLE ALPHABÉTIQUE
595
mis à moi-l et ressusciter, 268-269.
— Il est transfiguré sur- la mon-
tagne devant Pierre, Jacques et
Jean, 271-276. — Il se met en roule
pour Jérusalem, en passant par
la Samarie," 283-284. — " donne mis-
sion à soixante-douze autres dis-
ciples, 290-292. — Ce qu'il répond
à la menace d'IIérode, 373-875. —
Approchant de Jérusalem, il ins-
truit ses disciples à n'attendre
pas l'apparition immédiate du
royaume de Dieu, 4»8-46o. — Il est
acclamé au mont des Oliviers, 466-
469- — Il pleure sur Jérusalem,
470472. — Il chasse les vendeurs
du temple, ^•ja-^jS. — Il réduit au
silence grands-prêtres, 474'47*', —
pharisiens, 48i-483, — et' saddu-
céens, 48'^-486. — Il annonce publi-
quement la fin de Jérusalem et du
monde, 49i-5o2, — Célébrant la pâ-
que avec les Douze, il institue la
cène chrétienne, 5o6-5ii. — Sa
prière d'agonie au mont des Oli-
viers, 525-529. — Son arrestation
par suite de la trahison de Judas,
5o4-5o6, 530-534. — Il est outragé
par les valets du grand-prêtre,
538-539. — Il comparaît devant le
sanhédrin, 539-542, — devant
Pilate, 542-545, — devant Hérode,
545-547, ' — est livré par Pilale aux
Juifs, 5'j7-552. — Sur le chemin du
Calvaire il plaint les femmes de
Jérusalem, 553-555, — Circonstances
de son crucifiement et de sa mort,
555-563. — Sa sépulture, 563-566. —
Son tombeau trouvé vide, 666-572.
— Ses apparitions de ressuscité,
572-692.
Qualifié Fils de Dieu par Gabriel,
88, 89, — par la voix du Père,
143, 275, 478 ; — par le diable ten-
tateur, 148, i5i ; — par les démons,
i65, 1O7, 260 ; — se dit lui-même
tel, 3oi, 6'ii.
Se dit couramment Fils de l'hom-
me, i8i (pardonnant les péchés), 189
(maître du sabbat), 199, 227, 26g
(il doit souflrir la mort) ; 270 (il
viendra dans la gloire), 279, 286,
288, 327 (assimilé à Jonas), 3^-2, 352,
43i, 432, 433, 434, 440, 449, 457. 5oo,
5o3, 5i3, 53o, 54 1 (assis à la droite
de Dieu), 669.
Appelé Fils de David pur Gabriel,
88, — démontré tel par sa généalo-
gie, i44, i46i — dcnomuié ainsi par
l'aveugle de Jériclm, 462. — Argu-
mente contre l'altribulion de ce
titre au Messie, 487-488.
Jeûne, i84-rS6.
Joseph, 186, 111-112, 117, 119, i?i, 122,
i26-i3o, 144, i58.
Joseph d'Arimathie, 563-565.
Judas Iscarioth, 194, 5o5-5o6, 5i2-5i4,
529-531. ■ '
Jiilicher, 19, 233. .
Justin, 8-9.
Klostermann, 70.
Knabenbauer, 70.
Lachmann, i5.
Lagrange, 11, i», 20, 70.
Larrons (les deux), 555-556. — Le bon
larron, 559-56o.
Lessing^ i3.
Lévi (publicaln), i8a-i83.
Logia, 14. — Logia de Behnesa, 161.
Loisy, 23-24.
Luc, dans les épîlres de Paul, 5-6 ;
— dans la légende ecclésiastique,
10, II,' 12. — Evangile dit de Luc ;
son contenu, 24-44- — ^^ premier
livre à Théophile et le troisième
évangile, l\^'6'î. — Forme littéraire
de l'évangile, 63-69. — Conserva-
tion du texte, 69-70. — Commen-
taires, 170. — Rapport avec le qua-
trième évangile, Voir Jean.
Lysanias, i34.
Maldonat, 70.
Marcion et son évangile, 7-8, 9, lo,
i4-i5, 62, 164, 3i5.
Marie, mère de Jésus. — Marie et le
message de Gabriel, 86-92. — Marie
et Elisabeth, 92-96, 98. — Marie
à Bethléem, iio-ii8. — Marie et
reniant au temple, 1 19-120, 123-126.
— Son rôle dans l'anecdote de
Jésus à douze ans, 126-181. — Les
souvenirs de Marie, 118, i3i. — La
mère et les frères de Jésus, 246-247.
Marie, sœur de Marthe, 3n-3i3.
Marie de Jacques, 670. .
Marie la Magdalène, 287, 670.
Marthe, 3ii-3i3,
Meyer (B.), 48.
Miracles de Jésus. — Pourquoi il n'a
pas fait de miracles à Nazareth,
160-164. — Le possédé de Caphar-
naûm, i65-i6S. — La belle-mère de
Simon, 166. — Autres démonia-
ques, 167. — La pèclie miraculeuse,
170-173. — Le lépreux, 176-178. — Le
paralytique, 178-182. — L'homme à
la main sèche, 191. — Le serviteur
du centurion, 216-219. — Le ressus-
cité de Nain, 219-222. — Flot de
miracles devant les messagers de
Jean-Bapliste, 228. — Le possédé
de Gérasa, 249-264. — L'hémor
hoïsse et la fille de Jaïr, 264-260. —
La multiplication des painsj 268-
266. — L'épileptique, 276-278. — Le
démon muet, 820-821. — La femme
infirme depuis dix-huit ans, 364-
596
TABLE ALPHABÉTIQUE
365. — L'hydropique, Sjj-SjS. — Les
dix lépreux, 426-428. — L'aveugle
de Jéricho, 45i-453. — La gueri-
son de l'oreille coupée,53i-532.
Moïse, témoin de la transfiguration,
ajS.
Morfill, 416.
Morin (D. G.), 98,
Nazara ou Nazareth, 85, m, 126, i3o,
i54-i55.
Nàzarène ou Nazoréen, i53, i65, 452,
576.
Nestlé, i56.
Nestle-Von Dobschiitz, 70.
Niceta de Remesiana, 98,
Norden, 23, 44-
Oliviers (mont des), 467, 468, 5o3,5a5.
Oraison dominicale, 3i5-3i6.
Origène, 70, 98.
Papias, 4^*
Paraboles. —Les Deux maisons, 2i3-
ai4. — Les Deux débiteurs, 23a-233.
— Le Semeur et son explication,
238-244' — Le Samaritain, 3o7-3io.
— L'Ami imçortun, 3i7-3i8. — ^. Le
Riche insensé, 344-346. — Les Ser-
viteurs vigilants, 35i-352. — L'In-
tendant fidèle et le mauvais, 353-
354. — Le Figuier stérile, 36i-364.
Le Sénevé, le Levain, 367-368. —
Le Festin, 384-388. — LaTour à bâ-
ter, le Roi qui s'en va en guerre,
389-391. — La Brebis perdue, la
Drachme perdue, 392-395. — Le
Fils prodigue.,396-403. — L'Econome
infidèle, 403-409. — Le Riche et La-
zare, 4i4-42i- — La Veuve et le juge
436-440. — Le Pharisien et le publi-
cain, 440-444' — Les Mines, 458-466,
— Les Vignerons meurtriers, 477-
481.
Pardon (la leçon du), 422-423.
Pécheresse (la femme), 2282%.
Péchés. — Leur rémission par le
baptême de Jean, i35. — Accomplie
directement par Jésus, 180, 235. —
Pardon demandé dans l'oraison
dominicale, 3i6, — Rémission devra
être annoncée à toutes les nations
Par les apôtres, 689.
fleiderer, i5.
Pharisiens et scribes, 178, 180, i83,
184, 190, 191, 226, 23o, 236, 330-338,
339, 377-378, 440-444,481-482, 488-489.
Pierre (évangile apocryphe de), 546,
547, 552, 562-563.
Plummer, 20, 70.
Polycarpe, 7,
Ponce-Pilate, i34,36o, 542-545, 547-552.
Possession diabolique, démons et
possédés. — Les possédés de Ca-
pharnaum, i65-i66, 167. — Foule de
possédés guéris, 195,223. — Le pos-
sédé de Gerasa,249-254. — Le démon
de l'épileptique, 276-278. — Le dé-
mon muet, 320-32I . — Jésus se dé-
fend de chasser les démons par
Beelzeboul, prince des dêmons,32i-
324. — Jésus donne aux Douze pou-
voir sur les démons, 260 ; — pareil-
lement aux Soixante-douze, 298-300.
— Propos sur la rechute en pos-
session, 324-325.
Preuschen 161.
Prière. — Les prières des sectateurs
de Jean, i84,,3i4. — La prière des
disciples (oraison dominicale). —
Les paraboles de la prière, 3i7-3i8,
436-4^0. — Efficacité de la prière,
3i8-3i9. — La prière du pharisien,
442-443. — La prière du pubiicain,
443. — La prière de Jésus au mont
des Oliviers, 526, 528.
Prologue.s anciens des évangiles, 11.
Prologues de Luc et des Actes, 48-5o,
71-77 •
Prophéties. — Ecritures qui se sont
accomplies en Jean-Baptiste, 81,107,
i35, 225. — En Jésus, 87-88 (nais-
sance) ; i56-i58 et 224 (programme
prophétique de l'enseignement et
des miracles ; 5o5-5o6 (trahison de
Judas); 522 et 555 (lès deux voleurs
crucifiés avec Jésus) ; 538-539, 546-
547 et 557-558 (injures et dérision) ;
541 (la gloire qui attend le Fils de
l'homme auprès du Père) ; 546 (le
silence de Jésus devant Hérode) ;
547. (la connivence d'Hérode et de
Pilàte) ; 556 (le partage des habits
du crucifié) ; 56ï (les ténèbres ; la
dernière parole du Christ) ; 552 et
562 (les lamentations des femmes
et le deuil de la foule); 571 (la sé-
pulture) ; 579-580, 587-589 (leçon gé-
nérale donnée par le Ressuscité
touchant l'accomplissement des
prophéties). Prédictions de Jésus,
— relatives à sa passion et à sa
résurrection, 5269, 27^, 4^2, 449-45i,
523 ; — au sort de Jérusalem, 470-
47a, 553-555 ; à la fin du monde,428-
437, 439-440. 491-502.
Publicains, i38,i 82-183, 2264,4o-444. 454-
Quartodéciraans (observance pascale
des) 24, 5o4, 560.
Quii'iniiis et le recensement, iio-in.
Reitzenslein, 224.
Renan, i5-i6.
Résurrection (la question de la résur-
rection), 483-484.
Reuss (E.), i5.
Réville (A.), i5.
Richesses (danger des), 407-411, 445-
449-
TABLE ALPHABÉTIQUE
897
Sabbat et guérisons. sabbatiques, i88-
102,364-363, 378-379.
Sadducéens, 483.
Samarie et Samaritains, Sa, 33, 284-
287, 291, 809, 4a8.
Satan — tombant du ciel, 298-299, —
identilié àBeelzebouL, 322, — tenait
liée la femme infirme, 366, — est
entré en Judas, 5o5, — a obtenu
d'éprouver les Douze, 619.
Scandale. — Malheur à qui le donne,
422.
Schaarschmidt, 17.
Schanz, 70.
Schleiermaeher, i4, i5.
Schmidt (K,-L.), iSg.
Schmidt (P.), 64.
Schwegler, 14.
Seeberg, 3i6.
Signes. — Demandés par Juifs, 321,
826. .— Le signe de Jonas, 326-
827. — Les signes du temps, 357-
3o8. — Les signes au ciel dans les
derniers jours,493-494> 499- — Signe
désiré par Hérode, 545.
Siméon et son cantique, iQO-124.
Simon (le pharisien) et Simon le lé-
preux, 229-282.
Simon-Pierre. — Sa maison et sa
belle-mère, 166. — Sa vocation,i70-
174. — Simon surnommé. Pierre par
Jésus, et premier des Douze, 198.
— Assiste à la résurrection de la
fille de Jaïr, , 258. — La confession
de Pierre, 268. — Pierre témoin de
la transfiguration, 272, 273-274. —
Mention épisodique, 353, 448, 5o6.
— La foi de Pierre ne défaillira,
pas, 519-521. — Annonce du renie-
ment, 5ai. — Le reniement, 53!i-538.
— Pierre au tombeau du Christ,
571-572.
Simons, 17.
Soixanle-douze \les) disciples, 290-
292, 298-800.
Soltau, 17.
Sorof, 44 •
Spilla, 20, 21-, 293.
Stephenson, 22,
Streeter, 22.
Style rythmé duNouveauTeslament,
64-69:
Susanna, 23S.
Symbolisme dans les récits évangé-
liques : — baptême de Jésus, 142 ;
— prédication à Nazareth, i53,
109-164 ; — vocation de Pierre et
pêche miraculeuse, 169-176 ;— gué-
rison du lépreux, 178, et des dix
lépreux, 428, — du paralytique,
182, — du serviteur du centurion,
2i5, — résurrection du fils de la
veuve, 221, — tempête apaisée,
■possédé de Gérasa, lille de Jai'r,
269-260 ; — mission des Douze, 198-
194, 260-261 ; multiplication des
pains, 266 ; confession de Pierre,
268 ; transfiguration de Jésus, 272;
passage en Samarie, 284 ; — mis-
sion des Soixante-douze, 290-291.
— Marthe et Marie, 3io-3ii ; — les
Galiléens tués et les Hiérosolymi-
tains écrasés, 36i ; — la femme gué-
rie en sabbat, 365 ; — l'aveugle de
Jéricho, 453 ; — Zachée, 458 ; — le
triomphe au mont des Oliviers,
470 ; — la veuve au liard, 490 ; — la
dernière cène, 5i2 ; — la sueur de
sang et l'agonie au mont des Oli-
viers, 528-529 ; — la robe royale
dont Hérode fait revêtir Jésus,
547 ; — l'inscription de la croix, 558 ;
— les deux larrons, 56o ; — le voile
déchiré, 56i .; — l'apparition d'Em-
maûs, 58i. —Pour le symbolisme
des récits paraboliques, voir Para-
boles.
Tentation du Christ, i47-i52, 5x7, 525-
53o.
Tertullien,7, lo-ii.
Théophile, 60, 76-77.
Théophyiacte. 70.
Tradition évangélique. Son carac-
tère, 18, 22, 45-46, 62, i57, 197-198,
224, 227, 245-246, 269-260, 271, 325,
33o, 887-388, 4o3, 419, 421, 433, 465-
466, 469-470, 472, 477. 483, 484, 488,
490, 5o2, 5i2, 5i8, 629, 537, 539, 55i-
552, 571, 579, 584. 592.
Tribut de César, 481-488.
Volkraar, i5.
Zacharie, père de Jean-Baptiste, 77-
84, ïoi-io3. — Son cantique, 104-
108.
Zachée, 453-458.
Zahn(T.), ao, 70.
"Weiss (B.), 16, 70.
Weiss (J.), 22, 70.
Weizsœcker, 18.
Wellbausen, 18-19, 70'
Weiidling, 161.
WeucU, 18.
Wernle, 18.
Welter, 492.'
Wredc, 23.
TABLE DES MATIERES
Pages
Introduction 5
§ I. Le troisième évangile et la tradition ecclésiastique 5
§ II. Le travail critique sur le troisième évangile i3
§ III. Le contenu du troisième évangile 24
§ IV. La composition du troisième évangile 44
§ V. Forme littéraire, tradition du texte et commentaires du troi-
sième évangile 63
Traduction et commentaiue ji
I. Le prologue (r, i-4) 71
IL L'annoncialion de Jean-Baptiste (i, o-aS) 77
III. L'annonciation de Jésus (i, 26-38). 85
IV. Marie chez Elisabeth (i, 39-56). !.. 92
V. Naissance de Jean-Baptiste (i, 57-80) loi
VI. Naissance de Jésus (11, 1-20) 109
VII. Circoncision et présentation au temple (11, 21-39) ^'9
VIII. Jésus à douze ans (11, 4o-52) 126
IX. Prédication de Jean-Baptiste (m, 1-20) , i32
X. Baptême de Jésus. Sa généalogie (m, 2i-38) 142
XI. Tentation du Christ (iv, i-i3) 147
XII. Jésus à Nazareth (iv, i4-3o). i52
XIII. Jésus à Capharnaiim (iv, 3i-44) i64
XIV. Pêche miraculeuse el vocation des premiers disciples
(v, i-ii) 169
XV. Le lépreux (v, 12-16) 176
XVI. Le paralytique (v, 17-26) 178
XVII. Lévi. Les piiblicains. Le jeûne (v, 27-39) 182
XVIll. Le sabbat (vi, i-ii) 188
XIX. Les Douze (vi, 12-19) • • • J92
XX. La morale évangélique (vi, 20-49) • • • ïQ^
XXI. Le centurion de Capharnaûm (vu, i-io) 214
XXII. Le ressuscité de Nain (vu, 11-17) • • • 219
XXIII. Le message de Jeau-Baptiste (vu, i8-35). 222
XXIV. La pécheresse (vu, 36-5o) ; 228
TABLE DES MATIÈRES B9D
XXV. Les femmes qui suivaient Jésus (viii, i-3) 236
XXVI, Le Semeur (viii, 4-i8) , . 238
XXViï. Les vrais parents du Christ (viu, 19-21) 246
XXVin. La tempête(vui, 22-25) 248
XXIX. Le possédé de Gérasa (viii, aÔ-Sg) 249
XXX. La fille de Jaïr (viii, 4o-56). 254
XXXI. La mission des Douze (ix, 1-6) 260
XXXII. L'opinion d'Hérode (ix, 7-9) 262
XXXUI. La multiplication des pains (ix, 10-17) 263
XXXIV. La confession de Pierre (ix, 18-27) 266
XXXV. La transfiguration (ix, 28-36) 271
XXXVI. L'épileptique (ix, 37-43) 276
XXXVII. L'avenir du Fils de l'homme (ix. 43-45) 27g
XXXV m. La vraie grandeur. L'exorciste élranger (ix, 46-5o) 280
XXXIX. En route vers Jérusalem (ix, 5i-56) 283
XL. Ce qui est exigé des disciples (ix, 57-62), 287
XLI. La mission des Soixante-douze (x, 1-16) 290
XLII. Le retour des Soixante-douze (x, 17-24) ; 298
XLIII. L'amour du prochain. Le Samaritain (x, 25-37) 3o3
XLIV. Marthe et Marie (x, 38-42) 3io
XLV. La prière (xi, i-i3) 3i4
XL VI. Beelzeboul. Les signes (xi, Î4-36) 320
XLVIl. Les pharisiens (xi, 37-54) 33o
XLVIIl. Avertissement et encouragement aux croyants (xii, 1-12). 339
XLIX. Sur les biens de ce monde (xii, i3-34) 344
L. Vigilance nécessaire en vue du jugement (xii, 35-59) 35o
Ll, La conversion ou la mort (xiii, 1-9) 359
LU. Le sabbat (xm, 10-17) 364
LUI, Paraboles (xm, 18-21) 367
LIV. Les élus (xm, 22-3o) 368
LV. Hérode (xm, 3i-35) 373
LVI. A la table du pharisien (xiv, i-i4) 377
LVII. Le renoncement (xiv, 25-35) ~ ... 388
LVIII. Le pardon. divin (xv) 392
LIX. L'Econome infidèle (xvi, i- i3j ' 4^3
LX. Leçon aux pharisiens. Le Riche et Lazare (xvi, i4-3i). . 4ii
LXI. Leçons aux disciples (xvm, i-io) 421
LVII. Les dix lépreux (xvn, 11-19) 426
LXIII. L'avènement du royaume (xvii, 20-37) 4^8
LXIV. La Veuve et le juge (xvm, 1-8) 436
LXV. Le Pharisien et le publicain (xvm, 9-14) 44^
LXVl. Les enfants (xvm, 15-17) 444
jLXVII. Les richesses (xvm, i8-3o) 445
LXVIII. L'avenir du Fils de l'homme (xvm, 3i-34) 449
LXIX. L'aveugle de Jéricho (xvrtr, 35-43) 45i
600 TA^LE DES MATIÈRES
LXX. Zachée (xix, i-io). ■••••••. 4S3
LXXI. Les Mines (xix, 11-27). 458
LXXII. Au mont des Oliviers (xix, 28-40) 466
LXXIII. Le sort de Jérusalem (xix, 4^-44) • 47»
LXXIV. Les vendeurs du temple (xix, 45-48) 472
LXXV. La question des prêtres (xx, 1-8).. 4^4
LXXVL Les Vignerons meurtriers (xx, 9-19). 477
LXXVn. Le tribut de César (xx, 2o-î»6) 481
LXXVIU. La résurrection des morts (xx, 27-40) 4^3
LXXIX. Le Fils de David (xx, 41-44) 487
LXXX. Les pharisiens (xx, 45-47) ...!.. 488
LXXXL Le liard de la veuve (xxi, i-4) .... 489
LXXXIL La fin (xxi, 5-38) 491
LXXXIIL Les grands-prêtres et Judas (xxir, 1-6) 5o4
LXXXIV. La cène (xxii, j-aS) 5o6
LXXXV. Instructions aux disciples (xxn, 24-38) 6i4
LXXXVL La prière au mont des Oliviers et l'arrestation de Jésus
(xxii, 39-53) 525
LXXXVIL Chez le grand-prêtre (xxir, 54-65) 534
LXXXVIII. Devant le sanhédrin (xxii, 56-71) : 539
LXXXIX. Devant Pilate et Hérode (xxm, i-25) 542
XC. Au Calvaire (xxm, 26-49) • • 552
XCL La sépulture (xxiu, 5o-56) 563
XCIL Les femmes au tombeau (xxiv, 1-12) 666
XGin. Les disciples d'Emmaûs (xxiv, i3-35) 672
XGIV. La grande manifestation du Ressuscité (xxiv, 36-53). . . 584
Index alphabétique 593
Imprimerie Jouve et Cie, 15, rue Kacine, Paris. — 0303-24
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Histoire du Canon dii Nouveau Testament (i8gi), i vol. xgr. in-8,
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Études bibliques, troisième édition (igoS), i volume in-8,
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Histoire critique du texte et des versions de l'Ancien Testament (iSqq-
i89'3), a vol. in-8 Épuisé
Les Mythes babyloniens et les premiers chapitres de la Genèse (igoi),
I vol. gv- in-8, xix-aia pages .' Épuisé
Les Évangiles synoptiques (1907-1908), a vol. gr. in-8^i.oi4 et
8t8 pagek ,. 3o fr.
L'Évangile et l'Église, quatrième édition (1908), x vol. in-ia, , .
xxxiv a8o pages Épuisé
Autour d'un petit livre, deuxième édition (1904), i vol. in 12,
xxxiv-3oo pagea Épuisé
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sane exitu et sur l'Encyclique Pascendi dominifi gregis,
deuxième édition (1908), i vol. in-ia^ 3o7 pages. ' 3 fr.
Quelques lettres sur des questions actuelles .et sur des événements
récents (1908), i vol. in-ia, agS pages. 3 fr.
La Religion d'Israël, deuxième édition (1908), i vol, in-ia,
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France (1909), in-ia, ^3 pages...., 076 •
Jésus et la Tradition évangélique (1910), i vol. in-ia, a88 pages.. . , 3 fr.
A propos d'Histoire des Religions (1911), I vol, in-iQ,3a6 pages... 3 fr.
-L'Évangilaselon Marc (191a), I vol. in-ia, 5o3 pages... fr.
Choses passées (191S), i voL in-ia, x-398 pages 3 So
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Mors et Vita, deuxième édition (1917),! vol. in-ia, 90 pages. i 5p
La Paix des Nations et la Religion de l'avenir (1919J, in-ia, 3i pages, ' i a5
De la Discipline intellectuelle (1919), i vol. in-ia, 19a pages ... :. 3 5o
Les Mystères païens et le Mystère chrétien (1919), i-vpl. gr. in-8,
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